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KAN YA MA KAN
(il était une fois - once upon a time)
Par Roland BERTIN
Au
hasard de mes pérégrinations sur l’Internet, je
retrouve le site d’
Roland BERTIN
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
QUI EST ROLAND BERTIN ?
Par
Au risque de blesser sa modestie, je ne
peux m’empêcher de publier ici
ses différents titres qui retracent sa longue carrière :
-
Décoré "officier dAcadémie" à 27 ans pour services rendus à la cause
française.
- Co-fondateur -avec Emile Mosseri- de la société des Ecrivains d'Egypte d'Expression française;
- Organisateur (avec Mme Naila Berger et Mireille Zola) d'émissions
théâtrales en français à l'ESB (Egyptian State Broadcasting)
- Directeur artistique de l'Auberge des Pyramides et organisateur de
très nombreux galas et manifestations artistiques au cours desquels se
sont produites toutes les vedettes françaises de l'époque;
- Organisateur de nombreuses manifestations
caritatives;
puis en France, Président pendant plus de 20 ans du syndicat national des agents littéraires
et artistiques.
-
Puis Président de
- Chevalier des Arts et lettres,
- Officier de l'Ordre National du Mérite. Etc .etc.
L'histoire
de MON Egypte à travers la saga de deux familles juives Sépharades installées
en Egypte vers la fin du dix-neuvième siècle et les multiples évolution
sociales
et politiques de ce pays pendant les deux premiers tiers du 20e siècle.
" Tant
de morts dans la mémoire dont on ne pourra bientôt même plus parler avec des
vivants puisqu'ils ne les ont pas connus, tant d'émotions, d'espoirs, de
souvenirs, de pleurs, de joies évanouis et désormais incommunicables.
" Et
puis cette impression que chacun des disparus a emporté votre propre enfance,
votre propre jeunesse, qu'aussi longtemps qu'ils étaient là, parce que
quelqu'un avait en soi l'image de ce que vous aviez été, elle vivait quelque
part... "
Françoise
Giroud« Si je mens »
L’ENTREVUE DE LA TANTE MATHILDE
LA FAMILLE PATERNELLE « Les ABRAM »
LES TRIBUNAUX MIXTES - LES
CAPITULATIONS
LES ECRIVAINS D’EGYPTE D’EXPRESSION FRANCAISE
FAROUK, SOUSSA ET L'AUBERGE DES PYRAMIDES
MON ACTIVITE PROFESSIONNELLE LUSKA
LA SOCIETE « ALPHA PORDUCTIONS »
LETTRE DE M. ROLAND BERTIN DU 18 MARS 2009
LE 31/10/2007
Des semaines, des mois, des
années se passent entre la rédaction des premières pages de mon récit en
Octobre 85 et les pages suivantes.
Le 6 Octobre 2005 j'ai fêté
mes quatre-vingt-cinq ans.
Aîné de ma génération, j'appartenais à
une classe d'âge charnière entre la génération précédente et la suivante et
suis ainsi dépositaire de souvenirs que les plus jeunes ont cherché à connaître
pour retrouver leurs racines. Et c'est vers moi qu'ils se sont souvent tournés.
Mais cela méritait-il la rédaction d'un récit ?
Puis, à bien réfléchir, je me
suis dit que le vrai grand événement de la période égyptienne de la famille a
été l'évolution et la mutation de l'Égypte pendant les deux premiers tiers du
vingtième siècle. C'est à cette
évolution que se rattachent les faits marquants de ma vie et de celle de tous
les personnages périphériques.
L'Égypte colonie, l'Égypte
protectorat anglais, l'Égypte indépendante, l'Égypte tolérante, francophile et
francophone, puis, à cause de la guerre de Suez, l'Égypte francophobe et
xénophobe.
Toute cette évolution s'est
faite pendant l'immigration de mes deux familles en Égypte, leur installation,
les relations avec les Égyptiens et les différentes colonies d'immigrants.
L'époque de Farouk, l'occupation anglaise, les Tribunaux Mixtes, la vie sociale
de la petite bourgeoisie européenne, ses relations avec les différentes couches
sociales égyptiennes, le Cham El Nessim, le Lycée Français,
Ici, c'est l'histoire de MON
Égypte qui est racontée à travers ma propre histoire. Et cela méritait que je
persévère dans la rédaction de mon récit.
R.B.
C'est ainsi que commençaient
les histoires que nous racontait la "dada", c'est à dire, en arabe,
la gouvernante, ou
Lorsque au cours de réunions
familiales, nous exaspérions les parents par nos cris ou nos querelles, Dada
Hanem nous réunissait dans une pièce de la maison, et assise en tailleur sur le
tapis, nous racontait des histoires qui débutaient toujours par le traditionnel
"Kan Ya ma Kan" (en arabe : "il était une fois")
Ses
histoires avaient pour héros le "Chater Hassan", "le brave
Hassan" dont le comportement valeureux devait être un exemple pour nous.
Aujourd'hui, ce n'est pas une histoire du "Chater Hassan" que je me
propose de vous conter, mais celle d'une famille juive dont l'une des branches
s'est implantée en Egypte aux environs de 1910, et les autres probablement
quelques dizaines d'années auparavant. Je crois surtout avoir eu besoin d’égrener
ces souvenirs comme l'on
égrène un chapelet pour regarder avec plus de sérénité, le temps s'écouler.
L'auteur de ces lignes se
nommait antérieurement "Abram".
Ici une parenthèse pour mieux expliquer ce
changement de nom Abram en Bertin. Ce n’était pas pour fuir ma judéité que je n’ai jamais reniée ou,
comme certains, pour me cacher
des nazis. J’avais choisi ce pseudo pour mes activités littéraires et artistiques et par la suite, il m’avait
tellement collé à la peau que je l’ai
finalement adopté par Décret.
Lieu de naissance : le Caire.
Selon toute probabilité mes aïeux paternels avaient dû quitter l'Espagne
lorsque, il y a plus de cinq cents ans, le roi Ferdinand d'Aragon et
Mes aïeux ont dû faire partie
de ces cent vingt mille juifs refusant la conversion et qui se sont répandus
dans tout le bassin méditerranéen.Ce sont les juifs "Sépharades" ce
qui se traduit en hébreux par "espagnol".Installés en Algérie, mes
aïeux paternels ont bénéficié, des siècles plus tard de
La branche maternelle, les Benattar,
également victime probable du Décret de Ferdinand d'Aragon, s'était fixée en
Tunisie après un passage par Gibraltar - alors possession anglaise - ce qui lui
conférait
Un événement important en
1927 : mon entrée à l'école. Ma mère voulant reculer le plus possible la
séparation, ne fusse que diurne, avec son fils chéri, c'est mon père qui,
jusqu'à l'âge de sept ans, me servit de précepteur. Je ne sais s'il avait suivi
des études avancées, mais il avait une formation générale très complète.
Ses voyages de jeunesse
(assez rares à l'époque) avaient certainement aidé à cette formation. Il
parlait parfaitement l'Italien, le Grec, l'Arabe, l'Espagnol... et que sais-je
encore. Sa calligraphie faisait l'admiration de tous. Et pas une faute
d'orthographe ! Avant son mariage, il avait quitté tout jeune l'Egypte pour les
Amériques, avec pour tout pécule, quatre-vingts livres en or dissimulés dans sa
ceinture.
Plus tard, bien plus tard,
lorsque j'atteignis l'âge adulte, les soirs de certaines confidences, lorsque
nous nous trouvions seuls, il me racontait des épisodes de son expérience américaine,
les entreprises lucratives qu'il avait initiées, celles qu'il avait ratées, ses
relations féminines, dont une au moins avait été une liaison solide ayant
probablement donné naissance à des frères et sœurs que je ne
connaîtrais jamais. Cela, il ne
me l'a jamais avoué, mais cela se devinait par le déroulement des aventures
américaines qu'il me contait. Bref, fortune faite...et défaite, il s'en était
retourné au bercail, avec les seules quatre-vingts livres en or qu'il avait
emportées au départ et des trésors de souvenirs. En épousant ma mère, le grand
aventurier, brasseur d'affaires, devint tout bonnement le "Beauf" des
Benattar Brothers.
Mon père employait souvent
des dictons, énonçait des principes, utilisait des métaphores. Il faut, disait-il, une place pour chaque
chose et chaque chose à sa place. Il énonçait des principes en Hébreux (qu'il
ne connaissait pas d'ailleurs) et de nous les illustrer par une histoire dont
je n'ai plus le souvenir. Si on osait
le contredire, il répondait invariablement : "un jour tu diras, mon père
avait raison!" Et lorsqu'un événement venait confirmer ses prédictions, il
prenait un air suffisant pour dire : tu vois, je te l'avais bien dit, ton
père a toujours raison !, oubliant, du coup, les multiples fois où ses prédictions
ne s'étaient pas réalisées.
Ma formation préliminaire
assurée par mon précepteur de père m'avait permis de sauter les classes
maternelles et d'entrer directement en dixième, C’est-à-dire, dans le
langage actuel, en classe préparatoire,
au Lycée français du Caire, dans la classe de Madame Leproux. C'était une dame
de taille moyenne, d'un physique moyen, bref la française moyenne, portant
lunettes et parlant d'une voix pointue et saccadée.
Son mari, Monsieur Leproux,
s'occupait de la classe de sixième, celle qui suivait le certificat d'étude.
Malgré notre désir de grimper rapidement les échelons de la scolarité, nous
avions une appréhension maladive d'arriver en sixième, chez Monsieur Leproux.
Il portait en permanence un gant de cuir à sa main droite. Certains
prétendaient qu'il s'agissait d'une prothèse et qu'il avait perdu sa main à la
guerre de 14-18 Plausible mais jamais confirmé. Bref, nous avions une sainte
terreur de cette "main de fer dans ce gant de cuir", car on prétendait
que les mauvais élèves la recevaient en plein visage... et que cela faisait
très mal ! À vrai dire, nous ne l'avons jamais vu frapper un élève, ni connu un
qui aurait subi ce châtiment. Mais la légende persistait.
Madame Leproux installait ses
élèves en classe par ordre de grandeur, les plus grands dans le fond, afin de
permettre aux plus petits de mieux voir le tableau. Et comme par rapport à mes
condisciples, J'étais de grande taille, c'est le dernier pupitre qui me fut
dévolu. Je tentais en vain de faire modifier cette décision que je jugeais
arbitraire. Se trouver dans le fond de la classe en Egypte ne présentait même
pas l'avantage du voisinage d'un radiateur. Que ferait-on d'un radiateur dans
une ville où la température oscillait entre 25 et 40 degrés.?
C'est alors que me vint
l'idée des lunettes. Je volais une paire de lunettes appartenant à l'un de mes
oncles (je me souviens que toute la famille avait cherché pendant longtemps ces
lunettes dans tous les recoins de la maison). Je volais dis-je ces lunettes et
me présentais le lendemain en classe les arborant sur mon nez.
Pendant le cours, je
m'avançais fréquemment dans le couloir entre les pupitres pour mieux voir le
tableau. Madame Leproux, myope elle-même, fut sensible à mon
"infirmité" et m'installa au premier rang. Mais avec ces foutues
lunettes de myopes, dont j'étais maintenant obligé de m'affubler, je ne voyais
plus grande chose. Je ne me souviens plus de la manière dont je m'étais sorti
de ce piège, mais je crois que Mme. Leproux n'a pas été longtemps dupe, car je
me revois à nouveau au fond de la classe.
Puis le lycée avait emménagé
dans de nouveaux bâtiments à
Notre professeur de dessin
s'appelait Stoloff. L'un de ses fils a fait par la suite, une belle carrière de
producteur à Hollywood. L'heure de dessin se situait à la fin de la journée
scolaire. À la sortie, on trouvait devant la porte des tricycles de marchands
de glaces, des vendeurs de bonbons, de cacahuètes enrobées de sucre caramélisé
et autres friandises. Les sticks (bâtonnets) de glaces "Groppi"
étaient les plus appréciés, et c'était souvent la première gâterie que les
élèves se payaient...
Un autre personnage
merveilleux de cette époque était le professeur d'arabe Monsieur El Etre. Comme
je le dis par ailleurs, à l'époque l'étude de la langue arabe présentait très
peu d'intérêt. Les professeurs, eux-mêmes, qui nous l'enseignaient n'étaient
pas convaincus de leur mission. Aussi, l'heure d'arabe était pour nous, sinon l'occasion
de chahut, car nous craignions l'arrivée du surveillant général, du moins la
possibilité de faire quelques bonnes blagues.
Ce pauvre El Etre était myope
comme une taupe. Nous avions ainsi la possibilité de quitter la classe en
faisant répondre "présent" à l'appel de notre nom par un autre
camarade. Mais ce manège nous a quelques fois valu des heures de retenue pour
..... bavardage en classe ... alors que nous en étions absent. C'était le
revers de la médaille.
Miss Volkonsky, princesse
russe épargnée par la révolution et réfugiée en Egypte était notre professeur
d'anglais. Elle avait une perruque rousse, bien fixée à sa tête par un ruban
qui lui enserrait le front. Que de fois avons-nous étés tentés d'arracher,
"par mégarde" ce ruban pour voir tomber la perruque ! Sa mâchoire
supérieure dotée d'une dentition proéminente la faisait ressembler à un lapin.
Je me souviens encore du premier poème qu'elle nous avait enseigné : "Twinkle, twinkle little star, how I
wonder what you are, etc....Lorsque nous faisions trop de chahut, elle
appelait à son secours le surveillant général, Monsieur Staresky, autre
personnage de la noblesse déchue. Celui-ci à l'occasion nous gratifiait d'un
beau billet de consigne, deux heures de retenue qui nous faisaient revenir le
jeudi suivant au Lycée sous la surveillance de "Monsieur David".
Ah, ce Monsieur David, quel
personnage ! - "Taisez-vous, toi !
" nous criait-il lorsque nous faisions du chahut pendant les heures de
retenue sous sa surveillance. Nous prenions un malin plaisir à nous payer sa
tête. Nous avions la possibilité, soit de faire des "lignes" (vous me
ferez cent lignes !), soit de conjuguer des verbes sur tous les temps, soit,
lorsque le surveillant nous le permettait, de faire les devoirs que nous devions
rendre les jours suivants.
Nous interrogions constamment
ce monsieur David qui n'avait pas dû aller très loin dans sa scolarité, sur les
devoirs que nous avions à faire et lui demandions de nous expliquer au tableau
tel problème d'algèbre ou telle analyse logique ou grammaticale. Et ce brave
David qui n'osait pas avouer son ignorance tentait de nous amener au CQFD d'un
problème pendant que tous les élèves en retenue ( et vous vous doutez, que ce
n'étaient pas parmi les plus sages de l'école ) feignaient de rectifier à qui
mieux mieux, du fonds de la classe, toutes les erreurs qu'il commettait tout en
l’entraînant
vers de nouvelles erreurs.
Pendant les heures de classe,
la mauvaise tenue, le bavardage, n'étaient pas toujours sanctionnés par des
heures de retenue. Quelquefois la sanction se traduisait par un certain nombre
de "verbes" à écrire à tous les temps et à rapporter le
lendemain. - " Vous me conjuguerez
cinq verbes pour demain ! " Un condisciple du nom de illel Schwartz avait
un jour trouvé l'astuce de raccourcir la punition en conjuguant le verbe "pleuvoir".
Autre souvenir, ce papetier
arménien du coin de
Le premier jeune acquéreur de ces livres en
solde, négligeant les traités d'algèbre ou autres, se précipita sur cette
aubaine l’emporta à la maison où il fut découvert par les parents.
Plainte fut déposée à
l'encontre du papetier pour vente à de jeunes élèves de livres licencieux.
Monsieur "
n'avaient rien à lui
reprocher. Ce n'est qu'au bout de quelques semaines et après avoir prouvé sa
bonne foi qu'il pu enfin redistribuer des bonbons à ses jeunes acheteurs
A cette époque-là, les
communautés étrangères avaient le snobisme de ne pas parler arabe... sauf pour donner
des ordres aux domestiques. Il y avait des clivages entre les nombreux groupes
nationaux qui résidaient en Egypte : Italiens, Grecs, Français, Anglais,
Arméniens et autres cohabitaient harmonieusement sur la terre d'Egypte, mais
cloisonnés dans leur "colonie" sans jamais fusionner ou très
rarement.
Une subdivision venait
compléter ce tableau : catholiques, protestants, orthodoxesou juifs se
regroupaient à l'intérieur de leurs églises, temples ou synagogues. Et comme
les juifs doivent toujours se singulariser plus que les autres, il y avait les
synagogues sépharades, la synagogue eskinase et même une synagogue maronite !
Si les langues nationales
étaient utilisées à l'intérieur des groupes, le français était la langue
universelle employée dans les relations intercommunautaires. C'était la langue
de
Pendant longtemps, dans les
écoles (sauf, bien entendu, les écoles publiques) l'Arabe n'avait pas plus
d'importance que le dessin et moins que
Paradoxalement, on
manifestait une grande admiration à l'égard de "l'européen" qui
maîtrisait la langue arabe. Probablement parce qu'il représentait l'exception.
Et l'oncle Isaac parlait l'arabe "comme un Arabe", disait-on, d'où
son obligation d'être de corvée pour les formalités administratives de la
famille.
Marcel Proust allait à la « recherche
de son temps perdu » en dégustant ses petites madeleines trempées dans une
tasse de thé. Moi, « ma » recherche du temps perdu avait le goût de
couscous, de Molokhia, de Koubéba.. Entre autres souvenirs de mon enfance, les
souvenirs gustatifs ont une place éminente et chacun d'eux se rattache à des
événements particuliers.
Avec les Haddad dans la
famille , nous entrions dans la période "koubéba".
Jusqu'à l'âge de huit, neuf
ans, nous habitions un immense appartement rue Maghrabi, au Caire, celui où
avait été fêté le mariage de l'oncle Emile. Je me souviens d'une entrée donnant
sur un salon aux meubles arabesques et séparé du reste de l'appartement. Nous y
recevions les visiteurs qui n'étaient pas des intimes. Les intimes avaient droit à la grande salle de réception
aux meubles "modern style" ou alors, - s'ils étaient de la famille ou
vraiment proches - à la pièce qui servait de réunion familiale. Là, il y avait,
se faisant face, deux canapés en bois que l'on appelle "déka". Au
milieu de la pièce une grande table sur laquelle les filles exécutaient leurs
travaux de couture, qu'elles terminaient sur la machine à coudre de marque
"Singer" installée dans un coin.
Un immense hall séparait le
salon arabesque de cette pièce de "tous les jours". Et donnant sur ce
hall, les chambres occupées par
Les conversations étaient
souvent tenues en tunisiens pour la grand-mère qui ne parlait que cette langue.
Il y avait le tunisien pour la première génération, le Français pour la seconde
; mais mon père et l'oncle Isaac se défoulaient en se racontant des histoires
en arabe, des "afias" comme ils disaient, sortes de contrepèteries,
intraduisibles d'ailleurs. Participait aux repas du Vendredi soir un certain
"zaghmen" ou Jaghmen". Comme mes souvenirs me le décrivent,
c'était un tout petit bonhomme, avec un chasse-mouches qu'il agitait
constamment. Il avait dû être importé de Tunis (pas le chasse-mouches, mais
Jaghmen) avec les bagages des émigrés de l'époque.
