NOUVEAUX COMPORTEMENTS
NOUVELLE GRH ?
NOUVELLE GRH ?
Sous la direction de
Lionel HONORE
Dominique Philippe MARTIN
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Sarah ALVES, Christel BEAUCOURT,
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS, Sébastien CHEVREUIL,
Maryse DUBOULOY, Géraldine GALINDO, Bérangère GOSSE,
Christelle HAVARD, Katia IGLESIAS, Laëtitia LAUDE,
Véronique NGUYEN, Laetitia PIHEL, Matthieu POIROT,
Olivier RENAUD, Sarah SAINT-MICHEL,
Pierre-Antoine SPRIMONT, Joëlle SURPLY, Franziska TSCHAN,
Catherine VOYNNET FOURBOUL
REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIE
Volume XVI - N° 40, HIVER 2010
NOUVEAUX COMPORTEMENTS
NOUVELLE GRH ?
Sous la direction de
Lionel HONORE
Dominique Philippe MARTIN
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Regards croisés pour une GRH de
demain
Lionel HONORÉ,
Dominique Philippe MARTIN &
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Quelles régulations du fait religieux en
entreprise ?
Géraldine GALINDO & Joëlle SURPLY
Le « don/contre-don »
Laetitia PIHEL
Restructurer l’entreprise
Maryse DUBOULOY & Laetitia PIHEL
L’odyssée spirituelle des dirigeants
Catherine VOYNNET FOURBOUL
Manager l’implication du volontaire
Sébastien CHEVREUIL
Satisfaction, Implication, Engagement,
Enracinement et Intention de Départ des
Jeunes Cadres
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS &
Véronique NGUYEN
Le genre et le leadership
Sarah SAINT-MICHEL
Diriger : entre compromis et
transgression
Christel BEAUCOURT & Laëtitia LAUDE
Les comportements déviants à la règle :
l’impact des conditions de travail et de
rémunération
Christelle HAVARD & Matthieu POIROT
Satisfaction au travail
Katia IGLESIAS, Olivier RENAUD &
Franziska TSCHAN
GRH et comportements : au-delà
du croisement des regards
Lionel HONORÉ,
Dominique Philippe MARTIN &
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Présentation de la Revue Internationale
de Psychosociologie (RIP)
Frank BOURNOIS & Christian BOURION
La satisfaction au travail des apprentis
Sarah ALVES, Bérangère GOSSE &
Pierre-Antoine SPRIMONT
ISBN 978-2-7472-1748-4
12, rue du Quatre-Septembre, 75002 PARIS
Tél. : 01 42 86 55 65 - Fax : 01 42 60 45 35
1748-4 couv version revue_1610-4 couv version revue 11/10/10 10:35 Page2
Thèmes des numéros précédents
REVUE INTERNATIONALE
DE PSYCHOSOCIOLOGIE
Rédacteurs en chef
Frank BOURNOIS – Christian BOURION
International Scientific Board
Comité thématique (Guest Editoring)
AUDET, Josée, Laval University, Québec, Canada
BARTH Isabelle Université de Strasbourg, France
BODIN, Jan, Umeå University, Sweden
BONNET, Marc, IAE ISEOR, France
BOURION, Christian, ICN Business School,
France
BOURNOIS, Frank, University of Panthéon-Assas,
France
EL FAIZ, Mohamed, University of Marrakech,
Morocco
ENNAJI, Mohamed, University of Rabat, Morocco
FILION, Louis Jacques, HEC Montréal, Canada
GENDRON, Corinne, Université du Québec
Montréal, Canada
HAINARD, François, University of Neuchâtel,
Switzerland
HEROLD, David, Georgia Tech, Atlanta, USA
JANCZAK, Sergio, University of Western Ontario,
Canada
JONKER, Jan, Radboud University Nijmegen,
Holland
LAROCHE, Patrice, University of Nancy 2, France
MUCCHIELLI, Alex, University of Montpellier,
France
PAILLE, Pierre, University of Sherbrooke, Canada
PERSSON, Sybil, ICN Business School, France
PETIT, André, University of Sherbrooke, Canada
RUDAYA, Elen, MGIMO-University, Russia
SAKALAKI, Maria, University of PanteionAthènes, Greece
SHARDLOW, Steven, M., University of Salford,
U.K
TEHRANI, Minoo, Roger Williams University,
USA (Bristol)
THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, France
WASIELESKI, David, M., Duquesne University,
Pittsburgh, USA
WINDISCHI, Uli, University of Genève,
Switzerland
ABDESSEMED, Tamym, ESCEM, Tours-Poitiers,
France
AVENIER, Marie José, CNRS Université de
Grenoble, Grenoble, France
BIBARD, Laurent, ESSEC, Cergy, France
BONNET, Marc, IAE ISEOR, Lyon, France
BOURION, Christian, ICN Business School,
Nancy-Metz, France
CABY, Jérôme, ICN Business School, Nancy-Metz,
France
FILION, Louis Jacques, HEC Montréal, Montréal,
Canada
GENDRON, Corinne, UQAM, Montréal, Canada
HLADY RISPAL, Martine, Université
Montesquieu, Bordeaux, France
IGALENS, Jacques, Univ. des Sciences Sociales,
Toulouse, France
JOLY, Allain, HEC Montréal, Montréal, Canada
MAFFESOLI, Michel,CEAQ-Sorbonne, Paris,
France
MUCCHIELLI, Alex, Université de Montpellier 3,
Montpellier, France
PATUREL, Robert,Université du SUD, Toulon-Var,
France
PERSSON, Sybil, ICN Business School, NancyMetz, France
THEVENET, Maurice, CNAM, ESSEC, Cergy,
France
SCHMITT, Christophe, ENSAIA (Agro), Nancy,
France
SCHWARTZ-SHEA, Peregrine, University of
Utah,Utah, U S
YANOW, Dvora, Vrije Universiteit, Amsterdam,
Netherlands
Vol I
Vol I
Vol I
Vol II
Vol II
Vol III
Vol IV
Vol IV
Vol V
Vol V
Vol VI
Vol VI
Vol VII
Vol VIII
Vol VIII
Vol IX
Vol IX
Vol X
Vol X
Vol XI
Vol XI
Vol XII
Vol XII
Vol XII
Vol XIII
Vol XIII
Vol XIII
Vol XIV
Vol XIV
Vol XIV
Vol XV
Vol XV
Vol XV
Vol XVI
Vol XVI
N° 1
N° 2
N° 3
N° 4
N° 5
N° 6/7
N° 9
N° 10/11
N° 12
N° 13
N° 14
N° 15
N° 16/17
N° 18
N° 19
N° 20
N° 21
N° 22
N° 23
N° 24
N° 25
N° 26
N° 27
N° 28
N° 29
N° 30
N° 31
N° 32
N° 33
N° 34
N° 35
N° 36
N° 37
N° 38
N° 39
S
OU
V
EZ
N
ON
AB
Automne 1994
Printemps 1995
Automne 1995
Printemps 1996
Automne 1996
Print/Auto 1997
Printemps 1998
Automne 1998
Printemps 1999
Automne 1999
Printemps 2000
Automne 2000
Print/Auto. 2001
Printemps 2002
Automne 2002
Printemps 2003
Automne 2003
Printemps 2004
Automne 2004
Printemps 2005
Automne 2005
Printemps 2006
Automne 2006
Hiver 2006
Printemps 2007
Été 2007
Hiver 2007
Printemps 2008
Été 2008
Hiver 2008
Été 2009
Automne 2009
Hiver 2009
Été 2010
Automne 2010
Positions de la psychologie
Détours identitaires
Villes et communautés
Syndicalisme et sciences sociales
Psycho dynamique et psychopathologie du travail
La résistible emprise de la rationalité instrumentale
La scène sociale : crise, mutation, émergence
La psychanalyse à l’écoute du social
L’école : lieu de socialisation ?
Pratiques sociales de l’argent
Récits de vie et histoire sociale
Domaine privé – Sphère publique
La recherche – Action. Perspectives internationales
Autour de l’art et des arts
Le compréhensible et l’inacceptable
Le sport à corps et à cris
Métaphore et interprétation
Psychosociologie et politique
Les droits de l’homme : crise et défi
Subjectivité et travail
Est-il possible d’infléchir le changement ?
Psychosociologie et systémique des relations dans les organisations
Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
Le management de proximité, une question d’apprentissage émotionnel
L’interaction et les processus de l’émergence
Ruptures et liens
L’esprit d’entreprise au pays des 35 heures
Les représentations entrepreneuriales
La responsabilité sociale de l’entreprise
Éthique de la proximité
Interprétations et méthodes qualitatives. La quête d’un point de vue fondé
Les responsables face aux situations critiques
Les approches heuristiques dans la formation des responsables
La RSE est-elle psychosocialement responsable ?
Quelles images du travail et des responsables ?
à la Revue Internationale
de Psychosociologie
BULLETIN D’ABONNEMENT
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(sur présentation d’un justificatif lors de la commande).
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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Ces dernières années, les médias (presse, congrès, publications ….) ont
relayé des comportements individuels et organisationnels contrastés. Pour les uns,
recherche de plaisir, de reconnaissance, de considération, de réussite mais aussi
plainte, déviance, violence, conflits, désengagement. Pour les autres, fermeture de
site, délocalisation, restructuration mais aussi recherche d’effectifs et de
compétences, fidélisation des talents. En effet, les comportements ont changé ainsi
que leur prise en compte et la manière dont ils sont mis en situation. L’implication
est à présent regardée comme un fait social total et le résultat d’une dynamique
d’échange construite dans le temps… qui peut être brutalement remise en cause au
gré des réorganisations. L’individualisation des processus d’évaluation et de
valorisation ainsi que le fonctionnement en équipe se sont généralisés. L’interaction
est au cœur des situations de travail et amène ces dernières à déborder des frontières
des collectifs (Équipes autant que groupes sociaux) et de l’organisation. Comment
ces évolutions bousculent la GRH ? Quelles nouvelles pratiques, quels nouveaux
outils, quelles nouvelles organisations de la fonction s’inventent pour les prendre en
compte ? Comment interrogent-elles les cadres théoriques traditionnels ? C’est à ces
questions que le XXIe congrès de l’AGRH entend apporter des éléments de réponses
tout en restant, par tradition et intérêt, ouvert à tous les questionnements qui
marquent le champ du management des ressources humaines.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. La
loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les «copies
ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et
d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de
l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 er de l’article 40). Cette
représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contre façon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
© ÉDITIONS ESKA 2010, Éditions ESKA – 12, rue du Quatre-Septembre – 75002 Paris
Tél. : 01 42 86 55 73 – Fax : 01 42 60 45 35
Notre couverture : Irinaland über dem balkan,. Copyright 1994, Harel, Vienna.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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......................................................................................................................................... 11
Gouvernance de la revue .............................................................................12
• International Scientific Board ..............................................................12
• Comité thématique ..............................................................................12
• Liste des thèmes précédents ................................................................13
Bilan 2005-2010 de la revue .........................................................................14
Comment contribuer ?..................................................................................15
• Quels sont les critères de sélection? .....................................................15
• Comment monter son dossier ? ............................................................16
• Pourquoi faire appel au Guest Editoring ? ...........................................17
• Pourquoi publier des données sur les auteurs ? ....................................18
• Comment définir le titre de l’article ? ..................................................18
Remerciements .............................................................................................19
Frank BOURNOIS & Christian BOURION
• Le Président de l’AGRH ......................................................................19
• Les organisateurs du Colloque 2010 ....................................................19
• Les contributeurs ..................................................................................19
• Les Associations...................................................................................20
• Les Centres de recherche......................................................................20
• Les Écoles ............................................................................................20
• Les Instituts .........................................................................................20
• Les Universités .....................................................................................20
...........................................................................................................................................21
Regards croisés pour une GRH de demain .................................................23
Lionel HONORÉ,
Dominique Philippe MARTIN &
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
3
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...............27
Quelles régulations du fait religieux en entreprise ? ..................................29
Géraldine GALINDO & Joëlle SURPLY
Le besoin d’une nouvelle régulation face aux faits religieux en
entreprise ...........................................................................................31
• La montée des besoins face à la diversité religieuse en entreprise .32
• Un besoin de production de règles éclairé par la théorie de la
régulation sociale............................................................................35
La production de règles pour la gestion du fait religieux en
entreprise : trois processus possibles ...............................................40
• Une approche frileuse et fragile de la régulation du fait religieux..41
• L’ébauche d’une construction conjointe d’une nouvelle régulation par
l’ouverture d’un débat entre régulation de contrôle et régulation
autonome ........................................................................................45
Conclusion – discussion ....................................................................50
• L’entreprise est-elle « affaire de société » ? ..................................50
• Tension entre universalité des principes et prise en compte des
diversités.........................................................................................51
Bibliographie .....................................................................................52
Le « don/contre-don » ...................................................................................55
Pour éclairer la crise de la relation salariale
Laetitia PIHEL
Relation salariale, Implication et management des ressources
humaines. Quelles perspectives pour l’analyse de la relation
salariale ? ...........................................................................................57
• S’impliquer c’est ............................................................................58
• S’impliquer c’est …donner ............................................................59
Modernité et contractualisme. Rationnaliser et rationner son
engagement. Du leitmotiv à la réalité ..............................................61
• La rhétorique de l’engagement et le « Re-nouveau » du discours
managérial. Des volontés aux problématiques
et impasses modernes .....................................................................62
• Modernité et invariants du management.........................................63
• Alors que faire ? Se raisonner et se protéger, se soustraire de
l’incertain de la relation salariale....................................................64
La dynamique du don/contre-don frustrée par « l’interdiction de
donner » et « le refus de recevoir » ..................................................65
• Du prendre à la volonté d’instaurer un nouveau type d’échange ...65
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
4
• Du don/contre-don à deux, à la contractualisation à trois. L’arrivée
d’un tiers extérieur à la relation salariale........................................66
• Le chantier d’un nouveau pacte social. La pérennité de la logique du
don muselée et à l’épreuve .............................................................68
Conclusion..........................................................................................69
Bibliographie .....................................................................................71
Restructurer l’entreprise..............................................................................73
Analyse polysémique des enjeux pour les salariés amenés à vivre les
transformations
Maryse DUBOULOY & Laetitia PIHEL
Approche anthropologique des restructurations. La théorie du
don/contre-don comme grille de lecture et d’analyse....................75
• IOZNEK : un contexte de restructurations. Problématique et
paradoxes d’un terrain ....................................................................75
• Le paradigme du don/contre-don : une approche théorique, des
implications méthodologiques........................................................78
Le paradigme du don/contre-don : pour aller plus loin dans
l’analyse des restructurations...........................................................81
• Lecture et compréhension des comportements « étranges » chez
OZNEK ..........................................................................................83
Une perspective psychanalytique sur les phénomènes de
restructuration dans les entreprises.................................................86
• Le lien à l’entreprise......................................................................86
• Comment un individu peut-il renoncer à ce qui constitue une partie
de lui-même ? .................................................................................87
• L’espace transitionnel : apprendre à se séparer et inventer ............88
• Le processus de deuil : les étapes pour défaire le lien ....................89
• Les rites de passage à la rescousse du collectif ..............................90
Conclusion..........................................................................................91
Bibliographie .....................................................................................92
Annexe................................................................................................94
L’odyssée spirituelle des dirigeants .............................................................95
5 passages de leadership
Catherine VOYNNET FOURBOUL
Le cadre conceptuel...........................................................................97
• La spiritualité des dirigeants...........................................................97
• Les passages de leadership .............................................................98
Une recherche qualitative : méthodologie.......................................99
• Cinq histoires de dirigeants racontées ..........................................100
• Situations de passage....................................................................101
• Réactions face à ces situations de passage ...................................104
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
5
• Ressources mobilisées ou développées ex post ............................105
• Représentation de la spiritualité ...................................................107
Discussion.........................................................................................109
• Réactions face à l’épreuve : une succession d’étapes...................110
• La bienveillance : une parade aux émotions trop négatives .........111
• Le souci d’honnêteté/sincérité face aux autres et à soi-même ......111
• Cheminement vers un modèle spirituel et sentiment de liberté ....112
Conclusion........................................................................................112
Bibliographie ...................................................................................114
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.........................................................117
Manager l’implication du volontaire.........................................................119
Le cas des sapeurs-pompiers
Sébastien CHEVREUIL
Implication du volontaire dans l’organisation..............................121
• Volontariat : délimitation et questions organisationnelles............121
• Implication des volontaires...........................................................123
Méthodologie ...................................................................................126
• Négociation de l’accès au terrain..................................................126
• Outil de collecte des données empiriques.....................................128
Résultats ...........................................................................................129
• Dimensions environnementales de l’implication des SPV ...........132
• Dimensions organisationnelles de l’implication des SPV ............132
Discussion des résultats...................................................................135
• Quelles voies peut-on à présent tracer pour améliorer les facteurs
d’implication des SPV en fonction de leur centre d’origine ? ......136
Conclusion........................................................................................139
Bibliographie ...................................................................................140
Satisfaction, Implication, Engagement, Enracinement et Intention de
Départ des Jeunes Cadres..........................................................................143
Une Relation Ambigüe
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS & Véronique NGUYEN
Revue de la Littérature ...................................................................145
• Satisfaction au travail et intention de départ.................................145
• Implication au travail et intention de départ .................................146
• Engagement, enracinement et intention de départ ........................147
Méthodologie ...................................................................................148
Résultats ...........................................................................................150
Discussion.........................................................................................155
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
6
Conclusion........................................................................................156
Bibliographie ...................................................................................157
Annexe : Échelles utilisées ..............................................................159
La satisfaction au travail des apprentis.....................................................161
Le cas de l’enseignement supérieur
Sarah ALVES, Bérangère GOSSE, Pierre-Antoine SPRIMONT
Les apprentis du supérieur : spécificités de leur satisfaction au
travail ...............................................................................................163
• Particularités du construit de la satisfaction au travail .................163
• Caractéristiques des apprentis et satisfaction au travail................164
• L’influence de la satisfaction au travail sur la satisfaction pour
l’apprentissage..............................................................................165
• L’influence de la satisfaction au travail sur
• L’engagement organisationnel .....................................................166
Méthodologie de la recherche.........................................................167
Les dimensions de la satisfaction au travail ..................................168
• L’envergure de la mission ............................................................168
• Le rôle de l’encadrement ..............................................................169
• L’autonomie .................................................................................170
Conséquences de la satisfaction au travail ...................................172
Conclusion........................................................................................174
Bibliographie ...................................................................................176
Le genre et le leadership ...............................................................................181
L’importance d’introduire les traits de personnalité des leaders
Sarah SAINT-MICHEL
Le genre et le leadership : des liens complexes ? ..........................183
• Le style de leadership au regard du genre ....................................183
• Les liens entre le Genre et l’Efficacité du leadership ...................189
Les liens entre les traits de personnalité du leader et le style de
leadership : le genre a-t-il un impact ? ..........................................192
• La description de la personnalité : le modèle du « Big Five »......192
• Les liens entre les traits de personnalité du leader et le leadership :
sous l’angle du Full Range Leadership Model .............................194
• Existe-t-il des liens entre le genre et les traits de personnalité des
leaders ?........................................................................................196
Conclusion........................................................................................197
Bibliographie ...................................................................................198
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
7
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...........................................................................203
Diriger : entre compromis et transgression.
Une analyse de la relation dynamique..........................................................205
Christel BEAUCOURT & Laëtitia LAUDE
Du compromis à la transgression...................................................207
Le besoin de dépasser certains compromis par des transgressions....207
• Des types de transgression : de la défense à la création ...............208
• Il existe des formes plus ouvertes de transgressions.....................209
• Des modes de justification de la transgression .............................209
Étude empirique des transgressions et compromis mis en œuvre par
les dirigeants de systèmes hospitaliers : terrain, méthodologie,
résultats ............................................................................................210
• Le choix du champ de la santé......................................................210
• Le protocole méthodologique.......................................................212
• L’analyse des résultats..................................................................214
• L’ajustement politique..................................................................214
• L’ouverture morale.......................................................................215
• Les registres légaux et fonctionnels..............................................215
Discussion.........................................................................................217
En conclusion...................................................................................219
Bibliographie ...................................................................................219
Les comportements déviants à la règle : l'impact des conditions de travail et
de rémunération.............................................................................................221
Une application à une salle de marché
Christelle HAVARD & Matthieu POIROT
Pour une approche contextualisée des comportements déviants.223
• La déviance, un comportement défini par rapport à des règles et par
des acteurs ....................................................................................223
• Déviance et situations d'action : les éléments d'explication du
comportement de déviance ...........................................................226
• Déviance, légitimité et contrôle social: les réactions des acteurs face
aux comportements déviants ........................................................228
Déviance dans une salle des marchés : l'impact des conditions de
travail et de rémunération ..............................................................231
• Les salles de marché, des environnements de travail très régulés 232
• Des conditions de travail favorisant des comportements de déviance
légitime des traders.......................................................................233
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
8
• Des conditions de rémunération et de mobilité renforçant la
valorisation des traders .................................................................237
• Conclusion...................................................................................241
Bibliographie ...................................................................................242
Satisfaction au travail .................................................................................245
Conséquences du choix des outils statistiques et des instruments de mesure ?
Katia IGLESIAS, Olivier RENAUD, & Franziska TSCHAN
Satisfaction au travail .....................................................................246
• Les problèmes liés à la relation entre la satisfaction au travail et ses
déterminants : les différentes modélisations et leurs conséquences ..248
• Les problèmes liés à la satisfaction au travail même....................253
Matériel et Méthodes ......................................................................257
• L’échantillon ................................................................................257
• Les instruments de mesure ...........................................................257
• Procédure......................................................................................258
Résultats ...........................................................................................259
Discussion.........................................................................................261
Conclusion........................................................................................264
Bibliographie ...................................................................................264
$ 0
........................................................................................................................................271
GRH et comportements : au-delà du croisement des regards ...................273
Lionel HONORÉ, Dominique Philippe MARTIN et Gwénaëlle POILPOTROCABOY
)
..............................................................................279
Mémoires de crise, (Hyper Book)..................................................................281
Jean-Philippe DENIS
Note de lecture par ........................................................................................281
Sébastien CHEVREUIL
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Frank BOURNOIS & Christian BOURION
Historique et développement ..........................................................286
• Période fondatrice (1993-2005)....................................................286
• Période de développement (2005-2010).......................................287
La ligne éditoriale............................................................................289
• L’interdisciplinarité ......................................................................289
• L’interinstitutionnalité..................................................................290
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
9
• L’internationalité ..........................................................................293
La politique d’évaluation................................................................295
• Les critères de pertinence .............................................................295
• Le taux de sélection ......................................................................296
• Fiche d’évaluation d’un article académique .................................297
• Critères d’évaluation d’un retour d’expérience ............................298
• Papier en attente ...........................................................................300
• Les critères d’opportunité.............................................................300
La politique de diffusion : triple visibilité ....................................302
• Diffusion de la revue ....................................................................302
• Diffusion de l’ouvrage..................................................................302
• Diffusion électronique ..................................................................302
En conclusion...................................................................................302
Annexes : les acteurs qui font la revue ..........................................303
• Comité scientifique et de lecture (40)...........................................303
• Thématiques des dossiers (40)......................................................304
• Chercheurs depuis mi 2005 (148).................................................305
• Institutions concernées depuis mi 2005 (142) .............................307
Nouveaux comportements, nouvelles
GRH ?
Principaux enjeux identifiés dans le
dossier
Chapitre 1 : Quelles
relations d’emploi ?
Relation marchande
vs
Logiques de réciprocité
Chapitre 2 : Quelles
pratiques de GRH ?
Génériques
vs
Différenciées
Chapitre 3 : Quels processus
de décision?
Résolution de problèmes
vs
Structuration de problèmes
complexes
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
10
PROLOGUE
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
11
GOUVERNANCE
INTERNATIONAL SCIENTIFIC BOARD
AUDET, Josée,
BARTH Isabelle
BODIN, Jan,
BONNET, Marc,
BOURION, Christian,
BOURNOIS, Frank,
EL FAIZ, Mohamed,
ENNAJI, Mohamed,
FILION, Louis Jacques
GENDRON, Corinne,
HAINARD, François,
HEROLD, David,
JANCZAK, Sergio,
JONKER, Jan,
LAROCHE, Patrice
MUCCHIELLI, Alex,
PAILLE, Pierre,
PERSSON, Sybil,
PETIT, André,
POINT, Sébastien,
RUDAYA, Elen,
SAKALAKI, Maria,
SHARDLOW, Steven, M.
TEHRANI, Minoo
THEVENET, Maurice,
WASIELESKI, David, M.,
WINDISCHI, Uli,
Laval University, Québec,
Université de Strasbourg,
Umeå University,
IAE ISEOR
ICN Business School,
University of Panthéon-Assas,
University of Marrakech
University of Rabat,
HEC Montréal
Université du Québec Montréal,
University of Neuchâtel,
Georgia Tech, Atlanta
University of Western Ontario,
Radboud University Nijmegen
University of Nancy 2
University of Montpellier,
University of Sherbrooke,
ICN Business School,
University of Sherbrooke,
EM Strasbourg,
MGIMO-University,
University of Panteion-Athènes,
University of Salford,
Roger Williams University
CNAM, ESSEC,
Duquesne University, Pittsburgh,
University of Genève,
Canada
France
Sweden
France
France
France
Morocco
Morocco
Canada
Canada
Switzerland
USA
Canada
Holland
France
France
Canada
France
Canada
France
Russia
Greece
U.K
USA (Bristol)
France
USA
Switzerland
COMITÉ THÉMATIQUE (GUEST EDITORING)
ABDESSEMED, Tamym
AVENIER, Marie José,
BIBARD, Laurent,
BONNET, Marc,
BOURION, Christian,
CABY, Jérôme,
FILION, Louis Jacques,
GENDRON, Corinne,
HLADY RISPAL, Martine,
IGALENS, Jacques,
JOLY, Allain,
MAFFESOLI, Michel,
MUCCHIELLI, Alex,
PATUREL, Robert,
PERSSON, Sybil,
THÉVENET, Maurice,
SCHMITT, Christophe,
SCHWARTZ-SHEA, Peregrine,
YANOW, Dvora,
ESCEM
CNRS Université de Grenoble
ESSEC
IAE ISEOR
ICN Business School
ICN Business School
HEC Montréal
UQAM
Université Montesquieu
Université des Sciences Sociales
HEC Montréal
CEAQ-Sorbonne
Université de Montpellier 3
Université du SUD
ICN Business School
CNAM, ESSEC
ENSAIA (Agro)
University of Utah
Vrije Universiteit
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
Tours-Poitiers
Grenoble
Cergy
Lyon
Nancy-Metz
Nancy-Metz
Montréal
Montréal
Bordeaux
Toulouse
Montréal
Paris
Montpellier
Toulon-Var
Nancy-Metz
Cergy
Nancy
Utah
Amsterdam
France
France
France
France
France
France
Canada
Canada
France
France
Canada
France
France
France
France
France
France
US
Netherlands
12
LISTE DES THÈMES PRÉCÉDENTS
Vol
N° Anné
Titres
pages Arti Au
cles teurs
e
01994 1 Aut. Positions de la psychosociologie.
143 13 11
I
2 Print Détours identitaires.
192 11 20
1995 3 Aut. Villes et communautés.
175 12 14
II
4 Print Syndicalisme et sciences sociales.
189 13 22
1996 5 Aut. Psychodynamique du travail.
180 11 15
III 1997, 6,7 Psychanalyse et organisation
183 14 15
IV
9 Print La scène sociale
1998
10,11 La psychanalyse à l’écoute du social.
187 13 15
V
12 Print L’école : lieu de socialisation ?
181 12 13
1999 13 Aut. Pratiques sociales de l’argent.
222 17 23
VI 14 Print Récits de vie et histoire sociale.
247 15 16
2000 15 Aut. Domaine privé – Sphère publique.
237 15 22
VII 2001 16,17 La recherche – Action.
305 18 29
VIII 18 Print Autour de l’art et des arts.
215 18 17
2002 19 Aut. Le compréhensible et l’inacceptable.
239 13 12
IX 20 Print Le sport à corps et à cris.
247 15 16
2003 21 Aut. Métaphore et interprétation.
X
22 Print Pratiques psychosociologiques
193 15 16
2004 23 Aut. Les droits de l’homme
188 12 12
XI 24 Prin Subjectivité et travail
183 9 7
2005 Nouvelle ligne éditoriale croisant les regards de la psychosocio et de la gestion
2005 25 Aut. Est-il possible d’infléchir le changement ?
270 11 10
2006 26 Print Systémique des relations dans les organisations
232 5 8
Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
XII 27 Été
228 11 13
28 Hiver Manager sa proximité, une question émotionnelle ?
230 9 14
2007 29 Print L’interaction et les processus de l’émergence.
211 7 8
XIII 30 Été
Ruptures et liens
304 22 17
271 14 9
31 Hiver L’esprit d’entreprise aux pays des 35 heures
2008 32 Print Les représentations entrepreneuriales
262 11 11
XIV 33 Été
La responsabilité sociale des entreprises
293 11 19
34 Hiver Ethique de la proximité
306 24 16
2009 Prix Advancia-CCIP du meilleur ouvrage entrepreneuriat série Essais (n°32)
XV 35 Print La quête d’un point de vue fondé
309 14 16
Année 2009-2010 Inscription de la revue dans la liste ESSEC (classe III)
2009 36 Aut. Les responsables face aux situations critiques
357 27 21
37 Hiver Heuristiques de la formation des responsables
371 23 21
XVI 38 Été
La RSE est-elle socialement responsable ?
324 17 25
2010 39 Aut. Quelles images du travail et des responsables
382 23 19
40 Hiver Nouveaux comportements, nouvelle GRH ?
318 12 19
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
13
BILAN 2005-2010 DE LA REVUE
Articles
Auteurs par n°
Nouveaux auteurs
Numéros
Volume
9 071 000
253
267
203
17 n°
2 125 000
56
75
61
%
6 années cumulées
' <A9A
4923
1096
Nouveaux comportements, nouvelle GRH
Images du travail et de ses responsables
La RSE est-elle socialement responsable ?
' <AAB
1037
1 896 000
64
n° 40
n° 39
n° 38
59
48
Les approches heuristiques dans la formation des responsables
Les responsables face aux situations critiques
Interprétations et méth. Quali. La quête d’un point de vue fondé
' <AAC
861
1 665 000
46
46
' <AAD
1 328 000
35
33
690
1 175 000
30
n° 33
n° 32
24
n° 31
n° 30
n° 29
35
25
Manager sa proximité, une question émotionnelle ?
Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
Systémique des relations dans les organisations
' <AAF
453
822 000
22
Est-il possible d’infléchir le changement ?
Subjectivité et travail
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
n° 35
n° 34
L’esprit d’entreprise aux pays des 35 heures
Ruptures et liens
L’interaction et les processus de l’émergence.
' <AAE
n° 36
33
Éthique de la proximité
Repenser la GRH. La responsabilité sociale des entreprises
Les représentations entrepreneuriales
786
n° 37
19
n° 28
n° 27
n° 26
12
n° 25
n° 24
14
COMMENT CONTRIBUER ?
La Revue Internationale de Psychosociologie (RIP) opère dans le cadre du
Paradigme Épistémologique Constructiviste Radical (PECR), c’est-à-dire que la
ligne éditoriale considère chaque chercheur comme produisant des connaissances
qui participent à la construction d’une représentation de la réalité. Celle-ci demeure
partielle, provisoire, située et contextualisée, jusqu’à ce qu’une nouvelle
représentation la complète ou la modifie. Dans ce cadre de relativité, la revue fait
donc en sorte de multiplier au sein du même dossier, les approches employant des
grilles différentes : psychosociologie, sciences de gestion et sciences économiques.
Différentes grilles professionnelles : responsables publics, managers privés ; hauts
responsables, managers de proximité. Et surtout deux types de connaissances :
articles orthodoxes contribuant à la connaissance académique et retours d’expérience
contribuant à la connaissance ordinaire.
Les thèmes concernent les structures organisationnelles, étudiées par la
théorie des organisations et les sciences de gestion, qu’il s’agisse de multinationales
ou de Pme, de grands hôpitaux ou de petites associations. Mais au sein de ces
organisations, les thèmes allouent de préférence leur attention aux processus
transversaux interactifs, impliquant l’environnement psychique interne des acteurs
(processus réflexes, émotionnels, compassionnels ou représentationnels) et
l’environnement organisationnel externe (processus juridiques, économiques et
financiers). Cette interaction impacte trois plans : les plans micro, méso et macro.
Au niveau micro, ce sont les interactions de l’environnement interne de
l’acteur avec ceux des autres acteurs qui sont envisageables. Au niveau méso, ce
sont les interactions de l’environnement interne de l’acteur avec l’institution et
l’organisation qui sont envisageables. Au niveau macro, ce sont les interactions de
l’environnement interne de l’acteur avec le politique, les Nations et les phénomènes
mondiaux, qui sont envisageables.
Quels sont les critères de sélection ?
Les critères ne sont pas cumulatifs, mais appropriés à chaque type de
recherche. Les recherches des contributeurs peuvent être appréciées par le lien
entretenu avec le thème, par l’importance de l’intersection entre le contenu du
papier et le thème du dossier ou par l’originalité et le caractère exploratoire du
dossier. Il est toutefois courant qu’un article sans rapport avec le thème actuel, mais
particulièrement novateur, soit à l’origine du choix du thème du numéro suivant.
Les recherches des contributeurs peuvent être appréciées par les efforts des
chercheurs pour établir rigoureusement ces processus à partir de collectes de retours
d’expérience traités par analyse textuelle, par des générateurs d’hypothèse, ainsi que
les efforts quantitatifs pour rendre compte de la fréquence des processus qualitatifs,
généralement à partir de questionnaires. Les méta recherches, effectuant une
synthèse de diverses enquêtes existantes sont très appréciées.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
15
Les recherches des contributeurs peuvent être appréciées par la capacité du
chercheur à faire preuve vis-à-vis du sujet de sa recherche, de toute l’empathie dont
il est capable, surtout si la recherche est fortement critique ou qu’elle concerne des
acteurs dont la société réprouve profondément les actes, les idées, les paroles ou les
appartenances religieuses ou politiques. La recherche devra, plus qu’une autre,
s’appuyer sur une analyse, à l’exclusion de jugements de valeur exclusivement
normatifs.
Enfin, si le chercheur propose son papier à la Revue Internationale de
Psychosociologie c’est qu’il souhaite participer peu ou prou au développement de ce
mouvement de recherche. Dans ce cas, on lui demandera de se tenir au courant des
principaux travaux précédemment publiés dans la revue qui impactent fortement
son sujet et de les mentionner dans son état de l’art.
Comment monter son dossier ?
Le montage de chaque numéro implique environ 25 chercheurs, 15 articles,
et 30 reviewing. Les échanges de courriels au centre desquels se trouvent les
rédacteurs en chef sont donc très intenses, de l’ordre de 500 par parution. La source
essentielle en est les dossiers incomplets. En vertu de quoi il est essentiel, pour que
le dossier ne prenne pas de retard, de répondre le plus rapidement possible.
Soumissions et courriels sont envoyés à christian.bourion@icn-groupe.fr
Comme chaque chercheur est considéré comme faisant partie intégrante de
son processus de recherche, la ligne éditoriale lui demandera de compléter sa
soumission avec des informations personnelles permettant au lecteur de mieux
situer et contextualiser ses travaux, notamment :
• la liste de ses ouvrages de vulgarisation,
• son CV indicatif en note de son nom,
• ainsi que sa photo sous son nom.
Chaque dossier ne peut être publié que s’il est complet, c’est-à-dire que s’il
comprend les éléments suivants :
• Le titre du papier doit être en anglais (et en français),
• les pages du texte ne doivent pas être numérotées,
• les paragraphes ne doivent pas être enchaînés,
• les tableaux/graphiques doivent être copiés puis collés avec
(« édition→collage spécial→image → méta (fichier amélioré) → OK »),
• Le résumé doit être en anglais (et en français),
• Les mots clés doivent être en anglais (et en français).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
16
Pourquoi faire appel au Guest Editoring ?
Le Guest Editoring (GE, éditeur invité) n’est pas une pratique habituelle dans
les revues académiques, ce qui impose une explication afin d’éclairer le sens de
cette démarche et afin d’éviter les malentendus. Les revues académiques centrées
sur la carrière des chercheurs publient les articles admis les uns à la suite des
autres : elles n’ont aucun besoin de Guest Editors et le rédacteur en chef ne joue
qu’un rôle formel (encart supérieur du tableau).
Scientific Board. Ligne éditoriale
Ordonnancement du thème (Opérations
propres aux revues thématiques)
Choix des articles
(Opérations communes à toutes
les revues)
Rédacteurs en chef
Appel à thème
Ensemble des
soumissions
Reviewing
Contributions
Thème
Sens
Plan du thème
Place dans le plan
Dossier
terminé
Guest Editor
Investigation
(Ex ante)
Évaluation
(Ex post)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
17
Mais le Guest Editoring s’avère indispensable dans une revue thématique qui se
centre sur l’avancée de la science en travaillant chaque numéro en fonction d’un
thème spécifique différent des précédents. Il importe alors de mettre en œuvre un
second processus qui s’organise sous forme de dialogue (un peu comme la justice
par rapport à la police) entre deux groupes de partenaires spécialisés : les équipes
d’investigation-recherche, (rédacteurs en chef et chercheurs) construisent le dossier
exploratoire ex ante et les Guest Editors, choisis parmi les scientifiques ayant la
meilleure connaissance du domaine, évaluent le dossier ex post. Les Guest Editors
ne participent pas à la construction du dossier car ils sont chargés d’évaluer la
légitimité et la pertinence du dossier. Reconnus pour leur compétence dans le
domaine scientifique donné, ils doivent l’évaluer, le présenter, éventuellement en le
critiquant, mais surtout en le reliant aux travaux précédents, ils situent le thème dans
une perspective élargie.
Pourquoi publier des données sur le parcours des auteurs ?
Comme les recherches des contributeurs s’inscrivent dans une
intersubjectivité, en d’autres termes, qu’elles sont à la fois le produit de « la situation
externe analysée », mais aussi de « la situation interne ressentie par les chercheurs »,
il en résulte que les chercheurs pilotent et influencent le papier. En vertu de quoi, le
lecteur doit disposer des moyens lui permettant d’identifier a minima cette
intersubjectivité, notamment de savoir grosso modo « d’où » le chercheur écrit. Pour
satisfaire ce besoin, la ligne éditoriale a décidé de positionner systématiquement
différents documents concernant l’auteur dont sa photo sous son nom. Comme les
recherches des contributeurs sont appréciées par la capacité du chercheur à faire
preuve vis-à-vis du sujet de sa recherche, de toute l’empathie dont il est capable,
surtout si la recherche est fortement critique ou qu’elle concerne des acteurs dont il
réprouve profondément les actes, les idées, les incivilités, les paroles ou dont il
réprouve les appartenances religieuses ou politiques, la recherche devra, plus qu’une
autre, s’appuyer sur une analyse, à l’exclusion de jugements de valeur
exclusivement normatifs. Il va de soi qu’il doit y avoir synergie entre cette règle
essentielle et la photo proposée. En d’autres termes, celle-ci doit témoigner de
l’empathie et confirmer cette règle de moindre subjectivité.
Comment définir le titre de l’article
Le titre originel est le reflet précis du contenu du papier. Le titre définitif doit
être une interface entre le papier et l’ensemble des autres papiers, le titre ayant
vocation à introduire l’article au sein du thème. Il faut une ou deux itérations pour
parvenir à un titre convenable. En cas de désaccord, c’est le rédacteur en chef qui
arbitre.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
18
REMERCIEMENTS
des Rédacteurs en chef
Franck
BOURNOIS1
Christian
BOURION2
Tout d’abord, Le Comité de Rédaction remercie le Professeur Marc
BONNET, Président de l’AGRH ainsi que son équipe, pour cette collaboration
destinée à accroître la lisibilité et la disponibilité des travaux féconds des chercheurs
de l’Association, au cours de cette période riche en recherches sur notre avenir.
Ensuite, le comité de rédaction adresse ses remerciements aux Professeurs
Lionel HONORÉ, Dominique MARTIN et Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY qui,
malgré des agendas surchargés par l’organisation 2010 du colloque, ont épargné le
temps nécessaire à la constitution du dossier.
Le comité de rédaction remercie aussi les 22 organisations d’enseignement
et de recherches : associations, centres de recherches, écoles, instituts et universités,
situés respectivement en France et en Suisse qui se sont impliqués dans ce dossier, à
travers l’un de leurs chercheurs.
Enfin, le comité félicite chaleureusement les chercheurs sélectionnés,
particulièrement ceux qui contribuent pour la première fois et souhaite la bienvenue
à Sarah ALVES, Christel BEAUCOURT, Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS,
Sébastien CHEVREUIL, Maryse DUBOULOY, Géraldine GALINDO, Bérangère
GOSSE, Christelle HAVARD, Katia IGLESIAS, Laëtitia LAUDE, Véronique
NGUYEN, Laetitia PIHEL, Matthieu POIROT, Olivier RENAUD, Sarah SAINTMICHEL, Pierre-Antoine SPRIMONT, Joëlle SURPLY, Franziska TSCHAN et
Catherine VOYNNET FOURBOUL.
1
2
Professeur des Universités à Panthéon Assas (Paris II).
Professeur, ICN Business School, HDR, (CEREFIGE; EA 3942).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
19
ASSOCIATIONS
1.
Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AFGRH)
CENTRES DE RECHERCHE
France
2. Laboratoire de Recherche PRISM,
3. Laboratoire de recherche PESOR, IUT de Sceaux, Faculté Jean Monnet,
4. Laboratoire d’Économie et de Management de Nantes-Atlantique,
5. LEM (UMR CNRS 8179),
6. Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel (CIFFOP)
Suisse
7. Groupe de Méthodologie et Analyse de Données / Section de Psychologie
ÉCOLES
8.
9.
10.
11.
EHESP
ESC Dijon
ESSEC
HEC Paris
INSTITUTS
France
12. Institut d’Économie et de Management de Nantes-IAE
13. Lemna, IEMN-IAE
14. IAE de Lille
Suisse
15. Institut de Psychologie du Travail et des Organisations
UNIVERSITÉS
France
16. Université de Nantes
17. Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne
18. Universités de Paris II Panthéon Assas
19. Université Paris Sud 11
20. Université de Versailles Saint-Quentin
Suisse
21. Université de Genève
22. Université de Neuchâtel
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
20
ÉDITORIAL
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
21
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
22
Éditorial
REGARDS CROISÉS POUR UNE GRH
DE DEMAIN…
Lionel
HONORÉ3
Dominique
Philippe
MARTIN4
Gwénaëlle
POILPOT
ROCABOY5
Mais que se passe t-il donc dans nos organisations ? Les années qui
viennent de s’écouler n’ont eu de cesse de mettre en avant des comportements
individuels et organisationnels ambivalents et contrastés. Les attentes au travail
3
4
5
Professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Rennes, Consultant et formateur en
management, Directeur du développement de Sciences Po Rennes et responsable de la filière Ecofi et
responsable du Master Management des Organisations et des Projets. Ses domaines de recherche sont le
management organisationnel et le management des ressources humaines. Ses thèmes de recherche sont le
fonctionnement des équipes et les comportements managériaux. Ses clefs d'entrée sont les questions liées
à la déviance et aux situations de tensions. Ses terrains de recherche sont l'industrie, les services,
notamment la banque et la marine marchande. Lionel.honoré@sciencespo-rennes.fr
Professeur des Universités, (CREM - UMR CNRS 6211), Responsable de la spécialité Recherche du
Master Management des Ressources Humaines, Co-responsable du master "Management des Ressources
Humaines", Vice Président du Conseil Scientifique de l'IGR-IAE, Principaux domaines de recherches :
Pilotage dynamique des dispositifs de gestion et management du changement ; Management et
Valorisation de la recherche publique : transferts de technologie, propriété intellectuelle (brevets) des
universités, entrepreneuriat académique ; Management des recherches collaboratives et insertion des PME
dans des réseaux collaboratifs. dominique.martin@univ-rennes1.fr
Maître de Conférences (HDR), CREM (UMR CNRS 62 11), Université de Rennes 1 ; IGR-IAE de
Rennes, Vice-présidente, et membre fondateur du réseau Référence-RH, (http://www.reference-rh.net/),
Membre de « Chantier Carrière (Université de Rennes 1), Administrateur élue du Centre d'Information
des Femmes et de la Famille (CIDF). Elle est Directrice du Master Management des Ressources
Humaines, Créatrice et Directrice du Diplôme Universitaire « Développement des Compétences
Managériales ». Ses thèmes de recherche concernent la qualité de vie au travail, le harcèlement
psychologique au travail, l'égalité professionnelle... Gwenaelle.poilpot@univ-rennes1.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
23
d’individus aux caractéristiques hétérogènes (âge, genre, qualifications, valeurs…)
s’illustrent par la recherche de plaisir au travail, d’enrichissement et
d’épanouissement personnel, de reconnaissance et de considération… Pourtant, la
presse relate le stress, le mal-être6 et les cas de suicides qui laissent pressentir une
absence de réponse à ces attentes au sein des entreprises françaises. Les ouvrages au
titre accusateur se multiplient7. Des films mettent en scène la souffrance des salariés
et la violence au travail8. Les revues académiques s’intéressent de plus en plus au
thème de la santé au travail et vont jusqu’à en faire des numéros spéciaux9 alors
même que les conditions de travail et la santé des individus au travail étaient
quasiment ignorées des chercheurs en Sciences de Gestion il y a encore dix ans.
Ce constat d’absence de réponses organisationnelles aux attentes sociales
conduit les politiques à vouloir réguler les comportements des entreprises et à
s’immiscer dans leur gestion. Par exemple, avec 25 suicides dénombrés chez
l’opérateur téléphonique en moins de 20 mois, le dossier France Télécom est devenu
une véritable affaire d’État en octobre 200910. Un plan d’urgence contre le stress au
travail a été proposé par le ministre du Travail, Xavier Darcos, dans le but d’imposer
des négociations sur la prévention du stress dans les grandes entreprises avant le 1er
février 2010. Un plan de santé a ensuite été mis en place en janvier 2010 avec pour
objectif de faire baisser le nombre d’accidents du travail de 25% entre 2010 et 2014
et de développer des politiques de prévention des risques au sein des organisations
(risques cancérogènes, musculo-squelettiques et psycho-sociaux). De même, face au
constat d’exclusion des salariés seniors des entreprises, une obligation de
négociation d’un accord d’entreprise ou d’élaboration d’un plan d’action relatif à
l’emploi des salariés âgés est imposée aux entreprises de 50 salariés et plus (avant le
6
7
8
9
« Le travail, genre dramatique », Liaisons Sociales magazine, Décembre 2007 ; « Stress au travail : l’état
d’urgence », l’Express du 28 février 2008 ; « Stress, démotivation, reconnaissance. Malaise au travail »,
Les grands dossiers des Sciences Humaines, n°12, Septembre, Octobre, Novembre 2008 ; « Stressé,
anxieux, démotivé. 10 trucs pour se sentir mieux au travail », Courrier cadres n°25, décembre 2008…
« L’entreprise barbare » de A. Durieux, S. Jourdain, Albin Michel, 1999 ; « Travail, usure mentale. Essai
de psychopathologie du travail» de C. Dejours, Bayard, 2008 ; « Souffrance en France. La banalisation de
l’injustice sociale. » de C. Dejours, Du Seuil, 2006 ; « Conjurer la violence. Travail, violence et santé »,
de C. Dejours, Payot, 2007 ; «Le harcèlement moral dans la vie professionnelle. Démêler le vrai du faux »
de M.F. Hirigoyen, Syros, 2002 ; « Le travail intenable » de L. Théry, La Découverte, 2006 ; « Journal
d’un médecin du travail » de D. Ramaut, Le Cherche-Midi, 2006 ; « Travailler peut nuire gravement à
votre santé » de A. Thébaud-Mony, La découverte, 2007 ; « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient
frappés » de M. Pezé, Pearson, 2008 ; « Travailler à en mourir. Quand le monde de l’entreprise mène au
suicide » de P. Moreira et H. Prolongeau, Flammarion, 2009 ; « Risques et souffrance au travail » de D.
Alis, M. Dumas et G. Poilpot-Rocaboy, Dunod, 2010...
« Rien de personnel » de Mathias Gokalp (2008) ; « J’ai très mal au travail » de Jean Carré (2007) ;
« Travailler à en mourir » de Paul Moreaira (2007) ; « Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient
frappés » de S. Brumeau et M.A. Roudil (2006) ; « Sauf le respect que je vous dois » de F. Godet (2005) ;
« Violence des échanges en milieu tempéré » de JM. Moutout (2003) ; « Ressources Humaines » de L.
Cantet (1999) ; Maryflo (émission Striptease) (1999)…
« La violence psychologique au travail », Revue Humanisme et Entreprise, n°296, Février 2010 ; « La
santé au travail », Revue Française de Gestion dossier « Management et santé au travail, à paraître.
10
Le nombre de suicides chez France Télécom est évalué à 37 à ce jour (février 2010).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
24
1er janvier 2010). Un objectif chiffré de maintien dans l’emploi pour les salariés de
55 ans et plus ou un objectif chiffré de recrutement pour les salariés âgés de 50 ans
et plus doit être précisé. Des dispositions favorables au maintien dans l’emploi et au
recrutement des seniors doivent être proposées dans au moins trois des six domaines
précisés (Recrutement des salariés âgés dans l’entreprise ; Anticipation de
l’évolution des carrières professionnelles ; Amélioration des conditions de travail et
prévention des situations de pénibilité ; Développement des compétences et des
qualifications et accès à la formation ; Aménagement des fins de carrière et de la
transition entre activité et retraite ; Transmission des savoirs et des compétences et
développement du tutorat).
Nous en sommes donc là ! A cette nécessité de voir intervenir l’État pour
réguler les comportements «inadaptés » d’organisations incapables de répondre aux
attentes des individus qui les composent.
Des attentes sociales qui évoluent, des contraintes économiques et
organisationnelles plus fortes, un État qui se sent l’autorité et l’obligation
d’intervenir… mais quel est le rôle de la Gestion des Ressources Humaines face à ce
constat ?
Est-ce l’absence de Gestion des Ressources Humaines ou des pratiques de
Gestion des Ressources Humaines déviantes ou inadaptées qui ont amené à des
pratiques de régulation externes et à l’intervention de l’État ? Comment les
évolutions successives bousculent la GRH? Quelles nouvelles pratiques, quels
nouveaux outils, quelles nouvelles organisations de la fonction s’inventent pour les
prendre en compte ? Comment interrogent-elles les cadres théoriques traditionnels ?
C’est notamment à ces questions que le XXIe congrès de l’AGRH entend
apporter des éléments de réponses. La réflexion qui doit en découler est d’autant
plus importante qu’elle interroge de fait la définition des limites du champ de la
GRH tant au niveau scientifique qu’opérationnel.
En effet considérons ici simplement, à titre d’illustration, un des thèmes de
ce numéro, celui de la déviance. Le comportement déviant peut être source de
dysfonctionnement et d’inefficacité il renvoie alors à la notion de risque
comportemental. Il peut également être porteur d’innovation et d’amélioration des
processus. Il renvoie alors à la notion de déviance fonctionnelle. Dans un cas,
comme dans l’autre quelle peuvent être les clefs d’entrée ?
Resserrons encore l’exemple en nous centrant sur un type de comportement
déviant bien connu, celui nommé, à tord ou à raison, ce n’est pas le problème ici, de
résistance au changement. Face à ce type de comportement il peut y avoir finalement
deux clefs d’entrée : l’organisation ou l’individu. La question peut être posée de
deux manières :
Comment le fonctionnement de l’organisation met en situation l’individu et
quelles bonnes raisons trouve-t-il dans cette situation pour « résister au
changement » ?
Quels cheminements et déterminants individuels mettant en jeux quels
mécanismes l’amènent à « résister au changement » ?
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
25
Bien évidemment les deux questions peuvent aboutir à des points de
jonction. Pour autant, elles ne sont pas équivalentes.
Dans le premier cas, il s’agit de considérer comme préalable que l’individu
est rationnel. Cela au sens où il a de bonnes raisons d’agir comme il le fait et que ces
raisons lui sont données par le fonctionnement de l’organisation et par l’action
managériale qui le pilote. En d’autres termes, cela revient à considérer que les
variables en cause sont liées à l’organisation et au management et que c’est sur elles
qu’il convient d’agir. La problématique de la prise en compte et du pilotage des
comportements devient celle de leur mise en situation par le fonctionnement de
l’organisation et par l’action managériale.
Dans le second cas, il s’agit de considérer l’individu lui-même : ses qualités, ses
défauts, ses compétences, son histoire, sa psychologie.
Si dans le premier cas les Sciences de Gestion du côté de l’analyse
scientifique, les managers du côté de l’action, sont parfaitement légitimes car ce
champ est le leur : celui de l’organisation et du management. Qu’en est-il dans le
second ? Quelle est la légitimité, pour des gestionnaires, qu’ils soient chercheurs ou
praticiens à poser la question du comportement avec une entrée par l’individu ? Ce
n’est pas a priori leur champ de compétences, ce à quoi ils ont été formés, peut-être
même sortent-ils de ce fait, des limites de leur rôle professionnel.
Un exemple tiré d’une actualité qui a déjà quelques mois nous permettra
d’illustrer les dérives possibles de ce type d’approche. Un manager d’une régie
publicitaire d’une grande chaîne de télévision a souhaité évaluer le comportement en
situation de stress de son équipe. Il les a réunit pour un séminaire sur la stratégie
commerciale dans un château. Lors d’une des séances de travail un commando armé
fait irruption et tire en l’air. Tout le monde est cagoulé et couché sur le sol, sauf
ceux qui tentent de résister, eux sont mis sur le balcon et menottés. Bien
évidemment cela dérape : crises de nerfs, problème de santé, etc. L’exercice, car il
s’agissait d’un exercice, est arrêté au bout d’une heure. Le bilan réalisé par
l’entreprise de cette histoire a été une évaluation des comportements des cadres, et
des conséquences en ont été tirées avec des impacts sur les carrières (dont des
licenciements). La justice a condamné le manager en question.
Que faut-il en déduire ? Sans doute que l’approche individuelle nécessite
des précautions lorsqu’elle est mobilisée par des chercheurs et des praticiens dans le
champ de la GRH. Elle tangente les limites de nos compétences et de notre
légitimité. Elle pose la question des modalités d’un travail transdisciplinaire et de la
manière dont il est possible de combiner avec rigueur les méthodes et les savoirs de
champs scientifiques tels que la gestion et la psychologie. C’est tout l’intérêt il nous
semble d’ouvrir par ce premier numéro issu d’un colloque de l’AGRH une
collaboration à long terme avec la Revue Internationale de Psychosociologie.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
26
CHAPITRE 1
QUELLES RELATIONS
D’EMPLOI ?
Relation marchande
versus
Logique de réciprocité
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
27
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
28
QUELLES RÉGULATIONS DU FAIT
RELIGIEUX EN ENTREPRISE ?
Géraldine GALINDO11 & Joëlle SURPLY12
Si
les
convictions
religieuses plurielles ont toujours
existé dans les entreprises, les
proportions et les comportements
des salariés croyants se sont
cependant transformés en quelques
dizaines d’années en France. La
diversité religieuse est ainsi
devenue
une
caractéristique
nouvelle mais aussi taboue des entreprises privées. L’objectif de cet article est de
mettre en évidence l’émergence du fait religieux dans les entreprises et la manière
dont cette émergence conduit à reconsidérer les règles en vigueur. Les gestionnaires
des ressources humaines sont en effet placés en première ligne pour gérer les effets
organisationnels ou humains de la diversité croissante des croyances, mais aussi la
montée des revendications.
Dans une première partie, nous analyserons les besoins d’une nouvelle
régulation face aux faits religieux en entreprise, en nous appuyant sur la théorie de la
11
12
Maître de Conférences à l’Université Paris-Sud, IUT de Sceaux. Ancienne élève de l’ENS Cachan, elle
est agrégée du secondaire en économie-gestion. Elle enseigne la GRH et la création d’entreprise en DUT
GEA, en Licence professionnelle et en M1. Membre du PESOR, ses recherches sont orientées sur deux
thèmes : la GRH dans les PME high-tech, et avec J. Surply, la gestion de la diversité religieuse en France.
Publications récentes : Avec E. Dubocage, (2008) « Le rôle des capital-risqueurs dans l’isomorphisme
stratégique des « biotechs » », Finance, Contrôle, Stratégie, Décembre. Galindo G. (2007) « Quelle
évaluation dynamique de la GRH ? Propositions et étude empirique dans les biotechnologies françaises »,
Management & Avenir, n° 12, 30-50. Co-auteur de deux ouvrages: Gestion des Ressources Humaines
(2009), avec F. Benchemam, Mémento LMD Gualino Editeur, 2ème édition, 168 p. Management pour
les IUT GEA et TC (2009), coordonné par N. Claret et avec M. Combes, I. Morin, B. Sergot, Nathan, 298
p. geraldine.galindo@iut-sceaux.fr,
Maître de Conférences en sciences de gestion à l’Université Paris Sud, Faculté Jean Monnet, et agrégée
du secondaire en Economie Gestion. Membre du laboratoire de recherche en gestion Pesor (Pilotage
Economique et Social des Organisations) de la faculté Jean Monnet. Elle est responsable du Master
Professionnel « Contrôle de gestion sociale/Ressources Humaines ». Ses thèmes de recherche portent sur
l’apprentissage organisationnel, la gouvernance, et plus récemment, avec Géraldine Galindo, sur la
gestion de la diversité religieuse en entreprise (dimension RH). Publications récentes. 2009 : "Le rôle des
savoirs et des compétences dans la gouvernance de leur transfert au sein de la coopération interentreprise
"nord-sud" : le cas de la coopération franco-libanaise", Revue française de Gestion, Lavoisier, n° 191,
vol. 35, février, 49-69. 2008 : « Du whistleblowing à l’américaine à l’alerte éthique à la française : enjeux
et perspectives pour le gouvernement d’entreprise», revue M@n@gement (avec Charreire-Petit S.), vol.
11, n° 2, n° spécial Corporate Governance and Ethics, 111-133. joelle.surply@u-psud.fr,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
29
régulation de Reynaud. Dans une seconde partie, nous présenterons les trois
cheminements possibles de régulation.
Le terme de diversité fait l’objet de nombreux débats. Il est considéré
comme un terme valise dont les contours restent flous tant d’un point de vue
académique que d’un point de vue pratique. La diversité renvoie à tout ce qui touche
à des différences et à des inclusions (Prasad et ali., 2006). Elle relève d’une
construction sociale (Litvin, 2006). Il est en ainsi des classifications proposées par
Cornet et ali. (2005), qui distinguent cinq catégories de diversités : les
caractéristiques, physiques visibles, fonctionnelles, individuelles et liées à l’histoire
de vie de l’individu, sociales et enfin organisationnelles. Sur la trentaine de
diversités réparties dans ces catégories, force est de constater qu’environ six d’entre
elles sont l’objet d’attention tant dans la littérature que dans les pratiques des
entreprises : la race, le genre, l’âge, la maladie, l’orientation sexuelle et l’origine
nationale (Shore et ali., 2009). Cependant, la diversité est un sujet qui évolue au fur
et à mesure des évolutions de la société (et des différences qui s’y affirment et/ou
s’estompent) et de son environnement juridique (des lois sont venues encadrer les
diversités de genre, celles liées au handicap…). Les croyances religieuses se
repositionnent justement dans la société, particulièrement en France, à travers
notamment des symboles fortement médiatisés comme le port du voile à l’école ou
plus récemment du niquab dans la vie courante : « En un siècle s’est affirmée une
diversité religieuse sans précédent. Les quatre cultes reconnus en 1905
(catholicisme, protestantismes réformé et luthérien, judaïsme) côtoient aujourd’hui
des religions géographiquement ou historiquement nouvelles. Ainsi l’islam, mais
aussi les sagesses d’Asie, à commencer par les bouddhismes, sans oublier ces autres
formes, anciennes ou modernes, de christianisme que sont l’orthodoxie ou les
églises évangéliques, font partie intégrante du paysage religieux français. La
France est ainsi le pays européen qui compte le plus grand nombre de musulmans,
de juifs et de bouddhistes » (Machalon, 2006). Cette diversification des croyances
religieuses s’invite progressivement dans les entreprises. 393 DRH interrogés en
avril 2008 (Sondage Ifop - Les Échos) constataient ainsi une hausse des
revendications religieuses dans 37% des entreprises basées en Île-de-France, et de
26% sur l’ensemble du territoire. Jours fériés, régime alimentaire, lieux de prière,
vêtements ou accessoires religieux, sont autant de sollicitations pour les services
ressources humaines : « cette question est en train d’émerger. Il y a trois ou quatre
ans, nous n’en parlions pas et au départ les DRH étaient un peu perdus : c’est un
sujet de société que l’on ne peut d’abord aborder de façon technique » (S. Balustre,
directrice de la diversité Europe, l’Oréal13). Malgré ces évolutions, la religion est un
sujet tabou au sein des entreprises françaises mais plus largement aussi au niveau de
la société : « En France, parler de la religion est tabou. Historiquement, ce sujet là
est sensible » (IMS14, 2009). Des craintes d’intégrisme et d’extrémisme nées dans la
13
14
Dans lenouveleconomiste.fr, 02/03/2010.
« Comment gérer la diversité religieuse en entreprise », guide pratique de l’IMS, 15 mai 2009.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
30
société civile, s’invitent en effet dans les pratiques en entreprises : « Si un juif ou un
chrétien arrache une affiche à la cafétéria prétextant que sa religion lui interdit de
voir une silhouette humaine, on le sanctionne ou on lui envoie un psychologue. A
aucun moment, on ne relie son attitude à sa religion. Si c’est un musulman, on
hésite. Les représentations négatives sur l’islam et l’angoisse engendrée par
l’intégrisme conduisent soit au laxisme, soit à la diabolisation » (Bouzar, 2009).
Malgré ces évolutions, la religion reste une dimension immergée de
l’iceberg des diversités (Point, 2007). Dans la littérature de langue anglaise, King
(2006, dans King et ali. (2009)) recense seulement 19 articles parus dans les
journaux académiques de références au cours des 10 dernières années. Dans le
contexte français, rares sont les articles exclusivement consacrés à la religion en lien
avec le management des entreprises (citons par exemple Pras, 2007) 15.
La diversité religieuse est ainsi devenue une caractéristique essentielle, non
seulement de la société française, mais depuis peu des entreprises privées.
Cependant, elle reste peu étudiée dans la littérature relative à la diversité. C’est
pourquoi, cette communication a une visée compréhensive par rapport à la montée
des manifestations religieuses dans les entreprises. Les services ressources humaines
sont alors positionnés en première ligne, en étant questionnés sur leurs principes et
leurs pratiques. L’objectif de cette communication est de mettre en évidence
l’émergence du fait religieux dans les entreprises, et la manière dont cette émergence
conduit à reconsidérer les règles en vigueur. Notre questionnement se découpera en
deux temps. Dans une première partie, nous analyserons les besoins d’une nouvelle
régulation face aux faits religieux en entreprise, en nous appuyant sur la théorie de la
régulation de Reynaud. Dans une seconde partie, nous présenterons les trois
cheminements possibles de régulation.
LE BESOIN D’UNE NOUVELLE REGULATION FACE AUX FAITS
RELIGIEUX EN ENTREPRISE
La diversité religieuse est souvent citée dans la littérature comme une des
dimensions de la diversité, sans être pour autant l’objet d’études et d’analyses
particulières. Si le principe de laïcité a permis de réguler jusqu’à peu les pratiques
des entreprises, il semble ne plus suffire pour traiter des revendications croissantes
concernant les pratiques religieuses dans les entreprises. Nous analyserons dans
cette première partie l’émergence de la diversité religieuse à l’aune de la théorie de
la régulation sociale de Reynaud (1988 à 2007). L’objectif sera de montrer que la
gestion de la diversité religieuse en entreprise peut être comparée à un besoin d’une
nouvelle régulation entre des règles de contrôle (ici les lois mais aussi les règles
15
Des conférences organisées sur le thème de la diversité incluent depuis peu des ateliers centrés sur la
diversité religieuse. Par exemple, le colloque ESSEC « Diversité : regards croisés des chercheurs et des
praticiens », organisé le 10 juin 2010, réunit dans l’atelier 5 des acteurs autours du thème « les diversités
religieuses en entreprise, quelle gestion ? ».
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
31
instituées dans les entreprises) et des règles autonomes partagées par certaines
communautés (ici des pratiques religieuses communes à certains salariés).
La montée des besoins face à la diversité religieuse en entreprise
Les diversités ne constituent pas un bloc stable dans le temps (Falcoz,
2007). Ces dernières années, la recomposition du paysage religieux en France, est
venue interroger les pratiques des entreprises à l’égard de la diversité des croyances
religieuses.
Un modèle historique associant liberté de croyances et domination de
la religion catholique…
La religion est définie par le Larousse en 2010 comme « un ensemble
déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l'homme avec le
sacré » c’est-à-dire un « ensemble de pratiques et de rites spécifiques propres à
chacune de ces croyances ». L’appartenance religieuse des individus est ainsi
assortie de différentes manifestations ou religiosité (King et ali., 2009). En France,
les croyances et pratiques religieuses sont profondément marquées par une valeur
fondatrice et un principe essentiel de la République, le principe de laïcité, qui
consacre en 1905 la séparation des Églises et de l’État. Cette laïcité s’incarne depuis
dans de nombreuses obligations juridiques. Le Préambule de la Constitution
française du 27/10/1946 énonce que « nul ne peut être lésé dans son travail et dans
son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ».
L’article 2 de la Constitution de 1958 stipule aussi que « La France est une
République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle
respecte toutes les croyances ». La liberté de croire, mais aussi de ne pas croire, en
des religions diverses est ainsi inscrite dans les gènes de la société française.
Respecter cette liberté de croyance religieuse était d’autant plus aisée dans un
contexte où la France était dominée par « l’infrastructure culturelle du
christianisme » (Willaime, 2007). Le calendrier chrétien des jours fériés et le rituel
du poisson le vendredi dans les restaurants d’entreprises en sont les exemples les
plus visibles. Un modèle dominant s’est ainsi imposé en France, associant liberté de
croire et domination de la religion catholique, et ce, à tous les niveaux de la société,
y compris les entreprises.
Depuis une dizaine d’années, cette domination de la religion catholique
n’est plus considérée comme un fait. Dès lors, des questions émergent quant aux
pratiques religieuses, par essence nouvelles par rapport aux pratiques des
catholiques, dans les entreprises. En effet, bien que le catholicisme reste dominant
en France (65%), d’autres religions cherchent à s’affirmer de plusieurs façons (cf.
Annexe).
… questionné par des revendications liées à la diversité religieuse dans
les entreprises
La France a déjà connu une première vague de revendications liées à la
religion dans les années 70. Des ouvriers immigrés de pays nord africains ont par
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
32
exemple fait grève pour pouvoir pratiquer leur religion (musulmane) notamment
dans le contexte de leur entreprise. Peugeot et Renault ont alors aménagé des salles
de prière, et des voyages étaient organisés pour la fête de l’Aïd el kébir. Ces
adaptations à la diversité religieuse n’ont cependant eu que des effets limités dans
les pratiques des entreprises. En effet, elles étaient considérées comme des pratiques
festives et rituelles plus que religieuses, et émanaient de salariés qui n’étaient pas
censés rester en France16. Depuis la fin des années 90, les entreprises françaises ont
à réagir à de nouvelles revendications liées à la diversité religieuse, comme le
souligne Bouzar (2010)17 « Les directions des ressources humaines ont maintenant
affaire à une génération qui se sent chez elle et qui demande l’application du droit,
tout autant que du droit à la différence ». Les demandes les plus visibles viennent de
pratiquants de l’Islam. Toutefois, les membres des communautés juives ou
hindouistes revendiquent aussi leur liberté de croyances et de pratiques dans leurs
entreprises. L’enjeu pour ces croyants est de pouvoir pratiquer leur religion dans le
contexte de leurs entreprises (cf. encadré 1) :
Encadré 1 : Les règles partagées au sein des communautés religieuses
Sans entrer dans le détail des différentes pratiques religieuses, il est possible de
distinguer les règles de pratiques religieuses, qui permettent d’identifier une
communauté de pratiquants :
- Les habitudes alimentaires : certains aliments sont prescrits de l’alimentation selon
les croyances (le porc par exemple dans la religion juive ou musulmane), la pratique
du Ramadan pour les musulmans
- Les jours fériés : Pessa’h ou Yom Kippour dans la religion juive, l’Aïd pour les
musulmans.
- L’organisation de la prière
- Les signes visibles d’appartenance religieuse : la croix pour les catholiques, la
kippa pour les juifs
- Les autres pratiques liées à la religion : nous regroupons ici les rites ou coutumes
de vie (relations entre individus par exemple).
Ces revendications prennent la forme d’événements dans les entreprises
relayés par les médias18. Un employé d’Aéroport de Paris, de confession
musulmane, refuse par exemple de pousser des chariots contenant des bouteilles
d’alcool ; le membre d’une équipe s’oppose à tout contact, même professionnel,
avec les femmes de son groupe ; le voile porté par une femme de confession
musulmane est considéré comme problématique pour son travail sur des machines.
16
17
18
K. Hamdani, Universitaire et membre du comité consultatif de la Halde, dans lenouveleconomiste.fr,
02/03/2010.
Dans lenouveleconomiste.fr, 02/03/2010.
« La religion au bureau, un enfer pour les DRH », Capital, février 2010.
« La religion mieux acceptée au travail », UsineNouvelle.com, mai 2009.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
33
Ces événements liées à la diversification des croyances religieuses se multiplient et
deviennent aussi de moins en moins tabous, comme le montrent l’essor des
réclamations en matière de convictions religieuses, passées de 1 % à 3 % entre 2006
et 2009 du total de celles adressées à la HALDE19. Ces revendications d’exercice de
la religion se diffusent en outre dans toutes les sphères des entreprises : « Le fait
nouveau, réside dans la diversité religieuse dans le secteur d’ingénierie. Avant,
c’étaient des secteurs traditionnellement protégés. C’était franco-français, des
hommes également. Tandis que les ouvriers, étaient plus typés, marqués, c’était dû
au besoin de main d’œuvre » (un responsable des ressources humaines d’une grande
entreprise industrielle). Récemment, une physicienne, aux compétences avérées,
s’est présentée sur le site de R&D d’EDF à Clamart avec un imposant foulard ; une
contrôleuse de gestion portant le voile vient d’être recrutée chez l’Oréal.
Le désarroi des DRH face à la diversité religieuse
De plus en plus de salariés partagent donc une volonté de pouvoir pratiquer
librement leur religion (autre que catholique), et ce dans le contexte de leur
entreprise. Les DRH sont de fait placés en première ligne face à ces questions qui
renvoient à des demandes d’évolution de l’organisation du travail (à travers les
horaires, les conditions de travail) et qui influent nécessairement sur la performance
individuelle et collective. Le refus de certains salariés de suivre certaines règles
fixées dans et par l’entreprise, peut ainsi à la fois compromettre la performance,
mais aussi engendrer des conflits au sein du groupe de travail.
Les DRH (et plus largement le management des entreprises) sont démunis
face à ces questions. En effet, les dispositifs juridiques sont rares dans ce domaine et
laissent des marges d’incertitude importantes. En la matière, seul le principe de
liberté de croyances prime dans les entreprises privées. La Halde a récemment
rappelé (6 avril 2009), que le principe de laïcité s’impose à l’Etat et aux intervenants
publics, et non aux personnes privées. Les agents du service public sont ainsi dus à
une neutralité, et ne peuvent par exemple pas porter le voile sur leur lieu de travail.
Les salariés du secteur privé sont eux régis par le principe de liberté de conscience
inscrit dans la Constitution. Une entreprise, une association ou un particulier, ne
peuvent alors invoquer le principe de laïcité pour limiter la liberté religieuse
d’autrui. Toute la question est de savoir quelles sont les limites de cette liberté dans
les entreprises. Depuis la loi du 4/08/1982, le règlement intérieur ne peut, comporter
des éléments entravant la liberté des salariés20. L’article L. 1121 du Code du Travail,
rappelle que « nul ne peut apporter (…) des restrictions qui ne seraient justifiées par
la nature des tâches à accomplir, ni proportionnées au but recherché ». Six limites à
la liberté d’exercice de la religion dans le cadre du travail sont cependant posées.
19
20
La Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE).
Un arrêt du 25/01/89 du Conseil d’Etat a par exemple censuré un règlement intérieur interdisant les
« discussions politiques ou religieuses », et en 2004, une décision individuelle du Ministère du Travail a
précisé que l’interdiction de tout signe religieux ou politique ostentatoire dans le règlement intérieur, ne
répond pas aux exigences de l’article 1121-1 du Code du Travail.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
34
Trois concernent directement l’entreprise : la revendication de la religion ne doit pas
entraver des aptitudes pour le travail, l’organisation de la mission, l’intérêt
commercial de l’entreprise. Trois concernent l’individu dans l’entreprise : le respect
des règles de sécurité et d’hygiène doit pouvoir être assuré, et le prosélytisme est
également interdit sur son lieu de travail.
Face à la liberté instituée par la loi, les DRH ont quelques garde-fous mais qui
laissent (comme nous l’avons vu précédemment), des marges de manœuvre aux
salariés pour revendiquer leurs pratiques religieuses différenciées. Toute la question
est de savoir où placer le curseur entre la liberté de croyances religieuses et les
interdictions justifiées par la loi. Quels sont les comportements des salariés qui
pourraient entraver les aptitudes au travail, l’organisation de l’entreprise ? Quels
sont ceux au contraire, qui peuvent être acceptés ? « Les DRH doivent naviguer à
vue. L’objectif est d’éviter les situations extrêmes, le laxisme d’un côté, le
communautarisme de l’autre » (S. Balustre, Ibid). Les directions des ressources
humaines sont finalement en quête de production de règles pour pouvoir gérer la
diversité religieuse. Cette confrontation entre des règles issues de la loi et des
directions des entreprises, et des pratiques (assimilables à des règles) construites par
des acteurs salariés, nous renvoie naturellement à la théorie de la régulation sociale
de Reynaud.
Un besoin de production de règles éclairé par la théorie de la régulation sociale
« La pratique de toute religion est admise en France dans la mesure où elle
n’est pas contraire aux lois. L’effet en est aussi que le croyant doit renoncer à
certaines pratiques ou renoncer à en imposer le respect » (Reynaud, 1997, p. 219).
La question réside justement dans la délimitation de ces « certaines pratiques ». La
théorie de la régulation peut aider à appréhender justement la situation actuelle en
matière de diversité religieuse dans les entreprises.
Les apports de la théorie de la régulation sociale (TRS)
La théorie de la régulation sociale élaborée par Reynaud (1988, 1991, 1997,
2007) se présente comme une théorie de la spécificité des règles, en se demandant
d’où celles-ci viennent, où elles conduisent, et par qui elles sont produites et
transformées. Cette théorie est structurée autour de trois notions : les règles, la
régulation, les communautés. Les règles sont considérées comme « des principes
organisateurs ou des guides pour l’action ». (1997, p. XVI). Celles qui sont
qualifiées d’officielles ou de contrôle sont imposées aux acteurs : « son objet même
est de peser sur la régulation des salariés, de chercher à contrôler les zones de
liberté et d’autonomie qu’ils s’octroient » (1988, p.10). Les règles autonomes sont
produites par les acteurs collectifs. Mais le cœur de l’analyse de Reynaud réside
dans l’étude des régulations. En effet, l’auteur constate qu’il n’y a pas de règles
stables, mais seulement des processus de régulation (1991). L’enjeu est donc
d’étudier les entreprises en s’intéressant aux régulations, définies comme l’étude du
processus allant de la création au remplacement des règles. Reynaud distingue un
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
35
premier type de régulation autonome. Elle émane d’un groupe, qui se soude
justement autour de la production de ses propres règles en réaction ou en
complément des règles qui lui sont imposées par l’extérieur. Cette pression venue de
l’extérieur du groupe pour orienter les comportements est appelée elle, régulation de
contrôle. La rencontre entre régulation autonome et régulation de contrôle peut être
qualifiée de régulation conjointe (qui peut donner lieu d’ailleurs à une nouvelle
régulation de contrôle). Le niveau d’analyse choisi est celui d’un acteur collectif21.
Le groupe qui accepte ou produit une régulation est nommé communauté22. Ses
membres se réunissent autour d’un projet commun, et par des affinités plus que par
des proximités géographiques. Reynaud insiste dans son analyse sur l’instabilité des
situations : « Maintenir l’ordre est impossible. Il faut sans cesse l’inventer et
l’imposer » (1991, p.22). Une contrainte extérieure qui passe souvent par une
« violence symbolique » exercée par ceux qui en ont l’initiative, est alors nécessaire
pour parvenir à une nouvelle régulation d’un système (Livian, 2006)23.
Klarsfeld (2009) souligne que la TRS est un des cadres théoriques pertinents
aujourd’hui (en France) permettant d’analyser les problématiques liées à la gestion
de la diversité. Nous pensons aussi que les évolutions précédemment décrites quant
à l’émergence de la question de la diversité religieuse dans les entreprises françaises,
peuvent être éclairées par la théorie de la régulation sociale de Reynaud.
Les règles de contrôle et d’autonomie face au fait religieux
« Les régulations constituées des différents groupes charrient un poids
considérable de valeurs, de traditions vivantes, d’obligations qui dépassent de très
loin les besoins immédiats de la production ou les intérêts directs des producteurs.
(…) Les régulations présentes dans l’entreprise dépassent largement son horizon et
viennent souvent de plus loin qu’elle » (Reynaud, 1988, p.18). La plupart des
entreprises sont en France dans une situation où les régulations existantes sont mises
en cause par des groupes ou communautés revendiquant leurs pratiques et
spécificités de croyances religieuses. Rappelons tout d’abord que les règles de droit,
de liberté de croyances inscrites notamment dans la Constitution Française,
renvoient aux règles de contrôle définies par Reynaud (1997). Elles garantissent
ainsi la liberté de choix (de croire ou de ne pas croire) de tout salarié en entreprise.
De cette liberté, découle la diversité des croyances religieuses des salariés en
entreprise. Ces règles de droit sont complétées au niveau de chaque entreprise, par
d’autres règles de contrôle spécifiées dans le règlement intérieur comme nous avons
pu le voir. Ces régulations de contrôle représentent finalement des garde-fous à
l’exercice du fait religieux dans les entreprises. Cependant, comme le souligne
21
22
23
« Nous voudrions plaider pour la reconnaissance, sinon de sujets collectifs, du moins d’une action
collective, qui est une réalité irréductible » (Reynaud et Richebé, 2007, p. 29).
« Dans une organisation, tout groupe qui découvre la possibilité d’une régulation commune peut se
constituer en communauté et revendiquer une autonomie » (1999, p.111).
« L’instauration d’une nouvelle régulation ne peut donc aller sans déchirure et sans opposition » (1991,
p.23).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
36
Reynaud et dans la lignée de nombreux débats juridiques, rien ne garantit, d’une
part, leur effectivité dans les entreprises, et, d’autre part, ces limites laissent aux
acteurs collectifs des espaces pour construire leurs propres règles. L’affirmation des
«communautés religieuses » précédemment exposée, signifie que les rapports de
pouvoir changent et que les nouveaux détenteurs de pouvoir imposent ou tentent
d’imposer leurs valeurs pour « déconstruire » les représentations et les codes
existants (Reynaud, 1997). Ils visent, à la fois, la remise en question les règles
existantes et l’invention de nouvelles règles, comme le montre le tableau 1.
Tableau 1 : Quand les faits religieux interrogent les règles
Le pouvoir des « communautés » religieuses : fondements et finalité
Origine du pouvoir de
l’ordre religieux
•
•
•
Détenteurs du pouvoir
•
Mode de déplacement
du pouvoir
Sur qui s’exerce le
pouvoir ?
Exercice du pouvoir
Finalité
•
•
•
•
•
•
Des valeurs républicaines
La loi
Le « poids » dans l’entreprise (effectif, compétences
critiques)
Salariés qui imposent leur schéma de pensée par la violence
symbolique
Exercice d’une violence symbolique
Sur la DRH, les RRH
Sur les autres salariés
Impulsion et contrôle du changement
Construction de nouvelles règles
Création d’un nouvel ordre autour de nouvelles valeurs et
d’un nouveau positionnement des acteurs salariés et
managers
Les deux formes de régulations, en matière de religion, sont aujourd’hui en
confrontation. En effet, les événements médiatisés précédemment décrits,
constituent ici les formes visibles de la « violence symbolique » (l’apparition de
nouvelles tenues vestimentaires, la demande de jours de congé pour fêtes religieuses
non chrétiennes…) décrite par Reynaud, et sont à l’origine de nouvelles régulations.
Cette violence symbolique instaure de nouveaux rapports de domination, au
bénéfice de ceux qui agissent pour la reconnaissance de leur régulation d’ordre
religieux, marquée de valeurs et de significations des situations autres que ce qui
prévaut dans l’entreprise. Le tableau ci-dessous résume les différences entre les
systèmes de règles produites face aux faits religieux en entreprise.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
37
Tableau 2 : Les règles de contrôle et des règles autonomes face aux faits religieux en
entreprise
Règles de contrôle
Règles autonomes
Le législateur
Les communautés « religieuses »
Produites par
Lois, directives,
Pratiques religieuses (visibles,
Natures
jurisprudence
coutumes, comportements)
Pratiques managériales
(compétences, individualisation)
Les groupes
Entité principale La société
Les individus
Égalité
Diversité
Paradigme
Inégalité (à force de promouvoir
Inégalité (à force de
Limites
vouloir considérer tout le certains groupes ou individus)
monde sur un pied
d’égalité)
Chaque type de règles est porteur de sa propre logique : « Contrairement à
l’approche par l’égalité, qui raisonnait en termes de régulation entre groupes, la
diversité relève de la philosophie libérale, individualiste et méritocratique »
(Bender, 2004). Les règles - de contrôle et autonomes - obéissent finalement à deux
paradigmes très différents, déjà caractérisés par Bender et Pigeyre (2004). Elles
encourent aussi le risque dans les deux cas de promouvoir des inégalités, comme
nous le témoigne cette répondante, responsable d’un cabinet de conseil « quand on
essaie de prendre le pouvoir avec la religion, cela devient un problème ». Si une
cohabitation entre ces deux types de règles a été possible jusqu’à peu en France, une
régulation conjointe est devenue désormais nécessaire. Les règles officielles sont en
effet questionnées par des pressions de différentes natures, et incitent à trouver de
nouvelles régulations entre contrôle et autonomie des individus dans une entreprise,
ici, face aux faits religieux. La question posée à l’intérieur des entreprises, est alors
non pas de revenir sur les principes de laïcité et d’égalité, érigés par les lois
successives, mais plutôt de trouver une voie pour ne pas faire de la laïcité une quasireligion, sans tout accepter d’un autre côté.
Comme le souligne Reynaud (1997, p. 98) : « Par définition, une règle
exerce une contrainte. Mais cette contrainte n’est pas seulement exercée par une
collectivité sur un individu. Elle peut s’exercer sur une autre collectivité qui a déjà
ou essaie d’avoir ses propres règles. La contrainte qu’exerce une régulation en
affronte alors une autre ». Les entreprises françaises se trouvent actuellement dans
une situation où les règles autonomes des « communautés religieuses » tendent à
vouloir prendre le pas, dans certains cas, sur les règles traditionnelles de contrôle. Ce
sont alors les gestionnaires des ressources humaines qui sont, dans la plupart des cas
désignés comme les acteurs clefs de la rencontre des règles de contrôle et des règles
autonomes. Ils sont ainsi en charge de la traduction et de la garantie dans les
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
38
entreprises des lois et autres dispositions juridiques, et de la reconnaissance et de la
valorisation de la diversité24. Ils sont alors dans une position souvent réactive et
hésitent entre se réfugier dans une dimension collective et sociale, ou aborder cette
question au niveau de leur entreprise et des individus ou groupes considérés.
Règles de contrôle
ETAT :
les lois,
accords,
jurisprudence
LIBERTE
EMPLOYEURS :
Règlements intérieurs,
objectifs, méthodes
managériales
Quelle régulation entre règles autonomes et règles de contrôle ?
LE ROLE
DES
RRH
DIVERSITE
COMMUNAUTES
DE SALARIES :
Pratiques religieuses
(visibles, coutumes,
objectifs partagés)
Règles autonomes
Figure 1: La confrontation des règles autonomes et des règles de contrôle
En résumé de cette première partie, nous pouvons dire que dans une France
historiquement de culture chrétienne, les entreprises se sont longtemps arrangées de
la religion, voire se sont même parfois appuyées sur un socle de valeurs religieuses
chrétiennes largement diffusées dans une société pourtant devenue fortement laïque.
Les évolutions précédemment décrites nécessitent d’aller vers de nouvelles
régulations, et d’envisager de nouveaux « accommodements raisonnables »
(expression canadienne) en entreprise. Le rôle des DRH peut dès lors se déplacer, tel
un curseur, à différents niveaux de construction de la régulation (et donc à
différentes positions de la flèche, dans la figure 1).
24
« Quand on aborde le sujet [du fait religieux] avec des dirigeants de haut niveau tout le monde est
silencieux. Les gens ne parlent pas. Les gens ont peur de s’exprimer. On ne peut pas faire une animation
de groupe classique comme sur le genre ou le handicap » (une répondante, directrice d’un cabinet de
conseil).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
39
LA PRODUCTION DE REGLES POUR LA GESTION DU FAIT
RELIGIEUX EN ENTREPRISE : TROIS PROCESSUS POSSIBLES
Le fait religieux est « un sujet sensible » (répondant d’un cabinet conseil et
formation en gestion de la diversité). Cette perception conduit « la plupart des
DRH » à contourner ou à nier la question du fait religieux, notamment quand il
s’agit de l’Islam, religion à la fois mal connue et objet de représentations multiples.
Cependant, nombre de DRH seraient, en même temps, en quête de repères pour
appréhender les faits et pour les décoder, et en demande d’indicateurs et de grilles de
lecture pour comprendre et gérer des attentes qui s’expriment dans la réalité des
entreprises. C’est ainsi que le pilote diversité au niveau groupe d’une entreprise
industrielle exprime, à propos du fait religieux : « on n’a pas de signaux pour capter
les choses sur ce sujet. Les signaux faibles sont difficiles à capter ». Aussi, les
anciennes règles peuvent-elles ne plus suffire, ni à donner du sens à des situations
nouvelles, ni à fournir un guide pour l’action. Notre analyse s’intéresse aux
différentes modalités et aux différents niveaux de régulation (de contrôle et
autonome) susceptibles de prendre en compte le fait religieux en entreprise. Pour y
parvenir, et dans une visée d’approche qualitative exploratoire, nous avons adopté
une démarche méthodologique présentée en encadré 2.
Encadré 2 : Démarche méthodologique
L’objectif de notre recherche est de comprendre les logiques de la fonction RH qui
peuvent aboutir à la construction de règles pour face à l’émergence du fait religieux
dans les entreprises privées. Le caractère à la fois récent et tabou de la question du
fait religieux en entreprise, telle qu’elle se pose aujourd’hui, nous a conduits à
privilégier une recherche qualitative et exploratoire. Cette recherche s’appuie sur des
données primaires et secondaires. Nous avons ainsi conduit à deux chercheurs, des
entretiens semi-directifs, d’une heure à une heure 30, de septembre 2009 à juin
2010, auprès d’acteurs susceptibles de représenter différents points de vue. Nous
avons interrogé des DRH et RRH d’une grande industrielle, un RRH chef de projet
« diversité », un pilote diversité dans un grand groupe industriel, un consultant de
cabinet en conseil et formation de gestion de la diversité, un attaché culturel au
Moyen Orient, spécialiste des religions et chargé de formation auprès de
représentants de cultes comme auprès de salariés en entreprise, et un représentant
syndical (une dizaine d’entretiens sont déjà en cours de négociation).
Nous nous sommes également appuyés sur des données secondaires (rapports
d’étude, actes de conférences) émanant d’organisations diverses (Halde, ANDRH,
cabinets conseil, colloque Association Française des Managers de la Diversité), et
sur des articles de presse (spécialisée ou généraliste).
Pour traiter ces données primaires et secondaires, nous avons procédé à une analyse
thématique en isolant les thèmes dans un texte afin de permettre sa comparaison
avec d’autres textes traités de la même façon (Ghiglione et Matalon, 1991). Certains
thèmes renvoient à des dimensions clefs de la gestion du fait religieux en entreprise
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
40
(organisation du travail, conditions de travail par exemple) tandis que d’autres
émergent de notre analyse (pratiques collectives/individuelles, rôle des RH/ des
managers de proximité par exemple). L’analyse de la diversité de ces informations
nous a permis de trianguler nos données, en recueillant plusieurs exemples des
résultats trouvés, auprès de différentes sources (Miles et Huberman, 2003). Cette
triangulation a combiné le recours aux récits collectés lors des entretiens, car
« raconter, c'est déjà expliquer » (Ricœur, 1985), et, l’utilisation de sources
secondaires. Elle permet de relever les ambiguïtés et entretient la vigilance.
Une approche frileuse et fragile de la régulation du fait religieux
La question de la gestion du fait religieux se décline, en empruntant différentes
voies, d’une situation statique de statu quo à une construction dynamique de règles
visant, au moins partiellement, à « aménager contradictions et incertitudes »
(Brabet, 1996), en passant par une régulation a minima, s’entendant de la mise en
conformité avec la loi.
Une situation de statu quo, une absence de construction de nouvelles
règles
Lorsque la manifestation du fait religieux est encore dans la phase
d’émergence, la situation est fréquemment celle du déni. En effet, le repérage des
enjeux portés par le fait religieux n’est pas encore abouti, alors que les
déstabilisations potentielles sont déjà pointées et/ou redoutées.
- Les fondements du déni face au fait religieux
Le déni renvoie à deux situations différentes. Dans l’un des cas,
l’entreprise, par sa taille, par sa situation géographique, par son activité, n’a pas à
connaître de perturbations ou de remise en cause de son organisation en raison de
manifestations religieuses ou d’expression d’attentes au sein de ses services. Dans
l’autre cas, l’entreprise refuse de se saisir du problème et les DRH craignent de
« provoquer une crise en soulevant la question » (Bouzar, 2009, p. 57). « Quand on
aborde le sujet [du fait religieux], avec des dirigeants de haut niveau, tout le monde
est silencieux, les gens ne parlent pas. Les gens ont peur de s’exprimer » (répondant,
cabinet conseil et formation en gestion de la diversité). Ils craignent de devoir faire
face à des surenchères de revendications, portant, par exemple sur la tenue
vestimentaire, le calendrier des jours fériés, l’aménagement d’horaires. Ils tendent
alors à échapper aux problèmes possibles en tenant le fait religieux à distance de
l’entreprise, et, éventuellement, y compris avec des pratiques discriminatoires à
l’embauche.
