Water Management in Jordan in Response to the Syrian Crisis: Between Neoliberal Pressures and Social Tensions

L’article d’Eliott Ducharme, suite à son master réalisé grâce au financement de ce programme, est disponible en ligne sur Jadaliyya

Since 1948, the Kingdom of Jordan has taken in a considerable number of refugee populations fleeing conflicts in Palestine, Iraq and now Syria. While this brings the country significant international aid, it also raises the question of the capacity of urban public services to handle this new demographic pressure. These public services, heavily subsidised for reasons of social stability, are in a state of chronic crisis, and are unable to meet user demand. This has led to sharp socio-spatial inequalities, growing popular discontent, worrying tensions between “native” Jordanians and Jordano-Palestinians, and growing stigmatisation of Syrian refugees. This article looks at the impacts of the “Syrian crisis” on water management in North Jordan, which is host to seventy percent of the refugees.

An understanding of these issues requires an historical perspective on water distribution and the formation of state-controlled, centralized water distribution network. The chronic problems of the water system impact powerfully on the way the authorities handle the “Syrian crisis,” in particular in their relations with western funding agencies, which are heavily involved in the issue of water, providing both funds and technical assistance. In fact, the response to the refugees’ burning issue conjures several “rationalities of government:” a recurrent conflict between neoliberal ideas (privatization, cuts in government subsidies for basic goods, new public management) conveyed by the international aid agencies, and the more ambiguous position of the Jordanian government, increasingly constrained as it is, to meet the requirements of its funders, while trying to spare the population and manage their strong expectations of accessing services cheaply. à suivre

“Quatre années de conflit en Syrie : un désastre humanitaire” : compte rendu et enregistrement

 

Quatre années de conflit en Syrie : un désastre humanitaire

(Mise en forme par Lucile Housseau)

Colloque organisé par le GREMMO (Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), laboratoire CNRS – Université Lyon 2 et l’IEP de Grenoble dans le cadre de la chaire Méditerranée Moyen-Orient de la région Rhône Alpes

Cette conférence s’inscrit dans une série de rencontres scientifiques sur le thème : « Le Proche-Orient et la crise syrienne ». Depuis quatre ans nous avons analysé les causes et le processus de la crise syrienne. Le gouvernement syrien est resté en place mais une partie du territoire est sous le contrôle des rebelles. Le flot de réfugiés continue d’augmenter, car rares sont ceux qui peuvent retourner dans leur domicile, soit qu’il a été détruit ou que la sécurité n’a pas été rétablie. Des centaines de milliers, voire des millions, de réfugiés sont donc bloqués dans les pays voisins. Ils dépendent de l’aide internationale pour leur survie, car les possibilités d’intégration sur un marché du travail saturé ou protégé sont minimes. Or, la multiplication des crises humanitaires dans le monde et une certaine lassitude à l’égard de la crise syrienne réduit l’aide financière alors que les besoins sont croissants.

Lundi 16 mars 2015

L’enregistrement audio-visuel du colloque est disponible sur le site de Lyon 2

http://www.univ-lyon2.fr/culture-savoirs/podcasts/quatre-annees-de-conflit-en-syrie-un-desastre-humanitaire-626620.kjsp

Le compte rendu des séances ci-dessous a été réalisé par les étudiants de la Licence 3 de géographie  de l’Université Lyon 2, ils n’engagent pas les auteurs des communications.

Ouverture du colloque (CR de Justine Borel et Camille Crini)

Fabrice Balanche, Directeur du GREMMO, Université Lumière Lyon 2 et Hilda Tchoboyan, Conseil Régional de Rhône Alpes

Le conflit en Syrie constitue certainement la plus grande crise humanitaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

“En janvier 2011 à Damas, j’ai assisté à une manifestation pacifique d’une centaine de personnes qui s’étaient regroupées devant la statue de Hafez el-Assad. Ils tenaient des bougies et des pancartes qui disaient “oui à la liberté ” (Fabrice Balanche). Quatre ans plus tard, le conflit a fait plus de 200 000 morts, on décompte 4 millions de Syriens réfugiés à l’étranger et 7,6 millions de déplacés à l’intérieur du pays.

