Patrice Gabanou,
L’agriculture de la mer

Très tôt, entre mirages et rêves d’aventure, les hautes montagnes blanches de sel que le soleil rend encore plus éblouissantes assignent ses confins au monde de l’enfance. Après les folles courses et les cuisantes brûlures des chutes, vient le temps de l’apprentissage consacré au ramassage des « figues » , ces impuretés de terre qui corrompent le fruit attendu. Puis, de saison en saison, c’est la découverte des gestes, des lents frémissements de vie des marais, de tout ce qui fait la vie du salinier occupé à sa récolte, avant de s’initier à un autre degré celui qui permettra de lire l’à peine visible, d’estimer les moments propices, en fait d’acquérir le savoir qui fait du saunier le maître du sel. De Sigean à La Palme, en passant par les nombreux marais salants qui essaiment tout au long de la Méditerranée, l’histoire de Patrice Gabanou se confond avec une longue passion, celle du sel, qui lui fait, le moment venu, refuser l’abandon   de l’exploitation du site de Gruissan par les Salins du Midi. Sa lutte et sa victoire sont celles d’une volonté patrimoniale de conserver un savoir, d’en apprendre les secrets de la bouche de ses artisans, de scruter, dans les aléas du froid ou du torride, tout ce que dit l’eau prisonnière de son vaste quadrillage. Ce qu’il s’agit de faire pour lui c’est de conserver, loin de l’épure abstraite des bureaux  la vieille alliance originelle que les hommes ont passé avec ce matériau longtemps sans prix. Mais, en même temps, il faut veiller à intégrer à la modernité toutes les figures de la tradition, innerver le présent, parcourir de nouveaux territoires.

Ainsi les salins de Gruissan, arrachés à la seule logique comptable, vont devenir le terrain d’expériences et de découvertes toutes plus fécondes que les autres : à côté du sel industriel, renaissent ou apparaissent des activités nouvelles ou retrouvées, la fleur de sel, les parfums de sel, des compositions originales… dont un écomusée raconte l’histoire et les péripéties. Ces nouveaux salins c’est aussi une salle d’exposition et surtout un restaurant « La Cambuse du Saunier ». S’inspirant des recettes anciennes qui constituaient l’ordinaire des pêcheurs d’étangs, cassoulet de seiche, bourrides d’anguilles… faisant du sel l’ingrédient de base des autres plats, tels les gibiers, l’ancienne « cantine » retrouvée, celle des saliniers d’autrefois, offre aussi ses propres variétés d’huîtres. En effet, en permanence, l’entreprise ouvre la voie à de nouvelles productions, aujourd’hui les fruits de mer classiques, demain les algues, après-demain.. ? Dans les reflets dorés des étangs qui s’offrent à perte de vue, avec sa ténacité et sa fougue conviviale, le maître des lieux, au fil des jours, transforme les chimères en réalité quotidiennes, conquérant de nouveaux espaces, accueillant toutes les richesses que la nouveauté peut offrir. Mais avec le souci constant de faire la part belle aux hommes et à la tradition qui inscrivent les fastes de  l’aujourd’hui au meilleur de la mémoire des gens du sel.     



texte écrit par Jean-Pierre Piniès

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