LES PROCÉDURES D’URGENCE EN DROIT DU TRAVAIL (1ère partie), par Léa SIKORA

Publié le par AEDSN

LES PROCÉDURES D’URGENCE EN DROIT DU TRAVAIL

Introduction

 

Nous allons essentiellement parler des référés puisque devant le CPH la procédure sur requête n’existe pas (nous verrons ça ultérieurement dans l’introduction). Devant le TGI nous avons éludé la question car il y avait trop d’informations sur les référés. Nous avons décidé de circonscrire notre travail aux référés.

Autre précision, il existe de nombreux référé mais n’ont pas voulu faire de liste exhaustive c’est pourquoi nous avons ciblé notre étude sur les procédures qui nous semblait les plus usitées et efficaces. Evelyne Serverin, directeur de recherche au CNRS a mené une étude sur les demandes en référé prud’homal et en révèle la teneur. Ce travail est appelé « les litiges du travail au temps du jugement prud’homal » mené en juin 2000. On constate ainsi que :

 54% des demandes principales ont trait à la rémunération

17% au titre d’indemnités de rupture (de préavis ou de licenciement)

6% sont liées à la remise de documents (certificat de travail ; assedic…)

2/3 des demandes sont accueillies en totalité

les décisions qui sont le plus souvent favorables au salarié sont celles concernant la remise de document par l’employeur ou celles liées à la rémunération.

Les procédures d’urgence sont anciennes, elles résultent de l’usage du Lieutenant Civil du Châtelet de Paris de 1685. Elles ont ensuite été consacrées dans le Code de Procédure Civile de 1806 (qui était une compilation des acquis révolutionnaires et coutumiers de l’Ancien Régime). Le référé n’existait alors que devant le Président du Tribunal Civil. Aujourd’hui cette procédure est considérée comme extrêmement séduisante et notamment en matière prud’homale ou la lenteur de la procédure est légendaire. Le professeur Perrot a même dit des procédures d’urgences qu’elles « avaient sauvé l’honneur judiciaire de la France ». C’est la juridiction qui rempli le mieux les exigences de rapidité et d’efficacité Aujourd’hui, les magistrats ayant le pouvoir de statuer en référé sont le premier président de la Cour d’Appel, le Président du Tribunal de Grande Instance, celui du Tribunal de Commerce et celui du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux ainsi que la formation de référé du Conseil de Prud’hommes. En matière administrative la procédure de référé existe également et les magistrats investis de ce pouvoir sont les Présidents des Tribunaux Administratifs et ceux des Cours Administratives d’Appel ainsi que les magistrats qu’ils désignent. Au sein du Conseil d’Etat, il s’agit du Président de la Section du Contentieux et les Conseillers d’Etat qu’il désigne. 

En 1974 le référé prud’homal est créé. Il permet d’obtenir une décision d’urgence lorsque les circonstances l’exigent. Il est défini par les articles R1455-5 (urgence) et R1455-6 (trouble manifestement illicite) du Code du Travail. On constate en revanche que la procédure sur requête n’a jamais été créée en matière prud’homale. Ceci procède d’une décision de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 12 avril 1995 Société Soprinal contre Soriano. La procédure sur requête est « une demande écrite adressée directement à un magistrat, sans mise en cause d’un adversaire, dans les cas où la situation à régler est urgente et où la nécessité commande qu’il soit procédé non contradictoirement. Il y ait répondu par une ordonnance de caractère provisoire et exécutoire sur minute et susceptible de rétractation »

Le référé civil ordinaire quand à lui est défini comme étant « une procédure contradictoire grâce à laquelle une partie peut dans certains cas, obtenir d’un magistrat unique une décision rapide qui ne se heurte à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ; le juge des référés peut, même en l’existence d’une contestation sérieuse, autoriser des mesures conservatoires ou ordonner des remises en état afin de prévenir un dommage imminent ou un trouble manifestement contraire à la loi ». La particularité du référé prud’homal est qu’il est rendu en formation de référé composée d’un conseiller salarié et d’un conseiller employeur, c’est ce qu’on appelle la règle du paritarisme. En cas de partage des voix, on fait intervenir le juge départiteur qui est juge professionnel.