L’objectif de ce colloque est de comprendre l’étendue du désastre. Aujourd’hui, nous sommes dans une période d’interrogation sur les politiques qui ont été menées pour tenter d’enrayer le conflit syrien. L’émergence de l’État islamique, la violence médiatisée (attentats, prises d’otages etc), ébranlent l’ensemble du monde arabe et du monde musulman. Pendant longtemps on pensait que Bachar El-Assad allait tomber rapidement, mais on observe finalement une permanence de son régime. La solution politique, pour régler ce conflit et aider les populations, devient de plus en plus nécessaire mais semble difficile à mettre en place. Il nous faut donc reconsidérer les positions politiques prises par les pays qui ont rompu avec la Syrie.

Séance 1 : Le bilan du conflit (CR de Justine Borel et Camille Crini)

Président de séance : Youssef Diab, Professeur à l’Université Paris-Est Marne la Vallée

La situation actuelle en Syrie résulte d’une crise dont les origines s’inscrivent dans une période bien antérieure à celle de mars 2011. Pour essayer de comprendre dans quel processus s’enracinent réellement les origines de cette crise syrienne, qui dure depuis maintenant 4 ans, il faut bien prendre en compte l’histoire même de la Syrie.

La construction de l’armature urbaine du pays, la mise en place de sa structure sociale, économique et politique, sont autant d’éléments clefs qui pourraient nous permettre de mieux comprendre le fonctionnement de cette crise afin d’envisager d’éventuelles solutions.

Carole Lalève Vallat, Responsable à l’UNCHR

L’action humanitaire connait aujourd’hui en Syrie de grandes difficultés, en raison notamment des problèmes majeurs de financement, résultant de l’apparition d’une certaine lassitude des bailleurs de fonds, alors même que la crise s’enlise. Actuellement, plus de 200 organismes humanitaires (dont 2000 membres du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) sont présents sur le terrain, en Syrie mais également dans les pays voisins qui accueillent des réfugiés.

Rappelons que sur 20 millions de Syriens, 12 millions ont toujours besoin d’une aide humanitaire d’urgence et que 7,6 millions sont considérés comme étant déplacés internes, au sein de la Syrie. A ces chiffres il faut ajouter les 4 millions de réfugiés ayant quitté le pays dont 1,2 million au Liban, 1,7 million en Turquie, 630 000 en Jordanie et 35 000 en Europe (ces estimations sont basées sur les travaux du HCR, et sur les chiffres du gouvernement turc). Parmi ces millions de réfugiés, 75% sont des femmes et des enfants. Quelques centaines de milliers vivent dans des camps (formels ou non), la grande majorité d’entre eux étant des réfugiés urbains qui  vivent parmi le reste de la population locale de leur pays d’accueil, et sont ainsi beaucoup plus difficiles à identifier et à dénombrer, et a fortiori à atteindre pour les différentes forces d’aides humanitaires présentes sur place.

Le premier obstacle à l’efficacité du travail des humanitaires sur le terrain relève de l’ampleur des besoins nécessaires pour venir en aide aux victimes d’une des crises les plus importantes depuis la Seconde Guerre Mondiale. Une aide considérable a pourtant bel et bien été apportée, dès le début de la crise, mais il est très difficile de répondre à tout : entre autres choses, la question de l’accès au logement pour les Syriens en Syrie, mais aussi pour ceux qui se sont réfugiés à l’étranger, la difficulté pour ces derniers à trouver un emploi dans les pays où ils ont trouvé refuge, et enfin la question de la difficulté de l’accès aux soins, qui n’est généralement pas ouvert aux réfugiés. Autre thème, celui de l’éducation, puisque des millions d’enfants syriens ne sont plus scolarisés aujourd’hui, pour certains depuis quelques années déjà. Cela pose la question centrale de l’avenir qui sera réservé à ceux qui pourraient former une “génération perdue”.