C'était un peu le fou de la
colonie tunisienne aux crochets de laquelle il vivait, prenant son déjeuner
chez les uns, son dîner chez les autres..... Il en était aussi la gazette,
colportant les nouvelles d'une famille à l'autre, chacune d'elle ne lui
racontant,... sous le sceau du secret, que ce qu'elle souhaitait être su des
autres.
Puisque nous parlons de
souvenirs gustatifs, je ne peux m'empêcher d'évoquer cette rivalité entre les
différents couscous d'Afrique du Nord : l'Algérien, le Marocain, et le
tunisien. Mais le Judéo-tunisien se distingue par les fameuses "boulettes
de viande aux légumes". Je me souviens encore de ma mère et de mes tantes
, entourant la nona, occupées à la longue préparation. Il fallait couper courgettes, pommes de
terre, aubergine céleri en lamelles d'une quinzaine de centimètres et y insérer
entre elles une farce composée de viande hachée, de persil, d'oignons et de
diverses épices.
Cette première préparation
effectuée, elles roulaient les boulettes dans la farine, puis les jetaient dans
LE 31/12/2007
Avant
d’aborder les grands souvenirs sociaux politiques dont j’ai été l’acteur ou le
témoin, je souhaiterais évoquer en quelques pages, l’enchevêtrement des
diverses branches de l’arbre généalogique qui en se nouant et se renouant ont
finit par créer ce que j’appellerai ma famille. Et d’abord le côté maternel
Nous sommes dans les années 17/18 avec le souci des Benattar Brothers (branche
de ma famille maternelle) de caser leurs trois filles. Comme il était de
tradition à l'époque, les frères avaient doté chacune de leurs sœurs de mille
livres égyptiennes, somme importante si l'on considère que le salaire moyen
d'un employé d'administration était d'environ deux livres par mois. Et c'est
ainsi que, dans la corbeille de mariage, mon père avait trouvé ma mère, les
mille livres... mais aussi ma grand-mère et mon grand père, avec qui la fille
aînée et son époux allaient continuer à habiter selon les accords conclus.
Ma grand-mère, Myriam (
Tour à tour importateur de draperies
anglaises "made in England", importateur de whisky "pur
scotch" administrateur de la mine de gravier chez les beaufs, et que
sais-je encore, mon père ballotté par les événements avait tendance à mener une
vie assez "cool" comptant sur les beaux-frères, puisque ceux-ci, par
contrat moral, lui avaient imposé cette situation. Situation équivoque que je
n'étais pas en âge de comprendre mais qui a dû terriblement le faire souffrir
malgré ce semblant de désinvolture.
En vérité ma mère tenait énormément à son
confort et à l'aisance dont elle bénéficiait en demeurant avec ses parents :
maison confortable, nombreux domestiques, voitures, chauffeurs.... alors qu'en
quittant le foyer parental, il eut fallu tout recommencer à zéro.
L'époux choisi pour
Sa visite, à des réunions familiales à
l'occasion de fêtes religieuses, par exemple la fête de Pâque, s'accompagnait
toujours du cérémonial de la "prise de la tension"."Prenez-moi
la tension docteur" était traditionnellement la phrase qui suivait - sinon
précédait - le "bonjours, comment allez-vous ?" D'ailleurs, il s'y
attendait ce brave docteur dont le stéthoscope et l'appareil à tension
l'accompagnaient toujours lors de ces visites.
Il fallait voir avec quelle solennité cela
se déroulait. Tout le monde se taisait pour mieux lui permettre d'écouter les
pulsations. Et lorsqu'il indiquait les chiffres, invariablement ma mère et ma
grand-mère - surtout elles - manifestaient leur incrédulité - "vous dites
cela pour ne pas m'inquiéter docteur ! dites-moi la vérité !"....
Notre Toubib maison, avant de pouvoir
accéder à la salle à manger et participer au repas, devait leur jurer ses
grands dieux qu'il disait la vérité, et que, l'une ou l'autre " allait
bien mieux que la précédente fois, mais qu'elles devaient quand même se
surveiller... ne pas faire d'efforts."
Bien que notre oncle par alliance, toute la
famille continuait à l'appeler "docteur". Il y tenait beaucoup.
N'oublions pas que cela se passait autour des années vingt, et en Egypte,
c’est-à-dire à une époque et en un lieu où le médecin était encore le grand
sorcier possédant tous les pouvoirs. .À table, il bénéficiait d'un régime
particulier. Il lavait et essuyait à nouveau tous ses couverts. Puis il faisait
disposer, autour de son assiette en même temps les divers mets du menu, salade,
fromages et fruits compris et il mangeait de tout cela en même temps : une
bouchée de poisson succédait à un morceau de fromage, lequel avait précédé une
tranche de pomme etc...Je présume que cela devait évoquer pour lui les
"mezze", c’est-à-dire les multiples petits plats servis en Orient au
moment de l'apéritif, ce que l'on appelle en Afrique du Nord "
L’ENTREVUE DE
J'avais, je crois trois ou quatre ans
lorsque ma tante Mathilde s'est fiancée à Monsieur Isaac Chalem, "l'oncle
Isaac". Comme il était de coutume à l'époque, il y avait eu, avant les
fiançailles officielles, la cérémonie de l'entrevue. Lorsque deux familles se
mettaient plus ou moins d'accord sur l'éventualité d'unir leurs enfants, on
procédait à "l'entrevue", c’est-à-dire que l'on organisait une
réunion des responsables des deux familles sur un terrain généralement neutre.
Les futurs promis avaient ainsi l'occasion
de se rencontrer, de se jauger, pour ensuite exprimer aux parents leurs
sentiments sur la personne destinée à partager leur vie.
C'était
déjà un énorme progrès par rapport à la génération précédente où les enfants
n'avaient qu'à se plier à la décision des parents.
S'agissait-il de souvenirs personnels ou de
ce que j'avais entendu raconter par la famille de multiples fois ? Je n'en sais
trop rien aujourd'hui, mais je pense que la seconde hypothèse est la plus
vraisemblable sur la manière dont s'est déroulée l'entrevue de
Ce jour-là racontait-on, mon père, le
volontaire "entremetteur maison", accompagné de ma mère et de leur
rejeton, c'est-à-dire, votre serviteur, composaient l'escorte de ma tante. De leur côté, les Chalem avaient envoyé en
délégation le frère aîné de l'oncle Isaac, Victor Chalem et son épouse
Victorine. Souvenez-vous des prénoms des Chalem, car il y aura avec cette
famille des entrecroisements à ne pas se retrouver.
La rencontre avait lieu chez Groppi, le
jardin de thé très "In" dirait-on aujourd'hui. C'était une maison
suisse réputée pour faire les meilleurs gâteaux de
Elle s'était installée entre ma tante et
son promis et reprenait à voix plus forte tout ce que son prétendant disait,
comme si elle même, frappée d'une surdité relative, attendait confirmation de
ce qu'elle avait cru entendre. Elle servait en sorte d'appareil auditif à sa
jeune sœur. Le stratagème avait-il réussi ? Le charme de ma tante avait-il pris
le pas sur son infirmité ? Les mille livres de dot avaient-elles été un facteur
déterminant ? Je n'en sais trop rien. Mais ce que je sais, c'est qu'ils
formèrent un couple très uni et eurent cinq garçons dont nous aurons
certainement l'occasion de parler souvent au cours de ce récit.
Les filles casées, il fallait maintenant
songer à marier les garçons et, en premier, l'aîné Jules.
Et voilà l'oncle Jules prenant le bateau
pour Tunis, rencontrant et ayant le coup de foudre pour cette très jolie jeune
fille Yvonne Abitbol,
Le mariage de l'oncle Emile mérite quelques
lignes additionnelles.L'oncle Emile faisait le désespoir de la grand-mère. À
trente cinq ou six ans, il s'obstinait à demeurer célibataire, alors qu'il y
avait " tant de braves filles juives de la colonie tunisienne, jolies...
et bien dotées " qui ne demandaient qu'à se faire épouser.
L'oncle Emile, alors directeur du célèbre
Casino San Stéfano (équivalant du Casino de Deauville en France), ne voulait
rien entendre. Pourtant, lors d'une réunion de famille, il avait remarqué, la
fille aînée de Victor (le frère de l'oncle Isaac) une très belle gamine de 17
ans. Il informa alors la famille qu'il renoncerait volontiers au célibat si
cette jeune fille, prénommée Hélène, acceptait de devenir son épouse. Une
énorme différence d'âge - près de vingt ans - les séparait. De plus, on
apprenait qu'elle venait d'être promise à un autre jeune homme.
Néanmoins, pour faire plaisir à
Et le brave petit jeune homme de fiancé,
employé comptable dans un commerce quelconque, n'a pas pesé lourd sur la
balance face à l'un des hommes les plus fortunés de la colonie européenne
d'Egypte à l'époque. D'autant plus, nous avait-on dit - était-ce pour la morale
de l'histoire - qu'Hélène, de son côté, avait remarqué le "bel Emile"
et qu'elle était ravie de cette proposition.
Fiançailles rapidement rompues avec
l'employé comptable et mariage rapidement conclu et célébré avec faste dans
notre maison de
Installés dans la chambre de mes parents,
transformé pour l'occasion, en deuxième salon de réception, il y avait Zaki
Mourad, célèbre chanteur oriental de l'époque, et son "takht",
c’est-à-dire son orchestre. (La fille de Zaki Mourad, Leila Mourad devint une
célèbre vedette du cinéma égyptien).
Zaki Mourad et son Takht, c'était pour les
Tunisiens de la première génération et les amis égyptiens. Et puis, de l'autre
côté de la maison, dans ce qui était habituellement la grande salle à manger
des réunions du Couscous du Vendredi, un orchestre de Jazz pour faire danser
les autres invités. Le Buffet était organisé par le traiteur habituel de toutes
les grandes manifestations judéo-égypto-tunisiennes, "Aslan". On
l'appelait "Aslan El Tabakh" (Aslan le Cuisinier). Et c'est ce même
Aslan qui, de nombreuses années plus tard - au moment de l'exode vers
« Les ABRAM »
Mon père avait trois frères. Joseph l'aîné,
Samuel et Benjamin.
Joseph était un personnage haut en couleur
: un mètre quatre-vingt-dix, un quintal bien tassé, il régnait en maître absolu
sur
Joseph avait épousé une sienne cousine
Sarine Curiel, avec qui il a eu une nombreuse progéniture : Victorine, Dario,
Marcelle, Odette, Jules (dit Yuli) Henri (dit Rico) et Rose. On avait attribué
à ce mariage consanguin les infirmités décelées, à des niveaux divers, chez
certains des enfants. Il s'agissait d'une dégénérescence des cellules
musculaires, la "myopathie". Victorine en était la plus sévèrement
atteinte, ensuite Rose, puis Rico et Jules. Les autres enfants avaient été
épargnés.
L'oncle Joseph avait son bureau au
"Hamzaoui" un quartier du Caire extra-muros, où se traitait tout le
commerce de
Celle-ci lui suffisait pour entretenir
convenablement à l'échelle d'une petite bourgeoisie, sa famille,
Il avait "ses pauvres" qu'il
rencontrait dans les nombreuses synagogues du quartier juif. Je ne crois pas
qu'il ait été vraiment pratiquant, c'était plutôt le côté patriarche qui lui
plaisait dans sa démarche.
L’ONCLE SAMUEL
Un autre oncle, Samuel, était parti aux
Amériques faire fortune. Son portrait, en pied grandeur nature, trônait dans la
salle de séjour de
On a soupçonné sa maîtresse de l'avoir
"accidenté" pour mettre la main sur le magot. Rien n'a jamais pu être
prouvé, mais l'histoire de cet oncle d'Amérique tué aux Etats-Unis, s'est
souvent racontée les soirs à la veillée
L’ONCLE BENJAMIN
Le plus jeune des frères, Benjamin, avait
suivi des études de droit à Paris, avec le soutien financier de son frère aîné.
Il s'y était installé, s'était inscrit à
" Demandons à Benjamin". Cette
phrase, je l'avais souvent entendue. Rien d'important ne se faisait chez les
Abram, principalement sur le plan administratif ou légal, sans qu'un courrier
ne soit envoyé à Paris pour avis.
Je me souviens encore de ces longs échanges
épistolaires et de l'écriture de l'oncle parisien qui était très particulière :
il commençait à écrire sur toute la largeur de la page et puis la marge allait
s'élargissant jusqu'à occuper la presque totalité de la ligne en bas de page.
Le patriarche ne décidait qu'en fonction de ses avis.
La sœur aînée de mon père avait épousé un
juif achkénaze, venu de Pologne ou de Russie, Henri Haskia. C'était un bel
homme, portant de grandes moustaches aux pointes en bataille. Il était
"réceptionniste" (à l'époque on disait "portier") à l'hôtel
Sémiramis, l'un des grands palaces de
Je ne sais pour quelle raison la tante
n'avait jamais eu de téléphone à
Les Haskia n'avaient pas d'automobile, mais
une voiture à cheval avec cocher. La voiture était ce que l'on appelait un
"tonneau» ; elle était de forme carrée, avec des banquettes sur les
côtés.
À l’époque de mes huit- dix
ans, la tante, avec ses deux enfants passaient dans leur tonneau me chercher
pour une promenade au jardin de l'Ezbékieh situé au centre du Caire ou à
Guézireh, un autre jardin situé sur une presqu’île du Nil. Nous avions notre
fournisseur habituel de "sémit" (larges rosquettes garnies de
sésames) ou de "shtanguel" (sortes de croissant allongé) que nous
mangions pour notre goûter, accompagné d'une tranche de "Guebna
roumi" ce fromage que nous appelions grec et qui ressemblait au cantal.
Bien plus tard, vers les années 36/37, son
époux avait quitté le Caire pour, avait-il dit, explorer les possibilités
d'entreprendre une autre activité. Il ne revint jamais plus en Egypte. De temps
en temps il envoyait une carte pour signaler sa présence en Grèce ou en Italie,
mais jamais d'adresse et toutes tentatives pour le ramener en Egypte
demeurèrent vaines.
Son fils, Charles, devenu majeur, était
employé à
La tante mourut vers les années 50. Le
fils, toujours célibataire, emmena quelques années plus tard, sa sœur,
célibataire également, en Israël où, un jour par hasard, ils retrouvèrent dans
la rue poussant une charrette à bras et vendant de la nourriture ambulante,
leur père toujours en pleine forme à presque quatre-vingt-dix ans. Explications
brèves, vives et orageuses. Ils ne le revirent jamais plus.
-o-o-o-o-o-o-
Et c’est ici que s’arrête la première
partie des extraits de mon bouquin dont les 300 autres pages dorment dans les
cartons. Mais pour ceux que cela intéresse, l’ami
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
LE 28/02/2008
Souvenirs indissociables de la période scolaire :
Le quartier général de nombreux élèves de
notre classe était le restaurant glacier Issaevitch de Midan El Tahrir, (le
rond-point de
En fait de restaurant, les frères
Issaevitch - des Yougoslaves fraîchement immigrés en Egypte - servaient
principalement du foul et des tamias, ces deux mets populaires qui composaient
essentiellement le repas du travailleur égyptien.
Le foul est composé de fèves
brunes cuites à l’étouffée dans de l'eau salée lentement et longuement -
pendant toute une nuit - dans des récipients de terre cuite. On mettait
également dans ce même récipient des œufs destinés le lendemain à accompagner
le plat de foul pour ceux qui le souhaitaient et... en avaient les moyens.
Cette lente cuisson dans l'eau du foul leur donnait une coloration marron.
Le second plat populaire la
"tamia" (que les alexandrins appellent falafel) est également fait à
base de fèves sèches finement pilées, mélangées à du persil, des aromates et de
l'eau. On en composait des boulettes que l'on plongeait dans la friture au fur
et à mesure de la demande.
Foul et falafel étaient servis
à table toujours accompagnés d'une salade de tomates, laitues et oignons, d'un plat
de "torchis" (pickles pour l’Europe) et de la "téhina",
pâte de graines de sésames préparée en mayonnaise avec de l'ail et du vinaigre
(en somme l’aïoli égyptien).
Les plus nantis s'attablaient
et passaient commande pour ce repas qui coûtait - si mes souvenirs sont bons -
deux ou trois piastres. Les autres se contentaient d'un sandwich de foul servit
dans la moitié d'un pain arabe "eich baladi".: Une piastre.
Nous les élèves, allions chez
Issaévitch pour déguster un riz au lait cuit au four à la croûte toute
caramélisée et qui faisait notre délice. Nous y allions aussi pour commenter
les dernières blagues faites aux professeurs et aux surveillants,
particulièrement à ce brave Monsieur David.
Quoique dans le même bâtiment,
le Lycée des filles était séparé de celui des garçons. Et pour éviter les
rencontres, l'heure de sortie des filles était différée d'une demi-heure de celle des garçons. Une
demi-heure passée chez Issaévitch permettait à certains d'entre nous qui terminaient
plus tôt la classe, d'attendre la sortie des filles. Alors ceux qui possédaient
une bicyclette tournaient un peu autour, sans méchanceté, ni provocation,
simplement comme ça pour voir de plus près les filles lorsque nous le pouvions,
car beaucoup d'entre elles étaient attendues à la sortie par la maman, la bonne
ou le chauffeur.
Nous étions ainsi amoureux de
l'une ou de l'autre, de préférence les plus jolies sans, bien entendu, oser le
leur dire. Ayant quelques qualités vocales, j'avais un jour poussé la témérité
jusqu'à me poster sous la fenêtre de la classe de la fille objet de mes
convoitises et de chanter à tue-tête la
sérénade de Shubert : "Je suis là, sous ta fenêtre, palpitant
d'espoir....." Mais hélas au lieu de voir apparaître le visage de ma
dulcinée, c'est celui de Miss Volkosky, notre prof. d'anglais, qui surgit en
m'intimant l'ordre de m'en aller de suite. Le lendemain, je fus convoqué chez
le surveillant général, Mr. de Commène, qui me gratifiât d'une bonne quantité
d'heures de retenue !
Issaevitch était également, en
début d'année, le lieu où s'effectuait la vente des livres scolaires de l'année
précédente. Les plus malins en avaient fait un commerce en rachetant tout en
début d'année en bloc les livres de plusieurs de leurs condisciples et ensuite
quelques jours plus tard - attablés chez Issaévitch - de les revendre au
détail.