- La prééminence du maintien d’une régulation de contrôle existante, la
clandestinité de la régulation autonome
Dans les cas de déni, on applique alors la régulation de contrôle existante. La GRH
sert la finalité économique, les intérêts des différents acteurs étant censés converger
pour atteindre l’harmonie. Le changement, volontaire, étant décidé et programmé au
niveau central, l’impulsion d’une nouvelle régulation ou le maintien des règles
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
41
existantes est sous le contrôle du dirigeant ou du DRH. Un refus ou une négation du
changement peut alors conduire les acteurs locaux à « bricoler » des situations,
clandestinement, à l’insu de la hiérarchie. Bouzar (2009, p. 87) recueille ainsi les
confidences d’une jeune femme manager à propos de l’acceptation de pratiques
religieuses : « lorsqu’il est revenu me faire sa demande, je lui ai dit, pas de
problème, moi, je t’aménage des temps de prière. Par contre, je n’en parlerai pas à
mes supérieurs parce que je sais que si j’en parle, ce sera refusé. Je prends sur moi
[…] ». Le « bricolage » renvoie à de la régulation autonome construite par les
opérationnels, dans et par l’usage afin « d’assurer le fonctionnement quotidien de
l’organisation » (Reynaud, 2007, p. 157). La charge et la responsabilité de la gestion
du fait religieux reposent ainsi largement sur les managers opérationnels. Ce
problème s’inscrit dans leur proximité, « quand la question du fait religieux est
évoquée avec le « middle management, c’est plus facile [qu’avec les « hauts
dirigeants]. Les gens sont plus loquaces, mais les choses partent en vrille »
(répondant, cabinet conseil et formation en gestion de la diversité). En l’absence de
régulation de contrôle, apportant un cadre structurant aux décisions locales,
l’établissement de règles repose sur les représentations et les ressources diverses des
acteurs aux prises avec la réalité. Elles sont alors marquées fortement par la
contingence. En effet, elles sont induites par l’appréciation personnelle que les
managers portent sur la situation, par le niveau de risque qu’ils perçoivent sur
l’atteinte de leurs objectifs, par la manière dont s’exerce plus globalement le
leadership, c’est-à-dire aussi par les jeux de pouvoir. On ne peut évoquer de
régulation conjointe, possible rencontre des modes de régulation de contrôle et
autonome, puisque les différents niveaux de régulation portent sur des objets et des
situations différents et que le niveau central ignore (ou feint d’ignorer) le niveau
local.
La position de déni ou de négligence du fait religieux ne semble pas tenable
pour nombre d’entreprises. Elles reconnaissent que la diversité religieuse « est une
réalité concrète de management et d’organisation » (pilote diversité). Pour autant, il
s’agit essentiellement « d’aménagements » des règles existantes qui ne remettent pas
en cause, selon l’expression de Rojot (2003, p. 17) les « visions du monde et de
l’état des choses » qui structurent le fonctionnement de l’organisation.
Une reconstruction partielle de la régulation par la mise en conformité
avec la loi
Des entreprises mesurent le risque de ne pas être en conformité avec la loi
ou celui d’engendrer des conflits par refus de s’intéresser au fait religieux. Or « les
RH, ils sont responsables d’une paix sociale » (pilote diversité) et cette
responsabilité les incite à prendre en charge le fait religieux.
- Les raisons d’un choix de la conformité à la loi
Les salariés, désireux d’obtenir, dans leur univers de travail, des mesures
en accord avec les principes de leur confession, disposent d’un pouvoir pour faire
changer les règles de l’organisation. Ce pouvoir s’appuie fortement, en France, sur
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
42
les valeurs républicaines et la loi qui reconnaissent la liberté religieuse et ses
manifestations, sous certaines conditions, dans l’entreprise privée. Ce pouvoir est
renforcé par la taille de l’effectif des salariés posant leurs attentes en matière
religieuse par rapport à l’effectif total, ou par la nature des ressources qu’ils
détiennent, telle une connaissance d’un marché spécifique. A titre d’exemple, des
salariés de confession musulmane et d’origine étrangère (les deux questions étant à
la fois souvent mêlées et « taboues ») sont recrutés car ils permettent un meilleur
contact avec la clientèle. C’est le cas de conducteurs de bus qui desservent certains
quartiers de la région parisienne. Construire de nouvelles règles en conformité à la
loi est alors, pour l’entreprise, un moyen de réduire les risques. Une entreprise
offrant des prestations dans le domaine de la propreté énonce que « le strict respect
de la légalité, la loyauté» fait partie du socle de ses « principes fondamentaux », et
de la « maîtrise des risques ». Concernant la gestion du fait religieux, les risques
sont, notamment, de deux ordres. Le premier est celui d’une déstabilisation de
l’activité par des conflits sociaux. Le second concerne les risques de dégradation de
la réputation par publicité donnée au non respect de la liberté religieuse pourtant
accordée à la fois au niveau européen et au niveau français. Cette publicité peut
prendre la forme d’une saisine de la Halde, même si les réclamations pour
discrimination religieuse sont encore d’un niveau très faible (3% des 9 800
réclamations fin 2009). Dès lors qu’une discrimination est suspectée, le
fonctionnement et la performance de l’entreprise peuvent être affectés. Alors
l’entreprise « part de la loi, de la Halde, du droit français, la réponse est
réglementaire. On ne va pas au-delà en termes de définition formelle » (RH
diversité Transports) ; « On se rapporte aux règles » (pilote diversité).
- La structuration de la régulation de contrôle, la fracture possible avec la
régulation autonome
Au niveau « central », la gestion du fait religieux s’opère essentiellement
par aménagements, ajustements des règles existantes car « on a une forte
obligation » ( RH diversité Transports). Cependant, « on ne veut pas d’idéologie sur
ce sujet » (pilote diversité) et il s’agit donc d’adaptation des discours et « des
schémas d’exécution » existants (Argyris et Schön, 1974). Il s’agit, par exemple, de
proposer des repas s’accordant avec les pratiques ou les interdits religieux
d’aménager des horaires pour la prière ou le jeûne. Ainsi « c’est évident qu’on va
s’adapter au niveau de la production. En période de ramadan, les ouvriers sont
moins vaillants en milieu d’après midi et on en tient compte » (pilote diversité). Ou,
quand l’intérêt bien compris de l’entreprise rejoint celui des opérateurs de
production. Pour autant, l’organisation du travail n’est pas fondamentalement remise
en question et les nouvelles règles prennent facilement place dans le cadre
structurant existant quand on peut estimer que « la barrière de la diversité culturelle
a été franchie depuis longtemps. On a mis en place des outils, on a signé la charte
de la diversité depuis 2004 et on pratique le CV anonyme » (RH Diversité
Transports). Les discours, l’énonciation de principes, voire même des outils existent
déjà et apparaissent comme un socle suffisant pour traiter les problèmes variés de la
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
43
diversité, même si elle se révèle dans le fait religieux. Dans cette approche, la
dimension politique du management des ressources humaines s’affirme par
l’arbitrage « d’ordre rationnel et éthique » entre les différents enjeux économiques et
sociaux des acteurs. En outre, et l’entreprise de transport en est une illustration par la
régulation de contrôle existante, la « conception humaniste » postule, sur le long
terme, un développement des salariés en harmonie avec l’évolution de l’entreprise.
Cependant, une fracture se dessine, dès que des pratiques religieuses sont
susceptibles d’affecter les valeurs de l’entreprise comme son organisation du travail.
Des situations émergent, de plus en plus souvent, non résolues et commencent à
poser problème : « le fait religieux est important pour les encadrants » (RH
Diversité Transports). L’importance désigne ici à la fois la répétition de nouvelles
situations à gérer et leur appréciation dans une échelle de danger potentiel pour le
collectif. C’est là que se situe la limite de la régulation de contrôle, réduite, à une
mise en conformité des règles de l’entreprise avec la loi. Dans l’entreprise de
transport, la régulation autonome s’appuyait sur la régulation de contrôle et la
rejoignait dans les valeurs affirmées à travers la charte de la diversité, signée en
2004 par l’organisation. L’« égalité des chances, la responsabilité, la mobilité » se
déclinaient alors en cohérence avec la flexibilité de pratiques permises par
l’organisation du travail. Dans ce cadre, nous évoquons l’ajustement des « schémas
d’exécution » (Argyris et Schön, Ibid.) qui prennent place dans les schémas mentaux
pré existants de la régulation de contrôle. Mais de nouveaux comportements
peuvent venir poser problème. Ils trouvent alors des solutions dans une régulation
autonome, elle-même « de bricolage » tant que les règles de contrôle s’inscrivent
dans les schémas de pensée pré existants. En effet, la gestion de nouveaux
comportements, comme par exemple «le refus de serrer la main à une femme
collègue, le refus de passer un entretien avec une femme en position hiérarchique,
des retards dans le service pour faire la prière » ne trouve pas toujours de réponse
avec l’application de la loi. Et plus encore, la conformité à la loi, l’exigence
d’application stricte des règles institutionnalisées peuvent empêcher de déboucher
sur une solution « amiable » (cabinet diversité). Ainsi, si la fiche de poste n’oblige
pas à serrer la main, on ne peut contraindre un salarié à s’y résoudre, ni le
sanctionner parce qu’il n’accepte pas la convention … de courtoisie. Un décalage
est alors constaté entre la régulation de contrôle (niveau central) dont les valeurs
sous-jacentes restent stables et la régulation autonome (niveau opérationnel) qui doit
faire face concrètement à des situations nouvelles, au-delà des cadres de référence de
pensée et des visions du monde organisationnelles existantes. A ce stade « l’ordre
religieux » vient perturber fortement « l’ordre de l’entreprise » par des
manifestations ou des revendications visibles qui brouillent les repères des situations
de travail (cf. verbatim ci-dessus). Le désordre provoqué peut être considéré comme
une « violence symbolique » (cf. 1re partie) qui marque une modification dans les
rapports de pouvoir (Reynaud, 2007, p. 113) dès lors qu’émergent de nouveaux
détenteurs de pouvoir, en capacité d’imposer leurs propres valeurs pour déconstruire
les valeurs et les codes existants. Dans le cas précédemment évoqué (serrer la main
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
44
d’une collègue femme), le niveau central de DRH s’est finalement emparé de
l’affaire. La solution proposée, non encore « standardisée » mais probablement à
l’origine de « jurisprudence » à venir, a été la suivante : « serrer la main à tout le
monde, ou à personne, ou accepter une mobilité ». Cette dernière solution, dans
laquelle chacun sauvait la face, a été choisie par le salarié. Il ne semble toutefois pas
réaliste de gérer « au cas par cas » en dehors de principes ou schémas de pensée
plus globaux.
Le dilemme des DRH consiste à intégrer le fait religieux, à le fondre dans
d’autres problématiques de la diversité, tout en maintenant le fonctionnement de
l’entreprise. Cette approche conduit alors à assurer la pérennité des rapports de
pouvoir existants et leur légitimité à définir les principes et les règles de contrôle de
l’organisation. Souvent, « la question des origines et de la religion est la plupart du
temps repoussée à plus tard » (Bouzar, 2009, p. 46). Cependant, à une oscillation
« entre diabolisation et laxisme » (Bouzar, 2009)25, une autre voie se dessine même
si les percées timides qu’elle initie sont bousculées par nombre de freins et
d’incertitudes. Il s’agit de l’ébauche d’un changement dans la construction de règles
nouvelles par des interrogations et des remises en cause des schémas de pensée
existants.
L’ébauche d’une construction conjointe d’une nouvelle régulation par
l’ouverture d’un débat entre régulation de contrôle et régulation autonome
En l’absence de conflit, le débat suppose l’acceptation d’une rencontre
entre les différents acteurs en charge de modalités de régulation, le niveau central,
celui de la DRH et d’instances responsables de la diversité, et le niveau
opérationnel, représenté par les salariés eux-mêmes mais aussi par les managers
opérationnels. Le débat suppose préalablement aux échanges la reconnaissance,
sinon le bien-fondé, des attentes portées par le niveau opérationnel.
Les raisons possibles de l’ouverture d’un débat entre différents niveaux
de régulation
- Une interrogation encore timide sur la légitimité des règles existantes
Des RRH, des responsables « diversité » s’interrogent sur la neutralité, voire
l’inertie de l’entreprise face au fait religieux. Ils interrogent le cadre de pensée
« officiel » structurant l’entreprise, tandis qu’ils relèvent des paradoxes : « on est
avant tout dans une société laïque, même si c’est difficile et une entreprise n’est pas
exempte de convictions » ou encore « on ne décrète pas de jours de congés
religieux, même s’il faut le reconnaître, le calendrier des jours fériés est fortement
inspiré de la religion catholique ». (pilote diversité). Des fêlures sont pointées qui
questionnent le bien fondé des règles existantes. Pour autant, et même si « c’est un
débat avec les RH », la remise en cause de la philosophie et des valeurs de
25
Présentation des résultats de l’enquête nationale sur la gestion du fait religieux en 2009.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
45
l’entreprise requiert un pouvoir fort dont ne disposent généralement pas les RRH et
pas toujours les DRH. Dans la grande entreprise industrielle, « quand le PDG prend
la parole, il donne l’impulsion » et « il n’a jamais abordé cette thématique ». Le
rôle des RH dans la construction de la régulation est donc influencé par la sensibilité
des dirigeants aux différents aspects de diversité.
- Une approche où tout le monde doit gagner
La prise en compte du fait religieux peut être perçue comme un avantage
pour l’entreprise comme pour les salariés. Cette manière de voir est susceptible de
faciliter le changement en évacuant pour partie les interrogations portant sur les
valeurs. Ainsi, l’affirmation du fait religieux en entreprise a-t-elle pu être
considérée, notamment aux Etats-Unis, dans les années 1990, comme la recherche
de sens pour les salariés combinée à une approche créatrice de valeur pour diverses
parties prenantes. Comment les DRH et les RRH peuvent-ils intégrer le fait religieux
dans cette approche de la GRH ? Concrètement, comment vont-ils faire pour que la
gestion du fait religieux combine création de valeur, pour les salariés qui
revendiquent la reconnaissance de leur religion (valeur que nous définissons comme
l’intégration du salarié dans l’organisation), pour les missions RH (valeur entendue
comme la capacité à recruter, à former, à motiver des collaborateurs aptes à
contribuer à la pérennité de l’organisation) et pour les autres salariés (valeur
exprimée dans leur appréciation de l’égalité ou de l’équité). Cette démarche
contribue à la rencontre, aux échanges, à la controverse entre les différents niveaux
et les différentes formes de régulation. Nous évoquons aussi bien la régulation
construite par les DRH ou les responsables de haut niveau –régulation de contrôleque la régulation autonome aménagée par les salariés et les managers opérationnels
dans la conduite des activités. Le débat entre les différents niveaux et les diverses
formes de régulation peut s’inscrire dans des modalités variées, tels l’engagement
dans un projet ou l’élaboration d’une charte (répondant entreprise de transport). Il
peut aboutir, même de manière incomplète, à une régulation conjointe. L’un de nos
répondants, spécialiste des religions et formateur en entreprise sur ces questions,
évoque une démarche « donnant-donnant ». Elle s’exprime sous la forme de
compromis entre les différents niveaux de régulation afin de satisfaire les intérêts de
différentes parties prenantes. Le salarié y gagne quand il estime que son « identité
est reconnue et qu’il se sent à égalité avec les autres salariés ». L’entreprise y
trouve son compte si elle améliore son image et sa réputation et ainsi parvient à
attirer et retenir les meilleurs salariés, à s’ouvrir de nouveaux marchés (Jabbour et
Santos, 2008). Cette perspective peut manifester cependant des limites à l’intérêt
porté aux salariés par l’instrumentalisation qu’elle induit. Cette dernière dimension
se renforce quand le pouvoir de certaines parties prenantes (ex. les clients) vient
mettre à mal la construction d’un processus de régulation de contrôle entré en
« conversation » avec la régulation autonome. Ainsi, « dans une boutique de luxe, le
foulard fait fuir les clients » (cabinet de conseil et formation en gestion de la
diversité).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
46
Les règles qui vont être co-construites par les différents acteurs soulignent
que la séparation entre régulation autonome et régulation de contrôle est floue
(Veltz, in Chatzis, 1999) et que « le binôme contrôle/autonomie change de visage »
alors qu’il y a « déplacement vers plus d’autonomie et de contrôle à la fois »
(Livian, 2006, p. 1619). L’autonomie se manifeste dans la reconnaissance accordée à
la régulation autonome alors que le contrôle se renforce par le biais de
l’institutionnalisation de règles jusqu’alors implicites, voire clandestines.
Quelques-uns des freins au cheminement vers une co-construction de la
régulation du fait religieux
Le processus qui conduit à une nouvelle régulation avec modification des
schémas de pensée est exigeant. Il demande, dans un temps long, ouverture vers
l’autre, empathie et réalisme.
La dynamique de changement se heurte à des acteurs dont les intérêts, les
attentes sont diverses et les ressources pour se faire entendre asymétriques. Le poids
de la hiérarchie, la culture de l’entreprise, l’expérience internationale, le rôle des
syndicats, l’effectif salarié, la diversité de métiers constituent, entre autres, des
éléments qui viennent appuyer ou modérer les effets de pouvoir. Ainsi la production
de nouvelles règles pour gérer le fait religieux, les principes qui les accompagnent et
les pratiques qui les soutiennent induisent-ils des effets sur les salariés non inscrits
dans la diversité. Cette dimension interroge la GRH sur les finalités et les équilibres
à respecter dans la gestion des phénomènes de diversité. Le dilemme, que doit
résoudre la GRH, est posé à la fois par des salariés (ceux qui ne bénéficient pas des
nouvelles règles en faveur du fait religieux) et des managers : comment satisfaire
les attentes des uns dans l’égalité pour tous ? Au-delà, d’autres questions émergent,
au plan des relations (cohésion, coopération) et de l’efficacité économique des choix
de GRH. Notre focus est porté sur le risque de création de nouveaux clivages.
Des salariés expriment : « Quelle que soit la religion, si on est trop dedans
[…], on ferme la porte aux autres ». « Comme on travaille en équipe, ça risque
forcément de poser des problèmes au niveau de l’égalité entre les salariés, car tout
le monde doit être traité de la même manière ».
Des managers opérationnels racontent : « Après [l’octroi de nouveaux droits en
réponse à des revendications pour respect de la religion] chacun peut aussi dire qu’il
lui faut ceci ou cela… Une sorte d’enchaînement… moi, il me faut une crèche, moi
une mosquée… C’est une porte ouverte qui peut aller très loin, et qui reste
dangereuse pour moi ».
Ce verbatim recueilli par Bouzar (2009, 82-83) illustre les perceptions de
dérive d’une gestion des faits religieux traduite dans de nouvelles règles (règles de
contrôle ou règles autonomes, parfois « clandestines »). Accéder aux demandes
spécifiques de certains, c’est créer des inégalités pour d’autres, ceux qui ont d’autres
croyances ou ceux qui ne se revendiquent d’aucune confession. Pour les salariés, ces
inégalités sont insupportables car elles apparaissent comme illégitimes. Une salariée
nous dira même « c’est une insulte pour ma manière de faire mon travail». Pour les
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
47
managers, elles « ouvrent la boite de Pandore ». Tout comme le risque de nouveaux
clivages, d’émergence de communautés, les nouvelles règles, dédiées à une partie
seulement du collectif, dégradent souvent la confiance, la cohésion, la coopération,
nécessaires à l’action collective. La gestion du fait religieux se dilue dans la
fragmentation de règles ouvrant à des droits et à des obligations pluriels qui ne sont
plus justifiés par les missions elles-mêmes mais par les attributs individuels.
L’individualisation, redoutée par certains est instrumentalisée par d’autres, parfois
au détriment de leurs collègues. Des solutions sont alors recherchées dans une
approche « professionnelle » qui replace les droits et les devoirs des salariés dans un
contexte d’abord professionnel. Restent à poser les indicateurs et à évaluer les
situations. Pour plusieurs de nos répondants « on fait de la gestion au cas par cas »,
« à l’amiable », « à chaque fois, on est dans la négociation », « quand il y a des
fêtes religieuses juives ou musulmanes, on peut s’absenter avec les RTT. C’est OK
si le service n’est pas désorganisé ». Nous pouvons noter l’optimisme du répondant
RH du grand groupe industriel. Il estime en effet que « le fait religieux se banalise »
et que les jeunes collaborateurs ont « été élevés dans cet esprit là » (l’ouverture à
d’autres cultures et d’autres religions). L’existence d’une direction de la
Responsabilité Sociale et d’un poste de Responsable « diversité », rattachés
directement à la direction générale ainsi que la « forte culture du métier », l’histoire
et la réputation acquise d’entreprise sociale tracent aussi un sentier qui facilite la
compréhension du fait religieux et la manière de le gérer. Cependant, le plus
souvent, l’acuité et la nouveauté des formes du fait religieux en entreprise incitent
les entreprises, même les plus engagées dans la diversité, les plus souples dans les
approches de l’autonomie, à la prudence devant un phénomène qui est difficile à
appréhender dans son ampleur, sa complexité, ses retombées dans le fonctionnement
de l’entreprise. Le rôle des RH pourrait-il se résumer dans l’amélioration du bien
être de tous ses salariés, dans la capacité à « rendre ses salariés heureux »
(répondant, cabinet conseil et formation en gestion de la diversité)… pour autant que
l’organisation y trouve son compte ?
La gestion du fait religieux se présente comme l’une des formes de la
diversité. Pour autant, elle touche à la sphère privée, intime, des valeurs
individuelles. La manière dont les RH s’emparent de la question pour produire (ou
pas) de nouvelles règles s’inscrit dans une complexité qui enchevêtre des logiques
de pouvoir et des confrontations de systèmes de valeur, une pluralité d’objectifs
avec une finalité, la pérennité du fonctionnement de l’organisation. La figure 2
synthétise les différents positionnements de gestion du fait religieux et, de ce fait de
construction de règles.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
48
Niveau de
changement
des règles
+
--
Figure 2 : la production de règles de gestion du fait religieux par la GRH
Absence de construction
d’une nouvelle régulation
Absence de changement :
Application des règles de
contrôle déjà présentes
dans l’organisation
Construction
incomplète et instable de
régulation
Mise en conformité à la
loi
Aménagement des règles
existantes (persistance
des schémas d’exécution
existants)
Maintien de l’ordre
existant
Maintien de l’ordre
existant
Régulation
autonome
Bricolage clandestin
Régulation
conjointe
absente
Mise en application des
schémas d’exécution
permis par la régulation
de contrôle
possible
Régulation
de contrôle
Déni du fait religieux
Vers la construction de
régulation conjointe
Construction de nouvelles
règles intégrant le fait
religieux
Emergence d’une
modification des schémas de
pensée et des schémas
d’exécution
Gestion du désordre par
l’innovation dans la
construction de règles
Initiative et autonomie pour
co-construire des règles
d’application en cohérence
avec les schémas de pensée
probable et évolutive
A quelles règles peut aboutir la nouvelle donne induite par la violence
symbolique exercée par l’ordre religieux ? Plusieurs voies sont possibles dans un
temps long (au moins plusieurs mois). En effet, « les règles résultent à la fois d’un
héritage et d’une constante réinvention, elles font l’objet d’un apprentissage
collectif : leur changement est donc difficile » (Livian, 2006, p. 1618). Il l’est
d’autant plus que les schémas de pensée sont modifiés par des déplacements de
pouvoir qui apparaissent aux acteurs qui n’en sont pas bénéficiaires comme des
atteintes à leurs droits, voire comme des transgressions inacceptables à l’équilibre
existant. Alors, les effets de l’exercice de la violence symbolique peuvent aboutir,
soit à de la résistance, soit à la construction de nouvelles règles influencées, à des
niveaux variables, par les différents détenteurs de pouvoir.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
49
CONCLUSION – DISCUSSION
En France, la gestion de la diversité religieuse en entreprise s’accompagne,
le plus souvent, de la « discrétion des uns et de la distance des autres » (Sciberras,
2010, p. 72). Cependant, L’émergence et l’affirmation du fait religieux dans les
entreprises privées sont porteuses de déstabilisation. En effet, la revendication
religieuse est le fait d’un nouveau pouvoir dans l’entreprise. Celui-ci tend à
bouleverser l’ordre existant et fait courir le risque d’éclater la cohésion du collectif
de travail. La gestion du fait religieux, par les règles qu’elle produit, tend parfois à
mettre les différences en exergue plutôt qu’à les gommer, à créer de nouveaux
clivages et de nouvelles inégalités entre salariés.
L’étude de la littérature comme celle des données recueillies en entreprise
mettent en exergue que l’émergence du fait religieux dans les organisations
questionne la place, l’articulation, les ponts ou les ruptures qui mettent en relation
trois logiques de pensée et d’action : sociétale, d’entreprise et individuelle. La
construction de la régulation se pose à l’aune de la philosophie et des principes sousjacents qui détermineront l’action collective. Nous pointons deux éléments qui
traversent les réflexions des entreprises. Le premier concerne la nécessité de
changement que l’on peut structurer autour de l’interrogation suivante dont la
formulation est empruntée à Sainsaulieu (1990) : l’entreprise est-elle affaire de
société ? Le second, corrélé au premier, renvoie à la tension entre « universalité »
des principes et prise en compte des diversités.
L’entreprise est-elle « affaire de société » ?
Nous entendons deux acceptions possibles de cette question. D’une part,
dans une attitude pro active, l’entreprise « produirait » elle-même des règles
affectant les relations sociales. Ainsi pour des répondants de l’entreprise industrielle,
« la gestion du fait religieux est entrée dans les mœurs » et même «ça fait partie des
gènes de l’entreprise», depuis les années 1960, alors que la question ne se posait
guère de manière aigüe dans la société civile. En outre, « la gestion multiculturelle
des équipes banalisent le fait religieux, comme toutes les autres différences entre
salariés du groupe ». D’autre part, et de manière réactive, l’entreprise pourrait être
influencée par les phénomènes individuels et institutionnels qui traversent la société.
Cependant, l’attitude d’un des répondants RRH est représentative du manque de
visibilité et d’engagement manifesté le plus souvent dans les organisations. Il prend
de la distance en énonçant que « les débats de la société affectent modérément les
salariés de notre entreprise. Nous on est assez peu perturbés par tout ça. On est
assez centrés sur notre entreprise ». Mais l’une de ses collègues s’est trouvée
démunie « quand une fille de son service est arrivée après son mariage, voilée car
on n’a pas de capteurs pour le voile ». Concrètement, on peut constater que la
réflexion est loin d’être aboutie sur les fondements des changements possibles et sur
leur mise en pratique.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
50
Tension entre universalité des principes et prise en compte des diversités
Ce second point participe aux interrogations des entreprises. Mais il peut
aussi contribuer à fournir un cadre de référence rassurant pour les RH en
réintroduisant les problématiques de diversité dans un contexte professionnel et dans
le business case : « Toutes les actions doivent être en lien avec la performance.
Nous on doit être dans la promotion de la diversité dans le sens du business, après
on tombe dans la discrimination positive » (pilote diversité). Cette manière
d’envisager la diversité en relation avec l’intérêt économique et stratégique de
l’entreprise est mise en avant à la fois par la littérature américaine et par un rapport
de la commission européenne (2005, p. 7), même en l’absence d’évaluation robuste.
Alors, les impératifs de sécurité, de productivité, de compétitivité constituent-ils les
repères qui servent à prendre les décisions. « J’ai des collègues qui ne voulaient pas
travailler le samedi. Ils ont fait ce choix. Ils ne seront jamais patrons d’agences.
Dans ce cas, leur pratique religieuse ne va pas avec le contexte de travail » (pilote
diversité). La gestion du fait religieux reste ainsi avant tout du domaine privé et la
pensée managériale n’est modifiée qu’à la marge. Elle l’est d’autant moins que
l’instrumentation RH et la standardisation des comportements qu’elle poursuit (ex.
référentiels de compétences) incite davantage à la conformité dans l’identification et
l’évaluation des compétences qu’à l’acceptation de leur variabilité dans la diversité.
Le plus souvent, la gestion du fait religieux est exclusivement perçue
comme une obligation. La régulation qu’elle peut induire « n’est pas fondée
nécessairement sur l’enthousiasme, la foi, la chaleur interne de la conviction ». Elle
repose « plutôt sur le réalisme de la concession réciproque et sur une part de
contrainte » (Reynaud, 2007, p. 112). La plupart des entreprises gèrent le fait
religieux en tâtonnant, en négociant et en bricolant « au cas par cas ». Pour ce qui
concerne les syndicats, nos répondants constatent souvent une position en retrait
« les organisations syndicales sont souvent moins ouvertes que le management. Par
exemple, elles demandent l’interdiction du port du foulard pour ne pas gêner les
autres collègues ». (répondant, cabinet de formation). Des organisations de grande
taille ont entamé des réflexions, ont inscrit des principes dans des accords. Klarsfeld
(2009) remarque que les principes sont en effet plus facilement adoptés que les
pratiques car les déclarations d’intention demandent peu de moyens et font encourir
moins de risque d’échec que les engagements dans l’action. Au-delà des discours ou
des silences sur le fait religieux, par l’analyse des modalités de construction ou de
stabilité des règles, notre recherche contribue à montrer comment se situe la prise en
compte du fait religieux en entreprise.
Enfin, on peut se demander si gérer le problème, ne créerait pas le problème. « On
écrit des directives, du coup, un petit problème qui n’était pas une grande question,
le devient ». En s’exprimant ainsi, le répondant du cabinet conseil et formation en
gestion de la diversité a signifié qu’on a fait exister un problème latent en le
nommant. En outre, s’intéresser à cette question en a soulevé bien d’autres pour
lesquelles on trouvait des ajustements locaux. Le silence de nombre de DRH face à
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
51
la « charge symbolique et politique explosive » (Bouzar, 2009, p. 59) s’explique par
les attentes, notamment celles des managers opérationnels et des salariés, en matière
de régulation de contrôle dès que le problème est abordé vs la difficulté à construire
des règles équitables pour tous et utiles au bon fonctionnement de l’organisation.
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
53
ANNEXE : Repères de l’appartenance religieuse des Français
Il n’existe aucune statistique publique qui recense l’appartenance religieuse des
français (le dernier recensement officiel date de 1872). Le croisement des chiffres
donnés par les groupes religieux, par des enquêteurs et des experts, il est possible
d’estimer les différentes communautés religieuses :
Appartenance religieuse
Catholicisme
Agnoticisme
Islam
Protestantisme
Pourcentage de la population française
65%
25%
6% (mais 14% des 18-25 ans)
2%
D’après le rapport Machalon (2006)
D’autres mouvements religieux existent en nombre plus restreint en France : le
judaïsme compte environ 600 000 personnes, le bouddhisme réunit ainsi 400 000
membres et les chrétientés historiques (Église Orthodoxe, Églises Orientales
indépendantes) dénombrent 750 000 membres.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
54
DON ET CONTRE-DON
Pour éclairer la crise de la relation salariale
Laetitia PIHEL26
Cette communication s’intéresse à la relation salariale
moderne et à la crise qui s’est installée entre les salariés et
l’entreprise. Elle propose de démontrer la pertinence de la
théorie du don/contre-don pour analyser la relation
salarié/entreprise et comprendre les points d’achoppement
actuels de celle-ci. Après avoir positionné cette théorie au
regard de la littérature en management (implication
organisationnelle, contrat psychologique), elle montre à partir
d’une étude du contexte moderne, comment le don/contre-don
nous éclaire sur les comportements actuels des salariés et leurs
réactions.
Un salarié parlant de son entreprise : « La mariée à bien changé ! »
Séquestrations de dirigeants, de DRH, … statistiques et numéros spéciaux
consacrés27 aux nouveaux comportements de défiance des salariés à l’égard de
l’entreprise… au-delà du contexte de crise économique, un malaise évident semble
s’être installé dans la relation entre le salarié et l’entreprise. Comment comprendre
cette crise de la relation salariale ? Comment analyser la perte de crédibilité de
l’entreprise, l’éloignement calculé des salariés envers elle, leur déchirement parfois
lorsqu’ils disent ne plus la reconnaître ? L’hostilité peut elle apparaître comme un
droit de réponse « naturel » des salariés ?
26
Maître de Conférences en management des ressources humaines à l'IEMN-IAE de Nantes (Université
de Nantes), membre du LEMNA (Laboratoire d'Economie et de Management de Nantes-Atlantique) et du
GRT Carrière de l'AGRH. Elle est l'auteure d'une thèse centrée sur l'implication dans la relation d'emploi
étudiée à partir du paradigme maussien du don/contre-don(2006). Ses travaux portent sur la relation
d'emploi, l'implication, les restructurations, mais aussi la santé dans le secteur des services. 2010,
«Management à distance et santé au travail : quels impacts de l’éloignement et de la méconnaissance du
travail réel ». Revue Gérer & Comprendre, Annales de l’Ecole des Mines de Paris (à paraître, décembre).
Co-auteur : C. Clergeau. « La relation salariale moderne. La dynamique du don/contre-don à l’épreuve et
dans l’impasse ». Revue du Mauss Semestrielle, 1er semestre, n°35, 194-214. « Les métiers des centres
d'appels : des difficultés aux fonctions et choix managériaux de demain. ». Ouvrage : « Management et
métier : visions d'experts », Editions EMS, pp.347-361. Co-auteurs : C. Clergeau et A. Bénion. 2008 :
«L'emploi durable, une relation de type don/contre-don. De la validation aux enseignements d'un
paradigme. ». Relations Industrielle/Industrial Relations, vol.63, pp. 502-526.
Laetitia.Pihel@univ-nantes.fr
27
Voir notamment : Liaisons sociales, octobre 2008, Liaisons sociales, janvier 2010.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
55
Plusieurs travaux en sociologie et GRH nous éclairent sur les origines du
délitement du rapport salarial. Si ces travaux ont des angles d’attaque différents : les
nouvelles exigences du travail (Alter, 2000, 2009 ), l’incohérence réciproque des
dispositifs d’organisation et de management (Detchessahar et al., 2009), le caractère
mécaniste et aveugle du management (Autissier et Wacheux, 2007 ; Levy-Leboyer,
2007 ; Pfeffer et Sutton, 2005 ; Thévenet, 2009), etc., ils se rejoignent sur l’idée de
fatigue des salariés et de renouvellement du rapport entre l’individu et
l’organisation. Mais on le sait, la déception comme les frustrations touchent les
personnels les plus impliqués dans leur travail (Dejours, 2009 ; Detechessar et al.,
2009) et dans leur entreprise, ceux qui estiment avoir beaucoup donné et qui parfois
ne le souhaitent plus. Cette expression devenue si courante et triviale en entreprise
qu’est le : « j’ai déjà donné ! » semble recouvrir des clés de compréhension et
d’analyse riches pour le management des ressources humaines. Elle se heurte
souvent à l’incompréhension des managers, qui souvent démunis et déconcertés se
raccrochent avec certitude dans leur communication au « donnant/donnant »,
« gagnant/gagnant !». Aussi et en complément des éclairages précédemment cités,
cette communication propose de questionner l’échange symbolique construit entre
l’individu et l’organisation, c'est-à-dire ce qui s’y joue, ne s’y joue plus, comme ses
nouveaux termes et conditions.
Il s’agit ici à partir d’une grille d’analyse fondée sur le don/contre-don
(Mauss, 2003) de comprendre ce que recouvre la relation salariale, ce que l’idée
d’échange symbolique donne à éclairer pour comprendre les réactions, les mots et
les maux des salariés aujourd’hui, comme l’orientation nouvelle de l’échange liant
l’individu à l’entreprise.
Pour cela nous montrerons dans un premier temps, comment la théorie du
don/contre-don validée dans le champ de la sociologie du travail (Alter, 2002 ;
2009) et du management des ressources humaines (Pihel, 2006 ; 2008 ; 2010) se
positionne au regard des travaux en management. Le don/contre-don ne dissocie pas
l’individu de l’échange dans lequel il est investi, les liens et la complémentarité avec
les travaux sur le contrat psychologique et l’implication seront soulignés. Puis à
travers une réflexion sur le contexte actuel des relations salariales, nous montrerons
la pertinence du don/contre-don se révèle être pour comprendre l’actualité du rapport
individu/organisation et les réponses des salariés. L’ensemble du développement
s’appuie sur des enquêtes de terrain menées entre 2003 et 2009 (annexe 1), ainsi que
sur des groupes d’échanges récents avec des DRH.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
56
RELATION SALARIALE, IMPLICATION ET MANAGEMENT DES
RESSOURCES
HUMAINES.
QUELLES
PERSPECTIVES
POUR
L’ANALYSE DE LA RELATION SALARIALE ?
De manière historique et traditionnelle, la relation salarié/entreprise a été
théorisée par les anglo-saxons dans une version contractuelle explicite à partir du
concept de « contrat psychologique » (Rousseau, 1989 ; 1990), dont l’esprit apparaît
très présent dans le principe du « donnant/donnant ». Le contrat psychologique
renvoie aux « croyances d’un individu concernant les termes et les conditions d’un
accord d’échange réciproque entre lui-même et une autre partie _l’entreprise_»
(Ibid.1989). On dit qu’il « naît lorsqu’une partie croit qu’une promesse en un retour
futur a été faite par l’autre partie, et donc que si elle lui apporte une contribution,
elle l’oblige en retour pour un bénéfice futur » (Ibid.1990). Cette entente se
construit à la fois sur des éléments tacites, explicites, sur des promesses faites par
l’entreprise, comme des obligations perçues et envisagées par le salarié28. Elle
repose sur une attention vigilante du salarié à l’égard des conditions et termes et de
leur respect. Même si la dimension affective de la relation a été introduite (Delobbe
et al., 2005 ; Pihel, 2008), les principes de réciprocité absolue et d’équilibre du
rapport contribution/rétribution (Barnard, 1938 ; March et Simon, 1991) sont au
centre des raisonnements : l’individu donne pour recevoir, donne tant qu’il reçoit,
au-delà point de salut !
Sans dénier l’intérêt de ses travaux, le positionnement qu’ils retiennent
semble présenter plusieurs limites. L’individu est compris comme davantage
intéressé par la finalité matérielle de l’échange que par la vie de la relation. Lorsque
l’entreprise ne joue plus le jeu, par les changements qu’elle impulse, ou tarde à
donner, le salarié est irrémédiablement tenté par des comportements de sortie de
relation… Impossible dès lors de comprendre, pourquoi certains restent, continuent
de s’impliquer dans leur travail quand bien même ils sont insatisfaits (Delobbe et al.
2005), et souffrent de voir l’entreprise changer. Le propre de ces théories est qu’elles
offrent une approche très individuelle de ce qui est en jeu dans la relation salariale.
Elles atrophient de fait le poids de certaines influences (symboliques, identitaires
notamment), intègrent le lien social sans en traiter la profondeur réelle, comme elles
font peu de cas du contexte d’insertion de la relation, de son histoire, de l’effet du
temps (Pihel, 2008).
Ces théories dans leur esprit, trouvent des prolongements dans les
recherches consacrées à l’analyse de l’implication de l’individu dans l’organisation
(Guerrero et Herrbach, 2005 ; Manville, 2005 ; Meyer et Allen, 1990, 1991 ;
Mowday, 1998) qui cherchent à analyser le rapport salarié/entreprise et les
comportements organisationnels qu’il induit. La notion d’implication
organisationnelle est définie par Mowday (Ibid.) comme « une force générale
conduisant l’individu à s’identifier et à s’engager envers l’organisation dans
28
Pour une synthèse des travaux sur le contrat psychologique, voire : Delobbe N. et al. (2005), ou encore
Mullenbach-Servayre A. (2009).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
57
laquelle il travaille ». Meyer et Allen (1991) distingue trois dimensions de cette
implication : affective (émotions, identification), calculée (raison et intérêt) et
normative (loyauté et devoir moral). Ces trois dimensions coexistent et sont non
mutuellement exclusives. Si ils s’efforcent d’affiner le concept, les travaux
consacrés à l’implication organisationnelle peinent à révéler la dynamique des
composantes de ce rapport entre l’individu et l’entreprise, les interactions concrètes
entre les dimensions affectives, calculées et normative, et conservent un ancrage
psychologique/attitudinal et individuel (Foucher et al. 2004). Qu’en est-il
concrètement de cette « force » qui lie le salarié à l’entreprise ?
Au-delà du fait qu’elles mobilisent essentiellement des modalités d’enquête à
distance, ces recherches ont pour principe de s’éloigner d’un raisonnement « total »
au sens maussien du terme (Mauss, 2003), c'est-à-dire incluant l’individu et l’espace
qu’il intègre. Les recherches dissocient plusieurs modes et objets d’implication
parallèles et distincts (implication dans l’organisation, dans la carrière, dans le
métier, etc.), plusieurs antécédents et évaluent leur poids respectif comme leur
influence isolée dans la performance. Ce type de raisonnement compartimenté, à
pour effet d’abandonner la question de la dynamique des objets, en d’autres termes
de ne pas expliquer comment se côtoient, se compensent et se complètent les
différentes formes d’implication dans le milieu où elles ont prise. Le contexte et la
structure sociale sont laissés de côté. La complexité de la relation d’emploi est niée,
non traitée, l’implication est analysée dans une optique de séparation de l’homme et
de l’espace investi29.
S’impliquer c’est …
Une approche plus ouverte a été proposée en France par Thévenet (2000 ;
2002). L’auteur retient que l’implication ne peut être appréhendée sans considérer la
dimension sociale, identitaire ou encore biographique du salarié. Comprendre
l’implication, c’est comprendre ce qui s’y joue en considérant une multiplicité
d’influences, par principe, non agencées. L’auteur définit l’implication comme
l’investissement de l’individu dans « l’expérience de travail qu’il vit » (Ibid., 2002).
Elle recouvre à la fois une énergie mobilisée pour et dans cette expérience, autant
qu’un lien très étroit chargé de sens tissé avec et à travers elle. L’idée « d’expérience
de travail » vécue est volontairement large et mêle à la fois l’implication dans le
travail, comme l’implication dans l’entreprise à travers ses valeurs, sa symbolique et
ce qu’elle induit du point de vue des affects.
Il existe selon l’auteur trois indicateurs de l’implication :
- Premièrement, l’individu impliqué est celui qui a coutume de « faire plus » que ce
qui est attendu de lui formellement. Il va au-delà de ses attributions officielles et met
librement son énergie au service de l’institution, du client, etc. Au sens maussien, il
est dans l’excès.
29
Voir notamment : Thévenet (2000), Thévenet (2002), Pihel (2008).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
58
- Deuxièmement, l’individu impliqué est aussi celui dont le travail va « déborder »
sur la sphère hors travail. Le travail appelle à des sacrifices et envahit le quotidien :
on décale des vacances, on rapporte du travail à la maison, etc. La frontière entre les
temps devient poreuse.
- Troisièmement et enfin, la personne impliquée est celle qui s’évertue à trouver sans
cesse les moyens de perfectionner son travail en recherchant tous les moyens
possibles. Elle va jusqu’à tordre et outrepasser les règles de sa fonction.
S’impliquer c’est …donner
L’approche de Thévenet est celle qui s’avère être la plus proche du
positionnement proposé par la théorie du don/contre-don de Mauss (2003) lorsqu’il
analyse les échanges symboliques au sein des sociétés archaïques. Mauss (Ibid.)
s’est intéressé à la question des fondements des relations d’échange réciproques
établies dans le temps : pourquoi un individu donne et pourquoi ce don appelle-t-il à
un retour (ou contre-don) ? Si dans les théories contractualisantes et intéressées de
type donnant/donnant, sont considérées deux dimensions de l’échange : donner et
rendre pour ce qui a été donné, Mauss en retient quant à lui trois : donner, recevoir
et rendre. Il considère que donner implique que l’autre reçoive et que ce dernier soit
donc amené à rendre par la suite. Le fait de recevoir envoie symboliquement un
signal positif et indique que l’on accepte d’entrer en relation en s’engageant dans le
même temps à rendre. Le lien social et la confiance occupent ici une place centrale
qui va sceller la relation d’échange dans le temps. Lorsque l’individu rend à celui
qui lui a avant donné, il relance la dynamique du don.
Toute la richesse du paradigme pour le management des hommes tient à ce
qu’il permette de percer le sens de l’investissement dans la relation salariale, comme
sa consistance (Pihel, 2008). Il ne porte pas une version irénique des relations. Il
pose que le comportement de l’individu lorsqu’il donne (ou contribue à un échange)
est régi par des considérations intéressées (reconnaissance, salaire) et obligées
(remplir ses missions) … mais aussi désintéressées (spontanéité, altruisme,
sacrifices) et libres (faire plus comme ne pas le faire, ou décider de ne plus faire). Ce
dernier élément nous semble par ailleurs cruellement négligé dans les travaux sur
l’implication organisationnelle en gestion des ressources humaines.
La théorie don/contre-don repose sur une analyse complète des modalités
d’implication de l’individu engagé dans la relation, comme sur le principe de l’être
« total ». L’individu est compris comme inséparable de ce qu’il donne et met en jeu
dans la relation. En d’autres termes, ce qu’il donne est inséparable de ce qu’il est, il
met en jeu son identité (Godbout, 2000). Le don retient la « totalité » et se présente
comme une démarche heuristique qui inclut l’espace, l’homme total, l’exercice de sa
liberté et sa spontanéité. Il est alors impossible d’analyser un échange sans tenir
compte des spécificités du contexte d’insertion (que Mauss nomme « la conscience
du milieu ») de la relation, qui produit des repères, des règles propres qui éclairent
les comportements, les réactions comme le sens de l’action (Pihel, 2008). L’espace
d’échange fonctionne sur une mise en mouvement dynamique de dimensions
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
59
affectives, identitaires, symboliques, relationnelles, ou encore sociales inséparables
pour comprendre la réalité de ce qui se joue dans une relation.
De notre point de vue, l’implication dans la relation salariale relève du don,
comme de ses excès. Qu’on l’analyse comme le fait d’en « faire plus » ou encore de
ne pas parvenir à se détacher de son travail, montre que s’engager n’est rien d’autre
que donner (Pihel, 2006 ; 2009). A minima, l’individu donne de lui, de sa personne,
de son temps, de ses sentiments ou encore de sa sympathie au service l’entreprise ou
encore de la coopération au travail (Alter, 2009).
Cette implication, que l’on appelle don, contient selon nous ce principe
d’«inconditionnalité conditionnelle » théorisé par Caillé (2000) et pertinent dans
l’approfondissement de la symbolique du don. L’inconditionnalité conditionnelle
renvoie au fait de subordonner le plaisir des choses faites pour elles-mêmes, aux
intérêts instrumentaux et calculés, en raison des symboles et du sens qui lui sont
attachés. Pour autant, l’inconditionnalité reste bornée, il ne s’agit pas de donner
aveuglément, n’importe comment et sans limite. La référence à la conditionnalité
permet de révéler le fait que les individus qui ont investi une relation sans compter
sont aussi à même d’en sortir s’ils estiment avoir été floués. Ces précisions
permettent d’envisager les rationalités plurielles qui habitent la relation. Elles
rappellent que l’échange n’est pas purement calculé ou purement désintéressé. C’est
d’ailleurs et souvent le biais d’une lecture trop rapide d’une théorie du don/contredon dans le champ du management. Le don reste souvent analysé comme la
contribution et le contre-don comme la réciproque « matérielle » nécessairement
recherchée et attendue (rémunération, promotion). C’est aussi toute l’ambiguïté de
l’usage du don dans le monde de l’entreprise (Alter, 2009 ; Godbout, 2000 ; Pihel,
2006). La tendance dominante en management est souvent à rechercher l’intérêt
derrière tout acte posé. Il n’y aurait donc point de gratuité dans un espace où l’on
établit des bilans, des factures, des « soldes de tout compte », calculons des dettes,
l’intérêt serait forcément caché quelque part. L’approche contractuelle et
contractualisante de la relation salariale de type « gagnant/gagnant » peut s’avérer
bien rassurante pour qui attend de l’individu une implication rationnelle et rationnée
dans le contexte professionnel actuel fait d’incertitude et de changements. Pour
autant, est-elle solide ? Juste ? Ou, tout simplement, tenable ?
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
60
MODERNITÉ ET CONTRACTUALISME. RATIONNALISER ET
RATIONNER SON ENGAGEMENT. DU LEITMOTIV À LA RÉALITÉ.
Le contexte économique actuel donne lieu à la proposition de nouvelles
théories managériales sur la manière dont se construisent désormais les relations
salarié/entreprise. La littérature sur les nouvelles carrières30, qui nous parlent de la
manière dont on envisage sa relation avec l’entreprise, abonde en ce sens. Mais c’est
aussi en s’appuyant sur un optimisme certain et partagé des salariés qu’elles l’ont
fait, en limitant souvent les raisonnements à une population de cadres et d’itinérants
diplômés. Plus concrètement, la philosophie dominante et presque hégémonique en
management tend à insister sur une double dynamique d’évolution, la première
venant du salarié, la seconde de l’entreprise.
Sous le coup de multiples mutations sociologiques, l’image d’un salarié
résilient, dynamique, « nomade » (Cadin et al., 1999), soucieux de son « capital
compétences », traversant les entreprises les unes après les autres, s’est répandue. Ce
salarié indépendant, libre, détaché affectivement des entreprises qu’il visite, ne
conclurait avec elles et exclusivement des relations calculées fondées sur le
donnant/donnant. Il demeure évident de souligner que cette vision ne convient pas à
tous et que les désirs de stabilité et de sédentarité continuent d’animer les esprits.
Pour autant, le caractère indéterminé de l’échéance, laquelle hier était dans les
représentations associée à celle du départ en retraite, est aujourd’hui flottante et
soumise à la prématurité. Les mouvements externes et internes à l’entreprise font
courir le risque d’une cessation anticipée qui justifie désormais la nécessité de
s’occuper de son employabilité, de composer avec les transitions professionnelles,
de se prémunir du chômage, en restant pour cela en état de veille. Ainsi si les
relations d’emploi durables demeurent, elles n’en sont pas moins aujourd’hui
« déstabilisées » par des événements qui modifient les conditions de participation
des salariés (changement de métier, réorientation professionnelle subie, etc.) au fur
et à mesure de leur histoire. L’instabilité se vit alors dans l’emploi, à l’intérieur
même de l’entreprise. Dans des espaces où l’incertain alimente la vulnérabilité du
salarié, la construction de relations tissées sur un mode exclusivement contractuelle,
est une arme, un mécanisme de défense et de protection.
Pour l’entreprise, le changement et la nécessité de s’y préparer tient lieu de
convention. Au-delà, l’idée d’anticiper et d’agir pour le salarié en ce sens relève
désormais d’une obligation juridique légale. Faute de lisibilité suffisante sur les
évolutions concrètes du marché, la capacité de l’entreprise à s’engager dans le temps
auprès des salariés sur des éléments tangibles s’est fortement réduite, à deux, voire
trois ans. Le principe entendu qui règne désormais retient que quiconque ne peut
aujourd’hui présager de la sécurité de son emploi, ce qui légitime et nourrit la
rhétorique sur l’utilité de devancer comme de se prémunir d’un changement
professionnel subi. Est-il pour autant entendu, intégré ou encore accepté de tous ?
30
Se référer aux actes des 5èmes Journées d’étude sur les carrières (GRT AGRH), Lyon 2008 et aux
6èmes Journées d’étude sur les carrières (GRT AGRH), Nantes 2009.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
61
De la prophétie à la réalité, on constate que ce raccourcissement des temps de
l’engagement est à même de générer : angoisses, craintes et déni de réalité : « C’est
un perpétuel stress depuis 6-7 ans, on ne vit que dans le stress parce que mon boulot
va disparaître (…) Comment vous vous projetez dans l’avenir ? Et bien je ne sais
pas. On ne sait pas, on en discute, personne ne sait rien (…) ils ne savent pas trop
quoi vous dire. La perspective….ils ne peuvent pas, ils nous mentiraient. »,
« L’avenir… je préfère ne pas y penser ». On œuvre alors à demi-mot dans
l’implicite et le risque avec l’idée que l’on peut toujours s’investir mais sans
garantie de retour. Dans cet univers ouvert où tout peut arriver et où l’incertain tend
à prendre une coloration négative, mieux vaut pour le salarié apprendre à s’engager
raisonnablement pour éviter « l’ingratitude » (Alter, 2009). Mais qu’attend
l’entreprise concrètement ? Est-elle claire sur la nature de l’engagement qu’elle
cherche à obtenir du salarié ? L’ambivalence et l’ambigüité semblent ici trouver leur
place.
La rhétorique de l’engagement et le « Re-nouveau » du discours managérial.
Des volontés aux problématiques et impasses modernes…
On le sait, l’implication au travail est centrale dans les dispositifs modernes
d’organisation du travail. La performance de l’entreprise, repose sur la capacité du
salarié à arbitrer et gérer au quotidien ce qu’il est, paradoxalement (!), devenu
commun et courant d’appeler « l’aléa » (Zarifian, 2003). En bref, c’est sur la
capacité du salarié à s’investir, à inventer des solutions efficaces, à coopérer, à
dépasser et surmonter les « dyschronies » (Alter, 2000 ; 2009) qu’elle repose
désormais. Se mobiliser activement pour combler les vides organisationnels, faire
face à l’urgence, aux situations non programmées, l’implication exigée par
l’entreprise se porte alors et essentiellement du côté du travail. Celle-ci attend du
salarié qu’il s’engage activement dans sa mission, dans l’équipe, et qu’il soit
l’inconditionnel porteur de ses valeurs et cela quelque soit les perturbations internes,
les changements.
L’implication recherchée et qui intéresse est donc centrée sur l’immédiat, le
résultat du travail, l’atteinte de l’objectif de qualité et de productivité, la mise à jour
des compétences pour une efficacité optimale. L’individu doit donc donner de lui et
dans le même temps il est appelé à rationner son engagement au risque de ne pas
recevoir pour ce qu’il a donné, au risque d’être trahi, volé au détour d’une
réorganisation. Parmi les exemples les plus symboliques de l’omniprésence de
l’engagement au travail, l’un mérite une attention particulière, celui des employés du
secteur des services. Le salarié se retrouve en tension entre des injonctions
paradoxales : se mettre à la place du client, satisfaire son besoin et dans le même
temps respecter les règles, procédures et contraintes de temps, tout en faisant fi de
ses propres émotions (ne pas s’emporter, etc.) ou à l’inverse en en simulant (sourire
au téléphone). Il en est tenu à un rôle de composition et d’équilibriste certifié qui ne
peut se satisfaire d’un engagement du bout des lèvres. Comment alors rationnaliser
son rapport à l’entreprise, au travail dans un espace où le don, l’excès de soi et
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
62
l’identité se trouve à ce point engagés et requis ? On comprend qu’entre la
prescription et la réalité, la demande de l’entreprise est ambigüe entre un travail réel
imposant d’une part l’excès et, d’autre part, un outillage gestionnaire de rétribution
dont la tendance est au désépaississement et à la libération du lien avec l’entreprise.
Modernité et invariants du management.
Les managers « rêvent » de personnels impliqués (Thévenet, 2002, 2009),
pour autant ils sont aussi nombreux à ne plus cacher leur faillite : « Maintenant les
jeunes lorsqu’on les reçoit en entretien, la première question qu’ils posent c’est :
« et dans trois ans qu’est-ce que vous m’offrez ? ». Qu’est ce que vous voulez que je
leur réponde ? Je ne sais même pas ce que l’on sera l’année prochaine !» (Une
DRH d’un établissement hospitalier). Quels sont aujourd’hui les éléments de
rétribution utilisés pour récompenser l’engagement du salarié ? En d’autres termes,
quelles formes de « contre-don » (s’il en est) l’entreprise offre-t-elle ?
L’entreprise ne peut plus s’appuyer sur des promesses fermes de carrière et
d’emploi durable. Les plans de carrière qui prennent assise sur une relation d’emploi
sécurisée deviennent par définition moins crédibles. Otages des vicissitudes, ils
riment avec incertain. La problématique ici posée est celle du temps. Dans l’absolu
et sous hypothèse, comment fidéliser un salarié rationnel, avec des attributs qu’il ne
verra peut-être jamais ? Les promesses de promotions ont historiquement été
dépêchées en ce sens, l’emploi durable en somme, mais le principe et la réalité ont
évolué. Les postes promis ou convoités sont à même de disparaître sous le coup des
réorganisations et des changements : « On nous avait dit vous resterez 3 ans et après
vous pourrez partir, c’est faux ! ». La confiance s’épuise et les promesses
deviennent conditionnelles, ce qui a pour effet d’entraîner chez l’individu du
renoncement et des déceptions qui tendent à nourrir le sempiternel « si j’avais su ! »,
sous entendu : je n’aurais pas tant investi, ni tant donné.
Le mouvement se heurte alors à des invariants managériaux et c’est ici que
le bât blesse : on continue de mobiliser avec des outils adossés à l’emploi, qui
récompensent dans le temps, alors même que l’incertitude les fragilise dès la racine.
Le management tente alors de résoudre ce problème de concordance des temps en
activant des leviers comme la formation qui a vocation à préparer l’avenir tout en
conjuguant la mobilisation au présent. Le levier de la formation alimente le
processus de gestion des carrières, en ce sens qu’au-delà d’améliorer les
compétences, il permet à l’individu d’envisager l’avenir mieux équipé ici ou
ailleurs. Le fait d’offrir des formations prend la forme d’une rétribution plus certaine
et tangible et permet de nourrir la relation en même temps qu’il rapproche le temps
du contre-don du temps du don (s’il en est encore). La rémunération, outil de gestion
par excellence, prend désormais de multiples formes, les primes variables
récompensent rapidement en même temps qu’elles concentrent l’attention sur la
finalité matérielle de l’échange. La particularité essentielle est de permettre une
réponse immédiate de l’entreprise au don, même si comme pour les carrières,
certaines promesses sont soumises au temps et à ses battements. On observe donc,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
63
que les principaux leviers du management des ressources humaines ont cette
particularité principale de prendre leur force dans l’emploi, le temps qui passe, mais
qui peuvent désormais et à tout instant se dérober. Ceux-ci sans être nouveaux, ont
dans leurs usages actuels cette caractéristique de rapprocher les temps des gestes de
chacun. Aussi peut-on encore parler de relations fondées sur une véritable logique
de don/contre-don ? Le don apparaît de plus en plus chassé, toqué par le contrat, et
frustré par la nécessité de raccourcir les temps, en passant d’une réciprocité
diachronique à une réciprocité tentée par la synchronique et incarnée par des
instruments contractualisants.
Le management aurait-il manqué sa cible ? Ou mal préparé son arc ? Il
semble qu’historiquement le management ait figé les outils de rétribution des
salariés dans le registre de l’emploi (promotion, rémunération) au détriment de ce
qui se joue concrètement dans l’expérience quotidienne du travail (expérience
relationnelle, convivialité, utilité sociale, lien social, etc.), son sens comme ce
qu’elle représente et apporte (satisfaction d’un travail bien fait, etc.) d’un point de
vue personnel et symbolique. Selon Levy-Leboyer (2007), le management en est
resté au stade du « schéma performance/récompense ». A s’écarter du sens de
l’expérience de travail, l’entreprise propose alors un discours bien éloigné de ce qui
se vit, son discours se heurte alors à l’incompréhension des salariés, creuse la
distance entre deux mondes amenés à vivre en parallèle, en alimentant colère et
désarroi : « Comme si c’était la prime qui allait me faire avancer ! J’ai toujours eu à
cœur de bien faire mon travail ! ».
Alors que faire ? Se raisonner et se protéger, se soustraire de l’incertain de la
relation salariale.
Il est possible d’aller plus loin sur ces points en s’appuyant notamment sur la
question des parcours professionnels. L’individu est désormais appelé à prendre en
main la gestion de ses évolutions pour ne pas subir. Il doit se comporter en
entrepreneur dynamique de sa carrière. L’entreprise le soutient dans cette démarche
de résilience et de flexibilité. En d’autres termes, par les actions qu’elle organise et
propose (formation, mobilité), elle entend pourvoir au viatique du salarié, le préparer
pour un ailleurs. Paradoxe s’il en est un, l’individu doit s’impliquer dans son travail
en échange d’une rétribution qui n’a parfois d’autres objets que de le préparer à
partir : « Ils nous apprennent à faire des CV, ils veulent vraiment qu’on s’en aille
sans doute ! [Rires nerveux] Ca doit vous faire rire une entreprise qu’apprend à ses
employés à faire des CV pour qu’ils partent ? ». Soit autant de messages qui posent
la question des paradoxes (s’investir totalement tout en se protégeant) et de la
cohérence managériale. En bref, il faudrait : « donner tout, tout le temps et le
meilleur » tout en étant capable de rationnaliser son engagement pour se protéger de
la déception qui naît des espoirs contrariés et des attentes insatisfaites pour cause de
changement : « si un jour on m’avait dit que je serais là ! ». L’entreprise dans
l’incapacité de donner de la visibilité, recherche finalement un mode d’implication
qui lui rapporte immédiatement et à court terme, quand l’individu cherche lui à
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
64
s’engager dans une démarche de sens. Elle l’appelle à se centrer sur lui, ses intérêts,
et occulte par là même l’idée qu’il puisse être intéressé par la vie de la relation et
pris (et épris) par le « désir de donner ».
LA DYNAMIQUE DU DON/CONTRE-DON FRUSTRÉE PAR « L’INTERDICTION DE
DONNER » ET « LE REFUS DE RECEVOIR »
Pour Alter (2009), l’entreprise est aujourd’hui dans une démarche de
« prendre » le don réalisé par le salarié dans le cadre de son travail. L’entreprise
accepte le don qui s’offre à elle, mais ne le célèbre pas, ne le célèbre plus
symboliquement et à long terme (Ibid.). Au sens maussien, elle se contente de
prendre les dons et non de recevoir, en d’autres termes elle brise et ballonne la
dynamique et l’esprit du don/contre-don. Elle pose une « interdiction de donner »,
elle oblige le salarié à rationnaliser ses attentes à son égard, en l’invitant à ne pas
investir au-delà de ce qu’elle serait à même de rendre, elle « refuse de recevoir »
(Ibid.). Finalement et par ses actes, elle encourage le salarié à se protéger en
pourvoyant à son viatique. Elle se désengage officiellement et symboliquement des
mécanismes inhérents aux relations longues et désépaissit par là même le lien social
en construisant une relation d’engagements timorés. Laquelle n’a d’autre finalité que
de fournir ou rendre au salarié une indépendance dans la construction de sa vie
professionnelle. Ce positionnement semble manifestement signer une volonté de
sortir de la logique du don et de contractualiser la relation, en limitant la taille du
don, en évitant l’ostentatoire, l’excès qui oblige à surenchérir et rendre de manière
usuraire. Quel est le sens réel de ses démarches ?
Du « prendre » à la volonté d’instaurer un nouveau type d’échange.
Si l’on observe les efforts financiers que déploient de plus en plus
d’entreprises autour de la gestion des carrières, des formations et de la mobilité, on
s’aperçoit qu’ils sont réels, incontestables. Mais ils peuvent aussi précipiter les
départs et les velléités à devancer la fin de la relation et donc à se protéger d’elles en
permettant de mieux se vendre et peut être de mieux se donner dans une autre
relation salariale. En d’autres termes, à force d’encourager le calcul, l’élève pourrait
dépasser le maître et présenter plus promptement la facture. C’est aussi ce dont
témoignent les réactions actuelles des salariés qui tirent avantage des dispositifs
financiers ou de reconversion dans les contextes de restructurations pour créer leur
propre structure ou repenser totalement leur carrière en dehors de l’entreprise.
Si l’on parle « d’interdiction de donner », est-il encore toujours légitime
d’utiliser le mot « don » compte tenu de la symbolique nouvelle des relations
modernes et de ce geste fait vers l’autre ? En effet et première chose, à la différence
des relations classiques fondées sur le don/contre-don, l’entreprise imprime
unilatéralement les règles au sein d’un espace social sans que celles-ci soient
nécessairement partagées, voire peuvent être en rupture au regard de l’histoire. Ces
règles sont nouvelles pour ceux dont l’ancienneté est marquée et semble-t-il plus
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
65
facilement acceptées des générations qui pénètrent le milieu sans avoir connu son
passé. Quand bien même il s’agirait de « dons » au sens de gestes symboliques faits
vers l’autre, ceux-ci sont désormais et surtout tournés vers l’extérieur de la relation :
ils permettent potentiellement d’en sortir, ce qui nous éloigne une nouvelle fois de la
logique fondatrice des relations conceptualisées par Mauss. Plus concrètement, si
l’entreprise « prend » les dons, elle propose et organise en revanche des alternatives
à son engagement envers son personnel. C’est donc vers une relation toujours plus
contractuelle qu’elle l’amène et qui, nous semble-t-il, a pour caractéristique
essentielle de faire entrer un tiers dans la relation. Ce tiers correspond à la prochaine
entreprise qui emploiera et bénéficiera du bagage, des compétences acquises et en
partie alimentées par l’entreprise qui emploie actuellement le salarié, futur candidat
à un recrutement externe.
Du don/contre-don à deux, à la contractualisation à trois. L’arrivée d’un tiers
extérieur à la relation salariale.
En d’autres termes, l’entreprise aidée et soutenue dans sa démarche s’inscrit
dans une logique d’externalisation du lien. Ce faisant, elle partage globalement et
aux côtés des autres entreprises la responsabilité de la valeur des salariés sur le
marché du travail. A travers ce mécanisme d’ouverture et de sensibilisation du
salarié à la mobilité, elle se fait médiatrice, elle ouvre la relation vers l’extérieur en
mettant en place une relation non plus à deux (relation duale, elle et son salarié),
mais à trois (elle, le salarié, l’entreprise qui emploiera après elle son salarié), où le
troisième profite finalement de dons dépersonnalisés, que l’on pourraient qualifiés
de dons universels, à toutes mains, destinés à la société, au marché du travail d’une
manière plus générale. En bonne mère, elle habille le salarié pour qu’il puisse être
libre d’un ailleurs, mais dans le même temps le rêve impliqué. Les contradictions et
les paradoxes ne sont plus cachés.
Si l’on constate effectivement à l’instar d’Alter (2009), une interdiction de
donner et un refus de recevoir dans nombre d’entreprises, assimilables à une volonté
de sortir du don, il nous semble cependant que la dynamique qui s’exerce dans les
nouvelles relations d’emploi peut également se lire de cette autre façon. Elle n’a
certes plus la symbolique qui la caractérisait car : elle s’affiche officiellement
contractuelle, mais surtout elle est désormais ouverte vers l’extérieur et fait
intervenir un tiers anonyme. Ce tiers invisible et potentiel, figure presque
fantomatique, mythique, lié à la nouvelle « convention » ambiante, induit une
désolidarisation du lien soudé et en place, une reconstruction de l’espace social
relationnel où les règles sont floues, les cadres incertains, les traditions à construire
et inventer. Cette spécificité peut être lue comme une volonté de se départir d’un lien
social qui peut être vécu comme culpabilisant par l’entreprise (malgré ses efforts,
elle ne peut maintenir tous ses effectifs), engageant du point de vue du discours
qu’elle a pu tenir à son salarié (promesses non satisfaites) et finalement coûteux.
Pour autant, la question essentielle reste la suivante : Le salarié peut-il pour autant
accepter un tel pacte social ? La violence médiatisée des salariés, comme les
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
66
déceptions ambiantes semblent rigoureusement témoigner du contraire. Tout le
monde a-t-il la possibilité de tenir la distance d’un tel discours d’éloignement, de
rupture du lien ? Un tel arrangement ne peut fonctionner que dans une structure
sociale où ces règles sont institutionnalisées, partagées et acceptées. La souffrance
actuelle des salariés de France Télécom parle manifestement d’un refus
d’institutionnalisation d’un tel pacte au nom du lien social et de sa protection. Elle
traduit la volonté de maintenir la relation sur le mode sur lequel elle s’est
initialement construite. L’entreprise qui change les règles est alors perçue comme un
ennemi, un traitre, elle ne joue plus le jeu de la relation, revient sur ce qui était
entendu : « Moi je suis rentré ici chez X, j’ai signé là dedans, j’ai signé pour ça, pas
pour être vendeur Darty, je suis rentré dans le Service Public. » On lui reproche son
amnésie, sa capacité à faire abstraction de l’état des dettes, de « la chaîne des dons »
(Pihel, 2006) qui s’est alimentée au fur et à mesure du temps, c'est-à-dire de tout ce
que l’on a donné, reçu et de ce que l’on attend désormais : « T’arrives à 50 ans t’as
donné, t’es sérieux en plus, moi j’ai jamais été malade et manqué le travail. T’as un
travail, des enfants, qu’on nous laisse maintenant ! ». L’individu déçu, floué la
convoque dans une « obligation de rendre » : « ils ont ce sentiment de dû, je ne sais
pas d’où ça vient, ils ont un travail, ils me disent « l’entreprise me doit » » (un
manager). Le salarié souhaite voir se pérenniser au nom de ce qui a déjà été donné,
un modèle, une logique, que l’entreprise met en cause, occulte souvent par
ignorance ou pressée par l’urgence. Il est alors possible de voir apparaître des
comportements de rationalisation, de radicalisation de la part de salariés qui
demandent alors à l’entreprise de payer l’addition des dons qu’elle n’a pas mesurés.
L’individu exprime alors ce que nous appellerons un « désir de prendre », qui se
traduit par des attitudes qui visent à l’intérieur de la relation à se dédommager de ce
qui n’a pas été rendu, à récupérer son don, à récupérer la dette : « je prends ce que je
peux », « c’est ça de pris … ils voient ça comme ça maintenant ». Le salarié se
désengage de l’intérieur, il ne souhaite plus « faire plus » et laisser le travail
« déborder » : « Maintenant je n’arrive plus jamais avant l’heure, j’arrive à l’heure,
quand le soir c’est l’heure je ferme l’ordinateur et je pars directement ». Il
rationnalise sa présence, relativise son investissement: maintenant « moi je vous
avouerais que moi la seule chose qui me stresse vraiment c’est le fait qu’on ferme le
site trop tôt avant que j’ai réussi à répondre à mes petites questions personnelles, le
jour où ça sera clair dans ma tête….je partirai ».
La formule du « se donner mais pas trop » pour échapper à l’ingratitude,
est-elle compatible avec l’idée de Mauss selon laquelle « il n’y a pas de milieu (…)
on se donne ou l’on se défie entièrement » ? La difficulté d’institutionnaliser ce
nouveau pacte semble liée à la différence de répertoire, ou plus précisément à
l’absence de répertoire commun sur le sens et la valeur de l’échange, comme de la
relation à l’entreprise. On en vient alors à un « je te dois, tu me dois, nous nous
devons », mais que « nous devons nous aujourd’hui » ? L’attitude des salariés est
souvent ambigüe parfois en prise à du déchirement et des fantasmes, entre une
volonté de continuer à donner, tout en sachant vains les espoirs de recevoir à
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
67
nouveau. L’entreprise ne peut procéder par décret de sens, au risque d’essuyer un
« si j’avais su ! » qui symbolise l’envie d’effacer, de revenir sur les dons faits et
réalisés.
Le chantier d’un nouveau pacte social. La pérennité de la logique du don
muselée et à l’épreuve.
La nature de l’implication quotidienne requis par l’entreprise, reste bien
ambivalente. Elle veut que l’individu s’implique, donne de sa personne et dans le
même temps elle met en scène l’ouverture aux autres relations d’emploi. Si
l’entreprise ne souhaite plus recevoir, il demeure qu’elle « prend » et parce qu’elle
prend, elle génère chez le salarié un désir et une volonté de retour, envoyant ainsi le
signal que le jeu continue. Ce qui pose difficultés ce sont les aspirations et le sens
que chacun y met. Celui de l’entreprise attachée à contractualiser la relation est
amené à se heurter à celui du salarié qui peut refuser ce discours, ne pas le
comprendre, ne pas l’admettre, ne pas le trouver légitime. Le temps risque alors
d’invalider les espoirs : ce qui est attendu n’arrive pas, et ce non retour peut-être
compris et lu comme du « mépris » (Alter, 2009). Les pratiques des entreprises
semblent appeler la fin des logiques traditionnelles d’engagement dans la relation
d’emploi au regard de ce qu’elles induisent, elles signent en quelque sorte une sorte
d’éviction de la dynamique du don/contre-don, un évincement collatéral, soutenu par
un nouveau contexte qui amène à penser la relation tissée entre le salarié et une
entreprise, comme une parmi les nombreuses autres qu’il connaîtra. L’arrivée dans
la relation, ou l’allégorie de l’entreprise tierce qui emploiera, comme l’image du
salarié résilient pose la question de leur acceptation par le salarié qui s’est lié dans
une logique de don/contre-don et que l’entreprise ne parvient pas ou plus à maîtriser
dans ses réactions. Les restructurations nous parlent de cela, lorsqu’elles
surviennent : le salarié estime donner en faisant des efforts de reconversion interne
(formation, mobilité géographique, etc.) et l’entreprise estime également donner en
sauvant l’emploi, celle-ci en rappelle alors aux fondements, à la base du contrat de
travail. Dans ces contextes, l’individu peut en venir à réclamer son « dû », il juge
que l’entreprise a envers lui une dette, une dette qui n’apparaît pas dans les comptes
de l’entreprise et qu’elle peine à mesurer, voire tout simplement à comprendre, ce
sentiment de dû dont on ne parvient pas à comprendre l’origine (infra.) L’écart de
sens entre ce qui est donné et reçu signe une autre impasse du don. Donner suppose
lorsque l’on est en relation avec l’autre, que cet autre contre-donne. Pour autant, si le
don fait n’est pas mesuré, ni même apprécié, mémorisé, alors le contre-don tarde
logiquement à venir et l’on attend en vain. Il est espéré alors que l’autre n’a pas en
projet de le réaliser. Dans ce cas, les attentes ne sont pas satisfaites, pire cet autre
refuse le geste, le nie, le rejette symboliquement, voire le méprise. Chacun évolue
alors dans sa sphère et la séparation s’accroît, grandit. La colère des salariés
exprimée autour de l’idée de trahison nous semble bien parler de cela, d’une relation
au sein de laquelle l’autre ne joue pas ou plus le jeu.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
68
CONCLUSION
Si la pertinence du paradigme du don/contre-don n’est pas chose aisée à
faire admettre en management longtemps vue comme la discipline des
comptables/gestionnaires, des comptes en « T » (ou des « contentés » ?), le
désenchantement et le déchirement qui s’expriment chez les salariés aujourd’hui,
comme l’échec de certaines pratiques de management l’invitent à faire chemin.
Le contexte actuel des relations salariales donne la préférence à des relations
construites sur un mode contractuel qui propose de penser sa carrière, comme sa
relation à l’entreprise à travers l’idée de stratégie et de calcul à toutes fins utiles qui
l’éloignent de la symbolique et de l’esprit du don. Le salarié peut alors être tenté par
le désir de prendre. Dans le même temps, l’entreprise, le management paraissent
entretenir un discours ambivalent autour de ce qu’il faut donner et ne pas donner,
entre l’implication à perte de soi et l’appel à se protéger des retournements de
conjoncture qui génèrent la mort précipitée de la relation d’emploi et du lien social.
Certains pourraient alors parler d’injonctions paradoxales, mais il est aussi et surtout
inévitable de parler de divergence de sens autour de ce que représente et incarne
l’expérience de travail, la vie au travail et la symbolique des gestes qui sont faits par
les salariés, et, une entreprise, qui souvent prise par l’urgence, manque de subtilité
dans son discours, comme de doigté dans ses pratiques et de mémoire sur ce qui a
été donné. Car en effet, ce n’est qu’en considérant la spécificité de son histoire et de
son milieu, en respectant la chaîne des dons (Pihel, 2006), en considérant l’individu
et l’expérience dans une perspective maussienne « totale » qu’elle pourra
comprendre et savoir ce qui pourra à nouveau être demandé et donné par le salarié et
rétablir une harmonie dans les rapports mutuels. Le désir de donner des salariés n’est
pas mort, évanoui pour certains. Mais le travail par la place qu’il occupe dans
l’identité et l’émotion, a largement été démontrée la sociologie, la psychologie, la
philosophie, il appelle à une réflexion véritable, ouverte et pluridisciplinaire sur ce
que l’on y attend, et ce qu’il met en jeu (Pihel, 2009)
Nous avons montré ici la difficulté actuelle de maintenir et voir perdurer la
dynamique du don/contre-don dans un contexte d’emploi moderne qui la met à
l’épreuve et la conduit à l’impasse. Problème de répertoire, méconnaissance,
maladresse, myopie et urgence trouvent ici une alchimie qui blessent ceux qui
donnent par sens et qui parce qu’ils l’aiment le font sans mesure et sans compter. Si
certains parviennent à s’accommoder de ce rapport moderne et rationalisé, pour
d’autres, et tout particulièrement les plus anciens de l’entreprise, la distance est plus
difficile à tenir et leurs mots expriment alors l’épaisseur de ce qui a été espéré,
attendu, rêvé, investi voire fantasmé dans la relation salariale. Le désengagement est
alors au prix d’une souffrance, voire d’un cynisme tranchant qui témoigne d’une
démarche de recul de ceux qui ont donné, pour ce qu’ils n’ont pas reçu. La théorie
du don/contre-don nous aide à saisir les « mots » et les « maux » du désengagement
(Pihel, 2009) qui apparaissent comme la part « maudite » (ou mots-dits) de la
relation salariale. Faire évoluer les pratiques de management qui méconnaissent le
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
69
champ du don, à un coût, celui du pari du lien social et de la croyance en « la
productivité du lien social » (Fustier, 2000).
ANNEXE
Les analyses livrées dans cette communication s’appuie sur des enquêtes de
terrain menées entre 2003 et 2009. L’entreprise TNC (voir tableau ci-dessous) a fait
l’objet d’une étude ethnographique de 15 mois dans le cadre d’une recherche
doctorale (96 entretiens au total avec manager et salariés non cadres). Elle a été a
nouveau étudiée entre 2006 et 2008 par un collectif de chercheurs. Les enquêtes
réalisées sur les 3 structures entre 2006 et 2009 reposent sur des séances
d’observation, questionnaires et sur 85 entretiens conduits avec le management, des
employés cadres (manager de proximité, soutien opérationnel, cadre fonctionnel) et
non cadres. Ces trois structures ont vécu et vivent actuellement des restructurations
et sont liées avec leur personnel par une relation d’emploi durable (en moyenne 80%
des emplois). Les changements internes ont occasionné des changements profonds
de la relation salariale et des implications en matière de santé des personnels.
Caractéristique des entreprises
Taille de
l’entreprise
Secteur
Localisation
géographique
Travis
P.E.
Etudes marketing
France
TNC
G.E. d’envergure
internationale
Télécommunications
France
Philias
G.E. d’envergure nationale
Banque
France
La réflexion s’appuie également sur des échanges menés avec des DRH dans le
cadre de formation (14 DRH tout secteur confondu, pendant 6h00) et de conférences
à destination des professionnels de la RH animées (3) autour de la dynamique du
don/contre-don dans les relations salariales sur la période 2009-2010.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
70
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
72
RESTRUCTURER L’ENTREPRISE
Analyse polysémique des enjeux pour les salariés
amenés à vivre les transformations.
Maryse DUBOULOY31 & Laetitia PIHEL32
Cette communication se propose
d’aller au cœur du vécu des
restructurations internes dans ce qu’elles
induisent pour les salariés amenés à rester
dans l’entreprise et vivre les réformes
décidées par la direction (transformation
des valeurs, du travail, du management,
etc.). Plus concrètement et s’appuyant sur
une démarche clinique, elle s’intéresse à
la dimension symbolique de l’échange
salarial, au lien tissé entre l’individu et l’organisation au cours du temps. Elle
analyse les implications sur la relation salarié/entreprise de la transformation de
l’espace d’échange à partir des théories anthropologiques du don et des théories
psychanalytiques de l’espace transitionnel, du narcissisme et du deuil. Cette
ouverture théorique et disciplinaire permet alors une analyse des maux des salariés
en révélant le sens profond de leurs discours, de ce qui se joue dans l’échange et de
31
32
Professeure Associée, ESSEC / Cergy Pontoise, Professeur Associé Groupe ESSEC, département
Management, Doctorat Dauphine en Psychosociologie, Doctorat HEC, DESS en psychopathologie, ESC
Reims, Psychosociologue, ses recherches et interventions portent sur les conséquences du changement
pour les personnes et l’organisation, et la mise en place de dispositifs individuels et collectifs
d’accompagnement de ces situations. L’autre domaine de recherche est le management des hauts
potentiels. Elle travaille comme consultante au sein du Réseau Pluridis http://www.reseau-pluridis.com/
Elle est également coach et psychanalyste/psychothérapeute.
http://www45.essec.fr/professorsCV/showCV.do?keyUrl=maryse-dubouloy#, dubouloy@essec.fr
Maître de Conférences en management des ressources humaines à l'IEMN-IAE de Nantes (Université de
Nantes), membre du LEMNA (Laboratoire d'Economie et de Management de Nantes-Atlantique) et du
GRT Carrière de l'AGRH. Elle est l'auteure d'une thèse centrée sur l'implication dans la relation d'emploi
étudiée à partir du paradigme maussien du don/contre-don(2006). Ses travaux portent sur la relation
d'emploi, l'implication, les restructurations, mais aussi la santé dans le secteur des services. 2010,
«Management à distance et santé au travail : quels impacts de l’éloignement et de la méconnaissance du
travail réel ». Revue Gérer & Comprendre, Annales de l’Ecole des Mines de Paris (à paraître, décembre).
Co-auteur : C. Clergeau. « La relation salariale moderne. La dynamique du don/contre-don à l’épreuve et
dans l’impasse ». Revue du Mauss Semestrielle, 1er semestre, n°35, 194-214. « Les métiers des centres
d'appels : des difficultés aux fonctions et choix managériaux de demain. ». Ouvrage : « Management et
métier : visions d'experts », Editions EMS, pp.347-361. Co-auteurs : C. Clergeau et A. Bénion. 2008 :
«L'emploi durable, une relation de type don/contre-don. De la validation aux enseignements d'un
paradigme. ». Relations Industrielle/Industrial Relations, vol.63, pp. 502-526.
Laetitia.Pihel@univ-nantes.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
73
ce qui ne se joue plus lorsque l’entreprise change les règles. Elle appelle par ses
résultats et son positionnement à repenser les outils traditionnels du management du
changement en présentant des enjeux voilés qui s’ils ne sont pas saisis gênent la
réussite et le succès à venir de l’organisation.
Quiconque traverse aujourd’hui une entreprise, entend parler de
réorganisation, de restructuration. Le principe jouit d’une forme de supériorité
idéologique, qui selon Dupuy (2004), renvoie à l’idée selon laquelle « le nouveau est
meilleur que ce qui était ». Pour progresser, il faudrait faire évoluer la structure, la
réformer, telle serait la convention moderne partagée.
Cette approche enthousiaste et « positive » de l’avenir, qui donne le ton du
discours managérial, ne trouve pas l’écho nécessaire chez les salariés qui vivent ces
transformations et sur qui repose, in fine, la réussite des démarches engagées par
l’entreprise. Force est de constater que les réactions ne sont pas toujours conformes
aux attentes, et peuvent même s’avérer violentes : séquestrations, menaces de
destruction de l’outil de production en sont les flagrantes illustrations en France. Le
management parle alors de « résistance », de « mauvaise volonté », « d’un repli »
sur le passé cristallisé autour du sempiternel « C’était mieux avant ! », « Y’en a
marre de toujours donner », « Toujours les mêmes qui trinquent »…
Il serait aisé de s’en tenir à ces constats et de conclure à la fatalité. Nous
pensons au contraire, que ces comportements sont moins à comprendre comme des
rejets de principe que comme la preuve manifeste que les parties en présence vivent
une situation qui ne répond visiblement pas aux mêmes enjeux. Ce que l’on constate
ce sont des écarts de sens, des décalages, une incompréhension entre ceux qui
décident et ceux qui vivent le changement, des discours qui sonnent différemment
(l’enchantement pour les uns, et, la peur, le désappointement pour les autres), des
langages qui peinent à trouver un répertoire commun. Chez les salariés c’est aussi
dans ces périodes qu’on peut observer des troubles de la santé (souffrance,
dépressions, etc.), du désengagement…
Notre propos n’est de crier à la hâte à la surdité de l’entreprise face à la
souffrance des hommes quant à des mesures qu’elle prend souvent dans l’urgence.
Cependant, nous soutenons que souvent pressée par les objectifs ou les exigences à
court terme, l’entreprise propose un accompagnement des personnes insuffisant.
Selon nous, cette approche est liée à des raisonnements tronqués qui la conduisent à
se fourvoyer dans l’idée que le projet remportera, par nécessité, l’adhésion de tous.
Le recours aux démarches de recherche et théories classiques, telles que celles du
contrat psychologique ou la résistance au changement, généralement mobilisées sur
ces sujets nous semblait présenter les mêmes risques d’approche réductrice de la
complexité des situations. Celles-ci ne permettent que rarement de comprendre
l’incompréhensible, de donner du sens aux écarts de sens, de pénétrer les mots de la
souffrance. Nous avons donc mobiliser une approche clinique qui donne la parole à
ceux qui sont parfois obligés de passer à l’acte pour se faire entendre. Dans cette
communication, nous proposons de livrer une compréhension du vécu des salariés
amenés à vivre les réformes organisationnelles. Celle-ci s’inscrit dans une démarche
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
74
singulière qui consiste à élargir les références de l’analyse à l’anthropologie, la
sociologie et la psychanalyse.
A la base de notre raisonnement repose l’idée, qu’une restructuration doit
être comprise comme un phénomène impliquant une double dynamique. Une
restructuration est avant tout : « une déstructuration, c'est-à-dire l’abandon d’une
manière de fonctionner, de travailler, de vivre ensemble au profit d’une nouvelle »
(Dubouloy et Fabre, 2002). En ce sens, une restructuration tend à désigner un
ensemble de mesures dont la particularité est d’introduire une rupture entre le passé
et l’avenir. Elle suppose dans un premier temps de désinstaller tout ou partie d’un
modèle de références associées à un espace social, au profit, dans un second temps,
de l’introduction d’un nouveau mode de régulation. Par conséquent, une
restructuration implique de perdre, de renoncer, de faire le deuil d’un métier, de
valeurs, de collègues, etc. Il s’agit de défaire des liens pour en tisser de nouveaux.
L’enjeu est d’importance car le risque est celui de la déstructuration, voire de la
destruction sans restructuration ultérieure possible.
Nous présenterons ici notre réflexion selon une orientation cohérente au regard de la
démarche de terrain qui a été entreprise et de la démarche clinique. Notre
développement débute par un énoncé des spécificités du terrain à partir desquelles
les choix théoriques et méthodologiques se sont construits. Il propose dans un
second temps, un exposé de la théorie anthropologique du don et des théories
psychanalytiques de l’espace transitionnel, du narcissisme et du deuil, qui ont été au
centre de la réflexion dans l’analyse des processus et dynamiques en jeu pour les
personnels amenés à vivre les réformes organisationnelles internes. Enfin, nous
concluons par des recommandations sur l’accompagnement de ces personnes et sur
les outils du management des restructurations.
APPROCHE ANTHROPOLOGIQUE DES RESTRUCTURATIONS. LA THÉORIE DU
DON/CONTRE-DON COMME GRILLE DE LECTURE ET D’ANALYSE.
IOZNEK : un contexte de restructurations. Problématique et paradoxes d’un
terrain.
La recherche de terrain s’est déroulée au sein de l’entreprise OZNEK. Cette
entreprise aujourd’hui d’envergure internationale est une ancienne entreprise de
service public privatisée à la fin des années 1990 sous l’impulsion d’une
transformation majeure de son marché et de son secteur. Pour accompagner ces
mutations, OZNEK a enclenché un programme de profondes restructurations
internes. L’entreprise a progressivement abandonné son cœur de métier technique au
profit d’une activité essentiellement commerciale. Ce sont alors ses métiers,
l’organisation des carrières, autant que ses valeurs et le sens donné au travail qui ont
été redéfinis. Les restructurations dans cette entreprise sont on ne peut plus actuelles
et se font surtout plus denses, plus fréquentes et plus rapides pour s’adapter à un
marché exigeant et dynamique. Longtemps en position de suiveur, OZNEK s’efforce
aujourd'hui d’anticiper les innovations incessantes.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
75
La singularité essentielle de OZNEK tient à ce que, la succession des
transformations organisationnelles, a touché la totalité d’une population avec
laquelle elle avait fait le choix jadis de s’engager durablement : des fonctionnaires
entrés pour faire carrière dans l’Administration et auxquels OZNEK reste liée par
une relation d’emploi à vie. Un autre aspect distinctif de cette entreprise est qu’elle
s’est engagée (elle a respecté son engagement) à ne licencier aucune personne
fonctionnaire ou contractuelle. Les transitions professionnelles et les ruptures de
carrière sont brutales, elles sont aussi la conséquence d’une gestion des personnes
carencée par un passé d’Administration, laquelle n’avait pas pensé et anticipé un tel
développement de son activité. On s’en tenait à l’époque à une logique de flux, un
nouveau besoin exprimé par la population appelait à l’ouverture d’un nouveau
service et à des changements de poste pour les agents. Le coup par coup comme
l’essor technologique ont marqué les carrières, ils ont aussi offerts des opportunités
dans une Administration où tous les métiers étaient possibles, la croissance
euphorique, le respect des symboles et des valeurs porté par un avenir qui
apparaissait assuré et prometteur.
Le personnel se trouve désormais contraint de migrer, sans critère
discriminant de compétences et de trajectoires, vers des activités qui sont
aujourd’hui situées au cœur de l’activité commerciale de OZNEK, comme les
centres de relation client par téléphone, terrains de notre recherche. Si les mobilités
soudaines et les reconversions brutales ne constituent pas une nouveauté en interne,
elles s’inscrivent désormais dans des logiques et un environnement en rupture
franche avec l’espace professionnel qui a servi la socialisation initiale des agents
OZNEK.