La seconde problématique porte sur la sécurité du peuple syrien, mais aussi sur celle des équipes présentes sur le terrain. Nombre de personnes se trouvent encore au sein de zones souvent difficiles d’accès pour les humanitaires, généralement des zones assiégées, où la population demeure bloquée par le déroulement des combats. Les difficultés à atteindre les populations les plus vulnérables situées en Syrie, mais aussi dans certaines zones d’Irak (où elles sont bloquées par les actions menées par Daesh), sont très importantes. Comment venir en aide à ces personnes que l’on ne peut atteindre ? Certains acteurs locaux parviennent parfois à obtenir un accès limité à ces populations isolées, mais cela demeure très complexe. Ainsi l’on craint dorénavant des risques de débordements du conflit sur le territoire libanais, où certaines zones du Nord auparavant relativement sécurisées commencent à devenir inaccessibles pour les équipes d’aides.

En effet, les zones de combat et d’influence des différentes forces armées s’étendent d’autant plus que le conflit avance. Les impacts sur les pays voisins de la Syrie deviennent de plus en plus tangibles et de plus en plus difficiles à absorber, et la générosité de ces pays d’accueil commence à s’étioler. Ces pays ferment désormais leurs frontières aux arrivées de nouveaux réfugiés, qui se retrouvent bloqués aux frontières. C’est une question difficilement négociable avec les gouvernements concernés, qui invoquent des questions de sécurité pour leur propre pays et rappellent les sacrifices qu’ils ont déjà réalisés depuis le début de la crise. En Jordanie, les Syriens constituent désormais un onzième de la population. Au Liban, on estime qu’environ un quart de la population est syrienne, or le pays ne possède pas la capacité de subvenir aux besoins de cette population. Depuis maintenant deux ans, les organismes d’aide humanitaire maintiennent leur appel auprès de la communauté internationale afin d’alerter sur les conséquences et les risques de cet afflux de populations dans les pays voisins de la Syrie. Il apparaît nécessaire que les pays européens acceptent d’accueillir plus de réfugiés.

Enfin, demeure la question centrale du financement. Les dons ont déjà été très généreux mais se font de moins en moins abondants alors que les besoins restent énormes. Si la crise syrienne perdure, d’autres crises émergent ailleurs dans le monde, et réclament elles aussi, une aide nécessaire (nous pouvons citer l’exemple de l’Ukraine). De plus, une forme de lassitude gagne les bailleurs de fonds et les différentes sources de financement qui permettent aux organismes d’aide humanitaire de faire leur travail correctement. En ce mois de mars 2015, moins de 5% de la totalité des financements demandés en début d’année par l’ensemble des organisations humanitaires a été versé. Il s’agit donc dorénavant de faire plus (car les besoins de la population sont toujours plus importants à mesure que le conflit s’aggrave) avec moins de ressources, moins de moyens, et alors même que personne ne semble voir actuellement une issue proche à cette crise. C’est précisément ce point là qui reste certainement le problème le plus important, à savoir l’absence d’espoir de voir émerger aujourd’hui une réelle solution politique à ce conflit qui s’enlise d’une manière particulièrement complexe.

Roula Maya, Consultante à l’ESCWA  (Economical and Social Commission for Western Asia)

Rémi Baudouï – Université de Genève, Consultant à l’ESCWA

Il s’agit dans cet exposé de se placer dans une vision prospective des choses, de se tourner vers l’avenir. Nous nous interrogeons ici sur un des aspects inévitables qu’engendre un état de guerre : la destruction matérielle. Quels seront les impacts post-conflit sur le secteur du logement ? Comment reconstruire les villes, mettre en place des agglomérations et une structure urbaine pour la Syrie ? Et surtout, comment parviendrons-nous à loger tous les Syriens que le conflit a mis à la rue, et dans quelles conditions ?