Longtemps, longtemps après que
de nombreux événements aient eu lieu, je me suis retrouvé à nouveau chez
Issaévitch au petit matin, à l'heure de l'ouverture, entouré des musiciens et
artistes de l'Auberge des Pyramides, dont j'avais été le directeur artistique,
pour un petit-déjeuner de foul Quel foisonnement de souvenirs que ces années
passées au Lycée français de
Un jour, alors que j'étais
installé à Paris depuis près de trente ans, une secrétaire m'annonce Monsieur
l'Ambassadeur Audebert au bout du fil. Je prends la ligne pour entendre mon
interlocuteur me rappeler qu'il avait été mon condisciple au Lycée, Pierre
Audebert. Je ne l'avais pas revu depuis un demi-siècle !A la sortie des
classes, il venait quelques fois à la maison (nous habitions la même rue Hawaiati) où ma mère nous servait
le chocolat chaud et les petits gâteaux tunisiens dont il raffolait.
Il avait fait sa carrière dans
la diplomatie et venait de prendre sa retraite. Ses missions diverses lui
avaient fait visiter de nombreux pays. Il avait eu ainsi l'occasion de
rencontrer ici et là, d'anciens condisciples qui s'étaient égayés autour du
bassin méditerranéen et en Europe.
Te souviens-tu me dit-il de
Feldman ? Et bien il est général dans l'armée Israélienne ! Et Canakis ? Préfet
à Chypre, et Zaki et Teddy Naggar?
banquiers à Paris et. Claude Hussein ?
Ministre de l'Education nationale en Egypte, et Boutros Ghali ? Secrétaire Général de l'ONU ! Belle promotion
que celle de notre classe !
Dans une même classe, quelle
mosaïque de nationalités avons-nous eue ! La xénophobie renaissante, ravivée
par la guerre avec Israël et finalement la guerre de Suez en 56, avaient,
hélas, eu raison de notre amour pour l'Egypte, et chacun s'en était allé vers
le pays de ses origines, ou le pays qui avait bien voulu l’accueillir.
Vers mes quinze ans, ma
vocation théâtrale se confirmait de plus en plus. Ce fût d'abord au sein de l'UJJ
- Union des Jeunesses Juives. C'était une sorte de Maison des Jeunes et de
"Embrassons-nous
Folleville", "l'Anglais tel qu'on le parle"... faisaient
partie du répertoire que nous présentions chaque semaine à un public qui nous
était acquis par avance. L'UJJ se trouvait rue Fouad en face du
"Dopolavoro" cette institution sociale créée par Mussolini pour la
jeunesse italienne. Pas encore d'antisémitisme à l'époque. Et de nombreux juifs
italiens s'y étaient inscrits car leurs installations étaient nettement plus
importantes que celles de l'UJJ. Pour les rivaliser, nous n'avions que nos
initiatives diverses dont justement le Théâtre.
Notre plaisir de faire du
théâtre se doublait de celui de nous trouver en compagnie de
J'avais, un certain temps -
très court d'ailleurs - pris des leçons de sténo pour noter plus rapidement les
cours. Et Samiha à qui j'en avais parlé m'avait dit s'y intéresser. Je lui
proposais de l'initier à cette discipline. Et c'est ainsi qu'elle était venue
plusieurs fois à la maison où dans la pièce qui me servait de bureau, je lui
enseignais les ronds, les bâtons courbés et droits alors que, sous la table,
une de mes mains s'égarait entre ses cuisses pendant de longs moments. De sa
part, pas de résistance, mais pas de commentaires non plus. La leçon terminée,
elle s'en retournait chez elle, non sans m'avoir remercié. Je me suis longtemps
demandé si ses remerciements concernaient la leçon de sténo ... ou ce qui
s'était passé sous ses jupes.
Nous n'avons jamais parlé de
ces leçons très particulières. Et l'un comme l'autre, même lorsque nous nous
étions trouvés seuls, nous n'avons
jamais évoqué ces moments et nous nous sommes comportés comme s'ils n'avaient
jamais eu lieu, bien que les séances se soient renouvelées assez fréquemment...
Avec son frère Gamil, nous
avons eu de longues et multiples aventures scolaires, théâtrales et aussi
sociales. L'une d'elles assez cocasse avait failli tourner au vinaigre. Cela se
passait bien après les années scolaires, en 48/49, au moment où une grande
tension reignait entre Israël et l'Egypte en raison de la création de l’état
d’Israël. De nombreuses manifestations se déroulaient dans les rues avec des
slogans antisémites et anti-européens. Quittant, le drugstore
l'"Américaine", notre lieu de rassemblement où, comme à l'accoutumé
nous refaisions le monde, je rentrais à la maison en empruntant
Je signale que Gamil bien
qu'Egyptien musulman, avait la peau blanche et les cheveux clairs. Cela
s’explique par l’origine turque de sa famille paternelle alliée à la monarchie
de l'époque et sa maman française. A
mi-chemin, nous nous sommes séparés, lui empruntant un autre itinéraire pour regagner
son domicile. Et voilà qu'à quelques dizaines de mètres, il fut pris à partie
par une bande de manifestants le traitant de sale juif, de traître aux
Égyptiens, etc...Je courus à son secours et oh, ironie, c'est grâce au juif au
teint mat et aux cheveux bruns que j'étais, qu'il fût sauvé ! Je m'adressais
aux manifestants dans un arabe que j'espérais le plus populaire possible et
leur ai dit : "ne lui faites pas de mal, c'est un ami, il est pour notre
cause". Les cris de haine se transformèrent en applaudissements. Mais il
nous avait fallu prendre part au défilé et c'est à grand peine que nous
réussîmes à nous en dégager quelques centaines de mètres plus loin.
Autre souvenir de mes
activités artistiques : le cinéma. Je peux dire avoir été mêlé à la naissance
du cinéma égyptien ou tout du moins à ses premiers balbutiements, aux environs
des années 35/36. Le grand producteur de l'époque était un certain Togo
Mizrahi. Un vieux hangar avait été transformé en Studio et certaines scènes
extérieures étaient tournées sur la terrasse de sa villa.
Il avait été lancé par le
succès d'un de ses premiers films "Al Warda El Baida" (la rose
blanche) dont la vedette était un célèbre chanteur égyptien de l'époque du nom
de Abdel Wahab. À l’instar des films français ou américains de l'époque, il
était de rigueur d'inclure dans les films certaines séquences de fêtes ou de
soirées d'anniversaires et autres où les protagonistes étaient obligatoirement
en tenues de soirées.
Si pour les principaux
interprètes ceci ne posait pas de problèmes, il n'en était pas de même pour les
artistes de complément. Pour la figuration en tenue locale (galabieh) ou pour
les vêtements à l'européenne, il y avait foultitude de candidatures pour des
cachets dérisoires. Mais pour les smokings ou les robes du soir, cela en était
tout autrement, car Togo Mizrahi était très regardant sur les budgets, les
films étant uniquement financé par ses propres deniers (à l'époque, point de
subvention ou de fonds de cinéma).
Un beau-frère de Togo, qui
avait connaissance de mes activités théâtrales, me demanda si je ne connaissais
pas des jeunes gens et des jeunes filles possédant une telle garde-robe et qui
seraient disposés à prendre part au tournage d'un film.
C'est peut-être à ce moment
que ma vocation d'impresario commença ! Bien entendu de telles tenues
existaient chez tous les jeunes des différentes communautés européennes. Par le
système du téléphone arabe, je fis savoir que Togo Mizrahi offrait à tous les
jeunes disposant d'une tenue de soirée de participer au tournage de son film...
Un point de rencontre était fixé où un car les attendrait pour les mener au
studio. Et en plus de cette excursion "amusante" et
"instructive", chacun recevrait une indemnité de 10 piastres. J'en
réclamais, bien entendu, un peu plus à Togo pour "mes frais
d'intervention". Et ainsi, pendant plusieurs saisons - et à l'occasion de
chaque nouveau film - je pus arrondir mon budget alors que justement commençait
pour ma famille la période des vaches maigres.
D'année en année, nous
emménagions dans des appartements aux loyers chaque fois moins coûteux, mais
toujours dans la périphérie du Lycée français "pour que le petit ne soit
pas loin de son école ". C'était rue Khédive Ismail, puis rue Hawaiati (la
rue du Lycée) puis rue Emir Kadadar. Nous vivions - osons le mot - pauvrement.
Mais, je ne pense pas en avoir réellement souffert. D'abord parce que les
"restes" des périodes fastes nous permettaient de disposer de ce qui
était nécessaire pour ne pas ressentir réellement cette situation et puis, ma
mère, avec un talent hors pair, savait nous préparer des repas avec presque
rien.
Il y avait aussi cette
merveilleuse solidarité du "clan" qui faisait de l'entraide, non pas
un devoir, mais tout simplement une attitude normale. C'est surtout avec la
famille de
Chez les uns et les autres il
y avait en permanence portes et tables ouvertes.
À propos de tables, je me
souviens des fêtes de
Lorsque ma tante s'inquiétait des
lenteurs des prières qui risquaient de faire brûler les mets qui étaient sur le
feu, l'oncle Isaac profitait de l'ignorance des autres convives pour sauter
plusieurs versets afin d'accélérer le
mouvement.
Le repas était
traditionnellement composé de Koubéba de riz, de jarrets de veau au safran, de
la daba-haya (sorte de gâteau d'œufs, de cervelle et de viande hachée cuit au
bain marie - spécialité tunisienne). Le cousin René après un arrosage copieux
au vin rouge (kasher pour l'occasion) glissait sous la table pour nous réciter
des vers de Omar Khayam. Les gosses de l'époque l'y suivaient, alors que les
adultes continuaient leurs conversations autour de la table.
Quelle qu'aient été la variété
des plats ou l'abondance des mets, mon oncle lui - Pâque ou jour normal -
devait compléter son repas par une assiettée de riz blanc qu'il appelait le
"Askari", le gendarme. Allez savoir pourquoi. Il allait ensuite
s'étendre sur un canapé qui se trouvait dans un coin de la salle à manger et,
tout en faisant semblant de suivre la conversation, s'abandonnait à un long
sommeil digestif que les gamins ne manquaient pas de troubler en le
chatouillant avec une plume pour lui faire croire qu'il s'agissait de mouches.
Il faisait semblant d'y
croire, puis lassé, nous lançait un "eskot ya legno interjection
bilingue sans signification aucune, puisque "Eskot" signifie en arabe
"tais-toi" et "Légno" veut dire en italien " planche
de bois".
Un jour, alors que nous
habitions à
Se succédèrent alors une série
d'emplois aussi divers qu'éphémères. Le premier était chez un importateur de
papier du nom de Joseph Cohen. À l’époque, point de fax, de télex et le
téléphone international était fort coûteux... Aussi, l'usage était de
transmettre les commandes par télégramme mais en utilisant des codes permettant
de condenser en quelques mots la totalité d'un texte.
Ainsi un certain nombre de
caractères par mot (huit était le maximum autorisé par le Bureau des
télégrammes) pouvait donner un grand nombre d'informations, comme, par exemple
: je passe commande de X rames de papier de telle qualité, de tel poids, prière
confirmer et indiquer date de livraison. On indiquait aussi le mode transport,
le prix etc...
J'avais la charge de rédiger
en code les télégrammes de commandes à l'adresse des fabricants européens. Ensuite
la commande était confirmée par courrier "avion" et comme l'avion
était peu fiable au dire de "Cojos" (c'est ainsi que nous appelions
Joseph Cohen, du nom de son adresse télégraphique), copie de la lettre était
envoyée par courrier maritime. Mon séjour chez Cojos dura quelques mois à
peine, ensuite, mon oncle Isaac me prit dans son usine de tissage qui se
trouvait en plein quartier arabe.
C'était un grand hangar, avec
des métiers en bois actionnés avec les bras et les pieds. Les ouvriers
travaillaient à la pièce, je dirais plutôt au mètre. À la fin de la journée,
mon travail consistait à mesurer le nombre de mètres de tissus fabriqués par
chaque ouvrier et de le payer en conséquence.
Mais il fallait également
surveiller la qualité de
Entendons-nous. A la maison,
au bureau, nous avions des domestiques qui étaient des gens du peuple, il y en
avait également dans les restaurants ou les magasins où nous nous servions.
Mais ceux-ci étaient passés par un certain "polissage" du fait de
leur fréquentation avec les khawagates (les Européens) ou avec la gentry
égyptienne.
Mais là à l'usine c'était
l'homme du peuple à l'état brut., Le fellah (le paysan) qui de son village
natal avait débarqué directement à l'usine pour assurer quelques aliments à sa
famille. Les valeurs étaient toutes autres : une piastre représentait un
repas pour toute sa famille qui souvent s'était contentée d'un pain et d'un
oignon pour se nourrir. "Eich ou bassal" disaient-ils. Maintenant le
midi, ils attendaient le passage du vendeur ambulant qui arrivait, un large
plateau d'osier sur la tête à la porte de l'usine en criant "Ya
gaber" (j'ignore la traduction) pour annoncer sa présence.
Il installait son plateau sur
une sorte de trépied et déballait la nourriture constituée uniquement d'une
tête de mouton bouillie qu'il découpait et farcissait des morceaux dans un
demi-pain arabe (eich baladi) agrémenté d'un peu de torchi (marinade de légumes
divers) L'ouvrier allait ensuite se désaltérer en prenant l'une des
gargoulettes d'eau alignées contre le mur de l'usine à l'ombre pour en
conserver la fraîcheur le plus possible.
Ceux qui avaient un peu plus
de moyens attendaient le passage du vendeur de "kharoub" contenu dans
une vaste bonbonne en verre tenue en bandoulière sur le ventre et contenant ce
sirop très sucré où nageaient des glaçons. Son arrivée était annoncée par un
tintement de cymbales de cuivre. Je m'étais pris d'une réelle affection pour
ces hommes simples et toujours heureux malgré la précarité de leur situation.
Tout cela était passionnant,
mais mon travail à l'usine ne correspondait pas exactement à mon tempérament.
Conscient de ceci, mon oncle me présenta à un avocat de ses amis, Maître
Zaradel, chez qui je fus engagé pour parachever une éducation qui cherchait
encore son orientati
L'avocat Zaradel, inscrit aux
Tribunaux Mixtes s'était spécialisé dans un travail de
"sous-traitance". Il
recueillait les jurisprudences, les traitait, les classait par catégories,
inscrivait les plus importants passages des attendus sur des fiches qu'il
rangeait dans d'énormes casiers qui occupaient toute une pièce du Bureau. Il
fournissait à ses confrères toute la documentation dont ils avaient besoin pour
la rédaction des conclusions des affaires qu'ils traitaient.
Nous étions deux à taper à la
machine sur les fiches les passages des attendus des jugements qui nous étaient
indiqués par Maître Zaradel et, ensuite à effectuer un triple classement par
catégorie : pénal, commercial, civil. Nous devions également établir un
référencier nous permettant de nous retrouver facilement dans le rapprochement
des cas similaires à ceux traités par les avocats demandeurs.
J'ai dit que nous étions deux
à effectuer ce travail ; la seconde personne était une jeune fille se prénommant
Pauline. C'était une blondinette, assez mignonne aux origines
judéo-hispaniques. Le Bureau Zaradel se trouvait au second étage d'un immeuble
qui abritait au premier l'agence Reuter dont les coursiers se déplaçaient à
longueur de journée pour porter aux journaux les dépêches contenant les
derniers événements provenant du monde entier. Le Cabinet Zaradel, bien plus
modeste, était composé de trois pièces plus une cuisine où le domestique
préparait le café obligatoirement et immédiatement servi à tout visiteur.
Le couloir d'entrée comportait
une porte battante et donnait directement sur la pièce du milieu où se trouvait
mon bureau et celui de Pauline. Un coin de cette pièce assez vaste servait
également de salle d'attente. A droite, le Bureau de l'avocat et à gauche une
porte accédant à la salle du fichier. Une large fenêtre située derrière mon
siège, légèrement à droite, donnait sur la rue principale.
Aux heures où l'avocat se
trouvait au Tribunal et le domestique occupé à effectuer les livraisons de nos
travaux à des cabinets d'avocats, nous nous trouvions seuls Pauline et moi.
Très souvent, Pauline venait s'accouder à
Pauline prenait un évident
plaisir à ce manège qui se renouvelait à chaque absence de l'avocat. Des fois,
je la sentais vibrant d'impatience de voir l'avocat se rendre au Tribunal pour
se précipiter vers la fenêtre et s'offrir à mes caresses. Tout au long de ma
vie de célibataire, j'ai eu de nombreuses et merveilleuses aventures. Il
s'agissait de jeunes femmes consentantes avec qui l'acte s'accomplissait jusqu'à
son terme. J'ai fait aussi les quatre cents coups avec les copains en compagnie
de filles de rencontre.
Plus jeune, je m'étais adonné
aux amours ancillaires, et il faut dire que le cheptel domestique se
renouvelait assez souvent ! De tout cela je m'en souviens quelques fois avec le
même plaisir que l'on a à tourner les pages d'un album de photos souvenirs. Par
contre, ce qui est étrange c'est que, dans mes souvenirs, je revois autrement
les événements vécus avec Pauline, les moments de leçon de sténo avec Samiha.
Il m'arrive dans mes fantasmes de les recomposer, de les prolonger jusqu'à les
amener à un achèvement qu'ils n'avaient pas eu dans la réalité.
Les deux ans passés chez
Zaradel, en dehors de mes explorations anatomiques, m'avaient permis d'acquérir
de solides connaissances en droit, particulièrement en droit des Tribunaux
Mixtes, spécialité de notre avocat.
LES TRIBUNAUX MIXTES
En ce temps là nous vivions en
Egypte sous le régime des "capitulations". Une excellente soutenance
de thèse à l’Ecole des Chartes relate la succession d’événements politiques
depuis XIXe. siècle qui ont amené progressivement l’Egypte à rompre ses
liens avec l’Empire ottoman tout en accordant des concessions quasi coloniales à l’Angleterre laquelle fut
contrainte d’associer à certains de ses privilèges
Il serait fastidieux ici d’en
faire l’historique mais ceux des lecteurs qui s’en intéressent peuvent clique
sur leur ordinateur le site
« capitulations ». Disons, pour nous résumer, que les accords capitulaires permettaient à
ceux qui se mettaient sous la protection d’un Etat capitulaire de bénéficier de
sauvegardes juridiques, d’avantages fiscaux et de dérogations en matières
religieuses. D’où en matière de
sauvegarde juridique, la création des Tribunaux Mixtes. en Egypte.
Premier de ces privilèges :
les tribunaux égyptiens n'avaient pas le droit de juger les ressortissants
étrangers. Seuls les "Tribunaux Mixtes" créés à cet effet avaient
compétence pour connaître de toute affaire ou de tout litige impliquant un
étranger.
Si dans un contentieux tous
les autres intervenants étaient Egyptiens, il suffisait de la présence d'un
seul étranger pour que l'affaire soit confiée aux Tribunaux Mixtes. Les
plaidoiries se faisaient en français. Les juges rendaient la sentence "au
nom du Roi d'Egypte", mais ils étaient tous étrangers, désignés par les
pays signataires des "capitulations".
L'émulation entre les différents
pays avait fait bénéficier ces tribunaux du dessus du panier des juristes.
Autant dans le civil que le commercial, le correctionnel ou le pénal, ces
tribunaux, grâce à la qualité et à la compétence de leurs juges s'étaient fait
une réputation remarquable et avaient créé des jurisprudences souvent reprises
par des juridictions étrangères.