Aussi compte tenu de ces changements subis et décidés unilatéralement par
l’entreprise OZNEK, les conditions semblaient réunies pour que l’engagement des
acteurs se dégrade. Or étonnement, il n’en n’était rien … Les travaux très en vogue
sur le contrat psychologique nous enseignent qu’une rupture des conditions initiales
du pacte social conclu entre l’entreprise et le salarié, induit irrémédiablement des
comportements de sortie de relation (Delobbe et al., 2005) : désinvestissement dans
le travail, perte de loyauté, altération de l’attachement envers l’entreprise,
démission, etc. Les comportements observés chez OZNEK nous sont alors apparus
comme très « étranges » au regard des théories managériales actuelles. Par
« comportements étranges », nous signifions des comportements qui pourraient être
taxés « d’irrationnels ». En effet, l’idée largement admise et qui tant à perdurer dans
le courant managérial actuel, consiste à comprendre les comportements
organisationnels comme étant nécessairement et automatiquement intéressés. Le
« donnant-donnant » (ou gagnant-gagnant !) repris à satiété dans la communication
interne rejoint le principe du « je te donne tant et parce que tu me donnes au-delà
point de salut ! ». Mais qu’en est-il des comportements altruistes, spontanés de don
dans l’entreprise, qui la font vivre au quotidien (Alter, 2009 ; Pihel, 2010) ? Les
théories managériales contemporaines nous éclairent peu sur ces points. Le donnantdonnant (ou gagnant-gagnant !) retient une symétrie parfaite et immédiate entre la
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
76
satisfaction de l’intérêt du salarié et son comportement. Et c’est aussi là que le bât
blesse … Il est des situations, en témoigne le cas de l’entreprise OZNEK, où quand
bien même l’entreprise revient sur ses engagements, le salarié perdure dans le sien
… Les points suivants ont été relevés sur le terrain:
Alors qu’il était possible d’envisager une démotivation des personnels… Les
scores de performance et de qualité de service des centres d’appels étudiés
figuraient parmi les plus élevés du Groupe,
Là où l’entreprise s’attendait à des départs suscités par les changements de
métiers, de valeurs, de culture, elle faisait le constat que les agents restaient. Là
où elle imaginait qu’ils allaient « saisir des opportunités » de mobilité, elle
constatait qu’ils ne nourrissaient pas de projet concret d’évolution interne ou
externe. Les agents souhaitaient rester dans l’entreprise et garder leur poste
actuel quand bien même ils avaient été contraints de les prendre.
Là où elle répétait inlassablement l’orientation commerciale et la nécessité
d’adopter de nouveaux comportements, les personnes continuaient de
revendiquer les valeurs d’intérêt général et de service public. La conscience
professionnelle comme l’engagement dans une qualité de service qu’ils s’étaient
engagés à fournir initialement constituaient le socle des conduites et les
principaux référents de l’action. L’attachement au passé, dénoncé comme
négatif dans les discours sur les réorganisations, alimentait ici et au contraire
une performance pérennisée.
Notre enquête de terrain s’est établie sur 15 mois et a porté sur une population de
fonctionnaires (annexe, tableau 1). La singularité des éléments relevés ont justifié
une étude longue fondée sur l’immersion, soit une démarche qui nous apparaissait à
même de comprendre les raisons de ces « comportements étranges », leur
complexité et leur enchevêtrement. Très tôt, les observations conduites sur le terrain
nous sont apparues liées par deux dimensions fortes et entrelacées :
Premièrement, la pérennité de l’engagement semblait soutenue par un ensemble
d’éléments mêlés: un ancrage identitaire prononcé, un attachement affectif fort à
l’entreprise, une dépendance sociale à l’organisation, etc.
Deuxièmement, ces éléments et leur signification, apparaissaient inséparables de
l’histoire de la relation d’emploi qui unissait les acteurs à l’entreprise OZNEK, à
ce qu’ils avaient mis en jeu dans cette relation, à ce qu’elle représentait pour eux.
Les insuffisances de la littérature managériale actuelle nous ont conduits à
rechercher des théories à même de pénétrer la complexité et d’investir un sujet : la
pérennité de l’engagement dans un contexte de rupture du pacte social, jusqu’alors
déserté. Le paradigme du « don/contre-don » (ou phénomène social total) initié par
Marcel Mauss (2003) inscrit dans une optique de compréhension globale de
l’engagement dans des relations d’échange établies dans la durée, est apparu comme
le plus pertinent.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
77
Le paradigme du don/contre-don : une approche théorique, des implications
méthodologiques.
Mauss dans son Essai sur le Don, s’est intéressé aux relations d’échange
établies dans le temps qui admettent, dans leur régulation, des déséquilibres et des
décalages temporels entre ce qui est donné (le don) et ce qui rendu (le contre-don),
sans pour cela mettre en péril l’engagement des parties prenantes. Mauss établit que
toute relation d’échange durable est à l’origine de la création d’un lien, qui dépasse
le seul registre de l’utilitaire, pour mettre au travail des considérations d’ordre
social, symbolique, moral, économique, culturel, affectif, juridique, relationnel, ou
encore identitaire.
Ces relations à long terme, dites de « don et contre-don » sont à
comprendre comme des alliances singulières qui les éloignent des raisonnements
classiques en matière d’échange en donnant priorité au lien social. Ici, l’échange est
compris comme un « tout » inextricable et multidimensionnel, que Mauss qualifie de
« phénomène social total ». Ce dernier pose que l’échange se construit, non pas sur
une double dimension : donner et recevoir, mais bien sur une triple dimension :
donner, recevoir puis rendre, où l’action de recevoir implique que l’on accepte
d’entrer dans le jeu de la relation et de le respecter en rendant de façon différée. Ce
paradigme pose également que chaque relation entretient et alimente un système
d’endettement réciproque continu dans le temps (dons et contre-dons), que nous
avons qualifié de « chaîne des dons » (Pihel, 2006). (Schéma n°1). La chaîne des
dons renvoie à ce qui a été donné et reçu dans la relation d’échange. Elle repose sur
une approche historique et globale de la relation incluant les implications
professionnelles mais aussi personnelles et familiales du lien d’emploi.
Schéma n°1 : Le cycle triadique de l’échange durable : donner, recevoir, rendre
Le donataire (débiteur)
….
DON
Endettement
Recevoir (2)
Donner (1)
…
Rendre (3) CONTRE-DON
…….
Etc.
Temps
L’individu investi dans une telle relation est pour les auteurs un « être
total », capable de calculs et de stratégies certes, mais aussi intéressé par la vie de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
78
l’échange en tant qu’il dispose non seulement d’une existence sociale et affective
portée et mise en mouvement par le désir. L’engagement est ici entendu dans une
perspective élargie. Appliquée à l’entreprise, cette conception impose de considérer
que l’acteur impliqué dans un espace d’échange, investit l’ensemble de ce que celuici met en jeu : un système constitué de valeurs, un travail, une organisation, une
carrière, des symboles, des repères identitaires, des normes de conduite, des dons et
contre-dons spécifiques, des relations, et qu’il déploie dans le même temps des
représentations de la « réalité, des fantasmes et des désirs. Restructurer passe alors
par une évolution de son identité, de ses comportements, par une émancipation, un
détachement de l’espace qui disparaît.
Selon la théorie maussienne, comprendre l’identité des acteurs et le sens
des conduites inscrites dans ce type de relation, implique d’analyser le milieu, de
pénétrer sa « conscience » (Mauss, 2003), c'est-à-dire ses règles, ses traditions, son
histoire, ses codes, les comportements admis et tolérés, ceux sanctionnés, la
physionomie singulière de sa chaîne des dons. Saisir cette conscience, impose
d’enquêter de façon profonde, fouillée et durable l’espace d’échange considéré
comme Mauss l’a fait dans le cadre de ses enquêtes. Le paradigme du don constitue
un cadre théorique à forte valeur heuristique. Dans cette optique nous avons
construit une démarche d’analyse du terrain à même de saisir ces logiques. Cette
démarche d’imprégnation visait à s’emparer du substrat de l’espace d’échange et
s’est appuyée sur plusieurs piliers conjoints : l’observation in situ des situations de
travail, la conduite d’entretiens semi-directifs et l’analyse de la documentation
interne enrichie de lectures sur l’histoire de l’entreprise (annexe, tableau 2).
Les analyses réalisées sur le terrain ont conduit à travailler l’histoire de
OZNEK et la spécificité de la chaîne des dons qui liaient les salariés à leur
entreprise. OZNEK est marquée par la grammaire de l’emploi public. De par son
passé, elle porte le sceau des valeurs emblématiques (égalité, impartialité, intégrité,
dignité, etc.) et de règles (égalité de traitement, entrée par concours, employabilité
interne adossée au grade, etc.) qui conditionnent les carrières et la relation à
l’organisation. Ainsi, le jeune agent recruté devait prêter le serment officiel de
« remplir avec conscience les missions qui lui seront confiées » (Extrait du serment
officiel) en raison de l’épaisseur idéologique (intérêt général, bon fonctionnement du
Service Public) de sa mission. Sa situation professionnelle pouvait être modifiée et
redéfinie unilatéralement. En contrepartie, l’Administration de l’époque garantissait
l’emploi et un traitement à vie et l’assurance, via le passage d’épreuves de concours,
d’une progression hiérarchique linéaire et ascendante.
La singularité de cet engagement tient au fait qu’il accorde un intérêt
prioritaire au sens de la mission et aux symboles. On entre pour servir l’intérêt
général, le métier importe alors moins que le sens qui les pénètre tous au sein d’un
espace dédié à une cause commune. Ainsi la jeune recrue, exception faite de certains
concours spécifiques était affectée autoritairement sur des postes réservés et associés
à une division sociale des emplois (Alter, 2000). Dans l’immense majorité des cas,
les premières affectations des agents provinciaux se sont faites sur des postes situés
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
79
en région parisienne, impliquant ainsi et d’emblée une mobilité géographique et un
passage de quelques semaines au sein des foyers d’hébergement de l’entreprise, le
« purgatoire parisien » selon la formule consacrée de Reynaud (1997). Le « retour
au pays » (Alter, 2000), (en province), largement recherché par les agents, ne
pouvait avoir lieu que quelques années plus tard, selon le respect scrupuleux d’un
principe ordonné dit de « file d’attente ».
L’échange social est ici marqué par un investissement « total » et à long
terme qui marque la confusion de l’espace professionnel, familial (« la maison
OZNEK »), domestique et privé. L’entrée au sein de la « maison OZNEK » appelait,
dans un premier temps, les agents à une forte contribution contre une rétribution
faible (Alter, 2000). L’agent accepte alors les contraintes professionnelles et
géographiques associées aux premières années de vie dans la structure qui participe
d’une mise en retrait des projets personnels : construction d’une maison,
établissement dans un lieu géographique déterminé notamment. Cet effort consenti
offrait d’être récompensé ou rattrapé de façon différée (Schéma n°2). Il s’agissait
alors de « manger son pain noir », de « faire son trou » et l’entreprise rendrait plus
tard. Ce système était fondé sur la confiance dans une structure en plein essor qui
laissait alors et dans l’imaginaire la place à tous les espoirs. Il peut être opportun de
rappeler que pour l’inconscient le temps n’existe pas. Passé et avenir se décline au
présent. Tout porte à croire d’autre part que pour ces agents, les liens qui se sont
noués avec l’entreprise auraient à voir avec les liens indéfectibles qui relient les
membres d’une même famille : quels que soient les circonstances, les accidents de
parcours l’enfant restent toujours un enfant même devenu adulte et de la même
façon un parent reste toujours un parent.
Schéma n°2 : Schéma de la trajectoire des dons au moment de l’entrée chez OZNEK
Agent
Vie en foyer entreprise/ déracinement
Dons
Affectation autoritaire
Accepter que l'investissement
dans le 1er poste soit rendu "inexploitable"
Travail peu avantageux
Rémunération faible
Temps
Recrutement
Retour au pays
Accès à une gamme plus riche de
métiers
Contre- dons
Croissance assurée du
traitement
Les transformations successives du système social et les multiples
réorganisations ont inauguré une version substantiellement revisitée des termes de
l’échange. La sécurité de l’emploi, contrepartie « passive » ou acquise, fait figure
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
80
d’objet de négociation. Elle est réactivée sous le joug des circonstances et
communiquée au personnel comme une base de la nouvelle entente. En échange
d’efforts souscrits par la Direction en termes de maintien et garantie d’emploi,
l’individu doit s’adapter à l’actuelle carte des métiers. Il doit « s’approprier la
vocation commerciale » et penser sa carrière, son employabilité au sein d’un marché
interne chahuté et instable, quand ces considérations étaient, jusqu’alors prises en
charge par la structure lorsqu’elle était solide et sécurisante. Ainsi, l’entreprise invite
aujourd’hui ses agents à devenir « acteur » de leur évolution professionnelle en
offrant divers dispositifs d’incitation à la mobilité. L’entreprise pose qu’il s’agit
désormais et pour chacun « de penser son parcours de manière plus large que par le
passé en envisageant toutes les opportunités possibles : exercer un autre métier dans
sa région ou bien le même ailleurs,…, créer une entreprise ou opter pour une autre
entreprise, passer d’une filière à une autre…, se spécialiser dans un domaine
particulier, choisir une mobilité vers La Fonction Publique… » (Extrait d’un journal
interne).Le programme offert s’avère substantiellement différent, l’entreprise
propose de nouvelles règles, un nouveau socle relationnel. La théorie
psychanalytique permet de comprendre que ceci peut être vécu de façon
complètement paradoxale si « cet échange » est présenté comme une injonction et
non comme une négociation où chaque agent personnellement est alors partie
prenante. D’un côté on leur demande de « régresser » du côté de la passivité, de la
prise en charge, et simultanément il leur est proposé de devenir plus autonomes et de
faire fasse à la « réalité », c'est-à-dire au point de vue de l’entreprise. Nous verrons
plus loin que la théorie de Winnicott à propos de l’espace transitionnel et du rôle
tout particulier que la mère y occupe permet de comprendre d’une autre façon –
complémentaire, ce qui se joue dans la dynamique de cette situation.
LE PARADIGME DU DON/CONTRE-DON : POUR ALLER PLUS LOIN
DANS L’ANALYSE DES RESTRUCTURATIONS.
Le concept de « phénomène social total » permet d’affiner la problématique
d’adaptation nécessaire aux nouvelles conditions de la relation en distinguant deux
dimensions : celle de l’acceptation sociale d’un changement des règles et celle de la
re-socialisation des individus, c'est-à-dire de l’appropriation des termes
nouvellement introduits.
En effet, la restructuration vient mettre fin à un ou plusieurs éléments du
système social (valeur, règles, soutien social, etc.). Par ses réformes, l’entreprise
vient modifier en cours de partie le pacte social bâti, interrompre l’ordre et le rythme
de l’échange construit, bouleverser la chaîne des dons, et contraint le salarié à
accepter que certains de ses projets soient rendus sans objet de par les mouvements
(stabilité, sédentarité, etc.). Au-delà des faits, ce changement vient également
bouleverser le système de représentation de soi et de l’entreprise. Ceci est d’autant
plus difficile que ces représentations, de même que la dynamique du don/contre-don
sont en grande partie inconscientes, et sont prises et traitées uniquement comme des
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
81
faits quand la part du fantasme est très présente. Cette incursion de l’entreprise pose
la question de la légitimité et de l’acceptabilité des réformes (Schéma n°3).
Schéma n°3 : Impact des restructurations sur la trajectoire de l’échange social
durable
(Phase1de la relation)
Processus de dés-institution
(Phase 2 de la relation)
et d’institution de repères
Dons
Inflexion de la dynamique Enclenchement d’un
Entrée de l’individu dans un
nouveau cycle d’échange
processus de re-négociation
critique de sa participation
Temps
Contre-dons
Restructuration
Mauss pose que les échanges don/contre-don peuvent, lorsque l’une des
parties ne joue plus le jeu, basculer de la confiance à la défiance et provoquer la
défection du partenaire qui s’estime floué. Les risques de désengagement sont alors
très élevés, et finalement proportionnels à la puissance de l’implication et de la
confiance accordées. Ils reposent sur le risque du refus –voire du déni, d’une
« nouvelle réalité » qui s’impose trop brutalement et qui devient de ce fait
inacceptable.
Chaque évolution implique que l’individu renégocie sa participation, regarde
ce qu’il a donné, reçu, en d’autres termes « établisse le bilan » de la relation.
Richebé évoque ces aspects en parlant d’une « dimension rétrospective » de la
relation d’emploi (Richebé, 2002). La personne évalue le coût des pertes
(« dimension rétrospective »), mais aussi et surtout le coût de la continuité de la
relation (« dimension prospective »). Cette dynamique d’évaluation de la perte est
essentielle au processus de deuil ainsi que nous le verrons plus loin. Car continuer la
relation, c’est entamer des deuils (culture, métier…) mais c’est aussi et surtout
redonner : apprendre un nouveau métier, faire sienne une nouvelle culture, consentir
une mobilité géographique, intégrer un nouveau rôle social et professionnel,
répondre à de nouvelles attentes en termes d’identité. Ce don fait par l’individu le
conduit aussi à nourrir de nouveaux espoirs (contre-don) envers l’entreprise,
lesquels viennent compenser les efforts réalisés. Enfin modifier l’organisation c’est
aussi projeter de nouvelles demandes à l’égard de l’individu, le placer dans un
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
82
nouveau rôle qu’il doit intégrer et habiter. En ce sens c’est vouloir faire évoluer
l’identité des acteurs inscrits à l’intérieur de l’organisation.
La question de l’identité apparaît centrale du fait de l’intrication forte qui
existe entre l’individu et le milieu. Les programmes de restructurations passent en
effet par le développement de nouvelles manières de faire, de penser, d’agir. Celui-ci
doit alors rompre avec les repères et les valeurs intériorisés et se resocialiser, c'est-àdire intégrer ceux qui désormais fondent sa reconnaissance au sein du nouvel
espace. Dans certains cas, la dynamique en jeux va au-delà de la question identitaire.
La psychanalyse nous apprend que la relation à l’autre est fondamentale pour la
construction psychique de toute personne. Comme le rappelle Widlöcher, du point
de vue psychanalytique, la relation l’autre n’est pas un style de relation ou
d’interaction avec les autres, mais un mode d’organisation fantasmatique, un type de
rapport imaginaire avec autrui, c’est-à-dire la confrontation entre une représentation
de soi et une représentation de l’autre (Widlöcher, 1997). Ces représentations font
partie intégrante de la réalité psychique des individus, elles sont constitutives de leur
personnalité. Pour être imaginaires, elles n’en ont pas moins des effets sur les
comportements réels des individus.
Ainsi le narcissisme qui se définit
traditionnellement comme « l’amour de soi » ou encore l’investissement libidinal
tourné vers sa propre personne, devient « l’intériorisation de représentations de soi
et de représentations d’autrui qui constituent des systèmes des rapports
interpersonnels » (Widlöcher, 1997, p.9). On comprend mieux alors l’effondrement
psychique, voire l’effondrement tout court que peut être une restructuration qui
s’arrête à la déstructuration.
Les travaux sur l’identité nous enseignent que la conversion identitaire n’est
pas linéaire, elle peut ne pas s’opérer (Dubar, 2000), comme donner lieu à des
tiraillements, des conflits de rôles. Le caractère crucial de ce processus tient au fait
qu’il détermine l’engagement versus le retrait de l’individu dans les nouveaux
projets conduits par l’entreprise. Cet engagement se fera d’autant plus sûrement
qu’il comporte une dimension symbolique et ne se réduit pas à une procédure vide
de sens. La possibilité d’accompagner cette transition tient à la cohérence des
pratiques développées par l’entreprise au regard des représentations forgées par
l’individu.
Lecture et compréhension des comportements « étranges » chez OZNEK
Notre travail d’enquête a consisté à dénouer les réactions jugées
« étranges », ou tout au moins contre-intuitives d’un point de vue managérial. A la
lumière de la théorie du don/contre-don, nous sommes parvenues à relier les
réactions et comportements à l’histoire de la relation investie et située socialement.
Ainsi, la recherche de stabilité des agents trouve ses origines dans les différentes
dimensions que Mauss propose pour lire et traiter l’engagement dans les relations
établies dans le temps : affectives, identitaires, sociales, relationnelles, symboliques.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
83
Les entretiens montrent que l’immobilisme des salariés de OZNEK s’enracine dans
l’intrication totale et durable avec l’espace. Il apparait comme la combinaison
d’éléments d’ordre :
Identitaire : La figure du commercial dynamique et ambitieux est envisagé comme le
« contre-modèle ». Elle est jugée incompatible avec l’éthique du service public. Il
y a antagonisme entre l’identité assumée et les identités que l’entreprise souhaite
institutionnaliser. La transition semble impossible pour les agents : « Vendeur ?
Moi ? Jamais. ». On retrouve dans ces propos la « radicalité » de l’inconscient.
Les agents ne s’identifient pas à la culture commerciale et revendiquent
quotidiennement les pratiques et valeurs du passé qui sont autant de supports
quotidiens de la pérennité de leur engagement.
Affectif : L’attachement affectif à l’entreprise est fort. Le vocabulaire mobilisé par
les agents s’inspire dans de nombreux cas des expressions utilisées pour traiter
des alliances sentimentales : « Moi j’avoue j’ai jamais, jamais, songé à quitter
OZNEK même quand ça allait mal (…) Parce que nous quand on est rentré à
OZNEK c’était pour toute notre carrière quoi, toute notre vie ! ». Les liens sont
vécus comme indéfectibles. Pour l’inconscient « amour rime avec toujours » et la
pérennité devient l’éternité. La rupture de lien prend le risque d’effondrement
narcissique. Le narcissisme de vie est devenu « narcissisme de mort » pour
reprendre l’expression de Green (1983). Par ailleurs, si les entreprises
aujourd’hui parlent volontiers d’émotions, les psychanalystes savent bien que la
dimension pulsionnelle, et l’absence de représentation est une des caractéristiques
des affects.
Social : La plupart des agents ont construit leur identité professionnelle sur le
modèle d’un patchwork, à partir de l’assemblage d’expériences variées, choisies
et subies, au gré des opportunités, au hasard des restructurations. L’identité
métier se dissout dans l’identité sociale et l’appartenance à un collectif : « J’ai
pas l’impression d’avoir un métier particulier disons que j’ai fait plusieurs
métiers au sein de OZNEK (…) ailleurs sur le marché du travail j’ai aucune
compétence (…) c’est ce que je ressens (…) si on me demandait mon métier bah
non pff je suis agent OZNEK ». Coûte que coûte, ils essaient de préserver les
espaces de sociabilité acquis ou construits « Si je suis ici c’est à cause d’elle33,
elle ne voulait pas venir toute seule, elle balisait, et puis, on était déjà l’un en face
l’autre dans notre ancien poste ». Certes ces propos signent l’étayage mutuel de
ces deux collègues, mais il peut être également tentant d’entendre une dynamique
beaucoup plus régressive du côté du narcissisme au sens où Winnicott (1971) et
Lacan (1963) affirment que c’est le regard de l’autre et plus spécifiquement le
regard de la mère qui donne son sentiment d’exister à l’enfant.
Relationnel : tout nouveau changement s’accompagnerait de nouveaux « sacrifices »
auxquels la plupart des personnes se refusent. Ils estiment qu’ils ont déjà
suffisamment « donné ». Il est désormais hors de question d’envisager de
33
En montrant une collègue.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
84
« bouger » : repartir aujourd’hui c’est vendre la maison, déraciner les enfants, se
priver d’amis... La sédentarité constitue aujourd’hui un élément fort du pacte
social. Toute évolution consisterait à réitérer les dons envers l’organisation.
L’analyse rétrospective de la chaîne des dons donne un nouvel éclairage au
leitmotiv de la résistance.
Symbolique : évoluer vers de nouvelles compétences remettrait en question une
légitimité chèrement acquise : « On a trop appris, donc qu’ils nous laissent
tranquilles maintenant un p’tit peu, on va faire ça, on va prendre des appels et
puis c’est tout. » Alors qu’on attend d’eux qu’ils deviennent plus autonomes,
entreprenants et proactifs, les modalités de mise en œuvre les poussent à des
propos -et certainement des aspirations, très régressifs. On peut se risquer à
interpréter ces propos –qui se concluent de façon quelque peu définitive, et se
demander dans quelle mesure leur appel –à eux les anciens, sera entendu ?
Le cas OZNEK au regard du paradigme du don/contre-don montre que la
compréhension des conduites des individus et de leurs attentes passe par une
nécessaire prise en compte de l’histoire de la relation, de l’analyse du contexte et de
la chaîne des dons. Comprendre « ce qui a été donné » autant que les implications
concrètes de ces dons est essentiel à l’éclairage de ce qui pourra être donné dans
l’avenir de la relation. Il s’agit d’entendre la force et la nature du lien qui relie
nombre d’agents à leur entreprise à travers des discours dont le sens est multiple. Il
s’agit également de remettre de la dynamique là où les choses se figent. Cette prise
en compte de l’histoire et de ses dimensions plurielles, souvent niée dans le
management des restructurations, témoigne ici de son utilité. L’histoire, loin de
nuire à la performance, fournit ici de manière diachronique, des ressources à un
engagement et à un attachement durables.
La psychanalyse est familière de ces apparentes contradictions. L’objectif du
développement qui suit est d’exposer la manière dont elle peut nous aider à lire, en
complément à la théorie du don/contre-don, les « comportements et propos
étranges » qui ont été observés et entendus tout au long de cette recherche. Les
théories de l’espace transitionnel, du narcissisme et des processus de deuil montrent,
toutes elles aussi, combien le lien sous toutes ces formes - entre le passé, le présent
et l’avenir, entre soi et les autres, entre soi et l’entreprise sont essentiels à la mise en
œuvre des restructurations.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
85
UNE PERSPECTIVE PSYCHANALYTIQUE SUR LES PHÉNOMÈNES DE
RESTRUCTURATION DANS LES ENTREPRISES
L’approche psychanalytique nous a permis de comprendre que l’apparente
irrationalité de certains comportements et propos des salariés de OZNEK étaient
l’expression des représentations inconscientes des personnes. Nous mobiliserons
principalement trois notions fortes de la psychanalyse : le narcissisme, l'espace
transitionnel, et le deuil qui toutes parlent de la nature et de la dynamique de la
relation à l'autre. Dans notre recherche, "l'autre" peut être le collègue, l'entreprise
voire le métier c'est-à-dire tout objet d'investissement libidinal.
Le lien à l’entreprise
Contrairement à l'acception traditionnelle du terme, la théorie du
narcissisme met en lumière le rôle essentiel de l’autre dans la construction psychique
de l’individu. Winnicott, pour sa part, propose la théorie de l’espace transitionnel
pour expliquer comment le petit enfant peut passer de la dépendance à l’autonomie,
c'est-à-dire comment il peut renoncer à une relation fusionnelle avec sa mère. Quant
au travail de deuil, il met l’accent sur la façon dont un individu parvient (ou non) à
dénouer les liens qui l’attachent à tout objet d’investissement.
L’entreprise devient un support essentiel au sentiment « d’être au monde »
des individus ainsi que l’enseigne la théorie de l’identification narcissique, par
laquelle les salariés s’approprient certaines des caractéristiques des « objets » qu’ils
investissent libidinalement. « Premièrement l’identification est la forme la plus
originaire du lien affectif à un objet ; deuxièmement, par voie régressive, elle
devient le substitut du lien objectal libidinal, en quelque sorte par introjection de
l’objet dans le moi ; et troisièmement, elle peut naître chaque fois qu’est perçue à
nouveau une certaine communauté avec une personne qui n’est pas l’objet de
pulsion sexuelles » (Freud, 1921, p. 170). Ainsi soit l’entreprise peut faire
réellement partie d’eux-mêmes, soit elle représente un idéal –leur propre idéal, en
particulier quand elle est présentée dans sa toute-puissance économique et
financière.
Tout changement peut alors provoquer un réel arrachement, un véritable
sentiment de perte de soi et une souffrance que les personnes faiblement attachées ne
peuvent pas comprendre. L’individu peut se sentir détruit comme si un meurtre
s’était perpétré à son encontre34. Comment un individu peut-il renoncer à ce qui
constitue une partie de lui-même ? La rupture du lien à l’entreprise fait courir à
certaines personnes le risque de l’effondrement narcissique. Le « narcissisme de
vie » est devenu « narcissisme de mort » pour reprendre l’expression de Green
(1983). Là où il y avait la confiance et la fierté de faire partie de l’entreprise FT, ce
n’est pas seulement la déception qui s’installe mais la destructivité. « Dans ce cas, le
34
Si la terminologie peut sembler quelque peu dramatique, elle ne fait que reprendre des expressions
utilisées par les personnes interviewées.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
86
repli narcissique ne pourra plus soutenir efficacement l’illusion de la mégalomanie
du Moi. C'est-à-dire que le narcissisme, de positif, deviendra négatif. Négatif à tous
les sens du terme. Négatif au sens contraire du positif : le bon devient mauvais, et
négatif au sens de la néantisation où le Moi et l’objet tendent vers la nullification
mutuelle » (Green, 1983, p. 147).
La théorie psychanalytique nous apprend également que tout attachement
est ambivalent, ce qui signifie qu’il est fait d’amour et de haine : j’aime et je déteste
simultanément l’entreprise dans laquelle je travaille, parce que celle-ci est
décevante ; ceci se gère au quotidien, certes de façon conflictuelle, mais le conflit
reste tout à fait acceptable. Cela se traduit par de l’auto-idéalisation (Green, 1983).
Mais lorsque que ce mécanisme de défense est menacé par la réalité des difficultés
que la personne rencontre dans ces tentatives d’adaptation à la nouvelle réalité,
l’angoisse peut surgir.
Ceci explique le lien confus, très chargé affectivement que certaines
personnes ont à l’égard de leur entreprise : l’entreprise fait réellement partie d’ellesmêmes. Tout changement peut alors provoquer un réel arrachement, un véritable
sentiment de perte de soi et une souffrance que les personnes faiblement attachées ne
peuvent pas comprendre. L’individu est peut être détruit comme si un meurtre s’était
perpétré à son encontre35.
Comment un individu peut-il renoncer à ce qui constitue une partie de luimême ?
Pour comprendre cette dynamique, nous emprunterons à Winnicott avec la
notion d’espace transitionnel développée par Winnicott (Winnicott, 1975). L’espace
transitionnel est ce qui permet à un individu de passer de la dépendance à
l’autonomie sans être aux prises avec des fantasmes de destruction. Pour cela, il est
nécessaire qu’il ait acquis préalablement à toute frustration et séparation, un
sentiment de profonde sécurité intérieure. Seul un environnement rassurant et qui
prend soin de lui36 peut le lui procurer. Une fois cette sécurité acquise, lorsqu’il ne
reçoit pas de réponse à une demande, il est en mesure de partir à la recherche d’
« objets » de substitution. Il « invente » des solutions pour satisfaire ses désirs
momentanément frustrés. Il accepte l’ambivalence. Cela signifie qu’il est en mesure
de renoncer à l’illusion d’un monde qui serait totalement « bon » et qui comblerait
systématiquement ses désirs, ou d’un monde totalement « mauvais » qui refuserait
ce qu’il attend. Or dans la vie des entreprises, la perte et la disparition sont niées, au
lieu de les reconnaître, on propose aux personnes de se réjouir : dorénavant « tout va
aller mieux ». Les différentes étapes du processus de deuil permettent à l’individu de
défaire les liens qui l’attachaient à ce qui a disparu.
35
Si la terminologie peut sembler quelque peu dramatique, elle ne fait que reprendre des expressions
utilisées par les personnes interviewées.
36
« caring » en anglais.
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L’ESPACE TRANSITIONNEL : APPRENDRE À SE SÉPARER ET
INVENTER
La psychanalyse nous fournit un modèle avec la notion d’espace
transitionnel développée par Winnicott (Winnicott, 1975). Plusieurs auteurs ont déjà
démontré la pertinence de ce concept dans les entreprises et particulièrement au
moment des restructurations (Amado, 2001; Dubouloy; 2005; Honneth, 2000).
L’espace transitionnel est ce qui permet à un individu de passer de la dépendance à
l’autonomie sans être aux prises avec des fantasmes de destruction. Winnicott a
découvert le concept d’espace transitionnel en observant les relations entre le toutpetit enfant et sa mère. Dans les premiers jours de la vie d’un tout-petit, la mère est
omniprésente pour satisfaire ses besoins et ses désirs. Celui-ci ne fait pas la
distinction entre le Moi et le Non-Moi, c’est-à-dire entre lui et le monde extérieur.
Les soins qu’elle lui apporte lui donnent un sentiment de profonde sécurité. Alors
qu’il est totalement dépendant de sa mère, il est dans l’illusion de toute-puissance
puisque ses désirs sont immédiatement satisfaits. Par contre, dès que celle-ci est
absente, ce sont des sentiments d’angoisse, de totale-impuissance, voire de
disparition de soi qui l’envahissent. Il est donc nécessaire que la mère permette à
l’enfant de se séparer d’elle. Son désir d’autonomie pour son enfant est à l’origine
de la mise en mouvement de celui-ci. Pour cela, elle va se conduire comme une
mère « suffisamment bonne », c'est-à-dire qu’elle va progressivement le frustrer en
ne répondant plus immédiatement à ses sollicitations. C’est ainsi que l’enfant
découvre son pouce, puis un objet parmi ceux présents dans le berceau (le doudou)
qui le rassure. Il est important de noter que c’est l’enfant qui choisit l’objet : la mère
propose et n’impose pas. Pour cela, il est nécessaire qu’il ait acquis préalablement à
toute frustration et séparation, un sentiment de profonde sécurité intérieure. Grâce à
cette sécurité, lorsqu’il ne reçoit pas de réponse à une demande, il part à la recherche
d’ « objets » de substitution. Il « invente » des solutions pour satisfaire ses désirs
momentanément frustrés. En agissant de la sorte, la mère désillusionne son enfant et
lui permet de découvrir le monde extérieur. C’est cet objet que Winnicott appelle
« objet transitionnel », car il permet à l’enfant, de faire l’expérience non destructrice
de l’absence de sa mère et du monde peuplé d’objets « Non-Moi ». L’espace
transitionnel est cette distance -jamais angoissante car précédée par un profond
sentiment de sécurité et meublée par « l’objet transitionnel », que la mère laisse
entre l’enfant et elle afin que celui-ci découvre progressivement par lui-même qu’il
peut agir sur le monde (se saisir de l’objet, le rejeter…) .Il accepte l’absence et la
présence, l’ambivalence. Cela signifie qu’il est en mesure de renoncer à l’illusion
d’un monde qui serait totalement « bon » et qui comblerait systématiquement ses
désirs, ou d’un monde totalement « mauvais » qui refuserait ce qu’il attend.
Ce concept d’espace transitionnel, nous semble particulièrement intéressant
dans le cadre des restructurations chez FT. On retrouve en effet la description des
« comportements étranges ». En effet tout se passe comme si certains salariés
rejouaient avec l'entreprise cette première relation fusionnelle. Ils ne veulent pas en
partir, nombreux sont ceux qui refusent tout nouveau projet, et ils ne peuvent pas
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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renoncer aux valeurs d’intérêt général et du service public, ils ne peuvent plus
imaginer autre chose que ce qu'ils ont vécu jusqu'à ce jour.
Selon nous, l’absence de sentiment de sécurité et de confiance est essentielle pour
comprendre cet immobilisme. A leur place on trouve, le doute, l’incertitude, le nonsens, autant de freins à la conquête de l’autonomie et la créativité.
Le processus de deuil : les étapes pour défaire le lien
Nous ne reviendrons que brièvement sur le processus de deuil dans les
organisations car il a été développé à de nombreuses reprises par de multiples
auteurs (Dubouloy, 1996, 2005; Kets de Vries & Balazs, 1996; Roussillon &
Bournois, 1996). La première phase du processus de deuil est celle du déni. Les
individus refusent d’accepter la réalité de la perte. Les individus endeuillés ont
besoin des autres pour les aider à faire face à cette absence douloureuse. Le risque
est que, dans un processus régressif, ils ne perçoivent pas que « la vie continue » et
que le monde ne disparaît pas avec l’objet investi. La tentation peut être forte de
suivre celui-ci, de s’effacer, de disparaitre à son tour. Si on assiste rarement chez
OZNEK à de véritables passages à l’acte de la part de personnes qui partiraient
immédiatement à l’annonce d’une restructuration, il est fréquent par contre
d’entendre l’expression d’un déni de la réalité : « Ce n’est pas possible… », « Je n’y
crois pas...,». Les « endeuillés » réinventent l’éternité : « Vendeur ? Moi ?
Jamais… », « Parce que nous quand on est entrés à OZNEK, c’était pour toute notre
carrière quoi, toute notre vie ! ». A cette première phase succède la «décharge
émotionnelle » qui marque le début de l'acceptation de la réalité de la disparition.
Les psychanalystes appellent ce moment celui de la dé-liaison des pulsions. C’est à
dire que là où il y avait de l’ambivalence à l’égard de l’entreprise ou de la situation
remise en question, on voit apparaitre, d’une part, une idéalisation du passé, et
d’autre part le rejet du présent et de l’avenir. Ceci correspond à un mécanisme de
défense pour lutter contre la souffrance et l’angoisse que représente la perte d’un
passé connu et le surgissement d’un avenir inconnu. Cette phase du processus de
deuil se traduit aussi par de l’agressivité à l’encontre de ce présent insupportable.
Quelques personnes, ne trouvant pas d’exutoire dans leur environnement, retournent
cette violence contre elles-mêmes. Surviennent alors toutes sortes de troubles
psychosomatiques, d’accidents. Plus que jamais, il est important que les personnes
puissent dire et faire entendre leur souffrance afin que les « maux » ne prennent pas
la place des « mots » qui n’auraient pas été prononcés. Malheureusement, afin de
contenir la démesure des émotions, les personnes de l’entourage non concernées par
la situation qui disparaît (ou moins attachées), ont tendance à opposer leur rationalité
et à proposer des projets pour l’avenir : « ça ne sert à rien de revenir en arrière » tel
est le leitmotiv du moment. En fait le retour sur le passé sert à faire le travail de « reliaison », c'est-à-dire, cela sert à accepter que le passé n’a jamais été « que bien » et
que le présent et l’avenir ne sont pas « que mauvais ». Encore faut-il que les
« endeuillés » soient en interaction avec d’autres personnes dans la mesure où
l’attachement aux objets disparus est très variable d’une personne à l’autre. Ce n’est
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
89
pas chose aisée quand l’entourage est poussé par l’urgence de la performance et fuit
l’agressivité des personnes en souffrance. Il faut véritablement une volonté forte
pour concevoir un temps et des espaces pour que l’émotion puisse s’exprimer et
surtout s’élaborer et prendre sens dans le collectif.
Puis vient le moment de la dépression. Le désinvestissement de ce qui a
disparu prend toute sa place. Le passé n’est plus idéalisé mais la culpabilité se fait
envahissante : « je n’aurais pas dû…, si j’avais su… ». Cette période se caractérise
souvent par un ralentissement intellectuel, un manque d’envie, d’énergie, des
sentiments de solitude et d’incompréhension. Les collaborateurs sont moins souvent
absents, mais ils sont en retard et passent leur temps à négocier des délais. L’avenir
est encore imprécis « de toute façon, on n’y arrivera jamais… ». Durant cette étape,
le rôle de l’entourage consiste à faciliter le travail de deuil, et à faire surgir la
nécessité du possible là où préside un sentiment d’impossible, à redonner le goût de
l’action, quand la simple réaction est difficile et coûteuse, à favoriser l’ouverture sur
le monde extérieur, là où le repli sur soi est à l’ordre du jour. Une fois encore, il faut
concevoir des dispositifs spécifiques car le traitement de la dépression est rarement
envisagé au sein des entreprises.
Puis arrive la période dite du rétablissement et du lâcher-prise. C’est une «
nouvelle vie » qui commence. C’est la fin de l’errance et des épreuves : « je n’aurais
jamais imaginé que cela marcherait aussi bien… ». Pourtant ce chemin est d’autant
plus long et difficile qu’il se fait seul et dans l’après-coup. Comme le savent si bien
les dirigeants et stratèges, il est important de pouvoir anticiper et affronter les
événements quand on peut encore les changer et pas seulement les pleurer.
Les rites de passage à la rescousse du collectif
D’autre part, la mise en place de rites de passage peut être fort utile à
l’accompagnement des personnes lors des restructurations. Goguel d’Allondans
décrits le rôle ses rites de passage d’une façon qui entre en résonance avec ce que
nous avons pu dire de l’espace transitionnel et de la dynamique du don/contre-don.
« Chaque passage, chaque franchissement nécessite, d'une certaine manière, un
« stage », une étape, un entre-deux, des paroles, une initiation. Pour être accueilli en
amont, il va falloir préalablement être séparé en aval. Le rite de passage opère une
« gestion » du flottement, des seuils, des marges dont le philosophe Maldiney dit
fréquemment qu'elles sont le lieu de toutes les potentialités. Le rite de passage
apprivoise le temps, les changements identitaires, l'altérité et toutes ses altérations,
les forces vives et les forces de mort parce qu'il donne à vivre ce qui sépare et ce qui
unit » (Goguel d'Allondans, 2002, p.11). Les entreprises doivent se faire à l’idée
qu’une restructuration est toujours précédée d’une déstructuration dont elle ne peut
pas faire l’économie… sauf à en payer le prix fort. C’est précisément cet ensemble
de mouvements qu’il faut accompagner,
Une autre dimension essentielle du rite réside dans le fait qu’il donne à un
événement subjectivement vécu ou un parcours individuel une dimension sociale. Il
favorise la construction d’une identité collective quand les risque de l’isolement, de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
90
la solitude est particulièrement important (Héritier-Augé, 1992). Les rites de passage
jouent un rôle structurant dans ces périodes de transition. Les préliminaires
marquent la fin de « l’avant », Les liminaires encadrent l’errance de « l’entredeux », et les post-liminaires signent le début de « l’après » (Von Gennep, 1981). Or
rites et rituels qui marquent le temps, contiennent les émotions, créent de la
solidarité et du sens ont disparu des entreprises au profit des procédures
administratives dépourvues de sens.
Or rites et rituels ont disparu des entreprises au profit des procédures
administratives.
CONCLUSION
Lors des restructurations, on fait disparaître des éléments de sens et des
repères en demandant aux individus de renoncer, de redonner mais aussi de se
resocialiser. Ce processus de reconversion ne se décrète pas. La théorie du don, des
processus de deuil ou encore des rites de passage nous répètent chacune à leur façon
la nécessité de faire le lien à la fois entre le passé, le présent et l’avenir, mais aussi
entre les personnes entre elles, d’inventer de nouvelles alliances.
Lorsque les mesures d’accompagnement sont trop éloignées de ce que sont
les individus et de la manière dont ils se sont construits, à tout moment, ils peuvent
induire des comportements de repli et la résurgence de valeurs passées. Néanmoins
la présence d’éléments du passé avec ce qu’il comporte d’attachement à l’entreprise
et à la qualité du travail, explique le maintien, malgré l’évidente souffrance liée à la
perte, de l’implication au travail et des performances de l’entreprise. L’enquête
réalisée témoigne de la force de l’histoire et du lien social dans leur capacité à
alimenter la flexibilité et les comportements spontanés de don dans des espaces
transformés par les restructurations.
L’enquête invite ainsi à une véritable réflexion sur les outils
d’accompagnement. Souvent pensés à la hâte ou encore de manière « décontextualisée », ils peinent à trouver une légitimité en raison de leur éloignement
des véritables préoccupations, et le management de s’étonner de tels faits…
L’analyse d’un contexte et d’une histoire nous éclaire sur ce qui a été donné et ce
qui pourra être à nouveau demandé aux individus. Sans cet effort rétrospectif et de
compréhension, les dispositifs incitatifs sont vains au motif qu’ils ne trouvent pas
d’écho chez les salariés, voire parfois même, s’avèrent contre-productifs : ils tendent
à accroître le cynisme, comme la colère à l’égard d’une entreprise que l’on juge
alors amnésique. C’est ici l’ambigüité même de tout processus de transformation de
l’organisation que de maintenir de la continuité dans la rupture, et cela en respectant
et en valorisant l’histoire, les succès passés, qui ont nourri l’identité des personnes
qui ont donné et les ont porté. C’est à la faveur d’aménagements raisonnés et
raisonnables fondés sur une analyse et une prise en compte du passé que plaide cette
communication. Une réflexion qui implique du temps, qui s’il n’est pas pris finira
par le compromettre ou en faire perdre davantage : car le cas OZNEK nous parle
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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aussi d’équilibres précaires construits et auto-aménagés par les individus sans
soutien particulier du management.
Il est donc nécessaire de prendre le temps, de penser à la mise en place
d’espaces transitionnels sous forme de dispositifs spécifiques cadrant et limitant le
surgissement d’émotions et de comportements qui peuvent être destructeurs des
personnes et de l’organisation s’ils ne sont pas contenus. Nous pensons notamment
aux accompagnements personnels individualisés qui ne craignent pas les mots de
deuil et de séparation pour rendre les acteurs plus autonomes dans la prise en main
de leur chemin, à une communication simple et plus transparente qui donne prise
aux événements que la Direction sait par nature déstabilisants et douloureux. Il est
également important de permettre aux individus d’élaborer et mettre en mots la
complexité de leurs relations à l’entreprise. Il s’agit d’introduire une symbolique
partagée là où les procédures dénuées de sens occupent toute la place et mettent en
relief les divergences de langage. Les rites et rituels jouent alors un rôle important
dans la convergence des enjeux.
Ainsi ces résultats viennent contredire les discours ambiants sur l’inutilité du
retour sur le passé. Même nié, le passé s’invite irrémédiablement à la table des
négociations. La psyché des individus ne fonctionne pas nécessairement au rythme
des salles de marché. C’est un projet particulièrement ambitieux car il s’agit de
contrer ce qui caractérise notre époque : la standardisation des réponses, la
dissolution du collectif, la précipitation vers un avenir improbable, le refus du passé.
Un retour aux rites de passage encouragerait la dynamique fructueuse et inventive
du don. La volonté des hommes serait là pour contrecarrer la soi-disant « fatalité »
des événements.
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
93
ANNEXE
Tableau 1 : Population d’enquête
Contenu du travail
Nombre de Services opérationnels
Effectif
Moyenne d’âge de la population
cible
Ancienneté moyenne
Anciens métiers occupés par la
population cible
Terrain d’enquête principal
Conseil, information et gestion
de la relation clientèle
5
100 à 110 personnes
46 ans
2nd terrain
Assistance technique
1
Environ 40 personnes
44 ans
20,2 années
Technicien, agent des lignes, secrétaire, assistante commerciale,
téléopérateur, assistante RH, commercial, mécanicien auto,
chauffeur, employé de cafétéria, gestionnaire, etc.
Tableau 2 : Le recueil des données d’enquête
Durée de l’enquête ethnographique :
15 mois
Terrains :
2 centres d’appels situés en
province
Population cible :
Des personnels non cadres
Nombre d’entretiens enregistrés réalisés :
38
57
Nombre de séances d’observation :
Parmi elles : séances donnant lieu à un entretien non enregistré mais
45
exploitable* :
*Par « exploitable » nous entendons un séance d’observation qui
permettait d’interroger le personnel sur des questions posées en situation
d’entretien deux à deux enregistré.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
94
L’ODYSSÉE SPIRITUELLE DES
DIRIGEANTS
5 passages de leadership
Catherine VOYNNET FOURBOUL37 & Quentin LEFEBVRE38
Cette
recherche
qualitative
menée auprès de 20 dirigeants a pour but
de relater l’activation spirituelle des
dirigeants lors des épreuves qu’ils
traversent : les passages de leadership.
Située dans le cadre du leadership
spirituel,
cette
communication
se
concentre sur 5 cas de dirigeants pour
lesquels des monographies par cas et par thème sont proposées afin de démontrer la
nature de la relation entre passage de leadership et spiritualité. La discussion porte
sur les expériences dévoilées qui font état des réactions transformant et fortifiant les
dirigeants malgré un contexte peu ouvert à l’accompagnement spirituel sur le lieu de
travail.
De tout temps les dirigeants sont particulièrement exposés à une escalade
de fortes pressions dans l’exercice de leur fonction. L’hypothèse générale qui
prévaut est que leur tempérament implique une force suffisante pour assumer la
37
38
Maître de conférences, Docteur en gestion, HDR, Panthéon Assas Paris 2, Directrice du CIFFOP
EXECUTIVE, ses recherches portent sur les relations industrielles, le management relationnel. Elle a
réalisé des mises en application des démarches méthodologiques (CAQDAS et cartographie cognitive)
dans ses recherches d’audit des ressources humaines (efficacité des systèmes de médiation entre dirigeant
et syndicats, médiation d’équipes dirigeantes, gestion des talents). Auteur de : « le codage à visée
théorique, Recherche et Applications en Marketing », vol. 21, n° 4/2006 (avec S. Point). « Rétablir la
confiance dans l’entreprise par le recours à la médiation », revue Relations Industrielles, (avec A. Le
Flanchec et J. Rojot), 2006. « Le binôme DRH DG » avec Frank Bournois, in Bournois F. Duval Hamel
J., Roussillon S., Scaringella J.L., Comités Exécutifs – voyage au cœur de la dirigeance, Eyrolles 2007
voynnetf@yahoo.fr, site personnel, voynnetf@yahoo.fr
Maître de Conférences, Docteur en gestion, Université Panthéon-Assas Paris 2, Co-directeur avec Frank
Bournois du Master 2 GRH Internationale du CIFFOP, ses recherches portent sur la dirigeance et le
leadership. Auteur de « Recomposition des équipes dirigeantes et apprentissage organisationnel », Revue
de Gestion des Ressources Humaines, n°62, p.39-56. « Recomposition des équipes dirigeantes et
apprentissage organisationnel », in Kalika M., Romelaer P. (Dir), Recherches en management et
organisation, Economica, p.279-290. Apprentissage des équipes de direction et renouvellement de
dirigeant » in Bournois F., Duval-Hamel J., Roussillon S. & J-.L.Scaringella (Eds), Comités exécutifs :
voyages au cœur de la dirigeance, aux éditions d’Organisation. « A methodological note », in Altman Y.,
Bournois F. & Boje D. (Eds), Managerial Psychology, Sage Publications Ltd, p.VI-VIII ; « Le dirigeant
part, la réussite de l’entreprise reste ». quentinlefebvre@hotmail.com
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95
charge résultant de leur responsabilité. Cette force est une ressource indispensable
que nous proposons d’examiner à la racine. Cela suppose de nous concentrer sur le
ressort de la spiritualité en situation d’extrême pression. Ce genre de situation
exceptionnelle apparaît comme une « traversée du désert ». Appliquée au domaine
du leadership on peut également évoquer la notion de passage déclenchant un appel,
un recours à la spiritualité, ce que nous résumons sous la métaphore d’une odyssée
spirituelle. Ce qui nous intéresse ici n’est pas la conscience spirituelle mise en œuvre
dans les états ou comportements stables de la personne, mais le déclenchement de la
spiritualité provoqué par une activité managériale sous tension.
Nos travaux se situent dans le champ du management et de la spiritualité,
domaine qui fait l’objet d’une attention particulière dans l’ensemble des pays anglosaxons. On peut évoquer parmi les contributions les plus riches dans le domaine les
travaux de Giacalone & al. (2003), Korak-Kakbadse & al. (2002), Mitroff &.Denton
(1999)…
Le propos de notre réflexion est ici de montrer la place de la spiritualité
dans la conduite du leadership et particulièrement dans l’expérience d’épreuves ou
situations de passage. En quoi la spiritualité peut-elle constituer une ressource pour
les dirigeants ? Comment est-elle mobilisée durant les épreuves qu’ils traversent ?
Les passages de leadership sont des expériences nouvelles que vivent les dirigeants
et qui présentent des épreuves mais aussi des possibilités pour les dirigeants
d’apprendre (Thomas 2008) et de faire appel à leurs ressources spirituelles.
Afin de rendre compte avec précision des mécanismes d’activation de la
spiritualité en situation de passage, nous avons choisi de nous concentrer sur 5 cas
de dirigeants et cadres dirigeants, que nous sélectionnons à partir d’un échantillon
plus vaste d’une étude qualitative conduite à partir de mars 2009. L’intérêt de ce
travail est multiple. Il s’agit de la première recherche empirique menée en France sur
le sujet. Les informations recueillies sont riches d’enseignement sur la
représentation qu’ont les dirigeants de la spiritualité dans le monde managérial. Nos
interlocuteurs livrent à travers leur histoire et leurs réactions face à l’adversité, leur
témoignage personnel offrant ainsi des perspectives sur un cheminement vers la
spiritualité.
Cette contribution apporte aussi des éléments de réflexivité à propos de la
démarche méthodologique élaborée pour traiter ce thème nouveau auprès d’une
population de dirigeants.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
96
LE CADRE CONCEPTUEL
Nous allons définir dans cette première partie les concepts mobilisés. Notre
propos est centré sur l’aspect du leadership des dirigeants ; nous explorerons la
littérature sur le thème du leader spirituel.
La spiritualité des dirigeants
Même si le terme de spiritualité est souvent connoté à la religion, il est un
concept polymorphique, accueillant une grande variété de sens possibles : une
croyance en Dieu, la prière ou la contemplation, une capacité d’écoute des autres
améliorant les relations aux autres, un engagement sincère à entretenir de meilleures
relations avec les autres et ainsi contribuant à plus de paix et d’harmonie dans le
monde, une croyance optimiste que les personnes et le monde peuvent devenir
meilleurs, une tendance à être sensible au développement durable (Cavannaugh,
1999).
Robert Giacalone et Carole L. Jurkiewicz (2003) se sont prêtés à un
exercice de recensement des définitions dans la littérature telles que l’expression
personnelle de préoccupations ultimes, de vérités personnelles, la présence d’une
relation à une puissance supérieure, une aspiration à trouver son chemin, sa place,
une expérience subjective du sacré, une façon d’être provenant de la conscience
d’une dimension transcendante et caractérisée par certaines valeurs identifiables
concernant soi, la vie, un principe de vie personnel, la dimension humaine qui
transcende les aspects biologiques, psychologiques et sociaux de l’existence, le
domaine des fins ultimes, des entités supérieures, de Dieu, de la compassion, du
sens…
La multiplicité des dimensions de la spiritualité en littérature comme chez les
dirigeants d’entreprise a pour effet de ne pas permettre une approche du terrain sans
que des précautions ne soient prises. Mais l’effort le mérite car l’utilité pratique
existe bel et bien : des effets sur les capacités intuitives, l’innovation, le travail en
équipe, l’engagement des personnes, une vision plus puissante (Neck & Milliman,
1994) ; les dirigeants considérant leur travail comme un moyen d’avancer
spirituellement conduisent l’organisation à de meilleurs niveaux de performance
(Himmelfarb 1994). S’agissant du lien entre leadership et spiritualité, (KoracKakabadse & alii ., 2002) le leader spirituel approche les situations avec une attitude
de recul et discernement plutôt qu’en intervenant directement. Il adopte une posture
d’ouverture et d’acceptation plutôt que de contrôle, d’humilité plutôt que
d’expression forte d’expertise ; le leader spirituel préfère lâcher prise plutôt que de
détenir ou retenir, éclairer plutôt que faire lui-même. Le Servant leadership
(Greenleaf, 1973) dans la même veine décrit à partir de la théologie Quaker un
leader, comme celui qui est au service des autres, mettant l’accent sur une approche
holistique du travail, le développement personnel, les décisions partagées,
l’inspiration de la confiance, l’art de l’écoute, la pratique des feedbacks positifs.
Egalement le leader authentique (Luthans, Avolio 2003) fait preuve de capacités
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
97
psychologiques positives, de raisonnement moral durant les événements critiques de
la vie en cultivant la conscience de soi, une perspective morale intériorisée, un
équilibre et une transparence relationnels. Les partisans du modèle de
développement du leadership authentique pensent que les espérances de réussite
peuvent être améliorées grâce à une conception appropriée des plans de successions
combinés à des pratiques judicieuses de développement les leaders authentiques
(Ilies & alii, 2005). Le but des programmes consiste pour les leaders à préserver leur
authenticité personnelle durant les défis et à développer celles des autres (Avolio &
Gardner, 2005).
Les passages de leadership
Les passages de leadership constituent non seulement des défis à relever,
mais aussi des épreuves. Ils permettent au leader de se constituer un répertoire de
savoir-faire nourrissant son expérience (Thomas 2008) (McCall & alii, 1988). Cette
succession d’expériences s’effectue par palier. Chaque palier ou étape franchie avec
succès est l’occasion de résoudre un défi et d’effectuer ce qui constitue un passage
en termes de leadership. Un passage de leadership est un défi résolu par un leader à
mettre au compte de la construction progressive de son expérience de leader. Plus
rien n’est tout à fait pareil après un passage, le leader a capitalisé une expérience
conséquente et marquante dans l’apprentissage de ses expériences en matière de
leadership. Cet apprentissage lui sera utile pour toute situation se reproduisant à
l’identique. Également il sera prêt à relever de prochains défis d’une autre nature
pour accroitre son répertoire de leadership. Chaque passage de leadership signale sa
capacité à évoluer dans les organisations.
Parmi les situations critiques dans lesquelles le rôle du leader s’affirme
pleinement, Noel et alii (2004) évoquent le fait de : rejoindre une entreprise pour la
première fois, être manager pour la première fois, accepter un poste exposé, assumer
la responsabilité d’une fonction, faire face à un échec dont on est responsable, faire
face à un mauvais superviseur ou à des collègues rivaux, perdre son travail ou une
promotion, subir une fusion / acquisition, vivre dans un pays différent ou une autre
culture, trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, diminuer son
ambition, faire face à des bouleversements, perdre foi dans le système.
Dans chacun de ces contextes, la position de leader implique une grande
force mentale, une capacité à conserver une assurance à toute épreuve, à faire face
aux agressions professionnelles, stratégiques et économiques, en vue de se protéger
eux et ceux qui dépendent d’eux. Dans l’accomplissement de cette mission, le leader
dispose de moyens personnels. Parmi ceux-ci, on peut citer de façon non exhaustive
des croyances managériales solides, un réseau de « gardiens du temple » ou d’une
équipe de collaborateurs fidèles et efficaces que le leader a su se constituer, une foi
en soi, un équilibre personnel avantageux, une organisation de travail et un système
d’information sans faille…
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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Nous posons comme point central de notre réflexion et de notre démarche l’idée
que les passages de leadership sont autant d’épreuves favorisant le développement
de la spiritualité chez les dirigeants. Nous pensons qu’il est possible de définir un
chemin vers la spiritualité ou plus de spiritualité. Nous allons tenter de définir
différentes étapes le long de ce parcours et leur manifestation (réactions
émotionnelles, prise de conscience, révélation de sens, nouvel équilibre de vie).
UNE RECHERCHE QUALITATIVE : MÉTHODOLOGIE
Une recherche qualitative menée en 2009 et 2010 « Spiritualité et
leadership : mieux vivre et piloter les passages de leadership39 », se concentre sur la
façon dont les leaders négocient certains défis qui se présentent à eux durant des
périodes cruciales de transition. L’objet est de mieux comprendre le rôle de la
spiritualité dans ces situations de pression extrême.
Vingt entretiens ont été réalisés depuis mars 2009 auprès de dirigeants
(PDG, DG DAF DRH) de grands groupes. Parmi ces dirigeants 17 Français, 1
Britannique et 2 Marocains. Les personnes rencontrées ont été approchées soit
directement, soit par l’intermédiaire de DRH de grands groupes ou de responsables
d’association de dirigeants recommandant ces dirigeants pour leur exemplarité.
Tous les entretiens ont été enregistrés puis transcrits. La durée des
entretiens a varié d’une heure à plus de deux heures pour certains interlocuteurs. La
démarche de recherche s’inscrivant dans une logique exploratoire, un guide
d’entretien a été établi. Parmi les thèmes évoqués avec les personnes rencontrées, on
peut citer : leur parcours personnel et professionnel, plus en détail les difficultés
rencontrées le long de ce parcours, leurs réactions et les ressources mobilisées pour
surmonter chacune de ces situations difficiles, la part de spiritualité parmi ces
ressources. Les personnes rencontrées ont également été interrogées sur leur propre
représentation de la spiritualité.
Notre attention se porte ici sur un groupe de cinq dirigeants âgés de 45 à 60
ans. Ce choix a été opéré pour remplir les objectifs suivants : 1) rendre compte de
narrations permettant de présenter des cas suffisamment contrastés en termes de
passage de leadership, et aussi en termes d’activation spirituelle, 2) offrir une variété
suffisante des concepts émergeant pour assurer la comparaison et la présentation de
points communs et de spécificités des cas de dirigeants.
39
Travaux présentés lors de l’Academy of Management à Chicago Aug 8 2009 - Work/life transitions and
the role of spirituality
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
99
#
Fonction
M/F age
Entreprise (effectifsecteur d’activité)
1
PDG de filiale
M 60
32000 - Alimentation
2
(Ex DRH) coach
F 48
30 000 - alimentation
(independent)
3
Directrice Générale
F 45
1000 - Énergie
4
DRH
M 63
53700 - Construction
5
PDG de filiale
M 50
13300 - Construction
Figure 1 : 5 dirigeants de notre échantillon
Nous avons procédé à l’analyse qualitative des données, selon les préceptes
de la Grounded Theory, (Strauss & Corbin, 1990) (Glaser & Strauss, 1967) et
procédé à un codage axial et sélectif. Les résultats de l’analyse comportent à ce titre
deux niveaux : un niveau axial rendant compte d’une explicitation des concepts
articulés hiérarchiquement et une analyse sélective nous permettant d’élaborer un
modèle d’évolution de la spiritualité des dirigeants en contexte rationnel. C’est la
première analyse que nous choisissons de présenter dans le cadre de cette
communication.
Par exemple lorsque nous catégorisons les ressources mobilisées par les
dirigeants, nous opérons par comparaison constante (Strauss & Corbin, 1990) sur les
5 dirigeants sélectionnés sans saturer les catégories à ce stade (c'est-à-dire en
intégrant l’ensemble des dirigeants de notre échantillon) ; notre choix est d’offrir
une perspective très ancrée dans le discours des dirigeants ce qui constitue la
première étape d’une recherche qualitative de type Grounded Theory. Nous avons
intégré a posteriori le cadre théorique pour satisfaire les critères académiques
actuels, ainsi que la facilité de lecture mais notre démarche de recueil et d’analyse
des données respectent les principes d’induction de l’analyse. Ce que nous
produisons ici au plan méthodologique est une analyse intermédiaire (interim
analysis) (Miles & Huberman, 1994) qui est approprié pour un sujet novateur.
Cinq histoires de dirigeants racontées
Nous allons maintenant exposer les moments forts vécus par les cinq dirigeants ou
cadres dirigeants, hommes et femmes, travaillant ou ayant travaillé dans de grandes
organisations. Dans un premier temps nous présenterons la façon dont ils racontent
leurs situations de passage telles que définies plus haut, les moments où l’on
trébuche et on se relève. Ensuite nous ferons état des réactions qui se traduisent par
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
100
un sentiment de colère et d’injustice laissant souvent place à un état d’épuisement et
d’abandon avant de rebondir. La renaissance, la prise de conscience amène un
sentiment de liberté fort, des représentations nouvelles, une nouvelle vie. Le point de
départ de chacune de ces rencontres aura été un parcours professionnel et des
moments difficiles vécus le long de ce parcours. Enfin les dirigeants nous font
découvrir leurs ressources et valeurs et nous livrent leur définition de la spiritualité.
Situations de passage
Compte tenu du format limité de la présentation, nous faisons le choix de
développer en détail quelques situations de passages et d’énumérer de manière plus
succincte d’autres situations évoquées lors de nos entretiens. A la suite de chaque
situation, nous évoquerons les premières réactions/impressions exprimées par nos
interlocuteurs.
Face à un mauvais superviseur
Une première situation de passage est celle d’une mauvaise expérience avec
un supérieur hiérarchique (« Bad boss »). Ce dernier confie à notre interlocuteur une
mission périlleuse qui est accueillie avec enthousiasme et vécue comme un signe de
confiance.
« En 1999, il y eut un changement de Président au niveau du groupe, et le nouveau
Président qui a été nommé, je le connaissais bien, il m'avait recruté. Il m'a confié
une mission plus générale (…) J'ai accepté parce que je suis resté vingt ans, j'ai
étudié tout ce que je pouvais étudier là-dedans. J'avais obtenu de bons résultats
puisque je contribuais pour une part du chiffre d'affaires du groupe de 5 à 6 % et à
25 à 30 % du résultat (…) En me confiant cette mission, le président m'envoyait un
signe de grande confiance, il me connaissait (…) Pour moi, c'était vraiment
l'occasion de montrer ce que je pouvais faire. » #1
Le Président du groupe à l’époque décide alors et sans raisons apparentes de prendre
le contrôle direct de l’activité confiée à notre interlocuteur quelques mois plus tôt.
« Il a préféré avoir en direct l'ensemble des fonctions. Il venait de rompre sa
promesse, la possibilité que je relève le challenge. Il a manqué de grandeur. Tout
s'est passé rapidement. Pour moi cela a été un choc terrible, parce qu’au-delà du
non-respect des engagements, - cela ne me surprend pas au niveau professionnel -,
mais venant de quelqu'un qui était mon mentor, qui accompagnait mon parcours
professionnel, pour moi il était comme un père, j'avais en lui une confiance aveugle.
(…) Je ne m'attendais pas à sa décision, pour moi c'était une trahison. (…) En
réussissant de façon spectaculaire, je lui ai démontré qu'il s’était trompé. »#1
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
101
Une seconde expérience « Face à un mauvais superviseur » :
La deuxième expérience que nous relatons ici est celle d’une dirigeante exDRH d’un grand groupe de restauration/alimentation. Comme dans l’exemple
précédent, l’histoire commence par une prise de mission proposée par une personne
de confiance.
« J'ai rejoint ce groupe en janvier 2001 afin de créer des ressources humaines au
niveau du groupe. C'était la deuxième expérience de création de fonction, cela
concernait 30 000 personnes, pour une entreprise qui connaissait un démarrage
international, et qui venait juste d'être cotée en Bourse. Cette entreprise était dirigée
par deux présidents et prévoyait de doubler sa taille en cinq ans. Je jouissais d'une
grande autonomie, d'une liberté d'action, j'étais très seule, et j'ai tenu ma feuille de
route(…) Cela a été cinq ans passionnants dans un état d'esprit de réussite, et de
résultat unanimement reconnu (…) Les choses ont changé lorsque l'un des dirigeants
a quitté le groupe, et est décédé à quelque temps de là. Les deux dirigeants
constituaient un binôme qui se partageait des missions stratégiques pour l'un,
opérationnelles pour l'autre. C'est le dirigeant qui occupait la part stratégique et
financière qui est resté. Son objectif était l'acquisition d'un groupe de taille identique
et il disposait de marge de manœuvre boursière faible. Il a donc lancé une OPA avec
des fonds d'investissement, que je ne connaissais pas. Cette situation m'a mis en
porte-à-faux avec les organisations syndicales. Le dirigeant a alors proposé un
système de L.B.O. tout d'abord au cercle restreint des dirigeants puis allant peu à
peu jusqu'aux cadres. Cela représentait 150 personnes pour un investissement entre
600 000 et un million d'euros. Mais cette proposition a soulevé en moi un doute
profond. J'avais une voix intérieure, une intuition qui me retenait. J'ai essayé de
comprendre ce doute. Quelle est ma mission, ma valeur ajoutée, ce que je peux
apporter ? En effet on va me demander de serrer les boulons, d'aller contre le
développement, de serrer le budget. J'ai alors pris rendez-vous avec mon président,
sentant que j'avais besoin d'éléments à partager pour mieux comprendre les
perspectives. Mais il ne m'a pas donné de réponse à mes interrogations. Ce vide non
verbalisé a renforcé le flou, a provoqué de la défiance. J'ai demandé un deuxième
rendez-vous, mais il n'y avait toujours pas de réponse et des propos dilatoires (…)
Le lundi en réunion de COMEX, le président annonce que je n'investirai pas dans le
L.B.O. Je me suis senti trahie, non respectée. J'ai donc vécu un passage « bad
boss ». Il me semblait que je n'avais pas mérité cela. Le message était clair : parce
que je ne veux pas investir, je ne fais pas partie du clan. Mon agonie a duré un an et
demi. Quand je suis rentré chez moi, j'ai senti que mes jours étaient comptés. Il (Le
Dirigeant Groupe) se disait qu'il m'aurait à l'usure et que je démissionnerai (…) J'ai
porté les stigmates de l'exclusion, on ne me disait pas bonjour, les réunions se
tenaient sans que je sois là, on ne me transmettait pas les documents (…) En juin
2008, c'est le départ. »#2
On remarque que l’attaque subie porte sur l’espace relationnel zone particulièrement
sensible pour une femme comme le remarque Caroll Gilligan (1982).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
102
Une épreuve touchant à la fois la sphère personnelle et professionnelle
Une troisième situation de passage significative évoquée par une troisième
interlocutrice est une épreuve personnelle bouleversante.
« Tout cela s'est produit à la suite d'un des passages, la perte de mon amie proche,
j'avais trente ans. La mort de mon ami m'a rappelé le deuil que je n'avais pas fait
de mon petit frère (…) C'est comme cela que j'ai découvert que l'on pouvait être
malade alors que pour moi la tête pouvait tout (…) Cela m'a ramené à mon
histoire, lorsque j'ai perdu mon petit frère d'une leucémie quand j'étais enfant. Cela
m'avait finalement beaucoup plus affecté que je ne l'avais imaginé ; je n'avais pas
soldé cette histoire-là. »#3
Cette situation de passage, rappelant des souvenirs douloureux, a suscité une
réaction radicale de la part de notre interlocutrice en termes de changements, comme
nous le verrons dans la section suivante : changement de pays, changement de
travail, rupture avec un modèle de vie établi, recherche d’un nouvel équilibre.
Une autre « Face à un mauvais superviseur » couplée à une épreuve
durablement pénible dans l’entreprise :
Notre quatrième interlocuteur évoque deux expériences douloureuses :
l’une assez proche des deux exemples cités précédemment et l’autre correspondant
davantage à une situation pénible toujours vécue dans l’entreprise.
“Je suis tombé sur un patron qui était un caractériel complet, il m'a très mal pris, il
m'a vraiment pris à rebrousse-poil. Je suis parti faire mon service militaire, je suis
revenu de mon service militaire, et le jour où je me suis représenté, il n'a même pas
eu le courage de me recevoir lui-même, il m'a fait recevoir par un de ses collègues,
en me faisant savoir qu'on ne voulait plus de moi. Je suis sorti, je pense que c'est le
grand service me faire, car j'ai tellement eu l'impression que je subissais une
injustice que j'ai mis toute mon action à dire que j’allais lui démontrer qu'il a fait
une connerie. Il ne l'a pas fait exprès, pourtant dans le fond il m'a rendu un très
grand service. J'ai vraiment été persuadé qu'il a eu un comportement dégueulasse, il
m'a attaqué, j'ai eu le sentiment d'une profonde injustice, cela m'a donné une force
incroyable.”#4
La réponse de ce quatrième interlocuteur (masculin) est une réaction et une
adaptation immédiate face au sentiment d’injustice subie qui touche à son autonomie
- zone sensible pour les hommes selon Caroll Gilligan (1982). La deuxième situation
de passage évoquée appelle plutôt un sentiment de frustration et un comportement
de résignation face à un phénomène culturel propre au métier de l’entreprise.
“(Le deuxième passage est le suivant) Après quarante ans de carrière, le seul point
de frustration que j'ai c'est celui-là : dans ce monde d'ingénieurs, le peu de respect
qu'ils ont pour des fonctionnels. On a affaire à des gens qui sont très souvent victime
d'une infirmité, ils ont un gros problème d'appréhension et de maîtrise de ces sujets,
quand ils ont en face des gens qui connaissent mieux cela qu'eux, cette connaissance
qui permet de développer un certain leadership, un certain charisme. Ils se sentent
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
103
complètement frustrés par rapport à ces gens-là, ils en viennent être un peu
critiques. Tous ces patrons sont dans cette tendance naturelle. J'ai été frappé à
plusieurs reprises, lorsqu'ils me demandaient un service, un conseil, je ne
comprenais pas, au maximum dans la semaine qui suivait, je me prenais trois tartes.
C'était pour me dire : « attends, ne croit pas parce que tu as mis le point sur quelque
chose de sensible que je ne maîtrise pas très bien, que tu dois prendre du pouvoir sur
moi ». Ils ne sont pas tous comme cela. Mais une majorité. On a beau leur dire, moi
je fais, parce que c'est ma mission. On est dans des rôles de conseil, j'ai une totale
abnégation par rapport à cela.”#4
Notre dernier interlocuteur évoque deux expériences différentes : une prise de poste
difficile face à des collaborateurs plus âgés et un échec financier.
Réactions face à ces situations de passage
Les réactions de nos interlocuteurs sont souvent proches. On peut distinguer
des réactions immédiates (résonance primaire) des réactions différées dans le temps
(résonance secondaire). Les premières réactions exprimées sont souvent empreintes
d’émotions négatives refoulées, car mettant en cause la réputation des répondants,
intériorisés pouvant induire un mal-être physique important, un renoncement. Les
réactions secondaires interviennent plus tard dans le temps (quelques mois ou
quelques années après). Elles traduisent le plus souvent une prise de recul, une
ouverture, une volonté de rebondir et de reprendre la main selon un mode opératoire
nouveau.
Exemples de réactions premières
« C'était très douloureux (…) C'est très dur. Sur le moment je n'ai pas pu parler (…)
Pour cela je me contrôle, j'établis un système de protection pour ne pas être atteint
malgré la violence. Pendant longtemps je n'en ai pas parlé à ma famille, pendant
deux à trois ans, je souhaitais protéger ma femme. J'ai gardé cela pour moi et j'ai
fait comme si de rien n'était. (…) J’ai pratiqué le déni pour protéger (mes proches).
C’est l’occasion de se poser des questions : y a-t-il eu des erreurs de ma part ?
Lorsqu'on est au bord du gouffre, cela permet de mieux connaître ses ressources (…)
Il faut chaque fois faire un effort sur soi-même. »#1
« Au début j'ai ressenti un sentiment de grande injustice (…) Il a fallu que je me
retienne, que je gère mon émotion. À partir de là, ce combat me ruine, je connais des
insomnies, une grande fatigue, je m'arrête durant huit jours au cours desquelles je
pratique de la méditation. Je me pose des questions sur ma vie, je commence à être
désagréable parce que je ne suis pas ce qui je suis. J'essaie d'entrer à l'intérieur de
moi.»#2
« Cela m'a beaucoup perturbé j'étais moi-même malade (…) À ce moment-là, j'étais
fiancée, j'allais me marier, la personne qui était avec moi qui était dans le business
n'a pas du tout compris cela. J'ai rompu mes fiançailles, j'ai été malade.”#3
Exemples de réactions secondaires
« Et je réalise que je dois prendre des initiatives. J'ai envie de donner ma démission,
mais sans que cela se produise à mon détriment. Je demande du respect. »#2
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“J'ai commencé à voir des médecins. C’est comme cela que j'ai appris les médecines
alternatives. Et quand j'ai appris les médecines alternatives en parallèle de
beaucoup d'autres choses sur le plan personnel, j'ai continué à travailler, j'étais aux
Pays-Bas, j'avais un peu plus de recul à ce moment-là …”#3
“Finalement les modèles, des gens qu'on a vus : j'ai fait mes études, j'achète une
voiture, j'ai un premier job, je me marie, j'ai des enfants, on se dit : moi, je n'en suis
pas là, j'avais besoin de régler mes problèmes, dans ce que je faisais, imposer qui
j'étais et non plus l'inverse.”#3
Ressources mobilisées ou développées à l’issue de ces situations de passage
Parmi les ressources évoquées par les dirigeants interviewés, on peut
distinguer les valeurs mobilisées pour surmonter ces épreuves (héritage d’une
éducation parfois religieuse) et les principes managériaux tirés de l’expérience de
ces épreuves douloureuses.
Parmi les valeurs liées à l’éducation ou à l’expérience ayant aidé nos interlocuteurs à
rebondir face à l’adversité, on peut citer :
L’empathie : « Mon éducation, mon environnement m'ont procuré une capacité
relationnelle et une acceptation de l'autre, qui me permettent de bien passer avec
tout le monde. Je suis toujours sensible aux autres, c'est toujours quelque chose de
très important pour moi que d'arriver à comprendre l'autre, de faire preuve
d'empathie, le courant passe bien. Je suis facilement connecté aux autres. Je suis
quelqu'un d'abordable facilement. »#1
Le pardon : « Par rapport à toute personne que je rencontre, lorsqu'elle est
réfractaire à quelque chose, j'efforce de ne voir en cette personne que le côté clair,
bon, de sa personnalité, ce qui est de bien, en essayant de la mettre en valeur, lui
faire comprendre un certain nombre de choses pour la mettre en confiance. C'est
quelque chose qui est tout le temps en moi. Même si elle est aigrie, moi j'investis sur
l'aspect positif. Même si elle fait une connerie monumentale, c'est grave, mais je
peux lui pardonner, la remettre sur le droit chemin. Par exemple elle s'excuse et
ensuite on mange ensemble et on n'y pense plus. Je ne suis pas rancunier. Le mal se
dissipe car je pardonne, rien n'est immuable. »#1
L’attention, souci de compréhension : “Je me mets toujours dans une position d'être
responsable. Je me pose des questions et j'essayais de comprendre quelque chose sur
moi. »#2
La discipline, respect : « J'ai subi l'éducation des jésuites. Cela a imprégné toute ma
vie, l'éducation, la discipline, le respect envers les autres.”#4
Être positif : “Je viens d'une famille catholique, j'ai toujours été très à l'aise avec les
moyens matériels, mes parents étaient très attachés à l'importance de mériter de ce
que l'on a. Dans leurs valeurs, il y avait un vrai souci dans le rapport aux autres de
positiver sur les gens. Je suis arrivé dans ma vie professionnelle, dans ma vie
d'adulte avec cet acquis-là. »#5
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
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L’humilité, la modestie : « Je crois que ce qui est important de montrer aux gens,
c’est qu'on est sans prétention, ce n'est pas parce qu'on est le chef que l'on sait
mieux qu'eux. Pour construire sa légitimité, on doit identifier ses faiblesses, et aider
le collaborateur à trouver des solutions. »#5
L’honnêteté, transparence : “Des choses les plus importantes : l'honnêteté et la
transparence, il faut en situation de crise être totalement ouvert avec sa hiérarchie.
»#5
L’acceptation de la différence : “Moi je pense que si on évolue, avec des périmètres
qui s'élargissent on est condamné quelque part à travailler avec des gens qui ne sont
pas faits comme nous, pas les mêmes valeurs (…) Vous avez des managers qui s'ils
sont uniquement avec des gens câblés comme eux auront de la peine à fonctionner
avec des gens différents. Pour être dans l'acceptation de la différence, il faut déjà un
état d'esprit. Quand je rencontre quelqu'un, je recherche systématiquement ce qu'il y
a de bien dans cette personne. A partir du moment où on prend le problème comme
cela, on devient plus adaptable. Si on s'attache à ce qui gêne dans l'attitude d'un
collaborateur, on va avoir du mal à le manager. Si on s'attache à dire, « bon il a ce
comportement là, mais il a ses valeurs, au sens de ses valeurs ajoutées, qui peuvent
être d'ailleurs très complémentaire des miennes, et dont j'ai besoin, à moi de
m'adapter, de faire évoluer notre relation que ce qui me gêne chez lui, me gêne
moins », que l'on arrive beaucoup plus vite à être capable de manager des équipes
nouvelles. »#5
Parmi les valeurs héritées de ces expériences douloureuses, on retrouve un certain
nombre de principes managériaux parmi lesquels :
La gratitude : “Depuis je cherche toujours à comprendre ce qu'il y a à comprendre.
Je développe aussi la gratitude. Il est très important de redonner du sens. Je réalise
combien c’est important en particulier pour les jeunes qui sont en recherche
d'emploi, ils manquent de rites initiatiques. Les effets de la gratitude : cela ne permet
d'éprouver les mêmes choses que les personnes que j'accompagne, d'être à leur
écoute en passant par l'écoute de soi. Cela permet de diversifier les capteurs de faire
preuve d'une grande finesse d'être positive ensuite pour les autres. Dans les vertus
également il y a le fait d'être en confiance, de faire confiance à la vie. J'ai appris à
demander de l'aide et à en recevoir. »#2
La gentillesse, respect : « Les vertus auxquelles je suis le plus sensible : la
gentillesse et le respect constituent la base. Il y a deux règles pour moi : le ton et les
mots. Je n'écoute pas les gens qui hurlent. Le respect de la personne que l'on a en
face, la bienveillance, la base : je ne critique pas pour critiquer. On peut avoir des
problèmes, être vraiment en contradiction, mais on en parle sans avoir toutes les
émotions négatives. »#3
La gentillesse, bienveillance : « Avoir un problème à régler, être en contradiction, ce
n'est pas forcément un conflit, c'est un sujet qu'il faut adresser, si on les adresse avec
un cadre émotionnel basé sur la bienveillance et la gentillesse, ce n'est pas trop bon
trop con.. »#3
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Être positif, ne pas juger : « Je juge beaucoup moins que je ne jugeais. A cause de
cette ouverture que j'ai acquise aujourd'hui, je vois plutôt l'aspect positif chez les
personnes, et les vertus et les qualités plutôt que les choses qui ne vont pas. Je trouve
qu'on obtient beaucoup plus en encourageant les gens, qu'en jugeant et en étant en
permanence focalisée sur leur défaut. »#3
La bonne autorité : “Il y a moyen de dire les choses, sans humilier, sans rabaisser
les personnes. Je trouve que l'humiliation n'apporte strictement rien. Il y a moyen de
faire passer un message autrement. L'autorité peut passer par d'autres moyens de
communication. .”#4
L’honnêteté : “Parmi les comportements que j'évite : ne jamais m'attribuer ce que je
n'ai pas fait moi-même.”#4
Les dirigeants interviewés établissent donc une distinction nette entre les valeurs
issues de leur éducation et celles qu’ils ont eux-mêmes forgées pendant et à l’issue
des épreuves qu’ils ont traversées. Les valeurs héritées de l’éducation familiale
constituent des ressources servant de repères, aidant à mieux gérer les sentiments
négatifs liées à la difficulté de la situation. Les ressources éveillées dans ces
situations forment un nouveau modèle managérial, que l’on peut qualifier de
bienveillant, orienté vers plus de transparence, d’attention et de gentillesse à l’égard
de ses collaborateurs qui s’apparente au « servant leadership » (Greenleaf, 1973).
Représentation de la spiritualité
Le cheminement spirituel est largement vu dans les témoignages comme un
progrès personnel vers plus de liberté individuelle, un moyen de se réconcilier avec
son passé, une quête d’équilibre ou d’alignement intérieur. A la question : « qu’estce que la spiritualité ? », la spiritualité est proche du champ de la religion, mais elle
va clairement au delà la religion. C’est un ensemble de valeurs, de repères
immuables guidant les comportements. C’est un lien entre soi et tout ce qui est plus
grand que soi, le sentiment de faire partie d’un tout qui nous dépasse. C’est enfin
une capacité à s’affranchir des modèles communs d’ambition et de réussite pour
mieux s’ouvrir aux autres, faire des choix libres et éclairés et finalement s’en
remettre à un autre modèle non rationnel.
« Quand on parle de spiritualité, on pense tout de suite à la religion, avoir la foi,
croire en des valeurs transcendantes par rapport à ce que nous sommes, des
valeurs très importantes au-delà de l'humain. La spiritualité aussi peut sortir du
champ religieux, le fait d'avoir des repères importants qui guident une vie, une
vision, votre comportement privé ou professionnel sur le très long terme. Cela peut
être une croyance en des principes et valeurs immuables. Ce n’est certainement pas
la rationalité. C'est un ensemble de repères, de principes et valeurs. Ce n'est pas
uniquement la religion. C'est réellement la croyance en des choses que l’on
partage, la Vérité (…) Cela aide à pardonner, à développer les autres, à investir
sur les gens (…) Dans la spiritualité, il y a certainement beaucoup de choses qui
viennent de la religion. Dans la spiritualité, il y a des choses qui peuvent ne pas
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venir exclusivement de la religion. La spiritualité est de l'ordre de la liberté
individuelle. Elle est beaucoup plus large, plus ouverte. »#1
« La spiritualité, c’est faire le lien entre soi et l'univers, le fait de faire partie du
tout et d'être le tout. Faire appel à plus grand que soit, à ce qui dépasse. S'en
remettre (mais pas abandonner) à quelqu'un de plus grand, donner une impulsion,
ce n'est pas la religion, c'est une connexion de nature humaine avec quelque chose
de plus grand que soi. J'ai eu une éducation catholique et j'ai été en recherche de
compréhension des religions. La religion est un rayon, le moyeu c'est la
spiritualité, le divin est central. »#2
« On se rend compte que le progrès personnel passe par le fait de se réconcilier
avec son histoire. C'est en ce sens quelque part que le sujet du leadership et de la
spiritualité rejoint celui du sens et de la mission. Il faut qu'il y ait une mission
intérieure qui nous anime et cette mission supérieure, il faut la trouver et
finalement on se trouve typiquement dans cette recherche du sens, qui s'inscrit dans
une continuité entre qui on est et la différence que l'on peut faire à son niveau. Là
où on peut exercer une influence dans notre environnement (…) Pour moi cette
notion d'intégrité physique et mentale doit rayonner sur le rôle de leader qu'on
joue (…)Cette recherche de liberté en termes de comportement est reconnectée
avec la vraie essence de l'être humain qui est à la base de la spiritualité. Mon
modèle comprend la nutrition, la qualité du sommeil, la libération (…) Le meilleur
niveau de relation à l'autre, il est quand on est au point de réconciliation, et pas
dans une forme de démission par rapport à soi-même comme c'est souvent le cas
pour certaines personnes. Pour moi la véritable spiritualité est que nous sommes
tous des êtres divins, c'est la qualité de la relation à soi-même qui est le reflet de la
relation aux autres et à l'univers. J'ai peut-être un niveau d'exigence supérieure à
la moyenne là-dessus, parce que j'ai connu beaucoup de personnes, surtout dans le
conflit et en thérapie, qui ont cette spiritualité de renoncement à soi-même. Or,
pour moi Dieu a dit : tu aimeras ton prochain comme toi-même, aimer comme soimême, savoir le respect de notre matérialisation dans cette vie. La vraie
spiritualité, c'est créer une harmonie dans la relation à soi-même et aux autres et à
l'univers, parce que ces relations se rétro alimentent et nous font progresser. »#3
« Dans la spiritualité je vois des valeurs. Je vois bien ce que l'on met dans les
valeurs. Après la corrélation avec le management des valeurs : pour moi on ne
manage que par ses valeurs, ses valeurs personnelles. La spiritualité est une notion
morale. »#5
Il est important de noter que la question de la définition de la spiritualité n’a pas été
facile à évoquer avec nos interlocuteurs.
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DISCUSSION
Manager pour la
1ere fois
Stretch
assignment
Faire face à un
échec
Bad boss
Bad boss
Faire face à la
Faire face à la
crise Vivre dans
crise Vivre dans
Stretch
un pays de culun pays de culassignment
ture différente
Bad boss
ture différente
Vivre un
Se séparer d'un
bouleversement
collaborateur
personnel
Douleur
Rétablir
Auto-protection
Trouver des
l'équilibre,
Douleur
soutiens
réconciliation
Rétablir
Douleur
Alignement
l'équilibre,
Rétablir
Capacités
réconciliation
l'équilibre,
managériales
Alignement
réconciliation
Révélation
Capacités
Alignement
Tenir le coup
managériales
Prendre soin de
Forces
Découverte de
soi, se connaitre
intérieures
l'humain
Rend plus fort Prendre soin de Faire preuve de
Intériorisation soi, se connaitre
créativité
Rompre avec les
Intuition
Rend plus fort
modèles
Révélation
transmis
Réactions
DRH - F 48 30000 –
alimentation
Auto-protection
Douleur
Empathie
Connexion
Intériorisation
Intuition
Management
spirituel
Rétablir
l'équilibre,
réconciliation
Alignement
Capacités
managériales
Valeurs
Tendances
générales
PDG de filiale M 60 - 32000 Alimentation
Passages
récurrents
A l’examen de ces cinq monographies, nous produisons un tableau comparé qui
permet de rendre compte des différentes variables évoquées par les répondants selon
les passages de leadership qu’ils ont vécu, leurs réactions à ce moment-là, les
valeurs et vertus qu’ils mettent en œuvre durant et après leurs passages ; leur
définition de la spiritualité et la façon dont ils progressent dans ce domaine.
Honnêteté
Vérité
Bienveillance
Charité
Capacité à
pardonner
Visibilité
Faire rêver
Croire en les
autres
Bienveillance
Faire
confiance
Charité
Directrice
Générale - F 45 1000 - Energie
Honnêteté
Vérité
Exemplarité
Bienveillanc
e
Ne pas juger
les autres
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
DRH - M 63 53700 Construction
Honnêteté. Vérité
Capacité à pardonner. Faire
confiance. Ne pas
humilier. Ne pas
culpabiliser les
autres. Exemplarité. Bienveillance. Charité
PDG de filiale
- M 50 13300 Construction
Stretch
assignment
Faire face à
un échec
Tenir le coup
Empathie
Connexion
Management
spirituel
Maïeutique
Trouver des
soutiens
Exemplarité
Bienveillance
Ne pas
humilier
Ne pas
culpabiliser
les autres
Accepter les
différences
Amour
109
Vertus
Définir la
spiritualité
Comment
progresser
spirituellement ?
Engagement
Voir ce qui est
Voir ce qui est
Voir ce qui est
positif
Voir ce qui est
positif.Humipositif
Honnêteté
positif
lité. Savoir
Honnêteté
Respect des
Engagement
donner. Savoir
Respect des
autres
recevoir.Graautres
Bonté
titude
Valeurs
Déficience
Recherche de sens
transcendantes Sujet tabou Connexion
Connexion à soi,
à soi, aux autres, à
Différent de la
aux autres, à
rationalité.
l’univers.
l’univers. Effet de
Repères
Fluidité. Confort
polarisation des
Dépasse la
Valeurs transcendantes
dirigeants
religion Liberté Quête nécessaire mais
Fluidité. Confort
individuelle
difficile
Bouddhisme,
Religion,
Dieu
Développement
personnel,
Constellations
familiales
Passage positif,
témoignage de
reconnaissance, Difficile
de sortir des modèles,
Management des risques
Développement personnel
Médecine alternative
nutrition
Voir ce qui est
positif. Humilité
Savoir donner
savoir recevoir
Courage
Développer les
talents
Déficience
Sujet tabou
Passage
positif,
témoignage de
reconnaissance
Difficile
de sortir
des
modèles
Figure 2 : tableau comparé des témoignages recueillis
Ce tableau nous permet sur la base des variables retenues d’aller plus loin dans
l’analyse et les points de comparaisons possibles entre ces cinq témoignages. Nous
retenons dans la discussion quatre points d’analyse comparée : les réactions sous
forme d’escalade face à l’épreuve, la bienveillance comme outil de dissolution de la
douleur, le besoin d’honnêteté et de réconciliation face aux autres et à soi-même,
l’importance de la notion de modèle et de liberté (re)trouvée.