L’impact du conflit sur le secteur du logement, les villes et les agglomérations urbaines : état des lieux, besoins, options futures pour la reconstruction

Après quatre ans de conflit armé en Syrie, le contexte général montre que les villes et les zones urbaines sont devenues des objectifs particulièrement stratégiques dans le cadre des affrontements qui déchirent le pays. La guerre civile syrienne est urbaine. De guerre de rues elle est devenue progressivement guerre de villes. Ainsi la structuration urbaine de Syrie s’est totalement effondrée, et les villes ne sont généralement plus que des champs de ruines (destruction des infrastructures, des hôpitaux, du patrimoine…).

Avant le début du conflit, la pays était entré dans une phase d’urbanisation, avec la construction massive de logements. Les constructions se sont concentrées dans les plus grandes villes du pays : Alep, Damas, Homs. En 1970, on comptait environ un million de logements. En quarante ans, le pays a connu une augmentation quantitative du nombre de logements, mais malheureusement, pas forcément qualitative : 2% seulement des logements érigés l’ont été grâce au secteur public, une part très importante du reste des logements relève de l’habitat informel (on en comptait plus de 600 000 en 2007).

Depuis le début du conflit, les villes sont donc devenues les principaux champs de bataille. On constate que 35% des logements du stock résidentiel du pays ont été totalement détruits, 25% ont été partiellement détruits et 40% au moins ont été endommagés. Le territoire se divise ainsi de la façon suivante :

  • Groupe A (Homs, Alep, et Damas campagne) : zone la plus touchée par les combats. Les zones de conflit touchent 70% du territoire ;
  • Groupe B (Idlib, Raqqa, Deir ez-Zor, Daraa…) : zones de combat également très étendues, la zone de conflit touchant 60% du territoire ;
  • Groupe C : ce n’est pas la zone la plus dangeureuse mais les conditions de vie y demeurent très difficiles, les zones de conflit touchent 5 à 30% du territoire.

Dans l’idéal, d’ici 2025, l’objectif serait de parvenir à la (re)construction de 2,2 millions de logements, afin de pouvoir réussir à combler le vide causé par la destruction massive de logements lors des combats. Plusieurs scénarios sont envisagés quant à la vitesse de reconstruction de la structure urbaine du pays, sur des périodes de 5 ans, 7 ans ou 10 ans. Les objectifs globaux pour l’avenir du pays sont multiples, comprenant la nécessité de pouvoir fournir l’habitat pour tous, d’améliorer les conditions de logement et les moyens de subsistance des populations, mais également la capacité de pouvoir renforcer les capacités institutionnelles du pays, sans quoi rien ne pourra être mis en place de manière efficace lorsqu’il s’agira d’entrer dans une phase de reconstruction du pays.

Essayer de voir plus loin que le temps présent, essayer d’envisager quel pourrait être l’avenir du pays après la fin de la guerre apparaît comme une nécessité, même si la fin du conflit semble aujourd’hui encore lointaine et très incertaine.

En attendant, de nombreux obstacles demeurent : le déficit structurel du pays dû à la faiblesse de l’Etat à gérer cette reconstruction ; l’absence d’expertise  sur place pour évaluer l’étendue réelle des dégâts et apporter une vision précise de la situation ; l’incapacité de l’Etat à gérer la destruction des logements par les combats ; la question de l’urgence, justement, qui constitue une forte contrainte à la reconstruction ; l’absence de structure d’importance qui serait nécessaire à la (re)construction du stock de logements. La question inévitable qui est celle du développement durable soulève encore nombre de problématiques. Or si l’on doit construire massivement, ce qui s’avèrera nécessaire, il sera difficile de construire de manière qualitative, et dans des objectifs de durabilité sociale.