Avoir son affaire jugée par
les Tribunaux Mixtes représentait une garantie de sérieux et d'efficacité. D'où
la recherche par tous ceux qui le pouvaient, d'une nationalité les mettant sous
la protection des Tribunaux Mixtes afin d'échapper à la juridiction égyptienne
Toutes les astuces étaient utilisées pour se trouver des ancêtres ayant une
nationalité étrangère... et, à défaut s'en inventer.
Ainsi lors d'un grand incendie,
les archives de l'état civil de la ville de Livourne en Italie avaient brûlé.
Pour les reconstituer, les autorités italiennes avaient invité tous leurs
ressortissants résidant à l'étranger de se présenter dans les consulats,
accompagnés de deux concitoyens qui devaient déclarer, sous serment, que
l'intéressé était originaire de la ville de Livourne. Cette déclaration était
suffisante pour conférer à ce quidam (et à toute sa famille) la nationalité
italienne, lui faire obtenir un beau passeport tout neuf et, par voie de
conséquence, le faire bénéficier de la protection dont jouissaient les
étrangers, et en particulier accéder à la juridiction des Tribunaux Mixtes.
Ce même Monsieur, devenant
italien pouvait, à son tour, servir de témoin à un autre postulant qui
lui-même, etc... etc... C'est fou ce que l'Egypte a compté de Livournais !
Encore que ces manœuvres
puissent paraître aujourd'hui répréhensibles et peu honnêtes, elles
s'expliquent - sinon se justifient - par la nécessité du petit bourgeois juif
de se mettre sous la protection d'une juridiction lui permettant de sauvegarder
ses droits.
Mais parallèlement des
margoulins et des filous de tous calibres s'arrangeaient pour bénéficier de
certains autres privilèges. Par exemple, aucune descente de police chez un
étranger ne pouvait se faire sans la présence d'un représentant du consulat
dont dépendait le justiciable.
Quelques Egyptiens astucieux
et aux activités peu recommandables créaient des sociétés auxquelles ils
faisaient participer fictivement un étranger, généralement un pauvre diable
qui, moyennant une maigre redevance, concédait la protection de son passeport.
Ce manège se pratiquait aussi chez quelques tenanciers de bars louches ou de
commerce de prostitution.
La police qui, après enquête
voulait effectuer une descente, devait au préalable s'adresser au consulat et
demander la présence d'un représentant. D'où perte de temps dont profitait le
délinquant pour rendre le flagrant délit quasiment impossible.
Lorsqu'une personne était interpellée
par la police dans la rue, la réplique était -"Ana Hemaya ! (je suis
protégé) sous entendu "par ma nationalité étrangère"). Quelles ont
été les nationalités réelles ou retrouvées ou inventées de tel ou tel groupe de
la famille, je n'en sais trop rien ! D'ailleurs comment se retrouver dans la
mosaïque des nationalités et des origines composant le conglomérat
familial ? Jugez-en :
D'autres membres de la famille
ont été, Brésiliens, Italiens, Nord Américains
La génération suivante a vu arriver des Australiens. Et je ne parle pas
des nationalités apportées par les conjoints, telles que Belge, Danoise,
Suédoise ... et que sais-je encore !
Une anecdote à ce propos. Un
cousin par alliance, à qui l’on demandait comment et pourquoi il possédait la
nationalité italienne, avait répondu "parce que le consulat d'Italie était
plus près de la maison que le consulat de France".
LE 30/04/2008
LES ECRIVAINS D’EGYPTE
D’EXPRESSION FRANCAISE
Parallèlement à
mes différents emplois, je poursuivais mes activités théâtrales à une échelle
maintenant plus importante, avec des pièces que nous présentions à la salle des
fêtes du Lycée français ou dans la salle du Théâtre du collège américain,
l'Ewart Memorial Hall ou encore au théâtre Ritz que son directeur-propriétaire
Naguib Rihani nous cédait aimablement, heureux d’aider des amateurs du théâtre
français qu’il aimait énormément.
Naguib Rihani,
pour ma génération et celle qui m’avait précédé, était une véritable
institution. Directeur de Théâtre, auteur, comédien, il excellait dans tout.Il
adaptait également les pièces des auteurs français. Je me souviens de l’une
d’elles, « La Petite Chocolatière » qu’il avait traduite par
« Dalouaa » ce qui signifie en arabe « enfant gâtée ».
Une de ses œuvres
avait eu un immense succès. Elle s’intitulait « Hassan, Morcos et
Cohen ». Elle décrivait sur un ton badin et caustique
les tribulations de ces trois communautés – musulmane, copte et juive -
qui vivaient harmonieusement. Les musulmans étaient dans l’ensemble du pays
évidemment majoritaires à plus de 80%, les
copte à 15% et catholiques et juifs à certainement moins des 5% restants. Mais
sur le Caire et Alexandrie, c’est-à-dire les deux grandes villes où tout se
décidait et se créait, ces deux villes où siégeaient le commerce et
l’industrie, où se trouvait le monde intellectuel, où vivaient toute la
bourgeoisie européenne et toute la noblesse et la haute bourgeoisie
égyptiennes, les proportions étaient différentes.
« Dalouaa »
relatait les relations de membres de ces trois communautés, face à leurs
différences, sur un ton amical et je pourrais même dire fraternel. Et c’était
le cas de l’Egypte de l’époque
Pour revenir à nos
propres activités théâtrales, plusieurs groupes d'élèves et d'étudiants issus
des Lycées et collèges français avaient également formé des compagnies
théâtrales amateurs. Il y avait celle qui se nommait "les Essayistes"
dirigée par un condisciple du nom de Claude Taha Hussein. Son père, un célèbre
universitaire, aveugle de naissance, le Dr. Taha Hussein avait épousé une
Française, d'où ce prénom de Claude, devenu en 1956, à la suite de la guerre de
Suez, Mounir Taha Hussein, pour faire oublier la moitié française de ses
origines.
Mounir Taha
Hussein devint par la suite, ministre égyptien de l'éducation nationale. Victor
Green, dans la vie professionnelle, inspecteur d'assurances, et qui participait
également à nos émissions de radio, organisa quelques manifestations théâtrales
auxquelles je contribuais, avec Simone Alex dont nous aurons l'occasion de
parler plus loin Et c'est en 1937, que s'est créée la Société des Ecrivains
d'Egypte d'Expression Française, dont j'avais été l'un des fondateurs. Je
n’avais que dix-sept ans !
Il y avait là les
aînés, c’est-à-dire l'avocat Emile Mosseri, auteur de plusieurs œuvres
dramatiques dont "As et Poètes", "la Robe Noire", etc...,
Le Docteur Schmeil, Hans Zola, Robert Ayoub, commissaire de bord sur un
transatlantique. A chacun de ses retours sur la terre ferme, Ayoub nous
ramenait des scénettes en un acte. Il disait les avoirs écrits pendant ses moments
de loisir sur le bateau. Aujourd'hui, je le soupçonne de s'être largement
inspiré de ce qu'il voyait à chacun de ses séjours en France.
Il y avait aussi
un bon gros du nom d'Eddy Hantower, devenu plus tard Eddy Mallet, grand
admirateur de Charles Laughton, dont il avait la silhouette. Plus tard et
pendant quelques années nous fîmes ensemble carrière professionnelle dans le
spectacle. Quoique faisant partie de la Société des Ecrivains, Eddy Hantower
n'avait jamais rien écrit, mais il avait un don inné pour la scène. Pour ma
part je me spécialisais dans des sketches satiriques sur la vie des colonies
européennes d'Egypte.
Faisait également
partie du groupe, Clément Harari, excellent imitateur, qui se prenait lui pour
Louis Jouvet. Il eut un franc succès dans "Volpone" que la compagnie
présenta au cours du cycle de spectacles à l'Opéra du Caire. Clément Harari a
poursuivi par la suite en France, une bonne petite carrière dans le cinéma.
Le Théâtre de
l’Opéra n’accueillait pas uniquement des compagnies lyriques ou d’opéra, telle
la « Scala de Milan ». Toutes les compagnies dramatiques – et
particulièrement les compagnies étrangères – s’y produisaient, particulièrement
la Comédie Française qui venait tous les an
Nous nous
réunissions souvent au cabinet de l'avocat Mosseri, où nous avions priorité sur
les clients qui attendaient des fois fort longtemps que nous ayons terminé avec
nos "brain storming" sur les projets futurs, avant d'être reçus par
le Maître. Et lorsque forcé de recevoir quelques clients ou de rédiger des
conclusions, Mosseri nous mettait à la porte, nous traversions la rue pour nous
retrouver au drugstore "A l'Américaine" afin de poursuivre nos
conversations et refaire le monde. Là, nous étions quelques fois rejoints par
Foulad Yeghen.
Foulad Yeghen était apparenté à la famille
royale. Il avait dilapidé toute la fortune que lui avaient légué ses parents.
Alcoolique et drogué, il faisait le désespoir de ses proches. Souvent la police
le ramassait gisant sur un trottoir totalement inconscient.Mais quel talent
avait ce Foulad lorsque la drogue ne l'abrutissait pas ! Conteur, écrivain
et surtout poète ! Il lui arrivait de monter sur une table de
"l'Américaine" et d'improviser des poèmes quifaisaient l'admiration
de tout l'auditoire. Lorsqu'il s'arrêtait, il suffisait de l'alimenter en
"carburant" pour qu'il
reprenne de plus belle.
Le soir, après les
heures de bureau, nous nous retrouvions à nouveau chez Mosseri avec quelques
bouteilles de vin. Et selon l'inspiration, c'était au tour de l'un ou de
l'autre d'entre nous de faire la lecture de ce qu'il avait écrit depuis la
dernière rencontre. Il y avait aussi les émissions dramatiques hebdomadaires en
langue française à l'ESB, (Egyptian Broadcasting), seule radio d'Etat qui
consacrait quelques heures par jour aux émissions en langues française et
anglaise. Le directeur en était un chef d'orchestre, d'origine probablement Est
européenne et la section française était confiée à une jeune française dont
j'ai oublié le nom de jeune fille, mais qui s'est appelée par la suite Mireille
Zola, puisqu'elle avait épousé l'un des comédiens de ma troupe, Hans Zola.
C’est ce même
"Jean" Zola qui fit ensuite une gentille carrière en France. Il joua
- entre autres - le rôle de mon Oncle dans le film de Tati, et puis, grâce à
son physique - divers rôles d'officier allemand.
Naila Berger
s'était vue confier par Mireille Zola l'organisation d'une émission dramatique
bimensuelle. La Troupe était composée de Naila Berger, de sa fille Samiha Naili,
de Gamil Naili, de Victor Green (jeune premier sur scène comme à la ville), de
Hans Zola et de votre serviteur. Nous faisions deux ou trois lectures de la
pièce, puis dans l'après-midi de l'émission une répétition à l'ESB pour la mise
en onde et le bruitage. Tout se faisait en direct; il n'y avait pas
d’enregistrement. L'émission durait en général une heure, il y avait intérêt à
ne pas se tromper. C'est vous dire la tension qui régnait.
Après chaque
émission, Naila Berger nous réunissait au drugstore "à l'Américaine",
offrait une grande glace et vingt piastres à chaque interprète. C'était notre
seul cachet ! Personne ne songeait à se plaindre de cette rémunération
ridicule, tant nous avions du plaisir à jouer.
Nous savions Naila
Berger dans une situation économique assez inconfortable L'époux, Naili Bey,
qui l'avait rencontrée, alors qu'elle poussait quelques vocalises au Bataclan
de Paris (c'est pourquoi, dans les programmes, son nom était suivi par
"des grands théâtres parisiens"), cet époux, dis-je, égyptien
musulman d'origine turque - d'où une lointaine parenté avec la famille royale,
avait très vite dilapidé son héritage dans le jeu et l'alcool.
Il ne lui restait
plus que des terrains en "wakfs", c’est-à-dire inaliénables et
invendables dont il ne pouvait que recueillir le revenu. Le père connaissant
probablement les penchants de son rejeton, avait eu cette précaution avant de
mourir. Et Naila Berger qui, en épousant Naili Bey, avait cru quitter le
Bataclan de Paris pour entrer dans une famille de nobles et jouir d'une vie
fastueuse, avait dû très vite chercher à travailler, pour ne pas être à la
merci du résultat de la partie de poker ou de l'ordre d'arrivée des chevaux de
la troisième course à Guézira.
C'est ainsi
qu'elle s'était installée "professeur de chant" avec un certain
succès car les familles de la bourgeoisie égyptienne et syro-libanaise, étaient
très satisfaites de confier leur progéniture au professeur "français"
de chant. Mais cela était insuffisant pour subvenir aux besoins de la famille
et quelquefois même payer les dettes de jeu de son époux. Aussi, lui
laissions-nous volontiers le bénéfice des cachets de l'ESB
J'avais dix-huit
ans et la guerre venait d'être déclarée en Europe. Lorsque, bien plus tard,
installé en France, j'assistais aux querelles des partis, j'ai repensé à cette
époque d'Egypte où pour nous, il n'y avait ni radicaux, ni communistes, ni
socialistes, ni droite, ni gauche, mais uniquement «la France".
La France depuis
l'Egypte nous l'aimions dans sa globalité bien qu'un très grand nombre n'y fût
jamais encore allé. Nous ne la connaissions que par la culture qui nous était
dispensée. Et cela était vrai, je crois, pour tous les juifs, français
d'origine, ou adoptés ou de tout autre nationalité et, bien entendu, les
apatrides.
Si, pour les
Français cela paraissait normal, pour les Juifs les explications pouvaient être
diverses. On peut remonter assez loin dans l'histoire, à la Révolution
française, avec Napoléon qui accorda des droits civiques aux juifs et qui interdit
toute discrimination dans les lieux de sépulture. On peut expliquer aussi que
le français à l'époque étant la langue internationale, celle de la Société des
Nations, les parents envoyaient volontiers leurs enfants dans les écoles de la
Mission Laïque Française ou dans les écoles religieuses.À ceci s'ajoutait le
fait que même nés en Egypte et de parents eux-mêmes nés en Egypte, nous
n'étions jamais considérés comme des Egyptiens. Et nous-mêmes d'ailleurs n'y
tenions pas tellement (voir plus haut l'histoire des tribunaux mixtes). Mais
revenons à la déclaration de guerre.
J'avais dix-huit
ans et donc pas encore mobilisable, l'âge légal de l'époque étant de 21 ans.
Mais quelques amis l'avaient été. Quelques mois après la déclaration de guerre,
tous les appelés avaient été envoyés en Syrie, territoire qui à l'époque était
sous protectorat français,» la Syrie-Liban". Je me souviens encore du
regroupement à la gare du Caire, avec les familles venues saluer les partants,
les rires, les pleurs et la Marseillaise entonnée par toute la gare au moment
où le train s'ébranlait.
Mais, par-delà ces
expressions que nous voulions dramatiquement patriotiques,nous avions le
sentiment qu'il s'agissait d'une simple excursion et l'occasion pour les
appelés de voir du pays, convaincus que nous étions - comme toute l'Europe -
que cela se terminerait au bout de quelques semaines, avant que les mobilisés
d'Egypte n'aient eu le temps de terminer leur entraînement. Aussi y avait-il eu
chez moi un sentiment de frustration pour n'avoir pas participé à "cette
promenade de santé". Mais par ailleurs, je me disais que si j'avais été
mobilisé, j'aurais laissé derrière moi un père paralysé, une mère et une sœur
dont j'étais le seul soutien moral et matériel.
Et c'est pour
cette même raison que, lorsque la France cessa le combat, je ne m'engageais pas
dans les forces françaises libres de de Gaulle, alors que tout me portait à le
faire : mon amour pour la France et ma haine contre Hitler et son
antisémitisme. Alors je m'étais employé à servir la cause française par divers
moyens que je relate dans les pages suivantes.
Un moment pénible
pour nous a été l'internement des membres mâles de la colonie italienne qui
était la plus nombreuse et parmi laquelle nous comptions des amis. Ceux-là ne
comprenaient vraiment pas pourquoi ils étaient internés alors qu'ils n'avaient
rien contre les français ou les Anglais... mais enfin, c'était la guerre.Nous
ne connaissions vraiment pas d'allemands dans notre entourage, mais je suppose
qu'ils ont dû également être internés.
La reddition de la
France a été vécue en Egypte comme un véritable drame ! Français ou
européens de toutes nationalités et, bien entendu, tous les juifs pleuraient.
Une grande partie de l’intelligentsia égyptienne était également attristée,
particulièrement parmi ceux qui avaient fait leurs études dans les lycées ou
collèges français, ainsi que chez les jésuites ou dans les écoles des Frères.
Par contre, la
défaite des "colonisateurs" français et bientôt celle annoncée des
"colonisateurs" britanniques - surtout ceux-là - était ressentie avec
une certaine satisfaction dans la population. Celle-ci était moins pour les
allemands, que contre les anglais, dont elle détestait l'arrogance. Mais une
censure sévère venant d'être établie, ce sentiment ne se manifestait qu'en
privé. Il faut dire que les soldats britanniques casernés, à l’époque à Kasr El
Nil, ne faisaient rien pour améliorer les relations avec la population
égyptienne.
- "I am
British", clamaient-ils à toute occasion, comme si cela suffisait pour
leur permettre le comportement le plus arrogant. Bien avant la déclaration de
la guerre, plusieurs mouvements nationalistes s'étaient organisés,
principalement sous la direction d'un homme politique du nom de Nahas Pacha. Et
tous ces mouvements réclamaient la fin des "capitulations" et
l'évacuation des soldats britanniques. Certains Egyptiens espéraient que la
défaite britannique en Europe leur permettrait d'atteindre leurs objectifs.
Avec la guerre, le
nombre de diplomates et d'hommes politiques qui faisaient de l'Egypte la plaque
tournante de leur activité moyen-orientale, les états-majors alliés avec le
train de leurs intendances, la présence massive de soldats alliés, modifièrent
progressivement le visage de l'Egypte.
Les commerces
déployaient tous leurs efforts pour attirer cette nouvelle clientèle qui leur
apportait la prospérité. Mais les produits d'importation venant vite à manquer,
il avait fallu faire appel à l'imagination de ce peuple dont la composition
multicolore faisait la richesse, pour inventer des produits de
substitution De la fabrication de pâte
dentifrice aux pneus de voitures rechapés s’était créées sur place de nouvelles
entreprises. Un laboratoire de produits pharmaceutiques, du nom de Delmar produisait
des médicaments sous licence ; les parfums "Chabraouichi" firent
fureur parmi la gente féminine
La ville entière
grouillait telle une fourmilière avec les petits commerces qui se
multipliaient, et le marché noir commença à faire son apparition avec les
produits des magasins de l'armée que les soldats revendaient aux civils. Mais
le manque d'importations ne se manifestait pas seulement dans les produits de
consommation. Les produits culturels et artistiques manquaient également. Plus
de saisons de la Comédie française, plus de Scala de Milan, plus de
conférenciers.