Nous allons étudier dans un premier temps la procédure devant le CPH qui est compétent pour ce qui touche les intérêts individuel du salarié et le contrat de travail, nous étudierons les conditions d’actions (I) puis nous étudierons la défense des intérêts collectifs de la profession au travers la procédure devant le TGI exercée par les syndicats, IRP et l’inspecteur du travail ainsi que la procédure d’urgence devant le TA (II).

 

I – Procédure d’urgence en défense des Intérêts individuels du salarié : devant le CPH

 

A – Compétence du juge et procédure

 

1 – Compétence et Pouvoirs du Juge

 

Cadiet

La procédure de référé est une procédure qui s’est beaucoup développée, et ainsi différentes formes de référés ont vus le jour créant par la même des règles spéciales. Ces règles spéciales nécessitent en parallèle l’élaboration de règles communes dont rendent compte les articles 484 à 492 du code de procédure civile.

L’article 484 CPC définie l’ordonnance de référé comme étant « une décision provisoire rendue à la demande d'une partie, l'autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n'est pas saisi du principal le pouvoir d'ordonner immédiatement les mesures nécessaires ».

L’Article R1455-5 du code du travail concernant la compétence du juge des référés prud’homal établie que =
« Dans tous les cas d'urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud'hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. »

 

Article L1411-1 Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.  Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.

 

Existence d’un contrat de travail

Discrimination art L1132-1 à L1132-4

Précision : il faut en effet rappeler que la compétence et les pouvoirs du juge des référés ne doivent pas être confondu

La compétence concerne les règles applicables à la juridiction tandis que le pouvoir concerne les conditions exigées par la loi dans les différents cas d’ouverture du référé.

Ex : ne pas dire que le juge des référés est incompétent en l’absence d’urgence

Il existe selon l’article R1455-4 Code du travail une formation de référé dans tous les conseils de prud’hommes. Cette formation est commune à toutes les sections du conseil et elle doit siéger au moins une fois par semaine. Elle se compose, paritairement d’un conseiller employeur et d’un conseiller salarié avec une présidence alternée.

En dehors de la possibilité générale qui est reconnu au juge d’ordonner dans les cas d’urgence, toutes les mesures qui ne se heurtent pas à une contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend, le juge prud’homal peut aussi =

Prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état nécessitées

             - par un dommage imminent  (par exemple : la réquisition des grévistes pas une mesure pouvant être ordonnée pour prévenir un dommage imminent *chambre sociale  25 février 2003 D 2003 1925 note Bossu)

              -par un Trouble manifestement illicite

Accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution d’une obligation dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable (paiement un d’indemnité de préavis)

Application de l’art 145 CPC relatif au référé probatoire :

L’ article 145 du CPC dispose que «  s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Il s’agit pour le demandeur d’obtenir une mesure d’instruction avant tout procès et de ne saisir le juge que dans cet objectif.

Condition d’application de l’art 145 CPC :

Avant tout procès : Il n’y a pas de procédure en cours. La question s’est posée de savoir que lorsque l’on dit avant procès comment vérifier cette condition. Le jour où le juge est saisi, il faut savoir quelle est la condition au moment où le juge va statuer sur la demande de mesure d’instruction.

l’objet de la demande doit avoir un Motif légitime : C’est la seule véritable condition pour obtenir ces mesures d’instruction in futurum. C’est une condition qui n’en est pas vraiment une, cette notion est suffisamment élastique pour que le juge fasse ce qu’il veut. Il n’est pas nécessaire de s’engager à agir au fond. En réalité, on refuse les mesures d’instruction si l’action est manifestement irrecevable. Cela ne veut pas dire que les actions de recevabilité d’une action future ne vont pas être vérifiées. Selon le Doyen Normand, il faut faire une balance des intérêts en présence.

Mesures légalement admissibles : En pratique, cela pose des problèmes relatifs au secret professionnel.