Réactions face à l’épreuve : une succession d’étapes
Nous constatons que les passages de leadership constituent des épreuves
douloureuses qui appellent des réactions qui s’échelonnent dans le temps. Parmi les
réactions immédiates, on trouve le besoin de trouver une solution au déséquilibre
ressenti. Ce rétablissement d’équilibre passe par un coping évitant et l’instauration
d’un système protecteur : « il faut tenir le coup, serrer les dents », l’intériorisation
des problèmes rencontrés puis par la mobilisation de ressources qui sont soient
ancrées dans les valeurs éducatives, soit mises en conscience et en valeur. La mise
en acte de ces valeurs et vertus génère une libération des modèles acceptés avant
l’épreuve que constitue le passage de leadership. Mais l’épreuve douloureuse est
tellement puissante que le retour en arrière n’est plus possible, n’est plus désirable.
Les personnes découvrent leur force dans une sorte de révélation de soi qui va
permettre de grandir spirituellement.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
110
Cette découverte passe par la mise en avant de différentes préférences :
L’un usera de son intuition en refoulant la rationalité, l’un exercera son empathie,
l’une confinera la rationalité à une étape mentale intermédiaire, l’un fera preuve de
créativité, l’un portera l’attention sur la force intérieure, l’une prendra soin d’elle,
l’un s’assurera des soutiens.
Certaines valeurs et vertus émergent ; par exemple la tendance à privilégier la
bienveillance, l’honnêteté et le sens de la vérité se manifeste largement dans les cas
présentés. Il existe à la fois une part naturelle dans l’exercice de ces valeurs mais
également un développement avec le temps.
La bienveillance : une parade aux émotions trop négatives
La bienveillance se construit sur la stratégie de dissolution du mal :
« Le mal se dissipe car je pardonne, rien n'est immuable. Les choses mauvaises,
lorsqu'elles reviennent, elles nous consument. Il faut évacuer le mal. »#1
Dans la mesure où le dirigeant croit en l'Homme, il va pouvoir déployer sa
bienveillance et aussi la capacité à dégager de la visibilité, à être intègre et crédible,
être en ligne avec ce qu’il dit.
Sur le plan du management, être bienveillant, pour peu que l’on soit compétent et
intègre aussi (Whitener & alii, 1998) afin d’être digne de confiance, permet la mise
en place de la confiance avec l'ensemble du personnel, le fait de faire adhérer la
majorité, la capacité à aider les autres, à se projeter dans l'avenir, faire en sorte que
les collaborateurs du dirigeant sentent que ce qu’il leur dit est la vérité. Le dirigeant
cherche à être crédible au niveau de l'action au jour le jour et aussi à faire rêver, à
faire en sorte que les personnes se disent : « j'ai ma chance ».
Être bienveillant, c’est aussi ne conserver la critique que si elle est à bon escient et
construire des relations, faire en sorte que les collaborateurs tirent du plaisir et de la
satisfaction de leur travail.
Le souci d’honnêteté et de sincérité face aux autres et à soi-même
Également le souci de vérité, le besoin d’être honnête sont soulignés dans
nos témoignages. Certains comportements sont à proscrire ; il s’agit par exemple de
ne jamais s'attribuer ce que l’on n'a pas fait soi-même car le comportement de
reconnaissance a valeur d’exemple. L'intégrité physique et mentale doit rayonner sur
le rôle de leader. Une dirigeante constate combien les personnes sont sensibles à
cette sincérité qui résulte de l'effort qui est fait d'être en harmonie avec soi-même.
Également si la relation est sincère et marquée par le respect, les personnes évoluent.
La sincérité est donc une condition d’un leadership efficace.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
111
Cheminement vers un modèle spirituel et sentiment de liberté
Cette expérience de libération se poursuit pour aboutir à une réconciliation
avec soi-même, avec les autres. La spiritualité apparait comme l’atteinte d’une
liberté qui dépasse la religion. Se réconcilier c’est par exemple mettre en œuvre et
découvrir la puissance du pardon (Seligman & alii, 2005). Si les premières réactions
aux passages de leadership nécessitent des efforts de la part des dirigeants, on
remarque que dans un deuxième temps se produit une sorte de sublimation qui les
pousse à ressentir une forme de fluidité, d’adopter des comportements sans effort,
comme portés par le flot spirituel. Cependant d’une part tous les dirigeants ne sont
pas capables d’atteindre ces sphères et un effet de polarisation entre les dirigeants se
marque avec le temps. D’autre part le cheminement n’est pas facilité dans le
contexte des entreprises aujourd’hui. En effet comme l’offre d’accompagnement en
France et en entreprise est inexistante, les dirigeants soit ne font rien, soit
capitalisent sur l’héritage familial et la religion, soit se tournent personnellement et
volontairement vers une offre hétéroclite. Cette offre comprend le développement
personnel, le bouddhisme, les médecines alternatives, le travail sur le corps, la
nutrition, et des pratiques ésotériques : astrologie, tarologie, référentiels de
naissances, constellations familiales qui subissent l’opprobre et les accusations plus
ou moins fondées de dérives sectaires.
CONCLUSION
Nous avons cherché à montrer l’ampleur qu’un passage peut avoir sur la
puissance de leadership ressenti par des dirigeants. Nous remarquons que chaque
dirigeant trouve dans son creuset (Thomas 2008) des épreuves variées mais
identifiées (Noel & alii, 2004) et des ressources en réponses. Les passages de
leadership sont autant d’occasions d’épreuves qu’offre une odyssée. Le parcours
spirituel des cinq dirigeants montre la face cachée des souffrances ressenties au
contraire de la vision simpliste et en surface que l’on peut avoir du dirigeant dans sa
puissance, son autorité, sa domination. La construction du leadership passe par la
valorisation des états d’adversité, de suspension, d’incursion dans de nouveaux
territoires inconnus… Ce contraste entre les comportements des dirigeants avant et
après l’épreuve, cette distance particulièrement marquante, la durée nécessaire pour
rebondir véritablement, expliquent qu’il s’agisse d’une odyssée, certes subie par le
dirigeant alors que l’épreuve sera choisie délibérément par le mystique religieux qui
fait de l’ascèse une spiritualité consentie. Dans les deux cas toutefois, l’expérience
spirituelle permet de dégager une énergie qui conduit à des formes d’exemplarité à
chaque niveau approprié : le mystique offre un modèle spirituel pour les femmes et
les hommes, parallèlement, le dirigeant est un exemple pour ses collaborateurs et ses
proches. Les ressources identifiées ont été relatées dans le discours avec les concepts
de valeurs ou de vertus. Dans le cheminement spirituel, la vertu apparait comme un
medium, un support pratique, révélateur de la spiritualité. La vertu permet au
dirigeant de maîtriser ses réactions, soit en les modérant, soit en s’affermissant
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
112
(Forasacco, Voynnet Fourboul, 2009). Valeur et vertus constituent des clés d’entrée
raisonnablement accessibles pour investiguer la spiritualité des dirigeants. Les
dirigeants que nous citons à l’appui de notre démonstration, exemplifient les
réactions, valeurs et vertus clés d’où ils tirent leur force en situation de passage : le
pardon, la charité, le soin de soi et des autres, le dévouement créatif et l’accueil des
autres. Tout ceci s’inscrit dans les dernières avancées théoriques en matière de
leadership authentique (Luthans, Avolio 2003), de servant leadership (Greenleaf,
1973), de leadership éthique (Ciulla, 2001)…
Nous prenons acte de l’effet de la spiritualité sur le développement
harmonieux des dirigeants et leur capacité à développer leur efficacité en termes de
leadership, non seulement à ne pas s’effondrer mais surtout à rebondir mieux, plus
haut et ailleurs.
Pour autant, force est de constater que le sujet de la spiritualité, appliqué au
monde de la dirigeance d’entreprise est loin d’être compris et admis. Dans une autre
communication nous avons montré combien l’esprit cartésien issu des conquêtes des
lumières est un modèle prégnant et façonnant l’idéologie rationnelle des dirigeants.
L’ère postmoderne appelle à mettre au devant de la scène l’acteur percevant le
monde, le chercheur bâtissant sa cartographie, sa représentation du monde, le
dirigeant dans la compréhension de sa profondeur intérieure. La spiritualité est un
des moyens de répondre à cette quête postmoderne (Wilber 1996). Cependant ce
travail amène beaucoup d’interrogations :
Pourquoi si cette approche est opérante, n’est-elle pas plus diffusée dans le
monde de l’entreprise ? Parler de spiritualité relève de toute évidence de la sphère la
plus intime. Il est donc important d’établir très tôt durant l’entretien une relation de
confiance et d’échange, un pacte psychologique avec la personne rencontrée qui
peut passer par des échanges réciproques ou par une attitude bienveillante, un
engagement respectueux (Dutton & alii, 2003). Parmi les conseils qu’il est possible
de prodiguer à d’autres chercheurs pour faciliter la démarche d’investigation auprès
de managers, dirigeants et cadres dirigeants, on peut évoquer l’importance de ne pas
présenter trop directement le thème de la spiritualité encore trop souvent connoté à
une forme d’asservissement de l’esprit par des sectes ou du fait d’un prosélytisme
religieux. Le thème de l’épreuve professionnelle à surmonter a été pour nous une
sollicitation nous entrainant à recueillir des expériences liées à des épreuves ; pour
autant il est aussi possible d’envisager de travailler sur une spiritualité s’établissant
dans un contexte moins troublé, plus positif ?
Nous constatons que certains interlocuteurs sollicités dans le cadre de cette
recherche ne sont pas à l’aise avec la façon de définir la spiritualité. Est-il
envisageable d’avoir une spiritualité non exprimée par des mots ? Voire même non
consciente ?
Qu’en est-il des dirigeants qui restent insensibles ou fermés à cette
approche ? Sont-ils pour autant moins performants ? Sans doute cette comparaison
peut faire ultérieurement l’objet de piste de recherche.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
113
Finalement nos travaux servent le champ de la GRH et plus
particulièrement des talents à l’heure où les chercheurs, consultants, professionnels
s’interrogent sur l’entreprise humaniste (« Dare to Care »). Le développement des
talents suppose non pas de faire appel à la formation classique, mais d’éprouver les
hauts-potentiels en les sortant de leur zone de confort afin qu’ils prennent des
risques (Thomas 2008). Le problème est que l’entreprise offre peu
d’accompagnement quant à la façon d’apprendre à partir de l’expérience. L’intérêt
de notre travail consiste à montrer que la spiritualité est une des réponses possibles
au développement des talents. Concrètement nous avons repéré des étapes dans un
parcours non codifié d’apprentissage spirituel. La prise de conscience et la mise en
œuvre de valeurs et vertus constitueraient un premier niveau en surface d’exercice
de la spiritualité, un commencement dans l’évolution spirituelle. La mise en acte
appelle ensuite un exercice de réflexion, de mise en mots pouvant passer par le
partage avec des initiés, et qui traduit l’élévation spirituelle, la mise en cohérence de
soi, l’alignement par rapport à l’environnement. Cette élévation est particulièrement
marquée chez ceux qui se sentent très à l’aise pour évoquer ouvertement leur propre
conception de la spiritualité. Il reste que l’offre d’accompagnement loin d’être
légitimée au pays de Descartes40 ne facilite pas mais n’empêche pas non plus les
dirigeants de se frayer leur chemin volontairement.
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
115
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
116
CHAPITRE 2
QUELLE PRATIQUE DE
GRH ?
Génériques
versus
différenciées
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
117
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
118
MANAGER L’IMPLICATION DU
VOLONTAIRE
Le cas des sapeurs-pompiers
Sébastien CHEVREUIL41
80 % des sapeurs-pompiers français ont un statut
volontaire. L’accroissement de l’activité opérationnelle
des services d’incendie et de secours (SDIS) conduit à
s’interroger sur les ressorts de leur implication. Celle-ci
constitue en effet un levier fondamental pour réduire les
risques d’abandon, susciter une activité plus intense et une
meilleure adéquation de ces individus aux buts de
l’organisation. Nous présentons et discutons les résultats
d’une recherche ayant eu pour support une enquête
qualitative (n=47) dans 3 SDIS sur l’implication
organisationnelle des sapeurs-pompiers volontaires. Il en
ressort que cette implication est influencée par des
variables environnementales telles que l’entourage familial, économique et local du
sapeur-pompier volontaire, ainsi que par des variables organisationnelles recouvrant
les activités opérationnelles, fonctionnelles et les rapports volontairesprofessionnels. Nous avançons, pour ces différentes variables, certaines
préconisations susceptibles d’entretenir et de développer l’implication des sapeurspompiers volontaires.
On comptait environ 250 000 sapeurs-pompiers en France en 2007 (DDSC,
2008). Ces effectifs ont une composition hybride mêlant des militaires (5 % du
total), des professionnels (15 %) et une grosse majorité de volontaires (80 %, soit
199 200). Les effectifs français de sapeurs-pompiers pâtissent d’une faiblesse
numérique structurelle en comparaison à la moyenne européenne (Schmauch, 2000).
A titre d’exemple, l’Allemagne compte environ 1 200 000 sapeurs-pompiers soit 4,8
fois plus qu’en France pour une population seulement 1,3 fois supérieure et un
territoire plus restreint. De plus, les missions des services d’incendie et de secours
français sont les plus étendues d’Europe, puisqu’elles comprennent, en plus des
classiques luttes contre l’incendie, la quasi-totalité des interventions liées aux
41
Docteur ès Sciences de gestion, responsable de projets, Centre de recherches en Management
LAREQUOI, Université de Versailles Saint-Quentin, 47, boulevard Vauban, 78 047 Guyancourt cedex,
01 39 25 50 51, 06 70 92 93 57. Ses recherches portent principalement sur l'implication organisationnelle
et sur le volontariat. sebastien.chevreuil@uvsq.fr, tél : 01.39.25.50.51
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
119
urgences médicales42. Ces dernières représentent aujourd’hui la majorité des
interventions (62 % du total) ainsi que 53 % de la sollicitation des effectifs (DDSC,
2008).
Dans ce cadre, la question de la présence, du maintien voire du développement des
effectifs des sapeurs-pompiers volontaires (SPV) se pose de manière centrale dans le
cadre d’une obligation de couverture efficace du territoire. Les volontaires
constituent selon les lieux, au moins une part non négligeable et souvent la totalité
des effectifs.
Dans ce contexte, nombreux sont les observateurs extérieurs ou acteurs de la
profession, qui ont attiré l’attention de la population et des pouvoirs publics sur un
phénomène de « crise du volontariat »43. Celui-ci aurait pour principaux effets une
chute globale des effectifs de SPV ainsi qu’une baisse significative de la durée
moyenne d’engagement de ces acteurs au sein des services d’incendie et de secours.
L’étude de la pyramide des âges des SPV en France montre que plus des deux tiers
d’entre eux ont 35 ans ou moins (DDSC, 2008).
Face à une telle situation et à l’impératif de continuité du service public des secours,
la question que nous nous posons est celle de la capacité des services
départementaux d’incendie et de secours (SDIS) à mettre en œuvre un management
plus pertinent de l’implication des SPV. Cette interrogation pointe deux objectifs. Le
premier, d’ordre théorique, consiste à développer la connaissance des facteurs
d’implication des populations volontaires insérées dans des organisations employant
également des salariés. Le second, d’ordre managérial, consiste en l’apport de
préconisations visant à susciter cette implication afin d’accroître la disponibilité
globale de ces volontaires (quotidienne et sur le long terme) et ainsi assurer la
meilleure couverture possible des risques sur l’ensemble du territoire.
42
En Europe, seuls les SP danois et finlandais sont en charge d’une diversité de missions aussi large que les
SP français (Schmauch, 2000).
43
Ce thème trouve des échos tant dans la presse locale (e.g. l’Yonne Républicaine, 24 juin 2002 ;
l’Alsace, 24 novembre 2002 ; le Parisien, 25 septembre 2004…), dans des rapports publics (Fournier,
2003), que dans les travaux des parlementaires (JO, question écrite n° 8355 du 10/07/2003, p. 2203 posée
par B. Murat, sénateur ; Rapport Schosteck sur le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, 9
juin 2004 ; Rapport Mariani sur le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, 15 juillet 2004). Un
ancien président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers français parlait quant à lui d’une
« rupture d’équilibre » entre des effectifs supposés en baisse et une augmentation constante des
interventions (JANVIER B. « L’organisation des sapeurs-pompiers en France » in Collectif, 1995, p. 153155.)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
120
IMPLICATION DU VOLONTAIRE DANS L’ORGANISATION
S’inscrivant par certains aspects entre le salariat et le bénévolat, le
volontariat constitue un lien individu-organisation peu fréquent. L’insertion du
volontaire dans une organisation ne va pas de soi et il apparait donc nécessaire de se
pencher sur les conditions de son implication.
Volontariat : délimitation et questions organisationnelles
Si le volontariat ne décrit pas une situation unique, il comporte tout de
même certaines régularités : l’idée d’une collaboration désintéressée et d’un lien fort
entre l’organisation et l’individu. Ce mode de collaboration peut provoquer certaines
tensions chez d’autres acteurs de l’organisation. Le volontaire peut inquiéter ses
collègues salariés et s’avérer source d’incertitude pour son manager.
Les contours du volontariat
Le statut qui relie les SPV aux SDIS est celui du volontariat. Ce statut est
assez mal connu, et souvent assimilé au bénévolat. S’il s’en rapproche parfois, il
s’en distingue par bien des aspects. Pour Valéau (1998), qui a étudié le cas du
volontaire pour la solidarité internationale, « le développement du volontariat résulte
[…] d'un vide juridique : c'est un statut hybride à mi-chemin entre le bénévolat et le
salariat ».
Dans les faits, il faut distinguer plusieurs types de volontariat : le
volontariat international en entreprise ou en administration (en remplacement du
service national en coopération), le volontariat de solidarité internationale, le
volontariat associatif, les sapeurs-pompiers volontaires… Ces volontariats peuvent
même s’opposer sur certains points : l’objet d’un volontariat en entreprise sera par
essence bien différent de celui d’un volontariat de solidarité internationale. Certains
volontariats constituent des activités à temps plein alors que le volontariat chez les
sapeurs-pompiers ne peut constituer qu’une activité secondaire.
Tous ces statuts recouvrent donc des réalités assez diverses. Toutefois, ils
comportent également certaines régularités. Le volontariat correspond à un
engagement réciproque entre un individu et une organisation, beaucoup plus fort que
dans le cas du bénévolat, mais avec une dimension financière sans comparaison
possible avec le salariat. Le contrat de volontariat associatif encadre par exemple
« une collaboration désintéressée entre l’organisme agréé et la personne
volontaire »44. La relation financière entre le volontaire et l’organisation qui
l’accueille est donc très claire : en échange de l’activité du volontaire, l’organisation
lui verse une indemnité visant soit à assurer sa subsistance, soit à le détacher des
contingences financières pendant la durée de son activité. Ce que verse
l’organisation au volontaire est donc bien moins lié à sa compétence ou à son
expérience qu’à ce dont il a besoin pour continuer d’exercer cette activité. Dans la
44
Article 1 de la loi n°2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement
éducatif.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
121
même logique, il bénéficie d’une protection sociale. Le volontariat suppose le plus
souvent la mise à disposition par l’individu de compétences particulières et il
bénéficie en retour d’un programme de formation de la part de l’organisation qui
l’accueille. Le volontariat suppose de plus un engagement contractuel pour une
période prédéterminée et relativement longue (comptée en semestres voire plus
généralement en années).
En résumé, le volontaire occupe un espace théoriquement assez restreint situé aux
frontières d’une part du bénévolat et d’autre part du salariat. Il partage avec le
bénévole d’avoir choisi son activité, mais doit l’exercer avec une régularité et une
intensité dont il n’a pas la totale maîtrise. En retour, l’organisation doit assurer une
prise en charge du volontaire qui est sans commune mesure avec celle du bénévole.
Les questions organisationnelles posées par le volontariat
Les organisations s’appuyant à la fois sur des salariés d’une part et sur des
bénévoles et/ou des volontaires d’autre part posent des problèmes spécifiques de
management (VanVuuren et al., 2008).
Les salariés de telles organisations peuvent percevoir la présence de
volontaires comme une menace pour leurs attributions, pour leur activité, pour leur
statut, et en définitive pour leur poste. En effet, comment ne pas se poser ces
questions lorsqu’une catégorie d’acteurs accepte de prendre part à une activité sans
réelle contrepartie financière ? Les salariés peuvent considérer que les volontaires
sont d’un meilleur rapport qu’eux-mêmes du point de vue de l’organisation. Le
risque peut être perçu encore plus intensément lorsque les activités réalisées sont
proches. Dès lors, dans l’esprit des salariés, qu’est-ce qui pourrait empêcher la
direction d’une organisation de substituer aux salariés des volontaires a priori bien
moins coûteux ? Pour se prémunir de telles menaces, ils peuvent être tentés de se
démarquer très sensiblement de leurs collègues volontaires, en établissant une
frontière nette entre les deux groupes.
Une telle atmosphère de compétition intergroupe peut avoir pour
conséquence de démoraliser les volontaires, qui réalisent que leur participation n’est
pas accueillie aussi favorablement qu’ils ne l’auraient espéré. La déception est
d’autant plus grande qu’inattendue : le volontaire arrive dans une organisation, mu
par l’intérêt qu’il porte aux objectifs affichés par celle-ci. Il lui fait bénéficier de son
temps, de son travail et de ses compétences, sans attendre de rémunération en retour.
Finalement, il doit constater que son activité est contestée, jugée suspecte ou
dépréciée par les salariés. La situation peut le dérouter et l’amener à remettre en
question sa présence dans l’organisation.
Pour des raisons différentes, les managers de ces organisations peuvent à
leur tour exprimer certaines réticences à recourir à des volontaires. Ceux-ci seraient
réputés difficiles à diriger puisqu’on ne peut leur opposer un contrat rémunéré. Du
fait de cette absence d’incitation financière, on peut également craindre une plus
forte propension à quitter l’organisation en cas de problème (VanVuuren et al.,
2008). Formulé en d’autres termes, le comportement des volontaires serait beaucoup
moins sensible que celui des salariés à une pression coercitive de la part de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
122
l’organisation (Dawley et Stephens, 2005). En quelque sorte, le volontaire peut
déstabiliser le manager par le simple fait de sa présence : celui-ci n’a pas forcément
besoin d’être motivé puisque sa présence résulte par définition de son adhésion
pleine et entière aux buts de l’organisation. Cependant, qu’advient-il en cas de
divergence prononcé entre buts affiché par l’organisation et réalité ressentie par le
volontaire ? De quels leviers le manager dispose-t-il ?
On l’aura compris, la présence du volontaire dans l’organisation emporte de
multiples conséquences sur son fonctionnement. Il devient dès lors nécessaire pour
le manager de comprendre comment créér un cadre favorable à l’implication de ces
volontaires.
Implication des volontaires
L’implication est un concept qui s’attache à décrire la lien qu’un individu
entretient avec une organisation. Une implication positive suscite chez l’individu
une volonté d’adopter les buts de l’organisation. Le volontaire, s’insérant de manière
atypique dans l’organisation, va également expérimenter un type d’implication
particulier
Retour sur l’implication
Contrairement à la notion d’engagement, qui décrirait une relation plutôt
fondée sur un investissement physique, quotidien, l’implication repose sur une
relation temporelle plus profonde, plus continue de l’individu vis-à-vis de
l’organisation. Cette relation d’implication a fait l’objet de nombreuses typologies
ayant pour objet de détailler les mécanismes liant l’individu à l’organisation (Kanter,
1968; Porter et al., 1974 ; Reichers, 1985). Pour leur part, Allen et Meyer (1990)
proposent une classification de l’implication en effectuant une distinction entre trois
dimensions : une dimension affective, basée sur l’attachement émotionnel,
l’identification de l’individu à une organisation, une dimension continue ou
calculée, basée sur une évaluation des avantages que l’individu peut retirer en
restant au sein de son organisation et enfin une dimension normative, reposant sur
un sentiment d’obligation morale de rester dans l’organisation. Ces auteurs ont
développé une échelle de mesure de l’implication en fonction de ces trois
dimensions.
Il existerait trois conditions nécessaires à l’implication organisationnelle (la
condition suffisante étant la volonté de l’individu) (Thévenet, 2000) :
- la cohérence entre discours et action ;
- la réciprocité, l’implication doit exister également de l’organisation vers la
personne ;
- l’appropriation, par un processus d’identification de l’individu se retrouvant dans
un contexte, une action donnée.
À la vue de ces éléments, nous nous appuyons sur la définition suivante de
l’implication : L’implication est l’ensemble des attitudes et comportements d’un
individu qui permettent l’adéquation entre les buts de cet individu et ceux d’une
organisation, en mobilisant des processus affectifs, cognitifs et normatifs.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
123
L’implication favorise, sans les engendrer automatiquement, une activité plus
intense et plus en adéquation avec les attentes de l’organisation ainsi qu’une
persévérance, une longévité accrue au sein de la structure organisationnelle.
Certaines recherches ont montré la pertinence de caractéristiques – propres aux
individus ou résultant de la relation individu/organisation – pour présager (et non
s’assurer) de leur implication.
On peut ainsi noter que l’implication serait positivement corrélée à l’âge
des salariés (Mathieu et Zajac, 1990) ainsi qu’à l’ancienneté dans l’organisation et
dans une moindre mesure, à l’ancienneté dans le poste occupé. La rémunération
serait de la même façon corrélée positivement à l’implication calculée, comme on
pourrait s’y attendre, mais également à l’implication affective, le montant versé par
l’organisation au salarié reflétant alors la considération qu’elle éprouve à son égard.
La formation, par opposition, serait négativement reliée à l'implication, et ceci du
fait que les individus les plus formés auraient des attentes plus élevées, que les
organisations ne pourraient plus satisfaire (Mowday et al., 1982, Morris et Steers,
1980). Pour que la formation ait une influence positive sur l’implication, il faut
qu’elle s’accompagne d’une extension des responsabilités (Mathieu et Zajac, 1990),
des défis à relever, de la marge de manœuvre laissée à la disposition du salarié.
Spécificités de l’implication chez le volontaire
Quelques recherches spécifiques, à notre connaissance, ont été menées sur
les attitudes et comportements de personnels volontaires, sapeurs-pompiers ou
autres. Ces travaux nous suggèrent des facteurs dont l’influence peut être importante
dans le niveau de participation et de persévérance dans l’activité de l’organisation,
autrement dit dans leur niveau d’implication organisationnelle.
Elshaug et Metzer (2001) effectuent une comparaison attitudinale entre
trois groupes de population : des salariés d’une association humanitaire, des
bénévoles dans cette même association et des sapeurs-pompiers volontaires. Leurs
résultats semblent montrer, tant chez le groupe de bénévole que chez celui des SPV,
une tendance à un accroissement de l’implication en fonction de l’ancienneté,
caractérisé dans ce cas par un investissement temporel hebdomadaire accru au fil des
années d’ancienneté. Ce résultat est corroboré par Knox (1999) qui de son côté
décrit un processus d’accroissement de l’implication des volontaires au fil du temps,
qu’il explique par un mécanisme de dépendance de sentier dans leurs activités.
Laczo et Hanisch (1999) se focalisent sur une des conséquences identifiées
de l’implication – le comportement de retrait organisationnel – en mettant en
évidence les différences entre des salariés et des bénévoles évoluant dans une même
organisation. Selon eux, les bénévoles seraient moins enclins que les salariés à
émettre des doutes sur leur présence au sein de l’organisation. Les bénévoles
éprouveraient par ailleurs plus de satisfaction à travailler avec leurs collègues
bénévoles qu’avec leurs collègues salariés, tandis qu’il n’y aurait pas de différence
significative, pour les salarié, entre la satisfaction qu’ils éprouvent à travailler avec
d’une part des homologues et d’autre part des bénévoles.
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124
Thompson et Bono (1993) se sont intéressés spécifiquement à l’implication
des sapeurs-pompiers volontaires. Ils développent la théorie selon laquelle les
citoyens qui s’engagent dans l’activité de SPV le font afin de combattre les
mécanismes d’aliénation présents dans le modèle traditionnel d’organisation.
L’aliénation des individus se décompose en plusieurs concepts, que sont :
l’impuissance des individus à modifier l’environnement dans lequel ils évoluent ; la
perte de sens dans leur activité ; l’isolement social, et la non réalisation de soi (selfestrangement). L’activité de sapeur-pompier volontaire serait alors un « îlot »
organisationnel au fonctionnement distinct, puisqu’elle permettrait d’une part d’agir
directement, de façon tangible et immédiate sur son environnement et d’autre part de
conserver le contrôle de sa propre activité de production.
Ces auteurs ont mis en évidence la plus forte implication des individus dans
leur activité de SPV que dans leur activité professionnelle. Celle-ci se manifeste par
le fait de fournir plus d’efforts dans l’activité, de se sentir plus utile, plus concerné
par les questions organisationnelles, d’éprouver un plus fort sentiment
d’appartenance envers le corps de sapeurs-pompiers. Lorsque les SPV ont été
interrogés sur les raisons qui les amèneraient à démissionner de cette activité, les
réponses ont été assez fréquemment orientées vers l’éventualité d’une augmentation
contraignante des règles de fonctionnement du corps, ce qui renforce l’idée que les
SPV recherchent spécifiquement dans cette activité une certaine autonomie
organisationnelle.
Une autre recherche, menée par Simpson (1996), portant également sur les
corps de sapeurs-pompiers volontaires aux Etats-Unis, confirme la description faite
par Thompson et Bono (1993), notamment en ce qui concerne la perception des
centres de secours ruraux comme des lieux de socialisation particuliers, dont le
rayonnement dépasse le cadre strict de l’activité opérationnelle, jusqu’à constituer le
principal centre de vie sociale des communes. Simpson insiste également sur la
dimension autonome de leur activité (recherche de fonds pour assurer leur
fonctionnement) et sur la relation étroite qu’ils entretiennent entre eux, caractérisée
par un sentiment d’appartenance à une « fraternité de danger ».
Les résultats de ces travaux nous incitent à nous interroger sur les ressorts de
l’implication de la population particulière que sont les SPV. Dans quelle mesure ces
ressorts proviennent-ils de l’activité en elle-même, de l’institution dans laquelle elle
s’inscrit, voire des relations de groupes qui s’y développent ?
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125
MÉTHODOLOGIE
Accéder à un terrain de recherche ne s’impose jamais comme une évidence.
Dans le cas des SPV, un arbitrage est nécessaire entre respect de la voie hiérarchique
et liberté de ton. Les guides d’entretien ont été adaptés à la position statutaire
(professionnelle ou volontaire) et au niveau hiérarchique des personnes interrogées.
Négociation de l’accès au terrain
L’accès au terrain nécessite un savoir faire technique et une réflexion sur
les conséquences de l’« intrusion » du chercheur dans son champ organisationnel de
recherches. Baumard et al. (2003) suggèrent que cet accès peut se faire avec ou sans
l’assentiment des responsables de l’organisation ciblée. Cependant, l’accès
« sauvage » peut entraîner de sérieuses difficultés ultérieures. A l’inverse, la
négociation « officielle » d’un accès au terrain permet l’établissement d’une relation
de confiance facilitant le contact avec les personnes qui seront interrogées. Ainsi,
selon eux :
« Une approche progressive peut s’imposer pour minimiser la menace
potentielle que le chercheur représente et ne pas bloquer l’accès au terrain […].
Des méthodes de collecte telles que l’observation participante et l’interview en
profondeur permettent de se familiariser avec le contexte et d’éviter ou de retarder
certains faux-pas rédhibitoires. Elles offrent l’opportunité de construire une relation
de confiance qui constituera la clef d’accès aux données. » (Baumard et al, 2003, p.
242)
C’est donc entre ces deux écueils, entre influence hiérarchique et méfiance de
l’organisation que nous avons dû progressivement naviguer pour accéder à nos
interviewés.
Quels Services départementaux d’incendie et de secours ?
Nous avons initialement noué des contacts dans 6 services départementaux
qui ont permis la réalisation de 9 entretiens exploratoires. C’est parmi ces 6
départements que nous avons choisis les 3 départements dans lesquels nous
souhaitions poursuivre plus en profondeur nos observations empiriques. Sans
prétendre à une représentativité statistique, nous avons toutefois cherché à
diversifier les situations, particulièrement au point de vue géographique et
démographique, qui influent lourdement sur la structure organisationnelle des SDIS,
et donc sur la place des SPV dans cette structure. Voici une brève description des
caractéristiques de chacun d’eux :
- Le SDIS 1 est caractérisé par un territoire très vaste et, sur une partie de ce
territoire, par une relative autonomie des SPV. En effet, nous avons réalisé
nos entretiens dans des centres appartenant à un groupement territorial
faiblement peuplé et donc composé exclusivement de SPV, à l’exception du
chef de groupement et de son adjoint.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
126
-
-
Le SDIS 2 présente au contraire une densité de population plus élevée et
compte davantage de SPP. L’activité opérationnelle y est fortement
marquée par les feux de forêt.
Dans le SDIS 3, nous nous sommes focalisé sur un groupement se situant
géographiquement entre deux régions de forte urbanisation, ce qui en fait
par certains aspects une « zone dortoir », où l’on réside davantage que l’on
ne travaille. Cette configuration accentue les problèmes de disponibilité des
SPV dans la journée.
a) Quels centres ?
Pour chacun des 3 SDIS, nous souhaitions aborder l’éventail le plus large possible
des structures dans lesquelles peuvent évoluer les SPV. Comme nous l’avons noté
dans la section précédente, la taille de la structure est l’un des facteurs ayant une
influence sur l’implication des individus. Parmi les centres ciblés pour les entretiens,
l’effectif va du simple au décuple, du très petit centre composé uniquement de
volontaires, au centre où la présence de professionnels est significative. L’écart au
niveau de l’activité opérationnelle est encore plus marqué, avec un rapport de 1 à 50
dans le nombre d’interventions réalisées entre les deux extrémités du spectre. La
classification normalisée des unités opérationnelles en Centre de Secours Principal,
Centre de Secours et Centre/Corps de Première Intervention (CSP, CS et CPI),
parfois tombée en désuétude dans certains départements, est toutefois riche de sens
dans les représentations collectives des sapeurs-pompiers. Nous nous sommes donc
appuyé sur cette classification pour définir les 3 centres où auraient lieu les
entretiens dans chacun des 3 départements.
b) Quels individus interroger ?
Le critère majeur pour déterminer quels individus nous allions interroger fut celui du
niveau de la responsabilité exercée au sein du centre. Dans la mesure où nous
souhaitions étudier l’influence du management sur l’implication des SPV, il nous
semblait primordial de recueillir les perceptions des responsables des groupements
territoriaux, des chefs de centre et des premiers membres de l’encadrement que sont
les sous-officiers volontaires. Par ailleurs, 82 % des SPV sont hommes du rang (i.e.
ni officier, ni sous-officier), et il nous paraissait logique qu’ils soient largement
représentés. Notre échantillon se constituait donc par voie hiérarchique, avec la
forme suivante pour chaque département :
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127
Tableau 1 : Programme des personnes à interroger dans chaque SDIS
1 Chef de Groupement
CSP :
1 Chef de centre
1 Sous-officier
3 Hommes du rang
16
entretiens
CS :
1 Chef de centre
1 Sous-officier
3 Hommes du rang
par SDIS
(48 au total)
CPI :
1 Chef de centre
1 Sous-officier
3 Hommes du rang
Ce choix d’accéder à des individus de manière indirecte et hiérarchique
n’est évidemment pas sans incidence (Blanchet et Gotman, 2001). Il apporte
cependant l’avantage de maximiser les chances d’acceptation de l’entretien. De fait,
nous n’avons essuyé qu’un seul refus sur 48 demandes. Afin de tenter de réduire les
effets du biais hiérarchique, nous avons toujours spécifié le caractère anonyme de
nos entretiens à nos interlocuteurs.
Outil de collecte des données empiriques
L’entretien semi-directif est constitué de quelques questions majeures,
représentant les grands thèmes pour lesquels il est impératif d’avoir des réponses,
puis de questions connexes ou de relance (Quivy et Van Campenhoudt, 1995).
Celles-ci doivent permettre de faire prendre à l’entretien un tour plus profond,
confrontant autant que possible le répondant à son expérience, son ressenti propres,
si possible débarrassés des quelques formules et enchaînements pré-établis de
notions développés au cours d’un lent processus de création organisationnelle de
sens.
Comme nous souhaitions aborder les représentations des SPV, l’influence des
processus de management sur leurs représentations et au final sur leur implication,
nous avons adapté les guides en fonction de la position hiérarchique, puis statutaire
des interviewés. Nous avons conçu nos guides d’entretien autour de l’idée de
comprendre ce qui, dans le parcours des SPV, pouvait influer sur leur implication.
Nous nous sommes notamment appuyé sur les éléments suivants :
- Les apports de la littérature concernant l’implication : rôle de l’âge, de
l’ancienneté, de la rémunération, de la formation, de la prise de
responsabilité…
- Les différentes facettes de l’implication : implication affective, calculée,
normative ;
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128
-
Les apports spécifiques de la littérature sur l’implication des volontaires :
attentes selon les âges, relation entre volontaires et entre salariés et
volontaires, attitude face au poste occupé, recherche d’un modèle antialiénant…
- Les pistes mises en évidence lors de notre recherche exploratoire (d’accès
au terrain) : l’influence de la sphère familiale et amicale, la connaissance
antérieure du milieu, la responsabilisation des volontaires dans les aspects
opérationnels ou fonctionnels de leur activité…
Les 47 entretiens de la phase qualitative se sont déroulés sur une durée moyenne
d’un peu plus d’une heure, avec des extrêmes allant de 30 mn à 2h30mn. Ils ont
ensuite fait l’objet d’une retranscription intégrale. Le matériau obtenu a été traité
par une analyse thématique de contenu. Certains thèmes furent issus de la trame du
guide d’entretien. L’analyse des premiers entretiens a également permis l’émergence
de thèmes supplémentaires, dans lesquels les entretiens suivants ont été classés à
l’aide de regroupements analogiques.
RÉSULTATS
L’implication des SPV est favorisée par des éléments liés d’une part à leur
environnement, entendu au sens large, et d’autre part aux conditions
organisationnelles dans lesquels ils exercent leur activité.
Dimensions environnementales de l’implication des SPV
Le manager se doit d’être conscient des forces exercées par
l’environnement. Le milieu familial, communautaire, économique et finalement
l’ensemble de la population défendue vont jouer un rôle non négligeable sur
l’implication du volontaire.
Le poids de la famille
La dimension familiale joue un rôle important dans l’enrôlement des SPV.
On peut dans une certaine mesure parler d’une transmission héréditaire du métier,
ou du moins de l’activité, de sapeur-pompier. La fréquence des antécédents
familiaux semble suffisamment marquée pour que nous nous penchions avec
attention sur le sujet. En effet, sur 42 SPV interrogés, 20 d’entre eux, soit presque la
moitié, ont déclaré qu’un ou plusieurs membres de leur famille avaient été ou étaient
actuellement sapeur-pompier45.
Après décompte issu de nos entretiens, les résultats en fonction de la catégorie du
centre auquel appartient le SPV se répartissent comme suit :
45
De plus, certains SPV interrogés n’ont pas d’antécédent familial mais ont eux-mêmes été suivis par un
ou plusieurs autres membres de leur famille dans cette activité.
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Tableau 2 : Ampleur des antécédents familiaux en fonction du type de centre
CPI
CS
CSP
Nombre de SPV déclarant au
10 sur 15
6 sur 15
4 sur 12
moins un antécédent familial
L’analyse de ces proportions permet de nous interroger sur la corrélation entre taille
du centre et ampleur des liens familiaux. En effet, plus la taille des centres est
modeste, plus leur recrutement semble s’appuyer sur une dimension familiale. Cette
caractéristique semble avoir une incidence sur le fonctionnement général du centre :
organisation moins formalisée, canaux de circulation de l’information plus directs,
implication davantage reliée à l’ambiance générale qu’à l’activité opérationnelle.
La persistance de l’implication dans l’activité de SPV paraît par ailleurs
conditionnée en partie à l’acceptation du conjoint, ou plus largement de la famille.
Devant cette constatation, nous avons observé différents types d’adaptation. Certains
choisissent délibérément de faire coïncider plus amplement les relations individu –
organisation et les relations individu – famille :
« Il y a déjà mon mari qui était pompier en 1999, donc moi je suis rentrée en 2000 et
puis après les enfants sont rentrés un peu plus tard. Ça fait 4 pompiers […] Nous ça
va parce qu’on est une famille de pompiers, que, qu’on a tous les mêmes buts, pour
nous c’est comme si qu’on avait un loisir tous ensemble… […] Quand je suis du
matin, mon mari me remplace, c’est pour ça que je ne me mets pas dans la même
équipe »
Les relations communautaires
Même sans lien familial antérieur, nombre de SPV avaient souvent noué des
liens avec d’autres membres du centre de secours avant même d’y débuter une
activité. Parfois, la dimension communautaire peut même s’avérer déterminante
pour intégrer un centre.
« C’est vrai qu’on embauche des jeunes, mais qu’on connaît, quoi. On sait à 99 %
que ce sont des jeunes biens, quoi, enfin biens… qui connaissent un petit peu la
maison »
Que ce soit pour freiner ou favoriser une candidature, la volonté de certains
responsables locaux est de s’assurer, au gré des renouvellements d’effectif, de la
perpétuation d’un groupe socialement homogène. Ces critères de recrutement
peuvent dans une certaine mesure, par effet de cohésion, alimenter une dynamique
propre à susciter l’implication des effectifs d’un centre mais peuvent également,
dans d’autres cas de figure, scléroser une telle organisation et avoir des effets
négatifs sur l’implication des SPV.
L’environnement économique
L’implication dans l’activité de SPV peut dans certains cas être située dans
un cadre dépassant les limites strictes du SDIS dans la mesure où d’autres
organisations tirent avantage à employer des SPV.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
130
Les mairies et autres collectivités locales, soucieuses de la qualité des secours
sur leur territoire, peuvent chercher à inciter leurs employés à s’engager comme
SPV, ou encore privilégier le recrutement en tant qu’employé communal de SPV
locaux. Avant que le processus de départementalisation ne soit mis en route, la
responsabilité de l’organisation des secours incombait à l’échelon communal et de
nombreuses mairies ont conservé cette préoccupation. Travaillant par définition sur
le territoire de la commune, ces SPV ont l’avantage de combler par leur présence les
indisponibilités de ceux dont l’activité professionnelle se situe à l’extérieur.
« S’il y a […] deux personnes pour le poste vacant, ils vont privilégier le gars qui
s’investit dans la vie associative, et donc ils ont embauché récemment 2 sapeurspompiers volontaires, quoi. […], il y a quand même 6 personnes qui sont employés
communaux et SPV, ça nous permet d’avoir parfois 2, 3 personnes disponibles
pendant la journée, quoi. »
D’autres organisations attendent de leurs salariés des connaissances et
compétences techniques identiques ou proches de celles développées par les SPV.
Les hôpitaux, en employant des brancardiers ou des infirmières, les artisans
ambulanciers appointant des conducteurs, les entreprises salariant des agents de
sécurité incendie ou ayant trait à la sûreté nucléaire… ont un intérêt certain à
recruter des SPV, pour économiser le coût de certaines formations et/ou s’assurer
d’une pratique régulière de gestes professionnels similaires dans les deux activités.
Le rôle de la population locale
Les SPV entretiennent également un rapport étroit à une communauté plus
large, formée de l’ensemble des individus vivant sur le territoire qu’ils défendent.
Pour les activités de secours d’urgence, il s’agirait quasiment d’une évidence : à la
question « Pourquoi êtes-vous sapeur-pompier volontaire ? », un des éléments de
réponse revenant le plus souvent et qui est exprimé avec le plus de force est celui du
service, de l’aide à la population.
« Le fait de pouvoir rendre service aux gens, moi je dis toujours, des personnes vont
aider d’autres personnes et leur donnant à manger, à boire, des vêtements, des
meubles, ben moi, ma façon de les aider c’est… en leur sauvant la vie, si je peux. »
Les très nombreuses réponses données dans ce sens montrent à quel point
l’utilité de l’activité de SPV est ressentie et intériorisée par ces derniers, grâce au
reflet qui leur est renvoyé par la population. On peut alors lire dans les déclarations
des SPV la place que prend leur activité dans le renforcement de leur estime de soi.
Certaines déclarations comportent également une part d’implication calculée, en
rapport avec l’ancienneté acquise :
« L’envie. L’envie d’aider les gens, tout ce que j’ai appris depuis 93, j’ai pas envie
de l’arrêter comme ça, bon. Si j’ai fait tout ça c’est pour continuer jusqu’au
bout… »
Ces réponses sont fréquemment associées à une précision, surtout dans les
centres de dimension moyenne ou modeste : les SPV rendent service à des
personnes qu’ils connaissent, qu’ils peuvent fréquenter, de près ou de loin, depuis
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
131
plus ou moins longtemps. La dimension d’enracinement, ici encore, prend une part
non négligeable dans la justification de l’activité.
« Les personnes on les connaît pratiquement toutes. […] Alors, tiens ils disent, ils
nous rendent service, alors on leur rend service, mais bon quand on passe, les
calendriers, les gens, on dit tiens les pompiers sont venus nous voir, on a eu besoin
d’eux, ils nous reconnaissent, […] Ils sont reconnaissants. »
Le thème de la « reconnaissance » est abordé dans sa double acception
d’identité et de gratitude. Le SPV ne va pas seulement, par son action, aider une
personne dans la difficulté, il va aussi rendre service à une personne qu’il connaît et
qui le connaît, ou qui connaît un membre de sa famille, un ami, etc. Dès lors, l’état
de SPV peut permettre l’entretien d’un réseau relationnel bénéfique à l’individu. A
l’inverse, dans des centres implantés dans des zones urbaines plus denses, où la
notion d’enracinement a moins cours, le retour exprimé par la population, sa
reconnaissance est d’autant moins présente, pouvant se traduire par de
l’indifférence, quand il ne s’agit pas d’une réelle hostilité dans le pire des cas.
En dehors de l’activité opérationnelle, les SPV continuent de tisser des liens avec la
population locale. Le plus emblématique de ces liens est peut-être la tradition de la
présentation des calendriers, en fin d’année. Même s’ils ont la possibilité de ressentir
la reconnaissance des victimes dans l’urgence, il est plus aisé pour ces dernières
et/ou leur entourage de revenir sur l’épisode plusieurs mois après, et d’exprimer aux
SPV leur gratitude. L’activité de présentation des calendriers vient donc assurer une
fonction de « bouclage » d’un cycle initié par l’action des SPV et terminé par des
gratifications et remerciements.
Dimensions organisationnelles de l’implication des SPV
Au sein de leur centre, de leur SDIS, l’implication des sapeurs-pompiers
volontaires va être stimulée par leurs activités, qu’elles soient d’ordre opérationnel
(interventions), fonctionnel, mais aussi relationnel, notamment dans les rapports
qu’ils entretiennent avec leurs homologues professionnels.
L’activité opérationnelle
L’activité opérationnelle est la première raison invoquée par les SPV pour
expliquer leur engagement initial.
« Je dis que c’est beau, moi, quand on est pompier et qu’on a porté secours […]que
l’action qu’on a menée a permis de sauver la personne, sans le chanter sur les toits
[…] Disons que ça, ça fait plaisir, c’est comme un gars qui joue au foot quand il
marque, je pense qu’il est content… »
Pour assouvir leur soif d’activité opérationnelle, certains SPV n’hésitent
pas à faire des choix engageant leur vie personnelle, familiale, professionnelle.
L’idée, par exemple, de prendre des congés pour participer à des interventions n’est
pas une rareté.
Certains peuvent aller jusqu’à changer de lieu de résidence et de travail afin
d’évoluer dans un centre correspondant mieux à leurs attentes en termes d’activité
opérationnelle.
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132
« J’ai muté parce que je m’y retrouvais pas dans un CSP et je pensais que dans un
CS ça allait être mieux et effectivement, c’est différent et c’est mieux. […] Je l’ai
pas fait dans l’ordre, hein, normalement les gens mutent parce qu’ils changent de
domicile, moi j’ai muté pour changer de caserne. Et j’ai changé de domicile
après. […] Les volontaires n’étaient pas affectés sur un camion, donc le bip pouvait
sonner 15 fois, les pros sortaient et les volontaires attendaient »
Au premier effet que nous avons détaillé ci-dessus vient s’ajouter une
dimension supplémentaire. Celle-ci est liée à la notion de maîtrise, qui peut être
collective et individuelle. Cette maîtrise est le résultat d’un processus de long terme,
cumulatif, et qui entraîne à son tour des conséquences sur l’implication continue des
SPV.
Ainsi, le nombre d’interventions semble jouer sur la capacité des SPV à réaliser
celles-ci de façon satisfaisante, en développant leur capacité de coordination
technique mais également en permettant un approfondissement des relations interpersonnelles, afin de tendre vers des automatismes. Il en résulte une sensation
d’appartenir à de « bonnes équipes », à un « bon groupe » qui favorise l’implication.
L’activité fonctionnelle
Après analyse des entretiens, il semble que les activités relatives à
l’entretien des centres, à leur organisation ou au maintien en condition des sapeurspompiers n’engendrent pas les mêmes mécanismes d’implication selon qu’ils sont
majoritairement pris en charge par le groupe SPV lui-même ou au contraire
principalement gérés par l’autre groupe, celui des SPP. Les centres à autonomie
volontaire offrent aux SPV l’opportunité de mener une vaste palette d’activités qui
viennent renforcer leur sentiment d’appartenance à l’organisation.
Dans ces centres, des SPV voient dans la gestion des formations un facteur
potentiel d’implication. Il s’agit de sous-officiers ou de caporaux qui aspirent à le
devenir. Les activités de formations sont pour eux un moyen d’exercer des
responsabilités et de prolonger les satisfactions qu’ils retirent de leur expérience
opérationnelle.
D’autres activités, administratives et d’entretien du matériel, concourent à
la responsabilisation et à l’accroissement du sentiment d’appartenance des membres
de ces centres. Les tâches en lien avec l’outil bureautique favorisent le recours aux
compétences des plus jeunes SPV. Ils peuvent être amenés à côtoyer de près le chef
de centre, ses tâches quotidiennes et ainsi prendre conscience des problèmes que
pose l’organisation du centre pour finalement se sentir personnellement plus
concerné par ceux-ci.
Les activités liées à l’amicale tiennent aussi une place importante. L’amicale
d’un centre est une association parallèle à celui-ci, qui pourrait par certains aspects
prendre les traits d’un comité d’entreprise, mais parfois bien davantage. Cette
structure parallèle, souvent très vivace dans les centres à autonomie volontaire,
produit une spécificité dans la manière dont est organisé le temps autour des phases
opérationnelles. La structure associative permet au groupe de dépasser la simple
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
133
exigence technico-opérationnelle requise par le SDIS lors des interventions, en y
adjoignant une phase postérieure axée sur la convivialité et le développement
d’inter-relations au sein du groupe (organisation de repas, aménagements du centre,
entretien d’un foyer…).
Les relations SPV-SPP
L’analyse de nos entretiens nous mène à penser que la présence conjointe
de SPP et de SPV dans une caserne (nous parlerons de centre mixte) peut générer
des mécanismes de fonctionnement, des modes de relations voire un système de
normes et de valeurs très différents des centres à autonomie volontaire.
Même si les SPV sont majoritaires dans ces centres, les responsables
hiérarchiques y sont en majorité professionnels. Les SPV des centres mixtes ont
sensiblement moins d’opportunités d’évolution hiérarchique et, partant, moins de
possibilités de prendre des responsabilités opérationnelles ou hors opérationnel.
En ce qui concerne le domaine de la formation, il n’existe pas dans certains
centres de manœuvre mensuelle pour les volontaires. Ceux-ci suivent la manœuvre
journalière des SPP lorsqu’ils effectuent une garde dans la journée. Il n’est alors pas
possible de prendre en compte le rythme et la cohérence du programme de formation
du SPV, comme cela peut se faire dans d’autres centres sur la base d’un planning
annuel. Chaque SPV se retrouve donc avec un temps et un contenu de formation
différents, redondant sur certains sujets et lacunaire sur d’autres. Ensuite, cette
situation met en permanence les cadres volontaires en concurrence avec leurs
homologues professionnels, ce qui réduit sensiblement leurs chances d’avoir la
responsabilité de diriger ces manœuvres. Enfin, les SPV peuvent réaliser un nombre
important de gardes sans pour autant manœuvrer, car la majorité de leurs gardes se
déroulent de nuit (dont le programme ne contient pas de manœuvre).
Globalement, les officiers professionnels évoluant dans les centres mixtes
inscrivent davantage leur action dans un fonctionnement bureaucratique,
compréhensible du fait de la taille de ces structures. Cependant, l’éloignement
relationnel qui en découle, notamment vis-à-vis des volontaires, n’incite pas ces
derniers à se sentir concernés par les problèmes rencontrés par le centre.
« Y a des gens même qui… des volontaires qui ne connaissent même pas [le chef de
centre]… qui le connaissent même pas ! Les volontaires, qui ne viennent là que le
soir parce que bah ils peuvent venir que le soir ou le week-end, ne connaissent
même pas euh…. Je veux dire, quand vous connaissez pas votre chef euh… vous
trouvez ça bizarre, quoi. Bon, vous connaissez le nom parce que vous savez que
c’est votre supérieur et puis bah, qui signe des… des notes de service et tout, mais
vous savez pas qui il est. »
Cet éloignement entre les différents niveaux hiérarchiques du centre, auquel
vient s’ajouter une différence de statut, un décalage temporel dans la présence au
quotidien, une distanciation spatiale dans l’occupation des locaux et un nomadisme
de carrière des responsables SPP en totale opposition à l’ancrage territorial des SPV,
tous ces éléments font des centres mixtes des organisations où l’implication des SPV
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
134
repose sur des ressorts très différents de ceux évoqués dans le cas des centres à
autonomie volontaire.
DISCUSSION DES RÉSULTATS
L’intérêt majeur éprouvé par les SPV pour l’activité opérationnelle peut
être analysé selon deux axes principaux : le premier s’appuie sur le caractère
instantané et conforme aux buts de l’organisation des actions réalisées. Le second,
au contraire, est basé sur la maîtrise qu’acquièrent progressivement les SPV dans ce
domaine, au fil du temps. Dans une organisation classique, les membres peuvent 1/
montrer quelques réticences à accepter les buts organisationnels comme étant les
leurs et 2/ éprouver des difficultés à relier leurs actes aux résultats attendus. Au sein
des SDIS, au contraire, il semble peu probable que les SPV remettent en cause le but
de l’organisation s’il consiste à porter secours afin d’assurer la sauvegarde des
personnes et des biens, cet objectif étant considéré comme moralement positif et
socialement très valorisant. En ce qui concerne la possibilité de relier ce but à leur
action, point de difficulté non plus. Les sapeurs-pompiers sont appelés en urgence
pour remédier à une situation de crise. A la fin de l’intervention, ils quittent les lieux
en ayant résolu le problème qui leur était posé, ou, au grand minimum, en ayant mis
en œuvre tous les moyens possibles pour le résoudre. Le lien entre le but de
l’organisation et leur action est donc effectué en quelques minutes ou en quelques
heures, et il est renouvelé autant de fois qu’il y a d’interventions. L’appropriation
des buts de l’organisation, condition nécessaire à l’implication selon Thévenet
(2000) est donc théoriquement obtenue par le seul fait de prendre part à l’activité
opérationnelle.
Tableau 3 : Nature et intensité des facteurs d’implication des SPV en fonction de la
taille du centre d’appartenance.
Centre modeste
Centre moyen
sans SPP
Centre moyen
avec SPP
Centre important
Activité opérationnelle
--
=
=/+
+ / ++
Moyens matériels
-
=/+
+
+ / ++
Responsabilités
opérationnelles
-/=
+
-/=
--/=
Connaissance de la
population secourue
++
=/+
=/+
-
Ambiance familiale et
associative
++
+
=
-
Responsabilités
fonctionnelles
=/+
+
-
--
De manière synthétique, nous avons tenté de résumer dans le tableau 3 la
nature et l’intensité des facteurs d’implications sur lesquels les SPV peuvent a priori
compter en fonction du type de centre, type que nous caractériserons par le nombre
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
135
d’interventions qui y sont annuellement réalisées. De l’intensité de cette activité
découle en effet le montant des indemnités reçues ou, dans une relation inverse le
temps que l’on peut consacrer à des activités associatives. La taille du centre étant
souvent fortement liée à la taille de la ville, on remarque également une relation
inverse entre taille du centre et ambiance familiale, ainsi qu’entre taille du centre et
connaissance de la population secourue. Plus indirectement, le nombre
d’interventions exerce une influence sur l’ampleur et la fréquence des
responsabilités qui sont prises dans ces activités opérationnelles : peu d’activité
opérationnelle et les occasions de responsabilités sont faibles. Elles augmentent
progressivement avec la taille du centre, mais au-delà d’un certain seuil, que l’on
peut situer approximativement autour de 800-1000 interventions annuelles, l’arrivée
inexorable de SPP limite progressivement les occasions de prendre des
responsabilités pour les SPV.
Quelles voies peut-on à présent tracer pour améliorer les facteurs d’implication
des SPV en fonction de leur centre d’origine ?
D’après le modèle développé par Thévenet (2000), les conditions
nécessaires à l’implication d’un individu sont la cohérence entre le discours et les
actions, la réciprocité individu / organisation et l’appropriation des buts de
l’organisation par ses membres. Nous pouvons croiser ces conditions avec les
différentes caractéristiques qui se sont révélées constituer de potentiels facteurs
d’implication dans les centres (activité opérationnelle, ambiance associative et
familiale, participation à la vie locale et formalisation organisationnelle), pour en
dégager certaines préconisations. Nous obtenons donc la matrice croisant les
conditions nécessaires à l’implication et les caractéristiques majeures des centres.
Il semble tout d’abord primordial de fournir aux SPV qui s’engagent une
vision claire de l’ampleur de l’activité opérationnelle dans leur centre, et ce quelle
que soit son niveau : l’important à ce stade est que l’individu soit conscient de la
réalité qui l’attend, même si celle-ci n’est pas idyllique au regard de ses préférences
personnelles. Il semble par ailleurs plus juste de préciser qu’il s’agit du niveau
d’activité opérationnelle effectivement pris en charge par les SPV, ce qui marque une
franche nuance dans les centres mixtes, où les SPP réalisent assez logiquement une
part importante des interventions. Il en va de même pour le niveau de responsabilité
que le SPV peut espérer atteindre en intervention.
Nous avons pu constater à quel point le bon fonctionnement de certains
centres est basé sur une activité associative et « familiale » (entendue au sens large)
développée. Il semble dès lors nécessaire d’indiquer au SPV dans quelle mesure il
pourrait être sollicité pour participer à diverses activités non opérationnelles. Dans
ce cas précis, la réciprocité individu / organisation n’est pas évidente puisque par
définition il est question d’activités sortant du cadre strictement organisationnel.
Toutefois, dans la mesure où de telles activités permettent de tisser des liens étroits
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
136
Tableau 4 : Matrice Conditions nécessaires à l’implication /
Caractéristiques des centres.
Cohérence
discours / action
Réciprocité
individu /
organisation
Appropriation
Activité
opérationnelle
Niveau quantitatif
et qualitatif
clairement annoncé
Accès
opérationnel en
rapport aux
qualifications
Pédagogie du lien
formation interventions
Ambiance
associative et
familiale
Transparence
niveau d’activité
non opérationnelle
Actions de
bénévolat
autorisées et
reconnues
Participation à la
vie associative,
amicale, JSP
Aide à la
population,
participation vie
locale
Possibilité de
participation
gratuite aux actions
locales
Reconnaissance
du SPV par sa
mairie
Participation aux
cérémonies –
organisation de
manifestations
Formalisation
organisationnelle
(Cadre
hiérarchique,
soutien
organisationnel,
moyens matériels)
Rôle fonctionnel
clairement établi,
dotation en
matériel en
conformité avec ce
qui est annoncé
Équipement des
SPV et des centres
à autonomie
volontaire, intérêt
des SPV pour les
services centraux
Participation aux
activités des
services centraux
(formation, CTACODIS…)
Encadrement du
centre
et de renforcer la cohésion entre les SPV, et peuvent entraîner une plus
forte présence et une fidélisation accrue des effectifs, il paraît souhaitable que
l’organisation fasse sienne l’ambition d’une activité associative importante. Les
responsables départementaux, les chefs de groupements, les chefs de centres ou
encore les municipalités concernées peuvent ainsi fournir aux membres de ces
centres les possibilités matérielles d’exercer une activité associative aussi intense
que diversifiée, en mettant à leur disposition des locaux appropriés, et en n’entravant
pas – voire en stimulant, si c’est nécessaire – ce type d’activités. La voie est étroite
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
137
pour le chef de centre sur cette question ; il doit veiller à ce que l’activité associative
participe à la vie du centre sans toutefois en être lui-même le principal acteur. Si
c’est le cas et qu’il concentre tous les pouvoirs possibles, il risque de provoquer
l’effet inverse. L’activité associative permet une diversité des centres d’intérêt, voire
un équilibre des pouvoirs au sein du centre. L’appropriation de cet objectif par les
SPV peut alors se matérialiser par une participation active à l’amicale, à une section
de Jeunes Sapeurs-Pompiers (JSP), aux activités sportives du centre, à des sessions
bénévoles de formation au secourisme pour la population, etc.
Dans de nombreux centres, notamment de taille modeste ou moyenne,
l’enracinement des SPV dans leur territoire, leur « autochtonie » (Retière, 2003),
contribue dans une large mesure à leur implication. L’objectif d’aide à la
population, à une population connue et proche du SPV est central dans leur
démarche. Il semble important de noter ici qu’une connaissance étroite de la
population peut constituer une motivation supplémentaire à leur apporter le meilleur
service possible. Si un centre ne possède pas d’ambulance et qu’un autre centre
assure les interventions de secours à personne sur son territoire, il peut être utile de
considérer l’apport symbolique d’un tel équipement : même si les SPV de ce centre
n’arrivent que quelques minutes avant les renforts, même s’ils n’ont pas la capacité
de transporter des victimes vers un centre hospitalier, le fait de pouvoir pratiquer les
premiers gestes de sauvegarde de la personne peut suffire à répondre à ce besoin de
venir en aide à la population et devenir un source notable d’implication. En ce qui
concerne la participation à la vie locale, elle fournit aux SPV l’occasion d’un
échange avec la population : ils constatent l’intérêt et la reconnaissance que leur
portent cette population quand de leur côté ils peuvent fournir une preuve de leur
attachement à un territoire, dans des circonstances moins dramatiques qu’en phase
opérationnelle. Ainsi dans certains centres à autonomie volontaire, les SPV
souhaitent apporter leur aide à titre gratuit (pour la tenue de services de sécurité,
pour donner des cours de secourisme, etc.). Il paraît devant de telles intentions
largement contre-productif de leur imposer une indemnisation et de facturer une
main d’œuvre au bénéficiaire, contraire à l’esprit dans lequel l’aide en question est
apportée.
Nous l’avons montré, les SPV n’exercent pas les mêmes responsabilités
fonctionnelles selon qu’ils appartiennent à un centre à autonomie volontaire ou à un
centre mixte. La question du niveau de formalisation organisationnelle d’un centre,
et surtout la place qu’y occupent les SPV peut influer à divers degrés sur leur
implication. C’est alors que les responsables, tant départementaux que locaux,
doivent différencier les réponses qu’ils apportent aux SPV, selon le contexte dans
lequel ils évoluent.
Le SPV d’un centre modeste doit être préparé à prendre une part active à la
bonne marche fonctionnelle de son centre, à s’investir dans sa dimension
associative, quand au contraire le SPV d’un centre mixte devra s’adapter à une
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
138
structure plus développée et qui fera moins appel à sa participation. En ce qui
concerne les équipements matériels, la cohérence entre les discours et les actions
gagnent à être scrupuleusement observée, tant la question est sensible chez les
sapeurs-pompiers en général.
Afin de répondre à ces exigences, il peut être judicieux de s’appuyer sur les
apports potentiels de la dimension départementale des services d’incendie et de
secours. Le SDIS a en effet la possibilité d’affecter un SPV à deux, voire à
davantage de centres de secours. Nous avons rencontré ces situations où des SPV
puisaient leur implication dans le fait de défendre leur « clocher » dans leur petit
centre, dans la possibilité de jouir d’une relative auto-organisation dans les aspects
fonctionnels du centre, mais où le niveau d’activité opérationnelle était faible.
L’affectation supplémentaire de ces SPV dans un centre effectuant plus
d’interventions vient compléter la palette des sources d’implication. Les
inconvénients des deux situations peuvent être de ce fait considérablement
amoindris.
Les occasions de rapprocher les différents groupes d’acteurs des SDIS doivent
également être étudiées. Dans certaines conditions, l’apport d’expertise des SPP ou
des personnels administratifs et techniques peuvent jouer un rôle non négligeable
dans la pérennisation d’une prise de responsabilité des SPV dans la gestion de leur
centre.
CONCLUSION
La première limite à ce travail concerne la taille de notre échantillon. Celleci écarte de fait certaines situations. Nous ne traitons pas, par exemple, du cas des
SDIS où la présence SPP est très forte (dans les départements les plus peuplés).
Dans de tels centres, la place des SPV ne peut évidemment pas être la même que
celle que nous décrivons dans le contexte de départements moins densément – et
différemment – peuplé et de SDIS aux financements bien moindres.
Le statut des personnes interrogées est une autre limite : les SPV que nous
avons interrogés étaient en activité. L’interrogation de SPV ayant quitté l’institution
aurait pu dégager d’autres pistes de réflexion sur les ressorts de leur implication.
Une piste de recherche possible pour l’avenir consisterait en l’étude
qualitative des raisons de départ de SPV. L’étude des échecs dans la fidélisation des
SPV au sein d’un ou plusieurs SDIS pourra s’avérer riche d’enseignements. La
distance temporelle entre le départ et l’entretien devrait alors faire l’objet d’un
questionnement préalable : trop courte, elle peut être très marqué par l’aspect
émotionnel lié à la démission, trop importante, elle peut engendrer une déformation
des perceptions de l’individu, un phénomène de rationalisation a posteriori.
Les services d’incendie et de secours ont connu avec le mouvement de
départementalisation un bouleversement organisationnel majeur. La question de la
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
139
place et du rôle des SPV dans ces structures renouvelées se pose avec acuité. La
diversité des situations organisationnelles doit conduire les managers des SDIS à
prendre en compte la question de l’implication des SPV à travers les angles de
l’activité opérationnelle, de l’ambiance associative et familiale, de la participation à
la vie locale et de la formalisation organisationnelle des centres. La proximité de
groupes de statuts différents (SPV et SPP) doit faire l’objet d’une attention
rigoureuse pour ne pas mettre à mal le niveau d’implication des sapeurs-pompiers
volontaires, premiers maillons de la chaîne des secours français.
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141
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
142
SATISFACTION, IMPLICATION,
ENGAGEMENT, ENRACINEMENT ET
INTENTION DE DÉPART DES
JEUNES CADRES
Une relation ambigüe
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS46 & Véronique NGUYEN47
Dans un contexte où
les pratiques managériales sont
questionnées (Thévenet, 2009),
la question de l’étude de la
relation entre l'individu et
l'organisation reste centrale si
l'on en juge par l'intérêt
grandissant des chercheurs et
des praticiens, dans la tradition
du courant théorique du contrat psychologique (Rousseau, 1995), pour les thèmes
de l'engagement et l’enracinement des salariés (Mitchell et Al, 2001 ; Bakker &
Schaufeli, 2008) faisant suite à plusieurs décennies de travaux de recherche sur les
thèmes de la satisfaction (e.g. Igalens, 1999 ; Locke, 1976) et de l'implication au
travail (e.g. Morrow, 1983 ; Thévenet, 1992,) etc. Par ailleurs, l'une des dimensions
de la relation entre l'individu et l'organisation parmi les plus étudiées est sans
conteste l’intention et/ou la décision de quitter volontairement l'organisation : le
turnover volontaire a en effet fait l'objet de très nombreuses recherches empiriques
pour en évaluer tout autant les causes que les conséquences (e.g. Dreher, 1982 ;
Mobley, 1982 ; Neveu, 1996 ; Price, 2000). S'appuyant sur ces divers courants de
recherche, cette contribution a pour objectif de réexaminer la relation entre
satisfaction, implication, engagement, enracinement et intention de départ des
cadres dans la première phase de leur carrière professionnelle dans le contexte d'une
recherche menée début 2009 par internet auprès d'une population de plus de 200
diplômé(e)s d'une grande école de gestion pour la plupart âgé(e)s moins de 30 ans.
Les résultats montrent que l’impact de la satisfaction au travail sur l'intention de
46
Professeur Associé HEC Paris, 1 avenue de la Libération, 78350 Jouy en Josas, 0139679456,
besseyre@hec.fr
47
Professeur Affilié HEC Paris, 1 avenue de la Libération, 78350 Jouy en Josas, 0139677000,
nguyen@hec.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
143
départ est beaucoup plus fort que ceux d'autres facteurs explicatifs : l'implication,
l’engagement et l'enracinement.
A l’issue la période de crise actuelle, de nombreux observateurs soulignent
que l'un des enjeux clés pour les entreprises sera d’attirer et surtout de conserver les
individus clés dont elles auront besoin pour développer leurs activités futures. Ils
envisagent une nouvelle guerre des talents encore plus rude que celle qui a marqué il
y a une dizaine d’années la transition vers le troisième millénaire (Somaya &
Williamson, 2008). Dans un contexte où les pratiques managériales sont
questionnées (Thévenet, 2009), la question de l’étude de la relation entre l'individu
et l'organisation reste centrale si l'on en juge par l'intérêt grandissant des chercheurs
et des praticiens, , dans la tradition du courant théorique du contrat psychologique
(Rousseau, 1995), pour les thèmes de l'engagement et de l’enracinement des salariés
(Bakker & Schaufeli, 2008 ; Halbesleben & Wheeler, 2008 ; MacLeod & Clarke,
2009 ; Mitchell et Al, 2001 ; Saks, 2006 ; Tanova & Holtom, 2008 ;) faisant suite à
plusieurs décennies de travaux de recherche sur les thèmes de la satisfaction (e.g.
Brief, 1998 ; Igalens, 1999 ; Kalleberg, 1977 ; Locke, 1976) et de l'implication au
travail (e.g. Buchanan, 1974 ; Mowday et Al, 1979 ; Morrow, 1983 ; Thévenet,
1992, 2000 ; Wiener, 1982). Par ailleurs, l'une des dimensions de la relation entre
l'individu et l'organisation parmi les plus étudiées est sans conteste l’intention et/ou
la décision de quitter volontairement l'organisation : le turnover volontaire a en effet
fait l'objet de très nombreuses recherches empiriques pour en évaluer tout autant les
causes que les conséquences (e.g. Dreher, 1982 ; Mobley, 1982 ; Neveu, 1996 ;
Price, 1977, 2000).
S'appuyant sur ces divers courants de recherche, cette contribution a pour
objectif de réexaminer la relation entre satisfaction, implication, engagement,
enracinement et intention de départ des cadres dans la première phase de leur
carrière professionnelle dans le contexte d'une recherche menée début 2009 par
internet auprès d'une population de plus de 200 diplômé(e)s d'une grande école de
gestion pour la plupart âgé(e)s moins de 30 ans. Il est en effet important d’analyser
plus finement les facteurs explicatifs de l’intention de départ d'individus que
l'organisation voudrait retenir dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles de détenir
des compétences stratégiques génératrices d'un avantage concurrentiel durable
(Barney, 1991, 1997 ; Barney et Al, 2001 ; Bartlett & Ghoshal, 2002).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
144
REVUE DE LA LITTÉRATURE
Dans la mesure où cette recherche s'intéresse à l'intention de départ de
jeunes cadres, l’abondante littérature sur le turnover (e.g. Carmelli & Weisberg,
2008 ; Currivan, 1999 ; Good et Al, 1988 ; Price, 2000) met en évidence
l’importance cruciale de la satisfaction et de l'implication au travail comme
déterminants d’attitudes et comportements « d’exit » pour reprendre l’expression
célèbre de Hirschman (1970). Même si de nombreux travaux de recherche ont
identifié un nombre important d’autres facteurs explicatifs du turnover,
principalement aux niveaux micro et macro, nous limiterons ici l'analyse de la
littérature à une synthèse rapide, tout d'abord, des travaux sur la satisfaction et
l'implication en relation avec l'intention de départ et, dans une dernière partie, à
deux autres facteurs complémentaires : l’engagement et l’enracinement des
individus (Bakker & Shaufeli, 2008 ; Bakker et Al, 2008 ; Halbesleben.& Wheeler,
2008 ; Mitchell et Al, 2001 ; Saks, 2006 ; Schaufeli, W.B. & Bakker , 2004; Tanova
& Holtom, 2008).
Satisfaction au travail et intention de départ
Dans leur revue de la littérature sur la satisfaction au travail, Meyssonnier et
Roger (2006) soulignent que ce concept est l'un de ceux les plus mobilisés en
gestion des ressources humaines surtout dans son rôle supposé de médiateur entre,
d'une part les conditions de travail, et d'autre part les effets individuels et
organisationnels. Ces mêmes auteurs mettent en évidence trois approches du concept
de satisfaction au travail :
- la satisfaction comme une dynamique dans laquelle l'individu est en constante
adaptation pour maintenir le niveau de satisfaction qui lui convient,
- la satisfaction comme le résultat d'une évaluation dans laquelle l'individu
mesure l'écart entre ce qu'il attend et ce qu'il perçoit de son emploi,
- la satisfaction comme un état émotionnel correspondant à l'expérience de travail
telle qu’elle est perçue par individu.
Le champ des recherches sur la satisfaction au travail est si large qu’il existe
une multitude de modèles de la satisfaction au travail (Roussel, 1996). Néanmoins,
les deux dernières approches (évaluation et état émotionnel) sont celles qui semblent
avoir mobilisé le plus d'intérêt de la part des chercheurs et des praticiens. En effet,
comme le souligne Paillé (2008 : 25) : « le fait de considérer la satisfaction au
travail comme le résultat de l'évaluation qu'une personne fait au sujet de son travail
ou de sa situation de travail semble actuellement faire consensus dans la littérature ».
Par ailleurs, la troisième approche de la satisfaction au travail est celle qui
correspond le plus à la définition proposée par un ensemble de chercheurs anglosaxons qui conceptualisent la satisfaction comme le degré d'émotions positives d’un
individu vis-à-vis de son rôle au travail (Kalleberg, 1977 ; Locke, 1976 ; Currivan,
1999).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
145
L’étude de l’impact de la satisfaction au travail sur l'intention de départ a
constitué un champ de recherche important depuis près de trois décennies (e.g
Mobley, 1977, Neveu 1996 ; Trevor 2001). Dans une méta-analyse portant sur 50
études réalisées aux États-Unis entre 1980 et 1993, Hellman(1997 :684) en arrive à
la conclusion attendue selon laquelle « plus les employés deviennent insatisfaits,
plus ils sont susceptibles de considérer d'autres opportunités d'emplois » mais
l'intérêt de cette étude est de montrer la grande stabilité des résultats obtenus dans le
cadre de recherches empiriques menées dans des contextes (secteurs et populations
concernées) différents se situant néanmoins tous en Amérique du Nord. Plus
récemment ces résultats ont été confirmés par des chercheurs dans des contextes
nationaux différents : par exemple en France (Meyssonnier et Roger, 2006) et Israël
(Carmelli & Weisberg, 2006). En conclusion , l'ensemble des travaux consultés,
ceux cités et bien d’autres non répertoriés ici, nous conduit à soutenir l’hypothèse
d’une relation négative entre la satisfaction de travail et l’intention de départ.
Implication au travail et intention de départ
L’étude de l’implication au travail a fait l’objet d'un intérêt grandissant de
la part des chercheurs et praticiens depuis plusieurs décennies comme le soulignait
déjà Thévenet(1992) : « l'implication des personnes dans l’entreprise est
certainement l'un des objectifs les plus largement partagés aujourd'hui dans toutes
les actions de ‘développement de management’ ou de ‘gestion des ressources
humaines’ ». La définition de l'implication au travail connaît une situation très
proche de celle rencontrée pour définir le concept de satisfaction au travail avec
une multitude de propositions de définitions. Morrow(1983) recensait déjà très d'une
trentaine de définitions de l'implication (commitment) le conduisant à souligner les
risques de redondance conceptuelle. De son côté, Thévenet(2000:43) suggère que la
littérature s'attache plus souvent à définir les composantes de l'implication qu’à la
définir elle-même. C'est ainsi qu'il établit une comparaison des modèles de
l'implication de Buchanan (1974) et Mowday et Al (1979,1982) à partir de trois
composantes distinguées par ces dernier auteurs : l’identification (adhésion aux buts
et valeurs), l'engagement (volonté d'agir dans le sens de ces buts et valeurs), et la
loyauté (désir de rester). Dans une perspective proche, Brasseur & Janet(2003)
mettent en évidence trois dimensions attitudinales de l’implication renvoyant aux
trois composantes de Buchanan(1974) : une dimension affective liée aux émotions
et aux sentiments, une dimension cognitive associée à la pensée, au jugement ou
encore aux croyances, et une dimension conative regroupant les intentions d'action.
Mais, comme le soulignent Carmeli & Weisberg(2006 :193), d'autres composantes
de l'implication existent comme celles proposées par Meyer & Allen(1984)
distinguant l'implication affective, l’implication contrainte et l’implication
normative.
Quelle que soit la définition que l'on retienne l'implication au travail, force
est de reconnaître que la littérature consultée considère ce facteur comme l’un des
principaux déterminants de l'intention de partir (ou de rester) dans l’organisation.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
146
Ainsi, par exemple, Good et Al(1988) mettent-ils en évidence une relation fortement
négative entre l’implication et l’intention de départ d’employés du secteur de la
distribution. Par ailleurs, dans sa revue de la recherche sur les déterminants du
turnover volontaire, Price(2000) conclue que l'implication au travail est au moins
aussi importante pour expliquer le turnover que la satisfaction à travers une variable
intermédiaire appelée « comportement de recherche » correspondant à la recherche
active d’un autre emploi lorsque la satisfaction et l'implication diminuent. Carmelli
& Weisberg(2006) montrent également une relation négative entre l'implication
affective et l’intention de départ dans leur étude menée auprès de trois catégories de
professionnels en Israël (financiers, avocats, travailleurs sociaux). Si la relation
négative entre l’implication au travail et l'intention de départ est largement reconnue
dans la littérature consultée, les liens de causalité ne sont pas toujours stables en
raison de l’influence d’un certain nombre d'autres facteurs au niveau macro (e.g.
situation du marché de l'emploi) ou même méso (e.g. culture d'entreprise, style de
management…). Néanmoins, et en dépit de cette relative instabilité dans les résultats
obtenus, nous soutenons l’hypothèse d’une relation inverse entre l’implication au
travail et l’intention de départ.
Engagement, enracinement et intention de départ
Au cours de la dernière décennie, d'autres facteurs explicatifs de l'intention
de départ ont été proposés parmi lesquels deux se distinguent particulièrement :
l'engagement au travail (work engagement) et l’enracinement au travail (job
embeddedness). Le premier de ces facteurs, l'engagement, bien qu'identifié depuis
longtemps (e.g. Kahn, 1990 ; Thévenet, 1992), n'a connu que récemment un intérêt
grandissant de la part des chercheurs (e.g. Halbesleben.& Wheeler, 2008 ; Saks,
2006 ; Schaufeli, W.B. & Bakker , 2004) et surtout de la part des cabinets conseils
comme le montre le succès des études régulières de Towers Wyatt (anciennement
Towers Perrin) et des classements annuels de « Great Place to Work ». Ici encore,
plusieurs définitions de l'engagement coexistent : l'une des plus anciennes, celle de
Kahn(1990) qui définit l'engagement comme « l'arrimage des identités personnelles
aux rôles dans le travail… ». Bakker et Al (2008 :188 ) proposent une définition plus
complète de l'engagement en défendant l'idée selon laquelle l'engagement est « un
état d'esprit positif lié au travail qui est caractérisé par la vigueur, le dévouement et
l'absorption ». La vigueur est caractérisée par niveau élevé d'énergie et de résilience
mentale pour faire face aux difficultés. Le dévouement fait référence à l'idée d’être
fortement impliqué dans son travail et de faire l'expérience de l'enthousiasme, de
l'inspiration, de la fierté et du défi. L'absorption se caractérise par le fait d'être
pleinement concentré sur son travail et d'en tirer du plaisir jusqu'au point d'avoir des
difficultés pour s'en détacher. Même si certaines de ces définitions peuvent être
contestables, notamment la dernière dimension de l'absorption avec un risque
potentiel en termes d'épuisement professionnel, l'engagement constitue un autre
facteur explicatif de l'intention de partir ou de rester, distinct de la satisfaction et de
l’implication au travail (e.g. Halbesleben.& Wheeler, 2008 ; Saks, 2006)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
147
Dans une perspective comparable, le concept d'enracinement au travail (job
embeddedness) est plus récent puisqu’il a été introduit il y a une dizaine d’années
(Mitchell et Al, 2001). Les définitions de ce concept sont encore peu stabilisées mais
l'idée sous-jacente est de définir l'enracinement comme l'ensemble des liens qui
retiennent un individu à son organisation. Mitchell et Al(2001 :1104)) précisent que
les aspects critiques de l'enracinement sont (1) le degré auquel les individus ont
d'autres liens avec d'autres personnes et activités, (2) le degré auquel leur emplois et
communautés sont compatibles avec leurs autres espaces de vie, et (3) la facilité
avec lesquelles ces liens peuvent être rompus. Plus spécifiquement, ces auteurs
distinguent deux types d'enracinement au travail : organisationnel et communautaire.
La plupart des chercheurs ayant mobilisé le concept d'enracinement au travail ne
s'intéressent qu'aux liens qu'entretient l'individu avec l'organisation (et non la
communauté). La relation entre l’enracinement au travail et l’intention de turnover a
été établie par les résultats obtenus dans plusieurs recherches récentes (e.g.
Halbesleben & Wheeler, 2008 ; Mitchell et Al, 2001 ; Saks, 2006 ; Tanova &
Holtom, 2008) qui confirment également la distinction conceptuelle entre
satisfaction, implication, engagement et enracinement.
L'ensemble de la littérature consultée nous conduit ainsi à formuler les
quatre hypothèses suivantes :
H1 : plus la satisfaction au travail est élevée, plus l’intention de départ est faible.
H2 : plus l'implication au travail est élevée, plus l'intention de départ est faible.
H3 : plus l'engagement au travail est élevé, plus l’intention de départ est faible.
H4 : plus l'enracinement au travail est fort, plus l'intention de départ est faible.
METHODOLOGIE
Pour tester la relation entre satisfaction, implication, engagement,
enracinement et intention de départ, une étude par questionnaire en ligne a été
conduite début 2009 auprès d'un échantillon représentatif de 4000 jeunes cadres
appartenant à l'association des anciens d'une grande école de gestion. 273
questionnaires ont été remplis totalement ou partiellement mais ce chiffre descend à
un peu plus de 200 questionnaires réellement exploitables (soit un taux de réponse
de 5 %) en raison de nombreuses réponses manquantes dans les questionnaires
partiellement remplis. Ce résultat varie légèrement d'une réponse à l'autre mais reste
dans la moyenne des études réalisées par Internet au cours des dernières années dans
des champs aussi différents que le marketing, les systèmes d'information, la stratégie
et, bien sûr, la GRH.
Les mesures des variables satisfaction, implication, engagement et
enracinement ont été réalisées à partir d'échelles de mesure largement empruntées à
Price (2000) avec quelques items provenant d’autres sources. Chaque item avait
quatre modalités de réponse (pas du tout, un peu, oui en partie, tout à fait) avec une
exception pour l'échelle mesurant l’intention de départ dont les modalités de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
148
réponses étaient différentes (très improbable, peu probable, probable, très probable).
Le tableau 1 ci-après donne les indices de fiabilité des échelles (coefficients alpha
de Cronbach tous supérieurs à 0,70).
Tableau 1 : Fiabilité des échelles de mesure des variables
Intitulé des Echelles
Nombre d’Items
Satisfaction au travail
Implication au Travail
Engagement
Enracinement
Intention de départ
9
6
10
8
5
Fiabilité
(Alpha de Cronbach)
0,85
0,73
0 ,72
0,75
0,77
L'échantillon est constitué majoritairement de jeunes cadres masculins
(67% d’hommes) ayant une moyenne d’âge de près de 30 ans comme le montre le
tableau 2 (écart-type : 6,32), à plus de 50 % de formation Ecole de Gestion (27%
Ecole d’Ingénieurs, 16% de l’Université, le reste ayant une autre formation) : cette
surreprésentation de formation école de gestion s'explique largement par l'origine
des répondants provenant du fichier d'anciens d'une grande école de gestion, les
autres origines s'expliquent pas le fait que les répondants ont indiqué leur première
formation avant une formation de gestion de type MBA ou Mastère Spécialisé. Par
ailleurs, les répondants ont cinq ans d'expérience professionnelle en moyenne (écarttype : 1,09) avec plus de trois postes différents occupés (écart-type : 1,92) dans
plus de deux entreprises (écart-type : 1,58) indiquant une tendance forte de cet
échantillon à la mobilité :
Tableau 2 : Distribution des âges des répondants
Les données
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
ont été
149
analysées à l'aide du logiciel SPSS 17.0 en ne remplaçant pas les valeurs
manquantes. Après avoir effectué une première analyse avec les statistiques
descriptives, le test des hypothèses a été mené en utilisant la procédure de
régression linéaire suffisamment robuste pour être effectuée avec des variables
mesurées sur des échelles ordinales.
RÉSULTATS
L'analyse des données descriptives (moyenne, écart-type) sur les variables
satisfaction, implication, engagement et enracinement fait ressortir des valeurs
moyennes plus élevées pour la satisfaction et l’implication, l’enracinement ayant le
valeur moyenne la plus faible ce qui n’est guère surprenant compte-tenu de la
moyenne d’âge et de la forte mobilité observées.
N
Valide
Manquante
Moyenne
Ecart-type
Turnover
Engagement
Enracinement
Implication
Satisfaction
Tableau 3 : Statistiques descriptives sur les variables indépendantes et dépendantes
219
227
219
226
223
54
2,9110
,61845
46
3,0153
,57152
54
2,3329
,56860
47
2,7463
,59701
50
2,5054
,68225
Les corrélations entre les variables indépendantes et dépendantes sont
présentées dans le tableau 4 ci- après. Comme le montrent les coefficients de
corrélations, il n’est pas étonnant de constater des niveaux parfois élevés de
corrélations entre les variables indépendantes tant les concepts que mesurent les
variables sont proches. Les risques de colinéarité sont importants. Néanmoins, dans
le cadre de cette étude, les variables explicatives – satisfaction, implication,
engagement, enracinement – ont été testées indépendamment dans une série de
quatre régressions indépendantes avant de mener une régression multiple dont les
résultats sont présentés dans les tableaux 5 à 9.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
150
Tableau 4 : Corrélations entre variables indépendantes et dépendantes
Tau-B de Kendall
Turnover
Turnover
Coefficient de
corrélation
Satisfaction
1,000
-,306
Sig. (bilatérale) .
N
Satisfaction
Coefficient de
corrélation
Implication
Engagement
Engagement
**
-,164
-,032
,510
,000
,001
215
220
217
**
1,000
,000 .
N
215
-,180
**
,404
,000
216
**
1,000
,000
,000 .
220
219
,404
**
,415
,000
221
**
1,000
,415
,001
,000
,000 .
N
217
216
221
,218
**
**
227
Sig. (bilatérale)
-,032
**
219
,509
**
**
,000
N
-,164
,509
219
Sig. (bilatérale)
Enracinement Coefficient de
corrélation
Enracinement
**
,000
Sig. (bilatérale)
Coefficient de
corrélation
-,180
223
-,306
Coefficient de
corrélation
Implication
**
,224
**
217
,218
**
,000
213
,224
**
,000
217
,217
**
,000
226
217
**
1,000
,217
Sig. (bilatérale)
,510
,000
,000
,000 .
N
217
213
217
217
219
**. La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral).
La première hypothèse entre la satisfaction et l'intention de départ a été
testée avec une analyse de régression simple, les résultats du tableau 5 valident
l'hypothèse de la relation entre ces deux variables avec un R2 ajusté de 0,20.
Tableau 5 : Impact de la satisfaction sur l’intention de départ
Modèle R
1
,456a
R-deux
R-deux ajusté
Erreur standard de
l'estimation
,208
,205
,59270
a. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
151
ANOVAb
Somme des carrés ddl
Moyenne
carrés
Régression
19,690
1
19,690
Résidu
74,826
213
,351
Total
94,516
214
Modèle
1
des
D
Sig.
56,051
,000a
a. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction
b. Variable dépendante : Turnover
La seconde hypothèse entre l’implication et l'intention de départ a été
testée avec une analyse de régression simple, les résultats du tableau 6 montrent
une relation entre ces deux variables mais avec un R2 ajusté beaucoup plus modeste
(0,05) que celui observé pour la satisfaction, ce qui met en évidence un impact
sensiblement plus faible de l’implication.
Tableau 6 : Impact de l’implication sur l’intention de départ
Modèle R
1
,234a
R-deux
R-deux ajusté
Erreur standard
de l'estimation
,055
,050
,66122
a. Valeurs prédites : (constantes), Implication
ANOVAb
Somme
carrés
Modèle
1
des
ddl
Moyenne
carrés
Régression
5,517
1
5,517
Résidu
95,311
218
,437
Total
100,828
219
des
D
Sig.
12,619
,000a
a. Valeurs prédites : (constantes), Implication
b. Variable dépendante : Turnover
La troisième hypothèse entre l’engagement et l'intention de départ a été
testée avec une analyse de régression simple, les résultats tableau 7 montrent
également une relation entre ces deux variables mais avec un R2 ajusté également
modeste (0,055) et sensiblement plus faible que celui observé pour la satisfaction, ce
qui ne valide que partiellement l’hypothèse de l’impact de l’engagement sur
l’intention de départ.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
152
Tableau 7: Impact de l’engagement sur l’intention de départ
Modèle
R
R-deux
R-deux ajusté
Erreur standard
l'estimation
1
,244a
,060
,055
,64109
ANOVAb
Somme
carrés
Modèle
1
des
ddl
Moyenne
carrés
Régression
5,590
1
5,590
Résidu
88,365
215
,411
Total
93,955
216
des
D
Sig.