La prédominance de
la langue française tendait à s'émousser au profit de l'anglais en raison de
l'omniprésence des militaires Britanniques, Sud Africains, Néo-Zélandais,
Australiens etc... avec qui "l'indigène" devait converser pour
vendre et commercer. Il y avait aussi les spectacles organisés par les services
de loisirs des armées alliées auxquels bien souvent les civils étaient invités.
Le proviseur du
Lycée, Monsieur Gossart, et les services culturels de l'Ambassade France nous
incitèrent à palier à ce déficit de la langue française. Et c'est ainsi que nos
activités théâtrales "de loisir" prirent de l'importance. Le Théâtre
de l'Opéra du Caire, où se produisaient généralement la Comédie Française et la
Scala, fut mis à notre disposition pour l'organisation de tout un cycle de
spectacles dramatiques...Nous avions obtenu l'Opéra grâce à l'intervention de
celui que le Caire considérait comme un grand Maître du Théâtre égyptien,
Georges Abiad.
Georges Abiad avait
suivi des cours d'art dramatique en France, avec, si j'ai bonne mémoire Charles
Dulin. Il possédait tout un répertoire que, pour lui être agréable, nous étions
contraints d'inclure dans nos spectacles. Il ne s'agissait pas de pièces
particulièrement réjouissantes ; jugez-en : Louis XI, une pièce de cinq
actes en vers de Casimir Delavigne, la Mère Courage, et d'autres œuvres dans le
même style.
Notre compagnie
s'était agrandie par la fusion, lors de mise en scènes et de distributions
importantes, de tous ceux qui s'occupaient d'activités culturelles ou
théâtrales en langue française. Nous trouvions un grand nombre de volontaires,
disposés à prêter leur concours. Le Théâtre de l'Opéra avait mis à notre
disposition son metteur en scène, Fattouh Nachati, qui revenait tout
fraîchement de France après des études de mise en scène au conservatoire de
Paris. Celui-ci était tout heureux de travailler dans la langue de Molière. Et
une très forte sympathie était née entre nous.
Nous avions établi
un programme de spectacles que l'on pourrait tout simplement qualifier de
démentiel : Une pièce différente par semaine, montée et présentée pour deux
trois séances tout au plus ! En sept jours, il nous fallait répéter et mettre
en scène des œuvres d'une durée de quatre-vingt-dix minutes. Même si certains
éléments de la Troupe ne travaillaient qu'en alternance, d'autres se trouvaient
dans toutes les distributions avec des rôles plus ou moins importants selon
leur activité de la semaine précédente. Un peu comme à la Comédie Française !
Mais quelle mémoire que celle de la jeunesse !
Georges Abiad ne
participait à nos spectacles que dans les pièces de son répertoire. Et malgré
cela, vu son grand âge, sa mémoire était souvent défaillante. Aussi Fattouh
Nachati réalisait-il des mises en scènes qui le mettait toujours à proximité de
la cage du souffleur, et souvent assis, pour être encore plus près. Je le vois
encore s'arrêtant au milieu d'une grande tirade, pour une appartée « sotto voce » en arabe à l'intention du souffleur : "ou
Baaden ?" (et ensuite ?). En raison de sa grande expérience de la scène,
cette coupure au milieu de la tirade était sentie par les spectateurs comme un
point d'orgue volontaire. Nous les jeunes, on en riait tout en admirant son
manège.
Pendant cette
saison à l'Opéra, nous fîmes une grande consommation de "souffleurs"
en raison de la courte durée des répétitions. Il s'en trouvait dans la cage,
bien entendu, mais aussi côté cour, côté jardin, dans les coulisses pour nous
rappeler le texte de nos prochaines entrées, dans les loges aux
entractes.....Mais nos activités artistiques ne s'arrêtaient pas là.
À la déclaration
de la guerre, une artiste française du nom de Renée Davelly, qui chantait en
s'accompagnant à l'accordéon dans un établissement du nom de
"Kit-Kat", s'est trouvée coincée en Egypte faute de moyens de
transport pour la rapatrier.Elle s'investit totalement auprès des forces
françaises libres installées en Egypte, se produisant devant les troupes et
prêtant son concours à toutes les manifestations en faveur de la France libre.
Et c'est ainsi que nos activités se rejoignirent. Ensembles, nous assurions les
spectacles et les activités de loisirs au camp de Mena, ce camp situé à
proximité des Pyramides où venaient se reposer nos soldats retour du front
Nous étions très
heureux de nous y rendre, d'abord parce que nous avions le sentiment de servir
la cause française, et de contribuer au maintien de la présence culturelle
française. Oh, je sais bien que le terme "culturel" est exagéré si l'on
se réfère au répertoire que nous présentions aux soldats, mais c'était
néanmoins du Français. Et cela m'a valu d'ailleurs de recevoir en 1947, sur
recommandation de monsieur Gossart, le proviseur du Lycée, les palmes
d'officier d'Académie, "pour services rendus à la cause française".
Et je n'avais que 27 ans, âge exceptionnel pour la remise de cette décoration.
Nos expéditions au
Camp de Mena avaient pour nous un autre attrait. Après le spectacle, nous
étions invités à un dîner au Club des officiers. Et c'était le seul endroit où
l'on pouvait encore manger du pain blanc. De grands pains carrés à la mie toute
blanche !
Dans la vie, tout est relatif. Alors qu'en Europe, sur tous les fronts des soldats mourraient par milliers, alors que les civils, dans les grandes villes étaient rationnés pour les produits essentiels, en Egypte nous étions très malheureux parce que le pain était plus gris et que nous manquions du superflu auquel nous étions habitués.
LE 30/06/2008
Mais revenons à mes activités
professionnelles.
Après mon passage chez
l'avocat Zaradel qui me laissait assez de loisirs pour le théâtre, mon l'oncle
Emile fit appel à moi pour le seconder dans unenouvelle affaire qu'il créait
avec un associé du nom de Simon Sissa.
Il s'agissait d'un Restaurant "chic" avec orchestre, dénommé le
"Pam-Pam" situé rue Emad El Dine. Sissa devait apporter l'expérience
et mon oncle l'argent. Mais, comme dans beaucoup de cas semblables, à la fin de
l'envoi, mon oncle a eu l'expérience et Sissa l'argent.
Je devais en assurer
l'intendance sous la direction des deux patrons. Le Pam-Pam se voulait d'une
belle tenue et destiné à une clientèle d'élite ! C'était compter sans les soldats anglais,
néo-zélandais, australiens, Maoris qui déferlaient tous les jours sur le Caire
retour du front.
Le restaurant chic du début
se transforma rapidement en une sorte de "pub" du style Western. La
valeur comparative des régiments, les rivalités entre aviateurs, tankistes ou
hommes de troupes, les différences ethniques ou raciales, tout était prétexte,
après la troisième chope de bière, à se taper dessus, puis à s'en prendre à la
vaisselle, aux tables, aux chaises jusqu'à l'arrivée de
Le lendemain, sans avoir été
convoqués, arrivaient l'ensemble des corps de métier : : menuisier,
vitrier, plombier, le représentant en vaisselles, qui avaient pris l'habitude
de faire tous les matins la visite des établissements publics. Surpris par la
tournure des événements, mon oncle Emile et son associé Sissa ne savaient que
faire. Financièrement l'affaire était florissante, mais quel climat !
Dans un premier temps, ils
avaient fui l'établissement m'en laissant la direction et le soin de me
débrouiller avec les bagarreurs. Ma haute stature et mon côté athlétique me
permirent assez fréquemment d'intervenir entre les belligérants pour limiter
Quant à moi, je fus sollicité
par un certain Maurice Sion pour diriger un club-restaurant qu'il espérait à
l'abri des turbulences en raison de sa situation plus protégée. Hélas cet
espoir fut rapidement déçu. Il faut dire aussi, à la décharge des soldats que
la solde de plusieurs mois accumulée par leur séjour sur les champs de
bataille, passait en une ou deux soirées au Caire, à la grande satisfaction des
propriétaires de ces établissements, en dépit de la casse.
Quelques établissements,
anciennement installés, avaient eu la possibilité de conserver leur caractère
d'avant-guerre en se faisant classer "Out of Bound", c’est-à-dire
interdit aux militaires, sauf aux hauts gradés. C'est là que se réunissait la
grande bourgeoisie européenne et égyptienne. Et c'est dans l'un de ces
établissements dont le nom m'échappe que se produisait un couple de chanteurs
fantaisistes du nom de Simone Alex et Léo S
Un jour, - cela devait très
probablement se situer en 1943 - je retrouvais chez Groppi, Simone Alex. Simone
Alex, une jeune et jolie femme avait, quelques années auparavant, contre le gré
de ses parents, d'honorables bourgeois de la colonie juive d'Alexandrie, quitté
seule (impensable à l'époque) l'Egypte pour suivre à Paris des cours d'art
dramatique. À son retour, elle avait quelquefois participé à certains de nos
spectacles en qualité de "guest-artist" s'estimant trop
professionnelle par rapport aux amateurs que nous étions.
Depuis, Simone avait épousé
un Alexandrin du nom de Léon Mouly et vers 1941 ils avaient formé un duo
interprétant des chansons et des sketches de "
Simone, qui avait suivi nos
activités théâtrales à l'opéra, me fit part de sa lassitude à faire les
saltimbanques devant des dîneurs. Elle souhait remonter sur les planches. De
mon côté, j'avais eu mon compte dans la gestion des Etablissements à beuveries
et à bagarres. Je savais aussi que Maurice Sion, déçu par le climat de son club
restaurant, cherchait à s'en débarrasser. Au fil de la conversation, une idée a
germé dans nos esprits : transformer cet établissement en Théâtre de poche de
chansonniers !
Ce club-restaurant occupait
un bâtiment style hôtel particulier, avec la réception au rez-de-chaussée. Au
premier étage, les murs avaient été abattus pour n'en faire qu'une grande salle
avec en plus quelques dépendances. Les choses allèrent très vite. Maurice Sion
consulté donna son accord pour nous céder le local contre une participation
dans l'association.
Simone Alex et Léo Smith
reprendraient les chansons qu'ils interprétaient dans les Hôtels où ils se
produisaient précédemment ; Eddy Mallet et moi-même devions interpréter
des sketches franco-arabes de ma composition. J'assurerais également une gazette
satirique en vers.
Yuki Russel, une belle grande
blonde, interpréterait des chansons de charme accompagnée au piano par son
mari, un métis Nord Américain du nom de Johnny Smith qui viendrait en
guest-artist juste pour le tour de chant de sa femme, car par ailleurs il
travaillait comme pianiste crooner dans les hôtels de la capitale.
Quelques autres comédiens
compléteraient
J'empruntais
Il faut savoir qu'en Egypte
et dans tout le Moyen-Orient, nous empruntions fréquemment des noms, des
titres, des enseignes déjà utilisés et connus en France. Nulle autre intention
dans ces emprunts que celle de manifester notre nostalgie à ce qui ne nous
était pas accessible et notre attachement à ce que cela représentait pour nous.
Tout le monde se mit à
l'ouvrage. Un ami italien (qui avait échappé au camp d'internement) prêta son
concours pour
Le menuisier-charpentier qui
au Pam-Pam nous réparait tous les matins les dégâts causés par les hordes
soldatesques, acceptait de nous fabriquer des banquettes en bois. C'était la
bonne solution car, d'une part, les fauteuils auraient coûté trop cher, et
d'autres part l’exiguïté de la salle nous a fait choisir la solution nous
permettant d'accueillir le plus grand nombre de spectateurs, c’est-à-dire 110
personnes. Alors onze banquettes de dix places chacune. Il devait également
nous monter une scène d'environ sept mètres de large sur cinq de profondeur. Un
seul accès direct à la scène : la porte de la seule loge que devaient
utiliser les garçons et les filles.
Choisi comme administrateur
de
Mais la grande partie de nos
comédiens n'avaient pas cru au succès financier de notre entreprise. Ils y
avaient adhéré parce que cela les amusait, mais puisque l'on parlait argent,
ils avaient préféré recevoir un cachet fixe. Je pris la responsabilité de
promettre à certains deux livres par soir et à certains autres trois livres.
Simone Alex, Léo Smith, Eddy Mallet et moi-même nous nous partagerions le
reliquat... s'il en restait.
Moins de deux mois après ma
première rencontre chez Groppi avec Simone Alex, nous ouvrions notre "
À travers la fente du maigre
rideau de toile qui nous séparait d'eux, on les voyait ricaner devant ces
banquettes en bois, eux qui habituellement en Egypte sont dans des salles aux
fauteuils de velours larges et confortables, aux rangs espacés. Eux qui avaient
des places numérotées vers lesquelles ils étaient dirigés par des
"ouvreuses-mâles" les voici à s'installer sur des banquettes
inconfortables là où ils pouvaient trouver une place ! Cela ne marchera pas,
disions-nous désespérés dans notre loge. Et ceux d'entre nous qui avaient
préféré un cachet fixe à une part du bénéfice se félicitaient d'avoir fait ce
choix. Je me voyais déjà être obligé de demander une rallonge à l'oncle Emile
pour faire face à mes engagements.
J'avais eu la précaution de
faire venir ma sœur et quelques-uns de ses amis afin de former la
"claque". Il faut dire que ma sœur a toujours été mon meilleur
public. Son rire communicatif s'étendait souvent à toute une salle. Les trois
coups du "brigadier" - tradition oblige - levée du rideau et, pendant
plus deux heures, ce furent des rires à toutes les répliques, de la gaieté, de
l'ambiance et, en fin de séance des applaudissements sans fin. Nous avions gagné !
La nouvelle se répandit dans
toute la capitale, les billets s'arrachaient de nombreux jours à l'avance, - et
nous ne pouvions vendre plus de 110 places par séance ! Des spectateurs
acceptaient de rester debout dans les passages (heureusement que les services
de sécurité n'étaient pas regardants), des places se vendaient au marché noir !
La haute société égyptienne venait régulièrement.
Nous savions que des
personnages de l'entourage direct du Roi Farouk étaient venus nous voir. Nous
avons su ultérieurement que des membres de sa garde personnelle venus visiter
les lieux lui avaient déconseillé de venir assister à notre spectacle car aucun
moyen de sécurité ne pouvait être assuré, vu l’exiguïté de l’établissement et
la promiscuité avec les autres spectateurs.
Notre succès se prolongea
plusieurs mois. Quelques bons mois durant lesquels les quatre associés se
firent pas mal d'argent, au grand dam de ceux qui avaient préféré le cachet
fixe. Je remboursais rapidement l'oncle Emile. Hélas, par la suite, les choses
se gâtèrent. Ce succès rapide et inattendu nous avait tourné la tête, chacun de
nous l'attribuant à sa performance personnelle. Et puis les artistes payés au
cachet voulaient maintenant une part du gâteau. Simone Alex, prétendant que
tout le succès lui revenait, entendait pour sa part modifier nos arrangements.
L'élan collectif du début qui nous avait
fait aménager, écrire, composer, jouer et nous amuser tout autant que les
spectateurs, s'émoussait.
FAROUK, SOUSSA ET L'AUBERGE DES PYRAMIDES
Pendant notre période de
succès, il se passa un événement qui devait influencer mon destin pour les
douze années qui suivirent. Farouk était très curieux de voir notre spectacle.
Il fit demander à Albert Soussa propriétaire de l'Auberge des Pyramides, de
nous inviter à nous produire dans son établissement. Là une pose pour planter
le décor et situer les personnages.
Farouk, point besoin de le
présenter. Il s'en est dit bien des choses sur sa personne ou l'image que l'on
s'est faite de lui à travers les différents échos colportés. Roi fainéant, roi
aux mœurs dissolues, roi jouet de son entourage. Rien de cela ne correspond à
la réalité telle qu'elle m'était apparue à cette époque, sauf peut-être la
faiblesse de son caractère et la versatilité de ses humeurs.
Rappelons néanmoins le propos
qu'on lui a prêté : "Bientôt, aurait-il dit, il ne subsistera au monde que
cinq rois, le roi d'Angleterre et les quatre rois du jeu de carte." Ce qui
dénotait chez lui une certaine lucidité et expliquait une partie de son
comportement. Si la constitution faisait de lui un monarque constitutionnel,
paradoxalement, la faiblesse de son caractère, le transformait en monarque
absolu dans les événements mineurs du quotidien.
Les gros propriétaires
fonciers, les pachas, les profiteurs du régime, le maintenaient dans cette
illusion qui leur servait de rempart pour la protection de leurs intérêts. Le
machiavélisme des Britanniques - à l'époque réels maîtres du pays - s'en
servaient pour des considérations de haute politique. Mais il ne fallait pas
qu'il en fasse trop, car dans ce cas, ils n'hésitaient pas à faire une
démonstration de leur force, comme ce fut le cas un jour où ils entourèrent le
palais royal de leurs blindés.
Monté sur le trône très
jeune, Farouk avait fait son apprentissage de souverain sous la tutelle d'une
mère dominatrice qui le manipulait à ses propres fins. Elle encourageait ses
parties de plaisir, ses escapades, le maintenant ainsi loin du pouvoir qu'elle
entendait exercer avec des hommes qui lui étaient acquis depuis la mort de son
époux.
Albert Soussa, égyptien
d'origine libanaise avait une entreprise de fers forgés. Il fabriquait dans ses
ateliers les carcasses de luminaires sur lesquelles il faisait monter les
cristaux de Baccara importés de France. L'atelier se complétait par un hall
d'exposition et de vente rue Talaat Harb Pacha. Ce style de luminaires était
très prisé par la noblesse et la grande bourgeoisie égyptiennes où le mobilier
de salon se composait souvent de fauteuils et canapés en bois dorés, avec au
plafond des luminaires en cristaux de Baccara de chez Soussa. Plus il y avait
de luminaires accrochés au plafond, plus on était censé posséder de la fortune.
Albert Soussa avait équipé
quelques salons des palais royaux de ses luminaires et les faisait entretenir
par ses services, ce qui comme bien l'on pense représentait pour son entreprise
une bonne source de revenus. Son frère, Edmond, avait été champion du monde de
billard. Lui-même n'était pas maladroit dans cette discipline. Aussi
l'intendance royale avait-elle cru bon de lui confier également l'entretien des
tables de billard des Palais. Il eut ainsi l'occasion, de rencontrer le
souverain, et je crois aussi d'engager avec lui quelques parties de billards,
ce qui, bien entendu, créa un climat relationnel particulier entre eux.
Les Pyramides de Guizeh se
situent à une dizaine de kilomètres du Caire. Une seule route pour s'y rendre,
la route des Pyramides. Et cette route était bordée de restaurants de
night-clubs de style oriental ou occidental. Ces établissements excentrés de la
capitale étaient fréquentés par la haute bourgeoisie égyptienne ainsi que par
les membres des colonies européennes soucieux de ne pas s'exposer au regard de
la population cairote.