Article R1455-1

tout ce qui traite des contrats individuels

a la mm compétence que ce qu’il a au niveau du fond

distinction entre compétence du juge et ses pouvoirs

compétence territoriale mais urgence prime dc pas de respect

compétence d’attribution : contrat individuel

 

 

2 – Procédure d’introduction d’un référé devant le CPH

 

(Cadiet)

Sauf présentation volontaire des parties, la demande en référé est formée soit par assignation signifiée au défendeur, soit par demande faite ou adressée au greffe du conseil des prud'hommes qui procède alors à la convocation du défendeur (art R1455-4) .

la formation de référé statue dans les conditions du droit commun après avoir entendu les parties, l’absence de comparution du défendeur régulièrement convoqué ou assigné n’empêchant pas la formation de référé de statuer.

En cas de partage des voix, l’affaire est renvoyée à une audience ultérieure présidée par le juge départiteur ;  cette audience doit être tenue, au plus tard, dans les quinze jours du renvoi (art R 1454-29). Mais qu’il y ait lieu ou non à la départition, la décision de la formation de départage est soumise au même régime : notifiée par le greffe de la juridiction (art R 1454-26), elle est insusceptible d’opposition et peut seulement être frappée d’appel, du moins si elle n’est pas rendue en dernier ressort ; sous réserve du délai d’appel de 15 jours (R1455-11). L’appel est formé, instruit et jugé selon les règles de la procédure sans représentation obligatoire.

En outre lorsque la demande qui lui est faite excède ses pouvoirs mais présente pourtant un caractère d’urgence particulière, la formation de référé peut renvoyer les parties devant le bureau de jugement plutôt que de les débouter purement et simplement. Cette technique, qui n’est pas sans rappeler la technique de la passerelle en usage devant le TGI, suppose toutefois que les parties en soient d’accord et que la formation de partage ait tenté en vain de les concilier. Par ailleurs, le désistement d’une instance introduite devant la formation de référé laisse intact le droit d’agir devant la formation de jugement du conseil des prud'hommes dès lors, que ce désistement d’instance ne se double pas d’un désistement d’action pur et simple

La procédure d’urgence en droit du travail est régie par les articles R 1455-9 et suivant du code du travail. Ces articles disposent que  la demande en référé est formée soit par acte d’huissier soit par présentation volontaire devant le BC Au sein du Conseil.

La formation de référé a des pouvoirs limités d’une manière générale à l’urgence et à l’évidence. La prise de décision doit pouvoir se faire sans hésitation et sans risque d’erreur de droit. On cherche en effet à obtenir une mesure immédiatement exécutoire, qui ne sera que provisoire et qui n’a pas au principal, autorité de la chose jugée (cette expression signifie que si le litige se poursuit au delà du référé les juges du Bureau de Jugement ne seront pas tenus par ce qui aura été décidé par la formation de référé et pourront en avoir une toute autre appréciation).

Le désir de précipiter l’issue du litige devant une juridiction où les délais sont réputés très longs.

Pour qu’une formation de référé fasse droit aux demandes présentées, il est indispensable que l’examen des pièces justificatives versées au débat et les explications fournies (voire les silences ou les acquiescements) montrent que la décision à prendre est en droit et en fait certaine et n’est susceptible de souffrir d’aucune contestation sérieuse.

Nous allons citer ici trois exemples de situations méritant la saisine des référés :

Le contrat de travail du salarié expire et l’attestation Assedic ne lui a pas été remise, la formation de référé ordonnera l’établissement de ce document.

Le bulletin de paie du salarié indique le montant dû du salaire, le chèque est à ce montant mais il reçoit un avis de la banque du tireur pour défaut de provision. La formation de référé ordonnera le paiement du salaire.

Le salarié est licencié par lettre. La lettre mentionne un préavis de trois mois mais qu’à l’initiative de l’employeur, le salarié sera dispensé de faire mais les salaires afférant à ces trois mois seront dûment payés. Mais seulement deux mois sont payés. Les juges de référé ordonneront le paiement des rémunérations relatives au mois conventionnel faisant défaut.

Il sera  en revanche inutile de saisir la formation de référé si :

la lettre de licenciement du salarié mentionne qu’il est licencié pour faute grave, par conséquent sans indemnité ni préavis. Il sera inutile de demander en référé le paiement des indemnités afférant au licenciement. Si le salarié souhaite contester le fondement de faute grave, il devra saisir le Bureau de Jugement, seul apte à trancher le litige sur le fond, la formation de référé n’étant pas compétente pour trancher de cette question.