13,602
,000a
a. Valeurs prédites : (constantes), Engagement
b. Variable dépendante : Turnover
La quatrième hypothèse entre l’enracinement et l'intention de départ a été
testée avec une analyse de régression simple. Les résultats du tableau 8 ne
montrent pas de relation entre ces deux variables comme le soulignent la faiblesse
du R2 ajusté et l’absence de signification du modèle Anova. L’enracinement n’a pas
d’impact sur l’intention de départ pour l’échantillon étudié.
Tableau 8 : Impact de l’enracinement sur l’intention de départ
Récapitulatif des modèles
Modèle R
,011a
1
R-deux
R-deux ajusté
Erreur standard
de l'estimation
,000
-,005
,65278
a. Valeurs prédites : (constantes), Enracinement
OVAb
Somme
carrés
èle
des
ddl
Moyenne
carrés
Régression
,011
1
,011
Résidu
91,615
215
,426
Total
91,627
216
des
D
Sig.
,027
,870a
aleurs prédites : (constantes), Enracinement
ariable dépendante : Turnover
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
153
Enfin, une régression multiple a été menée avec une entrée des variables
pas à pas qui confirme que, seule, la variable satisfaction a l’impact principal sur
l'intention de départ dans les deux modèles ressortant de l’analyse, (R2 ajustés de
0,181 et 0,197), les variables implication et engagement sont exclues du modèle
pour raisons de colinéarité. La variable enracinement est exclue du premier modèle
mais réintégrée dans le deuxième permettant au R2 de progresser légèrement :
Tableau 9 : Régression multiple avec introduction pas à pas des variables
indépendantes
Récapitulatif des modèles
Modèle R
,430a
,452b
1
2
R-deux
R-deux ajusté
Erreur standard
de l'estimation
,185
,204
,181
,197
,58980
,58417
a. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction
b. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction, Enracinement
ANOVAc
Somme
des carrés ddl
Moyenne
des carrés
D
Sig.
Régression
16,567
1
16,567
47,624
,000a
Résidu
73,052
210
,348
Total
89,619
211
Régression
18,297
2
9,149
26,809
,000b
Résidu
71,321
209
,341
Total
89,619
211
Modèle
1
2
a. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction
b. Valeurs prédites : (constantes), Satisfaction, Enracinement
c. Variable dépendante : Turnover
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
154
DISCUSSION
Les résultats obtenus ne confirment que très partiellement les hypothèses
formulées sur un impact direct et distinct des quatre facteurs explicatifs de l'intention
de départ que sont la satisfaction, l'implication, l'engagement et l'enracinement. La
mise en évidence de la colinéarité entre ces variables est sans doute l'une des
explications majeures de la modestie des résultats obtenus. La question se pose en
effet de la distinction conceptuelle entre ces quatre facteurs explicatifs : Price (2000)
prend le parti, par exemple, de distinguer très nettement satisfaction est implication
jusqu'à proposer un modèle (p.602) où il n'y a pas de relation directe entre ces deux
variables. D'autres auteurs (e.g. Mitchell et Al, 2001 Saks, 2006 ; Schaufeli, W.B. &
Bakker , 2004, Thévenet, 1992) s’attachent à démontrer avec conviction les
différences entre les concepts d'implication et de satisfaction, entre le concept
d'engagement et les deux précédents, et enfin entre le concept d'enracinement et trois
autres.
Tout en prônant la distinction conceptuelle, la plupart des auteurs
reconnaissent cependant des relations entre ces facteurs explicatifs comme le
souligne clairement l’étude de Currivan (1999) entre satisfaction, implication et
intention de départ. Meyssonier & Roger (2006 :4) rappellent que la relation entre
satisfaction et implication fait l'objet d'un débat dans la littérature avec trois
modèles : satisfaction vers implication, implication vers satisfaction, effets
indépendants de la satisfaction et de l'implication. C'est sur ce dernier modèle qu’ont
été bâties les hypothèses proposées dans cette contribution mais les résultats obtenus
ici ne valident pas le modèle d’indépendance des facteurs explicatifs. Dans une
perspective similaire, le modèle proposé par Saks(2006 :604) suggère que
l'engagement est un antécédent de la satisfaction, de l'implication et de l'intention de
départ.
Les résultats obtenus dans l'étude présentée ici illustrent clairement une
relation entre les facteurs explicatifs de l'intention de départ, ce qui démontre la
nécessité de proposer un modèle à tester sensiblement plus sophistiqué mettant
mieux en évidence les antécédents de l’intention de départ .
Au-delà de la question de la distinction conceptuelle entre satisfaction,
implication, engagement et enracinement, les résultats obtenus ici reflètent les
problèmes classiques de mesure de ces différents concepts par des variables
opérationnalisées sous la forme d’échelles dont la fiabilité peut être élevée sans pour
autant mesurer correctement les concepts qu’elles tentent de mesurer.
Enfin, une autre lecture possible des résultats peut être proposée par rapport
à l’échantillon de jeunes cadres interrogés dans le cadre de cette étude. L’impact
plus fort de la satisfaction sur l’intention de départ par rapport aux autres facteurs
explicatifs peut être éclairé par les attitudes et comportements souvent décrits de
Génération Y à laquelle appartient la majorité des répondants. En effet, le score
relativement élevé de l’item « au total, quelle est la probabilité que vous tentiez de
trouver un emploi dans une autre entreprise au cours des 12 prochains mois ? »
montre une intention de départ relativement forte chez les répondants pour lesquels,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
155
cependant, une satisfaction au travail plus élevée réduit sensiblement l’intention de
quitter leur organisation. L’impact des autres facteurs – implication, engagement,
enracinement – est peu ou pas significatif. Ces résultats peuvent se comprendre par
un attachement limité des répondants à leur organisation qui doit pouvoir leur
procurer une satisfaction immédiate sans nécessairement vouloir les engager dans
une relation durable avec elle.
Cette lecture des résultats obtenus peut s’appuyer théoriquement sur le concept
de contrat psychologique, défini par Rousseau (1989) ( cité par Castaing & Roussel,
2006) comme une référence « aux croyances de l'individu au regard des termes et
des conditions de l'accord d'échange réciproque entre une personne focale et une
autre partie. L'élément-clé est la croyance qu'une promesse a été faite et qu'une
contribution sera offerte en contrepartie, liant les parties entre elles à travers un
ensemble d'obligations réciproques… ». En comparaison de l'impact de la
satisfaction sur l’intention de départ, les plus faibles résultats obtenus par les autres
variables explicatives (implication, engagement, enracinement) peuvent s’analyser
comme le résultat d’un contrat psychologique moins pérenne et solide pour des
jeunes de la Génération Y qui n’attendent de l’entreprise qu’une promesse limitée et
temporaire les liant ainsi dans un ensemble d’obligations réciproques beaucoup
moins fortes que leurs aînés.
CONCLUSION
Cette recherche a été l’occasion de s’interroger sur l’intention de départ d’une
population de jeunes cadres dans la première phase de leur carrière. En dépit des
limites inhérentes à cette recherche, tant sur le plan de l'échantillon que des échelles
utilisées, les résultats obtenus mettent en évidence que la compréhension des
facteurs explicatifs du turnover passe nécessairement par une sophistication des
modèles d'analyse. Au-delà des perceptions individuelles, il semble nécessaire
d'inclure, comme le suggèrent Felps et Al(2009), un certain nombre de facteurs
explicatifs notamment au niveau méso. Il est en effet surprenant de constater le
faible nombre de travaux portant sur l'impact des réseaux sociaux sur l'intention de
départ. Le phénoménal développement actuel de réseaux de type Facebook (Park,
Kee and Valenzuela, 2009) doit amener les entreprises à s'interroger sur les
phénomènes de type domino qui risquent de les toucher dans le cadre d'une reprise
éventuelle d'une nouvelle guerre des talents.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
156
BIBLIOGRAPHIE
Bakker A.B & Shaufeli, W.B (2008), “Positive organizational behavior : engaged
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Barney, J. (1991): "Firm resources and sustained competitive advantage", Journal
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ANNEXE : ECHELLES UTILISÉES
Satisfaction au travail (Alpha de Cronbach : 0,85)
- je suis satisfait de ma situation professionnelle
- la plupart du temps, je vais travailler avec plaisir
- je considère que mon employeur tire le meilleur de moi-même
- je ne trouve aucun intérêt au travail que je fais aujourd'hui (échelle
inversée)
- je suis satisfait des relations avec mon supérieur hiérarchique
- j'ai de bonnes relations avec mes collègues (hors supérieur hiérarchique)
- mon travail était varié, je ne m'ennuie pas
- les augmentations de salaires, les promotions sont justement attribuées
- l'estime avoir un bon package de rémunérations par rapport au marché
Implication au Travail (Alpha de Cronbach : 0,73)
- mon travail tient une place centrale dans mon existence
- les principaux centres d'intérêt sont de nature professionnelle
- professionnellement, je fais le strict nécessaire (échelle inversée)
- je suis assez indifférent au sort de mon employeur actuel (échelle inversée)
- je suis en accord avec les valeurs ou la culture de l'entreprise
- j'ai de la fierté a travailler pour mon employeur
Engagement au Travail (Alpha de Cronbach : 0,72)
Pour quelles raisons avez-vous choisi votre poste actuel ?
- les possibilités de progression en interne
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
159
-
la culture d'entreprise
la réputation de l'entreprise
les possibilités de formation
la souplesse dans la gestion de mon temps de travail
l'autonomie dont je dispose à la fixation des objectifs et/ou des moyens à
mettre en œuvre
Si vous deviez quitter votre entreprise,
- vous mettrez tout en oeuvre pour passer le relais, les informations du mieux
que vous pouvez à votre successeur
- vous garderez des bons rapports avec votre employeur actuel
- vous pourrez être une source de contacts commerciaux pour votre
employeur actuel
- vous pourrez recommander votre employeur actuel à des candidats
potentiels à un emploi
Enracinement au Travail (Alpha de Cronbach : 0,75)
- les compétences et les connaissances que j'ai, sont spécifiques à mon
employeur actuel et j'aurai du mal à les faire valoir sur le marché
- vous avez l'impression de faire partie des cadres à potentiel
- vous avez l'impression d'être tout à fait à votre place dans votre entreprise
- si vous quittez votre employeur, il aura du mal à vous remplacer en interne
- si vous quittez votre employeur, il aura du mal à vous trouver un successeur
à l'extérieur de l'entreprise
- vous détenez des compétences et des connaissances stratégiques pour votre
employeur actuel
- vous détenez les relations stratégiques (clients, fournisseurs, partenaires,…)
pour employeur
- le temps de formation pour mettre à niveau votre successeur sera très long
Intention de départ (Alpha de Cronbach : 0,77)
- au total, quelle est la probabilité pour que vous tentiez de trouver un emploi
dans une autre entreprise au cours des 12 prochains mois ?
- est-il envisageable que vous partiez pour un concurrent de votre employeur
actuel ?
- est-il envisageable que partiez pour une entreprise complémentaire en
termes de produits ou de services votre employeur actuel ?
- est-il envisageable que vous partiez pour un client de votre employeur
actuel ?
- est-il envisageable que vous partiez pour un fournisseur de votre employeur
actuel ?
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
160
DIMENSIONS ET CONSÉQUENCES
DE LA SATISFACTION
AU TRAVAIL DES
APPRENTIS
Le cas de l’enseignement supérieur48
Sarah ALVES49, Bérangère GOSSE50, Pierre-Antoine SPRIMONT51
L’évaluation de la
qualité de l’expérience
professionnelle vécue
par
un
apprenti
s’exprime notamment
par sa satisfaction au
travail. Quelles sont les
dimensions
de
la
satisfaction au travail
chez les apprentis de l’enseignement supérieur ? Quelles sont les conséquences de
ces dimensions sur la satisfaction pour l’apprentissage et sur son engagement
affectif pour l’entreprise ? Une investigation par questionnaire et entretiens auprès
d’apprentis du supérieur révèle les facettes de la satisfaction au travail en termes
d’attentes et leurs conséquences.
Au cours des dernières années, l’apprentissage dans l’enseignement supérieur
a connu un essor remarquable. En effet, depuis 2003 les effectifs augmentent de
48
L’ordre des auteurs correspond à un rangement par ordre alphabétique et non par importance de
contribution.
49
Sarah Alves, 10 ans d’exercice dans la fonction ressources humaines. Docteur ès Sciences de Gestion.
Professeur à Rouen Business School. Membre co-fondateur de l’association pour le développement de
l’alternance dans l’enseignement supérieur (ADAES). sal@rouenbs.fr
50
Bérangère Gosse, Maître de conférences à l’IAE de Rouen, laboratoire NIMEC, responsable
pédagogique du Master 2 Ressources Humaines, s’intéresse aux nouvelles formes organisationnelles et à
la satisfaction au travail. Elle a publié dans la revue Management et Avenir, Finance contrôle Stratégie,
Personnel. Berangere.gosse@univ-rouen.fr IAE - 3 avenue Pasteur – 76000 ROUEN
51
Pierre-Antoine Sprimont, Maître de conférences à l’IAE de Rouen, laboratoire NIMEC, responsable du
Master 2 Comptabilité Contrôle Audit, travaille sur les modèles de management des salariés atypiques et
sur les stratégies inter-organisationnelles. Il a publié dans Finance Contrôle Stratégie, Systèmes
d’Information et Management, Management et Avenir, Management Performance Elsevier. Il est l’auteur
de plusieurs communications à l’AGRH, AIMS, AIM. Sprimont.pierre@voila.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
161
30% au niveau licence et de 60% au niveau master52. L’attrait des étudiants pour
l’apprentissage suscite de nombreux questionnements quant à leurs attentes et leur
intention de rester dans l’entreprise. Les apprentis sont des salariés en formation
avec un contrat de travail à durée déterminée (qui varie de 1 à 3 ans).
L’apprentissage n’engage pas les contractants dans l’avenir. Ils constituent un
segment de salariés atypiques au sein de l’entreprise.
Quelques auteurs ont étudié l’apprentissage dans l’enseignement du supérieur.
Besson et al. (2004) ont distingué deux formes génériques d’alternance avant
d’énoncer les implications de l’apprentissage du supérieur au management sur le
plan personnel, pédagogique et institutionnel. Dubrion (2006) a étudié la façon dont
les entreprises évaluent les apprentis du supérieur. Van de Portal (2009) s’est
intéressée aux rôles des apprentis dans une logique d’organisation apprenante.
Alves, Gosse et Sprimont (2010) ont démontré que la satisfaction à l’égard de
l’apprentissage du supérieur s’expliquait par la satisfaction envers le travail et non
pas par la satisfaction envers le centre de formation. Dans la continuité de ces
travaux, cet article souhaite présenter les attentes spécifiques des apprentis du
supérieur en management à l’égard du travail et de l’environnement de travail. Il
s’agit d’apporter des éléments de compréhension de cette catégorie de salarié afin
d’être en mesure de susciter leur satisfaction et une envie de rester dans l’entreprise.
Pour les centres de formation, cette étude vise à préciser les conditions d’intégration
et de suivi de leurs apprentis dans les entreprises. Les CFAS53 et tuteurs
d’apprentissage (professeurs référents) pourront ainsi mieux définir le cadre
d’accueil de l’étudiant dans l’entreprise. Enfin côté recherche, l’une des questions
récurrentes des sciences organisationnelles est de comprendre pourquoi les salariés
sont satisfaits de leur travail (Janssen et al., 2004). A ce niveau notre article vient
enrichir l’importante littérature sur la satisfaction au travail en cernant plus
spécifiquement les attentes des apprentis du supérieur en management. Cet article
aborde dans un premier temps les spécificités de la satisfaction au travail pour les
apprentis du supérieur. Il s’agit de présenter les particularités du construit de la
satisfaction au travail, les caractéristiques des apprentis et l’impact sur la satisfaction
au travail, l’influence de celle-ci sur la satisfaction pour l’apprentissage et sur
l’engagement organisationnel. Dans une seconde partie, nous présenterons les
dimensions révélées par l’analyse empirique menée. Puis nous terminerons sur
l’étude des conséquences de la satisfaction au travail des apprentis du supérieur afin
d’estimer ce qui compte réellement dans un emploi pour eux.
52
Sur 395035 apprentis recensés en 2007-2008, 83919 préparent un niveau d’étude post-bac, repères et
références statistiques, édition 2009.
53
Centre de Formation des Apprentis du Supérieur.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
162
LES APPRENTIS DU SUPÉRIEUR :
SATISFACTION AU TRAVAIL
SPÉCIFICITÉS
DE
LEUR
Selon Charreaux et Desbrières (1998), « une firme ne peut créer durablement
de la valeur que si elle dispose d’un avantage compétitif difficilement imitable pour
ses concurrents ». Pour certaines entreprises, les possibilités d’apprentissage dans
l’enseignement supérieur peuvent faciliter l’accès à cet avantage compétitif et
constituer une nouvelle forme de management social. L’intégration et la fidélisation
des jeunes diplômés sont des problématiques fortes pour les entreprises (Perrot,
2000). L’accueil d’étudiants en apprentissage fait alors partie de la responsabilité
sociale de l’entreprise et sert une stratégie de communication et de valorisation de
son image. L’accueil des apprentis du supérieur peut également être perçu comme
une composante nouvelle de l’organisation apprenante où les connaissances
théoriques de l’étudiant enrichissent les savoirs de l’entreprise (Van de Portal,
2009).
Dans cette optique de recrutement, de responsabilité sociale, de valorisation de
l’image ou d’échange de savoirs, l’étude des attentes des apprentis du supérieur à
l’égard du travail est une thématique importante pour l’entreprise et pour les centres
de formation. Il s’agit de mieux saisir les particularités de ce type d’apprentissage
afin de minimiser le départ des apprentis et la réussite des stratégies RH souhaitées
par les entreprises. Steers et Mowday (1981) considèrent que chaque employé
possède des attentes différentes selon ses valeurs et ses besoins à un instant donné.
C’est la comparaison de ces attentes personnelles et des caractéristiques
organisationnelles qui explique, au moins en partie, les réponses affectives (ex. :
satisfaction) des salariés envers leur travail et, indirectement, leur fidélité à l’égard
de leur entreprise. La satisfaction des apprentis du supérieur est donc liée à la
reconnaissance de leurs attentes par l’entreprise. Un individu interprète le contenu et
l’environnement de son travail en se basant sur ses valeurs et caractéristiques
individuelles. Pour Roussillon et Bournois (2000), il faut tenir compte des attentes
différentes pour améliorer l’efficacité des pratiques de GRH et en faire des éléments
motivateurs positifs. Les recherches menées sur le construit de la satisfaction au
travail nous permettent de distinguer les dimensions et de les affiner en intégrant les
caractéristiques des apprentis du supérieur en management. L’influence de la
satisfaction au travail est analysée sur la satisfaction à l’égard de l’apprentissage et
l’engagement organisationnel.
Particularités du construit de la satisfaction au travail
La théorie de la divergence de Locke s’est imposée comme le principal socle
théorique pour conceptualiser la satisfaction au travail. Sous cet angle, la satisfaction
résulte de l’adéquation entre la perception des différents aspects du travail et les
valeurs, besoins, attentes que la personne porte à son travail. Locke (1976) définit la
satisfaction au travail comme « un état émotionnel positif ou plaisant résultant de
l’évaluation faite par une personne de son travail ou de ses expériences de travail ».
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
163
Selon cette approche, la satisfaction résulte d’une évaluation. Lawler (1971)
considère que l’individu compare ce qu’est réellement un aspect donné de son
emploi par rapport à ce qu’il voudrait qu’il soit. Pour Roussel (1996), la satisfaction
au travail se définit à partir du niveau de convergence entre ce que la personne désire
et ce qu’elle retire des différentes facettes de son travail. Spector (1997) définit la
satisfaction comme « le résultat de ce que les personnes ressentent face à leur emploi
ou aux différents aspects de celui-ci ». Pour certains travaux, il convient de
distinguer la satisfaction liée à une attitude et la satisfaction liée à un état affectif
(Mignonac, 2004 ; Weiss, 2002). L’affect fait référence aux émotions ressenties
dans le cadre du travail (ex. humeurs positives ou négatives). L’attitude fait
référence à l’évaluation du travail (Weiss, 2002). La satisfaction au travail est censée
refléter l’évaluation, le jugement affectif et/ou cognitif que porte un individu sur ses
conditions d’emploi et sur son travail en lui-même (Hulin et al., 2003 ; Weiss et
al.,1996). Dans le cadre de cette recherche nous mettons l’accent sur la dimension
« attitude » de la satisfaction au travail. Plusieurs recherches menées entre 1970 et
1990 soulignent les multiples facettes de ce concept. La satisfaction est un construit
multidimensionnel. Ce courant de recherche révèle deux grandes dimensions de la
satisfaction au travail (Mottay, 2003). La première dimension souligne la
satisfaction extrinsèque. Elle a trait aux facteurs organisationnels et traduit la
relation entre le salarié et son entreprise. La seconde dimension traduit la
satisfaction intrinsèque du salarié. Elle fait référence aux facteurs individuels et
traduit la relation entre le salarié et les caractéristiques de son travail. Sur ce point, le
modèle d’Hackman et Oldham (1976) met l’accent sur la variété des compétences,
l’identité de la tâche, la signification de la tâche, l’autonomie et le feedback. Tous
ces travaux plaident donc pour un construit multidimensionnel de la satisfaction.
Caractéristiques des apprentis et satisfaction au travail
Les caractéristiques des étudiants apprentis (âge, diplôme, désir d’apprendre)
et de leur contrat (rémunération légale, durée déterminée) sont susceptibles
d’influencer leur satisfaction au travail. Sur ce point, l’enquête sur les déterminants
de la satisfaction au travail en Europe est riche d’enseignement (Davoine, 2006).
La théorie économique standard accorde une place centrale au salaire dans le
rapport à l’emploi. Pour les théoriciens de l’organisation, la rémunération est un
facteur de la satisfaction extrinsèque du travail. En France, la satisfaction est
positivement liée à la rémunération (Davoine, 2006). Dans le cadre de
l’apprentissage, la réglementation rend secondaire la rémunération et cela
questionne le contenu de la satisfaction au travail chez l’apprenti. L’âge influence
également la satisfaction au travail (Rambo, 1982). Les salariés âgés ont souvent
plus d’expériences professionnelles, ce qui leur permet de relativiser en quelque
sorte les écarts entre leurs attentes et le contenu de leur travail. Au niveau européen,
la satisfaction prend la forme d’un U en fonction de l’âge (Davoine, 2006). Les
salariés avec un contrat à durée indéterminée (contrat standard) se déclarent plus
satisfaits de leur travail que ceux qui n’en bénéficient pas (Davoine, 2006).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
164
L’apprenti fait partie du second circuit de l’entreprise car il ne dispose pas d’un
contrat standard et cela peut donc influencer sa satisfaction. Le niveau de diplôme
peut expliquer la satisfaction au travail. Les diplômés ont souvent plus d’attentes et
d’exigences sur le contenu de leur travail. Ils sont donc plus difficilement satisfaits
(Ting, 1997). L’enquête européenne sur les déterminants de la satisfaction au travail
confirme cette influence (Davoine, 2006). Plus le diplôme est élevé et plus le risque
de sous-emploi perçu est fort. Le salarié est sous-employé lorsque son travail ne
requiert pas son niveau d’étude ou n’utilise pas ses connaissances. Cet écart entre le
niveau d’étude et l’emploi réduit la satisfaction intrinsèque pour le travail (Maynard
et al. 2006). Dans le cadre de l’apprentissage, la découverte d’un emploi avec un
niveau d’étude élevé peut influencer la satisfaction au travail. La notion
d’apprentissage peut également modérer l’effet des caractéristiques de la mission sur
la satisfaction au travail. Plusieurs recherches montrent que la volonté de progresser
(Loher et al., 1985) et de développer ses compétences (Jansen et al., 2004) influence
les modèles de satisfaction au travail. Ainsi plus le salarié exprime une forte volonté
de progresser et plus il exprime de satisfaction pour les missions complexes et
riches. Le travail en entreprise est une expérience nouvelle pour l’apprenti. Il peut
accorder une plus forte importance à la signification et à la valeur de sa mission. Sur
ce point, plusieurs recherches montrent que « l’importance accordée au travail » est
une variable qui modère les antécédents et les conséquences de la satisfaction au
travail (Rice et al,. 1985).
En conséquence, nous considérons qu’à l’instar des salariés standards, la
satisfaction au travail de l’apprenti du supérieur se compose d’une satisfaction
intrinsèque et d’une satisfaction extrinsèque mais que les spécificités de cette
population influencent la nature de cette décomposition.
Hypothèse 1 : La satisfaction au travail des apprentis dans l’enseignement
supérieur est un construit multidimensionnel basé sur la satisfaction intrinsèque et
extrinsèque.
Pour tester la validité prédictive de la satisfaction au travail de l’apprenti, nous
mobilisons la notion de satisfaction pour l’apprentissage puis le concept
d’engagement organisationnel.
L’influence de la satisfaction au travail sur la satisfaction pour l’apprentissage.
Contrairement aux salariés classiques, l’apprenti est un salarié atypique car il
partage son temps d’activité professionnelle entre son travail en entreprise et sa
formation universitaire. Pour l’important courant de recherche sur le « subjective
well being », la satisfaction pour la vie est expliquée par la satisfaction pour le
travail et la satisfaction pour la vie de famille. La satisfaction pour la vie fait
référence à l’appréciation globale que se fait l’individu sur sa qualité de vie (Diener,
1984) et se définit comme un construit des différentes sphères d’activité ou
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
165
d’environnement d’une personne. La satisfaction pour l’apprentissage s’inscrit en
théorie dans cette conceptualisation. La satisfaction pour l’apprentissage s’explique
par la satisfaction pour le travail (Alves, Gosse et Sprimont, 2010). L’appréciation
qu’il porte sur son travail doit donc influencer sa satisfaction pour l’apprentissage.
La satisfaction pour l’apprentissage traduit l’appréciation globale que se fait
l’apprenti sur la qualité de son apprentissage.
Hypothèse 2 : Chez l’apprenti du supérieur, les facettes de sa satisfaction
au travail sont liées positivement à sa satisfaction pour l’apprentissage.
L’influence de la satisfaction au travail sur l’engagement organisationnel.
Pour March et Simon (1958) « plus un individu est satisfait au travail, plus
faible sera son envie de changer». De nombreuses études mettent en évidence une
relation négative entre la satisfaction au travail et l’intention de départ (Bluedorn,
1982 ; Hom et Kinicki, 2001…). La fidélité d’un salarié suppose de sa part un réel
engagement à l’égard de son entreprise.
L’engagement organisationnel est une force qui conduit l’individu à
s’identifier et à s’engager envers l’organisation dans laquelle il travaille (Mowday,
1998). Mathieu et al., (1990) distinguent l’engagement affectif basé sur
l’identification et l’attachement émotionnel à l’entreprise et l’engagement calculé
basé sur un choix raisonné (absence d’alternatives, coût de départ trop élevé). Notre
recherche met l’accent sur l’engagement affectif. Il traduit le réel attachement de
l’apprenti pour l’entreprise et peut être considéré comme le véritable corollaire de
son intention de rester (Suliman et al., 2000) ou de recommander l’entreprise.
Plusieurs recherches soulignent le lien positif entre la satisfaction au travail et
l’engagement organisationnel (Meyer et al., 2002, Mathieu et al., 1990).
L’engagement augmente lorsque l’organisation répond aux attentes du salarié en
termes d’accomplissement et de développement (Morris et al., 1981). Sur ce point,
les attentes des apprentis du supérieur sont par définition élevées. A contrario, le
niveau de formation serait lié négativement à l’engagement : les salariés les plus
formés ont des attentes que les organisations ne peuvent convenablement satisfaire
(Mowday et al., 1982). Chez les apprentis du supérieur, le lien entre satisfaction au
travail et engagement est donc à questionner. Si l’entreprise répond aux attentes de
formation de l’apprenti, elle est alors perçue comme un lieu propice à l’acquisition
de nouvelles compétences et de savoirs. Cette acquisition repose en partie sur un
processus d’échanges informels qui témoigne d’une réelle insertion de l’apprenti au
sein de l’entreprise.
Hypothèse 3 : Chez l’apprenti du supérieur, les facettes de la satisfaction au travail
sont liées positivement à son engagement organisationnel.
Pour tester nos hypothèses nous administrons dans un premier temps un
questionnaire à 161 apprentis du supérieur (master 1 sciences de gestion). Dans un
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
166
second temps, nous réalisons des entretiens semi-directifs pour compléter et enrichir
les résultats obtenus. Les entretiens sont réalisés auprès de 65 apprentis (master 2)
(voir encadré 1).
Encadré 1 : Méthodologie de la recherche
Mesure des variables
La satisfaction au travail est mesurée avec la version courte du Minnesota Satisfaction Questionnaire
(MSQ) développé par Weiss et al. (1967), traduite et adaptée par Roussel (1996). Plusieurs recherches
montrent que cette échelle mesure avant tout la dimension cognitive de la satisfaction (Mignonac, 2004 ;
Kaplan et al.2009).
La satisfaction pour l’apprentissage est mesurée à partir de l’échelle de Diener et al. (1985) qui est l’outil
de référence pour mesurer la satisfaction de vie globale. Pour mesurer cette variable nous avons mobilisé
les items de Blais et al. (1989) en précisant qu’ils cernaient la vie d’apprenti «ex. : je suis satisfait de ma
vie d’apprenti ; en général ma vie d’apprenti correspond de près à mes idéaux». Les tests de sphéricité de
Bartlett (P<.000) et de mesure d’échantillonnage de Kaiser-Meyer-Olkin (KMO= .833) soulignent
l’adéquation de la solution factorielle des données. Les tests statistiques exploratoires (ACP, alpha=.88,
var.=69%) et confirmatoires (équations structurelles) valident l’unidimensionnalité et la fiabilité du
construit. La moyenne du facteur est de 3,92 avec un écart type de 1,07.
L’engagement affectif organisationnel est mesuré par 6 items communs aux échelles de Stinglhamber et
al. (2002) et Meyer et al. (1993). (ex. : Je ressens un fort sentiment d’appartenance à cette entreprise). Ces
items forment une seule dimension (alpha = 0,94, var.=79%). La moyenne du facteur est de 3,75 avec un
écart-type de 1,33.
La mesure globale de la satisfaction au travail est réalisée avec l’échelle de Cramer (1996). (ex. : Dans
mon travail en entreprise, j’aime ce que je fais). La dimension factorielle restitue 84% de la variance
(alpha = .94). La moyenne du facteur est de 4,16 avec un écart type de 1,20.
Recueil des données
Deux échantillons sont mobilisés : 161 apprentis inscrits en Master 1 sciences de gestion (féminin à 66%)
et 65 apprentis inscrits en Master 2 sciences de gestion (féminin à 60%). Ils sont tous inscrits dans un
CFAS. Pour les Masters 1 : L’âge moyen est de 22 ans avec un écart type de 1,25. La mission en
entreprise est à dominante commerciale dans 13% des cas, marketing communication (25%), gestion de
projet (12%), finance et contrôle de gestion (20%), comptabilité (20%), logistique (5%) et management
des ressources humaine (5%). Pour les Masters 2 : La mission en entreprise est à dominante commerciale
dans 8% des cas, marketing communication (30%), gestion de projet (10%), finance et contrôle de gestion
(31%), comptabilité (10%), logistique (3%) et management des ressources humaine (8%).
La phase quantitative : Les 161 apprentis sont interrogés au terme de la première année (Master 1). A ce
moment de l’apprentissage, l’apprenti a passé l’euphorie de la phase de découverte de l’entreprise et n’a
pas encore déterminé précisément son avenir après l’apprentissage. Il est donc plus à même de répondre
au questionnaire. Des professeurs d’universités et d’écoles de commerce ont relayé la recherche auprès de
leurs élèves. Le questionnaire a été auto administré via internet. Cette procédure a permis d’obtenir les
réponses de toutes les personnes visées et d’éviter ainsi le biais lié à une surreprésentation des apprentis
insatisfaits ou des élèves les plus impliqués dans leurs études. Les tests de comparaison de moyennes ne
révèlent pas de différences entre le genre, l’âge, le thème de la mission et les variables de notre recherche.
La phase qualitative mobilise l’échantillon des 65 apprentis inscrits en deuxième année d’apprentissage
du supérieur. Sur la base des résultats obtenus après l’analyse quantitative, les apprentis sont invités à
discuter de leurs attentes vis-à-vis du travail en entreprise. A ce niveau, les dimensions de la satisfaction
au travail obtenues lors de la phase quantitative sont commentées par les apprentis. Leurs analyses sont
dactylographiées et font l’objet d’une analyse de contenu pour faire émerger les invariants de chaque
dimension.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
167
LES DIMENSIONS DE LA
APPRENTIS DU SUPÉRIEUR.
SATISFACTION
AU
TRAVAIL
DES
Pour tester l’hypothèse d’un construit multi-facettes de la satisfaction au travail
une analyse en composantes principales est réalisée sur les 20 items de l'échelle de
Roussel (1996) (encadré 2). Elle fait ressortir 4 dimensions qui restituent 64% de
l'information54 . La satisfaction au travail dans le cadre de l’apprentissage du
supérieur en management dépend de la perception de l’autonomie, de l’envergure de
la mission et de l’encadrement.
Nos résultats valident la première hypothèse en révélant trois facettes55 de la
satisfaction au travail dans le cadre de l’apprentissage du supérieur : la satisfaction
basée sur l’envergure de la mission, sur l’encadrement et sur l’autonomie.
L’envergure de la mission
La première dimension regroupe 7 items relatifs à la mission et à
l'environnement de travail. Les résultats montrent que l’apprenti décrit sa
satisfaction au travail en tenant compte de sa position en tant qu’acteur social et
productif se sentant utile pour les autres et l’organisation (Q20, Q9 et Q4), « Mon
travail est reconnu par plus de personnes et j’ai vraiment l’impression de réellement
faire partie de l’entreprise. Je me sens utile. Mes collègues savent qu’ils peuvent
compter sur moi. » Laura. Ce sentiment est renforcé par le feedback de
l’environnement (Q19) comme l’indique Cohen Scali (2000). Les possibilités de
faire des choses différentes (Q3) revêtent également une importance pour l’apprenti
qui voit le caractère formateur de l’expérience parce qu’elle laisse la possibilité de
l’expérience étendue au-delà de la seule mission confiée et convenue au démarrage
du contrat d’apprentissage. « J’ai pu grâce à des missions variées m’ouvrir à
d’autres fonctions que celles définies par mon apprentissage » Marie-Eve. Les
conditions de travail (Q2) et le climat d’entente entre les collègues (Q18) font
théoriquement référence à la satisfaction extrinsèque (Roussel, 1996). Nos résultats
montrent que les apprentis associent ces deux items aux critères de satisfaction
intrinsèque (Q3, 4, 20). L’environnement extrinsèque favorable (Q2 et Q18)
développé par l’entreprise semble ici être le terreau pour une expérience de travail
variée (Q3) formatrice et pour que le sujet se sente acteur de sa vie professionnelle
comme de son projet. « Mon entreprise a répondu pleinement à mon attente en
m’offrant exactement les mêmes avantages et droits que les autres salariés…mon
entreprise me donne de nombreuses responsabilités qui me confèrent une véritable
valeur ajoutée. » Tatiana. Ce type d’environnement satisfaisant aux yeux de
l’apprenti du supérieur lui donne donc l’occasion de trouver sa forme (Develay,
54
La cohérence interne est mesurée par les alphas de Cronbach : dimension 1 = 0.86, dimension 2 = 0.71,
dimension 3 = 0.72, dimension 4 =0.46 (rejetée car < à la norme 0.7 (Nunnally, 1978).
55
Les trois dimensions de la satisfaction sont positivement corrélées entre elles. Elles convergent vers une
variable latente de second ordre. GFI=0,93 ; RMSEA= 0,04 ; AGFI=0,90, toutes les relations sont
significatives P<0,001.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
168
2007) et de devenir soi. Cette « liberté » offerte sert sa stratégie individuelle
d’obtenir un diplôme, de développer ses compétences et de s’ouvrir vers un futur
professionnel (Astier, 2007). Les entretiens menés sur ce thème permettent de
contextualiser le résultat obtenu à partir du MSQ. Les apprentis parlent de valeur
ajoutée, d’utilité et de légitimité de leur mission pour l’entreprise. Dans le modèle
d’Hackman et Oldham (1976), la signification de la tâche influence la satisfaction au
travail. La signification de la mission fait référence à la perception que se fait le
salarié de sa contribution à la mission de l’organisation. Les attentes en termes
d’intégration s’expriment ici dans l’importance des missions confiées. Les apprentis
se comparent aux autres salariés de l’entreprise. Sur ce point leur attente est très
forte. Ils souhaitent être traités comme des membres à part entière du service, qu’on
les différencie clairement d’un stagiaire. La théorie de la comparaison sociale
(Festinger, 1954) et la théorie de l’équité (Adams, 1965) sont connexes à la théorie
de la divergence. Ces trois théories conceptualisent la satisfaction au travail par la
notion de divergence entre l’expérience vécue et un standard de comparaison (Rice
et al., 1989). L’apprenti se compare aux autres populations de l’entreprise. Dans
l’esprit des apprentis, le standard normal est le salarié de droit commun, membre à
part entière du projet de l’entreprise. Le standard et l’appréciation de l’expérience
vécue sont propres à chaque individu. Ainsi, certains apprentis énoncent le stagiaire
comme norme inférieure de comparaison. La norme de comparaison choisie peut
influencer la satisfaction au travail exprimée (Thorsteinson, 2003).
Le rôle de l’encadrement
La deuxième dimension regroupe 3 items relatifs à la satisfaction
extrinsèque basée sur l’encadrement. Ce facteur regroupe les items relatifs à
l'organisation du travail et à la prise de décision du supérieur qui est le maître
d’apprentissage (Q5, 6, 12). Les compétences managériales étant difficilement
verbalisables, souvent cachées dans l’agir, l’apprenti apprend également son futur
métier de manager en observant son supérieur. Nos résultats montrent que ce critère
est une facette clairement identifiée de la satisfaction au travail de l’apprenti. Sur ce
thème les entretiens menés font émerger une série de propositions relatives aux
comportements et qualités attendus du supérieur. Les apprentis attendent de leur
maître d’apprentissage de la disponibilité, de la reconnaissance, une compréhension
mutuelle, des encouragements, des marques de confiance. « Bien que mon actuelle
tutrice soit peu disponible, elle fait preuve de pédagogie sur les nouveaux projets
confiés, de transparence sur l’ensemble des sujets et de grande confiance à mon
égard ; Au-delà des relations professionnelles, elle a su instaurer un climat de
confiance de telle sorte que la transparence s’établit dans les deux sens » Perrine.
Les apprentis mettent l’accent sur les méthodes d’évaluation et la qualité du
feedback prodigué. Ils attendent une certaine pédagogie de la part du supérieur, qu’il
intègre les spécificités de leur apprentissage en faisant le lien avec leur formation
universitaire. Ces discours sont à rapprocher de plusieurs concepts théoriques en lien
direct avec la satisfaction au travail. Le soutien organisationnel perçu fait référence
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
169
au sentiment d’être accompagné et considéré par son organisation. Ce soutien est un
facteur explicatif de la satisfaction au travail (Rhoades et al., 2002). Les entretiens
montrent que le soutien organisationnel est incarné par le maître d’apprentissage.
Cette personnalisation de l’organisation peut s’expliquer par le fait que le maître
d’apprentissage a une responsabilité légale et morale sur les actions de l’apprenti. Le
contrat de travail liant l’entreprise à l’étudiant souligne nommément le maître
d’apprentissage comme garant des conditions de l’apprentissage. Sous cet angle,
l’apprenti exprime le respect de certaines attentes contractuelles de la part de son
maître d’apprentissage. La personnalisation du soutien organisationnel renvoie
également au concept de soutien social. Le soutien social est une relation
interpersonnelle, un échange entre deux personnes où l’un s’enquiert du bien être de
l’autre (Shumaker et al., 1984). Ce concept est lié directement ou indirectement (par
son lien avec l’ambiguïté de rôle et le conflit de rôle) à la satisfaction au travail
(Carlson et al., 1999). Les modèles en management le présente comme l’un des
principaux antécédents du soutien organisationnel (Rhoades et al., 2002). Les
apprentis attendent de leur maître d’apprentissage de la compréhension et des
encouragements. Sur ce point les témoignages montrent une attente qui va au-delà
du travail en entreprise. L’apprenti juge son maître d’apprentissage au regard de sa
pédagogie et du lien qu’il fait avec la scolarité. « …J’ai vu mes supérieurs prêter
attention à ce qui m’intéressait réellement de faire… conscients que je suis
également à ce poste pour apprendre, ils veillent à m’expliquer ce que je ne
comprends pas et à me faire progresser» Alexandre.
L’autonomie
La troisième dimension regroupe 3 items relatifs à l'autonomie dans le travail.
Ces trois items (Q14, 16, 17) évoquent la possibilité du sujet et donc le champ
d’autonomie réelle, au-delà des seules conditions organisationnelles, qui lui est
offert dans le cadre de son apprentissage. Les entretiens menés sur la base de cette
dimension font ressortir trois invariants que sont la prise d’initiative, le degré de
contrôle sur les missions réalisées et le fait de pouvoir organiser son travail comme
le souhaite l’apprenti. Hackman et Oldham (1980, p.162) définissent cette
caractéristique du travail comme « le degré de liberté et le niveau d’indépendance
octroyés au salarié pour organiser son travail et déterminer les procédures à
mobiliser ». D’un point de vue conceptuel, l’autonomie a un effet positif sur la
satisfaction au travail. Dans le modèle de Hackman et Oldham (1976), l’autonomie
est une des principales propriétés motivationnelles du travail. Elle permet au salarié
de se sentir responsable ce qui contribue à sa satisfaction. Le salarié apprenti et ses
spécificités questionnent le contenu de l’autonomie souhaitée pouvant contribuer à
sa satisfaction. L’autonomie est en effet un concept polysémique (Everaere, 1999).
La notion de liberté, d’indépendance, et la possibilité de travailler seul ne se
retrouvent pas dans le discours des apprentis. Ainsi, l’autonomie comme moyen de
gérer des marges de liberté dans le travail, de compenser la rigidité de certaines
règles, d’éviter le contrôle du supérieur (Thomas et al., 1997), ou de choisir les
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
170
activités auxquelles on accorde de la valeur (autodétermination) ne constitue pas
l’attente centrale des apprentis dans ce domaine. « Ma collègue m’expliquait très
clairement ce que je devais faire et ensuite je commençais par ce que je voulais. »
Sophie. Les notions d’autocontrôle et de prise d’initiative, présentes dans le discours
des apprentis, font plutôt référence à une autonomie qui relève de l’attribution d’une
autorité tournée vers soi-même et d’une auto-organisation relative (Everaere, 1999).
« Dans ce type de mission, je dois représenter la société, une fois encore cela traduit
la confiance et la responsabilité que l’entreprise confie à l’apprenti… c’est
l’occasion de prendre des initiatives et d’agir de manière autonome » Romain. Dans
ces modèles d’autonomie, l’autorité se fond dans l’exercice du travail grâce à la
mobilisation locale de savoirs : celui qui exécute est en même temps celui qui
réfléchit à la meilleure solution et qui assume la responsabilité de ses résultats.
L’auto-organisation renvoie aux compromis réalisés au quotidien entre certaines
demandes contradictoires (ex. gestion des urgences) et la capacité à gérer les
priorités. L’autonomie fait donc ici référence à la possibilité d’être responsabilisé
par la gestion d’arbitrage au sein d’un champ de complexité que représente la
mission confiée.
Encadré 2 : Analyse en composantes principales et Analyse confirmatoire
AAnalyse en composantes principales
Pour tester l’hypothèse d’un construit multi-facettes de la satisfaction au travail une analyse en
composante principale est réalisée sur les 20 items de l'échelle de Roussel (1996). Elle fait ressortir 4
dimensions qui restituent 64% de l'information. Le tableau 1 présente les contributions factorielles des
items retenus.
Tableau 1 – Contribution factorielle des items du MSQ pour les apprentis du supérieur (n=161)
1
2
3
4
Qualité
Q20 Le sentiment d'accomplissement que je retire de mon 0,745
0,747
travail.
Q9 Les possibilités d'aider les collègues dans l'entreprise.
0,736
0,554
Q19 Les compliments que je reçois pour la réalisation d'un bon 0,650
0,552
travail.
Q3 Les possibilités de faire des choses différentes de temps en 0,711
0,637
temps.
Q4 Mon importance aux yeux des autres.
0,629
0,624
Q2 Les conditions de travail.
0,566
0,578
Q18 La manière dont mes collègues s'entendent entre eux.
0,568
0,580
Q5 La manière dont mon supérieur dirige ses employés.
0,797
0,732
Q12 La manière dont les règles et les procédures internes de
0,719
0,601
l'entreprise sont mises en application.
Q6 La compétence de mon supérieur dans la prise de décision.
0,659
0,503
Q17 Les possibilités d'essayer mes propres méthodes pour
0,726
0,644
réaliser le travail.
Q14 Les possibilités de prendre des décisions de ma propre
0,640
0,653
initiative.
Q16 Les possibilités de travailler seul(e).
0,746
0,640
Q13 Mon salaire par rapport à l'importance du travail que je
-0,853 0,769
fais.
Q15 Les possibilités de rester occuper tout le temps au cours de
0,687 0,660
la journée de travail.
Analyse en Composante Principale, Rotation Varimax, Coordonnées <0,4 masquées. Les alphas de Cronbach
sont de 0.86 pour la première dimension, 0,71 pour la deuxième dimension, 0,72 pour la troisième dimension
et 0,46 pour la quatrième. La cohérence interne de la quatrième dimension est insuffisante car inférieure à la
norme de 0,7 (Nunnally 1978). Les trois premières dimensions sont donc retenues.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
171
B- Analyse confirmatoire
Figure 1 – Structure de la satisfaction des apprentis de l’enseignement supérieur : analyse confirmatoire
(n=161)
(GFI= 0,93 ; RMSEA = 0,04 ; CFI = 0,97, AGFI =0,90)
Toutes les relations sont significatives P<0,001
.57
Q.16
Satisfaction basée
sur l’Autonomie
.8 3
.80
Q.14
.63
Q.17
.85
Q.20
.53
Q.9
.70
Satisfaction
multi facettes
au travail
.88
Satisfaction basée
sur l’envergure
de la mission
Q.19
.75
Q.3
.74
Q.4
.62
Q.2
.54
Q.18
.88
Q.5
.69
Satisfaction basée
sur l’Encadrement
.61
Q.6
.56
Q.12
Exemple de lecture : Les trois dimensions de la satisfaction sont positivement corrélées entre elles. Elles
convergent vers une variable latente de second ordre. Ce résultat est conforme aux recherches antérieures
ayant montré que les facettes de la satisfaction ne sont pas indépendantes mais qu’elles convergent vers
une dimension de satisfaction globale (Muchinsky, 1990).
CONSÉQUENCES DE LA SATISFACTION AU TRAVAIL DES APPRENTIS
DU SUPÉRIEUR.
A présent, trois régressions multiples sont calculées pour tester la validité
prédictive des dimensions de la satisfaction au travail. Elles mobilisent
respectivement la notion de satisfaction globale au travail, la satisfaction pour
l’apprentissage et l’engagement organisationnel (tableau 2).56 Ce protocole s’inscrit
dans l’approche « hédonique » qui consiste à mesurer l’impact des différents aspects
de la satisfaction au travail sur les salariés afin d’estimer ce qui compte réellement
dans un emploi (Clark, 2001).
56
Les trois modèles sont significatifs (P de Fisher >.001) et restituent une proportion importante de
variance (R²>50%).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
172
Tableau 2 : Analyse des régressions multiples
Variables
indépendantes
Autonomie
Mission
Encadrement
F
Durbin
R² ajusté
VIF
Modèle 1
Satisfaction au
travail
Coef.
Modèle 2
Satisfaction
apprentissage
Coef.
Modèle 3
Implication
affective
Coef.
1,61
1,91
1,49
,13*
,70***
,05ns
,01ns
,64***
,13*
,00ns
,65***
,22***
109,19***
1,93
67%
60,36***
1,76
52,7%
95,00***
1,82
63,8%
Les coefficients sont standardisés. *** p<0,001 ; ** p<0,01 ; *p<0,05
Note de lecture pour le modèle 1: le niveau des variables explicatives ajuste 67 % de la variance de la
satisfaction au travail. L’encadrement n’a pas d’effet sur la satisfaction au travail (B=0,05, non
significatif). L’autonomie (B=0,13) et l’envergure de la mission (B=0,70) ont un effet positif sur la
satisfaction au travail.
Le modèle 1 montre que la satisfaction globale au travail est expliquée par
la satisfaction basée sur la mission et la satisfaction basée sur l’autonomie. Dans
cette équation, la satisfaction basée sur l’encadrement n’a pas d’influence. Ce
modèle calcule l’importance des trois facettes de la satisfaction aux yeux des
apprentis du supérieur de niveau I. Il apparaît donc que la satisfaction basée sur
l’envergure de la mission et, dans une moindre mesure, la satisfaction basée sur
l’autonomie soient des déterminants de la satisfaction au travail plus importants que
la satisfaction basée sur l’encadrement. Dans le modèle 2, la satisfaction pour
l’apprentissage est expliquée par la satisfaction pour la mission et la satisfaction
envers l’encadrement. La satisfaction liée à l’autonomie n’a pas d’effet sur cette
variable (hypothèse 2 validée). Le modèle 3 mobilise l’engagement organisationnel
comme variable dépendante des trois facettes de la satisfaction. La satisfaction basée
sur l’autonomie n’a pas d’effet sur l’attachement de l’apprenti pour l’entreprise. Par
contre, la satisfaction basée sur l’encadrement et la satisfaction basée sur la mission
ont un effet positif sur l’engagement, (hypothèse 3 validée).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
173
CONCLUSION
Alors que l’apprentissage dans l’enseignement supérieur connaît un essor
important en France, peu de recherches sont menées sur cette catégorie de salariés.
Comme les régions57, les entreprises sont inégales dans la manière de gérer le
développement de l’apprentissage dans le supérieur. Lorsqu’une entreprise accueille
un apprenti du supérieur, elle intègre dans ses effectifs un nouveau salarié au statut
très spécifique. La qualité de l’expérience vécue par l’étudiant doit être une
préoccupation des CFAS et des entreprises. La satisfaction au travail exprimée par
l’apprenti est une évaluation de la qualité de cette expérience.
Cet article visait deux objectifs : d’une part déterminer les dimensions de la
satisfaction au travail pour les apprentis du supérieur et d’autre part tester la validité
prédictive de ces dimensions en mesurant leur impact sur la satisfaction au travail,
sur la satisfaction pour l’apprentissage et l’engagement affectif.. Pour le premier
objectif, l’étude a mis en évidence deux résultats. L’utilisation du questionnaire de
Weiss et al (MSQ), nous a permis de mettre à jour une structure tridimensionnelle
de la satisfaction au travail chez les apprentis du supérieur. Elle comprend la
satisfaction basée sur l’autonomie, sur l’envergure de la mission et sur le rôle de
l’encadrant. Deuxièmement, plusieurs items n’ont pas été retenus dans la structure
factorielle. Cela peut s’expliquer par la spécificité de cette catégorie de salariés. La
création d’une échelle de mesure spécifique à l’apprentissage dans le supérieur
permettrait d’affiner les déterminants de leur satisfaction.
En ce qui concerne le deuxième objectif, les dimensions de la satisfaction
au travail de l’apprenti expliquent sa satisfaction globale à l’égard du travail, envers
l’apprentissage et son engagement affective.
L’envergure de la mission est composée d’items de satisfaction extrinsèque
et intrinsèque. Plus l’apprenti est satisfait de l’envergure de sa mission et plus il est
satisfait de son travail en général, de son apprentissage, et plus grande est son
engagement affectif envers l’entreprise. L’apprenti du supérieur recherche un
environnement stimulant où les interactions avec les autres membres de l’entreprise
sont fortes. La mission confiée doit être un vecteur de son intégration parmi les
effectifs de l’entreprise en proposant une variété de compétence et en contribuant
réellement à la bonne marche de l’entreprise. Le professeur référent et le maître
d’apprentissage veilleront à ce que la mission réponde à ces caractéristiques. Nos
entretiens montrent que dans l’idéal, l’apprenti souhaite intégrer une équipe élargie
en nombre et en compétences, avec une compréhension précise des tenants et
aboutissants de sa mission pour la bonne marche de l’entreprise et participer à des
réunions de prise de décision.
La satisfaction liée à l’encadrement est une composante de la satisfaction
extrinsèque. Aux yeux des apprentis du supérieur, cette dimension est importante car
elle explique sa satisfaction de l’apprentissage. L’encadrement est principalement
incarné par le maître d’apprentissage. Sur ce point, les entretiens soulignent des
57 L’apprentissage est l’une des prérogatives des conseils régionaux.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
174
attentes spécifiques exprimées à son égard. Il doit intégrer la logique de formation
en étant pédagogue, en faisant le lien avec les études de l’apprenti, en étant à son
écoute et en faisant preuve de considération. La satisfaction liée à l’encadrement
influence également l’engagement organisationnelle de l’apprenti et par ricochet son
intention de rester dans l’entreprise (l’engagement étant un antécédent de l’intention
de rester). Le comportement et les qualités du maître d’apprentissage contribuent
ainsi à fidéliser l’apprenti et constituent un levier à son recrutement après la période
de formation. L’entreprise qui vise des recrutements via l’apprentissage doit tenir
compte de ce résultat. Tous les managers n’ont pas le profil pour être un bon maître
d’apprentis du supérieur.
La structure factorielle des réponses au questionnaire fait ressortir une
dimension liée à l’autonomie dans le travail. Cette facette n’a pas d’effet sur la
satisfaction de l’apprentissage et sur l’engagement affectif mais explique la
satisfaction globale au travail. Ce dernier résultat souligne l’importance de cette
caractéristique intrinsèque de la mission pour l’apprenti de niveau master. Sur ce
point, nos entretiens soulignent que l’autonomie attendue n’est pas une volonté de
choisir ses activités mais une autonomie essentiellement basée sur la prise
d’initiatives et la gestion des priorités. La question de l’autonomie octroyée doit
donc être abordée dès le début de la formation entre l’étudiant, le maître
d’apprentissage et le professeur référent afin de clarifier leurs attentes et la
responsabilisation progressive de l’apprenti. Une mission qui consisterait à respecter
un ensemble de consignes basiques dans un cadre strictement défini risque de ne pas
correspondre à ce type d’apprenti.
Nous l’avons souligné en début d’article, la recherche sur les apprentis du
supérieur est embryonnaire. Notre travail est exploratoire. Il présente certaines
limites et autant de perspectives de recherche. La portée des résultats doit tenir
compte de la spécificité de la population étudiée. Notre échantillon est composé
d’étudiants de niveau master (niveau I). Les apprentis du supérieur se composent
également d’étudiant de niveau II (licence). De futures recherches devront
s’intéresser à ce segment intermédiaire de formation. Avec la mission en entreprise,
la formation universitaire est la deuxième composante du temps de vie
professionnelle de l’apprenti. Pour une meilleure compréhension des attentes des
apprentis, il conviendra de mobiliser la sphère universitaire en interaction avec la
sphère entreprise. L’échelle de mesure utilisée (Minnesota Satisfaction
Questionnaire) est l’un des outils de référence pour évaluer la satisfaction au travail.
Cet instrument cerne les invariants de la satisfaction mais ne permet pas d’évaluer
les dimensions spécifiques de chaque catégorie de salariés. De futurs travaux
devront investir ces dimensions propres aux apprentis du supérieur et aider ainsi les
entreprises et les CFAS dans l’accompagnement des étudiants apprentis. Sur ce
point l’enjeu est de taille car comme le précise un rapport du ministère de
l’éducation (200858) : « La carte des profils de l’apprentissage se redessine. Le
58
Note d’information, octobre, NI 05.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
175
marché de l’emploi recrute des jeunes de plus en plus qualifiés. Ainsi, les formations
du supérieur ont et auront une place de plus en plus prépondérante ».
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
180
LE GENRE ET LE LEADERSHIP
l’importance d’introduire les traits de
personnalité des leaders.
Sarah SAINT-MICHEL59
Les entreprises françaises se trouvent confrontées à un
problème de représentation équilibrée des hommes et des
femmes aux postes de direction et de pouvoir. Face au
phénomène du plafond de verre, les femmes restent sous
représentées dans les positions de pouvoir et de direction. Pour
expliquer en partie ce phénomène, certains chercheurs mettent
en avant le poids des stéréotypes en terme de genre et du
« modèle managérial dominant » qui entraveraient l’accès des
femmes à ces positions de pouvoir et de leadership. Ainsi le
genre semble être une variable importante qui structure les
organisations et, il nous paraît important de l’introduire, afin d’expliquer et de
comprendre l’impact éventuel du genre sur le style de leadership. De plus, face à
l’intérêt grandissant des recherches sur les différences individuelles et le leadership
par le biais du modèle du « Big Five » (Costa et McCrae, 1992), il nous paraît
important de comprendre et d’expliquer l’impact du genre sur les traits de
personnalité des leaders. Cette communication tente de dresser un état des lieux de
la recherche théorique et empirique des liens entre le genre, le leadership et les traits
de personnalité du leader.
Les entreprises françaises se trouvent confrontées à une problématique
sociétale importante. Les femmes sont plus diplômées que les hommes, mais leur
réussite professionnelle est moindre. Et s’il y a mixité dans les écoles, il n’y a pas
égalité : seulement 33 % de femmes dans les positions de dirigeantes au sein des
entreprises ou des administrations publiques (Blanchard et al., 2009). En effet, le
phénomène du plafond de verre, qui désigne l’ensemble des obstacles, visibles et
invisibles qui peuvent expliquer une certaine rareté des femmes dans les postes de
pouvoir et de décision dans les organisations (Morrison et al., 1987), introduit la
59
Doctorat ès Sciences de Gestion, Master 2 Recherche Gestion des ressources humaines et des relations
sociales Agrégée d’Economie-Gestion, Laboratoire de Recherche Prism/CERGORS, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne, 17 Place de la Sorbonne, 75 005 Paris, France, Domaines de recherche : Leadership,
Genre, Traits de personnalité des leaders Tél : 06 24 19 19 50, Sarah.stmichel@hotmail.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
181
problématique du « Genre » au cœur des pratiques RH. Pour expliquer en partie ce
phénomène, dont les causes sont multiples, les sociologues, psychologues et
gestionnaires mettent en avant l’importance du poids des stéréotypes en terme de
genre. L’image du manager serait associée à des comportements dominateurs plus
facilement associés à des attributs dits masculins (Schein, 1973, 2001). La
métaphore choc émise par Schein (1973) « Think manager, Think male » traduit l’un
des obstacles auquel peuvent être confrontées les femmes pour accéder à ces
postions de pouvoir et de direction. D’autres études appuient que la culture et des
normes organisationnelles ne seraient pas neutre au regard du genre (Lauffer, 2005).
Ces chercheurs remettent en cause l’idée de neutralité de l’organisation par rapport
au genre. Laufer (1982, p.287) souligne que « l’entreprise définie comme neutre
dans sa poursuite des finalités économiques fut aussi un monde masculin construit
par des hommes qui consciemment ou inconsciemment assignent une certaine place
aux femmes et à la féminité ». Ainsi le genre semble être une variable importante
qui structure les organisations et leurs dynamiques, et, il nous paraît pertinent de
l’introduire pour comprendre les effets éventuels sur le style de leadership et les
traits de personnalité des leaders. La compréhension des liens entre ces dimensions
nous permettra d’émettre des recommandations méthodologiques, afin qu’il y ait
une évaluation la plus objective possible des liens entre ces variables.
A travers cet article théorique, nous tentons de recenser la littérature
scientifique faisant un lien respectivement entre le genre, le leadership et les traits de
personnalité du leader. En effet, les femmes dirigent-elles d’une façon différente des
hommes ? Serait-ce la raison pour laquelle elles sont sous représentées aux postes
les plus élevés dans l’organisation ? Ou bien, adoptent-elles le même style de
leadership que les hommes ; cette sous représentation ne serait que l’écueil du
plafond de verre ? De plus, les récentes recherches sur les caractéristiques
individuelles via la taxinomie du « Big Five » (Costa et McCrae, 1992) reliée au
style de leadership, nécessitent de se poser la question s’il existe des traits de
personnalité particuliers qui caractérisent les leaders ? Les femmes possèdent-elles
les mêmes traits de personnalité que les leaders masculins ?
Afin de répondre à ces différentes questions, dans une première partie, nous
commencerons notre voyage par l’exploration des liens entre le genre et le
leadership, plus particulièrement sous l’angle de la théorie du Full Range
Leadership Model (Bass et Avolio, 1990), puis, dans une seconde partie nous
introduirons le concept de trait de personnalité, pour comprendre les liens entre les
concepts de trait de personnalité, de leadership et le genre.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
182
LE GENRE ET LE LEADERSHIP : DES LIENS COMPLEXES ?
Comme nous l’avons souligné, le genre semble être une variable importante
qui structure les organisations, et il nous paraît important de comprendre quel est
l’impact du genre sur le style de leadership. Pour aborder la notion de genre, certains
chercheurs soulignent la polysémie du terme, dans la langue française. La notion de
genre a une double acception (Mercader, 2005). D’une part, le genre peut désigner le
sexe biologique (inné) ; mais il désigne également, le sexe social, qui peut être
imposé. Quant à la notion de leadership, malgré la multitude des définitions, nous
avons choisi de le définir comme étant « un processus par lequel un individu
influence un groupe d’individu dans le but d’atteindre un objectif organisationnel »
(Northouse, 2007). Au cours de cette revue de littérature, nous nous placerons dans
l’appréhension du concept de genre sous sa double dimension, (innée et sociale) et
nous verrons en quoi cela modifie-t-il la façon dont les hommes et les femmes
dirigent ; et comment sont-ils perçus lors de l’évaluation de l’efficacité de leur style
de leadership ?
Le style de leadership au regard du genre : Différences et similarités.
Dans la longue tradition des études sur le style de leadership (Bass, 1990), la
plupart des recherches conduites avant les années 1990 ont opéré une distinction
entre le style de leadership orienté dans la tâche et le style de leadership orienté vers
les relations interpersonnelles. Cette distinction a été introduite par Bales (1950) et
développée ensuite par les chercheurs de l’Ohio States University. Une distinction
moins utilisée était faite entre les leaders qui (a) adoptent des comportements
démocratiques en permettant à leurs subordonnés de participer au processus de
décision, ou (b) les leaders qui adoptent des comportements autocratiques et
n’encouragent pas leurs subordonnés à la prise de décision (Lewin et Lippitt, 1938).
Pour examiner les différences et les similarités dans les pratiques de leadership,
entre les hommes et les femmes leaders ; une recherche méta analytique a été
conduite sur des études menées entre 1961-1987 (Eagly et Johnson, 1990). Les
résultats ont montré que les styles de leadership des hommes et des femmes leaders
évalués par les leaders eux-mêmes ou leurs subordonnés étaient stéréotypés en
fonction du genre. Ainsi les femmes plus que les hommes manifestent des
comportements de leadership orientés vers les relations interpersonnelles ou des
styles de leadership démocratiques et les hommes, plus que les femmes manifestent
des comportements de leadership orientés dans la tâche ou des styles de leadership
autocratiques. Les chercheurs soulignent que cette différence de style de leadership
en fonction du genre est faible et est plus prononcée dans les études menées en
laboratoire que dans les études conduites dans les entreprises, l’effet de taille (d =
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
183
.22)60. Cependant ces résultats doivent être interprétés avec précaution, puisque
l’efficacité du style de leadership dépend du contexte (Foels et al., 2000).
Ces recherches menées sur le style de leadership autocratique versus
démocratique ont soulevé l’existence de très faibles différences liées au genre.
Aujourd’hui les recherches sur le leadership ont introduit de nouvelles théories,
appelées Full Range Leadership Model (Bass et Avolio, 1991). Il nous semble
important d’observer s’il existe ou pas des différences liées au genre selon cette
théorie du leadership.
Le débat sur le style de leadership des hommes et des femmes a connu un
essor dans le courant des années 1990, de nouvelles recherches ont identifié les
styles de leadership spécifiques adaptés aux organisations contemporaines. Ce
nouveau paradigme de leadership a été initialement décrit par Burns (1978) dans son
livre intitulé Leadership, puis ces travaux ont été repris par Bass (1985) qui a
développé sa propre théorie du leadership. Bass s’est intéressé particulièrement aux
comportements manifestés par les leaders. Il distingue deux styles de leadership : le
leadership transformationnel et transactionnel. Bass définit le leader
transformationnel comme le prolongement d’un leader transactionnel (Bass, 1985).
Le leader transformationnel est perçu comme un leader qui « consacre son énergie à
faire prendre conscience à ses collègues et subordonnés de l’importance des
conséquences des actions engagées » (Bass, 1985). Cela nécessite de la part du
leader d’avoir du charisme, une confiance en soi, afin de faire partager sa vision à
ses subordonnés (Bass, 1985 ; Neveu, 2004). Un trait particulier du leader
transformationnel, est celui qui permet d’obtenir l’adhésion volontaire des
subalternes sans promesse de récompense. Le charisme du leader, sa compréhension
des besoins et des attentes de ses subordonnés sont des atouts, suffisants pour
obtenir leur adhésion et leur mobilisation vers un objectif commun. Le leader
transformationnel s’incarne comme étant un modèle à suivre de la part de ses
subordonnés, et gagne ainsi leur confiance. Par ces actions de délégation de pouvoir
et de mentoring, le leader transformationnel encourage ses subordonnés à
développer leur propre potentiel et contribue ainsi, à la performance
organisationnelle. En contraste avec le leadership transformationnel s’ajoutent des
comportements de leadership transactionnel (Bass, 1985 ; Burns, 1978 ; Avolio et
al., 1999). Le leader transactionnel centre sa relation de travail avec son subalterne
sur un échange de ressources. Le leader transactionnel fournit à ses subordonnés ce
qu’ils souhaitent (des récompenses contingentes) en échange d’objectifs imposés par
le leader. Ce type de leadership implique un style de management dans un sens plus
conventionnel, de clarification des responsabilités du subordonné pour atteindre les
objectifs et de sanction, dans le cas où les objectifs ne sont pas atteints. Ajoutés à ces
deux styles de leadership, le style de leadership Laissez-faire est caractérisé par un
60
L’effet de taille positif indique que les différences liées au genre sont perçues de manières stéréotypées
(les femmes déploient plus que les hommes un style de leadership orienté vers les relations
interpersonnelles ou démocratique). Un effet de taille (d) est significatif lorsque (p<.05).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
184
échec général de la part du leader à la prise de responsabilité. Le tableau ci-dessous
expose les caractéristiques de ces différents styles de leadership, selon le Multifactor
Leadership Questionnaire (Form 5X), instrument de mesure des différents styles de
leadership énoncés ci-dessous (Avolio et al., 1990, 1995, 1999).
Table 1. Définitions des styles de leadership Transformationnel, Transactionnel et de
Laissez-Faire dans le MLQ-5X.
Echelles du MLQ-5X avec
les sous échelles
Description des styles de leadership
Transformationnel
Style de leadership transformationnel
Influence idéalisée (attributs)
Influence
(comportements)
idéalisée
Inspiration motivationnelle
Stimulations intellectuelles
Considérations
individualisées
Transactionnel
Contingence
récompenses
Démontre des qualités, du charisme qui impliquent
le respect et la fierté de travailler avec lui/elle.
Communique des valeurs, des propositions et
l’importance des missions liées à l’organisation.
Démontre de l’optimisme, et inspire une vision
claire du futur.
Examine de nouvelles perspectives pour résoudre
les problèmes et réussir les objectifs.
Concentration sur le développement et le mentoring
des subordonnés et répond à leurs besoins
individuels.
Style de leadership transformationnel
des
Fournit des récompenses
performance des salariés.
pour
satisfaire
la
Management par exception
(actif)
Management par exception
(passif)
Se préoccupe du salarié uniquement en cas d’erreur
et d’échec lors de l’atteinte d’objectifs.
Attend que les problèmes arrivent avant
d’intervenir.
Démontre des absences fréquentes et un manque
Laissez-Faire
d’implication durant les moments importants.
Note: Les dimensions “influences idéalisées” (attributs et comportements) peuvent
être regroupées sous la dimension « charisme ». MLQ-5X = Multifactor Leadership
Questionnaire – Form 5X. (Avolio et Bass, 2002 ; Eagly, Johannesen-Schmidt et
van Engen, 2003).
Ce nouveau paradigme du leadership, appelé « Full range Leadership
Model » (Bass et Avolio, 1994 ; Antonakis et al., 2003) nous sera utile tout au long
de cet article, puisqu’il se base sur les traits et les comportements du leader. La
conception courante du leadership transformationnel, avec son principe
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
185
d’ « empowerment61 » des salariés est en conformité avec les changements
organisationnels contemporains, qui soulignent la nécessité pour les organisations de
devenir moins hiérarchiques, plus flexibles et plus orientées vers l’équipe de travail
(Rosener, 1990). De plus, au niveau organisationnel des recherches ont montré que
le style de leadership transformationnel contribue au succès des organisations. Une
recherche méta analytique comprenant 39 études montre des corrélations positives
entre l’efficacité du leader et l’ensemble des composantes du leadership
transformationnel. L’efficacité du leader est également reliée de manière positive à
la dimension contingence des récompenses du leadership transactionnel (Lowe et al.,
1996). Des études ont également montré que le leadership transformationnel a un
impact sur le rendement et l’efficacité de l’organisation (Bass, 1998) ; sur la
motivation des salariés, affichant des niveaux de satisfaction plus élevés à l’égard de
leur emploi (Bass, 1998) ; ainsi que sur les traits de personnalité des leaders (Judge
et Bono, 2000). Il a été également prouvé qu’il existe des relations négatives entre
l’efficacité du leader et les sous dimensions management par exception et LaissezFaire, composantes du leadership transactionnel (Loewe et al., 1996).
Étant donné l’essor de ce nouveau modèle de leadership, des recherches ont
souhaité comprendre s’il existe ou pas des différences liées au genre quant au style
de leadership transformationnel, transactionnel et de Laissez-Faire.
La première recherche sur la différence de leadership entre les sexes a été
menée par Rosener (1990), par le biais d’un sondage sur l’auto-évaluation du style
de leadership d’hommes et femmes en position de management. Les résultats ont
révélé des différences significatives sur le style de leadership déclaré par les cadres
supérieurs. Les femmes ont révélé avoir des scores plus élevés sur le leadership
transformationnel (excepté pour la dimension stimulations intellectuelles). Les
hommes se jugent déployer un style de leadership transactionnel, de nature
« donnant-donnant ». Les recherches de Rosener ont suscité de vives critiques quant
à la validité de ses résultats basés uniquement sur l’auto-évaluation des leaders.
Plusieurs études sont venues confirmer en partie les résultats de Rosener (1990) en
se concentrant sur le leadership transformationnel et ont indiqué que les femmes
sont perçues et se perçoivent comme utilisant un modèle de leadership plus
transformationnel que les hommes (Bass et al., 1996 ; Druskat, 1994).
En 2003, les résultats de Rosener ont été légèrement appuyés par une méta
analyse menée par Eagly et al. (2003). Cette méta analyse s’appuie sur 45 études qui
évaluent le style de leadership transformationnel, transactionnel et de Laissez-Faire
des deux sexes en position de leadership, soit par auto-évaluation du leader (36 %
des études recensées), soit par évaluation des subordonnés, pairs ou supérieurs
hiérarchiques. Les résultats ont montré que les femmes leaders avaient une tendance
légèrement plus élevée que les hommes à déployer un style de leadership
transformationnel. Ainsi les femmes en position de leadership adoptent à 52.5 % des
61
Le terme anglais « empowerment » peut être traduit par la notion de délégation de pouvoir.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
186
comportements de leadership transformationnel contre 47.5 % des hommes
managers. Les femmes montrent davantage de leadership transformationnel, sur les
dimensions « charisme », « stimulations intellectuelles » et « considérations
individualisées » ; ainsi que sur les comportements de leadership transactionnel,
notamment sur la dimension « contingence des récompenses ». Les hommes leaders
ont des scores plus élevés que les femmes sur les sous dimensions du leadership
transactionnel, « Laissez-Faire » et « management par exception actif et passif ». Il
est important de souligner que l’effet de taille (d = - .11) 62 qui souligne la différence
liée au genre sur le style de leadership transformationnel est faible (Vecchio, 2002).
Cette différence de 5 points suggère une légère tendance des femmes à fournir un
style de leadership plus transformationnel que les hommes.
Pour expliquer cette différence de style de leadership, certains chercheurs
s’appuient sur la théorie du rôle social (Eagly, 1987). Cette théorie pose le principe
que les individus ont tendance à agir dans leurs activités en adéquation avec leur
rôle de genre culturellement défini. Des pressions sociales, externes aux individus
favorisent le rôle de genre. Les individus intériorisent les attentes culturelles de leur
rôle social en adéquation avec leur sexe et par conséquent, sont intrinsèquement
motivés à agir en adéquation avec leur rôle de genre (Eagly, 1987). Ces pressions
externes favorisent des comportements conformes à un rôle de genre. Ce qui est
problématique pour les femmes, positionnées dans des rôles de leader et de pouvoir,
car l’adéquation de leur rôle de genre féminin avec les stéréotypes de qualités
masculines ne sont pas conformes. Les chercheurs nomment ce phénomène
« l’incongruité du rôle de genre63 » (Heilman et al., 1989). Ainsi pour résoudre ce
problème de conflit de rôle, les femmes en position de leadership seraient plus
enclines à adopter des comportements transformationnels, car ce style de leadership
leur permettrait de surmonter « le dilemme de l’incongruité du rôle de genre ». Le
leadership transformationnel permettrait aux femmes d’éviter les écueils trop
masculins, et de diminuer le dilemme de l’incongruité du rôle de genre qui serait
exacerbé lorsque les femmes adoptent des comportements transactionnels, perçus
comme étant des comportements de commandement, d’autorité, caractérisés comme
masculins (Eagly et Karau, 2002 ; Yoder, 2001). D’après ces recherches, les femmes
adopteraient un style de management différent de celui des hommes, leur permettant
d’être conformes aux attentes sociales liées à leur rôle de genre.
Certains chercheurs expliquent cette différence par le biais de la théorie du
Double Standard de compétence et du phénomène du plafond de verre qui exercent
une influence lors de la sélection et de la promotion des managers. Les femmes
auraient rencontré plus de difficultés et de barrières invisibles que leurs homologues
62
Un effet de taille positif (d) indique que les hommes leaders ont un score plus élevé que les femmes sur
le style de leadership ; un effet de taille négatif (d) indique que les femmes leaders ont un score plus élevé
que les hommes sur le style de leadership (Hunter et Schmidt, 1980 ; Eagly et al., 2003).
63
Cette expression est traduite de l’expression anglaise « incongruity between a leader role and the
female gender role ».
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187
masculins pour accéder à ces postes de responsabilités, elles seraient par conséquent
plus compétentes que les hommes leaders lorsqu’elles accèdent à ces postes, et
adopteraient des comportements transformationnels, synonymes d’efficacité (Foschi,
2000). Certains chercheurs évoquent même les termes « d’avantage féminin » au
leadership (Eagly, 2003). Toutefois, il faut nuancer ces propos, les femmes ne
peuvent pas être plus compétentes, au seul fait, qu’elles aient rencontré plus de
difficultés.
D’autres études, ont démontré qu’il n’existerait pas de différence quant au
style de leadership mis en œuvre par les leaders des deux sexes. En effet, d’autres
études n’observent pas de différences liées au genre sur le leadership
transformationnel (Carless, 1998 ; Mahar, 1997 ; Van Engen et al., 2001). Ces
chercheurs s’appuient sur la théorie structurelle, (Kanter, 1977) et argumentent que
le rôle de leader demande un certain type de leadership, intériorisé aussi bien chez
les hommes et les femmes qui exercent les mêmes rôles et se comportent de la
même manière (Kanter, 1977). Cet argument part du principe, que les hommes et les
femmes ont du traverser les mêmes nécessités pour atteindre leur rôle de leader,
positionné en première position. Ainsi, un leader qui occupe une telle place, doit
remplir les attentes associées avec son rôle de pouvoir, ce qui modélise et détermine
son comportement dans une direction particulière (Phillips et Lord, 1982). Cette
pression des comportements similaires entre hommes et femmes leaders fait qu’il
n’y a pas de différence liée au genre sur le style de leadership. Et si ces différences
existent, elles doivent être relativement faibles. Ainsi, ces femmes et ces hommes
ont subi un processus de socialisation et d’assimilation qui explique cette conformité
des comportements (Cornet et Bonnivert, 2008). Les rôles de leader sont souvent
clairement définis en termes d’attentes au niveau des comportements. Ces managers
ont été socialisés pour atteindre ces attentes, ce qui a modélisé leur comportement
dans une direction particulière (Cornet et al., 2008 ; Feldman, 1976 ; Graen, 1976 ;
Terborg, 1977 ; Wanous, 1977). Pour ces chercheurs, les femmes ont le même style
de leadership que les hommes parce qu’elles ont dû abandonner leurs
caractéristiques dites « féminines » pour développer des attributs et des
comportements conformes aux caractéristiques « masculines » des hommes dans ces
positions de pouvoir. Ainsi les hommes et les femmes qui sont équivalents en termes
de statut et de pouvoir devraient adopter le même style de leadership (Kanter, 1977).
Les différentes recherches portant sur les liens entre le genre et le
leadership n’aboutissent pas à un consensus clairement établi, pour comprendre et
expliquer les différences et/ou similarités liées au genre sur le style de leadership. Il
nous semble important de souligner que les études menées sur cette problématique
sont à analyser avec précaution. Premièrement, ces études utilisent des
méthodologies diverses : recherche méta analytique, enquête par questionnaire,
entretien, ce qui conduit bien souvent à des résultats divers. Deuxièmement, la
diversité des modes d’évaluation du leadership : soit par auto-évaluation, soit évalué
par un système de rétroaction (pairs, subordonnés, supérieurs hiérarchiques)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
188
explique en partie la diversité des résultats64. De plus, les outils pour mesurer le style
de leadership sont divers, il peut y avoir des biais entre le concept et sa mesure. Pour
étayer ces propos, la méta analyse (Eagly et al., 2003) s’appuie sur plus de dix
instruments65 pour mesurer le style de leadership transformationnel. Ensuite, pour la
plupart des recherches, les études ne tiennent pas compte, ni du « niveau
hiérarchique66 » de leadership, ni du contenu de l’emploi, ce qui peut constituer des
biais importants. Enfin, les études sont réalisées dans des contextes (études menées
en laboratoire, dans des organisations) et des secteurs d’activité différents ce qui
peut générer des biais importants. Par exemple, la méta analyse de 2003 s’appuie
principalement sur des études menées dans des secteurs d’activité à dominante
féminine67 ce qui peut biaiser les résultats. Gardiner et Tiggermann (1999) indiquent
que le secteur d’activité à dominante masculine68 ou féminine69 influerait sur le style
de leadership mis en œuvre par les leaders des deux sexes.
Ainsi la diversité des études menées sur la question des liens entre le genre
et le leadership ne permet pas d’apporter une réponse claire et unique à cette
question. Etant donné qu’il n’existe pas de consensus clairement établi, quant aux
différences ou pas de style de leadership entre les hommes et les femmes leaders,
nous allons nous pencher sur les recherches réalisées quant à l’évaluation de
l’efficacité du leadership, puisque comme nous l’avons noté un leader est défini
comme une personne qui exerce de l’influence, de manière à atteindre les objectifs
organisationnels (Northouse, 2007). Cette influence est-elle perçue de manière
identique pour un homme et une femme leader ?
Les liens entre le Genre et l’Efficacité du leadership.
L’efficacité des hommes et des femmes leaders a été recherchée par de
nombreux psychologues tant dans le domaine social qu’organisationnel (Denmark,
1993 ; Morisson et Von Glinow, 1990 ; Powell, 1993 ; Ragins et Sundstrom, 1989 ;
Riger et Gallingan, 1980). Beaucoup de ces auteurs ont désavoué, sans trop de
persuasion, des différences liées au genre lors de l’évaluation de l’efficacité du
64
Eagly et Johson (1990) montrent que l’auto-évaluation par le leader tend à être plus stéréotypée en
fonction du genre que l’évaluation réalisée par les autres sources d’évaluation.
65
Eagly et al. (2003) indique que la méta analyse est composée de 62 % d’études utilisant le MLQ et 38
% d’études utilisant un instrument de mesure autre, afin d’évaluer le style de leadership transformationnel
(p. 578)
66
Le « niveau hiérarchique » correspond au positionnement hiérarchique du leader (Directeur ;
Superviseur ; Manager). Des études ont montré que la position hiérarchique du leader influence le style de
leadership déployé (Lowe et al., 1996)
67
Les secteurs d’activité mobilisés dans la méta analyse sont : le secteur éducatif :33 % ; les services
sociaux ou gouvernementaux : 7 %
68
Le secteur d’activité à dominante masculine regroupe les secteurs d’activité comme : l’industrie,
l’automobile, l’industrie du bois (Gardiner et Tiggermann, 1999).
69
Le secteur d’activité à dominante féminine regroupe les secteurs d’activité : comme l’éducation, les
professions de santé, les salons de coiffure (Gardiner et Tiggermann, 1999).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
189
leadership. Powell (1993) note que « les hommes et les femmes ne différent pas
dans leur efficacité en tant que leader, néanmoins quelques situations favorisent les
femmes, d’autres défavorisent les hommes » (p. 175). Bass (1990) reconnaît
empiriquement que les hommes leaders sont évalués plus favorablement que les
femmes leaders mais attribue cette tendance aux biais et aux stéréotypes des
évaluateurs. Dans une recherche méta analytique, portant sur les liens entre le genre
et l’évaluation du leader, Eagly et al. (1992) montrent une tendance des évaluateurs
à évaluer moins favorablement les femmes leaders que les hommes leaders. Eagly et
al. (1992) montrent que cette tendance est plus prononcée sous certaines conditions ;
spécifiquement lorsque les femmes sont en position de leadership et/ou lorsqu’elles
adoptent des comportements dits « masculins » ; comme par exemple, lorsqu’elles
adoptent un style de leadership autocratique ou directif. De même, dans une méta
analyse portant sur les liens entre le genre et l’efficacité du leader, Eagly et al.
(1995) indiquent que les hommes et les femmes leaders sont tout autant efficaces70.
Cependant les chercheurs soulignent, que les hommes leaders sont perçus comme
plus efficaces que les femmes leaders, dans les rôles de leader définis sous des
termes plus masculins71, et les femmes sont plus efficaces en tant que leader, dans
les rôles décrits sous des termes féminins72.
Les résultats de ces méta analyse soulignent l’importance d’introduire les
biais liés au genre, pour comprendre l’efficacité perçue du leadership. En effet, bien
souvent les critères d’efficacité du leadership s’appuient à la fois sur des mesures
objectives du leadership, comme par exemple les résultats « opérationnels » (chiffre
d’affaire du groupe ou de l’équipe de travail) mais aussi, sur des mesures subjectives
de la performance, basées sur les perceptions individuelles des évaluateurs. Ce sont
donc ces mesures « subjectives » du leadership qui peuvent être biaisées par les
évaluateurs, lors de l’évaluation des femmes en position de leader. Il semble
important de noter que dans la plupart des recherches, l’évaluation du leadership
s’appuie, pour des raisons de commodités sur des mesures subjectives, comme par
exemple, « la satisfaction au travail avec le leader » qui peuvent être entachées de
biais lors de l’évaluation du leader. Pour appuyer ces résultats, une recherche récente
souligne la nécessité de prendre en compte la composition de la dyade en fonction
du genre lors de l’évaluation de l’efficacité du leader ; ainsi les subordonnés de sexe
masculin seraient plus enclins à dévaluer les compétences des femmes leaders,
lorsqu’elles s’évaluent comme adoptant des comportements de leadership
transformationnel (Ayman et al., 2009).
70
La notion d’efficacité est définie par Eagly et al (1995) par quatre critères (l’efficacité, l’habilité au
leadership, la motivation à réussir les objectifs, critère autre p.130).
71
Les rôles définis sous les termes masculins sont définis comme étant orientés dans la tâche et sont
associés avec des postes de « Direction » (Eagly et al. 1995).
72
Les rôles définis sous les termes féminins sont définis comme étant orientés vers les relations
interpersonnelles et sont associés avec des postes de « middle management » (Eagly et al. 1995).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
190
De manière générale, les recherches ont montré que l’efficacité des hommes et
femmes leaders ne diffère pas. Toutefois, les stéréotypes, les pratiques implicites de
gestion des ressources humaines ainsi que les facteurs organisationnels liés à
l’entreprise peuvent venir biaiser l’évaluation de l’efficacité du leader. Nous allons
tenter d’exposer les différentes explications et concepts théoriques qui permettent de
comprendre les différences liées au genre, lors de l’évaluation de l’efficacité perçue
des femmes en position de leader.
Le stéréotype de genre permet d’expliquer les biais sous jacents, lors de
l’évaluation de l’efficacité du leader. Le stéréotype de genre résulte de croyances au
regard des traits de personnalité et des comportements caractéristiques attribués aux
individus sur la base de leur genre (Duehr et Bono, 2006). Ces stéréotypes servent à
appréhender les attributs et les comportements des individus (Cleveland et al., 2000)
et sont considérés comme l’un des antécédents directs de la discrimination au travail
(Dovidio et Hebl, 2005). Ainsi la femme est stéréotypée comme étant plus
« communautaire73 » et l’homme comme étant plus « agentique74 » (Diekman et
Eagly, 2000). Les caractéristiques communautaires évoquent des attributs tels que la
compassion, la générosité, le sentimentalisme, la tendresse ; alors que les
caractéristiques agentiques décrivent des attributs tels que la domination,
l’agressivité, l’ambition, l’indépendance et la confiance en soi. Un domaine dans
lequel les stéréotypes de genre se manifestent particulièrement est dans l’attribution
des habilités au leadership qui peuvent influer de manière négative, lors de
l’évaluation du leadership (Heilman, 2001). Dans ces recherches Schein (1973,
2001) examine l’image sociale de réussite du manager sur des échantillons issus de
différents pays75 et trouve que les attributs assignés aux managers fournissent une
corrélation plus élevée avec la description d’un homme, qu’avec la description d’une
femme. Ainsi l’image d’un leader qui réussit semble être surtout stéréotypée sous
des contours agentiques ; ce qui peut venir biaiser les femmes leaders lors de
l’évaluation de leur efficacité.
Une autre source d’explication tient dans les pratiques de gestion des ressources
humaines qui ne seraient pas neutres au regard du genre (Lauffer, 2004). Certains
chercheurs parlent de domination masculine pour les postes d’autorité. Bourdieu
(1998, p. 89) souligne que « la définition d’un poste, surtout d’autorité, inclut toutes
sortes de capacités et d’aptitudes sexuellement connotées ». Ainsi les pratiques de
GRH, notamment lors de la description d’un poste de leadership, et lors de
l’évaluation sous tendent un « modèle de leadership dominant » qui pourrait venir
biaiser l’évaluation des femmes en position de leadership.
Ces biais lors des pratiques d’évaluation peuvent également provenir des
facteurs organisationnels liés à l’entreprise. Kanter (1977) a théorisé l’effet de
73
Le terme « communautaire » est traduit du terme anglais « communale ».
Le terme « agentique » est traduit du terme anglais « agentic ».
75
Les pays mobilisés dans les recherches de Schein sont : les Etats-Unis (1973), l’Allemagne, le
Royaume-Uni, la Chine et le Japon (2001).
74
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
191
proportion de femmes managers dans une entreprise et soutient que, de par la
domination numérique des hommes dans les positions de pouvoir et de direction, les
femmes managers deviennent des figures de proues ce qui peut influencer, en
fonction de leur nombre leur évaluation (Landrieux, 2004). Une recherche appuie
ces propos. Selon le pourcentage76 d’hommes et femmes dans les positions de cadres
dirigeants, ceci contribuerait à une appréciation non biaisée des compétences des
femmes leaders (Lortie-Lussier et Rinfret, 2002).
Il semble important de noter que le genre est une variable importante qui
structure les organisations et leurs dynamiques. Les études ont souligné la
complexité des liens attachés au genre, la multiplicité des variables à prendre en
compte, pour éviter tous les biais liés à l’évaluation subjective de l’efficacité du
leadership. Ceci semble souvent difficile à mettre en œuvre lors des recherches
empiriques, c’est pourquoi la question des liens entre le genre et le leadership
n’appelle pas une réponse unique. Afin d’affiner au mieux les liens entre le genre et
le leadership, nous avons souhaité introduire la notion de trait de personnalité, pour
appréhender les liens éventuels entre le genre, les traits de personnalité du leader et
son style de leadership.
Dans cette seconde partie, nous allons introduire le concept de traits de
personnalité pour comprendre s’il existe ou pas des caractéristiques individuelles
propres aux leaders et si le genre influencerait ces caractéristiques individuelles.
LES LIENS ENTRE LES TRAITS DE PERSONNALITE DU LEADER ET LE
STYLE DE LEADERSHIP : LE GENRE A-T-IL UN IMPACT ?
Face à l’intérêt grandissant des récentes recherches sur les traits de
personnalité avec la taxinomie du modèle en cinq facteurs, également nommé « Big
Five » (Costa et McCrae, 1992). Nous avons souhaité décrire et comprendre (I) Le
modèle de la personnalité selon la théorie du « Big Five » ; (II) les liens entre les
traits de personnalité et le leadership et les liens éventuels entre les traits de
personnalité du leader et le genre (III). Avant de débuter, nous allons définir le cadre
dans lequel la personnalité des leaders va se définir.
La description de la personnalité : le modèle du « Big Five »
Depuis une vingtaine d’années, un large consensus s’est crée autour de la
description de la personnalité à travers les traits de la personnalité. Parmi les cadres
classiques d’appréhension de la personnalité, la théorie du « Big Five » apparaît
comme l’une des plus prégnante, tant par sa validité, que par sa fiabilité (Digman,
1990 ; Costa et McCrae, 1995). Cette théorie considère que la personnalité d’un
76
D’après Lortie-Lussier et Rinfret (2002) : 20 % de l’effectif cadre devrait être féminin pour qu’il y ait
une évaluation non biaisée des femmes en position de leadership.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
192
individu est structurée autour de 5 traits stables à travers le temps et les situations.