Un mauvais repas pris dans un
restaurant de la route des Pyramides, une discussion avec le Maître d'Hôtel et
Albert Soussa jura de créer un établissement où l'on pourrait bien manger et
être bien servi. Et c'est ainsi qu'en 1943 une villa sur
Pourquoi
"l'Auberge" ? probablement en raison de sa vocation première puisque
Soussa, au départ ne souhaitait que créer une Auberge-Restaurant sur la route des
Pyramides. La suite des événements en ont fait (toute proportion gardée) une
sorte de Casino de Deauville ou de Monte-Carlo...(sans les jeux). Il y avait
des salons d'hiver, une grande salle de restaurant-spectacles, avec piste de
danse.
Bien que les tables fussent
installées à une bonne distance les unes des autres avec des fauteuils destinés
à accueillir le large séant des orientaux, la grande salle pouvait contenir
près de huit cents personnes Les luminaires de
Comme vous voyez, le
qualificatif "d'auberge" n'était plus du tout approprié à ce lieu.
Mais le nom fut conservé et devint une référence pour les artistes qui s'y
produisirent. Les jardins de la villa furent aménagés pour l'été, avec des
fauteuils en rotin et le tout à l'avenant, piste de danse, piscine, etc...
etc...Soussa en avait confié l’intendance à un certain Roger Léoncavallo
petit-neveu du compositeur de la « « Cavaleria Rusticana »
Léoncavallo, je l'avais connu
quelques années auparavant, alors qu'il éditait à Alexandrie un hebdomadaire
satirique du nom de "Maalèche". "Maalèche" est une
expression intraduisible qui contient toute la philosophie fataliste orientale.
"Maalèche" : ça ne fait rien ; pardonne-moi ; cela est
ainsi, accepte les choses comme elles se présentent. Mais toutes ces
interprétations réunies ne définissent pas exactement l'expression
"maalèche"
J'étais en stage à cette
époque chez l'avocat Zaradel et les circonstances ont fait que Léoncavallo,
après quelques articles que je lui adressais me confia la représentation
cairote de son hebdomadaire. J'assurais, sur le ton badin et humoristique
propre à cette publication, la gazette des manifestations artistiques et
littéraires et je tenais également une rubrique sur les potins et les affaires
traitées au Tribunal Mixte où mon activité professionnelle me menait
fréquemment. Ma rubrique s'intitulait "dans l'antre de Thémis".
J'ai raconté plus haut
comment fonctionnaient les Tribunaux Mixtes et quelles étaient les catégories
humaines ou professionnelles qui en étaient justiciables, d'où la multitude de
potins juridico-comiques que l'on pouvait extraire. Cela dura quelque temps, le
temps que Léoncavallo mis à s'épuiser financièrement et moi à m'éloigner en
raison de mes activités théâtrales.
Léoncavallo et son épouse
trouvèrent un point de chute avec l'intendance de l'Auberge. Ils n'avaient
aucune expérience dans l'hôtellerie ou la restauration, Soussa non plus
d'ailleurs. Cela n'avait aucune importance puisqu'ils s'entourèrent des compétences
nécessaires et l'argent de Soussa fit le reste. Dès son inauguration, l'Auberge
des Pyramides obtint un succès immense. Toute la haute société s'y retrouvait.
Y furent organisés les Galas de bienfaisance au profit de telle ou telle
institution caritative ou des œuvres des armées alliées. Les salons se louaient
pour célébrer des mariages ou autres grands événements de la vie sociale ou
professionnelle. Cette ruée vers l'Auberge des Pyramides s'accentua encore
davantage lorsque, au cours d'une manifestation de bienfaisance, le roi Farouk
fit son apparition, entouré de sa cour.
Jusque-là Farouk n'avait
jamais été vu dans un lieu public tel ce restaurant-spectacle. La présence de
Farouk se renouvela à plusieurs occasions et les gens se précipitèrent à l'Auberge
dans l'espoir de le voir de près ou de rencontrer tel personnage influent de
son entourage susceptible de favoriser l'une de leurs démarches. Il a dû
probablement prendre goût aux marques discrètes de respect qui l'entouraient,
et c'est ainsi qu'une table lui fut réservée en permanence. Une autre table
juste derrière la sienne était destinée à sa garde rapprochée. Une voiture du
Palais amenait tous les soirs deux policiers de la garde royale qui
s'installaient dans le hall d'entrée pour le cas où le roi viendrait par
surprise.
Connaissant les entrées de
Soussa au Palais, - même si ce n'était que par la porte de service - le bruit
courut que le roi était l'un des actionnaires de l'Auberge.Il n'en était rien,
mais Soussa aurait été le dernier à démentir un bruit qui ne pouvait que servir
son établissement. J’ai eu dernièrement connaissance d’un article publié dans
le journal égyptien « AL AHRAM » (Les Pyramides) daté de Août 2001, qui en chapeau annonçait :
« Maintenant la fête est finie » Encore un des monuments du Caire a
mordu
Elle y relate, dans un très
long article, les manifestations somptueuses qui s’y déroulaient, les fêtes de
charité, mais aussi les rencontres de Farouk avec des personnalités, tels Sir
Miles Lampson (résident Britannique), l’Air Marshal Sir William Sholto Douglas,
le secrétaire d’Etat américain Summer Wells et les entretiens officieux qu’il
avait avec eux dans un coin retiré de l’Etablissement.. Farouk disait préférer
les rencontrer à l’Auberge plutôt qu’au Palais où tout prenait un caractère
officiel. Il s’en est réglé et résolus bien des problèmes politiques au son de
la musique de l’orchestre de Baby Almanza.
Revenons maintenant au désir
du roi de voir le spectacle que nous présentions à
Quelque temps plus tard, le
divorce ayant été consommé entre les artistes de
Reneé Davelly avait, dans un
premier temps essayé de créer sa propre troupe, mais le personnel artistique
n'étant pas foison au Caire, elle fit appel à nous au moment où à
Cela ne dura pas longtemps,
les financiers ne trouvant pas l'entreprise suffisamment rentable pour leur
investissement, d'autant que la guerre en Europe venait de prendre fin, ce qui,
de toute évidence allait modifier
Cet après-midi, assis en
tailleur sur la scène de
Cela me rappelle une
anecdote.
C'est à ce moment qu'Eddy
Mallet et moi-même avions répondu favorablement à une troisième proposition de
l'Auberge des Pyramides. Nous signâmes un contrat de quinze jours et,
personnellement - avec quelques coupures ici et là - j'y suis resté onze ans
! Comme artiste jusqu'à la fin de la guerre et, ensuite, comme directeur
artistique. Les manifestations artistiques que j’y organisais, telle l’élection de Miss Egypte, le Gala des
plus jolies jambes, le Gala des Amateurs, le Crochet musical et bien d'autres -
ont été le point de départ de nombreuses vocations artistiques et pour ne
parler que des plus célèbres, celles de Dalida et de Claude François.
Leurs premières apparitions
en public ne laissaient nullement présager l'avenir que, par la suite le destin
leur réservait C'est par ses jambes, qu'elle avait très belles, que Dalida
commença sa carrière artistique. Issue d'une famille italienne modeste, Dalida,
de son rai nom à l’époque Yolanda Gioliotti, aimait se retrouver dans
l'ambiance cossue de l'Auberge.
Après le Gala des jolies
jambes qu'elle gagna haut la main (si l'on peut dire), elle s’essaya dans la
chanson au cours du Gala des amateurs. Mais dans ce domaine, autant pour elle
que pour Claude François, les débuts ne furent pas convaincants.
Immanquablement, à chacune de
ces manifestations, Claude François, avec une persévérance touchante, nous
arrivait de Suez pour tenter sa chance. Le public de l'Auberge, amusé par sa
bonne tête, ne manquait pas de l'encourager, dans l'espoir de le voir revenir à
la manifestation suivante... et faire ainsi usage du "crochet". Vous
connaissez le démenti de l'histoire. ! Yolanda, quant à elle, continua de
temps à autre à pousser une chanson accompagnée par l'orchestre de Baby
Almanza, notre chef d'orchestre, au grand dam de celui-ci. Baby Almanza m'en
voulait de lui imposer cette fille qui "chantait faux".Encore un
démenti de l'histoire ! D'ailleurs, même à l'époque, le charme de Yolanda lui
faisait gagner la sympathie du public.
Des années durant, le Comité
français de l'Elégance, venait avec de nombreuses "Miss" européennes
présenter pendant toute une semaine un
défilé de mode, avec le concours de maisons de haute couture. Nous faisions
coïncider notre Gala annuel de l'Election de Miss Egypte avec le séjour de
cette semaine de l'élégance. C'est ainsi que Yolanda Giliotti fit partie des
candidates. Mais contrairement à la légende, elle ne fut pas élue "Miss
Egypte". Le jury lui préféra une Egyptienne - dont le nom m'échappe - fort
jolie d'ailleurs, mais elle avait sur Yolanda, l'italienne, l'avantage d'être
égyptienne. Yolanda fut élue première dauphine.
Entre autres cadeaux
attribués à Miss Egypte, il y avait un voyage en France, pour participer, avec
le Comité français de l'Elégance à une tournée en France. Les parents de Miss
Egypte refusant le départ de leur fille, c'est sa Dauphine, Yolanda Giliotti
qui fut choisie pour
Très vite, après la fin de la
guerre, nous avions accueilli à l'Auberge, des attractions venant de l'Europe.
De nombreux ballets se succédèrent, servant le plus fréquemment d'écrin aux
attractions les plus diverses qui composaient les programmes. Il serait
fastidieux d'énumérer toutes les vedettes que j'avais fait venir en Egypte pour
se produire à l'Auberge des Pyramides mais également, pendant une certaine
période au Helmia Palace, et puis aussi dans divers théâtres de
LE 31/08/2008
Charles Aznavour
avec à sa droite Maurice Cassab, Directeur du Scarabé autre night club, où
Farouk se rendait souvent
à sa gauche Roland
Bertin et à sa droite Eddy Mallet
entre les deux
vedettes Roland Bertin et à Droite Lebovitch un impresario de l’époque
Une des rares
photos où l’ont peut voir ces deux immenses vedettes trinquer ensemble alors
qu’ils ne sympathisaient pas tellement
Et bien d’autres noms encore
tels que :, Maurice Chevalier, Edith Piaf, Roger Nicolas, , Mistinguett,
Georges Guétary, , Reda Caire, Gloria Lasso, Rina Ketty, Suzy Solidor, Patachou,
Josephine Baker, Léo Marjane, Jacqueline François, Dany Dauberson;, le grand
chef d'orchestre José Iturbi, Rosita Serrano À propos de Rosita Serrano, il me
vient en mémoire un incident assez cocasse.
A l'Auberge nous vivions au rythme de ces
grand événements artistiques qui, à chaque occasion réunissait toute la crème
de
Autre cocasserie de Soussa.
Nous avions un chef d'orchestre qui jouait alternativement de la clarinette et
du violon. Une soirée de grande foule, Soussa constatait que ce musicien ne
jouait que de la clarinette. S'approchant de l'estrade, il lui en demande les
raisons, et le musicien d'expliquer qu'il avait un furoncle sous le menton gauche
qui l'en empêchait. Et Soussa de répliquer : "vous n'avez qu'à poser le
violon à droite". Soussa n'était certainement pas aussi naïf qu'il voulait
le faire croire. C'était plutôt un style qu'il se donnait .
Maurice Chevalier, Charles
Trenet, Reda Caire, Jose Itrurbi se produisirent en récital sur une scène de
Théâtre. Au moment où je rédige ces lignes - Février 2001 - la radio annonce le
décès de Charles Trenet. Que de
souvenirs me reviennent en mémoire ! Le Charles Trenet de mon adolescence,
avant la guerre. Je me souviens de la bande d’amis assis au sol en tailleur
autour du phonographe écoutant avec un
plaisir indescriptible les chansons de Trenet
dont le ton et le style différaient de tout ce que nous entendions
alors. Et puis après la guerre, le Charles Trenet que j’avais engagé pour des
récitals au Caire.
Ce jour de Février 1948 (55
ans déjà !) où Trenet se produisait sur une scène de théâtre, Yves Montant
chantait à l’Auberge des Pyramides. Très gros succès pour les deux. Je savais
qu’ils ne nourrissaient pas beaucoup de sympathie l’un pour l’autre, mais je
m’étais arrangé pour les faire se rencontrer autour d’une bouteille de
champagne à l’Auberge des Pyramides. Parmi les quelques dizaines de photos
souvenir que j’avais emporté avec moi du Caire, j’ai retrouvé celle me trouvant
entre ces deux vedettes à l’Auberge un verre de champagne à la main.
La présence de Trenet en
Egypte failli avoir des conséquences très graves. Parmi les personnes qui
l’accompagnaient, pianiste, manager et secrétaire, j’avais remarqué la présence
d’un jeune garçon d’une douzaine d’années que je pensais être le fils d’un des
accompagnateurs. Voilà que le chef de
aurait pu avoir un retentissement
international et des conséquences juridiques fâcheuses.
J’ai su par la suite que
Trenet était passé en correctionnelle pour détournement de mineur, mais
j’ignore s’il s’agit de la même affaire ou d’une affaire similaire antérieure
ou postérieure.
Autre artiste que j’avais
engagé à l’Auberge, Fernand Reynaud. Ce n’était pas encore la vedette qu’il est
devenu par la suite, mais un petit artiste de music-hall, faisant
particulièrement quelques imitations et des sketches mimés. Gros flop ! au
point d’être obligé de raccourcir son contrat. J’en parle ici parce qu’il y a
une suite à l’affaire Fernand Reynaud que vous connaîtrez dans le déroulement
de mes souvenirs.
Les parents de Mireille, mon épouse, étaient belges. Son
père, Joseph Mossiat était venu avec sa famille s’installer dans le nord de
Marcelle, issue d’une famille de la grande bourgeoisie
belge, avait elle aussi, recherché dans la danse, un dérivatif au train-train
familial. Une longue et belle amitié s’était établie entre Mireille et
Marcelle, amitié qui s’est prolongée par l’introduction de Mireille dans la
famille de la sœur de Marcelle, Josette Gheur et ses enfants auprès de qui elle
avait trouvé la chaleur affectueuse qui
lui manquait dans sa propre famille d’un rigorisme « petit bourgeois
catho »
Les aventures amoureuses de Marcelle – trop longues et
complexes à raconter dans mon livre – l’ont amené à quitter
Un enchaînement de circonstances amena Marcelle à rentrer
en Belgique où sa famille aisée pouvait l’aider à surmonter son chagrin…et ses
finances, et Mireille, dont ce n’était pas le cas, à intégrer un Ballet en
partance pour « l’Auberge des Pyramides » dont j’assurais la
direction artistique.
Mireille a fait partie d’un Ballet dirigé par une ancienne
étoile des Ballets du Bolchoi Hélène Eliroff. Ce ballet s’était déjà produit
auparavant à l’Auberge des Pyramides.
J’avais tout de suite remarqué la beauté, la douceur et la gentillesse
de Mireille à qui j’ai fait une cour assidue. Elle n’a pas été insensible à mes
avances ce qui m’amena rapidement à une
demande en mariage. C'était en 1953,
c’est-à-dire au début de l'ère Nassérienne.
À cette époque, les époux des
trois sœurs, venaient de disparaître en peu de temps d'intervalle, ma sœur
avait déjà émigré en Israël avec son époux, en 49. Un cousin, Jacques se
trouvait à Roubaix où son père l'avait envoyé pour suivre une formation
d'ingénieur textile et un autre cousin, René s'employait à Paris à refaire le
monde avec l'aide de la gauche intellectuelle. Un autre frère Fernand resté au
Caire, poursuivait ses études de médecine au C.H.U. de Kasr El Eini Ma mère et
LE 31/10/2008
Lorsque survint la mort du
mari de tante Marguerite, le toubib, l’aîné des fils, Lucien se trouvait à
Paris engagé par le génie de l'armée américaine en qualité d'architecte. Seul
demeurait auprès de
Mes cousins Fernand et Robert
étaient mes complices et avaient bien préparé le terrain auprès de leurs mères
pour les amener à admettre cette jeune fille belge, catholique au sein de notre
famille juive. Au jour décidé pour les présentations, les trois sœurs étaient
assises sur le canapé du salon de
Devant ma détermination, ma
mère et mes tantes m'accordèrent leur consentement surtout lorsque je précisais
que ma mère continuerait à vivre avec nous. Cela allait d'ailleurs de soi étant
le seul soutien de famille Mais c'est avec les trois sœurs que finalement nous
allions cohabiter. Il nous fallait maintenant franchir un obstacle
important : les complications administratives.
Mireille n’avait qu’une carte
de séjour temporaires de travail et, en raison de la nouvelle situation
politique en Egypte, il devenait très difficile d’obtenir une carte de
résidant. La réponse des autorités avait été qu’elle quitte d’abord le
territoire pour présenter, à partir de l’étranger une demande de résidence pour
mariage. Le climat ambiant nous laissait craindre qu’une fois dehors la
résidence lui serait refusée. Conseillé par un ami avocat judéo-égyptien ancien
magistrat, nous décidions de nous marier et ensuite de demander
Merveilleux souvenir que la
fête qui suivie le mariage dans notre appartement de
Mais, dès le surlendemain, il nous fallait
faire front aux difficultés administratives pour les papiers de Mireille !
Les autorités égyptiennes soupçonnant un « mariage blanc » qui permettrait
à une étrangère de demeurer en Egypte, rejetèrent la demande et dès le
lendemain un avis d’expulsion de Mireille nous parvenait à
Ce délai permis à notre
avocat d’introduire un recours devant le Conseil d’Etat, stoppant de ce fait
l’expulsion. Et le jour du procès, toute ma famille était présente au Tribunal
donnant ainsi l’impression d’une solidarité familiale excluant toute manœuvre
de « mariage blanc ».Et notre avocat, Maître Schinazi, avec de grands
effets de manches, brandissant le certificat de mariage de l’Eglise, de clamer
que « ce que Dieu avait uni, l’homme ne devait pas désunir » !
Sa plaidoirie et peut-être
aussi le fait que le président l’avait connu alors qu’il était magistrat,
firent que la décision administrative a été annulé et Mireille s’est vue
accorder une résidence de dix ans. Ouf !
Après la mort du Toubib, les
trois sœurs avaient décidé de vivre ensemble dans un immeuble rue Mohamed
Mahmoud où Robert et moi allions prendre l'appartement en Duplex qui faisait
tout le dernier étage. Il y avait au premier niveau le salon, la salle à manger
et les dépendances. Nouveauté : un frigo venait remplacer la glacière
classique qui pendant si longtemps nous obligeait à faire venir deux fois par
jour des pains de glace. Au deuxième les chambres des trois sœurs, la chambre
de Robert, la chambre de Fernand qui terminait ses études de médecine et enfin
notre chambre meublée sur mesure par un atelier du nom de Manadili (je me
souviens du nom !) car deux des murs de la chambre était en arrondit, ce
qui avait nécessité cette commande particulière.
Cette cohabitation excluait
toute vie intime de couple, mais Mireille s’en accommoda parfaitement,
retrouvant une chaleur familiale qui lui avait souvent manqué. Mes tantes et ma
mère étaient pleines d’attention pour elle, mes cousins l’adoptèrent
rapidement. Elle venait souvent me rejoindre le soir à l’Auberge des Pyramides,
puis très vite elle nous annonça l’arrivée d’un
bébé. Il y avait de quoi faire avec les préparatifs.