Si le salarié est sanctionné par une journée de mise à pied avec une retenue sur salaire, qu’il conteste cette mise à pied et demande le remboursement de la retenue sur salaire, la formation de référé ne sera pas compétente pour apprécier le bien fondé et la réalité des motifs retenus par l’employeur pour sanctionner le salarié.

Après l’audience, le conseil rendra une ordonnance de référé. Si toutefois les conseillers n’ont pu se mettre s’accorder, ils se déclareront en partage de voix. Une autre audience de référé aura alors lieu ultérieurement et sera présidée par une troisième personne, un juge départiteur qui est juge professionnel (il sort de l’ENM). L’ordonnance de référé sera prononcée en premier et dernier ressort selon le montant des demandes. Seule l’ordonnance prononcée en premier ressort sera susceptible d’appel.

Il pourra être nécessaire à la suite de l’audience de référé de saisir le BC puis le BJ, soit parce que toutes les demandes n’ont pas été satisfaites soit parce qu’il n’avait pas lieu à référé pour d’autres. Alors une saisine par la voie normale sera nécessaire.

Il est possible, afin de gagner du temps, de demander lors de la saisine la convocation devant la formation de référé et devant le BC. La formation de référé peut aussi sans attendre nommer un ou deux conseillers rapporteurs pour mettre l’affaire en l’état d’être jugée au fond. C’est cependant une prérogative très rarement employée. Elle peut aussi se transformer sur le champ en BC mais cela reste très rare aussi.

Selon un article de Mr Rodriguez les pouvoirs détenus par le BC sont rarement mis en œuvre pourtant si le conseiller mettait en œuvre ‘ensemble de ses pouvoirs, la procédure de référé aurait surement moins d’intérêt. Ces deux procédures ne font tout de même pas double emploi.

 

B – Conditions de recevabilité de l’action : le recul de l’urgence

 

Les articles 808 CPC et 1455-5 CT subordonne l’intervention du juge des référés à deux conditions, l’urgence ou l’absence de contestation sérieuse mais une nouvelle forme de référé tend à se développer depuis les années 1980 c’est le référé-sauvegarde des articles 809 alinéa 1 CPC et 1455-6 CT.

 

1 – la Formation de référé du CPH: juge de l’urgence et de l’évidence

Dans notre pays le référé est une procédure remarquable car c’est le juge qui l’a imposée au législateur et non l’inverse. Pour se faire, il s’est fondé sur l’urgence. R.Perrot avait donné une définition de l’urgence dans son manuel de Droit Judiciaire Privé en considérant qu’il y avait urgence « toutes les fois qu’un retard dans la prescription de la mesure sollicitée serait préjudiciable aux intérêts du demandeur ».

Les critères de recevabilité de la demande de référé sont fondés sur des notions où sont mêlés le fait et le droit. En effet, l’urgence, qui est traditionnellement le critère de recevabilité de la saisine de la formation de référé est une notion de pur fait. Pour bénéficier de ce référé, il faut remplir deux conditions alternatives: l’urgence et l’absence de contestation sérieuse ou l’existence d’un différend :

Il faut prouver l’urgence ce qui n’est pas toujours une chose aisée. Comme il s’agit d’une notion factuelle, la Cour de cassation, juge de droit, n’exerce aucun contrôle dessus. Elle exerce en revanche un contrôle de la motivation des juges du fond. Ainsi le juge des référés aura dû relever l’urgence. Elle se contentera parfois d’une expression telle que « vu l’urgence ». L’urgence est définie comme étant une circonstance de fait permettant de demander au juge, une décision en référé. Elle justifie parfois une exécution provisoire du jugement ou une autorisation de signifier un acte ou d’exécuter en dehors des heures légales et des jours ouvrables. Tout retard entrainerait un grave préjudice pour celui qui s’en prévaut. Lorsque le juge statue sur le fondement de l’article 808 du CPC donc urgence en présence d’un litige ou en l’absence de contestation sérieuse il exerce une fonction de conservation. Le champ des mesures qui peuvent alors être exercées est alors extrêmement vaste (placement sous séquestre d’un bien litigieux ; désignation d’un mandataire de justice ; suspension de la délibération d’un CE en attendant que le juge du fond ait statué sur sa légalité). Le texte pose comme unique exigence que la mesure soit justifiée par la situation dont le juge est saisi. Lorsque le juge statue dans un cas d’urgence et qu’aucune contestation sérieuse ne s’élève, les mesures sont alors presque illimitées. Il peut ordonner toute mesures adaptées à la situation qui lui est soumise. Il se voit donc doté d’une très grande « force créatrice » (Doyen Carbonnier).