Ces cinq traits sont les suivants :
Table 2 : Les cinq grands facteurs de la personnalité et quelques exemples de traits,
selon l’inventaire de personnalité NEO-PI-R (Costa et McCrae, 1995)
Caractéristiques
de l’individu
obtenant un score
élevé
Inquiet, nerveux,
émotif, anxieux,
inadapté,
hypocondriaque
Sociable, actif,
volubile, ouvert
aux autres,
optimiste, aimant
s’amuser,
affectueux
Curieux,
éclectique, créatif,
original,
imaginatif, nonconformiste
Compatissant,
facile à vivre,
confiant, serviable,
indulgent, crédule,
franc
Organisé, fiable,
travailleur,
discipliné,
ponctuel,
méticuleux,
soigneux,
ambitieux,
persévérant.
Grands facteurs
Névrosisme (N)
Evalue l’adaptation par rapport à
l’instabilité émotionnelle. Permet de
repérer les personnes sujettes à la
détresse psychologique, aux idées
irréalistes, aux besoins ou aux désirs
excessifs, et aux stratégies
d’adaptation inappropriées.
Extraversion (E)
Evalue la quantité et l’intensité de
l’interaction interpersonnelle, du
niveau d’activité, et du besoin de
stimulation et de la capacité à
s’amuser.
Ouverture (O)
Evalue la recherche proactive et la
capacité d’apprécier les expériences
pour elles-mêmes, de tolérer l’inconnu
et de l’explorer.
Agréabilité (A)
Evalue la qualité de l’orientation
interpersonnelle de l’individu le long
d’un continuum, de la compassion à
l’antagonisme dans les idées, les
sentiments et les actes.
Caractère consciencieux (C)
Evalue le degré d’organisation, de
persévérance et de motivation dans le
comportement de l’individu orienté
vers un but. Compare l’individu fiable
et minutieux à celui qui fait preuve de
nonchalance et de négligence
Caractéristiques
de l’individu
obtenant un
score peu élevé
Calme, détendu,
flegmatique,
robuste,
tranquille,
satisfait
Réservé, sobre,
peu démonstratif,
distant, centré sur
la tâche, discret,
tranquille.
Conformiste,
réaliste, exclusif,
sens artistiques et
esprit d’analyses
peu développés.
Cynique, impoli,
méfiant, peu
coopératif,
vindicatif,
impitoyable,
irritable,
manipulateur.
Sans but, peu
fiable, paresseux,
insouciant,
relâché,
négligent,
velléitaire,
hédoniste.
Source : Costa et McCrae, 1992, p.2
Globalement, le modèle du « Big Five » présente un grand potentiel
d’intégration, car il met en rapport, l’approche biologique des traits et des facteurs
environnementaux et d’autre part, les variables observables de la personnalité qui
sont d’une grande importance.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
193
Une fois, la structure de la personnalité identifiée autour des traits, il nous
semble important de comprendre les liens entre les traits de personnalité et le
comportement réellement exprimé en situation ; il s’agit d’appréhender la chaîne de
prédisposition et de comportement entre les traits de personnalité du leader et le
style de leadership déployé.
Les liens entre les traits de personnalité du leader et le leadership : sous l’angle
du Full Range Leadership Model.
Nous nous intéresserons principalement aux comportements des leaders par
le biais de la théorie du Full Range Leadership Model, puisque nous cherchons à
comprendre l’impact du genre sur les traits de personnalité du leader et les effets sur
le style de leadership.
Avec l’essor du modèle en cinq facteurs (Digman, 1990), les chercheurs au
début des années 1990 ont commencé à adopter la structure du « Big Five » lors des
recherches dans le cadre du recrutement des salariés et de la prédiction de la
performance professionnelle (Barrick & Mount, 1991 ; Tett et al., 1991 ; Heurtz et
Donovan 2000 ; Hogan & Holland 2003). Ces recherches ont mis en évidence que le
caractère consciencieux et la stabilité émotionnelle sont des éléments prédictifs de la
performance professionnelle ou de la performance contextuelle (Barrick et Mount,
1991 ; Tett et al, 1991 ; Hogan & Holland, 2003).
Quant aux liens entre les traits de personnalité et le style de leadership, la
première recherche a été réalisée en 2000. Les résultats ont révélé que l’extraversion
(r = .22) et l’agréabilité (r = .27) ont de fortes corrélations avec le leadership
transformationnel (Judge et Bono, 2000). Ces conclusions ont été appuyé ensuite par
une recherche méta analytique basée sur 26 études représentant 384 corrélations qui
a évalué les liens entre les traits de personnalité du leader et son style de leadership
(Bono et Judge, 2004). Les résultats ont montré que le leadership transformationnel
est fortement relié aux dimensions « Extraversion » (p77 = .22) et « Névrosisme» (p
= -.17) ; ces deux dimensions sont reliées au « charisme » du leader
transformationnel. Ainsi les personnes extraverties et stables émotionnellement
c'est-à-dire les personnes actives, gaies, énergiques et optimistes, mais aussi calmes
et tempérées (Costa et McCrae, 1992) déploient des comportements de leadership
transformationnel, qui incitent les subordonnés à performer dans leur tâches au-delà
des attentes (Judge et Bono, 2000 ; Bono et Judge, 2004). De plus, des recherches
ont mis en évidence que la dimension « Agréabilité » prédit les comportements du
leadership transformationnel (Judge et Bono, 2000 ; Rubin et al., 2005). Les leaders
ayant un affect positif élevé sont plus sensibles aux relations interpersonnelles. Les
relations entre les traits de personnalité et le leadership transactionnel sont moins
fortement reliées aux dimensions de la personnalité. Toutefois, les résultats
indiquent que « l’Agréabilité » (p = .17) est un élément prédictif de la dimension
77
p représente le coefficient de corrélation corrigé.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
194
« contingence des récompenses » dimension du leadership transactionnel. Ainsi les
leaders agréables sont plus enclins à récompenser et à remercier leurs subordonnés
pour un travail « bien fait ». Les relations entre les traits de personnalité et le style
de leadership passif indiquent que « l’Agréabilité » et le « caractère consciencieux »
exposent des relations négatives avec le leadership passif (p = -.12 ; p = -.11). Les
leaders consciencieux, caractérisés comme ayant un sens élevé du devoir sont moins
enclins à déployer des comportements de non-management (Bono et Judge, 2004).
De même, dans une recherche méta analytique portant sur 73 études
comprenant 222 corrélations reliant les traits de personnalité du leader à l’émergence
du leader et à son efficacité a montré que l’extraversion et le caractère consciencieux
émergent comme étant des traits de personnalité fortement reliés à l’émergence du
leadership (Judge et al., 2002). Ces résultats ont été corroborés par Silverthorne
(2001) à travers une recherche sur les traits de personnalité, et démontre que sur un
échantillon américain, les leaders perçus comme efficaces sont les leaders ayant les
traits de personnalité suivants : « émotionnellement stables ; extravertis ; ouverts aux
expériences, agréables et consciencieux ». Ces résultats appuient l’utilisation d’une
mesure de la personnalité afin d’identifier les leaders potentiellement efficaces. Une
étude de Strang et Kunhert (2009) indique que le caractère consciencieux (p = .044),
dans le cas d’une évaluation à 360 degrés du leadership (pairs, subordonnés et
supérieur hiérarchique) est un élément prédictif puissant de la performance du leader
provenant de toutes les sources d’évaluation. Les résultats indiquent également que
le caractère agréable du leader est significativement corrélé avec une évaluation
favorable du supérieur hiérarchique (p = .041). Toutefois ces résultats, d’après Bono
et Judge (2004) sont à prendre avec précautions, car les dimensions du « Big Five »
dans leur recherche méta analytique n’expliquent que 12 % de la variance du
charisme. Néanmoins, il est important de noter que l’extraversion, le caractère
consciencieux, la stabilité émotionnelle et l’agréabilité sont des traits de la
personnalité importants qui permettent de prédire le leadership transformationnel et
transactionnel.
Nous pouvons donc conclure, que les traits de personnalité constituent des
éléments prédictifs du leadership selon la théorie du Full Range Leadership Model,
toutefois les chercheurs soulignent l’importance de prendre en considération les
facettes de la personnalité et les facteurs environnementaux qui permettent
également de comprendre les antécédents de la mise en œuvre du style de
leadership.
Puisque nous avons exploré les liens entre le leadership et les traits de
personnalité du leader, il nous faut intégrer les liens théoriques entre les traits de
personnalité des leaders et le genre. Nous verrons qu’à notre connaissance, aucune
recherche n’a été réalisée sur cette problématique. Nous introduirons également
quelques préconisations méthodologiques pour appréhender les liens éventuels entre
le genre, le leadership et les traits de personnalité du leader.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
195
Existe-t-il des liens entre le genre et les traits de personnalité des leaders ?
A notre connaissance, aucune étude empirique n’a recherché les liens entre le
genre et les traits de personnalité des leaders selon le modèle du « Big Five ». C’est
pourquoi, nous allons simplement présenter les recherches reliant les concepts de
genre et de traits de personnalité, sans introduire la dimension de leadership. Les
résultats de ces recherches sont donc à prendre avec précaution, puisqu’ils ne
tiennent pas compte de la position hiérarchique du leader. Une recherche menée par
Feingold (1994) a travers une méta analyse portant sur 22 études répertoriées entre
1958 et 1992 basées principalement sur une population étudiante et adulte a
démontré que les hommes ont des scores plus élevés que les femmes sur la sous
dimension « Agressivité » facette de la dimension Extraversion. Les femmes, quant
à elles, ont des scores notablement supérieurs aux hommes sur la facette « Anxiété »
(dimension du Névrosisme) ainsi que sur les facettes « Confiance78 » et
« Générosité » (dimension Agréabilité). De même, Costa et al. (2001) à travers une
enquête par auto-évaluation a révélé que les femmes ont des scores plus élevés que
les hommes sur les dimensions « Névrotisme » et « Agréabilité ». Les hommes,
quant à eux ont des scores plus élevés que les femmes sur les dimensions
« Extraversion » (facette « Agressivité ») ainsi que sur la dimension « Ouverture ».
De manière globale, les femmes ont des scores supérieurs aux hommes sur la
dimension « Névrosisme » et « Agréabilité » ; alors que les hommes ont des scores
supérieurs sur la dimension « Extraversion ».
Cependant la validité externe de ces recherches en lien avec notre
problématique doit être observée avec précaution. Ces études ont été menées auprès
d’une population dite normale sans tenir compte, ni du contexte organisationnel, ni
de la position hiérarchique du leader. De plus, ces résultats suggèrent d’avoir un
regard averti sur l’appréhension des traits de personnalité des leaders, puisque les
résultats semblent être extrêmement stéréotypés en fonction du genre. Lors de la
recherche empirique, il semble important de tenir compte des biais de désirabilité
sociale attachés à la méthodologie par « auto-description ». Ces recherches semblent
indiquer que les individus seraient plus enclins à s’auto-décrire selon des stéréotypes
en termes de genre.
Ainsi nous ne pouvons pas nous avancer, pour dire s’il existe ou pas, des traits
de personnalité particuliers qui différencieraient les leaders selon le sexe. Nous
pouvons simplement émettre des préconisations méthodologiques, pour les
prochaines recherches qui souhaiteraient aborder les liens éventuels entre : le genre,
les traits de personnalité des leaders et le style de leadership. Nous avons fait état de
la complexité des liens attachés à la dimension « genre » dans l’organisation. Pour
aborder les liens entre le genre, le leadership et les traits de personnalité du leader de
manière la plus objective possible dans l’organisation, il semblerait nécessaire de
contrôler les variables liées aux facteurs organisationnels. Ainsi le secteur d’activité
78
La notion de « confiance » renvoie à la confiance vis-à-vis d’autrui.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
196
de l’entreprise, le pourcentage d’hommes et femmes aux différents niveaux
hiérarchiques, la position hiérarchique du leader, ainsi qu’une analyse du contenu de
l’emploi du leader sont des variables à contrôler. D’autre part, les recherches
conduites sur les différences individuelles amènent à introduire les facteurs
individuels propres à chaque leader (l’âge, le statut marital, le niveau d’étude,
l’ancienneté dans l’organisation, sur le poste de leader) mais également, la
compréhension de la représentation de chaque leader de son identité face au genre.
Comme nous l’avons souligné précédemment, lors de l’auto-évaluation les individus
auraient tendance à se définir sous des contours stéréotypés en terme de genre
(Eagly et al., 1990 ; Costa et al., 2001). Vecchio (2003) recommande que l’on
évalue l’influence de la perception du « rôle de genre » du leader (son caractère
androgyne, féminin ou masculin) ; ce qui permettrait d’observer si le sexe
biologique a un impact sur les traits de personnalité du leader ainsi que sur son style
de leadership ou, si c’est une conception du « rôle de genre » qui influe sur ces deux
dimensions. C’est pourquoi, lors de la recherche empirique, il serait intéressant de
croiser les données d’une auto-évaluation du leader : sur ses propres traits de
personnalité, son style de leadership, son identité face au genre ; par une autre
source d’évaluation (subordonnés, pairs ou supérieurs hiérarchiques), de manière à
avoir une évaluation la plus objective possible des liens entre le genre, le style de
leadership et les traits de personnalité du leader.
CONCLUSION
A travers l’ensemble de ces études, nous avons tenté de dresser un état de l’art
théorique et empirique sur les liens entre le genre, le leadership et les traits de
personnalité du leader. Comme nous l’avons souligné, à notre connaissance aucune
recherche n’a été menée en France pour comprendre l’impact du genre sur les traits
de personnalité du leader. Nous pouvons émettre les hypothèses de recherches
suivantes :
- Le genre, la position hiérarchique du leader et le secteur d’activité de
l’entreprise ont un impact sur le style de leadership déployé.
- La composition genrée de la dyade (leader/subordonné) a un impact sur
l’évaluation de l’efficacité du leadership.
- L’extraversion, la stabilité émotionnelle et le caractère consciencieux sont
reliés positivement au leadership transformationnel.
- L’agréabilité est reliée positivement à la dimension « contingence des
récompenses » du leadership transactionnel
- L’agréabilité et le caractère consciencieux sont reliés négativement au
leadership transactionnel.
Quoiqu’il en soit, si le genre a un impact ou pas sur le style de leadership ainsi que
sur les traits de personnalité des leaders, les entreprises ne peuvent pas se détourner
des compétences de chacun du fait de leur genre. Or comme nous l’avons souligné,
il existe toujours des inégalités, notamment à l’encontre des femmes, pour accéder
aux postes de pouvoir et de décision. Les implications managériales de cette
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
197
recherche peuvent être importantes, notamment à des fins de formation. Il semble
nécessaire de former les individus aux préjugés et stéréotypes qui entravent
l’évaluation du leadership mis en œuvre par les femmes. Les implications
managériales sont également importantes lors du recrutement des leaders ;
l’inventaire de personnalité peut constituer un outil pratique afin de détecter les
futurs leaders.
REMERCIEMENTS
Merci infiniment à l’ensemble des membres du laboratoire de recherche
Prism/Cergors pour l’ensemble de leurs conseils et particulièrement à Mme Neveu
pour le temps qu’elle a bien voulu consacrer à mon travail. Merci également à Éliane
pour ses relectures avisées.
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CHAPITRE 3
QUEL PROCESSUS DE
DÉCISION ?
Résolution de problèmes
versus
Structuration de problèmes
complexes
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203
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204
DIRIGER : ENTRE COMPROMIS
ET TRANSGRESSION
Une analyse de la relation dynamique
Christel BEAUCOURT79 & Laëtitia LAUDE80
Les
réformes
successives
des
organisations de santé ont
augmenté l’instrumentation
de
gestion
(T2A,
contractualisation,
exigences de qualité). En
révélant certains problèmes
sans parvenir forcément à
les résoudre, elles ont accentué le besoin des professionnels de santé de comprendre
ce que signifient les changements qui s’imposent à eux. Il est intéressant de
comprendre comment les dirigeants font face, sans trop d’inconvénients pour eux, à
des situations qui peuvent sembler problématiques ou incohérentes. Nous avons
observé ces arrangements pendant quatre ans, auprès de six dirigeants du secteur de
la santé. Entre compromis et transgressions, leur analyse constitue l’objet de cet
article. Selon nous, il y a une relation dynamique entre la nécessité de compromis et
le besoin de transgression. A travers cette relation, les dirigeants parviennent à
combiner les niveaux institutionnels, organisationnels et individuels de leurs
pratiques, tout en gérant les controverses et les contradictions qu’ils renferment.
Les réformes successives des organisations de santé81 ont augmenté
l’instrumentation de gestion (T2A, contractualisation, exigences de qualité). En
révélant certains problèmes sans parvenir forcément à les résoudre, elles ont
accentué le besoin des professionnels de santé82 de comprendre ce que signifient les
changements qui s’imposent à eux. L’évolution des organisations de santé et des
outils de gestion aboutit à une redéfinition de la question de la qualité et de la
validité du comportement des acteurs (Honoré, 2007), et notamment des dirigeants.
79
Maître de Conférences à l’IAE de Lille, LEM (UMR CNRS 8179), Université de Lille 1. Elle est
Responsable du MASTER 2 Gestion des Entreprises Sanitaires et Sociales. Ses travaux de recherche
portent notamment sur les spécificités de la gestion au sein des associations, sur les innovations
organisationnelles et sociales au sein des entreprises sanitaires et sociales et sur les questions de santé au
travail. cbeaucourt@iaelille.fr
80
Professeur, Institut du Management – EHESP, Laetitia.Laude@ehesp.fr
81
Les ordonnances de 1996, lois et circulaires de 2002, 2005 et 2009
82
Nous entendons par professionnels de santé : les dirigeants, les cadres et les soignants
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
205
Quand ils ne parviennent pas à trouver du sens, ces professionnels se désengagent et
les outils deviennent une fin en soi (Moisdon, 1997 ; Bras, de Pouvourville,
Tabuteau, 2009). Bien des dirigeants sont ainsi confrontés à des comportements sous
productifs ou à ce qu’Holcman (2008) appelle de la « dysorganisation ».
Il est intéressant de comprendre comment les dirigeants font face, sans trop
d’inconvénients pour eux, à des situations qui peuvent sembler problématiques ou
incohérentes. Pour y parvenir, ils doivent construire des compromis ou contourner
certaines règles. Cherchent-ils plutôt à appliquer, aménager ou transformer les
cadres qui s’imposent à eux ? Comment tiennent-ils compte des effets de contexte et
des jeux d’acteurs ? Favorisent-t-ils la mise en débat des incertitudes et des
controverses auxquelles sont confrontés les professionnels dans leurs pratiques de
tous les jours ?
La manière dont ils s’arrangent des réalités qu’ils vivent, sert de repère aux
professionnels. Elle les aide à démêler leur situation, en s’y adaptant (par
conditionnement, renforcement, imitation, assimilation) ou en la transformant (par
accommodation, dépassement de certaines limites, activation de potentiels).
Les arrangements observés sont un mélange de compromis et de transgressions.
Leur analyse constitue l’objet de cet article.
Selon nous, il y a une relation dynamique entre la nécessité de compromis
et le besoin de transgression. A travers cette relation, les dirigeants parviennent à
combiner les niveaux institutionnels, organisationnels et individuels de leurs
pratiques, tout en gérant les controverses et les contradictions qu’ils renferment.
Pour analyser ce phénomène, nous avons choisi de travailler à partir d’une analyse
de l’activité des dirigeants en combinant observation, analyse de traces et entretiens,
dans le secteur de la santé.
Nous avons plus particulièrement retenu quatre champs de préoccupations
qui se sont révélées communes à l’ensemble des dirigeants. Les deux premières
concernent des processus techniques et réglementaires : la permanence des soins, les
normes de sécurité. Deux autres traitent des jeux d’acteurs : les alliances ou les
coalitions, le rapport qualité / efficience.
Dans la première partie de ce texte, nous construisons un modèle
d’interprétation des transgressions qu’effectuent les dirigeants à travers leurs
pratiques. Dans la deuxième partie, nous procédons à une typologie des actions
transgressives à partir des données que nous avons pu recueillir. Plus généralement,
notre analyse met en scène, chez les dirigeants, un rôle de potentialisation de la
GRH qui a été peu étudié jusqu’ici. En interprétant les controverses, en donnant à
lire autrement les règles d’action, en apportant la possibilité de les contourner (pour
de « meilleures » raisons), les dirigeants incitent les professionnels à voir autrement
leur monde opératoire. Ils les aident à y trouver un sens plus riche – qui intègre les
règles mais permet aussi de s’y soustraire pour des valeurs ou des degrés de vérité
plus authentiques.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
206
DU COMPROMIS À LA TRANSGRESSION
Tout compromis naît parce qu’un accord est collectivement affirmé. Ce qui
faisait querelle ou débat au sein de l’organisation a été « normalisé » c’est-à-dire
intégré institutionnellement. Les sociologues parlent « d’investissement de forme »
pour évoquer ce travail de stabilisation des relations sociales au moyen de
procédures, de règles, de processus d’institutionnalisation qui rendent possible la
reconnaissance mutuelle d’une cause commune, d’un principe supérieur commun ;
par exemple : le respect du patient permet de « clore » certains conflits ; Boltanski,
Thévenot (1991) ; Friedberg (1993).
Le besoin de dépasser certains compromis par des transgressions.
Les compromis permettent, temporairement, une pacification de l’action
collective. Mais peu d’accords sont durables. A peine constitués autour d’un
compromis local, les réseaux d’acteurs sont remis en question et recomposés, d’où la
notion de « coopération conflictuelle » (Blanc, 2009) pour décrire les groupements
de travail. Tôt ou tard, les collectifs sont traversés par les rapports de force agitant la
vie sociale des organisations. Les compromis sont alors rediscutés pour faire face
aux contradictions entre les différents registres d’action (ou de justification) qui
caractérisent les situations vécues par les professionnels. Qu’on les institue ou qu’on
les réforme, les règles sont fondées sur un principe d’indifférence contextuelle (elles
tiennent assez peu compte des situations particulières) et d’impersonnalité (elles ne
font pas ou peu de distinctions entre les personnes).
Telle une structuration au sens de Giddens (2005), tout compromis est une
mise en ordre provisoire des intérêts des acteurs, des valeurs, des connaissances et
des contraintes que font peser les organisations de santé (à la fois comme systèmes
de tâches et institutions hospitalières). Par exemple, pour un directeur
d’établissement, c’est créer une articulation viable entre les dimensions « matérielle
ou politique» et « idéelle» des programmes de santé publique (Palier, Surel, 2005).
C’est trouver un équilibre entre les régulations au niveau du secteur de la santé et au
niveau du territoire local d’intervention, en tenant compte des arrangements que les
professionnels de santé mettent eux-mêmes en place dans leur établissement.
Néanmoins, ces équilibres partiels laissent en place des instabilités ou des
irrésolutions. Et, à l’usage, les règles se décalent d’avec le réel perçu. Il y a toujours
des tensions organisationnelles qui débordent les compromis. Les dirigeants peuvent
dissimuler ces conflits pour s’en protéger (par prudence) ou pour jouer à garder le
contrôle (en laissant croire qu’ils ont l’emprise qu’il faut sur la réalité dont ils ont la
charge). Mais ils peuvent aussi s’appuyer sur les remontées conflictuelles pour
atteindre une réalité plus profonde, en s’en servant comme de leviers de
transformation qui fassent rebondir l’action (Rémy et alii, 1997).
On ne peut pas réduire les transgressions à des situations de faute (au nom de
critères moraux) ou de fraude (au nom de critères légaux) ce qui interdirait d’en
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
207
parler comme une opportunité managériale (Dorey, 1983). Dans certains cas, les
transgressions permettent d’enclencher un processus d’apprentissage qui ne se limite
pas à introduire des possibilités nouvelles (l’à-côté du « normal » ou du « normé »),
mais va jusqu’à reconfigurer les rapports entre les acteurs, le contenu et les formes
de leurs échanges (Lemieux C., 2007). Etymologiquement, transgresser c’est passer
de l’autre côté, traverser, dépasser, franchir des frontières ou des interdits. Comme le
propose Foucault (1963), « la transgression joue sur la zone de fêlure ». Elle
commence à pointer lorsque le sentiment de contrainte s’exaspère, lorsqu’une règle
est mal vécue. Elle est alors libératoire et permet l’exploration de nouveaux
possibles. Elle aide à sortir de situations d’enfermement, comme quand des
professionnels de santé ont le sentiment que les protocoles de soins finissent par
compter davantage que les objectifs pour lesquels on les a conçus. Pour Pesqueux
(2009), la transgression vient questionner « la primauté accordée au résultat, quelle
que soit la manière de l’obtenir ».
« Hantée par la pureté » (Estellon, 2005), la transgression n’est pas un rejet
du compromis. C’est une manière de le repenser, en repoussant la règle au nom
d’une réalité qui n’est pas prévue par elle. Tout en débordant des cadres, les actes de
transgression respectent l’esprit de la règle, alors que certains compromis
s’accrochent à la règle pour la règle, en perdant l’esprit. La transgression est donc
aussi une manière d’enrichir la règle en cherchant à l’interpréter dans sa volonté au
delà de la forme qu’elle prend.
Des types de transgression : d’une stratégie de défense à une stratégie de
création.
La transgression peut être assimilée au processus de déviance qu’avait
décrit Becker (1985), mais ce sont les extérieurs, ceux qui restent dans la norme, qui
la désignent ainsi, pas ceux qui la pratiquent par opportunité interne. Dans notre
analyse, nous laisserons délibérément de côté les actes malveillants ou les
comportements qui ne visent pas à modifier ou dépasser le cadrage ordinaire de
l’action. De même, nous écarterons les situations où la transgression est un
mécanisme de défense que l’acteur utilise pour se dispenser de réfléchir à des
processus ou des comportements qu’il réprouve.
Lorsque des stratégies conduisent à rétrécir ou à engourdir la capacité de
penser, même si c’est pour sauvegarder l’équilibre psychique (voire vital), on fait le
jeu de l’existant en s’empêchant de penser les transformations. Par exemple, l’acteur
coopère à des choses qu’il réprouve ou il ne prend pas la parole de peur de passer
pour un « illuminé ». Tant qu’il est possible de critiquer à visage découvert, on est
dans un espace où la discussion est possible, qui reste ouvert à la négociation et à la
recherche de compromis pratiques. S’il n’est plus possible de s’opposer à visage
découvert, de peur de se faire remettre en place ou sortir du jeu, on tend à des
comportements plus défensifs que créatifs et on s’impose des normes de vie
rétrécies. Comme le dit Canguilhem, si la défense est bien une création du sujet,
c’est « une création enlisée, une impasse dans le devenir, un faux-pas ; un peu
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
208
comme la maladie participe à la santé mais n’est pas la santé » (Clot, 1995). Dans
tous ces cas, les transgressions sont à enjeu strictement personnel.
Il faut inclure à ces conduites défensives l’autojustification, la méfiance ou
les rivalités. Toutes conduisent à l’inefficacité et à l’impossibilité de faire face au
changement. Lorsqu’il s’agit de résoudre un problème qui nécessite de dépasser le
statu quo, les individus doivent remettre en cause leurs façons de faire et adopter de
nouveaux schémas de pensée et d’action. Cela suppose un apprentissage « en double
boucle » (Argyris, 1995) qui se caractérise par la levée des défenses et n’est possible
qu’en présence de relations de coopération. Pour Honoré (2000), ce qui donne un
caractère de transgression aux comportements, c’est l’absence, pour l’acteur, de
possibilités d’innover sans transgresser les règles. A l’inverse, ce caractère n’est pas
directement lié au fait qu’ils correspondent à une redéfinition par l’individu de la
forme ou du sens de son travail. À mesure que se constitue le système de régulation
de contrôle de l’entreprise et que la norme se complexifie, le champ de la contrainte
s’étend et celui de l’autonomie se restreint. Ce mouvement correspond à un
basculement d’une logique d’organisation de la mobilisation et de l’utilisation des
ressources qui est fondée sur une valorisation du résultat, à une autre fondée sur la
valorisation des moyens employés et leur normalisation. Le bon professionnel n’est
plus le professionnel productif, mais l’opérateur mécanique.
Il existe des formes plus ouvertes de transgressions.
Les transgressions sont tantôt des entorses aux règles d’activité
(procédures), tantôt des subversions organisées pour transformer l’ordre établi,
tantôt des remises en cause de valeurs ou de types de rationalité servant de cadre à
l’action. Elles ne sont pas toujours volontaires. Elles peuvent être liées à l’ignorance
ou à l’incompétence de l’acteur ou encore découler de l’ambiguïté de la règle ellemême (Babeau, 2007). Il ne faudrait pas non plus oublier le jeu des interactions
sociales (des mimétismes aux différenciations). Les principales raisons invoquées
sont de trois ordres : (a) accroître l’efficacité (en termes de pertinence – action juste,
ou de résultats – productivité) ; (b) augmenter l’interaction utile avec les personnes
(par exemple, mieux écouter les patients hospitalisés, échanger avec eux et
comprendre davantage leurs besoins) ; (c) trouver de meilleurs équilibres entre des
rôles contradictoires ou compliqués. Au-delà, se mettre hors norme peut
correspondre à des attitudes de bravade, d’intérêt personnel, d’appartenance éthique
ou de sentiment identitaire (par rapport à un groupe, à des valeurs sociales, etc.).
Des modes de justification de la transgression
De nombreux travaux ont analysé l’activité morale des individus en faisant
valoir leurs aspirations ou leurs exigences normatives dans les pratiques
quotidiennes (Pharo, 2004). Dans une perspective webérienne, le « sens moral » est
analysé comme l’expression « d’une rationalité axiologique » manifestée par des
jugements de valeur de type : « X est bien » ou « X est acceptable » ou « X est
illégitime ». Cela fonde des sentiments de justice et « « objective » des principes
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
209
comme l’équité, le mérite, etc. Le tout participe à un système de « bonnes raisons »
(Boudon, 1995, 1999), en qui se reflète le travail normatif des acteurs sociaux. Dans
les faits, c’est une sorte de patchwork. On est loin d’un système rationnel
parfaitement ordonné qui opérationnaliserait, en quelque sorte, les principes de
moralité situés en surplomb.
Selon Ewick et Silbey (1998), les catégorisations juridiques sont présentes
dans la vie quotidienne, mais sous des formes très variées en raison du caractère
labile et des significations souvent contradictoires qu’elles revêtent. Le registre légal
constitue ainsi une composante des interactions sociales ordinaires, mais moins par
des références au droit institutionnalisé (codes, lois, jurisprudence) que par des
formulations juridiques encastrées dans des raisonnements ordinaires. Le registre
légal ne s’impose pas par le haut ; c’est plutôt le résultat d’une « production
continue de la raison pratique et de l’action ».
Tableau 1 : les quatre dimensions de la transgression et leurs leviers d’action
REGISTRE MORAL
Remettre des priorités dans les valeurs
REGISTRE LEGAL
Proposer un ajustement des normes ou
des règles collectives
REGISTRE POLITIQUE
Redistribuer les pouvoirs ou les rôles
REGISTRE FONCTIONNEL
Redéfinir les critères et les processus
d’efficacité
La seconde partie nous permettra d’illustrer ces logiques à l’œuvre avec la
présentation de l’étude empirique menée auprès des dirigeants d’établissements
publics de santé. Nous y analyserons les transgressions observées.
ÉTUDE EMPIRIQUE DES TRANSGRESSIONS ET COMPROMIS MIS EN
ŒUVRE PAR LES DIRIGEANTS DE SYSTÈMES HOSPITALIERS :
TERRAIN, MÉTHODOLOGIE, RÉSULTATS
Nous présentons tout d’abord le secteur de la santé et plus particulièrement
les établissements publics de santé en montrant l’intérêt de ce secteur pour notre
problématique (2.1.). Ensuite nous explicitons la méthodologie et les outils de
recueil de données (2.2.). Enfin, nous analysons les résultats (2.3.).
Le choix du champ de la santé
Comme le montrent Gillmartin et d’Aunno (2007), le secteur de la santé est
particulièrement pertinent pour mener à bien des études sur les fonctions de
direction. Dans de nombreux pays, ce secteur constitue le premier employeur. Ainsi
au Royaume Uni, le National Health Service est le plus gros employeur du pays
(avec plus d’un million de personnes). Les industries de santé représentent
également 15% de la richesse aux Etats-Unis La performance des organisations de
santé et notamment des organisations de santé publique est capitale pour
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210
promouvoir le bien-être social. Ce secteur de la santé et du soin présente cependant
des spécificités qui déterminent les caractéristiques du leadership à mettre en œuvre.
Le secteur de la santé est ainsi le premier concerné par le mouvement de
rationalisation des services de soin et la recherche d’une efficience renforcée. Au
sein du secteur public, les dirigeants des entreprises de santé sont confrontés à des
demandes contradictoires : on leur demande fortement de diminuer les coûts, mais
aussi simultanément, d’améliorer la qualité (Kimberly, De Pouvourville, &
d’Aunno, 2008).
Les établissements de santé rencontrent nombreuses difficultés en matière de
pilotage et d’organisation interne (Vincent, 2005 ; Debrosse, Perrin et Vallencien,
2003).
L’évolution de la médecine et des technologies médicales, la diminution
globale du nombre de praticiens (numerus clausus) et les fortes disparités
territoriales qui en découlent, la réforme du temps de travail (passage aux 35h et
mise en place du repos de sécurité, temps de travail hebdomadaire limité à 48h et
intégration du temps de garde dans le temps de travail pour les médecins
conformément au droit communautaire pour les médecins et les internes hospitaliers
(Picquemal 2002) ont ajouté à la confusion de l’organisation hospitalière.
En matière de pilotage, le directeur d’établissement dispose d’une
« compétence générale » pour assurer la conduite et la gestion de l’établissement. Il
dispose, dans une certaine mesure, vis-à-vis des personnels administratifs et
soignants, des moyens d’imposer des choix et des orientations. Pour autant, il ne
dispose que de se force de conviction et d’influence pour obtenir l'adhésion des
acteurs médicaux dans le fonctionnement quotidien de l’hôpital et la mise en place
des réformes. Les directeurs se définissent comme incarnant la jonction de deux
logiques différentes, et donc comme dépositaire de deux rôles : celui du représentant
de l’Etat central chargé d’appliquer sa politique sanitaire ; et celui de chef
d’établissement, décideur confronté à un contexte d’action local aux caractéristiques
propres, et qui doit agir dans le sens de l’intérêt de son établissement (Schweyer,
1999).
Les ordonnances de 2006 ont instauré une « nouvelle gouvernance » de
l’hôpital, fondée sur trois outils (la création d’un conseil exécutif83, la réorganisation
des services de soins en pôles d’activités cohérents coordonnée par un responsable
médical84, la contractualisation interne entre le pôle et le conseil exécutif85. La mise
en œuvre de ce dispositif a principalement permis de rapprocher les univers
médicaux et administratif au sein du conseil exécutif (Laude, 2009). Parallèlement,
la réforme du financement des établissements (tarification à l’activité) a mis en place
83
Il s’agit d’une instance de concertation stratégique réunissant à parité des membres de la direction et du
corps médical. Le conseil exécutif est présidé par le directeur d’établissement.
84
Le responsable de pôle est nommé conjointement par le directeur d’établissement et le président de la
commission médicale d’établissement. Il dispose d’une autorité fonctionnelle sur l’ensemble du pôle.
85
La contractualisation porte sur des objectifs d’activité, financiers et de qualité de la prise en charge. Le
contrat est assorti d’un mécanisme de délégation de gestion de l’établissement vers le pôle et d’un
intéressement.
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211
un système financier fortement redistributif entre les établissements qui sont placés,
toutes choses égales par ailleurs, en situation de gagnants ou de perdants et cette
redistribution, qui doit s’opérer dans un laps de temps réduit (d’ici 2012) apparaît
plus importante dans le secteur public que privé en raison d’écarts initiaux de
ressources financières plus conséquents.
La Loi « Hôpital Santé Patient Territoire » renforce le principe de la
gouvernance médico-administrative. L’affirmation de l’unité de commandement au
sein de l’hôpital est au centre des débats. La place et les rôles du directeur sont ainsi
questionnés : centralisation de tous les pouvoirs entre ses mains pour les uns, reprise
en main de l’État au niveau régional entre les mains des directeurs des agences
régionales de santé, pour les autres.
La situation des dirigeants des établissements de santé, face à une
accélération des réformes du secteur et de leur périmètre d’intervention nous est
apparue particulièrement pertinente pour analyser comment ces dirigeants font face
aux évolutions des prescriptions dans leurs activités.
Le protocole méthodologique
Le point de départ de la recherche est l’analyse fine de l’activité du dirigeant
hospitalier en situation de travail. Nous avons suivi pendant 4 ans (2004 – 2008) six
dirigeants dans leurs contextes d’activité. Sur chaque terrain, une équipe de deux
chercheurs s’est mobilisée à partir d’un guide de recueil prévoyant une combinaison
identique des modes d'investigation86 :
- Entretiens d’explicitation où le dirigeant explicite ce qu'il fait (3 à 5 entretiens
d’une heure et demie environ, puis un entretien « post observation » et enfin un
entretien de restitution pour présenter les résultats de l'étude.
- Entretiens avec les directeurs adjoints et le secrétariat de direction
- Observation du dirigeant en situation de travail incluant des étapes clés et
communes (CA, CE, CME, CTE, Codir87) ; entretiens avec les collaborateurs ou
les équipes dirigeants pour comprendre le suivi des dossiers. Au final chaque
terrain a mobilisé entre 4 et 10 journées d’observation dont au moins deux
consécutives.
- Etudes de traces de l’activité (agendas, messagerie électronique, comptes-rendus
de réunions, rapports divers, projets en cours de réalisation)88. L’analyse des
documents a permis d’éclairer les discours recueillis et de rendre compte au
dirigeant des décalages entre discours et traces.
86
Nous entendons par terrain d’étude un hôpital et son dirigeant.
CA : conseil d’administration ; CE : Conseil exécutif ; CME : comité médical d’établissement ; CTE :
comité technique d’établissement ; CODIR : comité de direction.
88
L’analyse des traces à partir des agendas (travail sur le prévu et l’imprévu ; formes et modalités des
collaborations ; utilisation et amplitude du temps de travail) et des messageries (interlocuteurs, formes des
échanges,…) ont permis de mieux comprendre les discours recueillis, et de rendre compte au dirigeant
des décalages entre leurs discours et les comportements observés.
87
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
212
L’analyse des données cherche à repérer ce qui est sous-jacent et ce qui pilote
dans le discours des acteurs. Le croisement entre les entretiens et les observations
éclaire ces interprétations, même si elles se limitent à ce qui est donné par
l’interlocuteur. L’entretien post observation donne accès à l’interprétation de
l’acteur et place le chercheur face aux discours de type « construction d’évaluation,
de justification ».
Les choix méthodologiques se sont traduits par un nombre restreint de terrains
d’observation. Nous avons travaillé avec six directeurs qui ont accepté d’être
observé dans leur quotidien (échantillon principal). L’échantillon se compose d’1
femme pour 5 hommes. Cette structure est à l’image de la structure du corps des
chefs d’établissements publics de santé. Cette fonction reste peu féminisée et elle
l’est d’autant moins dès qu’il s’agit d’établissements de grande taille. Les verbatims
illustrant les résultats de nos analyses sont issus des données recueillies auprès de
cet échantillon de dirigeants.
Nous avons également mobilisé deux groupes témoins (18 dirigeants ayant
environ un an d’ancienneté), et des focus groupes de dirigeants, expérimentés, en
poste depuis au moins cinq ans dans le cadre de la réforme de la gouvernance
hospitalière. Ces focus groupes ont été mobilisés au fur et à mesure de l’analyse
pour élargir le champ d’investigation et faire débattre les groupes dirigeants à partir
des observations menées auprès de l’échantillon principal.
Nous les avons interrogés sur les réformes actuelles et la manière dont ils
procédaient pour les mettre en œuvre. Sur la base de leurs discours, nous avons
repéré des lieux de tensions et des manières de transgresser les règles. Les terrains
propices aux transgressions ne sont pas forcément ceux qu’on aurait spontanément
imaginés. Mais nous avons constaté que la recherche de conformité (ce
qu’Hirschman (1972) appelle le loyalisme) est rarement le meilleur moyen, pour les
acteurs, de s’arranger avec les situations qu’ils vivent. Dans certains cas, l’absence
de prise de risque peut même aboutir à la dégradation des soins ou des services aux
malades.
Au cours de nos échanges, nous avons demandé aux dirigeants de nous
expliquer leurs raisonnements. Nous les avons incités à nous dire à quel(s)
moment(s) ils considèrent le compromis comme susceptible d’inhiber leur aptitude à
questionner autrement les problèmes qu’ils vivent, ce qui les empêche alors de
trouver des solutions plus efficaces.
Certes, il n’y a pas d’objectivité dans la façon dont les dirigeants
interprètent leur activité. Même ceux qui s’efforcent d’être honnêtes font des erreurs
de jugement, ont des biais cognitifs et sont victimes d’erreurs d’information.
Cependant, toute réalité dépend des représentations qui contribuent à la produire.
Nous avons opéré deux formes de consolidation des données. La première s’est
appuyée sur le principe de l’intersubjectivité. Lorsque plusieurs personnes décrivent
de façon similaire une même situation, le chercheur augmente les chances de validité
des résultats. Dans chacun des cas, nous avons recouru à des entretiens avec le
dirigeant et son entourage professionnel. Ces entretiens croisés nous ont permis de
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213
mieux appréhender l’activité du dirigeant et de faire apparaître les différences de
perception. La seconde forme de consolidation a été obtenue en recourant à plusieurs
techniques de recueil de données.
La principale limite de notre méthodologie tient au caractère limité de
l’échantillon de dirigeants observés. A cet égard, notre recherche ouvre des pistes
qui devront être étudiées sur une base plus large.
Par ailleurs, la collecte de données s’est faites pendant une période de réforme avec
des changements en matière de gouvernance interne. Ces effets de contexte ont été
difficiles à neutraliser.
L’analyse des résultats
L’organisation hospitalière n’est pas décrite par les dirigeants comme un
ensemble préexistant et contraignant, mais davantage comme une élaboration en
cours. Cette construction se nourrit de l’interaction des acteurs et s’institue à partir
d’eux. Ce ne sont ni les lois ni les décrets d’application qui définissent la réalité des
fonctionnements observables.
L’ajustement politique
Pour les dirigeants interrogés, l’action de « faire passer » les décisions ou
de « les faire partager » est devenue un but presque aussi important que de les
prendre. Car si l’action reposait naguère sur la réciprocité des acteurs, il semble
aujourd’hui qu’elle dépende d’une logique plus « entrepreneuriale » de la solidarité.
Les dirigeants sont très attentifs aux positionnements des acteurs tant en interne
qu’en externe. Ils cherchent à repérer les « amis », les « ennemis », les « appuis » et
à « isoler » ceux qui leur posent problème. Parfois ils n’en restent pas là. Ils
s’efforcent de reconfigurer le cadre d’interaction pour mieux contourner les
difficultés qu’ils rencontrent.
Un directeur de structure nous a confié qu’il a intégré des acteurs au sein de
certaines instances, au-delà de ses contraintes réglementaires, parce qu’il les trouve
engagés. Il veut donc les mettre là « où les choses se passent ». Leur permettre de
participer aux instances c’est, pour lui, leur témoigner sa reconnaissance. Pour lui,
« le seul écueil c’est que cela fragilise notre CE. Si lors d’un vote [la règlementation
impose que cette instance procède à un vote sur certaines questions, par exemple de
nomination], le résultat ne convient pas à un petit groupe et qu’il décide de faire de
l’obstruction alors, c’est facile, il suffit de dénoncer la composition non conforme de
l’instance. Pour éviter cela il faudrait qu’au moment du vote je fasse sortir ceux qui
ne sont pas dans la configuration règlementaire, c’est ingérable ». Ce dirigeant
transgresse la règle établie parce qu’il préfère modifier le jeu politique interne et
ouvrir de nouvelles opportunités de production ou d’efficacité collective. En
modifiant le positionnement des acteurs et en valorisant les initiatives porteuses du
projet d’établissement, il redéfinit l’espace de discussion à l’intérieur duquel les
acteurs en présence pourront régler les problèmes qu’ils rencontrent. Il permet que
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214
des voix se superposent. Sa transgression invite à un changement de perception, en
accueillant des zones d’incertitude et en ouvrant de nouvelles possibilités.
L’ouverture morale
Les dirigeants rencontrés ont tous évoqué la question de la permanence des
soins. Tous s’accordent à dire qu’ils sont obligés de la garantir sans disposer de
moyens suffisants. « On est soumis à des exigences contradictoires : assurer la
permanence des soins et respecter les règles de la comptabilité publique ». Par
exemple, pour obtenir que des médecins viennent faire des remplacements le
dimanche, il faut être en capacité de négocier leurs conditions de rémunération.
« Ou vous payez la personne plus cher ou vous n’assurez pas la permanence des
soins ».
D’un dirigeant à l’autre, nous avons observé des réactions différentes sur ce
sujet. Certains choisissent d’allonger de manière fictive la durée de travail, afin de
mieux payer la prestation de service (même si cela leur demande de faire de fausses
déclarations). D’autres en restent à se plaindre ne pas pouvoir agir dans de bonnes
conditions, tout en comptant sur « les bonnes volontés ». D’autres encore négocient
avec les médecins les conditions de leur intervention. L’un d’eux a informé sa tutelle
régionale des efforts financiers à consentir pour que la permanence des soins soit
effective. « Il y a un contrat clair avec la durée exacte et le salaire qui est indiqué.
J’envoie le contrat à l’ARH auprès du médecin inspecteur régional de telle sorte
que je ne dissimule pas les choses et que l’ARH ait conscience des choses et puisse
déférer le contrat au tribunal administratif » Informée, l’ARH a demandé une
inspection de la Cour des Comptes sur le territoire de santé. L’enquête a montré que
cette pratique était généralisée, mettant les établissements en concurrence au profit
des médecins. Par cet exemple, on voit qu’une série de transgressions peut n’avoir
pas d’action réelle sur le cadre d’action, dès lors qu’elle est liée à des
comportements plus défensifs que créatifs.
En questionnant les dirigeants sur les raisons qu’ils ont eu d’agir, nous
avons constaté que ceux qui transgressaient sans rien dire étaient pétris de lassitude
(« à force de ») ou marqués par un sentiment d’impuissance (« rien ne change »).
Nous avons fait le constat que ces mêmes dirigeants n’ont pas cherché à promouvoir
une stratégie collective et solidaire pour faire valoir leurs difficultés. Ils n’ont pas
mis en œuvre un débat sur le sens de leur action.
Les registres légaux et fonctionnels
Pour poursuivre notre analyse, nous voudrions revenir sur un récit. Celui du
directeur d’un établissement de 1500 lits, un hôpital qui fait référence sur son
territoire de santé. Il a envoyé un courrier à l’ensemble des établissements alentours
dépendant de lui. Dans cette lettre, il se dit contraint, par manque d’infirmières, de
fermer des lits de réanimation (car il n’a pas le droit de les faire fonctionner sans
qu’un taux d’encadrement soignant soit respecté).
Pour les autres établissements, cela signifie que certaines admissions en
réanimation pourraient être refusées faute de place. Les médecins concernés ont
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215
clairement fait savoir que cette position était inacceptable. Le directeur a expliqué
alors qu’il n’avait pas le choix : soit il maintenait des lits et engageait sa
responsabilité en cas de problème ; soit il ajustait le nombre de lits de réanimation et
remettait en cause le principe d’égalité d’accès et de permanence en matière de
soins.
Pour ce directeur, le vrai problème était la difficulté de recruter des
infirmières diplômées d’Etat. « Chacun bidouille dans son coin, mais ce n’est plus
tenable». « Quand on voit qu’un certain nombre de collègues ont été mis en examen
parce que pour attirer des médecins ou des anesthésistes ils étaient obligés de les
payer deux vacations ». « La démographie médicale ça fait des années que l’on en
parle. Il existe au moins une demi-douzaine d’observatoires officiels sur la
démographie médicale. Si aujourd’hui, il y a un problème de démographie
médicale, ce n’est pas faute d’avoir prévenu le régulateur ».
Tout directeur travaille au milieu d’exigences contradictoires : par exemple,
ici, un manque de personnel et des décrets, d’une part, qui imposent de réaliser des
actes, avec les personnels manquants (infirmières, aides-soignantes ou médecins)
d’autre part. Certains se donnent des libertés dans l’application des textes. D’autres
sont prêts à tout pour recourir à une main d’œuvre étrangère dont il faudra garantir
l’intégration. D’autres encore choisissent de mettre à mal le système pour obliger à
une rupture des fonctionnements actuels. Toutes ces transgressions ne sont pas sans
créer de troubles ou d’équivoques, sans s’inscrire comme des succès ou des échecs.
Néanmoins, il semble important qu’elles continuent d’apparaître, pour vivifier le
langage parfois désincarné, des seules procédures et autres prescriptions.
Évidemment, il y a des dangers. « Quand tout va bien, personne ne dit rien,
on se tait, on fait comme si les problèmes n’existaient pas, mais dès que le problème
apparaît dans le journal, tout le monde te tombe dessus et tu ne vois plus cette
connivence que les autres ont prétendu avoir sur le sujet ». Pour un des dirigeants
interrogés, le problème n’est pas qu’on associe sa fonction à une certaine prise de
risques, mais qu’il n’ait pas en main toutes les cartes pour les assumer. « Mon
collègue qui n’a pas d’anesthésiste, quel moyen il a pour régler le problème » ? Un
autre confie : « j’ai une réanimation qui n’est pas réglementaire, j’ai les urgences
qui ne sont pas réglementaires. Donc, s’il y a un problème (un décès par exemple),
on pourra me dire Monsieur le Directeur, vous aviez cinq ans pour mettre votre
hôpital en conformité, vous ne l’avez pas fait. Effectivement mais si je ne l’ai pas
fait, ça dépend de l’ARH qui ne m’a pas donné l’argent pour réaliser les travaux de
mise en conformité. La tutelle va me répondre que ce n’est pas son problème, c’est
moi le responsable. Constamment c’est ça ».
Parfois les dirigeants se protègent, à d’autres moments ils transgressent les
règles s’ils estiment que ce sera profitable : pour traiter une contradiction, pour
modifier l’espace des compromis, pour augmenter leur niveau d’efficacité. Au
mieux, la transgression permet de réfléchir aux fondamentaux de leur action, de
rétablir des priorités. « Est-ce qu’il est normal de fermer des chambres de malades
pour aménager des bureaux de médecins ? Est-il juste qu’on ait 10% de l’activité
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216
non déclaré ? » Par manque de qualification des spécificités de l’activité de soins
prise en charge par les hôpitaux, compte tenu du tourbillon des réformes actuelles, il
y a un risque d’atrophie de sens que l’on retrouve dans le malaise des dirigeants et
des soignants. Les règles ont leur intérêt, mais elles ne peuvent « homogénéiser
l’action » sans tenir compte des situations ou des jeux d’acteur.
Les propos des dirigeants montrent les potentielles transgressions à l’œuvre et leur
genèse :
- le besoin de transgression relève souvent de contradictions à résoudre entre deux
ou plus des registres habituels de l’action collective : contraintes réglementaires,
attentes d’efficacité, ajustements politiques et exigences morales ;
- il peut être refusé (sentiment d’impuissance) ou traité à minima (par des
« arrangements » tacites dont le but est de faire croire qu’on reste dans les
compromis ordinaires alors qu’on les a détournés ou dérangés)
- mais il peut aussi être pensé comme une ouverture, comme la recherche d’un sens
plus large qui facilite l’opérationnalisation collective et, pour les professionnels
impliqués, une compréhension plus large du sens de leur action. Ce type de
transgression permet alors de questionner autrement les registres auxquels il fait
face : il remet des priorités dans les valeurs (registre moral), il propose un
ajustement des normes ou des règles collectives (registre légal), il redistribue les
pouvoirs et les rôles (registre politique), il redéfinit les critères et les processus
d’efficacité (registre fonctionnel).
Dans son sens le plus large et le plus productif, la transgression est un moyen
d’ouvrir du champ, même si, c’est contre les règles, les attendus ou les autres
acteurs. Mais il s’agit moins de sortir de son domaine d’action que de chercher à
l’enrichir ou à le transformer, en l’appelant à se construire une vérité plus profonde
ou mieux représentée.
DISCUSSION
Il est utile de repérer à quel niveau d’analyse se situent les arguments
utilisés par les dirigeants d’organisations de santé pour justifier leurs conduites, ou
alors pour critiquer et dénoncer certains comportements jugés abusifs.
Les arguments se situent-ils dans des logiques micro, méso ou macro
sociales ? En fait, souvent les dirigeants parlent de leurs « devoirs et obligations ».
Ils évoquent également leurs marges de manœuvre et, dans leurs discours, les
registres de la légalité ou de la moralité sont ceux qu’ils utilisent le plus pour
qualifier leurs comportements.
Ils se justifient (ou s’expliquent) en combinant des principes, des règles,
leurs expériences subjectives et l’interprétation des situations qu’ils rencontrent.
Grosso modo, on rencontre quatre grandes formes d’argumentations que nous
reprenons, en les adaptant à notre sujet, de Lascoumes et Bezes (2009) :
- une rationalité légale-formelle, telle que dégagée par Max Weber. Les dirigeants se
définissent alors comme devant agir dans les règles et se maintenir à distance des
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intérêts particuliers. Cette légalité leur permet d’assurer de l’impartialité, du
désintéressement et un sens de l’intérêt général.
- une logique « contractuelle ». Les règles existent, mais elles ne sont pas mobilisées
dans les termes rationnels légaux d’un jeu impersonnel à effets mécaniques. Le
langage est plutôt celui des obligations et de la responsabilité qu’on endosse en
acceptant sa fonction. Les dirigeants parlent de « bonnes conduites », de « devoirs ».
Les attentes portent moins sur le respect des règles formelles que sur la signification
sociale que pourrait revêtir leur transgression.
- une logique normative-pragmatique. Les règles sont reconnues comme nécessaires
mais peuvent faire l’objet d’arrangements, d’accommodements et de
contournements dans le cadre de la relation de service aux patients. Il s’agit de
fluidifier le fonctionnement et de pallier les limites des procédures. L’arrangement
avec les règles apparaît comme le produit de la « position » des dirigeants,
surexposés aux desiderata et aux pressions de ceux avec qui ils doivent coopérer
dans des situations conflictuelles ou pour partie contradictoires.
- une logique avant tout réaliste, qui fait écho à la perception d’un univers social et
politique sans droit et sans norme générale, échappant à toute régulation. Le jeu
social paraît dominé par la puissance et la force. Par exemple, « il y a des personnes
dans la détresse qui n’ont pas eu de soins rapidement parce que d’autres ont utilisé
des moyens détournés ».
Face à l’action, les dirigeants combinent ainsi plusieurs registres (voir
schéma ci après), dont le légal (respecter les règles) et le fonctionnel (être efficace)
agissent comme des facteurs de cadrage et où le moral et le politique jouent des
rôles d’ajustement.
Schéma 1 : Des modes de justification de la transgression
Transgression
REGISTRE
MORAL
REGISTRE
POLITIQUE
Montrer
l’exemple
REGISTRE
LEGAL
Construire des
connivences
Se mettre en
conformité
Garantir
l’efficacité
REGISTRE
FONCTIONNEL
Compromis
Aux prises avec des réalités composites, les dirigeants peuvent être poussés
à transgresser le légal et le fonctionnel, à partir des exigences de leur morale
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218
(influence des valeurs) ou des pressions du jeu politique où ils s’exposent (besoins
ou exigences des autres acteurs). Soit ils réagissent en détournant le légal ou le
fonctionnel, soit ils se servent des ouvertures offertes par les registres moraux et
politiques pour enrichir le champ des possibilités, à travers une transgression qui
aide à repenser la règle ou la performance opérationnelle.
EN CONCLUSION
Notre recherche a permis de montrer en quoi l’activité de diriger est une
activité entre l’empêchement et l’obligation d’agir. La fonction de direction
implique une prise de pouvoir, mais en même temps le renoncement à un ensemble
d’actions qui représentent ce qu’il est bon ou juste de faire selon eux.
L’activité du dirigeant est une activité d’interface qui l’expose
particulièrement à la nécessité de trouver des compromis, mais aussi au recours à la
transgression. Nous avons voulu montrer la relation dynamique entre la nécessité de
compromis et le besoin de transgression. A travers cette relation, les dirigeants
parviennent à combiner différents registres de leur activité : légal, moral, fonctionnel
et politique.
La reconnaissance de ce niveau de réalité de l’activité du dirigeant ouvre
des perspectives sur la situation du dirigeant qui dirige mais qui est simultanément
dirigé par un ensemble de normes, de règles et de procédures qui encadrent son
activité.
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
220
LES COMPORTEMENTS DÉVIANTS
À LA RÈGLE
L’impact des conditions de travail et de rémunération
Une application à une salle de marché
Christelle HAVARD89 & Matthieu POIROT90
L'environnement et
l'exécution de l'activité bancaire
sont
réputés
être
des
environnements
hyper-régulés.
Pourtant les événements récents qui
ont fait l'objet de l'actualité ont
montré que, malgré cette hyperrégulation, les déviances existent
substantiellement
et
peuvent
conduire à des dérives. Au-delà de
l'actualité, l'objectif de cette
communication est d'analyser la manière dont on peut comprendre et expliquer les
comportements de déviance par rapport à la règle dans un environnement caractérisé
par une hyper-régulation. L'approche théorique retenue combine des éléments de
réflexion d'origine psychologique et sociologique et propose une grille de lecture
contextualisée de la déviance. Cette dernière est ensuite mobilisée pour analyser la
situation d'un établissement bancaire. L'analyse montre alors que les comportements
de déviance peuvent être générés en partie par les conditions de travail et de
rémunération en vigueur dans l'organisation.
89
Christelle Havard est enseignante-chercheure à l’ESC Dijon. Docteur en économie des ressources
humaines, elle enseigne en formation initiale et continue sur des thématiques de gestion des compétences,
de dialogue social et de management des organisations. Ses domaines de recherche portent sur les
questions de coordination et de régulation dans les organisations, en particulier dans les organisations de
service. Elle développe par ailleurs une démarche pédagogique orientée compétences pour l’ESC Dijon.
christelle.havard@escdijon.eu;
90
Matthieu POIROT,fondateur de Midori Consulting (www.midori-consulting.com), psychologue social
et docteur en management, expert en santé psychologique au travail, intervient très régulièrement dans les
entreprises en gestion de crise psychosociale ou dans le conseil en prévention des risques psychosociaux.
Matthieu POIROT a pu intervenir sur de nombreuses missions sensibles (Renault, Areva, EDF, France
Télécom, Société Générale,…) sur la question du stress professionnel. Également expert en management
à l’ESC Dijon, il dirige le premier certificat dédié au management des risques psychosociaux. Auteur
d’une dizaine d’articles académiques et professionnels sur ces thématiques, il partage le fruit de son
expérience et de ses recherches dans plusieurs enseignements (PARIS II, Paris X, ESC, ESSEC).
matthieu.poirot@midori-consulting.com
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
221
À partir des années 1980, la finance internationale a connu un incroyable
développement: croissance à 2 chiffres des montants traités, invention de produits
extrêmement innovants, avancées technologiques mais aussi une série de crises dont
la dernière en date (la crise des subprimes de 2008). Tous ces événements qui font
régulièrement la « une » de l'actualité et sont au centre des préoccupations des
gouvernements traduisent une mutation colossale de l'économie internationale. En
raison de leur nature extrême, les marchés financiers constituent un très bon
laboratoire pour étudier les comportements organisationnels. Depuis de nombreuses
années, de nombreux travaux ont été menés pour étudier la nature des relations
sociales dans les salles des marchés (Hassoun, 2000; Godechot, 2000; Godechot,
2001; Sarfati, 2003).
Longtemps, les salles des marchés ont été présentées comme l’instrument
parfait des théories de la finance néolibérale. Pourtant la rationalité des marchés
financiers fut régulièrement contestée par les chercheurs en finance moderne. Les
critiques récentes remettent en question l’hypothèse économique d’un marché
efficient. Au contraire, de nombreux facteurs psychosociologiques, comme les
réponses émotionnelles aux fluctuations de prix peuvent conduire à des erreurs
d’évaluation catastrophiques. En fait, il est postulé que l’émotion des collaborateurs
dans une salle des marchés peut impacter l’efficacité du système. Ainsi dans une
série d’études de cas, Steengarger (2002) a mis en évidence les liens existant entre
l’émotion et la performance des traders. Au-delà de l’étude des émotions, les salles
des marchés font régulièrement la une des journaux pour des cas importants de
déviance (Godechot, 2006, Monin, 2008). Il semble, comme l’indique Peter Wirtz,
revenant sur l’affaire Société Générale (Monin, 2008) qu’au-delà des systèmes de
gouvernance, ce soit avant tout l’organisation et l’"architecture sociale" des salles
des marchés qui permettent à des agents individuels d’être plus ou moins déviants.
Or ces salles de marché se présentent comme des organisations très fortement
régulées (Lenglet, 2009): de nombreuses règles prescrites régissent les
comportements individuels et collectifs des acteurs présents et pourtant des
comportements déviants y sont manifestes et révélés. L'hyper-régulation conduiraitelle dans ce contexte particulier à plus de déviance? Qu'est-ce qui peut expliquer ces
comportements de déviance? Quel rôle le management de proximité et la gestion des
ressources humaines peuvent-ils jouer dans la génération ou la modération de cette
déviance?
Étudier les salles des marchés n’est pas chose aisée. Ce type d’organisation est à
la fois connue du grand public et fascine mais est également très peu étudiée d’un
point de vue scientifique (à l'exception des travaux de Godechot, 2001, 2006, 2009)
tant elle est difficile d’accès et difficilement compréhensible. En 2008, l’un des
auteurs a eu l’opportunité d’explorer de manière quantitative plusieurs dimensions
dans une salle des marchés française: conditions de travail (autonomie, charge de
travail, soutien social), respect des règles, comportements déviants et vécu
émotionnel. L’objectif de ce papier est de proposer une grille d’analyse
contextualisée des comportements de déviance et de mettre en perspective cette
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
222
grille dans le contexte particulier d'une salle de marché. Cette communication est
ainsi articulée autour de deux parties. La première partie définit la déviance par
rapport à la règle et au contexte organisationnel qui peut l'engendrer et la réguler. La
seconde partie propose, à partir d'une étude exploratoire et d'analyse de données
secondaires, quelques pistes d'explication des comportements de déviance au sein
d'une salle de marché.
POUR UNE APPROCHE CONTEXTUALISÉE DES COMPORTEMENTS
DÉVIANTS
Les recherches en gestion francophones et anglo-saxonnes sur les
comportements de déviance au sein des organisations se sont multipliées ces 15
dernières années. Ces recherches s'appuient alternativement sur des travaux de
tradition psychologique ou sociologique. Dans la tradition psychologique, la
déviance est traitée sous un angle individuel ou interindividuel, le comportement
déviant est expliqué par des éléments de personnalité et la situation dans laquelle se
trouve l'individu est considérée souvent de manière exogène (Henle, 2005; Witt &
Andrews, 2006; Sady, Spitzmuller, Witt, 2000; Vardi & Werner, 1996). Dans la
tradition sociologique (Groenemeyer, 2007), la déviance est souvent traitée sous
l'angle d'un écart par rapport à un ordre social (Parsons, 1951; Becker, 1963) et
trouve ses fondements dans la légitimité des règles et les sanctions qui y sont
associées. Nous retiendrons ici une approche contextualisée de la déviance (Becker,
1963; Honoré, 2006) qui permet d'analyser la manière dont se définissent les
comportements déviants par rapport aux règles organisationnelles (Robinson &
Bennett 1995; Warren 2003; Henle 2005; Girin & Grosjean 1996; Frédy-Planchot,
2002; Babeau & Chanlat 2008) et les déterminants organisationnels de ces
comportements.
La déviance, un comportement défini par rapport à des règles et par des
acteurs
De nombreuses définitions de la déviance existent dans la littérature
managériale (Honoré, 2006) renvoyant à des héritages psychologiques ou
sociologiques (Groenemeyer, 2007). La définition proposée par Robinson & Bennett
(1995) a cependant marqué significativement les travaux récents sur la déviance
(Warren, 2003; Henle, 2005). Celle-ci91 est définie comme un comportement
91
"Employee deviance is defined here as voluntary behavior that violates significant organizational norms
and in so doing threatens the well-being of an organization, its members, or both. Employee deviance is
voluntary in that employees either lack the motivation to conform to normative expectations of the social
context or become motivated to violate those expectations. Organizational norms, or those prescribed by
formal and informal organizational policies, rules, and procedures, are specified here because deviance
must be defined in terms of the standards of a specified social group rather than in reference to a system
of absolute moral standards (Kaplan, 1975). We focused on the violation of norms espoused by the
dominant administrative coalitions of organizations rather than the norms of work groups or subcultures."
(Robinson & Bennett, 1995, p.556)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
223
volontaire qui se détourne significativement des règles organisationnelles (des règles
et pas des valeurs; règles concernant l'organisation dans son ensemble et pas
uniquement celles adoptées par un groupe) et qui représente une menace pour
l'organisation ou pour un individu. Cette approche de la déviance pose certaines
hypothèses par rapport auxquelles nous souhaitons nous positionner.
- Tout d'abord, le comportement déviant se définit par rapport à des règles établies.
Cette approche sera amplement retenue ici et développée. Nous retiendrons,
comme le font Robinson & Bennett (1995), les règles et non les valeurs portées
par l'organisation ce qui nous amènerait à un débat sur l'éthique qui serait horspropos ici (pour des éléments de débats sur ce point, voir Becker, 1963).
- La déviance est définie par Robinson & Bennett (1995) comme un comportement
volontaire. Nous estimons que le comportement déviant d'un individu peut certes
être intentionnel mais peut également résulter d'une négligence, d'une
méconnaissance de la règle, voire d'une impossibilité de se conformer à la règle
(Pesqueux 2009).
- Enfin, la déviance est abordée principalement à travers ses effets négatifs sur
l'organisation, voire l'individu92. Or nous allons montrer que les comportements
déviants peuvent produire, dans certaines conditions, des effets positifs pour
l'organisation (Warren, 2003; Babeau & Chanlat, 2008; Barel & Frémeaux,
2010), voire même peuvent être considérés comme légitimes.
La déviance sera définie comme un comportement individuel ou collectif93 nonconforme à une règle94, l'écart par rapport à cette règle pouvant être marginal ou
radical. Cette approche relativiste de la déviance s'inscrit explicitement dans la
lignée des travaux de Becker (1963) dans le sens où c'est l'existence même de la
règle créée par un acteur qui peut conduire à un comportement déviant, mais
également c'est la désignation de la déviance qui conduit à qualifier le comportement
de transgression.
"Les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la
transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et
en les étiquetant comme des déviants. De ce point de vue, la déviance n'est pas une
qualité de l'acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de
l'application, par les autres, de normes et de sanctions à un 'trangresseur'. Le
déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le
92
Pour Robinson & Bennett (1995, p.567), la déviance peut avoir des effets positifs si elle permet
d'alerter l'organisation: "Deviance may be dysfunctional and threatening to the well-being of a social
system (…). But it may have several positive outcomes as well: providing a safety valve, alerting group
members to their common interests, and providing warning signals to organizations."
93
Dans la mesure où le comportement déviant se définit par rapport à des règles, il peut être le fait d'un
individu isolé ou d'un groupe. "Le maintien des règles effectives ne se réduit donc pas au contrôle social
de la déviance individuelle. La déviance peut être collective, au moins par agrégation, et elle peut être
plus qu'une déviance, la revendication d'une autre règle" (Reynaud, 1999, p.235).
94
"La déviance ne se trouve pas extérieure au monde de la norme mais juste à ses frontières" (Alter, 2005,
p.170).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
224
comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette."
(Becker, 1963/1985, p.32-33)
Les règles par rapport auxquelles s'établissent les comportements déviants
sont définies comme des référents cognitifs pour l'action (elles guident l'action
individuelle et collective) ayant un pouvoir normatif et exerçant une contrainte
sociale considérée comme légitime par un collectif (Reynaud, 2003). Elles
s'appliquent à et sont reconnues par l'ensemble de l'organisation, comme des règles
propres à un groupe particulier dans l'organisation95. Les règles ont une dimension
prescriptive, dans le sens où elles permettent l'interprétation d'une situation et
cadrent, au moins partiellement, l'action que va entreprendre l'acteur. Ce sont des
repères pour penser, décider, agir mais qui sont incomplets, c'est-à-dire que subsiste
toujours une marge d'interprétation et de manœuvre pour les acteurs (de Terssac,
2003, p.193). Cette incomplétude donne à la règle son caractère dynamique (Havard,
2000).
Envisagée par rapport à des règles produites par des acteurs extérieurs, la
déviance se situe donc dans un débat central de la Théorie de la Régulation Sociale
de Reynaud (1997) entre hétéronomie et autonomie; la régulation hétéronome ou de
"contrôle" représentant la production de règles provenant d'acteurs extérieurs et la
"régulation autonome" représentant la production de règles par un acteur collectif
pour son propre compte.
Cette considération permet d'envisager la déviance dans une perspective
non seulement relativiste (par rapport à quelle règle est estimé un comportement
déviant) mais également contextualisée. En effet, un comportement déviant peut être
considéré comme tel dans une situation donnée mais conforme dans une autre96. La
qualification de comportement déviant dépend alors fortement du contexte de
l'action et de la position de celui qui désigne la déviance.
La déviance se définit par rapport à une norme, mais surtout par rapport au
processus de désignation par des individus ou des groupes d'un comportement
qualifié de déviant. Comme le souligne Becker (1963/1985, p.54) "être pris et
publiquement désigné comme déviant constitue probablement l'une des phases les
plus cruciales du processus de formation d'un mode de comportement déviant
stable".
À ce processus de désignation sont associées des sanctions (Bréchet, 2008)
qui garantissent dans une certaine mesure l'effectivité de la règle (les sanctions
représentant une menace pesant sur les acteurs ne se conformant pas à la règle).
Ce processus de désignation de la déviance suppose donc l'existence d'acteurs
chargés de dénoncer les comportements déviants et de faire appliquer les sanctions.
Ces acteurs peuvent être, dans les organisations, des représentants de la ligne
95
Warren (2003) distingue ainsi les formes de déviance par rapport aux normes propres à un groupe de
référence, à un groupe extérieur ou par rapport à des normes légales.
96
"Le même comportement peut constituer une transgression des normes s'il est commis à un moment
précis ou par une personne déterminée, mais non s'il est commis à un autre moment ou par une autre
personne" (Becker 1963/1985, p.37).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
225
managériale ou de la direction, comme des individus ou des groupes qui portent un
intérêt à la dénonciation de la déviance. La déviance se définit donc par rapport à
des règles mais aussi en référence à des acteurs qui édictent les règles, cherchent à
les faire respecter, mentionnent et/ou sanctionnent les écarts par rapport à la règle et
à l'égard desquels l'acteur déviant se démarque et s'exprime97. En ce sens, la
déviance exprime un "rapport social" (Girin & Grosjean, 1996) et se donne à voir à
travers les actions et interactions98.
Déviance et situations d'action : les éléments d'explication du comportement de
déviance
Deux grandes catégories d'explication de la déviance existent dans la
littérature : les travaux de nature psychologique qui cherchent dans les
caractéristiques de l'individu à expliquer les comportements de déviance et les
travaux de nature plus sociologique qui expliquent le comportement déviant par
rapport à la situation sociale et organisationnelle dans laquelle se trouve l'individu
ou le groupe qui adopte ce comportement déviant. Dans la tradition de Becker
(1963), nous analyserons les causes du comportement de déviance non pas en les
ramenant aux caractéristiques personnelles des auteurs de la déviance, mais au
processus qui aboutit à considérer ces comportements comme déviants et donc à la
situation qui la produit99.
Les comportements de déviance individuelle ou collective peuvent
s'expliquer en premier lieu par le souhait d'adapter la règle pour rendre la situation
plus favorable à l'individu, au groupe, voire à l'organisation. Ce motif de déviance
peut être analysé comme un comportement stratégique100, l'acteur recherchant son
propre intérêt dans la déviance (qu'il s'agisse de la satisfaction d'objectifs personnels,
de stratégie de pouvoir – Crozier & Friedberg, 1977). Mais il peut aussi être analysé
comme le souhait de rendre effective la règle ou adaptée à une situation nouvelle. En
effet, les règles organisationnelles étant fondamentalement incomplètes (Reynaud
2003d), l'évolution de la situation donne l'occasion aux acteurs d'adapter la règle en
97
"En matière de discipline, le respect ou non des règles est à la fois le fruit de choix délibérés de la part
des acteurs et le terrain d’actes démonstratifs à l’égard des ‘autres’, ces observateurs de notre vie sociale"
(Frédy-Planchot, 2002, p.39).
98
"comprendre la déviance et ses conséquences sur le fonctionnement de l’organisation implique de se
centrer tout à la fois sur la forme et les conditions concrètes d’implication des acteurs dans les interactions
; la compréhension de la manière dont sont opérationnalisés les dispositifs et actions de contrôle"
(Honoré, 2006, p.82-83).
99
"les phénomènes de déviance lient étroitement la personne qui émet le jugement de déviance, le
processus qui aboutit à ce jugement et la situation dans laquelle il est produit". (Becker 1963/1985, p.28)
100
"toute règle est soumise à une usure continuelle parce qu'une partie au moins des acteurs, pour des
raisons d'intérêt opportuniste ou de conviction, cherchent à la tourner ou à tricher avec elle." (Reynaud
2003d, p.408)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
226
vigueur et peut justifier le comportement déviant (Girin & Grojean, 1996101;
Reynaud, 1997102; Alter 2003103).
Cette déviance "inévitable" (Girin & Grojean, 1996)104 peut subvenir
également lorsque l'acteur doit faire face à des injonctions contradictoires, l'amenant
à détourner une partie des règles pour rendre possible ou acceptable l'action auprès
des autres acteurs (Dejours, 1996; Honoré, 2006). "C'est par l'écart à la règle que
sont surmontées les contradictions qui surgissent quotidiennement dans la réalisation
de la tâche confiée" (Babeau & Chanlat, 2008, p.214). Ces comportements déviants
peuvent être perçus comme condamnables au sein / ou en dehors de l'organisation
(par la ligne managériale, par d'autres groupes d'acteurs dans l'organisation, mais
aussi par des clients ou autres partenaires de l'entreprise – Vardi & Wiener 1996;
Honoré, 2006) mais ils peuvent être considérés comme une source d'efficacité pour
l'individu ou pour le groupe (Dejours 1996, p.114; Honoré, 2006105), voire pour
l'organisation (Reynaud, 2003a; Babeau & Chanlat, 2008).
La déviance individuelle mais surtout collective peut aussi s'expliquer par
le souhait des acteurs d'exister, de se faire reconnaître à l'égard d'autrui. En ce sens
le comportement de déviance est démonstratif106. Ce souhait d'exister est un moyen
de mettre en valeur ses compétences (individuelles ou collectives) dans la maîtrise
d'une situation (Girin & Grosjean, 1996; Frédy-Planchot, 2002) et d'affirmer son
identité individuelle ou de groupe. Honoré (2006) montre que le comportement
déviant peut être analysé comme une prise de distance par rapport à un rôle attribué,
celle-ci s'expliquant par la pluralité des registres identitaires caractérisant l'individu.
Ainsi le comportement déviant peut provenir de la mobilisation d'un registre
identitaire qui fait sens pour l'individu dans la situation à laquelle il est confronté
mais qui l'amène à s'écarter de son rôle prescrit. Au niveau collectif, Honoré (2006,
p.76) montre que peuvent alors exister dans les organisations des "sous-cultures
déviantes" qui conduisent certains groupes à adopter des comportements en
référence et en opposition par rapport au système de normes prévalant afin d'exister
en tant que groupe définissant pour ses propres membres les modalités
101
"l'accomplissement effectif de l'activité ne s'accommode jamais d'un respect absolu des règles. Cellesci sont, au minimum, interprétées, ajustées, assouplies, au maximum, ignorées ou violées. La réalité
quotidienne (…) est celle de l'écart à la règle." (Girin & Grosjean 1996, p.5)
102
"Il n'est nullement surprenant que quelques individus ne respectent pas la règle (…) n'admet-on pas
couramment aujourd'hui que la déviance ou la non-conformité ne sont pas seulement des écarts par
rapport à la norme, mais aussi une manière de la contrebattre, de peser sur elle et d'en anticiper le
changement?" (Reynaud, 1997, p.19).
103
"La transformation des situations de travail ne repose pas toujours sur la négociation ou le conflit. Elle
repose également sur la transgression des règles du jeu établies à un moment donné". (Alter 2003, p.79)
104
"Il y a tout d'abord ce qu'on pourrait appeler les transgressions inévitables, c'est-à-dire celles que l'on
est contraint de faire pour simplement pouvoir travailler, faire fonctionner l'organisation, l'entreprise". Sur
un mode mineur, "adaptation des règles à la situation" (Girin & Grosjean, 1997, p.5).
105
"l’individu est amené à considérer que les règles de l’entreprise ne sont pas efficaces économiquement.
Il les transgresse pour améliorer l’efficacité du travail." (Honoré, 2006, p.69)
106
« Le jeu autour des règles est bien le fait d’acteurs au sens où les agents agissent sur et avec les règles,
mais aussi parce que leurs comportements s’avèrent démonstratifs à l’occasion des jeux qu’ils déploient »
(Frédy-Planchot, 2002, p.40).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
227
d'appartenance, de distribution des rôles et les valeurs. Cette affirmation identitaire
conduit à adopter de nouvelles règles d'action propres au groupe.
La déviance pour cause identitaire ainsi que celle motivée par la volonté
d'adapter la règle (au nom d'une forme d'efficacité du travail) donnent lieu alors à la
création de nouvelles règles considérées comme des règles autonomes (voir supra,
Reynaud, 1997) par opposition aux règles hétéronomes. On est alors dans le cadre
d'une "déviance innovatrice" (Bréchet, 2008, p.24). Ces règles autonomes peuvent
être adoptées localement dans un premier temps puis se généraliser selon qu'elles
deviennent légitimes ou non aux yeux des acteurs, ceci soulève ainsi la question de
la légitimité des différentes règles et de leur articulation107.
Déviance, légitimité et contrôle social: les réactions des acteurs face aux
comportements déviants
Les approches de la déviance ont d'abord souligné le caractère néfaste des
comportements (voir supra). Or nous venons de montrer que la déviance peut avoir
des effets positifs sur l'organisation dans la mesure où elle permet, dans certains cas,
l'évolution des règles, l'innovation, voire favorise l'efficacité du travail ou l'efficacité
organisationnelle. Ainsi, la déviance peut être parfois "désirée", "suscitée" (Honoré,
2006, p.67) voir souhaitable (Warren, 2003108; Babeau & Chanlat, 2008). Deux
questions sont soulevées ici : celle de l'appréciation de la déviance et celle de la
légitimité de la déviance, toutes deux devant être considérées par rapport à un
contexte donné109.
Ce qui fait la nature déviante ou non d'un comportement n'est pas le
comportement lui-même mais l'appréciation qui est portée sur ce comportement par
autrui110. Ainsi, dans certaines situations, le comportement déviant sera identifié par
un acteur mais pas dénoncé et dans d'autres situations, il sera dénoncé et jugé
comme préjudiciable à un individu ou à une organisation. Becker décrit ainsi les
différentes étapes de qualification de la déviance :
"Premièrement, il faut que quelqu'un prenne l'initiative de faire punir le présumé
coupable; faire appliquer une norme suppose donc un esprit d'entreprise et implique
un entrepreneur. Deuxièmement, il faut que ceux qui souhaitent voir la norme
appliquée attirent l'attention des autres sur l'infraction; une fois rendue publique,
celle-ci ne peut plus être négligée. En d'autres termes, il faut que quelqu'un crie au
107
Comme le soulignent Babeau & Chanlat (2008, p.209), "Déroger à la règle, c'est lutter pour la
reconnaissance de sa propre référence. La transgression est ainsi ni plus ni moins que le reflet d'un conflit
de légitimité".
108
"the management literature suggests that employee deviance can be associated with desirable as well
as undesirable behavior." (Warren, 2003, p.622)
109
"C'est le système social et l'exercice effectif de la régulation qui diront si cette déviance est acceptable,
d'une certaine façon si elle peut se prévaloir d'une légitimité opposable, ou si, tout au contraire, elle relève
du délit, à divers niveaux de gravité, et appelle la sanction." (Bréchet, 2008, p.24)
110
"La déviance ne se définit cependant pas seulement par des actes, mais par les jugements portés à leur
propos : tant qu'un type d'acte n'est pas explicitement identifié au crime ou à toute autre forme de
transgression des règles, il ne peut être nommé 'déviant'." (Alter, 2003, p.80)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
228
voleur. Troisièmement, pour crier au voleur, il faut y trouver un avantage : c'est
l'intérêt personnel qui pousse à prendre cette initiative. Enfin, le type d'intérêt
personnel qui incite à faire respecter les normes varie en fonction de complexité de
la situation" (Becker 1963/1985, p.145-146).
Le jugement porté sur la nature déviante de l'acte varie donc d'une personne
à l'autre, mais aussi est fonction des résultats qui sont produits par l'individu : le
détournement d'une règle d'utilisation d'un robot peut être toléré pendant deux ans
s'il permet à l'opérateur de travailler plus efficacement mais devenir un acte
sanctionnable le jour où ce détournement conduit à une erreur manifeste (Alter,
2006). La déviance doit donc être analysée à la fois par rapport à une situation
donnée de l'acteur déviant mais également celle du "dénonciateur". L'acte de
dénonciation est tout autant un acte stratégique que celui de la déviance et peut
s'expliquer par des éléments de contexte. Dans cet esprit la déviance est donc une
construction subjective. Tout comme l'effectivité de la règle est relative à un
contexte donné, les comportements de déviance ainsi que les sanctions associées
(Alter, 2005) sont relatifs à des contextes donnés.
Au-delà de l'appréciation de la déviance dénoncée, se pose la question de la
légitimité du comportement déviant qui elle aussi s'analyse à l'aune d'un contexte
organisationnel. Ainsi que le souligne Warren (2003, p.64)111 un comportement peut
être considéré comme déviant par rapport à un groupe de référence mais légitime par
rapport à un autre groupe de référence. C'est ainsi, qu'il distingue la "déviance
constructive" de la "déviance destructive"112. De même, certaines pratiques
déviantes peuvent être considérées comme légales mais illégitimes pour
l'organisation ou pour un groupe et d'autres pratiques illégales mais légitimes. Cette
dialectique113 entre la légitimité et la légalité renvoie à la règle par rapport à laquelle
le comportement de déviance est apprécié.
Pour examiner la légitimité ou l'illégitimité de la déviance, il faut aller audelà des règles et considérer les acteurs qui mobilisent les règles. Un manager peut
considérer un comportement individuel ou collectif comme déviant mais le trouver
légitime et ne pas le sanctionner parce qu'il produit de l'efficacité organisationnelle,
parce qu'il protège un individu, parce que les règles en question sont en train de
changer, voire parce qu'il les considère comme illégitimes.
La déviance légitime peut être considérée comme une déviance acceptée par
un acteur (individuel ou collectif) parce qu'elle ne remet pas en cause les fondements
même d'une règle, parce qu'elle contribue à seulement adapter cette règle aux
111
"a financial trader who harasses another trader deviates from the norms of the financial exchange, but
may conform to the informal norms of his trading crowd. This example describes how deviance at one
social level (e.g., organizational deviance) may also constitute conformity at another social level (e.g.,
trader norms in a specific crowd)." (Warren, 2005, p.624)
112
"The labeling approach to deviance emphasizes the relative component of deviance and suggests that
labels such as deviance, constructive, and destructive are a reflection of the groups and normative
standards used to judge the behavior." (Warren, 2003, p.623)
113
"la déviance renvoie à la dialectique subtile entre le 'légal mais illégitime' et l'illégal mais légitime'."
(p.19) (Bréchet, Monin, Saives, 2008, p.30).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
229
évolutions de la situation. Cette forme de déviance légitime peut être qualifiée, pour
faire écho à la "normativité ordinaire" de Reynaud (2003b), de "déviance ordinaire"
(Alter, 2003, p.81; Alter, 2005114). En ce sens, cette "déviance ordinaire" contribue
au processus de régulation sociale dans les organisations, c'est-à-dire au processus
de création mais aussi et surtout de transformation des règles (Reynaud, 1997;
Thuderoz, 1996115). Ce processus de régulation sociale fait s'articuler des règles qui
peuvent être complémentaires ou se confronter des règles qui sont autant de
négociations sur la légitimité d'une règle et sur la légitimité / illégitimité d'une règle
considérée comme déviante par un groupe d'acteurs. Cette négociation de légitimité
de la règle et de la déviance est liée notamment au temps nécessaire à l'instauration
d'une règle acceptée et considérée comme légitime116. La déviance peut donc être
considérée comme légitime lorsqu'on envisage les processus de transformation des
règles organisationnelles, la déviance se faisant dans l'objectif de créer une situation
nouvelle jugée comme meilleure, plus juste ou plus efficace.
"il existe toujours une part de l'activité qui correspond à un comportement déviant.
C'est celle qui consiste à prendre des initiatives non prévues par les règles de
gestion. Ce comportement est, à leurs yeux, 'normal', puisqu'il permet de travailler
efficacement et que les collègues proches s'inscrivent souvent dans cette norme.
Pour ces deux raisons, la hiérarchie ferme généralement les yeux sur ces
comportements qui participent directement au bon fonctionnement de l'ensemble."
(Alter, 2005, p.170).
La ligne managériale joue un rôle fondamental dans l'appréciation de la
légitimité des comportements déviants et plus généralement dans le développement
ou la limitation des comportements déviants.
En effet, elle a notamment pour fonction de donner des repères, voire de
définir, les règles qui vont s'appliquer (rôle de régulation de contrôle) et par rapport
auxquelles la déviance se définira. Au-delà de la dimension fonctionnelle du rôle du
manager, celui-ci en définissant ou garantissant ces règles, définit en partie au moins
le contexte social dans lequel les individus agiront et interagiront. Par ailleurs, la
ligne managériale a également pour rôle d'assurer l'application des règles (par des
114
La déviance "n'est pas un phénomène marginal, périphérique au mouvement. Elle en est au contraire à
la fois le cœur et à la fois le lot quotidien. Elle représente, pour les acteurs qui la portent, comme pour les
institutions qui l'abritent, le principal vecteur du mouvement." (Alter, 2005, p.169).
115
"il nous faut lire ces transgressions comme intrinsèquement inhérentes au monde social, comme des
éléments de sa structuration, en quelque sorte. La transgression de la règle ne serait donc pas ainsi un
accroc, une scorie, une rupture dans l'harmonie de la règle et son application, mais plutôt un mode
permanent de régulation sociale, une façon coutumière pour la règle de fonctionner." (Thuderoz, 1996,
p.123).
116
"Les règles ne sont de fait jamais ajustées de manière synchronique aux pratiques, mais la régulation
s'inscrit toujours dans cette voie. Le problème est qu'entre ces deux moments, celui d'une règle, et celui
d'une régulation, il existe souvent des délais importants. La règle ne pouvant pas faire 'à temps' l'objet
d'une régulation se traduisant par une nouvelle règle légitime elle prend (du point de vue des acteurs) la
forme d'une contrainte non légitime. Au nom du bien, ou de l'efficacité, elle peut alors être transgressée.
La prise de risque, comme la déviance, caractérisent cette situation, finalement très ordinaire dans la vie
des organisations." (Alter, 2003, p.80)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
230
mécanismes de contrôle stricto sensu mais aussi d'incitation et de socialisation –
Havard, 2000), la conformité des comportements par rapport aux règles et de
dénoncer la déviance (la non-conformité). Enfin, la ligne managériale est
généralement chargée de la définition des sanctions et de leur application face aux
comportements déviants. Ces différents rôles du management contribuent à définir
ce que l'on peut appeler le "contrôle social" (Becker, 1963; Reynaud, 1997117;
Groenemeyer, 2007; Bréchet, 2008) et par rapport auquel se définit la règle et la
déviance par rapport à la règle. Ce contrôle social est donc à la fois producteur de la
déviance et a pour objet de l'encadrer. Il n'annihile pas les comportements de
déviance. Au contraire, il préserve une certaine part de "déviance ordinaire"
nécessaire au fonctionnement organisationnel et considérée comme légitime. L'excès
de contrôle social peut même conduire, comme le montrent Reynaud (1999)118 et
Honoré (2006, p.75) à un développement de la déviance.
Cette première partie retient donc une définition contextualisée de la déviance.
Celle-ci est définie par rapport à des règles organisationnelles dont se dotent les
salariés de l'entreprise à différents niveaux (des règles de contrôle et des règles
autonomes au sens reynaldien). La déviance doit donc s'analyser par rapport à une
situation donnée caractérisée par des acteurs qui sont en interaction, qui se dotent de
règles et qui établissent et font valoir des sanctions. Elle est appréciée par des
acteurs et les managers jouent un rôle particulier dans cette appréciation. Les
comportements déviants peuvent être considérés alors parfois comme légitimes et
contribuer à la transformation des règles de référence.
DÉVIANCE DANS UNE SALLE DES MARCHÉS : L'IMPACT DES
CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE RÉMUNÉRATION
La première partie a défini la déviance dans une perspective relativiste (elle
se détermine par rapport à des règles définies par des acteurs) et contextualisée (les
règles, comme les déviances par rapport aux règles sont contingentes aux situations
d'action). Les comportements déviants peuvent donc s'expliquer par rapport aux
règles définies dans les contextes d'action, ces règles pouvant porter à la fois sur les
modalités opérationnelles de déroulement des actions (renvoyant ainsi aux règles
propres à une profession) entendues généralement comme les conditions de travail
comme sur les règles régissant les conditions d'emploi renvoyant ainsi notamment
aux règles de gestion des ressources humaines. En partant d'une étude exploratoire
117
"On peut appeler contrôle social cette part de l’activité de la société qui consiste à assurer le maintien
des règles et à lutter contre la déviance, que ce soit par le moyen d’appareils institutionnels ou par la
pression diffuse qu’exerce la réprobation ou les sanctions spontanées qu’elle provoque." (Reynaud, 1997,
p.19).