De 1954 à Décembre 56, nous
vécurent deux années merveilleuses, une vie professionnelle prospère, avec les
engagements à l'Auberge, les récitals de vedettes, les manifestations
artistiques de tous ordres. Et la représentation en Egypte de la pointe
"BIC" qui venait de se faire connaître dans notre région.
Entre-temps, à l’Hôpital français du Caire,
le 24 Novembre 1955, Mireille donnait naissance à notre fille Anne-Marie, ce
qui fit la joie de toute la famille.
Il faut, vous dire que ma
tante Mathilde avait eu cinq garçons,
En Egypte, peu ou pas de
cloisonnement entre différentes activités professionnelles. Directeur
artistique de l’Auberge des Pyramides, j’avais également une agence artistique
(l’Agence BIS – Bureau International du Spectacle) qui plaçait des artistes
dans divers pays du Moyen-Orient, organisait des tournées théâtrales, souvent
en accord avec Fernand Lumbroso, grand entrepreneur installé à Paris. Trois
associés géraient cette agence, Jacques Lumbroso (cousin du Fernand de Paris),
Albert Soussa qui, pour me permettre d’avoir une activité parallèle à celle de
directeur de son établissement, avait réclamé une part du gâteau et moi-même.
Pour les besoins de la programmation, nous nous déplacions en Europe en
alternance, Lumbroso et moi.
Un jour, à son retour de
Paris, Jacques Lumbroso rapporta un colis contenant une sorte de crayon que
nous ne connaissions pas encore en Egypte : c’étaient les fameuses pointes
« BIC » qui venaient de faire leur apparition en Europe. Lumbroso
flaira le succès de cette entreprise. Mon cousin Robert Haddad travaillait à ce
moment-là à la maison anglaise de papiers « Croxley ». C’était donc
la personne tout indiquée pour s’occuper d’une première prospection. Le succès
fut immédiat ! Les quelques premiers milliers de Bic importés partirent
comme de petits pains. Et tout le monde en redemandait. Notre coût d’achat était multiplié de
nombreuses fois par rapport au prix de
vente aux papetiers. Et nous ne cessions d’en commander à la maison mère de
Paris
Mais Nasser arrivé au pouvoir
commençait les nationalisations. Il limita aussi les importations de
l’étranger aux produits de première nécessité et aux produits susceptibles de créer
de nouvelles activités. D’où notre idée de créer une « usine » de
montage de pointes « BIC ».
D’une part, nous créâmes une
filiale de l’agence BIS en la baptisant « Bureau Egyptien pour le
spectacle et le commerce» en y associant pour une part symbolique un des
employés de Soussa (Egyptien musulman) chargé habituellement des démarches
auprès des administrations ; Et d’autre part nous installâmes dans le
sous-sol du magasin Soussa de
Drôle de sentiments qui se mêlaient
dans nos esprits dès le début de cette guerre. Nous sentions bien que tout
allait changer, que quel que soit le résultat, rien ne serait comme avant.
Déjà, avec l’arrivée de Nasser au pouvoir il y eut un premier changement.
Démocratie me direz-vous, oui mais démocratie militaire et autoritaire inspirée par des conseillers
allemands (ex-nazis) qui entouraient le « Raïs ».
Cette démocratie, pensais-je,
si j’avais été Egyptien, l’aurai-je acceptée ? Peut-être bien que oui,
désireux de me venger des dizaines d’années d’occupation et d’humiliation.
Mais, nous serait-elle profitable dans l’avenir ? Réponse ambiguë et
douteuse qui se trouvera dans l’après-nasser, après des années d’euphories,
mais aussi de déceptions multiples ! Mais, voilà, je n’étais pas Egyptien
et je me trouvais face à une guerre qui, comme je dis plus haut, entremêlait
tout dans mon esprit. Je suis né en Egypte, j’ai vécu en Egypte, j’aime
l’Egypte, j’aime les Egyptiens et me voici maintenant à souhaiter la victoire
de leurs adversaires, des Français, parce que je suis français, et celle des
Israéliens, parce que je suis juif !
Il faut dire quand même que
depuis la première guerre entre les pays arabes et Israel, j’avais senti
fortement un sentiment d’antisémitisme se développer. Et je prenais
naturellement parti pour ce petit pays contre toute la coalition arabe. Dès la
première « expédition punitive » contre Israel, Farouk avait préparé
son beau cheval blanc pour aller caracoler à Jérusalem. Et ce fut la
déroute pour l’armée égyptienne, avec des montagnes de bottes laissées dans le
désert, leurs propriétaires préférant courir pieds nus (comme ils en avaient
l’habitude dans leurs villages) pour aller se réfugier à l’arrière. Le monde
riait de ce tableau, mais nous pensions que les Israéliens ayant fait la preuve
de leur résistance, la colère arabe allait s’apaiser et peut-être cette partie
du monde retrouver la paix et la fraternité.
Hélas ce ne fut pas le cas et
la colère ne faisait que s’accentuer contre les Juifs. De défaite en défaite,
les Egyptiens finirent par détrôner Farouk et porter au pouvoir Nasser. Disons
plus exactement Nasser s’empara du
pouvoir. Farouk sauva sa tête en abdiquant puis en quittant le pays, sur son
Yacht que Nasser voulu bien lui prêter pour son dernier voyage avec dans ses
bras le nouveau roi Fouad II, âgé de quelques mois, et dans les cales une
montagnes de bagages qui lui avait été permit
d’emporter.
Dès son départ, il y eut
d’abord l’abolition des titres de noblesse : plus de Pachas, plus de
Bey ! Le pauvre Albert Soussa, venait, depuis quelques mois à peine de
recevoir le titre tant attendu de
« Bey ». Il en était tellement fier ! Il avait fait réimprimer
son papier à lettres avec, à l’entête un superbe « Albert Soussa
Bey ». Cette suppression lui fit mal au cœur, lui qui attendait depuis
longtemps l’obtention de ce titre ! N’ayant plus le droit de l’utiliser,
il rayait très légèrement ce mot de Bey de son nouveau papier afin qu’il soit encore très visible.
Suivit ensuite une campagne
destinée à ternir l’image de Farouk en le montrant en roi aux mœurs dissolues,
autoritaire, dispendieux, versatile.. Les portes des palais furent ouvertes au
peuple pour montrer le nombre considérable de chaussures, de cannes, de
costumes, la vaisselle, l’argenterie.
Puis il y eut l’interdiction d’avoir des enseignes de magasins écrites en
français ou en anglais. Tout devait être écrit en arabe ! Un grand nombre
de rues devaient changer de nom pour évoquer la révolution, les martyrs etc…
Enfin Nasser s’en prenait au
canal de Suez en le nationalisant et en déboulonnant la statue de Ferdinand de
Lesseps qui se trouvait à l’entrée du Canal . Là, il a eu tort de s’attaquer
aux intérêts financiers. S’en était trop ! Un scénario s’organisait pour
faire intervenir français et anglais, premiers intéressés dans cette affaire de
nationalisation. Les Israéliens devaient attaquer militairement par le désert,
pretexte pour français et anglais
d’intervenir « afin protéger le passage du canal » seule voie
praticable vers les mers du Sud. Et c’est ainsi que commença la guerre de Suez
qui ne dura que quelques semaines, les Israéliens arrivant au bord du canal,
avec ordre de ne pas aller plus loin, anglais et français arrivant par les airs
et la mer……
Au premières bombes qui
tombèrent sur l’aérodrome d’Héliopolis, les membres de la famille étaient venus
se réfugier chez nous au Caire. Il y avait la famille de l’oncle Edmond et des
amis que nous avons hébergés également. Le salon était devenu un dortoir. En
réalité il n’y eut que quelques bombes éparses. Nous suivions anxieusement les
nouvelles à la radio sachant que les civils français, anglais et Juifs de
toutes nationalités résidants en Egypte devenaient des ennemis qui allaient
être les premières victimes.
Dans les premiers jours de la
guerre, les Egyptiens trop occupés à se défendre contre la coalition, nous
laissèrent en paix, se contentant de nous consigner à nos domiciles. Puis la
situation se renversa. Les Russes, en pleine guerre froide, n’entendaient pas
laisser la main-mise aux alliés ; elle les menaça de toutes ses foudres.
Les Etats Unis peu soucieux de créer un conflit nouveau, s’allièrent aux russes
pour intimer l’ordre aux belligérants de se retirer et Nasser sortit
politiquement vainqueur et en possession de cette immense source de revenus
qu’était le Canal de Suez. La première conséquence pour les résidents étrangers
des pays ennemis et des juifs de toute nationalité a été de recevoir l’ordre de
quitter le pays.
Je ne connaissais pas le sort
qui m’attendait, aussi ma femme (non expulsée, ainsi que ma mère) se rendit au
Consulat de Belgique et fit inscrire ma fille sur son passeport belge.
À propos de l'Egypte xénophobe, résultant de l'occupation anglaise
et plus particulièrement au moment de la guerre avec Israël, il faut
reconnaître qu'à part quelques cas particuliers, les expulsions ordonnées se
sont effectuées avec beaucoup ... je cherche le mot ... de souplesse, sauf pour
quelques amis internés pour "intelligence avec l'ennemi" et
passablement maltraités, sans que cela atteignît, fort heureusement pour eux,
le comportement nazi. Il me vient à l'esprit une anecdote. Mes démarches pour
l'obtention des permis de travail en faveur des artistes que je faisais venir
en Egypte m'avaient amené à connaître un grand nombre de fonctionnaires du
Ministère de l'Intérieur, à qui j'avais souvent accordé des invitations pour
l'Auberge, d'où avec eux un climat relationnel "cordial".
Un jour que je me trouvais dans le Bureau de l'un de ces
fonctionnaires est arrivée une brave vieille dame juive de Haret El Yahoud (le
quartier Juif). Née à Haret El Yahoud, de parents nés à Haret El Yahoud, ne
parlant que l'Arabe, elle n'avait jamais connu d'autres horizons. Elle s'est
assise sur le sol en tailleur, et s'est entendue signifier son ordre
d'expulsion, que de prime abord, elle ne comprenait pas
Le fonctionnaire lui expliqua
qu'il fallait qu'elle parte.
- Qu'elle parte ? mais partir
ou dit-elle ?
- Là où vous voulez lui
répliqua le fonctionnaire !
Alors la vieille : - A
Alexandrie ça vous ira ?.....
C'était pour elle le bout du
monde !
Une autre anecdote de la même inspiration :
J'étais moi-même assigné à résidence, sauf pour me rendre
au Ministère de l'Intérieur ; mon compte en banque bloqué, la ligne
téléphonique coupée... enfin précision : un technicien s'était présenté à mon
domicile accompagné d'un officier de police pour couper
Toujours à propos de la "souplesse" avec laquelle
nous avions été maltraités, l'officier chargé des expulsions (celui de
"chez nous» ) me téléphonait pour me dire que la pile des dossiers des expulsions
baissait régulièrement. Il s'employait bien à mettre mon dossier au bas de la
pile, mais le moment était venu où il serait obligé d'ordonner mon expulsion.
Alors me conseilla-t-il de partir très vite avant que des mesures plus sévères
ne soient prises à l'encontre des ressortissants des nations
"ennemies". .
Il me fallait avoir quelques liquidités en vendant ce qu'il
m'était possible de vendre : vaisselle, argenterie, bibelots, tableaux, tapis
tout cela clandestinement, car tous nos biens avaient été saisis mais aucun
inventaire n'avait été établit. L'officier, chargé de ma résidence surveillée,
me fit savoir qu'il fermerait l'œil mais me demandait en revanche de lui
réserver quelques beaux objets qu'il achèterait au prix offert par les acheteurs.
Ce qui fut fait, notamment un merveilleux immense vase en cristal de Baccarat
que m'avait offert l'Ambassadeur de France pour me remercier d'avoir organisé
quelques années auparavant une superbe fête du 14 Juillet.
Ma belle voiture "Studebaker" demeura consignée
au garage sous la surveillance du cousin Fernand, non expulsé lui et qui devait
demeurer au Caire jusqu'à la fin de ses études de médecine qui se terminaient
incessamment. Les bijoux de ma femme (sauf ceux inscrits sur son passeport à
son entrée en Égypte) ont été vendus au poids de l'or. Je dois dire avec
émotion, que les personnels du Bureau et de la maison nous ont été fidèles et
solidaires au risque de représailles sévères.
Ainsi les comptes bancaires étant bloqués seuls les chèques
émis avant la déclaration de guerre étaient honorés. J'ai pu ainsi émettre
quelques chèques antidatés à l'ordre de mon employé de Bureau et du domestique
de la maison qu'ils ont encaissé pour me remettre les sommes. Mon oncle Émile
était propriétaire d'un grand immeuble à Alexandrie. C'est le gardien de
l'immeuble (le Baouab) qui s'était chargé d'encaisser les loyers en émettant
des reçus antidatés.
D'une manière générale, nous étions très aimés par le
personnel égyptien : les employés subalternes, les baouab, les gens de services
qui préféraient travailler chez les "Khaouagates" (les messieurs
européens) plutôt que chez les grands bourgeois égyptiens. Nous les traitions
avec considération, en personne humaine, alors que chez les bourgeois égyptiens
le ton était souvent arrogant, dédaigneux pour les originaires de certaines
régions du pays.
J'avais été l'un des derniers à être autorisé à emporter
autant de valises de vêtements et autres produits, sauf les objets de valeur,
tels que bijoux, argenterie etc. Nous ne pouvions pas emporter de l'argent,
mais nous étions autorisés à acheter des billets d'avion "open date"
ainsi qu'une lettre de crédit émise par l'agence Cook pour une valeur de trois
cents livres par personne. Quelques jours plus tard, les expulsés ne pouvaient
emporter qu'une seule valise et plus de lettre de crédit de Cook. Pour ma part,
j'avais fait le plein de vingt-deux valises ! et des lettres de crédit
autorisées.
Et c'est le 11 Décembre 1956, que
nous embarquâmes (papa, maman, mémé et
J’ai retrouvé une copie de cette
liste dans le dossier de mes souvenirs. Les trois listes totalisaient deux cent
quatre-vingts personnes dont quatre vingt-quatre enfants de moins de seize ans. En parcourant cette liste j’ai pensé à ce
fameux film « Un carnet de Bal » de Julien Duvivier (si je ne me
trompe). Dans ce film, une jeune
débutante à son premier bal, avait inscrit sur son carnet de bal le nom des
cavaliers qui l’avaient successivement invitée à danser.
De nombreuses années plus tard,
devenue veuve, elle retrouve ce carnet et se met à la recherche de tous les
cavaliers de son premier bal. Et de découvrir des situations des plus
inattendues.
Alors je me suis demandé ce que
sont devenus les deux cent quatre-vingts personnes de notre aventure. Les
adultes avaient plus ou moins mon âge. Il ne doit probablement pas rester grand
monde. Mais ces quatre-vingts jeunes de moins de seize ans ? J’ai bien
envie de me mettre à leur recherche et de savoir ce qu’ils sont devenus. Si
certains d’entre eux se reconnaissent dans mon récit, je serais heureux de les
rencontrer et d’évoquer avec eux les souvenir de cet exode sur l’Aéolia »
de Décembre 1956.
Ici s’arrête le premier
volet de mon Kan ya ma Kan.
LE 31/12/2008
Arrivés à Marseille le 16 Décembre et désireux de
disposer de quelques liquidités, nous apprenions hélas que l'agence Cook
n'honorait plus les lettres de crédit émises par ses bureaux du Caire. Nous
fûmes accueillis par des représentants de la Croix-Rouge et hébergés dans des
hôtels saisonniers de la côte, vides à cette époque de l'année.
Pour
nous c'était l'hôtel Oasis à Carry-le-Rouet. C’était un bâtiment comprenant, si
je me souviens bien, cinq ou six chambres desservies par une pièce centrale.
Dans un second bâtiment se trouvait la salle de séjour qui tenait lieu de salle
à manger, ainsi que la cuisine et les dépendances.
Chaque
famille occupait une chambre. Il y avait avec nous le docteur Fangous (celui
qui m'avait passé l'examen pour le service militaire) et son fils,
L'hôtel
était tenu par un certain Thévenot à qui la Croix-Rouge versait une somme de
mille francs (anciens, bien entendu) par personne pour l'hébergement et les
repas. Cela ne devait pas représenter grand chose au taux de l'époque, c'est
dire que le repas était assez frugal, composé principalement de pommes de
terre, de haricots, de pâtes. Au bout de quelques jours nous nous étions liés
d'amitié avec Thévenot, ancien comédien, avec qui j'évoquais quelques souvenirs
relatifs à certains artistes et à parler cuisine en déplorant la qualité de ce
qu'il nous servait. – « Mais que
voulez-vous que je fasse, nous disait-il, avec les mille francs que je reçois !
«
Pourtant piqué au vif, il voulut nous prouver ses talents culinaires.
C'est ainsi que nous avions vu s'améliorer le quotidien, à force d'exclamations
de joie et de félicitations sur ses talents de "grand chef".
"Tout flatteur vit au dépend etc....."
Autre
souvenir de l'hôtel Oasis. Les chambres n'étaient pas chauffées et en ce mois
de Décembre, il faisait particulièrement froid. Thévenot nous suggéra d'aller
couper du bois dans la forêt voisine et d'allumer le pôelle qui se trouvait au
centre de la salle desservant les chambres de notre bâtiment. Il nous prêterait
scie et brouette. Mais, nous avait-il dit, on ne pouvait pas couper n'importe
quelle branche. Il nous ferait accompagner par son fils âgé d'une quinzaine
d'année qui nous désignerait celles que l'on pouvait scier. Et nous voici,
Larchet, Fangous et moi, tous trois bien peu entraînés à cet exercice, essayant
maladroitement de scier
Un autre merveilleux souvenir de cette
époque. Le 31 Décembre 1956, ma femme et moi sortîmes de l'une de ces
vingt-deux valises que nous avions emporté, une superbe robe du soir et mon
smoking. Et dans cette tenue nous nous
sommes rendus dans le seul bistrot du village, où les quelques consommateurs
qui s'y trouvaient, étonnés de notre accoutrement, nous virent commander au
comptoir et nous partager un verre de cognac pour nous souhaiter la bonne
année. C'était le seul luxe que nos moyens de l'époque nous permettaient !
Après un court séjour à Carry-le-Rouet.,
j'ai pensé que le seul moyen de m'en sortir était de me rendre à Paris où
j'avais quand même quelques relations. N'ayant pas d'argent pour prendre le
train j'ai utilisé les billets d'avion open achetés en Egypte.