Ex d’urgence: aucune mesure de protection n’est prise sur un chantier de démolition et l’on frise l’accident de travail : TGI Paris 9 juillet 76 ; élections organisées dans des conditions manifestement irrégulières TGI Caen 2 juillet 68.

La notion d’obligation sérieusement contestable est également mêlée de droit et de fait. Effectivement, si la notion d’obligation est une notion de droit, le caractère de sérieux ou non de la contestation relève du fait. La Cour de Cassation exerce un contrôle sur les notions de droit et sur l’interprétation des faits. L’Assemblée Plénière impose en effet au juge des référés de caractériser l’existence d’une obligation non sérieusement contestable et de préciser les éléments de nature à établir l’évidence (cette solution a été consacrée par la Cass 16 novembre 2001 bull N°13 et Civ 1ere 7 novembre 2000). Ainsi a t-elle institué un mode de contrôle des excès de pouvoir souverain par le grief de dénaturation des faits. L’obligation non sérieusement contestable implique que l’adversaire oppose à cette prétention, une contestation qui ne peut-être sérieuse, qui est manifestement dénuée de tout fondement juridique. Selon les professeurs Foyer et Cornu, une absence de contestation sérieuse signifie qu’un simple coup d’œil suffit à constater l’urgence. Le professeur Martin quant à lui, avait parlé des référés comme un « Théâtre de l’Apparence » et du juge des référés comme un juge de l’évidence.

Soc 12 mars 2009 : « Mais attendu qu'il résulte des dispositions claires et dépourvues d'ambiguïté de l'article 5-15 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire que les jours fériés, s'ils sont travaillés, donnent droit, au choix du salarié, soit à un repos payé d'une durée égale au nombre de jours travaillés les jours fériés, soit au paiement au taux horaire contractuel des heures effectuées le jour férié, en sus de la rémunération mensuelle ; qu'ainsi, abstraction faite du motif erroné, mais demeuré sans emport sur les décisions, critiqué par la première branche du moyen, la formation de référé du conseil de prud'hommes, qui n'a violé aucun des textes ou principes visés au moyen, a exactement décidé que la demande des salariés tendant au paiement des jours fériés qui avaient été décomptés de leurs congés payés ne se heurtait à aucune contestation sérieuse ».

Soc 19 novembre 08 a considéré que «l'octroi d'une provision, dans le cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable, n'est pas subordonné à la constatation de l'urgence »

La mesure sollicitée ne doit pas se heurter à une contestation sérieuse. Le juge des référés est le juge de l’évidence. Aussi, il ne doit pas exister un problème juridique à régler au risque de se voir opposer une contestation sérieuse : c’est le cas par exemple, lorsque le débat porte sur des primes issue d’une convention collective que le salarié réclame et que l’employeur n’estime pas devoir régler car il considère que la convention collective dont le salarié réclame l’application n’est pas celle qui régit le contrat de travail du salarié.

Autre exemple : Une demande tendant à la délivrance d'un certificat de travail rentre bien dans le cadre des pouvoirs reconnus au juge des référés prud’homal. Mais elle est irrecevable en l'absence de circonstances particulières de nature à justifier l'urgence. Il doit d'autant plus en aller ainsi qu'existe une contestation sérieuse sur le fond relativement à la qualité de salarié : CA Reims 6 décembre 1978, Moureaux c/ Muller.

Ainsi cette juridiction serait de moins en moins celle à laquelle on n’a recourt qu’exceptionnellement pour obtenir des mesures d’urgence mais elle tendrait à être la juridiction naturelle des conflits qui ne suscitent aucune contestation sérieuse.