118
"Une direction autoritaire qui ne tient aucun compte de la régulation autonome, pis encore une
direction qui veut le monopole de la régulation et pourchasse toute régulation autonome, détruit, avec la
résistance des subordonnés leur capacité de consentement, c'est-à-dire la légitimité de la règle affirmée."
Ces deux situations encouragent la défection individuelle se traduisant par des comportements de retrait,
de délinquance ou d'opportunisme. (Reynaud, 1999, p.253)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
231
sur une des plus importantes salles de marché françaises (voir encadré 1 pour des
éléments de méthodologie), nous souhaitons maintenant proposer quelques éléments
d'explication des comportements déviants par les contextes de travail et de
rémunération.
Encadré 1 : éléments de méthodologie concernant l'étude exploratoire.
L'étude exploratoire a été menée en 2008 par l'un des deux auteurs dans une des plus
grandes salles française des marchés. Son objectif était de déterminer la perception
des conditions de travail dans la salle des marchés. Cette commande a été faite par le
Comité central d’Entreprise. Des questionnaires ont été diffusés auprès de 2369
salariés de la salle des marchés et 779 personnes y ont répondu. Le taux de réponse
de 33% est relativement important et témoigne d'un intérêt manifeste pour les
questions posées. L’âge moyen des participants était de 35,2 ans et leur ancienneté
de 6,3 ans dans cette salle des marchés.
Cette étude visait à appréhender les conditions de travail à travers la diffusion de
questionnaires de Karasek (Job Content) utilisant les versions de l’enquête SUMER
(enquête nationale sur les conditions de travail, Niedhammer, David & Degioanni,
2006). Les scores obtenus pour l’échantillon de cette étude peuvent être comparés à
l’étude SUMER, conduite en 2003 par le ministère du travail sur un échantillon
représentatif à 80% de la population salariée.
Nous avons eu par ailleurs, l’opportunité de conduire un certain nombre d’entretiens
informels avec des cadres dirigeants, dont le DRH de la salle investiguée, ainsi que
des salariés des différents offices. Ce matériau, impressionniste, nous a permis
d’appréhender progressivement ce contexte de travail si particulier, reconnu mais
peu connu.
Les salles de marché, des environnements de travail très régulés
Une salle des marchés est une organisation ayant vocation à effectuer des
transactions financières rémunérées, par l’action d’opérateurs de marchés. C'est un
espace disposant d'importants moyens informatiques et de communication, en
liaison directe avec les marchés financiers, où sont situés les postes de travail des
opérateurs de marchés professionnels. Elle est généralement divisée en trois
bureaux.
- Le back-office est le département de l'entreprise assurant le suivi et
l'enregistrement des opérations conclues par la salle des marchés.
- Le front-office est la salle des marchés à proprement dit. C’est dans ce bureau que
les transactions sont initiées. Les différents acteurs d’un front office sont organisés
en desk, spécialisés en marchés ou produits. Chacun est constitué de traders
(définissant les prix), de market-makers (grossistes sur les marchés standards), de
salers (vendeurs) et parfois d’ingénieurs financiers ou informatiques (chargés de
développer des applications informatiques ou des produits financiers).
- En complément du back et du front, le middle-office a pour fonction principale, le
contrôle des risques, c’est à dire la cohérence des négociations du front-office avec
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
232
la réglementation et les bonnes pratiques définies par l’opérateur, le contrôle de
non dépassement des limites de risque et globalement la qualité des dossiers.
En résumé, le front s’occupe de la négociation, le back du règlement et le middle
du contrôle.
Une salle des marchés est une organisation réputée hyper-régulée pour laquelle le
comité d’administration doit mettre en place une fonction support de contrôle.
Chaque établissement se dote d’un contrôle des risques qui, dans le cadre de sa
mission, dispose d’un droit illimité à l’information, à son accès et à sa consultation.
Le contrôle des risques est intégré dans l’organisation globale de l’établissement
mais indépendant de ses activités opérationnelles génératrices de revenus.
Suivant les prescriptions internationales, la Commission de Surveillance du
Secteur Financier (CSSF) a défini le principe d'indépendance entre front-office et
back-office : une opération négociée par la salle des marchés doit être validée par le
back-office pour être ensuite confirmée à la contrepartie, être réglée, et
comptabilisée. Ces services doivent être rattachés à des directions indépendantes
l'une de l'autre jusqu'au niveau le plus élevé possible dans la hiérarchie. Les trois
départements sont donc à la fois clairement distincts mais interdépendants. La
pratique veut qu’il existe une "muraille de chine" entre ces différents offices afin
d’éviter des collaborations entre salariés pour contourner les règles en vigueur dans
les salles des marchés. En réalité, les collaborations semblent possibles en dehors du
travail (le trader de la Société Générale rencontrait régulièrement ses anciens
collègues du middle office, en dehors du travail). Ces échanges informels entre les
salariés des trois offices relativisent ainsi l'étanchéité supposée des trois entités, et
par extension la capacité, pour le middle-office et le back-office, de contrôler les
actions du front-office.
Pour comprendre l'effectivité du contrôle des actions du front-office et la
possibilité pour les traders du front-office de transgresser certaines règles
professionnelles, il est nécessaire d'examiner plus précisément les conditions réelles
et perçues de travail des salariés de ces trois offices.
Des conditions de travail favorisant des comportements de déviance légitime
des traders
L'étude exploratoire menée au sein d'une salle des marchés française nous
permet d'isoler trois variables déterminantes dans la possibilité de transgresser les
règles et d'outrepasser les contrôles: la charge de travail, l'autonomie et le soutien
social.
- La charge de travail, lorsqu'elle est perçue, comme trop importante peut traduire
un environnement de travail soumis à de fortes contraintes potentiellement
contradictoires. Or, nous avons vu, précédemment que la déviance pouvait
provenir du souhait des acteurs de dépasser ces contradictions.
- Les marges d'autonomie accordées aux acteurs pour prendre des décisions en
situation incertaine ou pour s'adapter aux situations par la ligne managériale ou
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
233
par les collègues sont également sources de potentielle déviance plus ou moins
légitime.
- De même, l'importance accordée à la fonction assumée, la perception de la
contribution de l'acteur à l'efficacité organisationnelle, bref, le soutien social est
aussi un élément permettant d'asseoir le pouvoir de l'acteur assumant cette
fonction et sa capacité à adopter un comportement déviant considéré, au moins
dans une certaine mesure, comme légitime.
Ces trois variables ont été testées lors de l'enquête par questionnaire menée sur la
base du modèle de Karasek. Les facteurs du modèle de Karasek permettent de faire
le lien entre un vécu du travail (psychologique et sociologique) et les effets que ces
facteurs peuvent avoir sur l’efficacité et la santé du salarié. Le modèle de Karasek
comporte trois dimensions: la charge de travail, l'autonomie et le soutien social. La
charge de travail est évaluée par la quantité de travail, son intensité et son caractère
plus ou moins morcelé tels qu’ils sont ressentis par les répondants. L’autonomie
renvoie aux marges de manœuvre dont le salarié estime disposer pour peser sur les
décisions dans son travail, aux possibilités d’utiliser et aussi de développer ses
compétences. Et le soutien social décrit l’aide dont peut bénéficier le salarié, de la
part de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues. Les résultats de l'enquête
par questionnaire sur les trois variables sont présentés dans le tableau 1.
Tableau 1 : Différences de vécu du travail sur les offices, en comparaison aux
données SUMER 2003 (population cadre)*.
Charge
de
Soutien
travail
Autonomie social
Homme 26,5
64,9
23,15
Back-office
Femme 26,8
63,7
22,8
Homme 26,2
65,7
22,9
Middle-office
Femme 25,6
64,0
21,6
Homme 25,6
75,1
24,6
Front-office
Femme 25,4
74,2
23,6
77,6
23,3
SUMER
cadre Homme 23,5
(2003)
Femme 22,2
78,1
23,3
*Les résultats sont analysés également en fonction du sexe, car les études sur les
questionnaires Job Content montrent des différences de vécu du travail suivant cette
variable (Niedhammer, David & Degioanni, 2006).
Les résultats en termes de variance sont statistiquement significatifs sur les trois
variables.
- Concernant la charge de travail, les répondants ont de manière générale un score
plus important que le score moyen des participants cadre de l’enquête nationale
SUMER (effet statistique à 2% d’erreur) et les femmes et les hommes du backoffice estiment leur charge de travail à un niveau encore plus élevé (effet
statistique à 1% d’erreur).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
234
- L'autonomie est globalement perçue comme significativement moins grande pour
l'ensemble des répondants par rapport aux participants cadre de l'enquête
nationale SUMER (effet statistique à 2% d’erreur) mais il faut noter qu'elle est
perçue comme significativement moins grande chez les répondants du backoffice et du middle-office par rapport aux répondants du front-office.
- Enfin, sur le soutien social, les scores sont comparables à ceux de l'enquête
SUMER, mais les différences entre les offices sont significatives: les participants
du middle office ont un score de soutien social significativement plus faible que
celui des participants des autres offices (effet statistique à 1% d’erreur) et les
participants hommes du front office ont un score de soutien social
significativement plus important que celui des autres participants de l’échantillon
(effet statistique à 1% d’erreur).
Ces résultats indiquent ainsi que les salariés du front office ressentent bénéficier
de plus d’autonomie que les autres salariés, alors même qu’ils sont censés être les
plus contrôlés dans l’organisation. Ce sentiment d'autonomie et de liberté est perçu
comme central dans la définition de l'identité des traders du front-office, d'après les
discussions informelles que nous avons eu avec les traders. Cette autonomie relative
des traders du front-office donne ainsi la possibilité d'adapter les règles, voire de les
transgresser (Monin, 2008) malgré les autorités de contrôle externe (Lenglet, 2009)
et les dispositifs de contrôle mis en place par le back-office et le middle-office.
La question posée ici est celle de l'effectivité des contrôles et notamment du
contrôle interne par le back-office et le middle office. Les résultats de notre enquête
par questionnaire ainsi que les travaux de Godechot (2008) montrent que les salariés
du back-office et du middle-office expriment un manque de considération et de
reconnaissance de leur travail et de leur rôle. Les résultats de notre questionnaire
révèlent que le back-office (42,2%) et le middle-office (46,7%) ont plus souvent le
sentiment que leur rôle n’est pas compris par les autres offices, que le front office
(25,6%). La coopération entre les différents offices est perçue par ailleurs comme
moins bonne par le back-office (33,1%) et le middle-office (28,8%) que le front
office (19,1%), voire que les relations entre les différents offices ne sont pas
respectueuses (pour 4 répondants sur 10 du back-office). Ces résultats rejoignent les
observations de Godechot (2008, p.212) qui mentionnent le manque de
considération des traders à l'égard des salariés du middle- et du back-office :
"Généralement, lorsque les techniciens du back demandent des explications aux
traders et aux vendeurs du front, on les toise un peu, on moque leur absence de
compréhension des transactions, on les admoneste et on reporte facilement sur eux
la pression du marché". Ce manque de considération est associé, selon Godechot
(2008), aux configurations du travail des salariés du back-office (un travail
administratif d'enregistrement des transactions avec une division poussée du travail
maintenant les salariés du back-office dans une certaine ignorance de la complexité
par rapport aux traders du front-office), mais aussi à une valorisation parallèle des
salariés du front-office (voir infra). Ainsi, face à ce sentiment de manque de
reconnaissance et de respect du travail des salariés du back office et du middle office
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
235
par leurs collègues du front office, comment ces derniers peuvent-ils être les garants
de l’efficacité du contrôle et de la régulation du risque ? Godechot (2008, p.212)
souligne en effet que certains salariés du back-office adoptent des "formes de retrait"
se contentant d'entériner les propositions du front-office et d'effectuer les contrôles
minimum pour éviter les relations désagréables avec le front-office.
Parallèlement, le sentiment d'autonomie des traders est renforcé par le
soutien social dont ils bénéficient, et en particulier celui de la direction et de la ligne
managériale. Les résultats de notre questionnaire montrent en effet que les salariés
du front-office reçoivent un soutien de l'organisation. Les opérateurs du front office
sont considérés comme des contributeurs directs de la valeur ajoutée financière de la
banque d’affaire tandis que les salariés des fonctions support (back et middle) sont
considérés par les opérateurs comme des centres de coûts dont la principale mission
est de minimiser les coûts (par exemple en augmentant la productivité par
l’informatisation croissante des contrôles) pour ne pas dégrader les résultats.
"La division du monde entre les 'centres de profit" (le front) et les 'centres de coûts'
(les supports) est extrêmement prégnante. Les premiers sont vus comme les seuls à
apporter de l’argent, et les seconds, chargés justement de la comptabilisation des
transactions et de l’évaluation du risque, sont vus comme des personnes nécessaires
mais qui ne peuvent pas grand-chose au profit. La proximité au profit fait la
noblesse et ipso facto les salariés des supports sont subordonnés à ceux du front et
doivent œuvrer à minimiser les coûts pour ne pas empiéter sur leurs profits."
(Godechot, 2008, p.212)
Cette différence de légitimité en faveur des traders contribue à développer
une hiérarchisation des rôles au détriment des salariés du back-office et du middleoffice et renforce l'autonomie des traders et leur capacité transgressive considérée,
de ce fait, comme légitime.
Considérant ces conditions de travail relatives à l'autonomie et à la
légitimité des rôles, qu'en est-il des perceptions par les acteurs des possibilités de
déviance? Les quelques échanges que nous avons pu avoir avec des salariés des
différents offices nous indiquent qu’effectivement, les salariés du front vivent
souvent les salariés du back et du middle comme contraignants. En fait, la plupart
des salariés du front office savent qu’ils doivent pouvoir disposer d’un minimum de
latitude pour s’imposer sur le marché de la finance. Leurs résultats dépendent du
niveau de prise de risque qu’ils peuvent avoir. Cependant les résultats de l'enquête
par questionnaire révèlent une différence d’évaluation de la situation selon les
participants. Ainsi, les participants du back-office (41,6%) et du middle-office
(43,9%) estiment plus souvent que les participants du front-office (26,5%) qu’il
existe une règle de tolérance implicite pour les éventuelles anomalies constatées.
Cependant les participants du front office savent que ces anomalies existent. Ainsi 3
participants sur 10 du front-office estiment que les collaborateurs des salles des
marchés agissent à la limite des règles déontologiques et ne sont pas sanctionnés.
Plus étonnant, 8% des participants du front-office estiment qu’ils doivent avoir des
comportements à la limite des règles pour être bien évalués par leur supérieur
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
236
hiérarchique. Par ailleurs, 16 % des participants du front-office estiment que le
système de rémunération incite à avoir de tels comportements.
La salle des marchés semble avoir un fonctionnement paradoxal : les
instances de contrôle ont une perception moindre de latitude décisionnelle que les
opérateurs. En fait, il paraît quasiment impossible de contrôler entièrement le travail
d’un opérateur du front office, celui-ci pouvant utiliser, comme l’a fait Kerviel, des
stratégies de contournement de la règle (Monin 2008). Il n’est pas rare que les
salariés du middle office, qui ont bien souvent un niveau scolaire équivalent à ceux
du front office, arrivent à évoluer vers une fonction de front office. Ce type de profil
connaît donc parfaitement les failles du système permettant de contourner le
système. Il sait également, que plus la prise de risque est importante, plus le bonus le
sera également (Godechot, 2008). Au final, la logique du résultat pousse les
opérateurs du front à jouer avec les règles, ce qui définit par ailleurs leur différence
identitaire avec les salariés du back et du middle office.
L'analyse des conditions de travail montre ainsi qu'au-delà des précautions
de contrôle qui sont prises par la salle de marché, la configuration des relations de
travail, en termes d'autonomie et de légitimité accordée aux salariés du front-office,
autorise les comportements de déviance légitime. Ceux-ci sont également rendus
possibles par les conditions de rémunération.
Des conditions de rémunération et de mobilité renforçant la valorisation des
traders
Au-delà des conditions de travail, les conditions de rémunération et de
mobilité contribuent également à renforcer, chez les traders, le sentiment de
légitimité de leur rôle et des possibilités de transgression légitime des règles.
Les modes de rémunération, en tant que mécanismes incitatifs, doivent
effectivement être considérés à la fois de manière absolue comme influençant les
comportements des traders (Monin, 2008119) mais également de manière relative,
c'est-à-dire par rapport aux dispositifs incitatifs applicables aux autres salariés, en
l'occurrence du middle- et du back-office. Les résultats de notre enquête exploratoire
ainsi que les études menées par Godechot (2006, 2008) sur les modes de
rémunération montrent qu'existent d'importantes disparités salariales entre les
salariés des différents offices des salles de marché.
Selon les déclarations des répondants à notre enquête exploratoire (voir
tableau 2), il existe des différences significatives de rémunération entre les trois
catégories de salariés de la salle des marchés.
Tableau 2 : Rémunération déclarée par les participants suivant l’office* **
119
"Il n'est donc pas certain qu'il faille à tout prix chercher à concevoir des codes et procédures de
surveillance formalisés de plus en plus détaillées et de plus en plus strictes. Peut-être faudrait-il plutôt
regarder du côté de la structure des incitations : de quels critères dépendent la rémunération, la
reconnaissance et l'avancement de carrière des traders et de leur hiérarchie?" (Monin, 2008, p.134)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
237
Back
office
Entre
1500 et
2499
euros
Entre
2500 et Entre 3500
3499
et 5000
euros
euros
2,60%
66,20%
14,90%
0,50%
56,10%
25,90%
Entre 5000
euros et
8000 euros
Plus de 8000
euros
13,60%
2,60%
0%
13,20%
2,80%
0,50%
Front
Office
Middle
office
Moins de
1500
euros
0,50%
8,60% 36,40%
29%
19,40%
4%
*les pourcentages manquant correspondent aux salariés n’ayant pas souhaités
répondre.
**Salaire net mensuel, hors primes liées aux résultats et hors intéressement
Nous observons ainsi que les participants du back et du middle ont un
salaire compris entre 1500 et 2499 € lorsque la majorité des participants du front
gagnent plus de 2 500 €. Nous pouvons donc supposer que les salaires sont
largement supérieurs dans le front office. Par exemple, 2 participants sur 10 du front
office gagnent plus de 5000 €, ce qui correspond en chiffre absolu à 76 salariés
gagnant l’équivalent d’un salaire de PDG de moyenne entreprise. 13 participants
(4%) du front office ont un salaire de plus de 8 000€ net mensuel.
Comme l’indique Godechot (2006, 2008), l’essentiel des différences de
rémunération est dû aux différences de bonus entre les différents métiers:
"Le bonus moyen des traders et des vendeurs est quatre fois le fixe moyen. Ce ratio
tombe à 2,5 pour les ingénieurs financiers, il passe à 0,8 pour les analystes et
descend régulièrement en fonction de la hiérarchie des rémunérations totales pour
atteindre 0,34 pour les contrôleurs des risques" (Godechot, 2008, p.206).
Les résultats de notre enquête exploratoire concernant les bonus montrent également
d'importantes différences entre les trois catégories de salariés (voir tableau 3).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
238
Tableau 3 : Bonus déclaré par les participants suivant l’office* **
Entre
Entre
Je n'ai
10% et 50% et
pas de Moins
Plus de 100%
100%
de 10% 50%
bonus
Back office
12,30%
44,80%
37,70%
4,50%
0,00%
Middle office
7,50%
30,20%
51,40%
4,70%
1,90%
3,70%
4,90%
23,80%
23%
42,80%
Front office
*les pourcentages manquant correspondent aux salariés n’ayant pas souhaités
répondre (N : 82).
**pourcentage annuel représenté par le bonus.
Ces différences de bonus s'expliquent selon Godechot (2006), non pas dans
les différences de caractéristiques des salariés (liées au diplôme, aux compétences),
mais plutôt dans la capacité des traders à dégager des profits et surtout à menacer de
les exporter vers d'autres salles de marchés concurrentes120.
Les différences de bonus entre les participants des différents offices laissent
supposer qu’il existe un « monde » entre ces différents salariés. Ainsi 42,80% des
participants du front office gagnent annuellement plus de 100% de leur salaire. Par
exemple, les chiffres officiels de l’entreprise montrent que la rémunération des
traders peut facilement dépasser les 200000€, primes inclues.
Les différences de traitement salarial révèlent très clairement la différence
de rapport de pouvoir au sein des salles des marchés entre les trois catégories de
salariés, mais également en termes de rapport de force entre employeur-salarié ou
direction-trader. Comme le souligne Godechot (2006, p.2), les capacités de
génération de profit donnent la possibilité aux traders d'acquérir des quasi-droits de
propriété sur les actifs collectifs de l'entreprise qui leur procurent un rapport de force
favorable et rendent légitimes leurs prétentions salariales. Les traders ont ainsi une
capacité de "hold-up" sur les directions (Godechot, 2006) renforçant leur légitimité
et leur possibilité de s'affranchir des règles par des comportements déviants mais
acceptés.
Les conditions de mobilité entre les différents offices d'une salle de marché
viennent conforter ce rapport de forces favorable aux traders. Comme le montre
Godechot (2008), face à ces différences salariales mais également face aux
différences de reconnaissance (voir supra), certains salariés du back-office, mais
120
"les différences de rémunération sont essentiellement dues d’une part aux capacités différentes à
transporter l’activité financière dans une autre entreprise et d’autre part à la rentabilité de l’activité
financière transportée. Les métiers où l’on ne peut transporter ailleurs l’activité collective reçoivent des
bonus beaucoup plus faibles." (Godechot, 2008, p.206).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
239
surtout du middle-office, souhaitent évoluer vers des fonctions du front-office121.
Cependant, les règles informelles de mobilité du middle-office vers le front-office
qui s'effectue par cooptation révèlent là encore le rapport de force en faveur des
salariés du front-office. Les contrôleurs de risque du middle-office n'ont donc pas
intérêt, s'ils souhaitent intégrer le front-office, à être en opposition avec les traders et
les vendeurs du front-office.
"Le passage du contrôle des risques au front-office dépend d’un processus de
recrutement interne par cooptation, où les membres du front-office détiennent en fait
l’essentiel du pouvoir de recrutement. Cette polarisation de la structure autour du
front-office incite donc les salariés du contrôle des risques à ne pas être trop
critique à l’égard des personnes dont ils aimeraient bien qu’elles deviennent leurs
futurs employeurs. La dépendance à l’égard du front est plus grande encore pour les
métiers un peu moins techniques comme les cadres chargés de middle-office, dans la
mesure où le passage au front dépend plus directement encore des opérateurs
financiers auxquels ils sont exclusivement dédiés pour enregistrer et contrôler leur
transaction. L’espoir de passer de l’autre côté de la barrière magique qui sépare le
front-office des services de support ne donne pas l’envie aux contrôleurs de se
fâcher avec ceux qu’ils contrôlent." (Godechot, 2008, p.213)
Dans un environnement hyper-régulé, les salariés devant être les plus
régulés (le front office) bénéficient donc globalement de grandes capacités
d'autonomie et d'une forte légitimité reconnue à la fois par la direction et par les
collègues (du middle-office et du front-office) qui leur permettent d'obtenir des
conditions de rémunération très favorables, mais au-delà un certain pouvoir leur
autorisant certaines déviances légitimes. L’asymétrie sociale entre différentes offices
favorise un paradoxe rendant difficile, d’un point de vue psychologique, le travail
des salariés du back et middle office. Ce système permet sans doute aux traders de
pouvoir bénéficier de la latitude décisionnelle nécessaire à la prise de risque
financière, tout en permettant d’afficher un respect réglementaire.
Il convient de se questionner sur le contrôle par les salariés du front office
du niveau de risque pris par la banque d’affaires. Les directions ont elles réellement
le contrôle ? Il se peut que la vigilance des salariés du back- et du middle-office soit
parfois réduite pour rendre acceptable les actions du front office, ce stratagème
permettant de faire face à l’injonction de contrôler un système se rémunérant sur le
risque. Le système actuel pourrait être considéré comme une source de maitrise de la
situation. Comme l’indique Warren (2003), un comportement peut être considéré
121
"un certain nombre d’entre eux ont l’espoir de rejoindre le front-office, en particulier les salariés du
middle-office, qui leur sont proches physiquement et ceux du contrôle des risques, qui leur sont proches
scolairement et socialement. Ces derniers, des jeunes très diplômés, ont souvent fait des études de
mathématiques financières pour pouvoir apprécier les risques des produits avec les procédures adéquates.
De formation équivalente ou supérieure aux traders, ils ont souvent des rémunérations deux fois
inférieures à des opérateurs financiers juniors et dix fois inférieurs à des opérateurs financiers seniors. Un
tel différentiel de rémunération incite très fortement les salariés du contrôle des risques à devenir trader"
(Godechot, 2008, p.213).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
240
comme déviant par rapport à un groupe de référence mais légitime par rapport à un
autre groupe de référence. Les salariés du back office peuvent considérer certaines
règles comme illégitimes tout en considérant la déviance comme un élément de
confort pour leurs conditions de travail.
Les différences de conditions de travail et de rémunération témoignent donc
d’un processus quotidien de transformation des règles organisationnelles en fonction
des attentes des différentes parties prenantes d’une salle des marchés. Cette
transformation s'opère par des comportements de déviance qui sont considérés
comme plus ou moins légitimes à un moment donné par des groupes d'acteurs
donnés. Comme l’indique Reynaud (1999), le désir de contrôle n’annihile jamais
complètement les comportements de déviance qui sont à l'origine de l'évolution des
règles organisationnelles.
CONCLUSION
Comme nous l’avons introduit en première partie, la déviance peut se
révéler relative en fonction des groupes de référence et doit être considérée par
rapport à un système régulé qui fait intervenir plusieurs acteurs individuels et
collectifs confrontant par leurs actions et décisions plusieurs légitimités (des règles
hétéronomes et des règles autonomes se confrontent donnant lieu à des
comportements déviants).
La seconde partie montre, à partir de l'analyse des règles de fonctionnement
d'une salle de marché, que les comportements de déviance trouvent en partie leurs
origines dans les situations de travail mais aussi dans les règles de gestion des
ressources humaines, en particulier les règles de rémunération et de mobilité. Ainsi,
les efforts pour réduire les comportements déviants par rapport aux règles de
déontologie professionnelle se trouvent relativisés par un rapport de force favorable
à une catégorie d'acteurs susceptibles de dévier. L’efficacité d’une organisation
dépend surement de la réduction de l’écart entre règles de contrôle et règles
autonomes mais avant tout de l'existence nécessaire de ces deux régulations assurant
la transformation des règles.
La pression est souvent très forte sur le management de proximité pour
réussir à gérer les tensions favorisées par cet écart. Quelques pistes nous semblent
envisageables pour aider les managers dans leur travail. Premièrement, il serait sans
doute intéressant de revaloriser le statut RH et les conditions de travail des salariés
du back et du middle office pour éviter les frustrations et l’envie. Il serait également
intéressant d’accepter que le niveau de risque soit plus directement géré par le front
office, afin de pouvoir diminuer l’écart entre règle autonome et règle de contrôle.
Les salariés du front office devraient être responsabilisés par le biais de primes
différées sur plusieurs années. Quelques banques d’affaires semblent aller dans ce
sens…
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
241
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Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
244
LA SATISFACTION AU TRAVAIL
Une conséquence du choix des outils statistiques et des
instruments de mesure en GRH
Katia IGLESIAS122, Olivier RENAUD123, & Franziska TSCHAN124
La satisfaction
au travail est un concept
central en gestion des
ressources
humaines.
Malgré cela les relations
trouvées
entre
ce
concept et d’autres
variables du champ
restent encore parfois
incertaines voire même contradictoires dans certains cas. Cet article relève trois
problèmes : le premier, pouvant affecter directement les liens entre la satisfaction au
travail et d’autres variables du champ, concerne les outils statistiques utilisés pour
analyser la satisfaction au travail. Pour discuter de ce point, nous évaluons les
besoins des chercheurs pour répondre à leurs questionnements, ainsi que les apports
122
Assistante doctorante, groupe de Méthodologie et Analyse de Données, section de psychologie de
l’Université de Genève, 40, Boulevard du Pont d’Arve, CH-1211 Genève 5. Katia.Iglesias@unige.ch,
http://www.unige.ch/fapse/mad/ Ses intérêts de recherches sont la satisfaction au travail, la justice
organisationnelle, la construction d'indicateurs sociaux et les modèles à effets mixtes. Katia Iglesias a
obtenu une licence en psychologie du travail et un postgrade en statistique à l'Université de Neuchâtel.
123
Professeur associé en statistique, groupe de Méthodologie et Analyse de Données, section de
psychologie de l’Université de Genève, 40, Boulevard du Pont d’Arve, CH-1211 Genève 5.
Olivier.Renaud@unige.ch, http://www.unige.ch/fapse/mad/; Ses recherches s’appliquent à évaluer et
améliorer diverses méthodes statistiques utilisées dans les différents champs de la psychologie, allant de
la recherche en ressources humaines aux neurosciences. Olivier Renaud a obtenu une maîtrise en
mathématiques et un doctorat en statistiques de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne.
124
Professeur ordinaire en psychologie du travail, institut de psychologie du travail et des organisations,
Université de Neuchâtel, Emile-Argand 11, CH-2000 Neuchâtel. Franziska.Tschan@unine.ch,
http://www2.unine.ch/ipto/. Ses intérêts de recherches sont notamment les processus de groupes et
d'équipe et la productivité, les facteurs humains en médecine, les interactions sociales au travail et les
émotions au travail. Franziska Tschan a obtenu un doctorat en phil. hist., ainsi que son habilitation à
l'Université de Berne.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
245
et limitations des différents outils statistiques utilisés. Les deuxièmes et troisièmes
problèmes touchent la satisfaction au travail elle-même et concernent la définition
ainsi que les instruments de mesure de la satisfaction au travail. Une fois ces
problèmes énoncés, sur la base d’un jeu de données empiriques et en utilisant les
outils statistiques adaptés pour répondre aux questions des chercheurs, nous avons
analysé quatre mesures de satisfaction au travail avec des modèles à effets mixtes.
Pour analyser ces dernières, deux groupes de déterminants ont été utilisés : des
facteurs liés au travail et des facteurs liés à la personne. Il ressort que pour les
déterminants fortement liés à la satisfaction au travail, les résultats sont proches pour
les quatre échelles de satisfaction au travail. Par contre, pour les variables
explicatives dont le lien avec la satisfaction au travail est plus faible, la
significativité va dépendre du choix de l’instrument de mesure de la satisfaction au
travail. Par conséquent, les différentes échelles de satisfaction au travail analysées
n’opérationnalisent pas la même définition de la satisfaction au travail.
La satisfaction au travail est une thématique centrale en gestion des
ressources humaines, plusieurs raisons pourraient expliquer cet engouement. Tout
d’abord, ce concept ne concerne pas uniquement les chercheurs étudiant les
organisations, mais également toute personne travaillant dans ces organisations. De
plus, il peut être vu comme un indicateur du fonctionnement des entreprises, comme
l’est la performance (Judge et al., 2001 ; M. M. Petty, McGee et Cavender, 1984).
Enfin la satisfaction ne touche pas uniquement la sphère du travail, mais a également
un impact sur la vie en général, dont la santé, en affectant la psychosomatisation
(e.g. Begley et Czajka, 1993) ou certains symptômes psychiques tel que la
dépression (e.g. Faragher, Cass et Cooper, 2005) ou l’état anxieux (e.g. Faragher et
al., 2005).
Il est donc essentiel de comprendre au mieux la satisfaction au travail ainsi
que les liens qu’elle peut entretenir avec les autres concepts en RH.
Malheureusement, ces liens sont tributaires des outils statistiques qui permettent de
les évaluer, ainsi que des instruments de mesures qui permettent d’opérationnaliser
les concepts et la définition de ces derniers. Ces problèmes seront discutés
théoriquement à l’aide d’un exemple, puis empiriquement.
SATISFACTION AU TRAVAIL
La satisfaction au travail fait partie des concepts les plus étudiés dans les
recherches en gestion des ressources humaines, aussi bien en tant que variable
d'intérêt que comme variable explicative (Brief, 1998 ; Judge et Bono, 2001 ;
Spector, 1997). Ainsi, depuis les années 30, plus de 10’000 études en lien avec la
satisfaction au travail ont été menées (Locke, 1976 ; Spector, 1997).
Deux groupes de facteurs en relation avec la satisfaction au travail ont
principalement été étudiés. Le premier groupe a trait aux facteurs liés à
l'environnement de travail lui-même comme par exemple les caractéristiques de
Hackman et Oldham (1976), définies sur la base de cinq éléments : variété des
compétences (nombre de compétences nécessaires), identité de la tâche (tâche faite
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
246
dans sa globalité ou partiellement), sens de la tâche (impact sur les autres
personnes), autonomie (liberté pour exécuter son travail) et feedback sur le travail
(retour sur le bon déroulement de la tâche). Il existe une multitude de facteurs liés à
l’environnement, dont notamment les rôles dans l’entreprise avec l'ambiguïté de rôle
(à quel point un employé est sûr de connaître ses fonction et ses responsabilités) et le
conflit de rôle (lorsque l'employé se trouve face à des demandes incompatibles). Les
facteurs psychosociaux au travail définis par Karasek et al. (1998) sont aux nombres
de trois dimensions : la demande psychologique, la latitude décisionnelle (composée
de deux sous-dimensions : l’utilisation des compétences et l’autonomie
décisionnelle) ainsi que le soutien social au travail (lui-même composé de deux
sous-dimensions : relation avec la hiérarchie et relation avec les collègues) ; enfin, la
justice organisationnelle usuellement définie en trois dimensions : la justice
distributive, la justice procédurale et la justice interactionnelle (Colquitt et al.,
2001).
Le deuxième groupe de facteurs contient les facteurs propres à la personne
comme le sexe, l'âge, les dispositions affectives définies par Watson, L. A. Clark et
Tellegen (1988) composées de deux facettes : l'affectivité positive (PA, tendance à
expérimenter un engagement et un enthousiasme agréables dans de nombreuses
situations) et l'affectivité négative (NA, la tendance à expérimenter des émotions
négatives telles que l'anxiété ou la dépression dans de nombreuses situations) ;
l’évaluation centrale, qui dépend de quatre éléments constituant le noyau central de
l'auto-évaluation : soit l'estime de soi, l'auto-efficacité (la capacité à mobiliser la
motivation, les ressources cognitives et les actions nécessaires afin de contrôler les
événements de la vie), le lieu de contrôle (représentant la perception du degré de
contrôle de sa vie : une personne avec un lieu de contrôle interne croit qu'elle a la
capacité de contrôler sa vie, par opposition au lieu de contrôle externe où ce sont les
autres, le hasard, la destinée, qui sont perçu comme les facteurs contrôlant) et
l'absence de névrotisme (e.g. Judge, Bono et Locke, 2000 ; Judge, Locke et
Durham, 1997).
Malgré les centaines d’études menées sur la satisfaction au travail et après
plus de 80 ans de recherches, ce champ mérite encore quelques attentions. En effet,
certains chercheurs ont, par exemple, trouvé un lien positif entre la satisfaction au
travail et le travail à temps partiel (Eberhardt et Shani, 1984 ; Fenton-O'Creevy,
1995) alors que d’autres ont trouvé un lien négatif (e.g. Hall et F. E. Gordon, 1973 ;
Miller et Terborg, 1979) ou encore, une absence de lien (Steffy et Jones, 1990 ;
Thorsteinson, 2003). De plus, certains chercheurs trouvent des liens forts entre la
satisfaction au travail et certaines variables comme la performance (e.g. Judge et al.,
2001; Petty et al., 1984), alors que d’autres trouvent peu ou pas de liens avec cette
même variable (e.g. Brayfield et Crockett, 1955 ; Iaffaldano et Muchinsky, 1985).
Ce ne sont que deux exemples parmi d’autres. Ainsi, la force et le sens des relations
avec la satisfaction au travail peuvent varier fortement en fonction des variables
explicatives. Ceci peut s’expliquer par le fait que plusieurs problèmes subsistent
encore dans le champ de la satisfaction au travail, problèmes qui pourraient avoir
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
247
comme conséquence de diminuer ou de modifier la force des liens trouvés dans les
différentes études menées entre la satisfaction et les variables du champ.
Les problèmes liés à la relation entre la satisfaction au travail et ses
déterminants : les différentes modélisations et leurs conséquences
Le premier problème pouvant affecter directement les liens entre la
satisfaction au travail et d’autres variables du champ concerne les outils statistiques
utilisés pour analyser la satisfaction au travail. Ce problème est peu discuté dans la
littérature, mais il est essentiel. En effet, il est important que les outils utilisés
correspondent aux données du domaine. Ainsi, le premier but de cette étude est de
présenter ce dont les chercheurs auraient besoin pour répondre à leurs
questionnements. Nous allons discuter l’utilisation de certaines analyses, pour
lesquelles, nous ferons le point sur ce qu’elles permettent de faire et sur leurs
limitations.
Prenons deux chercheurs, A et B, qui sont tous deux intéressés par la
satisfaction au travail. Ils décident de mener chacun leur propre étude. Le chercheur
A a lu dans la littérature que le Minnesota Satisfaction Questionnaire (MSQ, qui
comporte 20 questions dans la version courte) (D. J. Weiss et al., 1967) est un
indicateur usuellement utilisé pour mesurer la satisfaction au travail. Il le choisit
donc, ainsi que quelques déterminants, pour tenter d’expliquer sa variable d’intérêt.
Il fait passer son questionnaire auprès de 100 employés. Le chercheur B décide,
quant à lui, pour une question de coût, de prendre une échelle plus courte (5
questions) et choisit d’utiliser la satisfaction globale au travail (ESGT) de Blais,
Lachance et Riddle (1993) pour mesurer sa variable d’intérêt. Il sélectionne les
mêmes déterminants que le chercheur A et fait passer son questionnaire à 100 autres
salariés.
Idéalement, quels résultats souhaiterions-nous obtenir ? Premièrement, nous
aimerions que les résultats de nos deux chercheurs soient indépendants des sujets
interrogés, c’est-à-dire indépendants de l’échantillon. En effet, dans toute recherche,
pour deux échantillons de sujets d'une même population, nous aimerions obtenir les
mêmes résultats. Étant donné que le but de toute recherche est de pouvoir
généraliser les résultats à l’ensemble des sujets d’une population et ce,
indépendamment de l’échantillon choisi.
Si les échelles de satisfaction au travail mesurent effectivement le même
construit, nous aimerions que nos deux chercheurs arrivent aux mêmes résultats quel
que soit l’instrument de mesure utilisé (MSQ, ESGT). Il sera ainsi possible de
comparer les résultats d'études utilisant des échelles de satisfaction au travail
différentes.
En d’autres termes, un chercheur en gestion de ressources humaines qui
souhaiterait analyser la satisfaction au travail (ou tout autre concept de RH)
s’attendrait à ce que ses résultats ne dépendent ni de son échantillon, ni de son choix
de questionnaire.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
248
Une manière usuelle de traiter une échelle composée de plusieurs questions
est de créer un indicateur agrégé de l’échelle, c’est-à-dire de faire la moyenne ou la
somme des réponses aux différentes questions de l’échelle pour obtenir une valeur
par sujet. Ainsi, le chercheur obtient une variable d’intérêt, la satisfaction au travail,
variable continue (variable dépendante (VD)). Il aura probablement un ou plusieurs
prédicteurs (les déterminants ou les variables indépendantes (VI)) pour expliquer la
satisfaction au travail.
A partir de ces données, une régression linéaire multiple (RLM) peut être
appliquée afin de tester le lien entre la satisfaction au travail et les différentes VI.
Mais, la RLM permet-elle de généraliser à différents échantillons, ainsi qu’à
différents questionnaires comme les chercheurs en RH le souhaiteraient ? Pour
répondre à cette question, reprenons notre exemple. Le chercheur A a fait la
moyenne des 20 questions du MSQ, puis il a appliqué une RLM en utilisant cette
moyenne comme VD. Le chercheur B a fait la moyenne des 5 questions du ESGT et
a également utilisé une RLM pour analyser son indicateur composite de satisfaction
au travail. Dans l’estimation de la RLM, les tests statistiques tiennent compte de
l’échantillon et évaluent à quel point les résultats seraient différents si nous avions
un autre échantillon sur le même questionnaire. Ainsi, comme les deux chercheurs
travaillent sur deux échantillons différents, nous nous attendons à obtenir les mêmes
résultats. Mais cela n’est vrai que pour la même mesure de satisfaction au travail, ce
qui n’est pas le cas pour nos deux chercheurs qui travaillent sur deux échelles
différentes. La RLM ne peut donc pas garantir au chercheur B d’obtenir les mêmes
résultats que le chercheur A étant donné qu’ils n’utilisent pas la même échelle de
satisfaction au travail.
D’autre part, lorsque nous travaillons avec la RLM, nous sommes obligés
d’agréger les différentes questions de satisfaction au travail pour obtenir une seule
valeur par sujet. En procédant de la sorte, nous perdons de l’information à
disposition dans les données, celle concernant la variabilité intra-individuelle. En
effet, une personne qui aurait répondu cinq fois « moyennement satisfait » dans la
recherche du chercheur B, aura le même score qu’une personne qui aurait répondu
deux fois « très satisfait », deux fois « très insatisfait » et une fois « moyennement
satisfait ». Et pourtant, ce sont deux patterns complètements différents. Pour ne pas
perdre cette information, nous pouvons modéliser notre variable d’intérêt à l’aide de
modèles multi-niveaux (ou modèles hiérarchiques). Ainsi, le chercheur A aura, pour
chacun de ses participants, 20 réponses (les 20 questions composant le MSQ) qui
contribueront à parts égales à la mesure de la satisfaction au travail. Pour ces
données, deux niveaux coexistent : celui des sujets, appelé également niveau 2, ainsi
que les réponses aux questions de satisfaction au travail, appelé niveau 1 (cf.
illustration table 1). Les sujets sont modélisés comme un effet aléatoire (par
opposition à fixe). L’idée est que les 100 sujets de notre échantillon aient été tirés
aléatoirement de la population des sujets. Ainsi, les personnes de notre échantillon
sont censées être représentatives de la population, ce que les statisticiens définiraient
de la manière suivante : toutes les personnes de la population des sujets à laquelle
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
249
nous aimerions généraliser nos résultats ont une chance non nulle d’appartenir à
notre échantillon.
Niveau 2
sujet
Niveau 1
réponse
Sujet 1
Sujet 2
Sujet 3
…
Sujet i
…
…
…
…
…
…
Figure 1 : Représentation graphique d’un modèle hiérarchique à deux niveaux
Il est préférable pour plusieurs raisons d’utiliser des modèles multi-niveaux.
La première raison, déjà mentionnée, est d’éviter de perdre de l’information à
disposition dans les données. Une deuxième raison est que si nous avons des
informations au niveau des questions de satisfaction, il est possible de les inclure
dans le modèle. Ainsi, le chercheur A peut utiliser l’information concernant les
dimensions du MSQ. Ce dernier est composé de 4 dimensions : la satisfaction
intrinsèque, la satisfaction extrinsèque, l’autorité et l’utilité sociale, ainsi que le
besoin de reconnaissance par le salaire et l’avancement (Roussel, 1994). Pour
chacune de ces dimensions, il est possible d’estimer une moyenne, voire même
d’estimer des pentes différentes en fonction d’une VI.
Il est également possible de modéliser une moyenne par question (item) de
satisfaction au travail (ce qui en multi-niveau signifie traiter item comme fixe).
Notez qu’avec ce modèle, nous obtenons l’équivalent d’un modèle à équations
structurelles (SEM) avec comme facteur latent, la satisfaction au travail et comme
variables manifestes, les questions de satisfaction au travail, les saturations
(loadings) étant toutes fixées à 1, étant donné que chaque question de satisfaction au
travail contribue à part égale à la satisfaction au travail globale.
Nous avons mentionné que si le chercheur A décidait de modéliser une
moyenne par item, cela reviendrait à traiter item comme fixe. En choisissant de
traiter item fixe, cela indique qu’il n’y a qu’une seule et unique manière
d’opérationnaliser la définition de la satisfaction au travail. Dans la mesure où il
existe des centaines d’échelles mesurant la satisfaction au travail : 1) soit elles
mesurent toutes des construits différentes et dans ce cas, elles ne sont pas
interchangeables et il n’est donc pas permis de faire des méta-analyses sur des
recherches utilisant des indicateurs différents, 2), soit il s’agit bien de la même
définition, mais dans ce cas-là, en ne prenant pas item comme aléatoire, le test
statistique (la significativité) est faux (conservateur). Plus précisément, l’erreur de
type I sera plus grande que celle autorisée du seuil nominal de 5% (Baayen,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
250
Davidson et Bates, 2008 ; Iglesias et Renaud, 2010b ; Renaud et Ghisletta, 2010), ce
qui aura pour impact de biaiser les résultats des analyses.
Ainsi, les modèles multi-niveaux permettent uniquement de généraliser aux
échantillons, mais il n’est toujours pas possible de généraliser aux questionnaires.
Ainsi, rien n’assure que le chercheur A obtienne les mêmes résultats que le
chercheur B. Alors quelle modélisation choisir de telle sorte à pouvoir généraliser
aux sujets et aux items ? Il devient nécessaire d’utiliser un autre modèle multiniveaux : un modèle à effets mixtes avec effets aléatoires croisés (MEM, mixed
effets model). Comme pour le modèle multi-niveaux hiérarchiques, nous avons les
participants (niveau 2 sujet) et les réponses de satisfaction (niveau 1) et nous
rajoutons un niveau supplémentaire correspondant aux items (niveau 2 item) avec
l’idée que les réponses des sujets à la première question sur la satisfaction au travail
seront plus semblables entre elles qu’avec les réponses à la deuxième question, etc.
(cf. illustration table 2). Les effets sont dits aléatoires croisés par opposition à
aléatoires emboîtés dans les modèles hiérarchiques.
Dans l’estimation du MEM, les tests statistiques tiennent compte d’une part
de l’échantillon, en évaluant à quel point les résultats seraient différents si nous
avions un autre échantillon, et d’autre part du questionnaire, en évaluant à quel point
les résultats seraient différents si nous avions un autre questionnaire de satisfaction
au travail. Ainsi, si les différentes échelles de satisfaction au travail à disposition
dans la littérature mesurent toutes le même construit, c’est-à-dire la satisfaction au
travail globale, nous avons une grande probabilité de trouver les mêmes résultats à
l’aide de ces modèles, indépendamment de l'échelle choisie. Donc, en utilisant les
MEM, les deux chercheurs, bien qu’utilisant des échantillons différents et des
échelles de satisfaction au travail différentes, devraient obtenir les mêmes résultats.
Contrairement à quelques années en arrière, l’utilisation des MEM est actuellement
relativement simple et accessible dans de nombreux logiciel tel que, dans les
logiciels libres : R (package lme4) et dans les logiciels commerciaux : MLwiN ou
SAS et, dans une moindre mesure, SPSS. Pour plus d’informations concernant
l’application de modèles à effets mixtes avec sujet et item comme effets aléatoires
croisés, le livre de Baayen (2008) est un bon outil expliquant comment analyser les
données à l’aide de R.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
251
Niveau 2
sujet
Niveau 1
réponse
Niveau 2
item
Sujet 1
Sujet 2
Sujet 3
…
Sujet i
…
…
Question
1
…
…
Question
2
…
…
…
Question
j
…
Figure 2 : Représentation graphique d’un modèle croisé
avec sujet et item comme effets aléatoires croisés
Un autre point important à soulever en faveur de l’utilisation des MEM, en
plus de son pouvoir de généraliser aux questionnaires, est l’ajout de l’effet aléatoire
item qui permet d’expliquer une part non négligeable de la variance des données.
Cette constatation a pu être faite sur plus d’une vingtaine de bases de données pour
différentes mesures de satisfaction au travail (données non présentées ici). Ainsi, il
ne s’agit pas uniquement de généraliser aux échelles de satisfaction au travail, mais
bien de prendre en compte la structure inhérente des données pour ne pas biaiser les
résultats comme c’est le cas lorsque un niveau aléatoire est omis dans la
modélisation (Iglesias et Renaud, 2010b ; Meyers et Beretvas, 2006).
En résumé, un chercheur en gestion des ressources humaines qui utiliserait
les MEM aurait l’avantage, comme avec les multi-niveaux, de ne pas perdre
l’information concernant la variabilité intra-individuelle et de pouvoir ajouter des
informations au niveau des réponses. Mais, il lui sera également possible de
généraliser ses résultats à d’autres échantillons et à d’autres questionnaires. En
utilisant ces modèles pour analyser les différents instruments de mesure de
satisfaction au travail et si ces derniers mesurent bien tous le même construit, alors
nous devrions obtenir pour chaque indicateur de satisfaction au travail, des
déterminants avec un lien de même signe et de même grandeur. En d’autres termes,
les différentes échelles de satisfaction devraient être interchangeables et nous
permettre de trouver les mêmes résultats indépendamment du questionnaire choisi.
C’est pourquoi dans cette étude, nous allons analyser quatre indicateurs de
satisfaction au travail : l'ESGT, le MDQ, l'Echelle de satisfaction avec la vie
professionnelle de Fouquereau et Rioux (2002) et la Satisfaction au travail générale
de Baillod et Semmer (1994) à l’aide de MEM. En utilisant l’analyse adaptée, c’està-dire permettant de généraliser aux sujets et aux items de la satisfaction au travail,
nous pourrons nous pencher réellement sur le bien-fondé ou non des autres
problèmes abordés dans la littérature et présentés ci-après.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
252
Les problèmes liés à la satisfaction au travail même
Le deuxième but de cette recherche est de revenir sur deux autres
problèmes touchant la satisfaction au travail elle-même. En effet, il ressort dans la
littérature que la définition (Brief, 1998; Locke, 1969, 1976; Mignonac, 2004; H. M.
Weiss, 2002), ainsi que les instruments de mesure de la satisfaction au travail
(Scarpello et Campbell, 1983; Schleicher, Watt et Greguras, 2004; Van Saane,
Sluiter, Verbeek et Frings-Dresen, 2003) seraient un obstacle pour faire avancer
efficacement la recherche dans le domaine.
Un problème de définition ?
En 1969, Locke constatait un manque de progrès dans la compréhension de
la satisfaction au travail. Malgré près de trente ans de recherche, il n'était toujours
pas établi si la satisfaction au travail reposait sur le travail lui-même, sur les
employés ou sur l'interaction entre le salarié et son environnement (p.309). Il relevait
également que, dans les recherches qu'il a lui-même menées, la taille des relations
variait fortement et n'expliquait que très peu de variance, sans parler de la raison de
l’existence de ces relations (p.310).
Pour Locke, la raison majeure de ce manque de progrès est dû à la
focalisation sur le « comment mesurer la satisfaction au travail » qui amène à des
analyses corrélationnelles sans explication du phénomène. Il propose de se focaliser
plutôt sur « qu'est-ce que la satisfaction au travail » qu'il définit de la manière
suivante : « La satisfaction au travail est l'état émotionnel agréable résultant de
l'évaluation de son travail comme accompli ou facilitant l'accomplissement des
valeurs de son travail. L'insatisfaction au travail est l'état émotionnel désagréable
résultant de l'évaluation de son travail comme frustrant ou empêchant
l'accomplissement des valeurs de son travail ou entraînant des dévalues. La
satisfaction et l'insatisfaction au travail sont fonction de la relation perçue entre ce
qu'une personne a besoin dans son travail et ce qu'elle perçoit de lui comme offrant
ou comportant » (p.316). En résumé, nous distinguons trois points importants : 1) la
perception de certains aspects du travail, 2) le standard implicite ou explicite des
valeurs et 3) le jugement conscient ou inconscient de l'écart entre les perceptions et
les valeurs. Notons encore que cet écart dépend à la fois de sa propre grandeur et de
l'importance des différentes valeurs propre à chaque personne.
Cranny, Smith et Stone (1992) disent qu'il existe un consensus clair au
niveau de la définition de la satisfaction au travail : « une réaction affective (qui est
émotionnelle) à son travail, résultant de la comparaison inhérente des résultats avec
ceux désirés (attendu, mérité, etc.) » (p.1). Cette définition correspond à celle
énoncée par Locke suite à ses travaux (1969, 1976) : la satisfaction au travail est «
un état émotionnel agréable ou positif résultant de l'évaluation faite par une
personne de son travail ou de ses expériences au travail » (1976, p.1300). Pourtant,
ces dernières années, un nombre croissant de recherches soulignent les insuffisances
et les paradoxes de cette définition (Brief, 1998 ; Mignonac, 2004 ; H. M. Weiss,
2002).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
253
De nombreux auteurs ont mentionné que la satisfaction au travail doit être
traitée comme une attitude (Brief, 1998 ; Mignonac, 2004 ; Miner, 1992 ; Spector,
1997 ; H. M. Weiss, 2002 ; H. M. Weiss et Cropanzano, 1996 ; Wright, 2006). Pour
certains chercheurs, comme par exemple Locke, une attitude est équivalente à une
réponse émotionnelle. Mais ces définitions sont-elles équivalentes ? Pour répondre à
ces questions, il est nécessaire de revenir sur la définition d'une attitude.
Jusqu'à la fin des années 80, l'attitude était définie par les chercheurs de la
psychologie sociale en fonction de trois dimensions : une dimension cognitive (les
croyances), une affective et une conative (les comportements). Cette définition de
l'attitude pourrait expliquer l'amalgame fait entre réponse affective et attitude. Suite
à plusieurs études (Brief et Robertson, 1989 ; Olson et Zanna, 1993 ; R. E. Petty,
Wegener et Fabrigar, 1997), ce modèle tridimensionnel a été revu et depuis, les trois
dimensions ne sont plus vues comme des composantes de l'attitude, mais comme des
causes et des conséquences d'une évaluation (Ajzen, 2001). Il est maintenant
communément accepté que l'attitude soit une évaluation globale d'objets. Au vu de
cette nouvelle définition de l'attitude, la satisfaction au travail peut être définie
comme une évaluation de son travail ou de sa situation au travail et la réponse
affective à l'objet est bien reliée à l'évaluation de l'objet et donc à la satisfaction au
travail, mais il s'agit de deux construits distincts (Brief et Robertson, 1989 ; Fisher,
2000 ; Mignonac, 2004 ; Trafimow et Sheeran, 1998). La littérature va dans le sens
de l'infirmation de la définition d'une attitude en termes de réponse émotionnelle.
Les problèmes liés aux instruments de mesure
Ainsi, il semble exister un consensus quant à la définition de la satisfaction
au travail en tant qu’attitude. Par contre, il n’est pas si clair que la définition de
l’attitude choisie par les chercheurs fasse, elle, l’unanimité. Dans ce cas, nous
pouvons nous demander dans quelle mesure l'opérationnalisation du concept a été
affectée. C'est pourquoi il est important de se pencher sur la manière usuelle de
mesurer la satisfaction au travail, les types de mesures existantes, leur validité et ce
qu’elles mesurent réellement : cognition, affect ou conation.
Pour mesurer une attitude, il est courant de demander aux personnes
interviewées de placer l'objet de l'évaluation sur une échelle. Deux formats d'échelle
habituellement utilisés sont les échelles de Likert (Likert, 1932) (le fait d'être en
accord avec un item indique une attitude favorable ou défavorable envers l'objet) et
l'échelle sémantique différentielle (Osgood, Suci et Tannenbaum, 1957) (échelle
bipolaire avec des adjectifs contrastés (p.ex. : bien-mal) à chaque extrémité avec une
position neutre (0) au centre de l'échelle).
Il existe une multitude d'échelles (comprenant entre un et des dizaines
d'items) mesurant la satisfaction au travail. Une manière de les classer est de séparer
les échelles mesurant la satisfaction au travail par facettes (e.g. Le MSQ, le JDI: job
descriptive index (Smith, Kendall et Hulin, 1969) ou le JSS: job satisfaction survey
(Spector, 1985)), des échelles mesurant la satisfaction au travail de manière globale
(p.ex. : l'échelle de Hoppock (1935), les visages de Kunin (1955), l’échelle de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
254
satisfaction globale au travail (Blais, Lachance et Riddle, 1993), la satisfaction au
travail de Baillod et Semmer (1994) ou l’échelle de satisfaction avec la vie
professionnelle (Fouquereau et Rioux, 2002)). Certaines échelles mélangent les deux
approches (p.ex. : le JDS: Job Diagnostic Survey (Hackman et Oldham, 1975)).
L'approche par facettes a pour but de définir quelle dimension du travail produit de
la satisfaction ou de l'insatisfaction, ce qui est possible lorsque les facettes sont
analysées séparément. Lorsque les différentes facettes sont agrégées pour mesurer la
satisfaction générale au travail, Scarpello et Campbell (1983) on trouve pour de
nombreuses échelles à facettes une corrélation assez faible avec une mesure de
satisfaction générale au travail, ce qui peut s'expliquer par le fait que les différentes
facettes mesurées ne tiennent compte que d'un sous-ensemble des facettes de la
satisfaction au travail (Scarpello et Campbell, 1983). Ainsi, il semblerait que les
deux approches ne soient pas équivalentes et que les mesures par facettes ne
constituent pas la meilleure approche pour analyser la satisfaction générale au travail
(Brief, 1998). Notons que les échelles mesurées sur la somme des facettes corrèlent
plus fortement avec la satisfaction générale au travail que les échelles de satisfaction
au travail focalisées sur le travail lui-même (Wanous, Reichers et Hudy, 1997).
Comme mentionné précédemment, les échelles globales de satisfaction peuvent
contenir soit un, soit plusieurs items. L'utilisation d'un seul item (p.ex. : « Encerclez
le visage qui décrit le mieux comment vous vous sentez par rapport à votre travail en
général » (Kunin, 1955)), bien que très souvent utilisée, a fortement été critiquée en
raison de la faible fidélité de la mesure. Plusieurs auteurs sont revenus sur cette
critique et ont montré qu'au contraire un unique item de satisfaction générale au
travail était fidèle (Dolbier et al., 2005 ; Nagy, 2002 ; Scarpello et Campbell, 1983 ;
Wanous, Reichers et Hudy, 1997). Il est donc acceptable d'utiliser un seul item
général, par exemple pour une question de place, de coût ou pour mesurer le
changement. Cependant en aucun cas il ne remplacera une échelle avec plusieurs
items validés (Wanous, Reichers et Hudy, 1997). En effet, comme le mentionne
Spector (1997), la mesure de plusieurs items est plus fiable qu'une unique mesure
(moins sujette aux erreurs : le répondant comprend différemment la question
qu'attendu, le répondant indique une réponse erronée, le répondant lit mal la
question, etc.) car plus l’échelle comporte d'items, moins l'inconsistance d'une
réponse affectera la mesure générale.
De nombreuses études ont été menées en ce qui concerne la fiabilité et de la
validité des instruments mesurant la satisfaction au travail, (e.g. Agho, Price et
Mueller, 1992 ; Brooke, Russel et Price, 1988 ; Cook et al., 1981 ; Mathieu et Farr,
1991 ; Smith, Kendall et Hulin, 1969). Une étude particulièrement intéressante
reprend 29 échelles de satisfaction au travail relevées dans la littérature entre 1988 et
2001 et analyse le niveau de leur validité et de leur fidélité. Seules 7 échelles
atteignent les standards définis par les auteurs dont le JSS et le JIG. Il est étonnant
de voir que le JDI, qui est un des indicateurs de satisfaction au travail classiquement
utilisé, ne satisfait pas les critères de validité (Van Saane et al., 2003).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
255
Parler de validité revient à se demander si notre indicateur mesure bien ce
qu'il cherche à mesurer. Mais que devrait mesurer le concept de satisfaction au
travail ? Une réponse affective ? Une évaluation globale ? Organ et Near (1985) ont
soulevé cette importante question d'ordre méthodologique : les mesures classiques
de la satisfaction au travail parviennent-elles à prendre en compte à la fois
l'évaluation affective et l'évaluation cognitive ? Ils s'attendent à ce que ça ne soit pas
le cas et que les mesures soient plutôt des évaluations cognitives. La seule recherche
qui a tenté de répondre à cette question est celle de Brief et Robertson (1989). Ils ont
montré que le MSQ et le JDI évaluent les cognitions tandis que l'échelle des figures
de Kunin (1955) évalue les affects et les cognitions. Au vu de ces résultats, si la
satisfaction au travail est une réponse affective comme définie par Locke (1976),
alors le MSQ et le JDI, échelles habituellement utilisées, mesurent mal le concept. Si
la satisfaction au travail est une évaluation affective et cognitive du travail ou de la
situation au travail, il manque des mesures d'évaluations affectives pour mesurer
pleinement le concept. Dans les deux cas, ces deux échelles utilisées posent
problème. Nous pouvons nous demander ce qu'il en est pour les autres échelles
mesurant la satisfaction au travail.
Les problèmes liés à la définition et aux instruments de mesure de la
satisfaction au travail ne sont pas sans conséquence sur la détermination des
variables explicatives de ce concept. En effet, si nous prenons comme définition de
la satisfaction au travail, l'évaluation cognitive et affective du travail ou de la
situation de travail et sachant que l'évaluation affective et l'évaluation cognitive ne
sont pas forcément similaires et sont susceptibles d'avoir des déterminants et des
causes différentes (Brief, 1998 ; Kraus, 1995), alors le choix d'une échelle mesurant
l'évaluation cognitive comme le MSQ ou celui de l'échelle des figures de Kunin
n'aboutira pas forcément aux mêmes découvertes.
Un autre point pouvant être un problème potentiel dans la recherche sur la
satisfaction au travail est celui de la quantité de mesures différentes existant pour
mesurer la satisfaction. Entre 1976 et 1978, sur 191 études et dans 5 journaux,
O'Connor, Peters et S. M. Gordon (1978) ont recensé 95 échelles différentes de
satisfaction au travail. Cette multitude d’indicateurs différents de satisfaction au
travail n’est pas elle non plus sans conséquence sur la découverte de liens dans le
champ. Nous reviendrons plus en détail sur ce point dans la prochaine section.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
256
MATÉRIEL ET MÉTHODES
L’échantillon
L’échantillon est constitué de 301 employés de la fonction publique en
Suisse Romande regroupant des postiers (48), des secrétaires (103), des agents de
détentions (44) et des assistants d’enseignement et de recherche (106). Ils sont âgés
entre 18 et 65 ans (avec une moyenne de 38,01 ans et un écart-type de 11,01).
L’échantillon est formé de 171 femmes et 127 hommes (3 participants n’ont pas
mentionné leur groupe d’appartenance). Le taux d’occupation s’étend de 20 à 100%
(M=86,19 %, SD=19,05 %) et 59,00 % des participants travaillent à plein temps.
Les instruments de mesure
La satisfaction au travail a été mesurée à l’aide de quatre indicateurs
différents : une échelle à facette : le MSQ, validée en français par Roussel (1994) et
trois échelles globales : l’Echelle de vie professionnelle (ESVP) (Fouquereau et
Rioux, 2002), l’ESGT et l’Echelle de Satisfaction au travail générale (PUR) (Baillod
et Semmer, 1994), traduite et utilisée par l’Institut de Psychologie du Travail et des
Organisation de l’Université de Neuchâtel.
Pour mesurer l’évaluation du travail, différents questionnaires ont été
utilisés : le Job Content Survey de Karasek et al. (1998) contenant trois dimensions :
la demande psychologique, la latitude décisionnelle (contenant deux sousdimensions : l’autonomie de décision et l’utilité des compétences) et le soutien
social (contenant deux sous-dimensions : le soutien des collègues et le soutien du
supérieur hiérarchique), validé en français par Niedhammer et al. (2006) ; le Job
Descriptive Survey de Hackman et Oldham constitué de 5 échelles : la variabilité
des tâches, l’identité de la tâche, la significativité de la tâche, l’autonomie et le
feedback du travail, validé en français par Mottay (1999) ; les échelles de conflit et
ambiguïté de rôle de Rizzo, House et Lirtzman (1970) validées en français par
Lachance, Tétreau et Pépin (1997) ; la justice organisationnelle en quatre
dimensions (Iglesias et Renaud, 2010a) : la justice distributive, la justice
procédurale, la justice interpersonnelle verticale et la justice interpersonnelle
horizontale ; la mesure de confiance en trois dimensions (Nasr, 2004) : la confiance
en l’organisation, la confiance en son collègue direct et la confiance en son supérieur
hiérarchique.
Pour mesurer l’évaluation de la personnalité, nous avons utilisé : la PANAS
(Watson, L. A. Clark et Tellegen, 1988), validée en français par Gaudreau, Sanchez
et Blondin (2006) contenant deux dimensions : l’affectivité positive et l’affectivité
négative ; l’estime de soi de (Rosenberg, 1965) validée en français par Vallières et
Vallerand (1990) ; le lieu de contrôle de Levenson (1973) en trois sous-dimensions :
le lieu de contrôle interne, le lieu de contrôle externe-puissance et le lieu de contrôle
externe-chance, validée par Rossier, Rigozzi et Berthoud (2002) ; l’échelle General
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
257
self efficacy de Schwarzer et Jerusalem (1995), validée par Scholz et al. (2002)
mesurant l’auto-efficacité.
Procédure
Un des buts de cette recherche étant de comparer les résultats des liens
entre satisfaction au travail et plusieurs déterminants pour les différentes mesures de
satisfaction au travail, la méthodologie du questionnaire est très importante. En effet,
nous voulons être sûrs que les éventuelles différences que nous pourrions trouver
entre les quatre VD de satisfaction au travail ne soient pas liées à un problème
méthodologique des questionnaires, c’est pourquoi nous présentons dans cette
section les grandes lignes de la méthodologie mise en place dans cette étude.
Le questionnaire est composé de trois livrets distincts regroupant des
échelles par thématiques : la satisfaction au travail, le travail et la personnalité. Dans
le livret sur la satisfaction au travail, ont été mises en premier les questions
générales (les échelles globales), avant les questions spécifiques (les échelles à
facettes), ceci afin d'éviter que les questions précises n'influencent la vision globale,
ce qui aurait pour conséquence d'augmenter artificiellement la corrélation entre la
question générale et l'échelle (Schwarz, 1999 ; Schwarz et Hippler, 1995 ; Schwarz,
Strack et Mai, 1991).
Afin d'éliminer le maximum de biais systématique lié aux questionnaires
auto-rapportés, nous avons tenté de supprimer les principales sources de biais
mentionnées par P. M. Podsakoff et al. (2003) : 1) Vérifier que chaque question était
claire et sans ambigüité (éviter les doubles négations dans les questions, les termes
techniques ou pouvant avoir différentes significations, etc.). Pour cela, nous avons
fait un pré-test sur 15 personnes de niveaux de formation différents (les échelles
comprenant une ou plusieurs questions posant problème étaient supprimées du
questionnaire) ; 2) les groupes de questions ont été séparés par thématiques (travail,
satisfaction au travail et personnalité) afin de diminuer les théories implicites
qu’auraient pu imaginer les participants et qui aurait pu avoir pour conséquence
d'augmenter artificiellement la corrélation entre les échelles et de diminuer la
corrélation artificielle liée à l’effet du questionnaire ; 3) Afin de diminuer l’impact
des premières questions sur les suivantes ou des groupes de questions sur le groupe
de questions suivantes et d’éviter d’augmenter artificiellement les corrélations,
l’ordre des questions dans les livrets travail et personnalité, ainsi que l’ordre des
livrets ont été contrebalancés ; 4) Un autre point important pour diminuer les
corrélations artificielles entre les questions est de faire varier les ancrages et les
formats des réponses, ces variations ayant pour but de casser le rythme et d’éviter
les réponses automatiques. Nous avons donc joué avec l’ordre des échelles en
fonction des ancrages de celles-ci. 5) La désirabilité sociale est un phénomène
inconscient qui pousse les participants à donner des réponses qu’ils considèrent
inconsciemment désirables par les autres - l’hétéroduperie - ou auxquelles ils
aimeraient adhérer - autoduperie - (Tournois, Mesnil et Kop, 2000). Pour éviter
l’hétéroduperie, nous avons garanti l’anonymat des questionnaires et les participants
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
258
se voyaient attribuer aléatoirement un questionnaire. Pour éviter l’autoduperie, nous
avons introduit une échelle dans le questionnaire pour pouvoir tester s’il était présent
dans les réponses et ainsi pouvoir en tenir compte s’il y avait lieu d’être ; 6)
Finalement, nous n’avons travaillé qu’avec des échelles aux propriétés
psychométriques confirmées par d’autres chercheurs.
Les questionnaires ont été distribués en main propre aux assistants
d’enseignement et de recherche, aux secrétaires et aux postiers. Pour les agents de
détentions, pour une raison de sécurité, ils ont été distribués dans leur casier
respectif. La participation à l’étude donnait accès à la participation à une tombola.
RÉSULTATS
Pour évaluer l’effet des variables explicatives mesurées dans notre étude
sur les différentes mesures de satisfaction au travail (ESGT, ESVP, MSQ et PUR),
nous avons effectué des modèles à effets mixtes avec effets aléatoires croisés
(MEM, sujet et item comme effets aléatoires). Nous avons effectué une analyse
MEM par déterminant afin de pouvoir comparer variable par variable leurs liens
avec les différentes échelles de satisfaction au travail. Nous n’avons pas testé toutes
les variables simultanément. En effet, par la forte relation qui existe entre les
variables explicatives dans le champ, nous aurions assurément rencontré des
problèmes de multi-colinéarité qui auraient faussés les paramètres des MEM. Par
conséquence, il n’aurait plus été possible de comparer les résultats entre VD.
Pour chacune des analyses effectuées, nous disposons de deux indices, les
betas qui correspondent aux pentes des MEM et peuvent être interprétées comme les
pentes dans la régression et les p-val qui sont un indice de significativité avec un
seuil de significativité de 5% ( α = 5% ). Chacune des variables d’intérêt (VD) a
été centrée et réduite de telle sorte que les betas soient comparables par déterminant
(VI) examiné. Dans la Table 1, nous avons rapporté les résultats de chaque analyse
pour les 4 VD (ESGT, ESVP, MSQ et PUR) et pour chacune des variables
explicatives (VI) liées au travail. Dans la Table 2, nous avons fait de même, mais
pour les VI liées à la personne.
Pour les facteurs liés au travail (Table 1), il ressort que l’utilité des
compétences, l’autonomie des décisions, le soutien du supérieur, le soutien des
collègues, la variabilité de la tâche, l’autonomie, le feedback du travail, la justice
distributive, procédurale, interpersonnelle verticale et horizontale, la confiance en
son collègue, en son supérieur et en l’organisation sont liés significativement et
positivement à la satisfaction au travail indépendamment de l’échelle de satisfaction
choisie ; l’ambigüité de rôle et le conflit de rôle, eux, sont liés significativement et
négativement à la satisfaction au travail indépendamment de l’échelle choisie.
Pour la demande psychologique et la significativité de la tâche, les résultats
dépendent du choix de l’indicateur de satisfaction au travail choisi.
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259
Table 1 : Les différentes mesures de satisfaction en fonction des facteurs liés au travail
Un MEM par VI et par échelle de satisfaction au travail, les beta correspondent aux pentes de régression, les pval correspondent au seuil de significativité avec *** p-val <0.001, ** p-val <0.01 et * p-val <0.05. Notons
pas de différence de significativité pour les quatre VD en fonction des VI, sauf pour les VI demande
psychologique et significativité de la tâche.
Facteurs liés au travail
ESGT
ESVP
MSQ
PUR
beta p-val
beta p-val
beta p-val
beta p-val
Utilité des compétences
0.742 0.000 *** 0.754 0.000 *** 0.583 0.000 *** 0.600 0.000 ***
Autonomie de décision
0.641 0.000 *** 0.607 0.000 *** 0.538 0.000 *** 0.506 0.000 ***
Demande psychologique
-0.262 0.008 ** -0.063 0.538
-0.249 0.001
-0.289 0.000 ***
soutient du supérieur
0.451 0.000 *** 0.371 0.000 *** 0.515 0.000 *** 0.393 0.000 ***
soutient des collègues
0.436 0.000 *** 0.481 0.000 *** 0.535 0.000 *** 0.436 0.000 ***
Variabilité de la tâche
0.186 0.000 *** 0.215 0.000 *** 0.122 0.000 *** 0.119 0.000 ***
Identité de la tâche
0.199 0.000 *** 0.152 0.000 *** 0.125 0.000 *** 0.098 0.001 ***
Significativité de la tâche
0.064 0.034 * 0.029 0.350
0.025 0.269
0.029 0.250
Autonomie
0.287 0.000 *** 0.265 0.000 *** 0.209 0.000 *** 0.201 0.000 ***
Feedback du travail
0.289 0.000 *** 0.245 0.000 *** 0.165 0.000 *** 0.157 0.000 ***
Ambiguïté de rôle
-0.384 0.000 *** -0.331 0.000 *** -0.294 0.000 *** -0.265 0.000 ***
Conflit de rôle
-0.212 0.000 *** -0.131 0.001 *** -0.200 0.000 *** -0.191 0.000 ***
Justrice distributive
0.160 0.000 *** 0.120 0.010 ** 0.161 0.000 *** 0.104 0.005 **
Justice procédurale
0.406 0.000 *** 0.386 0.000 *** 0.368 0.000 *** 0.321 0.000 ***
Justice interpersonnelle
0.369 0.000 *** 0.334 0.000 *** 0.410 0.000 *** 0.325 0.000 ***
verticale
Justice interpersonnelle
0.246 0.000 *** 0.286 0.000 *** 0.244 0.000 *** 0.198 0.000 ***
horizontale
Confiance en son collègue
0.239 0.000 *** 0.296 0.000 *** 0.284 0.000 *** 0.218 0.000 ***
confiance en son supérieur
0.358 0.000 *** 0.356 0.000 *** 0.404 0.000 *** 0.325 0.000 ***
Confiance en l'organisation
0.332 0.000 *** 0.313 0.000 *** 0.327 0.000 *** 0.311 0.000 ***
Table 2 : Les différentes mesures de satisfaction en fonction des facteurs liés à la personne
Idem que table 1. Notons pas de différence de significativité pour les quatre VD en fonction des VI, sauf pour
les VI genre, age au carré et lieu de contrôle
Facteur lié à la personne
ESGT
ESVP
MSQ
PUR
beta p-val
beta p-val
beta p-val
beta p-val
Genre (femme)
0.041 0.238
-0.020 0.672
0.080 0.017 * 0.093 0.012 *
Age [10ans]
0.027 0.504
-0.068 0.104
-0.017 0.562
-0.021 0.536
Age au carré [10ans]
0.071 0.066
0.042 0.301
0.050 0.080
0.046 0.155
Affectivité positive
0.414 0.000 *** 0.456 0.000 *** 0.293 0.000 *** 0.310 0.000 ***
Affectivité négative
-0.191 0.004 ** -0.198 0.003 ** -0.216 0.000 *** -0.229 0.000 ***
Estime de soi
0.348 0.004 ** 0.542 0.000 *** 0.312 0.000 *** 0.289 0.003 **
Lieu de contrôle interne
0.076 0.227
0.194 0.003 ** 0.135 0.004 ** 0.030 0.555
Lieu de contrôle chance
-0.054 0.309
-0.076 0.166
-0.102 0.010 * -0.173 0.000 ***
Lieu de contrôle puissance
-0.120 0.009 ** -0.173 0.000 *** -0.178 0.000 *** -0.243 0.000 ***
Auto-efficacité
0.209 0.075
0.394 0.001 ** 0.391 0.000 *** 0.273 0.005 **
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
260
Pour les facteurs liés à la personne (Table 2), l’affectivité positive et
l’estime de soi sont liées significativement et positivement à la satisfaction au travail
indépendamment de l’échelle de satisfaction au travail choisie. L’affectivité négative
est quant à elle liée significativement et négativement à la satisfaction au travail.
L’auto-efficacité est liée positivement à la satisfaction au travail, la grandeur des
betas varie en fonction du choix de l’indicateur de satisfaction au travail, et par làmême la taille de la p-valeur (la significativité), mais nous ne pouvons pas affirmer
que les résultats sont significativement différents en fonction de l’indicateur de
satisfaction choisi.
Par contre, les résultats concernant le genre, l’âge et le lieu de contrôle
dépendent du choix de la mesure de la satisfaction au travail. L’âge linéaire et l’âge
au carré ont été testés pour voir l’effet de l’âge sur la satisfaction au travail. Dans la
situation où plus une personne est âgée, plus elle sera satisfaite au travail (ou moins
elle sera satisfaite au travail), l’effet de l’âge sera linéaire. Par contre, l’effet
quadratique (ou au carré) de l’âge correspond à une relation en U ce qui signifie que
les personnes plus jeunes et les personnes plus âgées sont plus satisfaites au travail
que les personnes d’âge moyen, ou en
ce qui signifie que les personnes plus
jeunes et les personnes plus âgées sont moins satisfaites au travail que les personnes
d’âge moyen ou encore que l’augmentation n’est pas strictement linéaire avec l’âge.
DISCUSSION
Nous avons analysé les mesures de satisfaction au travail à l’aide de MEM
(avec sujet et item comme effets aléatoires croisés) afin de pouvoir généraliser aux
sujets de la population et aux instruments de mesure de la satisfaction au travail.
Pour les analyser, deux groupes de déterminants ont été utilisé comme VI : des
facteurs liés au travail et des facteurs liés à la personne. Ces facteurs correspondent
aux concepts usuellement étudiés en lien avec la satisfaction. Nous avons effectué
un MEM séparé pour chaque VI pour chacune des quatre échelles de satisfaction au
travail. Comme mentionné antérieurement, si les quatre échelles de satisfaction au
travail mesurent bien le même construit, c’est-à-dire la satisfaction au travail
globale, les résultats devraient être proches, autrement dit, pour chaque déterminant,
nous devrions obtenir des valeurs de betas de même ordre de grandeur ainsi que des
p-valeurs (seuil de significativité) proches.
Il ressort que pour les déterminants fortement liés à la satisfaction au
travail, les grandeurs des betas et des p-valeurs sont proches pour les quatre échelles
de satisfaction au travail. Par contre, pour les variables explicatives dont le lien avec
la satisfaction au travail est plus faible, sa significativité dépend de la VD choisie.
Ce ne serait pas le cas si les quatre échelles mesuraient bien le même concept. Il est
important de relever que le fait que les liens forts ressortent systématiquement
significatifs, indépendamment de l’échelle de satisfaction au travail, n’est en aucun
cas une preuve que ces échelles mesurent le même construit. Bien au contraire, si le
lien existant entre une échelle de satisfaction et une VI est très fort, ce lien ressortira
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
261
significatif et cela même si nous avons une mauvaise mesure à disposition. En effet,
la mauvaise échelle introduira du bruit dans les réponses, ce qui augmentera la
variabilité de ces dernières, mais si cette relation est forte, cette variabilité ne sera
pas suffisante pour la faire disparaître. Mais ces liens forts sont triviaux en RH. Ce
qui est intéressant et qui permettra de faire progresser la recherche sont les relations
plus faibles. Malheureusement ces dernières risquent de disparaître dans le bruit des
réponses aux échelles qui ne mesurent pas correctement nos construits. En
conclusion, nos quatre échelles de satisfaction ne sont pas identiques au vu de nos
résultats.
Ainsi, si nous mesurons la satisfaction au travail à l’aide du MSQ ou de
PUR, nous trouvons que les femmes sont significativement plus satisfaites au travail
que les hommes. Par contre, pour les deux autres mesures de satisfaction au travail,
nous ne trouvons pas d’effet du genre sur notre variable d’intérêt. Ce que nous
trouvons dans notre étude est le reflet de ce que nous pouvons lire dans la littérature.
En effet, de nombreux chercheurs n’ont pas trouvé de différences significatives de
satisfaction au travail entre hommes et femmes (Brush, Moch et Pooyan, 1987 ; Mau
et Kopischke, 2001 ; Pana et McShane, 2001 ; Witt et Nye, 1992), certains ont
montré que les femmes étaient plus satisfaites au travail que les hommes et cela bien
que les femmes occupent des postes inférieurs en termes de salaire, d'autonomie ou
d'opportunité de promotion (Sangmook, 2005), et d'autres encore ont avancé que les
hommes étaient significativement plus satisfaits au travail que les femmes (Cheung
et Scherling, 1999). Pour ce qui est de l’âge, sa relation avec la satisfaction au travail
n'est pas claire non plus dans la littérature. Certains parlent d’une relation positive et
linéaire (e.g. Brush, Moch et Pooyan, 1987 ; Warr, 1992 ; White et Spector, 1987),
d'autres d’un lien non-linéaire en forme de U (A. E. Clark, Oswald et Warr, 1996 ;
Hochwarter et al., 2001 ; Kacmar et Ferris, 1989 ; Zeitz, 1990). Encore une fois,
dans notre étude, ces résultats dépendent de l’échelle choisie. De même, l’âge au
carré est marginalement significatif pour l’ESGT et le MSQ et non significatif pour
les deux autres échelles. Pour ce qui est de l’effet linéaire de l’âge, il n’est
significatif pour aucune des quatre échelles.
Dans nos résultats, une autre variable est ressortie comme ayant des liens
différents avec la satisfaction au travail en fonction du questionnaire choisi : le lieu
de contrôle qui représente la perception du degré de contrôle de sa vie (une personne
avec un lieu de contrôle interne croit qu'elle a la capacité de contrôler sa vie, par
opposition au lieu de contrôle externe où ce sont les autres, le hasard, la destinée, qui
ont la capacité de contrôler leur vie). Ce dernier fait partie d’une des quatre
dimensions de l’évaluation centrale, c’est-à-dire la manière dont nous évaluons notre
environnement. De nombreuses recherches ont trouvé un lien entre ce concept et la
satisfaction au travail (e.g. Judge, Bono et Locke, 2000 ; Judge et al., 1998 ; Judge et
Bono, 2001). L’étude menée par Dormann, Fay et Zapf (2006) va plus loin en
suggérant d'analyser uniquement l'affectivité négative et le lieu de contrôle qui sont
les deux variables significatives et de laisser l'estime de soi et l'efficacité personnelle
de côté étant donné qu'elles ne sont pas significativement reliées à la satisfaction au
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
262
travail. Ainsi, le lieu de contrôle serait une variable psychologique essentielle à
prendre en compte dans l’analyse de la satisfaction au travail. Mais si tel est le cas,
que penser d’un prédicteur qui est significatif en fonction de l’échelle de la
satisfaction au travail choisie (lieu de contrôle interne significatif pour le ESVP et
pour le MSQ) et non significatif pour les deux autres échelles (lieu de contrôle
externe-chance significatif pour le MSQ et pour PUR) ?
En résumé, les différences trouvées en fonction des échelles de satisfaction
au travail choisies sont le reflet de celles présentes dans la littérature. En ce qui
concerne le débat des échelles à facettes ou globales, nous pouvons nous demander
si nous obtenons des résultats différents en fonction du groupe dont fait partie le
questionnaire, ou si cela est dû à une autre raison. Au vu des résultats de notre étude,
il ne semblerait pas que les différences trouvées au niveau des liens soient liées au
type d’échelles. En effet, l’échelle à facettes MSQ étudiée dans ce travail n’a pas un
comportement spécifique par opposition aux trois échelles globales que sont
l’ESGT, l’ESVP et PUR.
De plus, il est intéressant de relever que les déterminants liés à la
satisfaction au travail pour lesquels il existe des différences, touchent une dimension
plus psychologique du travail comme la demande psychologique des tâches et le
sens du travail et les variables liées à la personne.
Le but de ce travail était d'apporter quelques arguments au débat sur l'existence ou
non d'un consensus sur la définition de la satisfaction au travail. Ainsi, les
différentes échelles de satisfaction au travail analysées ne semblent pas
opérationnaliser la même définition de la satisfaction au travail, ceci étant étayé par
le fait que nous n’obtenons pas les mêmes déterminants significatifs et avec la même
force de lien pour les quatre indicateurs de satisfaction au travail. Ceci semble
confirmer un problème lié à la définition de la satisfaction au travail, ou du moins lié
aux instruments de mesure. Cela expliquerait que les résultats restent encore parfois
inconsistants, comme mentionnés en introduction.
Il pourrait nous être reproché de vouloir généraliser à partir d’uniquement 4 ou
5 items, comme c’est le cas pour l’échelle ESGT ou ESVP. Il est vrai que si nous
avions un échantillon constitué uniquement de 4 ou 5 sujets, il nous semblerait
absurde d’essayer de généraliser à la population des sujets. Le premier argument que
nous pourrions avancer est que la variabilité entre les sujets est probablement bien
plus grande que la variabilité attendue entre les items. Le deuxième argument est
qu’en prenant item aléatoire, bien que nous n’ayons à disposition que 4 ou 5 items
de la population, cela correspond à la structure des données (Iglesias et Renaud,
2010b). Et le troisième argument est que si avec un nombre réduit d’items, les
variables explicatives sont significatives et cela malgré la grande incertitude liée au
petit nombre d’items, alors nous tenons un lien important de la satisfaction au travail
(pour autant que les items choisis mesurent bien la satisfaction au travail). Notons
tout de même que pour les échelles ESGT, ESVP et PUR, mesurées à l’aide de 4 à 7
items, nous n’obtenons pas de grandes différences dans les significativités avec
l’échelle MSQ en 20 items.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
263
CONCLUSION
En utilisant les MEM, nous avons pu généraliser aux échantillons, ainsi qu’aux
questionnaires. Le choix de cette modélisation nous a permis d’avoir une réflexion
sur les instruments mesurant la satisfaction au travail et sur ce qu’ils
opérationnalisent. Nous sommes arrivés à la conclusion que les différentes échelles
analysées n’opérationnalisaient pas la même définition de la satisfaction au travail.
Afin de pouvoir faire progresser le champ de la satisfaction au travail et de pouvoir
affiner les découvertes, c’est-à-dire identifier des déterminants moins fortement liés
mais pouvant être très informatifs, il est primordial de revenir sur la définition de la
satisfaction au travail afin de trouver un vrai consensus. De plus, il serait important
d’étudier les instruments de mesure de la satisfaction au travail usuellement utilisés
pour savoir ce qu’ils mesurent exactement, comme Brief et Robertson (1989)
avaient commencé à le faire pour le MSQ, le JDI et l'échelle des figures de Kunin
(1955). Finalement, l’utilisation de MEM pour analyser la satisfaction au travail (ou
tout autre échelle en gestion des ressources humaines) permettrait de répondre
réellement aux questions des chercheurs en donnant des résultats indépendants de
leur échantillon ou de leur questionnaire. Leur utilisation et leur interprétation ne
sont pas beaucoup plus complexes que pour les modèles plus classiques tels que la
régression.
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ÉPILOGUE
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
271
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
272
Épilogue
GRH ET COMPORTEMENTS :
AU-DELÀ DU CROISEMENT
DES REGARDS…
Lionel
HONORÉ
125
126
127
125
Dominique
Philippe
MARTIN126
Gwénaëlle
POILPOT
ROCABOY127
Professeur des Universités à l'Institut d'Études Politiques de Rennes, Consultant et formateur en
management, Directeur du développement de Sciences Po Rennes et responsable de la filière Ecofi et
responsable du Master Management des Organisations et des Projets. Ses domaines de recherche sont le
management organisationnel et le management des ressources humaines. Ses thèmes de recherche sont
le fonctionnement des équipes et les comportements managériaux. Ses clefs d'entrée sont les questions
liées à la déviance et aux situations de tensions. Ses terrains de recherche sont l'industrie, les services,
notamment la banque et la marine marchande. Lionel.honoré@sciencespo-rennes.fr
Professeur des Universités, (CREM - UMR CNRS 6211), Responsable de la spécialité Recherche du
Master Management des Ressources Humaines, Co-responsable du master "Management des
Ressources Humaines", Vice Président du Conseil Scientifique de l'IGR-IAE, Principaux domaines de
recherches : Pilotage dynamique des dispositifs de gestion et management du changement ;
Management et Valorisation de la recherche publique : transferts de technologie, propriété intellectuelle
(brevets) des universités, entrepreneuriat académique ; Management des recherches collaboratives et
insertion des PME dans des réseaux collaboratifs. dominique.martin@univ-rennes1.fr
Maître de Conférences (HDR), CREM (UMR CNRS 62 11), Université de Rennes 1 ; IGR-IAE de
Rennes, Vice-présidente, et membre fondateur du réseau Référence-RH, (http://www.reference-rh.net/),
Membre de « Chantier Carrière (Université de Rennes 1), Administrateur élue du Centre d'Information
des Femmes et de la Famille (CIDF). Elle est Directrice du Master Management des Ressources
Humaines, Créatrice et Directrice du Diplôme Universitaire « Développement des Compétences
Managériales ». Ses thèmes de recherche concernent la qualité de vie au travail, le harcèlement
psychologique au travail, l'égalité professionnelle... Gwenaelle.poilpot@univ-rennes1.fr
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
273
Aux nombreuses et complexes questions posées dans le prologue du présent
numéro, les articles présentés ont proposé des réponses ainsi que des pistes de
réflexion. Elles peuvent s’organiser selon de multiples perspectives et nous
tenterons de les synthétiser autour d’un axe principal de tension. Pour résumer
l’essentiel, il existe un mouvement de fond des pratiques de GRH et de
management en général qui consiste à appréhender la question de la performance
des RH en la ramenant en dernier ressort à la question du rapport contribution vs
rétribution.
Une des questions centrales autour de laquelle s’organise notre champ
académique consiste ainsi à identifier les facteurs qui favoriseront potentiellement
la contribution du salarié (intégration, implication, résultats, performance…) en
calculant au plus juste sa rétribution (salaire, gestion de la carrière, avantages
divers…). Ce mouvement est associé à une tendance à l’individualisation de la
gestion des RH, tandis que l’évaluation de la performance des entreprises sur le
court terme conduit mécaniquement à limiter la part dédiée à la rétribution des
salariés. Si une telle approche a été rendue possible c’est qu’elle comporte de
nombreux avantages. D’une part, la déclinaison instrumentale à travers les outils
de gestion et leur métrique permet de tracer, suivre et comparer les évolutions des
valeurs des indicateurs, ce qui favorise chez les managers le sentiment d’avoir une
capacité à agir. D’autre part cela induit mécaniquement une mise en concurrence
potentielle des acteurs selon leur niveau de contribution et la rétribution associée.
Les mécanismes d’envie128 et de rivalité mimétique129 nécessairement mobilisés
sont d’extraordinaires facteurs de motivation qui conduisent finalement les acteurs
à se réaliser en s’auto-asservissant. S’aliéner en devenant « l’allié de ses propres
fossoyeurs », comme le dit Milan Kundera dans son livre « l’immortalité » est l’un
des enjeux et une des conséquences de l’individualisation des pratiques de GRH.