Dario Moreno que j'avais
accueilli chaleureusement à mon époque faste égyptienne me reçut très
amicalement et a essayé de m'aider dans mes premières démarches. L'accueil de
mes confrères fût particulièrement frais (un concurrent qui venait s'installer)
Mais j'ai une grande reconnaissance envers Paul Dubas (frère de Marie Dubas) le
seul agent qui m'accueillit dans son Bureau des Champs Elysée et m'offrit
d’utiliser une pièce disponible. « Nous verrons pour les conditions plus
tard » m'avait-il dit . Merci Paul Dubas. Merci de m'avoir permis -
quelques semaines après mon arrivée en France - de disposer d'une pièce dans votre
bureau des Champs Elysée et d'un téléphone. Plus tard, au long des nombreuses
années de notre collaboration, sa générosité lui fut rendue au centuple, mais
cela n'enlève rien au mérite de son accueil du départ.
Quelques
jours plus tard, j'apprenais que les lettres de crédit de l'agence Cook étaient
enfin honorées. Et les choses s'enchaînèrent très vite. Une annonce dans le
journal proposait un studio à la rue de Ponthieu (parallèle aux
Champs-Élysées). Avec l'argent dont je disposais maintenant, je payais trois
mois de loyer, envoyais des billets de train à ma femme, ma fille et ma mère
demeurées à Carry-le-Rouet, et nous nous sommes installés dans ce studio de la
rue de Ponthieu. Ce devait être auparavant un local de "travail" pour
les dames galantes qui circulaient dans le coin. Une belle salle de bain, une
grande cuisine et une seule pièce de trois mètres par trois séparée en deux par
une cloison en bois à mi-hauteur. Mais il y avait le téléphone et l'eau chaude.
Songez
à la chance que j'avais eue : à quelques semaines de mon arrivée, je disposais
d'un logement avec téléphone à proximité des Champs-Élysées et d'un Bureau au
33 Champs-Élysées avec téléphone ! À cette époque 56/57 il n'y avait pas un
seul logement de libre dans Paris et les listes d'attentes dans les mairies
étaient interminables ! Et la mise à disposition d'un téléphone (je dis bien la
mise à disposition) se vendait à prix d'or ! Aucune ligne nouvelle de
disponible aux PTT. Encore une fois merci Paul Dupas pour le Bureau et merci à
ma bonne fortune pour le studio.
Dans
le studio de la rue de Ponthieu, nous étions vraiment très à l'étroit. La seule
pièce était partagée en deux par une séparation en bois élevée à mi-hauteur.
D'un côté il y avait un lit d'une personne que je partageais avec mon épouse et
un tout petit bureau sur lequel était posé le précieux téléphone, et de l'autre
un canapé sur lequel dormait ma mère, et le petit lit pliant importé dans nos
bagages, destiné à ma fille Anne-Marie.
Anne-Marie
a décidé depuis de se prénommer uniquement "Marie". Donc faisons lui
plaisir, appelons
L'exode
d'Egypte continuait. Et Paris a été la plaque tournante pour ceux qui
cherchaient une nouvelle destination ou qui cherchaient à s'installer en
France. Le studio de la rue de Ponthieu, à proximité des Champs-Élysées, devint
le centre névralgique de toute cette activité. Famille et amis s'y succédèrent,
s'entrecroisèrent. Il y eut jusqu'à huit personnes à y séjourner pendant
quelques jours.
Notre
solidarité traditionnelle nous faisait un
devoir à les accueillir alors qu'ils étaient désemparés et que nous
avions eu la chance de trouver un logement. On dormait comme on pouvait, par
terre, dans la baignoire....... Et sur la petite table, on mangeait à tour de
rôle. Mais croyez-moi, cela n'avait rien de dramatique. Nous étions joyeux,
dynamiques et très confiants dans l'avenir.
Avec
les mille francs (de l’époque) que la Croix-rouge nous allouait, ma mère
s’arrangeait à nous préparer d’excellents repas. Pour les vêtements et
accessoires, nous étions largement pourvus grâce au contenu des vingt valises
emportées d’Egypte.
Professionnellement,
je m’activais énergiquement pour mettre fin à une situation précaire. J’y suis
arrivé assez rapidement grâce à ma collaboration avec mon amie Luska.
LE
28/02/2009
LUSKA
Lorsque
j’assurais la direction artistique de l’Auberge des Pyramides au Caire, il
m’arrivait souvent d’engager des Ballets et parmi eux le Ballet d’Hélène
Eliroff dont j’ai parlé à l’occasion de ma rencontre avec mon épouse
A son
premier engagement – avant son réengagement au cours duquel j’avais rencontré
Mireille – et alors que son ballet se produisait à l'Auberge des Pyramides, je
devais me rendre à Paris pour assurer les prochaines programmations. Hélène
Eliroff me chargea d'une mission auprès de sa fille. Et c'est ainsi que j'ai
connu Luska. Cela fera
Quelques
mois d'une liaison amoureuse et épisodique et puis cinquante ans d'une amitié
non équivoque et d'une complicité, d'une collaboration professionnelle et
artistique qui n'ont jamais failli !Luska était et est toujours une
merveilleuse dessinatrice de costumes et de décors de théâtres. Elle avait
dessiné entre autres des costumes pour des revues parisiennes dont le spectacle
changeait tous les ans.
Elle eut l’idée de
racheter les costumes des années précédentes et de monter pour son compte de
petites revues « d’exportation » composées en général d’un chanteur,
d’une chanteuse, de danseuses, de danseurs et d’une attraction visuelle,
le tout « made in Paris ». Un pianiste avec les orchestrations
sous le bras accompagnait
Elle
me demanda de placer ces spectacles dans les pays voisins : Italie,
Belgique, Espagne. Avec ma connaissance des langues, ma prospection s’étendit
bien plus loin, en Suède, en Finlande, au Danemark, au Moyen-Orient et jusqu’au
Japon où tout ce qui était parisien était merveilleusement accueilli.
La
qualité de ces petits spectacles, ma connaissance des langues et le climat de confiance
que j’étais arrivé à établir avec les différentes directions transformèrent les
contrats d’engagement qui étaient en général de deux semaines, en contrats
semestriels et même annuels. Ainsi, en Finlande, pendant onze ans consécutifs
nous avions présenté au « Fennia » des spectacles différents tous les
six mois. Au Japon dans les Théâtres des Hôtels « Juraku » ce fut,
pendant sept ans, des spectacles dans deux ou trois hôtels de
À
propos d’Italie, j’ai souvenance d’une histoire qui s’est produite au Casino de
Saint Vincent d’Aoste où je présentais un spectacle. Le Casino comportait
également un Hôtel de grand luxe où j’étais invité par la direction à
séjourner.
Le
directeur vient me voir pour dire que trois clients très importants du Casino
(qu’il soignait particulièrement) cherchaient un quatrième pour un bridge dans
le salon de l’hôtel. Je tâtais à peine depuis un an à cette discipline, mais
acceptais pour lui faire plaisir.
Présentation
en Italien, on se met à table pour un bridge tournant, c’est-à-dire pour
rencontrer successivement chacun des trois partenaires. N’étant pas très habile
à l’époque pour les calculs, je leur laissais le soin de marquer les points sur
leur carnet. Il m’a semblé être victorieux à chacune des rencontres, c’est le
propre des néophytes.
En
fin de partie, celui qui tenait les comptes me félicita et m’annonça que
j’étais le seul vainqueur. Chacun des joueurs sortit une liasse de billets en
Lires et les déposa devant moi. J’en avais un monceau ! ce qui à
posteriori me donna des sueurs froides, car ne connaissant pas le taux auquel
ces messieurs jouaient, je me suis demandé ce qui serait advenu, si à contrario
j’avais été vaincu ! Champagne et autres libations et tous mes frais
de séjour furent payés par mes gains au bridge.
Un
souvenir de Finlande. Lors de la première représentation, je me trouvais dans
l’ombre sur le côté de la salle face au public pour voir les réactions de tous
les membres de la direction assis aux premiers rangs.
Je
ne voyais que des visages tristes renfrognés, peu d’applaudissements, pas de
rires aux passages supposés comiques. Je m’étais dit que le lendemain il nous
faudrait plier bagage et rentrer en France. Quelle ne fut ma surprise , à la
fin de la représentation , de voir venir vers moi le directeur, une mèche
blonde lui tombant sur l’œil, me dire avec
un air renfrogné et triste : « thank you very much, it
was very very good, thank you »
Je
compris que dans ce pays aux neuf mois de nuit dans l’année, les réactions
étaient bien différentes que celles des riverains de
Notre
pianiste se souvenait de la rue, il avait bien dans sa poche la clé de la porte
de la rue et de celle de l’appartement, mais avait oublié le numéro de
l’immeuble. Un taxi ne saurait donc pas où le déposer.Deux d’entre nous sommes
donc partis tenant le pianiste titubant sous les bras, faire la rue de son
logement et essayant la clé à toutes les portes cochères de gauche et de droite
pour enfin trouver après de multiples tentatives, la serrure correspondante. Et
pendant onze ans, ce furent les mêmes visages tristes, les mêmes marques
d’appréciation et d’amitié, et à chacun de mes passages les mêmes libations.
Au
cours de l’un de ces voyages vers la Finlande qui s’était effectué en train
jusqu’à Stockholm, puis de Stockholm en bateau vers Turku le port Finlandais,
nous avons été témoins d’un événement tragi-comique. Lorsque le matériel était
important, il arrivait que du personnel de la direction nous accueillait à
Stockholm pour les formalités douanières. C’était aussi pour eux l’occasion de
prendre quelques jours de vacances et surtout de s’adonner sans limites à la
boisson.
Ce
jour-là le sous-directeur nous accueillit d’un air très triste et nous
annonça que le directeur avait été trouvé mort dans sa chambre d’hôtel. Arrivés
la veille pour nous recevoir, le directeur et lui-même avaient passé la nuit à
boire et puis s’étaient séparé au petit jour devant leurs chambres d’hôtel.
C’était un hôtel dont les lits remontent automatiquement vers le mur pour se
transformer en meuble pendant le jour. En arrivant à son lit, le directeur
s’était effondré sur le ventre et, par une manœuvre malheureuse, le lit était
remonté en l’étouffant.
Toujours
à propos de tournées, je me souviens d’une drôle d’aventure arrivée au Japon.
J’accompagnais les spectacles dans leurs déplacements jusqu’à la première
représentation. Au Japon j’étais merveilleusement accueilli par mes
correspondants locaux ainsi que par la direction des Hôtels
« Juraku ».
Les
hôtels Juraku étaient constitués d’une chaîne d’Etablissements de vacances
situés soit en bord de mer, soit en montagne. Chaque établissement était
constitué, indépendamment de l’hôtel même, de galeries avec de multiples magasins
où l’on pouvait tout trouver, des salles de thalassothérapie, de multiples
restaurants, et de grands théâtres où justement nous présentions nos
spectacles.
La
clientèle était composée de cadres supérieurs uniquement japonais qui venaient
passer quelques jours de vacances avec leur famille. Ils arrivaient tous à
l’hôtel, habillés à l’européenne, s’installaient dans leurs chambres et en
ressortaient vêtus du kimono mis à leur disposition par l’hôtel et pour ne
reprendre leurs vêtements européens que le jour de leur départ. Ainsi nous
voyions circuler dans l’hôtel une armée de kimonos identiques. Reconnaître des
Japonais entre eux c’était déjà difficile, mais alors tous habillés du même
kimono !
Lors
de mon second voyage, la compagnie d’aviation avait perdu mes bagages. Après
une dizaine d’heures de vol en tenue décontractée, j’éprouvais le besoin de me
laver et de me changer. Mes bagages demeurant encore introuvables, il me
fallait acheter sur place un minimum de vêtements. Accompagné de mon correspondant,
je me rendis dans un grand magasin, style « Printemps » ou
« Galerie Lafayette »
Me voyant arriver avec mes
cent kilos et mon mètre quatre-vingt-dix, la responsable au rayon des
vêtements, fit de grands signes de négation de
Le
père de mon correspondant eut alors une idée : - pourquoi ne pas
vous rendre au quartier des « Sumo » ? C’était une idée
lumineuse ! Les Sumos à Tokyo vivent tous dans un même quartier avec,
autour d’eux des magasins qui leur sont consacrés. C’est là que j’ai pu enfin
trouver des vêtements provisoires avec des tours de taille trop larges, des
manches trop courtes et des tours de cou trop larges qui me donnaient l’air
d’un clown. Mais il fallait faire avec.
Dans
les hôtels Juraku même problème avec les kimonos. Informé de mon arrivée,
chacun des hôtels confectionnait un kimono à mes mesures communiquées par
téléfax ; et je me trouvais ainsi vêtu d’un kimono d’une texture
différente de celle des autres puisque fabriqué avec un tissu improvisé.
Pendant
quelques années, les spectacles de Luska nous permirent d’assurer le quotidien.
La longueur des contrats me permit également de souffler un peu et de
rechercher d’autres formes d’activités artistiques.
Mon
expérience antérieure au Caire avec les vedettes de dimension internationale
m’incitait à prétendre à des choses plus grandes Et c’est là qu’est intervenu
le cousin Alberto Elgazi de Colombie dont la fortune lui permettait de faire
joujou dans le domaine du spectacle. Grâce à son investissement dans une société
de production, je créais au nom de mon épouse,
J’avais
dit la chance d’avoir pu, au lendemain de mon rapatriement, m’installer dans un
Bureau aux Champs-Élysées mis à ma disposition par l’agent artistique Paul
Dubas . À cette époque, la situation des agents artistiques était très
particulière. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, le Bureau de
l’Organisation Internationale du Travail avait adopté une convention disposant
que « les bureaux de placement payants » seraient supprimés. Or, par
une interprétation que l’on a admis bien des années plus tard comme étant
aberrante, les agences artistiques avaient été classées parmi les Bureaux de
placements payants.
Appliquant
les décisions de l’Organisation Internationale, les autorités avaient supprimé
la délivrance de nouvelles licences, autorisant les anciennes à continuer de
fonctionner jusqu’à l’extinction de leur titulaire. Ils pouvaient néanmoins
engager des « collaborateurs ». Bientôt le nombre de ceux-ci augmenta
considérablement en raison des besoins de
C’est
ainsi que Paul Dubas, bien que grand agent artistique depuis de nombreuses
années, versait une indemnité mensuelle à l’agence Rottembourg, titulaire de
Fort
de mon statut de rapatrié, ayant perdu tous mes biens en Egypte du fait de la
guerre de Suez, je réclamais aux autorités françaises la possibilité de pouvoir
poursuivre mon activité en France. Appuyé dans mes démarches par Ernest Pezet,
Vice-Président du Sénat et président des Français de l’Etranger, je pus obtenir
une licence qui devait être « provisoire jusqu’à la possibilité de ma
réinstallation en Egypte» ce qui, vu les circonstances, transformait ce
provisoire en permanent. Et c’est ainsi que j’offris à Dubas d’être mon
collaborateur, sans bien entendu, rien avoir à me payer, le libérant ainsi des
honoraires qu’il payait jusque-là à l’agence Rottembourg.
Le
comique de la situation, c’est que désormais, dans son propre Bureau, Dubas
devenait mon collaborateur, pour répondre aux exigences légales. La licence
d’agent me permettait d’effectuer des placements d’artistes, mais m’interdisait
de produire des spectacles car, à l’époque, il y avait incompatibilité entre
les licences d’agent et de producteur.
Une
parenthèse pour parler du SNAAL. Le Syndicat des Agents Artistiques et
Littéraires Le
Rapatrié en France à la suite de la guerre du Canal de Suez. Je
m'attendais à un élan de solidarité de la part de mes confrères. Quelle ne fut
ma surprise de voir la vive réaction des responsables du
Ici j'ai un souvenir ému pour Paul Dubas, le seul agent qui
m'ouvrit toutes grandes les portes de ses bureaux aux Champs-Elysées me donnant
ainsi la possibilité de mettre le pied à l'étrier.
Je crois que la situation de monopole que je décris aurait perduré
encore longtemps sans l’intervention de Félix Marouani. Félix Marouani était le
patriarche du “clan” du même nom. Les Marouani ont été et continuent d'être
fort nombreux dans tous les domaines du spectacle vivant, de l'édition musicale
ou de la production audio-visuelle. A une époque, on disait même qu’en cas
d’insomnie, plutôt que de compter les moutons il valait mieux compter
les Marouani.
Félix a été un
grand du spectacle et sa notoriété dépassait de loin nos frontières !
Mais, malgré l’importance de ses activités, il n'était officiellement - de par
les restrictions imposées par la Convention de Genève - que le collaborateur
d’un titulaire de licence : Albert Tavel..D’ailleurs, dans toutes les
disciplines, les plus grands agents n’étaient que des “collaborateurs” ou des
“conseillers artistiques” ou des “Directeurs de Bureaux de Concerts”.
Je n’en nommerai
que quelques-uns : Gérard Lebovici, Olga Horstig, Marceline Lenoir (pour
l’audio visuel) ; Dandelot, de Valmalète, Werner, pour les
Concerts ; Roland Ribet, Eddy,
Charley, Maurice, Daniel Marouani et tant d’autres pour les variétés.
Félix Marouani
avait décidé de mettre un terme à cette situation ridicule et grâce à ses
relations, et à l’influence des vedettes qu’il représentait, il fit ressortir
des archives du Ministère les dossiers poussiéreux qui contenaient les nombreux
projets de loi restés sans lendemain.
C’est à ce moment
que j’entrais en scène. Poussé par Jean-Paul Guérin je rejoignis le syndicat
que je boudais depuis mon rapatriement. Il a fallu de longues années de lutte,
d'explications, de patience, d'interventions multiples pour démontrer l'utilité
du métier d'agent artistique, pour faire reconnaître la multitude des services
rendus aux artistes et pour faire admettre que, par-delà le "placement",
l'agent artistique était l'une des composantes importantes des professions du
spectacle. Et c'est ainsi qu'au forceps nous parvînmes enfin à arracher cette
fameuse loi de 69.
Enfin, notre
syndicat était reconnu par les Pouvoirs publics et les autres interlocuteurs du
monde du spectacle comme la seule organisation représentant
Marouani fut nommé président-fondateur et les
membres du Conseil, à la recherche d'un autre président introuvable, faute de
se mettre d'accord sur un nom, et après moult conciliabules, adoptèrent la
proposition de Lilette Voland et se retournèrent vers votre serviteur, qui ne
devait être qu'un président de transition, un président provisoire, un
provisoire qui a duré 22 ans...
Au
bout de ces 22 ans, je laissais un syndicat fort d'une réputation qui a dépassé
les frontières, fort du crédit qu'il a su acquérir auprès des autorités et des
organismes sociaux-professionnels.
-----------------------------------
o ------------------------------------------------
Dans la suite de mon récit je reviendrai
sur
Reçu le 18 mars 2009 de Monsieur
Mon Cher Albert,
Ma santé ne me permet
et, pour ne pas décevoir tes lecteurs, je te prie de leur
signaler ce lien : http://aidinfo1.free.fr/kan/index.html avec
" roland " comme mot de
passe.
Amitiés
-o-o-o-o-o-o-o-
Chers
Amis Lecteurs,
Je remercie
notre Ami
-o-o-o-o-o-o-o-
Pourquoi ce site ? Le
Courrier des lecteurs Les
envois des lecteurs Le coin de la poésie Les
cahiers de Mimi Le
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