La deuxième condition est l’existence d’un différend dans le cas d’une contestation sérieuse. Dans cette situation, les mesures demandées au juge des référés sont des mesures conservatoires, d’attente ou de préparation (mise sous séquestre de fonds ; désignation d’un administrateur provisoire). L’existence d’un litige actuel ou tout du moins potentiel est une condition nécessaire à l’intervention du juge. La gravité du litige peut varier mais plus la mesure demandée est contraignante pour le défendeur plus le sérieux du différend doit être accentué. La contestation sérieuse est définie par J.Normand comme celle « où tous les moyens de défense opposés à la demande ne sont pas manifestement vains (…) qu’il existe une incertitude ». 

Exemples de contestation sérieuse : qualité de délégué syndical le jour du licenciement Soc 22 octobre 75 bull civ N°476 ; incertitude sur l’existence d’une démission CA Lyon 10 décembre 75.

 

Traditionnellement, l’urgence de la mesure et l’évidence du droit constituaient les conditions de l’intervention de la formation de référé. Cependant Messieurs Garsonnet et Cézar-Bru ont montré que l’on pouvait donner une définition plus large de l’urgence qui est celle de « la nécessité qui ne souffre aucun retard ». Ainsi on mettra à l’écart la condition d’urgence pour faire cesser un trouble manifestement illicite. On cherche à faire cesser une situation née du trouble et causé du fait de son illégalité. On remarque depuis les années 80, un recul de la condition d’urgence stricto sensu au profit des notions de trouble manifestement illicite et de dommage imminent. Cette solution procède du choix effectué par la Cour de cassation de développer le référé hors de sa sphère traditionnelle (Civ 19 janvier 1982, JCP G 1982, IV, 126).

 

2 – Le trouble manifestement illicite et le risque imminent de dommage : vers la défense des libertés fondamentales

Un cas d’ouverture à référé tend à se développer depuis les années 80, c’est ce qu’on nomme le référé-sauvegarde, il est codifié aux articles 809 alinéa 1 du Code de procédure civile et 1455-6 CT (nouvelle codification). L’article R 1455-6 du Code du travail permet de saisir le juge des référés même en présence d'une contestation sérieuse afin que ce dernier prescrive  les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Ainsi le juge des référés exerce une fonction d’anticipation.

Sylvie Nicolier-Bigel, Conseillère Prud’homme CGT à la formation de référé du CPH de Paris avait reconnu que les litiges plaidés devant la formation de référé avaient beaucoup évolué au niveau du fondement des demandes. En effet, au début les demandes formées devant le Conseil étaient principalement des demandes touchant aux salaires et à leur paiement mais depuis quelques années elles traitent de problèmes plus généralistes comme la défense des libertés fondamentales. Un dossier important a permis de faire entrer l’application de l’article R516-31 (1455-6) dans la compétence des référés. Il s’agit de l’Arrêt des Discriminations Syndicales chez Peugeot rendue par le CPH de Paris en présence d’un juge départiteur le 4 juin 1996. Dans cet arrêt, le Conseil reconnaît que la discrimination syndicale peut constituer un trouble manifestement illicite. Depuis cette date de nombreuses demandes sont fondées sur le critère de trouble manifestement illicite et ils sont nombreux à y trouver une issue favorable. Pour faire accepter cette idée, il a fallu bousculer de nombreuses incompréhensions et d’idées reçues mais l’attitude des conseillers patronaux est toujours de s’opposer farouchement à l’application de l’article R516-31 du Code du Travail.

La doctrine remarque qu'il n'y a pas expressément de condition d'urgence exigée. En réalité l'urgence est présumée. S'il y a un trouble manifestement illicite, on peut se douter qu'il y a urgence. Ce référé est appliqué dans l’hypothèse d’une voie de fait exercée par l’employeur.