Le terme paraîtra abstrait, mais la mise sous tension d’un système quelques
qu’en soient les composantes et les frontières, produira comparativement plus
d’output. Cependant, différentes questions importantes se posent : une mise sous
tension de plus en plus importante d’un système managérial - augmentation des
« output » attendus sous contrôle strict des ressources requises pour les réaliser - ne
risque-t-elle pas d’être associée à des tensions contradictoires qui génèreront de
plus en plus violence et souffrance au travail ? En outre, la tendance à vouloir
s’inscrire strictement dans un rapport contribution vs rétribution ne risque-t-elle
pas aussi de se traduire par des stratégies de calcul de chacune des parties
prenantes ? Le risque est grand qu’elles prennent en quelque sorte « au mot » les
termes de la relation et réduisent leur contribution à ce qui est effectivement
mesuré. Elles peuvent également ajuster strictement le niveau d’engagement de
leur contribution au niveau de la rétribution et de ses perspectives d’évolution.
128
129
Vidaillet, B. 2007. A Lacanian theory's contribution to the study of workplace envy. Human Relations,
60(11): 1669-1700.
Girard, R. 2000. La violence et le sacré: Grasset.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
274
Or, ce que soulignent et nous rappellent certaines des contributions du présent
volume c’est que les relations d’échanges en situation de travail débordent et
dépassent ce qui peut être conceptualisé dans le strict cadre de la relation
marchande et de sa déclinaison dans une GRH « instrumentale » dont les
approches se font en termes d’implication, de contrat psychologique, etc. Le réel
déborde nos cadres de pensée inscrits dans l’approche de la rationalité marchande
que ce soit avec l’émergence du fait religieux au sein des organisations (G. Galindo
et J. Surply), de l’inévitable dimension symbolique de toutes les relations
d’échange (L. Pihel ; M. Dubouloy et L. Pihel), ou de la prise en compte de la
spiritualité comme ressource dans les activités managériales sous tension (V.
Fourboul). En bref, nous nous acheminons vers une GRH attachée à étudier la
relation d’emploi pas uniquement dans le cadre d’une relation marchande mais
dans une logique de réciprocité : elle devient donc plus complexe et s’inscrit dans
un temps long (cf. K. Polanyi130, mais aussi les travaux de Mauss131)
Simultanément nos cadres de pensées permettent de décrypter des « plaques de
phénomènes » encore peu étudiées. Ainsi certaines, comme le bénévolat, ne
rentrent pas directement dans le cadre marchand, mais les difficultés rencontrées
conduisent à les interpréter selon des schémas marchands (S. Chevreuil). Par
ailleurs, d’autres catégories d’acteurs, plus directement inscrits dans le cadre des
relations marchandes, avaient été jusqu’à présent peu étudiés : les jeunes cadres et
les raisons de leur départ de l’entreprise (C.H. Besseyre des Horts et V. Nguyen),
les apprentis du supérieur et leur degré de satisfaction au travail (S. Alves, B.
Gosse et P.A. Sprimont), ou encore les relations entre le genre et le leadership (S.
Saint-Michel). Les textes abordant ces thèmes soulignent l’intérêt d’une GRH
prenant en compte les salariés non pas de façon générique, mais en développant un
corps de connaissances et de propositions d’actions stables et différenciées selon
les caractéristiques des relations d’emploi et des personnes impliquées.
Enfin l’étude de la question de la prise de décision dans des contextes précis
s’avère très riche, d’une part parce qu’elle est en tant que telle très peu étudiée en
GRH, et d’autre part parce qu’elle fait émerger des questions centrales comme
celles de la transgression des règles et de son articulation à la recherche de
compromis. C’est ce que pratiquent les dirigeants des hôpitaux pour tenir compte
des effets de contexte (C. Beaucourt et L. Laude), ce qui pose de nouveau la
question du leadership. De même, les conditions de travail et les pratiques de
rémunération peuvent également jouer un rôle dans l’émergence de comportements
déviants dans les contextes hyper-régulés des traders (C. Harvard et M. Poirot).
Ces dernières contributions renforcent l’intérêt d’une GRH qui s’attacherait à
dépasser une posture de résolution de problèmes segmentés, pour aller vers une
réflexion plus centrée sur la structuration de problèmes RH par définition
130
131
Polanyi, K. 2009. La grand transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps:
Gallimard.
Mauss, M. 1950. Sociologie et anthropologie: PUF.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
275
complexes et en interdépendance, en s’assurant de la fiabilité et validité de ses
instruments de mesure (K. Iglesias, O. Renaud et F. Tschan).
Le schéma ci-dessous résume le principe des trois principaux enjeux des textes
proposés dans ce numéro.
Nouveaux comportements, nouvelles GRH ?
Principaux enjeux identifiés
dans le dossier
Chapitre 1 : Quelles relations
d’emploi ?
Chapitre 2 : Quelles
pratiques de GRH ?
Relation marchande
vs
Logiques de réciprocité
Génériques
vs
Différenciées
Chapitre 3 : Quels processus
de décision?
Résolution de problèmes
vs
Structuration de problèmes
complexes
Nouveaux comportements, nouvelles GRH ? Enjeux identifiés
Comme le rappelle Bergson (cité par I. Prigogine, 1997) le futur n’est qu’un cas
particulier du possible. Les différents articles retenus, à partir d’une réflexion sur le
thème « Nouveaux comportements, nouvelles GRH » soulignent à quel point la
GRH est un champ de savoir et d’action en extension par ces objets d’études, mais
aussi par les ressources conceptuelles requises pour décrypter et donner du sens à
ces nouveaux objets. D’autre part la mise sous tension des différents contextes de
travail n’est pas sans incidence sur la santé des salariés, comme cela a été précisé
dans le prologue de ce numéro. Quelles réponses sont possibles du point de vue de
la GRH ? Trois lignes directrices, parmi d’autres, de futurs travaux que suscitent
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
276
les articles du présent volume seront ici mentionnées. Nous les qualifierons
respectivement d’approche substantive, prospective et politique.
La première ligne directrice a pour principal objet la poursuite de la
structuration des savoirs dans le champ de la GRH. La question centrale est celle
de notre capacité à structurer des connaissances disponibles pouvant venir de
domaines différents et ayant des perspectives différentes, comme l’attestent les
différentes contributions de ce volume. Croiser des points de vue – parfois
théoriquement inconciliables – permet de mettre à jour « l’impensé » de chaque
cadre théorique. Connaître c’est en effet toujours pour partie méconnaître, d’où
l’urgence d’une ingénierie de nos connaissances, et l’intérêt d’intégrer plus
systématiquement dans nos cadres de pensée des approches qui viennent bousculer
l’étude des relations d’échange prenant en compte leurs seules composantes
marchandes (Cf. K. Polanyi, M. Mauss, R. Girard, etc). L’appropriation de nos
outils et autres dispositifs de gestion génère en effet aussi de la souffrance et de la
violence, et le rôle d’une approche multi paradigmatique est notamment
d’identifier les difficultés conceptuellement prévisibles dans la conduite rationnelle
de l’action.
Une seconde ligne de force se veut plus critique et prospective. Il s’agirait de
travailler sur ce que l’on pourrait appeler des heuristiques négatives.
L’identification des dysfonctionnements induits par nos propres préconisations
devrait systématiquement nous conduire à rechercher les postulats sous-tendus par
nos propositions théoriques. Une idée novatrice peut en effet rapidement devenir
un académisme, forme de « réification » de la pensée qui fige et structure le réel. Il
nous faudrait apprendre à déconstruire 132 l’implicite de nos pensées, et chercher à
rompre ce dualisme biunivoque associant le signifié à son référent, pour s’attacher
à étudier la tension constante entre la réalité et l’intelligibilité que nous cherchons à
en avoir. Pour reprendre de façon métaphorique un des concepts de Derrida, c’est
la trace qui devrait nous importer et la capacité à « tracer ». D’où l’importance de
développer des travaux sur la question de la prise de décision notamment dans les
situations d’urgence et en tenant compte des acteurs qui s’y trouvent engagés. Cela
pose notamment la question centrale des formes de leadership.
La dernière ligne directrice, plus polémiste, consisterait à avoir une lecture plus
directement politique dans nos recherches en GRH. En effet le paradigme de
l’efficience dans un cadre marchand nous fait perdre de vue la question centrale du
partage des richesses au sein des organisations. S’il existe des « économies
politiques » reposant sur des postulats différents (keynésienne, néoclassique, etc.),
les sciences de gestion semblent devoir se cantonner à la seule recherche de
l’efficience. A bien y réfléchir la situation est assez paradoxale car nous disposons
en GRH d’un levier d’action central, celui des politiques de rémunération. Force
cependant est de constater que la réflexion sur le partage de la valeur ajoutée entre
132
En référence aux travaux de Derrida, J. 1967. L'écriture et la différence: Seuil.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
277
les différentes « parties prenantes » - salariés, actionnaires, chef d’entreprise – est
peu présente dans champ de la GRH. Les rémunérations de certains chefs
d’entreprises ou de traders, tout comme les différentiels croissants de
rémunérations entre catégories de salariés, ne semblent guère susciter de vocation
dans les recherches académiques, mais il est vrai que l’accès aux données peut être
très difficile, ce qui dissuade logiquement les chercheurs. Jared Diamond133 nous
rappelle cependant le rôle central des élites dans la façon dont une société est
capable de répondre aux défis auxquels elle est confrontée, et ses nombreux
exemples soulignent les risques d’une course effrénée des décideurs de chaque
époque à s’enrichir pour se différencier. Les délires de différenciation de quelquesuns, semblent conduire, en situation de ressources rares, à la disparition
programmée de tous134.
Pour conclure et élargir de façon plus transversale ce bref épilogue sur
l’incomplétude et la nécessité du travail des concepts face aux nouveaux
comportements que nos contextes appellent, il est intéressant de rappeler
l’étymologie du mot « savoir ». Il vient du latin « sapere », qui ne fait pas
référence au savoir - exprimé par le verbe scire - mais à la saveur. Et c’est le
concept de « saveur » qui s’est transformé en « savoir » dans un certain nombre de
langues romanes. Alors que le français « savoir » n’exprime plus l’idée de
« saveur », celle-ci s’est conservée en espagnol et en portugais dans le verbe
« saber », qui signifie à la fois « connaitre » et « avoir la saveur de ». Ainsi, la
capacité à élaborer du savoir serait donc aussi une question de plaisir, celui de
cheminer par la pensée avec d’autres, pour comprendre et participer à ce que sera
notre devenir.
133
Diamond, J. 2009. Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur
survie: Gallimard.
134
La lecture des anthropologues nous serait ici d’une grande utilité cf. par exemple Mauss, M. 1905.
Essai sur les variations saisonnières des sociétés eskimos. Étude de morphologie sociales L'année
sociologique, IX.
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278
NOTE DE LECTURE
RECENSION
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
279
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
280
MÉMOIRES DE CRISE
Hyper Book
http://www.smashwords.com/books/view/21972
http://www.smashwords.com/profile/view/jphdenis135
Jean-Philippe DENIS136
Note de lecture
Par Sébastien CHEVREUIL137
L’étrange objet que sont les Mémoires de crise peut
difficilement laisser indifférent. Certains y verront la
marque du concours d’agrégation lorsqu’il est obtenu par
des esprits aussi brillants que juvéniles. D’autres y
trouveront un renouvellement salutaire dans l’art trop
souvent ignoré de rendre accessible des connaissances
pointues du domaine des sciences de gestion. Les Mémoires
de crise se présentent sous la forme d’un triptyque des plus
stimulants. Celui-ci est une description de trois types
d’acteurs, mis en scène par l’association de trois composants
informatiques (mémoire vive, mémoire morte et système
d’exploitation) et de trois options de l’individu confronté à une situation de
mécontentement telles qu’elles ont été décrites dans l’ouvrage majeur d’Albert
135
136
137
À paraitre également dans la Revue du MAUSS permanente (http://www.journaldumauss.net)".
Professeur des universités, Directeur Adjoint de l'École Doctorale "Économie, Organisations, Société"
(pôle Sciences de Gestion). Responsable de la spécialité de master GDO, Université Paris X.
Structure(s) : UFR S.E.G.M.I. Département de gestion - EA 4429 - Centre d'études et de recherches sur
les organisations et sur les stratégies (CEROS)
Docteur ès Sciences de gestion, responsable de projets, Centre de recherches en Management
LAREQUOI, Institut Supérieur de Management, Université de Versailles Saint-Quentin, 47, boulevard
Vauban, 78 047 Guyancourt cedex, sebastien.chevreuil@uvsq.fr, tél : 01.39.25.50.51. Ses recherches
portent principalement sur l'implication organisationnelle et sur le volontariat.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
281
Hirschman138 : défection, loyauté et prise de parole. Ces trois acteurs, confrontés
aux crises et aux bouleversements liés à la mondialisation économique, connaissent
des trajectoires diamétralement opposées.
Le premier volet – « RAM – Exit » – nous met aux prises avec l’homme
pressé – celui de Noir Désir, pas de Paul Morand. Toujours en mouvement, se
caractérisant par son absence de mémoire, qu’il trouve beaucoup trop encombrante
et qui pourrait le ralentir dans son activité. Il surpasse les autres acteurs par son
cynisme et sa rapidité de calcul. En tant que spéculateur pur, avoir toujours un
coup d’avance lui permet de s’enrichir dans des proportions gigantesques, même si
l’exercice n’offre jamais une garantie totale. Il finit par prendre peur devant
l’avènement du président Obama, en qui il voit un adversaire habile et coriace,
capable de déjouer ses plans.
Dans le deuxième volet – « ROM – Loyalty » – c’est un pauvre type,
hybride houellebecquo-camusien (extension du domaine de l’étranger), qui nous
est présenté. Celui qui pensait pouvoir vivre de son travail, à son compte, se
construire patiemment une petite vie bien réglée, celui qui est né quelque part et
qui veut y rester. Victime plus ou moins consciente des opérations du précédent, il
va sombrer inexorablement face à un système économique qu’il n’anticipe pas. Sa
grande mémoire ne lui est d’aucun secours, elle a même tendance à l’immobiliser,
à l’engluer dans ses habitudes. Ses déboires économiques le rendent de plus en plus
amer vis-à-vis de la société entière, et plus particulièrement de ceux qu’il perçoit
comme étant les responsables de ces dérèglements. Les responsables, ce sont les
banquiers qui le prennent à la gorge et lui ôtent toute dignité. Les responsables, ce
sont les immigrés qui sont partie intégrante de ce phénomène de mondialisation,
qui viennent chez lui et dérèglent son monde. Dans ces conditions, le banquier
basané risque fort de ne pas en réchapper.
L’ultime volet – « Operating System – Voice » – est dédié à l’intellectuel,
au prof, à l’observateur du monde, « négatif pour la vie active », qui ne veut être
dans le troupeau sous aucun prétexte. Ce dernier volet est le plus dense des trois,
peut-être parce qu’il se nourrit et justifie à la fois les deux précédents. Le système
d’exploitation ne fonctionne qu’avec l’aide des mémoires vives et mortes. C’est le
plus personnel aussi, et pour cause. C’est dans « Operating System – Voice » que
sont dévoilées les références, les bases sur lesquelles se fonde la pensée de
l’auteur. Une adolescence en forme de vie de la quarantaine : petite amie, vie
paisible, vacances de vieux. Profiter des études en école de commerce pour enfin
faire sa crise d’adolescence. Se forger une certitude : « négatif pour la vie active »
si cette vie active est synonyme de vide de sens. Se découvrir une vocation
d’écrivain pour ne pas sombrer dans l’alcool, dans la vie active, voire dans les
deux. Pour écrire il faut lire, alors il lit. Frénétiquement. Quand il tient un auteur, il
ne le lâche plus. Djian (« c’était bon d’avoir pour la première fois un véritable
ami »), Kerouac, Brautigan, Burroughs et autres de la beat generation. Puis écrit.
Avec un talent et un souffle peu commun : « J’ai toujours voulu que ma vie ne soit
qu’une succession de samedi. On devrait tous réfléchir à notre jour préféré de la
138
Hirschman, A. O. (1970), Exit, Voice, and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations, and
States Cambridge, Harvard University Press.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
282
semaine et à celui que l’on vomit. Ça éviterait à beaucoup des erreurs dramatiques
d’orientation ». « Je ne voulais pas que ma vie, ce ne soit qu’une vingtaine de
photos dont dix sont ratées. »
Ivresse de l’écriture, gueule de bois. Trois semaines en Californie, il n’a « rien
d’un routard, et donc pas nécessairement grand-chose d’un écrivain ».
Cheminement logique, quand on a trippé sur la beat generation. Décide de faire un
tour à l’Université. Découvre Surveiller et Punir. Guérit alors de sa quête de sens.
« Si ceux qui se sont un jour vraiment risqués à un auteur comme Foucault ne
peuvent plus jamais totalement être les mêmes, c’est parce qu’ils sont sauvés de ce
mal que l’on connaît tous : celui de la quête de sens. Parce que ceux qui l’ont
vraiment lu savent que, précisément, de sens il n’y a point. Ou plutôt que le sens
même est toujours imposé par certains au service de certains, que le sens est
fragile et qu’il résulte de confrontations et de champs de forces. Que le simple fait
de vouloir un sens, de le demander, de le réclamer, c’est prendre le risque de
devenir la proie de ceux qui ne demandent rien d’autres que d’en donner. Ceux
qui, comme par hasard, détiennent les places dominantes de pouvoir ». « Si l’on
est transformé par Foucault, c’est d’abord par ça, par là. Par cette idée que le seul
sens à rechercher est dans la construction de son propre devenir». Il sort de ses
lectures un certain nombre de concepts opératoires sur les relations de pouvoir, ses
imbrications avec le savoir, son exercice et finalement sa propre relation au
pouvoir, comment y résister sans entrer pour autant en rébellion permanente, et
pourquoi il est indispensable de l’analyser en permanence.
Dans le dernier acte d’Operating System – Voice, l’auteur cherche à
illustrer, en se mettant encore plus en scène, ce que peut être la quintessence du
voice. Encouragé par un vieil ami, relayé par les nouvelles technologies, il lâche
son premier volet. Calcul froid du marché qui avance inexorablement. Dans le
même temps, la crise produit ses effets : la Grèce est touchée, qui sera le prochain ?
Le modèle fonctionne et ça n’a rien de rassurant. L’homme pressé, exit, agit
d’autant plus librement qu’il sait qu’il n’aura pas à répondre de ses actes. Tout se
traite de gré à gré, la justice n’a pas sa place dans ce genre d’affaires. Dénonciation
de l’abus de confiance, du délit de non-initié commis par les dirigeants
économiques et politiques. Loyalty n’est d’aucune aide, arc-boutée sur ses
habitudes, sa peur du changement, son incapacité à penser la nouveauté. Alors ?
Cette mondialisation doit être guidée par de nouvelles références juridiques et
scientifiques, il nous faut reconcevoir un techno-weberianisme pour trouver notre
salut. Comprendre que l’on ne pense pas qu’en binaire, qu’on doit rajouter une
troisième option à la réflexion. Entre calcul et mimétisme, l’auteur promeut
l’exemplarité139. « L’exemplarité, la vraie, compose avec la vertu libératrice du
marché. Mais elle doit s’acharner à l’arrêter lorsque celui-ci retire leur dignité à
certains. L’exemplarité respecte les traditions qui le méritent, mais les met en
question et en cause quand la contrainte se mue en oppression insupportable des
esprits. »
139
Denis J.-Ph. (2009), « Entre finance et stratégie. Calcul, mimétisme… exemplarité ? », Revue
Française de Gestion, n° 198-199, 95-123.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
283
Les Mémoires de crise sont une invitation à sortir d’un monde et d’un
mode de réflexion binaires : trois parties, trois types de mémoire, trois options
d’Hirchman, trois modes de régulation de l’action collective, trois modes
d’affrontement de l’individu face à l’incertitude d’une action qui reste toujours à
accomplir (calcul, mimétisme, exemplarité). La troisième partie fait la place à
l’acteur « hors-jeu », celui qui se met volontairement en retrait de l’action, pour
mieux l’observer. L’analyser. Et finalement proposer de nouvelles modalités
d’action.
Sur la forme, nous avons surtout affaire à un jubilatoire essai de vulgarisation des
sciences de gestion. L’auteur est conscient du rôle social de l’universitaire et c’est
par la voie de la littérature qu’il entreprend une diffusion de la prose gestionnaire
au-delà de son habituel cénacle. Le talent est là et l’entreprise fonctionne plutôt
bien.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
284
PRÉSENTATION DE LA REVUE
INTERNATIONALE DE
PSYCHOSOCIOLOGIE
des organisations
(RIP)
Franck BOURNOIS140
Christian BOURION141
Nous présenterons d’abord un rapide historique avec la période fondatrice
suivie de la période de la nouvelle ligne éditoriale qui croise les regards de la
psychosociologie et des sciences de gestion. Nous présentons ensuite la ligne
éditoriale autour de 3 maîtres mots.
• Interdisciplinarité.
• Interinstitutionnalité.
• Internationalité.
Nous présenterons ensuite la politique d’évaluation et enfin celle
concernant la diffusion.
140
141
Professeur des Universités à Panthéon Assas (Paris II).
Professeur, ICN Business School, HDR, (CEREFIGE; EA 3942).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
285
HISTORIQUE ET DÉVELOPPEMENT
Après une période fondatrice de 12 années au sein de la stricte discipline
psychosociologique, la revue prend un tournant émancipatoire afin d’appréhender
les thématiques en lien avec le management, les ressources humaines et les
organisations. Cette nouvelle ligne éditoriale est mise en œuvre à partir de 2005.
Période fondatrice (1993-2005)
Entre 1993 et 2005, la revue publie 20 dossiers, 275 articles, 326
chercheurs, soit un total de 3951 pages
.Bilan période 1993-2005 (11 ans)
Vol 0 N° Année
Titres
1994
1 Aut. Positions de la psychosociologie.
Vol I
2 Print Détours identitaires.
1995
3 Aut. Villes et communautés.
Vol II
4 Print Syndicalisme et sciences sociales.
1996
5 Aut. Psychodynamique du travail.
Total 1997, 6,7 Psychanalyse et organisation
Vol IV
9 Print La scène sociale
1998
10,11 La psychanalyse à l’écoute du social.
Vol V 12 Print L’école : lieu de socialisation ?
1999
13 Aut. Pratiques sociales de l’argent.
Total 99 2
10
Ss Total 10 6
Récits
de
vie
et
histoire
sociale.
Vol VI 14 Print
Domaine
privé
–
Sphère
publique.
2000
15 Aut.
La
recherche
–
Action.
Vol VII 2001 16,17
Vol VIII 18 Print Autour de l’art et des arts.
2002
19 Aut. Le compréhensible et l’inacceptable.
Vol IX 20 Print Le sport à corps et à cris.
2003
21 Aut. Métaphore et interprétation.
Vol X 22 Print Pratiques psychosociologiques
2004
23 Aut. Les droits de l’homme
Total 04
Vol XI 24 Prin Subjectivité et travail
10
Ss Total 9 5
Total
24 11
20
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
pages Articles Auteurs
143
192
175
189
180
183
186
187
181
222
403
1838
247
237
305
215
239
247
242
193
188
381
183
2113
3951
13
11
12
13
11
14
14
13
12
17
29
130
15
15
18
18
13
15
15
15
12
27
9
145
275
11
20
14
22
15
15
15
15
13
23
163
16
22
29
17
12
16
16
16
12
7
163
326
286
Période de développement (2005-2010)
En 2005, deux nouveaux rédacteurs en chef Frank BOURNOIS et
Christian BOURION prennent la direction de la revue. La nouvelle ligne éditoriale
consiste à croiser les regards de la gestion et de la psychosociologie sur les
organisations, à ouvrir les thématiques et à déployer le champ d’analyse dans une
perspective internationale, en générant un doublement du nombre d’articles publiés
en 5 ans. Cette ligne trouve sa confirmation avec la crise de la fin de la décennie
où, les problématiques psychosociologiques contrecarrent les problématiques
rationnelles. Entre mi-2005 et mi-2010, par rapport aux 5 années précédentes, le
volume publié double (4723 pages contre 2113). Simultanément, la revue amplifie
la dimension internationale, mobilisant de nouveaux chercheurs ès sciences de
gestion issus de 13 pays : Allemagne, Belgique, Canada, États-Unis, Grande
Bretagne, Grèce, Liban, Maroc, Mexique, Liban, Pays-Bas, Suède, Suisse. Le bilan
des 5 dernières années comporte 15 thématiques, 204 nouveaux chercheurs
principalement issus des sciences de gestion, 246 articles. Depuis l’origine (19932010) le volume publié atteint 8674 pages, tout en maintenant la rigueur de la
sélection. En 2010, les comités scientifique et éditorial comprennent 45 membres.
Bilan période 2005-2010 (5 ans)
2005 Nouvelle ligne éditoriale croisant les regards de la psychosocio et de la gestion
Titre
Vol N° Année
pages Articles Auteurs
2005 25 Aut. Est-il possible d’infléchir le changement ?
270 11
10
2006 26 Print Systémique des relations dans les organisations 232
5
8
XII
2007
XIII
2008
XIV
XV
2009
XVI2
010
Total
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
39
40
16
Été
Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
Hiver Manager sa proximité, une question émotionnelle ?
Print L’interaction et les processus de l’émergence.
Été Ruptures et liens
Hiver L’esprit d’entreprise aux pays des 35 heures
Print Les représentations entrepreneuriales
Été La responsabilité sociale des entreprises
Hiver Éthique de la proximité
Print La quête d’un point de vue fondé
Aut. Les responsables face aux situations critiques
Hiver Heuristique de la formation des responsables
Été La RSE est-elle socialement responsable ?
Aut. Images sur le travail et ses responsables
Hiver Les impensés de la GRH
15
5
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
228 11
230
9
211
7
304 22
271 14
262 11
293 11
306 24
309 14
357 27
371 23
324 17
382 23
373 17
4723 246
13
14
8
17
9
11
19
16
16
21
21
28
19
26
256
287
0 50 100 150 200 250 300 350 400 450 500 550 600 650 700 750 800 850 900 950 1000 1100
Courbe de croissance des volumes depuis la création
REVUE INTERNATIONALE DE PSYCHOSOCIOLOGIE
Volume
annuel
de pages
2005
NOUVELLE
LIGNE
ÉDITORIALE
Années
199 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
De 2005 à 2010, malgré des coûts croissants de fabrication, le prix de
vente ramené à la page a baissé de 25 %.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
288
LA LIGNE ÉDITORIALE
La ligne éditoriale présente trois caractéristiques principales : un positionnement
original appuyé sur une démarche interdisciplinaire, un positionnement original
appuyé sur une collaborative et l’accent porté sur le développement international
grâce aux collaborations engagées, tout en renforçant la rigueur des processus de
sélection : Interdisciplinarité, interinstitutionnalité et internationalité
L’interdisciplinarité
Chaque numéro traite une thématique donnée selon une approche
interdisciplinaire en mobilisant et croisant une pluralité de regards et de lectures.
Ainsi c’est l’objet d’étude empirique qui fonde la démarche d’investigation
déployée en faisant appel à un large éventail de chercheurs mais aussi à des acteurs
de la société civile.
La revue réunit sur un thème unique au sein du même dossier, différentes
approches disciplinaires : économique, psychosociologique, gestionnaire et
organisationnelle. Elle mobilise en outre des responsables et des professionnels.
Enfin elle brasse différents types de données : des données préexistantes à l’étude
conduite, des collectes de retours d’expérience et des enquêtes exploratoires.
Chaque dossier concerne les structures organisationnelles étudiées par la
théorie des organisations et les sciences de gestion, qu’il s’agisse de
multinationales ou de PME, de grands hôpitaux ou de petites associations. Mais au
sein de ces organisations, la revue alloue de préférence son attention aux processus
transversaux, interactifs entre l’environnement psychique interne des acteurs
(processus réflexes, émotionnels, compassionnels ou représentationnels) et
l’environnement organisationnel externe (processus juridiques, économiques et
financiers). Cette interaction peut être appréhendée sur trois plans : micro, méso et
macro.
Au plan micro, ce sont les interactions de l’environnement interne de
l’acteur avec ceux des autres acteurs qui sont détaillées. Au plan méso, ce sont les
interactions de l’environnement interne des acteurs avec l’institution et
l’organisation qui sont appréhendées. Au plan macro, ce sont les interactions de
l’environnement interne des acteurs avec le politique, les instances nationales et les
phénomènes mondiaux émergents, qui sont explorées. Ainsi la revue brasse
différents regards et lectures au service de la psychosociologie de la gestion et du
management des organisations.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
289
L’interinstitutionnalité
Sur les 5 dernières années, nous avons fait en sorte de favoriser et
développer un grand nombre de collaborations. On pourra constater l’ampleur de
l’éventail institutionnel, à partir de la liste par ordre alphabétique, des Écoles de
gestion, centres de recherche, laboratoires, Instituts et Universités concernés par la
publication d’au moins un papier de recherche dans la revue au cours des 5
dernières années.
Écoles de Gestion
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
Advancia-Negocia, (Paris),
ARTEM, (Nancy),
CERAM, (Nice),
EDHEC, (Lille, Sophia-Antipolis),
ESCEM, (Tours-Poitiers),
École Nationale d’Art, (Nancy),
École Nationale Supérieur d'Agro. et des Ind. Alimentaires, (Nancy),
École de Management de Strasbourg, (Strasbourg),
École des Mines, (Nancy),
EM Lyon, (Lyon),
Euro Med, (Marseille),
ESCP-EUROPE, (Paris)
ESC, (Clermont-Ferrand),
ESDES UCLY, (Lyon),
ESSEC, (Cergy),
ENA, (Strasbourg),
HEC Paris, (Paris),
IECS, (Strasbourg),
lESC, (Montpellier),
ICN Business School, (Nancy-Metz),
Institut National Polytechnique de Lorraine, (Nancy),
INT Management, (Paris),
ISC Paris, (Institut Supérieur du Commerce de Paris).
MINES Paristech, (Sophia-Antipolis).
Centres de recherche et laboratoires
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée), (Strasbourg),
Centre d’appui à l’amélioration continue de la qualité, (Rennes)
Centre d’Études Littéraires et Scientifiques Appliquées, (Paris)
Centre d’études et de recherche sur les organisations, (Aix Marseille)
CEDAG-gestion, (Malakoff)
Centre de Recherche sur les Crises, (Sophia-Antipolis)
Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS, (Paris),
CERAG, Centre d'Ét. et de Rech. Appliquées à la Gestion, (Grenoble),
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
290
33. CEREQ, Centre d'Et. et de Rech. sur l'Evol. des Qualif., (Marseille)
34. CEREFIGE Centre Européen de Recherche en Économie Financière et
Gestion des Entreprises, section Entrepreneuriat (EG2P), (Nancy),
35. CEROG, (Aix Marseille)
36. ISEOR, (Lyon),
37. Institut International d'Audit Social (IAS), (Paris),
38. CESDIP ; Centre de recherches sociologiques sur le droit et les
institutions pénales, (Paris-Guyancourt),
39. CLERSE Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et
Économiques, UMR 8019, (Lille),
40. CRCGM (EA 3849) Centre de Rech. Clermontois en Gestion et
Management, (Clermont, Auvergne)
41. CREF (EA 1589) : Centre de Rech. Éducation Formation, (Nanterre),
42. CREPA : centre de recherche d’économie pure et appliquée, (Paris),
43. CRESCEM, Centre de Recherche de l'Escem, (Tours-Poitier),
44. GRIPIC (CELSA, Paris IV), Groupe de recherches interdisciplinaires sur
les processus d’information, (Paris),
45. CIFFOP, Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel, (Paris)
46. LIRHE ; Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les ressources
Humaines de l'Emploi, (Toulouse),
47. Observatoire des e-récits de vie, ICN Business School, (Nancy),
48. Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et
d’enseignement supérieur, (Paris),
49. Pôle de Recherche Tr@jectoires, (Rouen),
50. SCPC, Service Central de Prévention de la Corruption, (Paris),
51. SEPC, Société d’Étude des Pays du Commonwealth
Nouvelle Sorbonne (Paris III), (Paris)
52. UMR n°7522 du CNRS, Université Louis Pasteur, (Strasbourg),
Groupes de Recherches Thématiques (GRT AGRH)
53. GTR (Groupe Thématique de Recherche) Coaching et mentoring (AGRH)
54. GTR Santé (AGRH),
55. GRT Tétranormalisation (AGRH),
Instituts
56.
57.
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
IAE, (Aix Marseille),
IAE, (PUSG), (Bordeaux),
IAE, (Corse),
IAE, (Grenoble),
IAE, (Nancy),
IAE, (Lyon),
IAE, (La Réunion),
IAE, (Paris),
IAE, (Toulouse),
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
291
65.
66.
67.
68.
69.
70.
Institut Commercial de Nancy, (Nancy),
Institut de Gestion de l’Université de La Rochelle, (La Rochelle),
Institut du Management, (EHESP), (Rennes),
Institut Psychanalyse et Management, (Montpellier),
IRGO-ERM, (Institut de Recherche en Gestion des Organisations),
Institut Sciences et Pratiques d’Éducation et de Formation, (Lyon),
Universités
71.
72.
73.
74.
75.
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
89.
90.
91.
92.
93.
94.
95.
96.
97.
98.
99.
La Sorbonne, (Paris),
Nancy Université, (Nancy),
Nouvelle Sorbonne, Paris III, (Paris),
Université d’Aix Marseille III, (Aix Marseille),
Université d’Auvergne, CRCGM EA 3849,
Université Blaise Pascal, (Clermont),
Université de Corse, (Corte),
Université de Grenoble 2, (Grenoble),
Université de Haute Alsace,
Université de Haute Bretagne, Rennes 2, (Rennes),
Université Jean Moulin, (Lyon 3),
Université Louis Pasteur, (Strasbourg),
Université Lumière de Lyon 2, (Lyon),
Université Lyon 3, (Lyon),
Université de Metz, (Metz),
Université Montesquieu, Bordeaux IV, (Bordeaux),
Université Montpellier 2, (Montpellier),
Université de Nancy 2, (Nancy),
Université Panthéon Assas, (Paris II),
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, (Paris),
Université de Paris V, (Paris),
Université Paris Dauphine, (Paris),
Université Paris Descartes, (Île de France),
Université Pierre Mendès-France, (Grenoble),
Université de la Sorbonne Paris IV, (Paris),
Université des Sciences et Technologies de Lille 1, (Lille),
Université du SUD Toulon-Var, (Toulon),
Université des Sciences et Technologies de Lille1, (Lille),
Université de Versailles (Saint-Quentin en Yvelines),
Cette approche interdisciplinaire, a permis d’appréhender des thèmes
exploratoires comme les alertes, le Bore-out, les mémoires métiers, les objets
frontières, les savoirs implicites, les signaux faibles, etc.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
292
L’internationalité
L’accroissement de la visibilité internationale a constitué et constitue
encore le second objectif de la ligne éditoriale actuelle. Les deux langues de la RIP
étant officiellement le français et l’anglais, la proportion des articles publiés en
anglais a été accrue. Actuellement, la politique éditoriale à l’international se
décline par une série de collaborations : au niveau du Comité scientifique, ensuite
au niveau des établissements et enfin au niveau des chercheurs que la Revue a
publiés.
L’International Scientifique Board
Au sein du comité scientifique, neuf pays sont représentés par des
chercheurs du Canada, de Grèce, de Hollande, du Maroc, du Royaume Uni, de
Russie, de Suède, de Suisse et des USA.
Canada
Greece
Holland
Morocco
U.K
Russia
Sweden
Switzerland
USA
AUDET, Josée,
FILION, Louis Jacques
GENDRON, Corinne,
JANCZAK, Sergio,
PAILLE, Pierre,
PETIT, André,
SAKALAKI, Maria,
JONKER, Jan,
EL FAIZ, Mohamed,
ENNAJI, Mohamed,
SHARDLOW, Steven, M
RUDAYA, Elen,
BODIN, Jan,
HAINARD, François,
WINDISCHI, Uli,
HEROLD, David,
WASIELESKI, David,
TEHRANI, Minoo
Laval University, Québec,
HEC Montréal,
Université du Québec Montréal,
University of Western Ontario,
University of Sherbrooke,
University of Sherbrooke,
University of Panteion-Athènes,
Radboud University Nijmegen,
University of Marrakech,
University of Rabat,
University of Salford,
MGIMO-University,
Umeå University,
University of Neuchâtel,
University of Genève,
Georgia Tech, Atlanta,
Duquesne University, Pittsburgh,
Roger Williams University,
Voici à présent la liste des centres de recherches, Universités et diverses
institutions auxquels appartiennent les auteurs lors de leur participation aux
derniers numéros de la revue.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
293
Collaboration avec des Chaires étrangères
1. Chaire de responsabilité sociale et
de développement durable UQAM, (Canada),
2. La Chaire CERA, Université de Liège, (Belgique),
3. Chaire d'entrepreneuriat Rogers - J.-A.-Bombardier, (Montréal),
Collaboration avec des Centres de recherche étrangers
Belgique
4. Laboratoire d’étude sur les nouvelles technologies, l’innovation et le
management, (LENTIC)
5. Le Centre d’Économie Sociale, (Liège),
Canada
6. Centre de recherche interuniversitaire
sur la mondialisation et le travail (CRIMT)
7. Le Centre d’Intervention des Basses-Laurentides pour l’Emploi (CIBLE)
Collaboration avec des Écoles étrangères
Belgique
8. École Liégeoise de Criminologie Jean Constant, Liège),
9. Louvain School of Management, Université catholique, (Louvain),
10. École de Gestion de l’Université de liège (HEC ULg), (Liège),
11. École Royale Militaire, Dép. Sciences du Comportement, (Bruxelles),
12. HEC-École de Gestion, Université de Liège, (Liège),
Canada
13. École de relations industrielles, (Montréal),
14. HEC Montréal
15. L’École des sciences de la gestion (UQAM), (Québec),
16. L’École de service social de l’Université Laval, (Québec),
17. L’École de service social, Ste-Thérèse, (Québec),
Maroc
18. École Nationale de Commerce et de Gestion, (Casablanca),
Collaboration avec des Universités étrangères
Belgique
19. Université catholique de Louvain, (Louvain-la-Neuve),
20. Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, (Louvain),
21. Université de Liège, ULg, (Liège),
22. Université Libre de Bruxelles, (Bruxelles),
Canada
23. Université de Montréal
24. La Faculté de droit, (Montréal),
25. L’Université du Québec à Montréal (UQAM), (Québec),
26. CÉGEP, (Rivière-du-Loup),
Grande Bretagne
27. Lancaster University, England, (Lancaster),
États-Unis
28. The Dep of Public Affairs & Administration, (California State University)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
294
29. The Institute of public & international affairs, (University of Utah)
Maroc
30. Université IBN ZOHR (UIZ), (Agadir).
Pays Bas
31. Faculty of social sciences, vrije universiteit, (Amsterdam), the netherlands
Autres Institutions
États-Unis
32. American Critical Incident, (Baltimore),
33. Stress Foundation, (Maryland),
34. International Society for Traumatic, (Atlanta),
35. Stress Study (ISTSS), (Georgia),
Canada
36. Association des Policiers Provinciaux, (Québec),
37. Ordre professionnel des travailleurs sociaux, (Québec),
Le montage de dossiers internationaux
La Revue Internationale de Psychosociologie a aussi organisé avec des
professeurs étrangers, des dossiers spéciaux appuyés sur des travaux spécifiques
de recherche conduits au sein de laboratoires, comme, le dossier sur Les
représentations entrepreneuriales (Vol XIV, n° 32, printemps 2008) qui a obtenu
un prix, avec le professeur L. J. Filion (HEC Montréal), le dossier sur la RSE (Vol
XIV, n°33, été 2008) avec le professeur Corinne GENDRON (UQAM, Canada), le
n° 35 sur la méthode fondée avec les professeurs Peregrine SCHWARTZ-SHEA,
(University of Utah) et Dvora YANOW (Vrije Universiteit, Amsterdam,
Netherlands), toujours dans le strict respect des normes de sélection.
LA POLITIQUE D’ÉVALUATION
Le développement en France de la politique de Ranking s’est traduit ces
dernières années par une standardisation et une meilleure lisibilité des règles de
rigueur scientifique au sein des communautés de chercheurs. Il en résulte un niveau
de plus en plus rigoureux des soumissions. Demeurant très vigilante sur la rigueur
scientifique des contributions, la revue a introduit un système d’évaluation
supplémentaire. Après avoir subi une évaluation classique en double aveugle,
garantissant sa pertinence, l’ensemble des propositions retenues fait l’objet d’une
évaluation d’opportunité.
Les critères de pertinence
Les soumissions sont reçues par la rédaction qui peut accepter ou refuser
la soumission. Ce premier tri a pour objet d’éliminer les soumissions dont la
démarche est trop éloignée des normes académiques ou des thèmes de recherche en
cours. Toutefois, il n’est pas rare que des chercheurs soumettent un papier sur un
thème dont le traitement n’est pas d’actualité. Dans ce cas, le chercheur est averti
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
295
que son papier est mis en attente et qu’il ne sera évalué que quand la revue montera
le dossier sur ce thème, le chercheur conservant la possibilité de soumettre ailleurs
son papier : il sera recontacté plus tard. Tout papier est d’abord apprécié selon
deux critères nécessaires, mais non suffisants : sa proximité avec la thématique du
dossier et son originalité. Ensuite le papier est apprécié en fonction des efforts des
auteurs pour établir et soutenir rigoureusement leur processus d’écriture. Si la
rédaction décide de soumettre le papier à la procédure en double aveugle, elle peut
faire appel au fond de relecteurs disponibles et attachés à la revue, mais elle peut
aussi le transférer au responsable du dossier thématique qui le confie à deux
reviewers anonymes. Ainsi les reviewers « tournent » en fonction de leur degré de
spécialisation sur le thème qui va être traité. Le responsable du dossier évite de
confier un papier à rewiever à un chercheur étranger au thème traité. Une fois
accepté, l’ensemble du dossier, composé des articles acceptés, est alors apprécié
une seconde fois par l’équipe de Guest Editoring, en tant qu’entité globale.
Les taux de sélection
Les impensés de la GRH
Images du travail et des responsables
L’heuristique dans la formation des responsables
Les responsables face aux situations critiques
La quête d’un point de vue fondé
Éthique de la proximité
La RSE
Les représentations entrepreneuriales
L’esprit d’entreprise
Ruptures et liens
Les processus de l’émergence
Le management de proximité,
Le coaching entre psychanalyse et problem
solving
Systémique des relations dans les
organisations
Est-il possible d’infléchir de changement ?
Taux de
sélection
Acceptation
sans
modification
Acceptation
après
modification
Refus
NUMÉROS
Soumissions
Le processus de sélection numéro par numéro
24
30
38
39
21
42
50
18
25
32
24
15
22
8
8
16
9
5
15
37
4
8
9
16
4
10
6
2
7
5
7
7
3
3
2
9
3
4
5
10
20
15
25
9
20
10
11
15
14
5
7
7
16/23
22/30
22/38
30/39
16/21
27/42
13/50
14/18
17/25
23/32
8/24
11 /15
12/22
9
3
2
4
6/9
15
4
2
9
11/15
Certains thèmes d’actualité dans la sphère académique font l’objet de
nombreuses soumissions, d’autres thèmes en revanche, de nature exploratoire ou
prospective font l’objet de moins de soumissions a priori. Chaque responsable de
dossier choisit ses reviewers parmi les chercheurs dont la spécialisation s’approche
de son thème. Le taux de refus est, en moyenne, de 41 % : sur 10 soumissions, 6
sont publiées.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
296
Fiche d’évaluation d’un article académique
La fiche d’évaluation est construite pour faciliter le travail de réécriture de l’auteur.
Revue Internationale de Psychosociologie (RIP)
FICHE D’ÉVALUATION
Numéro de l’article :
Numéro de l’évaluateur :
Date d’envoi :
Date de retour :
codification
Évaluation sur le fond
Éléments du papier qui sont concernés
Titre (pertinence et légitimité)
X
Résumé (clarté et précision)
Mots clés (cadre bien le domaine)
Introduction
État de l’art (complet)
Données (suffisantes ?)
Méthodologie (précisée ?)
Présentation des résultats
Mise en perspective des résultats
X
Conclusion
Bibliographie (oubli ? Précisez)
Évaluation sur la forme
Schémas (méta fichier amélioré)
X
Orthographe, dactylographie
Style
Impression sur l’ensemble
Décision finale :
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
++
+++
Accepté sans modification
+
Modifications mineures :
quelques reprises
d’écriture et compléments
Refuser en l’état : doit être
entièrement réécrit et (ou)
complété et (ou) précisé
0
Modifications majeures :
doit être partiellement
réécrit et (ou) complété et
(ou) précisé
Point de vue global :
X
X
X
X
X
X
X
X
X
X
297
Critères d’évaluation d’un retour d’expérience
Les papiers de recherche tirent en partie leur légitimité de données qui ont été
recueillies et traitées avec rigueur. Les retours d’expérience (REX) constituent une
écriture mettant directement à jour des données « ordinaires », issues de savoirs et
de connaissances souvent implicites de l’auteur, éléments jusque là demeurés
inconnus. Les REX tirent leur légitimité de l’implication de l’acteur (ou du témoin)
dans des situations données notamment critiques. Par exemple, quand s’est produit
un incident critique, les REX permettent d’affiner la compréhension des causes,
notamment quand l’acteur « fait partie » de la situation, il peut fournir des
informations précieuses sur ce qui s’est passé. Au regard de son positionnement
épistémologique, la revue intègre la connaissance ordinaire (et (ou) implicite),
comme objet d’étude scientifique pertinent. En vertu de quoi, elle réalise des
traitements de REX, via des analyses de contenu, ou des logiciels d’analyse
textuelle (Alceste notamment). Pour autant, la revue publie également in extenso
dans chaque numéro où le thème l’exige, quelques REX au cœur du dossier. Grâce
à la collaboration avec un observatoire142 constitué comme un dispositif de recueil
permanent de récits, la revue dispose d’un stock de l’ordre de 3000 récits en 2010.
Elle les sélectionne d’abord par mots clés puis, à l’aide d’une série de critères
figurant ci-dessous, elle les évalue suivant la précision des informations qu’ils
fournissent : du REX le moins précis (groupe IV) au REX le plus précis (groupe I).
Groupe IV (critères de rejet)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
La situation décrite n’est pas professionnelle.
Seuls les faits sont décrits.
La situation ne pose pas vraiment de problématique.
Le style est dissocié ou complaisant.
Le scripteur choisit un statut d’observateur et ne s’implique pas.
Il décrit une situation qu’il n’a pas vécue
Le schéma de narration de la situation est du type : « situation -> action->
résultat ».
Il existe des doutes sur la nature du récit.
Le récit fait moins de 5000 caractères143.
Groupe III (critères de demandes de modifications majeures)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
142
143
La situation professionnelle est insuffisamment décrite.
Les faits sont décrits mais non contextualisés.
Les décisions prises par le scripteur sont décrites mais non motivées.
La situation pose un problème au scripteur.
Le récit porte sur des faits que le scripteur n’assume pas.
Le récit comprend une réticence quant à sa publication.
CEREFIGE, laboratoire de gestion Universités Nancy2 et Metz
Espaces non compris
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
298
7.
8.
9.
Le schéma de narration de la situation est du type : « Situation >recherche informations -> problème -> action ->résultat ».
Le scripteur n’assume pas son statut d’acteur.
Le récit fait entre 5 et 10000 caractères.
Groupe II (critères de demande de modifications mineures)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
La situation décrite est professionnelle.
La situation est problématisée.
Le scripteur l’assume.
Les faits sont décrits.
Les décisions sont décrites.
Les ressentis, les sentiments et les émotions sont décrits.
Le schéma de narration de la situation est du type : « Situation ->
recherche informations -> conscience des difficultés d’interprétation ->
problème -> conscience des actions possibles -> action -> réaction ->
sentiments-> résultat ».
8. Le style est associé.
9. Le scripteur assume un statut d’acteur impliqué.
10. Il parle de lui avec approfondissement.
11. Le récit fait généralement entre 10000 et 15000 caractères.
Groupe I (critère d’acceptation en l’état)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
La situation décrite est professionnelle.
La situation est problématisée.
Le scripteur l’assume.
Les faits sont décrits.
Les décisions sont décrites.
Les ressentis, les sentiments, les émotions sont décrits.
Le schéma de narration de la situation est du type « Situation ->
recherche informations -> conscience des difficultés d’interprétation ->
problème -> conscience des actions possibles -> conscience des valeurs
possibles -> choix des valeurs à appliquer - > action -> résultats ->
réactions -> sentiments -> résultat -> apprentissage -> dépassement ».
8. L’écriture est une méta écriture.
9. Le scripteur décrit ce qu’il a appris de cette situation, ce qu’il a compris,
et transmet un apprentissage en matière de savoir ce qu’il ne faut pas faire
et en matière d’apprendre à faire autrement.
10. Le scripteur montre quel statut il avait choisi et peut le remettre en cause.
11. Le récit fait entre 10 000 et 20 000 caractères.
12. Le scripteur manifeste sous une forme ou une autre, un transfert qui
témoigne de ce que sa rédaction lui a permis de comprendre ce qu’il avait
vécu et de le dépasser.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
299
Papiers en attente
La revue reçoit spontanément des articles qui satisfont les normes de
qualité académique, mais ne sont pas intégrables dans le thème en cours (normes
d’opportunité). Ils ne sont ni acceptés, ni refusés : cette catégorie est dite « en
attente ». Il s’agit de papiers qui portent sur un thème susceptible d’être développé.
L’auteur est averti qu’on le recontactera au moment où la revue traitera ce thème.
Il lui appartiendra alors de représenter à la revue son papier si ce dernier n’a pas été
publié entre temps.
Les critères d’opportunité
À la suite du processus classique de sélection, au moment où le dossier
est constitué, le Guest Editoring (GE, éditeur invité) est encore sollicité, dans la
mesure où chaque numéro déploie une thématique spécifique nouvelle. En effet les
éditeurs invités sont appelés à apprécier le dialogue issu des diverses contributions
du dossier qu’il s’agisse des apports des équipes d’investigation-recherche
(chercheurs) ou des éventuels REX recensés. Ils rédigent alors un texte de synthèse
qui permet de situer l’apport spécifique du dossier thématique au regard des
connaissances antérieures du domaine, en positionnant spécifiquement les
avancées que les contributions permettent d’opérer ensemble dans le processus de
connaissance relatif à la thématique du dossier. Dans la mesure où ces éditeurs
invités sont choisis parmi les scientifiques reconnus pour leur expertise dans le
domaine ils évaluent et situent ex post la pertinence du dossier dans une
perspective élargie.
Liste des Guest Editors
ABDESSEMED, Tamym ESCEM
AVENIER, Marie José,
CNRS Université de Grenoble
ESSEC
BIBARD, Laurent,
BONNET, Marc,
IAE ISEOR
BOURION, Christian,
ICN Business School
University of Panthéon-Assas,
BOURNOIS, Frank,
CABY, Jérôme,
ICN Business School
FILION, Louis Jacques,
HEC Montréal
GENDRON, Corinne,
UQAM
HLADY RISPAL, Martine, Université Montesquieu
Université des Sciences Sociales
IGALENS, Jacques,
JOLY, Allain,
HEC Montréal
MAFFESOLI, Michel,
CEAQ-Sorbonne
MUCCHIELLI, Alex,
Université de Montpellier 3
PATUREL, Robert,
Université du SUD
PERSSON, Sybil,
ICN Business School
THÉVENET, Maurice,
CNAM, ESSEC
SCHMITT, Christophe,
ENSAIA (Agro)
SCHWARTZ-SHEA, Peregrine, University of Utah
YANOW, Dvora,
Vrije Universiteit
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
Tours-Poitiers
Grenoble
Cergy
Lyon
Nancy-Metz
Paris
Nancy-Metz
Montréal
Montréal
Bordeaux
Toulouse
Montréal
Paris
Montpellier
Toulon-Var
Nancy-Metz
Cergy
Nancy
Utah
Amsterdam
France
France
France
France
France
France
France
Canada
Canada
France
France
Canada
France
France
France
France
France
France
USA
Netherlands
300
Scientific Board. Ligne éditoriale
Ordonnancement du thème (Opérations
propres aux revues thématiques)
Choix des articles
(Opérations communes à toutes
les revues)
Rédacteurs en chef
Appel à thème
Ensemble des
soumissions
Reviewing
(critères quantitatifs)
Contributions
Thème
Sens
Plan du thème
Place dans le plan
Dossier
terminé
Guest Editor
(critères qualitatifs)
(critères qualitatifs)
Investigation
(Ex ante)
Évaluation
(Ex post)
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
301
LA POLITIQUE DE DIFFUSION : TRIPLE VISIBILITÉ
En accord avec le positionnement thématique de la revue, chaque numéro fait
l’objet de trois modes de diffusion.
Diffusion de la revue
Le premier mode de diffusion obéit aux critères classiques des revues
papier. Chaque numéro est diffusé auprès des abonnés que ceux-ci soient des
particuliers ou des centres de documentation spécialisés.
Diffusion de l’ouvrage
Chaque numéro constitue un dossier thématique avec un titre et des guest
editors spécifiques qui est diffusé dans une version ouvrage. Chaque dossier donne
lieu à un ouvrage, possédant un numéro ISBN différent de la revue, ouvrage qui est
diffusé dans le réseau SEUIL. Ce deuxième mode de diffusion accroit l’audience
des travaux engagés qui varie en fonction des thématiques abordées.
Diffusion électronique
Enfin, pour faciliter la consultation électronique des articles, chaque
dossier est déposé sur CAIRN permettant un accès ciblé par article auprès des
chercheurs dont les Centres de recherche sont abonnés à Cairn ou directement
auprès de particuliers qui peuvent acquérir chaque article pour un coût modique Ce
troisième mode de diffusion agit sur la lisibilité de la revue par l’amélioration du
référencement.
EN CONCLUSION
En 2005, pour faire face à une complexité organisationnelle croissante qui
appelle des modes de lectures pluridisciplinaires, la Revue internationale de
psychosociologie déploie une politique d’ouverture en intégrant les chercheurs en
sciences de gestion de plus en plus nombreux à utiliser la psychosociologie
permettant dès lors un dialogue interdisciplinaire entre gestion, psychosociologie et
économie.
De 2005 à 2010, la revue a défini une ligne éditoriale nouvelle qui a
permis une croissance forte de la production d’articles qui a doublé en 5 ans. Pour
cela elle a multiplié les collaborations entre chercheurs et institutions associées
pour permettre des constructions interdisciplinaires. De plus la revue prend de plus
en plus appui sur le développement de l’international tout en maintenant la rigueur
de sa sélection.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
302
ANNEXES : LES ACTEURS QUI FONT LA REVUE
Le Comité scientifique et de lecture
ABDESSEMED, Tamym
ESCEM Tours-Poitiers
AUDET, Josée,
Laval University, Québec,
AVENIER, Marie José,
CNRS Université de Grenoble
BARTH Isabelle
Université de Strasbourg,
BIBARD, Laurent,
ESSEC Cergy
BODIN, Jan,
Umeå University,
BONNET, Marc,
IAE ISEOR
BOURION, Christian,
BOURNOIS, Frank,
ICN Business School,
University of Panthéon-Assas,
CABY, Jérôme,
ICN Business School Nancy-Metz
EL FAIZ, Mohamed,
ENNAJI, Mohamed,
FILION, Louis Jacques
GENDRON, Corinne,
HAINARD, François,
HEROLD, David,
University of Marrakech
University of Rabat,
HEC Montréal
Université du Québec Montréal,
University of Neuchâtel,
Georgia Tech, Atlanta
HLADY RISPAL, Martine,
IGALENS, Jacques,
Université Montesquieu Bordeaux
Université des Sciences Sociales Toulouse
JANCZAK, Sergio,
University of Western Ontario,
JOLY, Allain,
HEC Montréal
JONKER, Jan,
LAROCHE, Patrice
Radboud University Nijmegen
University of Nancy 2
MAFFESOLI, Michel,
CEAQ-Sorbonne Paris
MUCCHIELLI, Alex,
PAILLE, Pierre,
University of Montpellier,
University of Sherbrooke,
PATUREL, Robert,
Université du SUD Toulon-Var
PERSSON, Sybil,
PETIT, André,
RUDAYA, Elen,
SAKALAKI, Maria,
ICN Business School,
University of Sherbrooke,
MGIMO-University,
University of Panteion-Athènes,
SCHMITT, Christophe,
SCHWARTZ-SHEA,
Peregrine,
ENSAIA (Agro) Nancy
University of Utah
SHARDLOW, Steven, M.
University of Salford,.
THÉVENET, Maurice,
YANOW, Dvora,
CNAM, ESSEC
Vrije Universiteit Amsterdam
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
France
Canada
Grenoble
France
France
Sweden
Lyon
France
France
France
Morocco
Morocco
Canada
Canada
Switzerland
USA
France
France
Canada
Montréal
Holland
France
France
France
Canada
France
France
Canada
Russia
Greece
France
USA
U.K
France
Hollande
303
Les thèmes de recherche
Vol N°
Années
0
1 Aut. 1994
I
2 Print. 1995
I
3 Aut. 1995
II
4 Print. 1996
II
5 Aut. 1996
III 6.7
1997
IV 9 Print. 1998
IV 10.11
1998
V 12 Print. 1999
V 13 Aut. 1999
VI 14 Print. 2000
VI 15 Aut. 2000
VII 16 17
2001
VIII 18 Print. 2002
VIII 19 Aut. 2002
IX 20 Print. 2003
IX 21 Aut. 2003
X 22 Print. 2004
X 23 Aut. 2004
XI 24 Print. 2005
Titres
Positions de la psychologie.
Détours identitaires.
Villes et communautés.
Syndicalisme et sciences sociales.
Psycho dynamique et psychopathologie du travail.
La résistible emprise de la rationalité instrumentale.
La scène sociale : crise, mutation, émergence.
La psychanalyse à l’écoute du social.
L’école : lieu de socialisation ?
Pratiques sociales de l’argent.
Récits de vie et histoire sociale.
Domaine privé – Sphère publique.
La recherche – Action. Perspectives internationales.
Autour de l’art et des arts.
Le compréhensible et l’inacceptable.
Le sport à corps et à cris.
Métaphore et interprétation.
Psychosociologie et politique.
Les droits de l’homme : crise et défi.
Subjectivité et travail
Nouvelle ligne éditoriale croisant les regards de la psychosociologie et de la gestion
XI 25 Aut. 2005 Est-il possible d’infléchir le changement ?
XII 26 Print. 2006 Systémique des relations dans les organisations
XII 27 Été 2006 Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
XII 28 Hiver 2006 Manager sa proximité, une question émotionnelle ?
XIII 29 Print. 2007 L’interaction et les processus de l’émergence.
XIII 30 Été 2007 Ruptures et liens
XIII 31 Hiver 2007 L’esprit d’entreprise
XIV 32 Print. 2008 Les représentations entrepreneuriales
XIV 33 Été 2008 La responsabilité sociale des entreprises
XIV 34 Hiver 2008 Éthique de la proximité
XV 35 Print. 2009 La quête d’un point de vue fondé
Prix Advancia-CCIP du meilleur ouvrage entrepreneuriat série Essais (n°32)
XV 36 Aut. 2009 Les responsables face aux situations critiques
Inscription de la revue dans la liste ESSEC en classe III
XV 37 Hiver 2009 Approches heuristiques de la formation des responsables
XVI 38 Print. 2010 Images du travail et des responsables
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
304
Les chercheurs publiés depuis mi 2005
1.
2.
ABDESSEMED, Tamym,
ALBERT, Marie-Noëlle,
3.
AIMELET-PERISSOL, Catherine,
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
40.
41.
42.
43.
AISSANI, Yousef,
AÏT-OMAR, Abderrahim,
ALLISON Scott T,
ANTOINE, Alain,
ANSIAU, David,
ARNAUD Stéphanie,
ASSELINEAU, François,
ARTAZA ABAROA, Felipe,
AUBOYER, Audrey,
AUDET, Josée,
AVENIER, Marie-José,
AZAN, Wilfrid,
BARES, Frank,
BARREDY, Céline,
BARRÈRE, Pierre,
BAYAD, Mohamed,
BEAUPRE, Daniel,
BENOIT, Denis,
BERNARD, Marie-Josée,
BERGER-DOUCE, ,
BIBARD, Laurent,
BOCH-GALHAU, Wilfrid V,
BODIN, Jan,
BOUCHRA, RADI,
BOURION, Christian,
BOURNOIS, Frank,
BORDES, Odile,
BRAHY, Armelle,
BRASSEUR, Martine,
BRIZON, Anne,
CABY, Jérôme,
CASALEGNO, Jean-Claude,
CARBONNEL, Anne,
CHANOT, Laure,
CHAUVIGNÉ, Christian,
CLOUTIER, Julie,
CLEMENT, Jean-François,
CLOET, Héloïse,
COMEAU, Yvan,
COSSON, Franck,
44.
45.
46.
47.
48.
49.
50.
51.
52.
53.
54.
55.
56.
57.
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
65.
66.
67.
68.
69.
70.
71.
72.
73.
74.
75.
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
CORNUAU, Frédérique,
COURBET, Didier,
COUTERET, Paul,
CREPLET, Frédéric,
CRISTOL, Denis,
CUSIN, Julien,
DAGORN, Nathalie,
DAVISTER, Catherine,
DE BRY, Françoise,
DEFFAYET, Sylvie,
DELEVAY, Michel,
DELOFFRE, Guy,
DEJOUX, Cécile,
DELEFIX, Christian,
DE SERRES, Andrée,
DE SOIR, Erik,
DESQUINABO, Nicolas,
DIETSCH, Olivier,
DOBIESKI, Bernard,
DUCHAMP, David,
DUFAULT, Patrick,
EL KANDOUSSI, Fatima,
FELIX, Pierre-Laurent,
FILION, Louis Jacques,
FOOS, Yvon,
FOURQUET, Marie-Pierre,
FUSTIER, Bernard,
GASSEMI, Karim,
GEHIN, Betty-Anne,
GENDRON, Corinne,
GEORGET, Patrice,
GIRARD, Bernard,
GOTER, Françoise,
GUILLEMIN, Arnaud,
HAUVETTE, Didier,
HLADY RISPAL, Martine,
IGALENS, Jacques,
IVANAJ, Silvester,
JIMENEZ, Amparo,
JOLLY, Allain,
JOSSE, Evelyne,
JOUSSELLIN, Agnès,
KIM, JongHan,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
305
87. KODJOE, Ursula,
88. KOEHL, Jacky,
89. LAUDE, Laetitia,
90. LAVERGNE, Catherine,
91. LENHARDT, Vincent,
92. LEROUVILLOIS, Nicole,
93. LESCA, Humbert,
94. LESCA, Nicolas,
95. LIEVRE, Pascal,
96. LIVIAN, Yves, Frederic,
97. LOGEROT, François,
98. MAZNIEN, Laurent,
99. MAQUE, Isabelle,
100.MAUDUIT, Alexandra,
101.MELIOU, Eleni,
102.MIERE, Michel,
103. MAFFESOLI, Michel
104. MEHMANPAZIR, Babak,
105. MANSOURI, Nader,
106. MERMINOD, Nathalie,
107. MOES, Alexandra,
108. MOISSON, Virginie,
109. MORIN, Denis,
110. MORIN-ESTEVE, Christine,
111. MOTTO, Chantal,
112. MUCCHIELLI, Alex,
113. MUCHERIE, Laurent,
114. MULLER, Renaud,
115. N’GOALA, Gilles,
116. OLIGNY, Michel,
117. PATUREL, Robert,
118. PARRINI-ALEMANNO,Sylvie,
119. PENEY, Sandrine,
133. SCHWARTZ-SHEA, Peregrine,
134.
135.
136.
137.
138.
139.
140.
141.
142.
143.
144.
145.
146.
147.
148.
TAKHAR, Jennifer,
TCHOTOURIAN, Ivan,
RIX LIEVRE, Géraldine,
ROQUES, Olivier,
SACHET MILLIAT, Anne,
SAKALAKI, Maria,
SAINT AUBERT, Hervé,
SANMARCO, Philippe,
SCHLERET, Jean-Marie,
THEVENET, Maurice.
TREBUCQ, Stéphane,
VERNAZOBRES, Philippe,
VIENOT, Pierre,
WECHTER, Heidi,
YANOW, Dvora, etc.
120. PELLISSIER-TANON, Arnaud,
121. PERRETI, Jean-Marie,
122. PERSSON, Sybil,
123. PRALONG, Jean,
124. QUANG-TRI TRUONG, Olivier,
125. RAMBOARISATA, Lovasoa,
126.RENAUDIN, Richard,
127.ROUERS, Jean-Claude,
128.ROUX, Karine,
129. SANS, Jacques,
130. SHEEMAN, Dave,
131. SCHMITT, Christophe,
132. SCHUMACHER, E. Günter,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
306
Les institutions collaboratrices depuis mi 2005
1. Belgique
1. Association Européenne des Psychologues Sapeurs-Pompiers,
2. Association de Langue Française pour l’Étude du Stress et du Trauma,
3. Centre d’Économie Sociale, Université de Liège, (Liège),
4. Centre pour l’Étude du Stress et du Trauma,
5. Chaire CERA, Université de Liège, (Liège),
6. École Royale militaire,
7. European Congress on Work and Liege
8. Organizational Psychology
9. HEC-École de Gestion, Université de Liège, (Liège),
10. Médecins Sans Frontières-Belgique,
11. Université Libre de Bruxelles, (Bruxelles),
12. Service d’Incendie et d’Aide Médicale Urgente (Leopoldsburg).
2. Canada
13. Ordre professionnel des travailleurs sociaux
Québec
14. Association des Policiers Provinciaux
Québec
15. CÉGEP (Rivière-du-Loup, Québec),
16. Centre d’Intervention des Basses-Laurentides pour l’Emploi (CIBLE),
17. Chaire de responsabilité sociale et de développement durable (UQAM),
18. École des sciences de la gestion (UQAM), (Montréal),
19. École de service social de l’Université Laval (Québec),
20. École de service social, Ste-Thérèse, (Québec),
21. Faculté de droit de l’Université de Montréal, (Montréal),
22. HEC Montréal, Department of Management, (Montréal),
23. HEC Montréal, Chaire d'entrepreneuriat Rogers - J.-A.-Bombardier,
24. Université Laval, (Québec),
25. Université du Québec à Montréal (UQAM) ,
26. University of Alaska, Fairbanks, département de Psychologie, (Alaska),
27. University of Richmond, département de Psychologie, (Richmond),
3. États-Unis et 4. Grande Bretagne
28. American Critical Incident
Baltimore,
29. Stress Foundation
Maryland
30. International Society for Traumatic Atlanta
31. Stress Study (ISTSS)
Georgia
32. American Institute for Research,
33. California State University,
34. Department of Psychology at the University of Pittsburgh,
35. Department of Public Affairs & Administration at the University of
Pittsburgh,
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
307
36. Institute of Public & International Affairs,
37. University of Utah.
5. France
Associations
38. AFGRH (Paris, La Défense),
39. Académie Stanislas, (Nancy),
40. Académie Lorraine des Sciences, (Nancy),
41. Association Développement Veille Stratégique, Intelligence Économique
(Grenoble),
42. Association Française de Réflexion et d’Échange sur la Formation
Entreprises et institutions professionnelles
43. Clarion France
44. Corps préfectoral
45. Cour des Comptes
46. Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées
47. Ministère de la Défense
48. Ordre des Experts comptables
Écoles
38. Advancia-Negocia, (Paris),
39. ARTEM (Nancy),
40. CERAM, (Nice),
41. EDHEC, (Lille, Sophia-Antipolis),
42. ESCEM (Tours-Poitiers),
43. École Nationale d’Art, (Nancy),
44. École Nationale Supérieur d'Agronomie et des Ind. Alimentaires (Nancy),
45. École de Management de Strasbourg (Strasbourg),
46. École des Mines, (Nancy),
47. EM Lyon (Lyon),
48. Euro Med (Marseille),
49. ESCP EUROPE,
50. ESC, (Clermont-Ferrand),
51. ESDES UCLY (Lyon),
52. ESSEC (Cergy),
53. ENA, (Strasbourg),
54. HEC Paris, (Paris),
55. IECS (Strasbourg),
56. lESC, (Montpellier),
57. ICN Business School (Nancy-Metz),
58. Institut National Polytechnique de Lorraine (Nancy),
59. INT Management, (Paris),
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
308
60. ISC Paris, (Institut Supérieur du Commerce de Paris).
61. MINES Paristech, (Sophia-Antipolis),
Fédération
62. International Coach Federation, (ICF), (Paris),
Centres de recherche et laboratoires
63. BETA (Bureau d’Économie Théorique et Appliquée), (Strasbourg),
64. Centre d’appui à l’amélioration continue de la qualité Rennes
65. CELSA Centre d’Études Littéraires et Scientifiques Appliquées, (Paris),
66. Centre d’études et de recherche sur les organisations et la gestion (AixMarseille),
67. CEDAG-gestion, (Malakoff),
68. Centre de Recherche sur les Crises, (Sophia-Antipolis),
69. Centre National de la Recherche Scientifique, CNRS (Paris),
70. CERAG UMR 5820, Centre d'Ét. et de Rech. Appliquées à la Gestion
71. CEREQ, Centre d'Étude et de Recherche sur l'Évolution de Qualifications,
(Marseille),
72. CEREFIGE ; Centre Européen de Recherche en Économie Financière et
Gestion des Entreprises, section Entrepreneuriat (EG2P), (Nancy),
73. CEROG, (Aix Marseille),
74. ISEOR, (Lyon),
75. CESDIP ; Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions
pénales (UMR 8183),
76. CLERSE Centre Lillois d’Études et de Recherches Sociologiques et
Économiques, UMR 8019, (Lille),
77. CRCGM (EA 3849) Centre de Recherche Clermontois en Gestion et
Management (Auvergne),
78. CREF (EA 1589) : Centre de Recherche Éducation, Paris Ouest
79. Formation, (Nanterre),
80. CREPA : centre de recherche d’économie pure et appliquée, (Paris),
81. CRESCEM, Centre de Recherche de l'Escem, (Tours-Poitier),
82. GRIPIC (CELSA, Paris IV), Groupe de recherches interdisciplinaires sur
les processus d’information, (Paris),
83. CIFFOP : Centre interdisciplinaire de formation à la fonction personnel
(Paris),
84. LIRHE ; Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Ressources
Humaines de l'Emploi (Toulouse),
85. Observatoire des e-récits de vie, ICN Business School, (Nancy),
86. Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et
d’enseignement supérieur,
87. Pôle de Recherche Tr@jectoires, (Rouen),
88. Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC, Paris).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
309
89. SEPC, Société d’Étude des Pays du Commonwealth, Nouvelle Sorbonne
(Paris III), (Paris),
90. UMR n°7522 du CNRS, Université Louis Pasteur, (Strasbourg),
Groupes de Recherches Thématiques (GRT AGRH)
91. GTR (Groupe Thématique de Recherche), Coaching et mentoring (AGRH),
(Paris La Défense),
92. GTR Santé (AGRH), (Paris La Défense),
93. GRT Tétranormalisation (AGRH), (Paris ; La Défense),
Instituts
94. IAE (Aix Marseille),
95. IAE (PUSG), (Bordeaux),
96. IAE (Corse),
97. IAE, (Grenoble),
98. IAE, (Nancy),
99. IAE, (Lyon),
100. IAE, (La Réunion),
101. IAE, (Paris),
102. IAE (Toulouse),
103. IAS, Institut International d'Audit Social, (Paris),
104. ICN, Institut Commercial de Nancy, (Nancy),
105. Institut de Gestion de l’Université de La Rochelle, (La Rochelle),
106. Institut du Management (EHESP), (Rennes),
107. Institut Psychanalyse et Management, (Montpellier),
108. IRGO - ERM, (Institut de Recherche en Gestion des Organisations),
109. Institut Sciences et Pratiques d’Éducation et de Formation, (Lyon),
Universités
110. La Sorbonne (Paris),
111. Nancy Université (Nancy),
112. Nouvelle Sorbonne Paris III, (Paris),
113. Université d’Aix Marseille III (Aix Marseille),
114. Université d’Auvergne, CRCGM EA 3849,
115. Université Blaise Pascal, (Clermont),
116. Université de Corse, (Corte),
117. Université de Grenoble 2, (Grenoble),
118. Université de Haute Alsace,
119. Université de Haute Bretagne, Rennes 2, (Rennes),
120. Université Jean Moulin (Lyon 3),
121. Université Louis Pasteur (Strasbourg),
122. Université Lumière de Lyon 2, (Lyon),
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
310
123. Université Lyon 3, (Lyon),
124. Université de Metz, (Metz),
125. Université Montesquieu, Bordeaux IV (Bordeaux),
126. Université Montpellier 2, (Montpellier),
127. Université de Nancy 2, (Nancy),
128. Université Panthéon Assas (Paris II),
129. Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, (Paris),
130. Université de Paris V,
131. Université Paris Dauphine, (Paris),
132. Université Paris Descartes, (Île de France),
133. Université Pierre Mendès-France, (Grenoble),
134. Université de la Sorbonne Paris IV, (Paris),
135. Université des Sciences et Technologies de Lille 1, (Lille),
136. Université du SUD Toulon-Var, (Toulon),
137. Université des Sciences et Technologies de Lille1, (Lille),
138. Université de Versailles (Saint-Quentin en Yvelines),
6. Grèce
139. Département de Psychologie de l’Université Panteion, (Athènes),
7. Maroc
140. École Nationale de Commerce et de Gestion, Université IBN ZOHR (UIZ),
(Agadir).
8. Pays Bas
141. Faculty of social sciences, Vrije universiteit, (Amsterdam).
9. Suède
142. Umeå School of Business & Economics, (USBE), (Umeå).
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
311
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
312
RÉSUMÉS
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
313
Titre : Quelles régulations du fait religieux en entreprise ?
Auteurs : Géraldine GALINDO & Joëlle SURPLY
Résumé : Si les convictions religieuses plurielles ont toujours existé dans les
entreprises, les proportions et les comportements des salariés croyants se sont
cependant transformés en quelques dizaines d’années en France. La diversité
religieuse est ainsi devenue une caractéristique nouvelle mais aussi taboue des
entreprises privées. L’objectif de cette communication est de mettre en évidence
l’émergence du fait religieux dans les entreprises et la manière dont cette émergence
conduit à reconsidérer les règles en vigueur. Les gestionnaires des ressources
humaines sont en effet placés en première ligne pour gérer les effets
organisationnels ou humains de la diversité croissante des croyances, mais aussi la
montée des revendications. Dans une première partie, nous analyserons les besoins
d’une nouvelle régulation face aux faits religieux en entreprise, en nous appuyant
sur la théorie de la régulation de Reynaud. Dans une seconde partie, nous
présenterons les trois cheminements possibles de régulation.
Mots clefs : Religion – gestion du fait religieux – régulation – règles autonomes –
règles de contrôle
Titre : Don et contre-don. Pour éclairer la crise de la relation salariale
Auteur : Laetitia PIHEL
Résumé : Cette communication s’intéresse à la relation salariale moderne et à la
crise qui s’est installée entre les salariés et l’entreprise. Elle propose de démontrer la
pertinence de la théorie du don/contre-don pour analyser la relation salarié/entreprise
et comprendre les points d’achoppement actuels de celle-ci. Après avoir positionné
cette théorie au regard de la littérature en management (implication
organisationnelle, contrat psychologique), elle montre à partir d’une étude du
contexte moderne, comment le don/contre-don nous éclaire sur les comportements
actuels des salariés et leurs réactions.
Mots clefs : relation salariale, don/contre-don, implication, modernité, impasses.
Titre : Restructurer l’entreprise. Analyse polysémique des enjeux pour les
salariés amenés à vivre les transformations.
Auteurs : Maryse DUBOULOY & Laetitia PIHEL
Résumé : Cette communication se propose d’aller au cœur du vécu des
restructurations internes dans ce qu’elles induisent pour les salariés amenés à rester
dans l’entreprise et vivre les réformes décidées par la direction (transformation des
valeurs, du travail, du management, etc.). Plus concrètement et s’appuyant sur une
démarche clinique, elle s’intéresse à la dimension symbolique de l’échange salarial,
au lien tissé entre l’individu et l’organisation au cours du temps. Elle analyse les
implications sur la relation salarié/entreprise de la transformation de l’espace
d’échange à partir des théories anthropologiques du don et des théories
psychanalytiques de l’espace transitionnel, du narcissisme et du deuil. Cette
ouverture théorique et disciplinaire permet alors une analyse des maux des salariés
en révélant le sens profond de leurs discours, de ce qui se joue dans l’échange et de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
314
ce qui ne se joue plus lorsque l’entreprise change les règles. Elle appelle par ses
résultats et son positionnement à repenser les outils traditionnels du management du
changement en présentant des enjeux voilés qui s’ils ne sont pas saisis gênent la
réussite et le succès à venir de l’organisation.
Mots clefs : don/contre-don, lien social, espace transitionnel, deuil, narcissisme,
restructurations.
Titre : L’odyssée spirituelle des dirigeants. 5 passages de leadership
Auteurs : Catherine VOYNNET FOURBOUL & Quentin LEFEBVRE
Résumé : Cette recherche qualitative menée auprès de 20 dirigeants a pour but de
relater l’activation spirituelle des dirigeants lors des épreuves qu’ils traversent : les
passages de leadership. Située dans le cadre du leadership spirituel, cette
communication se concentre sur 5 cas de dirigeants pour lesquels des monographies
par cas et par thème sont proposées afin de démontrer la nature de la relation entre
passage de leadership et spiritualité. La discussion porte sur les expériences
dévoilées qui font état des réactions transformant et fortifiant les dirigeants malgré
un contexte peu ouvert à l’accompagnement spirituel sur le lieu de travail.
Mots clefs : Passages de leadership, spiritualité, développement des leaders, servant
leadership
Titre : Manager l’implication du volontaire. Le cas des sapeurs-pompiers
Auteur : Sébastien CHEVREUIL
Résumé : 80 % des sapeurs-pompiers français ont un statut volontaire.
L’accroissement de l’activité opérationnelle des services d’incendie et de secours
(SDIS) conduit à s’interroger sur les ressorts de leur implication. Celle-ci constitue
en effet un levier fondamental pour réduire les risques d’abandon, susciter une
activité plus intense et une meilleure adéquation de ces individus aux buts de
l’organisation. Nous présentons et discutons les résultats d’une recherche ayant eu
pour support une enquête qualitative (n=47) dans 3 SDIS sur l’implication
organisationnelle des sapeurs-pompiers volontaires. Il en ressort que cette
implication est influencée par des variables environnementales telles que l’entourage
familial, économique et local du sapeur-pompier volontaire, ainsi que par des
variables organisationnelles recouvrant les activités opérationnelles, fonctionnelles
et les rapports volontaires-professionnels. Nous avançons, pour ces différentes
variables, certaines préconisations susceptibles d’entretenir et de développer
l’implication des sapeurs-pompiers volontaires.
Mots clés : implication organisationnelle – sapeurs-pompiers – volontariat –
organisation non marchande.
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
315
Titre : Satisfaction, implication, engagement, enracinement et intention de
départ des jeunes cadres. Une relation ambigüe
Auteurs : Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS & Véronique NGUYEN
Résumé : Dans un contexte où les pratiques managériales sont questionnées
(Thévenet, 2009),
la question de l’étude de la relation entre l'individu et
l'organisation reste centrale si l'on en juge par l'intérêt grandissant des chercheurs et
des praticiens, dans la tradition du courant théorique du contrat psychologique
(Rousseau, 1995), pour les thèmes de l'engagement et l’enracinement des salariés
(Mitchell et Al, 2001 ; Bakker & Schaufeli, 2008) faisant suite à plusieurs décennies
de travaux de recherche sur les thèmes de la satisfaction (e.g. Igalens, 1999 ; Locke,
1976) et de l'implication au travail (e.g. Morrow, 1983 ; Thévenet, 1992,) etc. Par
ailleurs, l'une des dimensions de la relation entre l'individu et l'organisation parmi
les plus étudiées est sans conteste l’intention et/ou la décision de quitter
volontairement l'organisation : le turnover volontaire a en effet fait l'objet de très
nombreuses recherches empiriques pour en évaluer tout autant les causes que les
conséquences (e.g. Dreher, 1982 ; Mobley, 1982 ; Neveu, 1996 ; Price, 2000).
S'appuyant sur ces divers courants de recherche, cette contribution a pour objectif de
réexaminer la relation entre satisfaction, implication, engagement, enracinement et
intention de départ des cadres dans la première phase de leur carrière
professionnelle dans le contexte d'une recherche menée début 2009 par internet
auprès d'une population de plus de 200 diplômé(e)s d'une grande école de gestion
pour la plupart âgé(e)s moins de 30 ans. Les résultats montrent que l’impact de la
satisfaction au travail sur l'intention de départ est beaucoup plus fort que ceux
d'autres facteurs explicatifs : l'implication, l’engagement et l'enracinement.
Mots clefs : Satisfaction, implication, engagement, enracinement, intention de
départ.
Titre : Dimensions et conséquences de la satisfaction au travail des apprentis.
Le cas de l’enseignement supérieur
Auteurs : Sarah ALVES, Bérangère GOSSE, Pierre-Antoine SPRIMONT
Résumé : L’évaluation de la qualité de l’expérience professionnelle vécue par un
apprenti s’exprime notamment par sa satisfaction au travail. Quelles sont les
dimensions de la satisfaction au travail chez les apprentis de l’enseignement
supérieur ? Quelles sont les conséquences de ces dimensions sur la satisfaction pour
l’apprentissage et sur son engagement affectif pour l’entreprise ? Une investigation
par questionnaire et entretiens auprès d’apprentis du supérieur révèle les facettes de
la satisfaction au travail en termes d’attentes et leurs conséquences.
Mots clefs : satisfaction – apprentissage du supérieur – engagement affectif
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
316
Titre : Le genre et le leadership l’importance d’introduire les traits de
personnalité des leaders.
Auteur : Sarah SAINT-MICHEL
Résumé : Les entreprises françaises se trouvent confrontées à un problème de
représentation équilibrée des hommes et des femmes aux postes de direction et de
pouvoir. Face au phénomène du plafond de verre, les femmes restent sous
représentées dans les positions de pouvoir et de direction. Pour expliquer en partie
ce phénomène, certains chercheurs mettent en avant le poids des stéréotypes en
terme de genre et du « modèle managérial dominant » qui entraveraient l’accès des
femmes à ces positions de pouvoir et de leadership. Ainsi le genre semble être une
variable importante qui structure les organisations et, il nous paraît important de
l’introduire, afin d’expliquer et de comprendre l’impact éventuel du genre sur le
style de leadership. De plus, face à l’intérêt grandissant des recherches sur les
différences individuelles et le leadership par le biais du modèle du « Big Five »
(Costa et McCrae, 1992), il nous paraît important de comprendre et d’expliquer
l’impact du genre sur les traits de personnalité des leaders. Cette communication
tente de dresser un état des lieux de la recherche théorique et empirique des liens
entre le genre, le leadership et les traits de personnalité du leader.
Mots clefs : Genre – Leadership –Trait de personnalité des leaders – « Big Five »
Titre : Diriger : entre compromis et transgression. Une analyse de la relation
dynamique
Auteurs : Christel BEAUCOURT & Laëtitia LAUDE
Résumé : Les réformes successives des organisations de santé ont augmenté
l’instrumentation de gestion (T2A, contractualisation, exigences de qualité). En
révélant certains problèmes sans parvenir forcément à les résoudre, elles ont
accentué le besoin des professionnels de santé de comprendre ce que signifient les
changements qui s’imposent à eux. Il est intéressant de comprendre comment les
dirigeants font face, sans trop d’inconvénients pour eux, à des situations qui peuvent
sembler problématiques ou incohérentes. Nous avons observé ces arrangements
pendant quatre ans, auprès de six dirigeants du secteur de la santé. Entre compromis
et transgressions, leur analyse constitue l’objet de cet article. Selon nous, il y a une
relation dynamique entre la nécessité de compromis et le besoin de transgression. A
travers cette relation, les dirigeants parviennent à combiner les niveaux
institutionnels, organisationnels et individuels de leurs pratiques, tout en gérant les
controverses et les contradictions qu’ils renferment.
Mots clés : dirigeant, transgression, compromis
Titre : Les comportements déviants à la règle. L’impact des conditions de
travail et de rémunération. Une application à une salle de marché
Auteurs : Christelle HAVARD & Matthieu POIROT
Résumé : L'environnement et l'exécution de l'activité bancaire sont réputés être des
environnements hyper-régulés. Pourtant les événements récents qui ont fait l'objet de
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
317
l'actualité ont montré que, malgré cette hyper-régulation, les déviances existent
substantiellement et peuvent conduire à des dérives. Au-delà de l'actualité, l'objectif
de cette communication est d'analyser la manière dont on peut comprendre et
expliquer les comportements de déviance par rapport à la règle dans un
environnement caractérisé par une hyper-régulation. L'approche théorique retenue
combine des éléments de réflexion d'origine psychologique et sociologique et
propose une grille de lecture contextualisée de la déviance. Cette dernière est ensuite
mobilisée pour analyser la situation d'un établissement bancaire. L'analyse montre
alors que les comportements de déviance peuvent être générés en partie par les
conditions de travail et de rémunération en vigueur dans l'organisation.
Mots clefs : Déviance, règle, conditions de travail, management, GRH
Titre : La satisfaction au travail. Une conséquence du choix des outils
statistiques et des instruments de mesure en GRH
Auteur : Katia IGLESIAS, Olivier RENAUD & Franziska TSCHAN
Résumé : La satisfaction au travail est un concept central en gestion des ressources
humaines. Malgré cela les relations trouvées entre ce concept et d’autres variables
du champ restent encore parfois incertaines voire même contradictoires dans certains
cas. Cet article relève trois problèmes : le premier, pouvant affecter directement les
liens entre la satisfaction au travail et d’autres variables du champ, concerne les
outils statistiques utilisés pour analyser la satisfaction au travail. Pour discuter de ce
point, nous évaluons les besoins des chercheurs pour répondre à leurs
questionnements, ainsi que les apports et limitations des différents outils statistiques
utilisés. Les deuxièmes et troisièmes problèmes touchent la satisfaction au travail
elle-même et concernent la définition ainsi que les instruments de mesure de la
satisfaction au travail. Une fois ces problèmes énoncés, sur la base d’un jeu de
données empiriques et en utilisant les outils statistiques adaptés pour répondre aux
questions des chercheurs, nous avons analysé quatre mesures de satisfaction au
travail avec des modèles à effets mixtes. Pour analyser ces dernières, deux groupes
de déterminants ont été utilisés : des facteurs liés au travail et des facteurs liés à la
personne. Il ressort que pour les déterminants fortement liés à la satisfaction au
travail, les résultats sont proches pour les quatre échelles de satisfaction au travail.
Par contre, pour les variables explicatives dont le lien avec la satisfaction au travail
est plus faible, la significativité va dépendre du choix de l’instrument de mesure de
la satisfaction au travail. Par conséquent, les différentes échelles de satisfaction au
travail analysées n’opérationnalisent pas la même définition de la satisfaction au
travail.
Mots clefs : Satisfaction au travail, définition, instrument de mesure, modèles à
effets mixtes
Revue Internationale de Psychosociologie, hiver 2010
318
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N° 39
S
OU
V
EZ
N
ON
AB
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Printemps 1995
Automne 1995
Printemps 1996
Automne 1996
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Printemps 1998
Automne 1998
Printemps 1999
Automne 1999
Printemps 2000
Automne 2000
Print/Auto. 2001
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Automne 2002
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Détours identitaires
Villes et communautés
Syndicalisme et sciences sociales
Psycho dynamique et psychopathologie du travail
La résistible emprise de la rationalité instrumentale
La scène sociale : crise, mutation, émergence
La psychanalyse à l’écoute du social
L’école : lieu de socialisation ?
Pratiques sociales de l’argent
Récits de vie et histoire sociale
Domaine privé – Sphère publique
La recherche – Action. Perspectives internationales
Autour de l’art et des arts
Le compréhensible et l’inacceptable
Le sport à corps et à cris
Métaphore et interprétation
Psychosociologie et politique
Les droits de l’homme : crise et défi
Subjectivité et travail
Est-il possible d’infléchir le changement ?
Psychosociologie et systémique des relations dans les organisations
Le coaching entre psychanalyse et Problem Solving
Le management de proximité, une question d’apprentissage émotionnel
L’interaction et les processus de l’émergence
Ruptures et liens
L’esprit d’entreprise au pays des 35 heures
Les représentations entrepreneuriales
La responsabilité sociale de l’entreprise
Éthique de la proximité
Interprétations et méthodes qualitatives. La quête d’un point de vue fondé
Les responsables face aux situations critiques
Les approches heuristiques dans la formation des responsables
La RSE est-elle psychosocialement responsable ?
Quelles images du travail et des responsables ?
à la Revue Internationale
de Psychosociologie
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NOUVEAUX COMPORTEMENTS
NOUVELLE GRH ?
Sous la direction de
Lionel HONORE
Dominique Philippe MARTIN
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Regards croisés pour une GRH de
demain
Lionel HONORÉ,
Dominique Philippe MARTIN &
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Quelles régulations du fait religieux en
entreprise ?
Géraldine GALINDO & Joëlle SURPLY
Le « don/contre-don »
Laetitia PIHEL
Restructurer l’entreprise
Maryse DUBOULOY & Laetitia PIHEL
L’odyssée spirituelle des dirigeants
Catherine VOYNNET FOURBOUL
Manager l’implication du volontaire
Sébastien CHEVREUIL
Satisfaction, Implication, Engagement,
Enracinement et Intention de Départ des
Jeunes Cadres
Charles-Henri BESSEYRE DES HORTS &
Véronique NGUYEN
Le genre et le leadership
Sarah SAINT-MICHEL
Diriger : entre compromis et
transgression
Christel BEAUCOURT & Laëtitia LAUDE
Les comportements déviants à la règle :
l’impact des conditions de travail et de
rémunération
Christelle HAVARD & Matthieu POIROT
Satisfaction au travail
Katia IGLESIAS, Olivier RENAUD &
Franziska TSCHAN
GRH et comportements : au-delà
du croisement des regards
Lionel HONORÉ,
Dominique Philippe MARTIN &
Gwénaëlle POILPOT-ROCABOY
Présentation de la Revue Internationale
de Psychosociologie (RIP)
Frank BOURNOIS & Christian BOURION
La satisfaction au travail des apprentis
Sarah ALVES, Bérangère GOSSE &
Pierre-Antoine SPRIMONT
ISBN 978-2-7472-1748-4
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