Cette notion est définie comme étant un comportement de violation manifeste d’une norme juridique obligatoire. J.Normand avait alors dit que ce qui devait être recherché en référé c’est de savoir « si le comportement à l’origine du trouble était illicite ou ne l’était pas. Lorsqu’il l’est on affirme qu’il l’est manifestement et satisfait aux exigences du texte. Lorsque l’application de celui ci est écartée, c’est que d’illicéité, il n’y a pas ». Selon lui on ne trouve pas de sanction pour défaut d’évidence.

La notion de trouble manifestement illicite mêle également droit et fait, en effet si le trouble est une notion purement factuelle, la notion d’illicéité est une notion de droit. Aussi la question se pose de savoir quel peut-être le contrôle exercé par la Cour de cassation. Dans un premier temps, L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juillet 1986 a refusé de contrôler cette notion arguant une prolongation des délais et un risque d’encombrement de la juridiction. Mais on a observé une certaine résistance des chambres aussi l’Assemblée plénière s’est-elle de nouveau réunie pour rendre l’arrêt du 29 juin 1996. Dans cet arrêt, la elle reconnaît que l’exigence du caractère manifeste est susceptible d’un contrôle léger par le juge. Ce contrôle peut-être rapproché de celui de l’absence de contestation sérieuse ainsi la Haute Cour vérifie que les juges ont bien motivé leurs décisions. Une fois le caractère illicite du trouble démontré, le juge sera autorisé à recourir à des mesures particulièrement radicales. Le seul critère pour leur application est leur efficacité.

Ex. de trouble manifestement illicite : la mutation disciplinaire prononcée à l'encontre d'un salarié est manifestement illicite lorsqu'elle ne figure pas parmi les sanctions prévues par le règlement intérieur. Dès lors, si le juge des référés ne dispose pas du pouvoir d'annuler cette sanction, il peut, en application de l'article R 1455-6 du Code du travail, faire cesser le trouble manifestement illicite en ordonnant la réintégration sous astreinte de l'intéressé dans ses fonctions antérieures. Cette solution a été consacrée par la CA Versailles 19 octobre 2004 n° 04-347.

La chambre sociale de la cour de cassation avait reconnu que le trouble manifestement illicite était caractérisé dans le cas où les contrats avaient été illégalement rompus et les salariés en demandaient la poursuite (Soc 13 février 1997, Droit ouvrier 97 p94). Dans un arrêt de la chambre sociale du 25 mai 2004 publié au Droit ouvrier de juin 2004,  la Cour de Cassation avait reconnu que la suspension de l’application d’un accord collectif dérogatoire frappé d’opposition pouvait être demandée en référé.

« Mais attendu que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à des conclusions qui étaient inopérantes, a relevé, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, que la prime litigieuse résultait d'un engagement de l'employeur ; qu'elle a pu décider que le non-paiement de cette prime, qui constituait un élément de rémunération obligatoire, était constitutif d'un trouble manifestement illicite qu'il appartenait à la juridiction des référés de faire cesser, même en présence d'une contestation sérieuse ; que le moyen n'est pas fondé » Soc 18 mars 09 (pourvoi N°08-40154).

 

Un deuxième critère entre en jeu en faveur du recul du critère de l’urgence, il s’agit du risque de dommage imminent. Dans cette situation, le juge exerce une fonction de conservation. En effet il intervient pour éviter que se crée une situation irréversible. L’existence d’une illicéité, bien que sous-jacente, n’est pas exigée expressément. Le juge va devoir s’interroger sur la balance à opérer entre les risques encourus et la mesure de l’importance du trouble socialement causé. En revanche, pour ne pas vider la mesure conservatoire de sa substance, celle-ci doit nécessairement être limitée dans le temps. Cette solution est consacrée dans l’arrêt Tresis et Ipib de la Civ 1ere 17 novembre 00 (droit ouvrier juin 04 p255) où la Cour de cassation avait maintenu l’autonomie de la notion de dommage imminent par rapport à celle de trouble illicite, acceptait toute mesure pour conjurer le risque encouru à condition qu’elle ne perde pas son aspect conservatoire. Soc 25 février 03 dalloz 03 N°1925 note de Bossu : la réquisition des grévistes ne peut être demandée en référé pour prévenir un dommage imminent.

Ex de dommage imminent : expulsion de récalcitrants d’un immeuble menaçant ruine (Civ 3e 19 janvier 82).

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