Séance 2 : La réponse humanitaire (CR de Perrine Roy et Milène Balligand)

Président de séance : Marc Lavergne, Directeur de recherche au CNRS – GREMMO

La réponse humanitaire à la crise syrienne nécessite une mobilisation de la communauté internationale, et se traduit par différents volets d’action : les financements (qui proviennent majoritairement d’Occident et des Pays du Golfe) et l’action des ONG et associations sur le terrain, en Syrie ou dans les pays concernés par les flux de réfugiés. La crise humanitaire que connaît la Syrie est à la fois un désastre humain et une guerre politique. Du fait des éléments de nouveauté qu’elle présente (le fait que la population civile est la cible directe du conflit armé), elle rompt avec le mouvement général des crises actuelles et redéfinit les modalités d’action de la réponse humanitaire. Face à une telle crise, les difficultés rencontrées par les organismes humanitaires sont multiples : difficultés financières dans un contexte de crise économique en Occident, multiplication des crises à l’échelle mondiale, saturation et essoufflement de l’Occident face aux conflits politiques chroniques au Moyen-Orient. Enfin, on constate que la crise syrienne divise sur le plan géopolitique international : dans un contexte où la résolution politique ou militaire du conflit reste peu envisageable, la réponse humanitaire demeure le seul moyen d’action effectif pour aider les populations victimes du conflit. Elle est d’autre part essentielle, car au-delà des questions matérielles et financières, elle s’interroge sur la reconstruction du pays et l’avenir de la société syrienne.

Véronique Moreira, Vice-présidente de la région Rhône Alpes

Les politiques de solidarité sont ancrées localement dans chacun de nos territoires. La politique de coopération solidaire de la région Rhône-Alpes, formalisée en 2012 par le vote d’un texte fondateur et des grandes orientations, comprend deux volets : d’une part, l’aide au développement des territoires partenaires, et d’autre part l’éducation à la citoyenneté mondiale. Ce second volet est primordial car il comprend l’information, la sensibilisation et parfois la formation du public aux enjeux de coopération et de solidarité territoriale. Il permet, à travers la compréhension du monde et de ses interdépendances, d’éduquer à la citoyenneté mondiale et de mobiliser les citoyens afin qu’eux-mêmes mobilisent les élus. Une telle politique de solidarité ne fait pas toujours consensus dans la conjecture de crise économique actuelle ; malgré tout, une large majorité de la population française reste favorable à une telle coopération dans le cadre de leur territoire. Il s’agit donc d’améliorer la communication à ce sujet à tous les niveaux : celui des citoyens, des élus et de l’Union Européenne.

Si la région Rhône-Alpes n’intervient pas directement dans le cadre de la crise syrienne, elle apporte néanmoins son soutien à la gestion de la crise via des actions dans divers régions méditerranéennes et du Moyen-Orient (Nord du Liban, Jordanie, Irak). Dans un contexte de grande instabilité géopolitique mondiale, de telles politiques d’aide au développement nécessitent une adaptation permanente ; c’est pourquoi la “Ligne spécifique d’urgence”, mise en place en 2005, vise à répondre aux urgences humanitaires pour des territoires non-partenaires, à travers le financement d’associations de la région Rhône-Alpes qui agissent sur le terrain. Cette cellule d’urgence nécessite néanmoins une actualisation : elle est limitée à la définition d’une urgence très restreinte, alors que l’urgence peut durer, comme pour le cas de la crise syrienne qui est en situation d’urgence depuis maintenant quatre ans.

Pour finir, il est primordial que les politiques d’aide au développement soient menées dans une démarche de démocratie participative ; c’est en effet à la hauteur de la mobilisation de la population que se mobilisent les élus.

Jean-François Ploquin : forum des réfugiés Rhône-Alpes/OFPRA

L’organisation Forum Réfugiés Cosi, créée à Lyon en 1982, a vocation à accueillir des réfugiés et à défendre leurs droits, notamment leur droit d’asile. Il est, par ailleurs, primordial que ces réfugiés puissent bénéficier d’accompagnement pour pouvoir s’intégrer dans la société d’accueil. À cet égard, l’ONG mène des actions dans différents types de structures : des plateformes de premier accueil, des centres d’accueil de nuit (hébergement de 1600 à 1700 personnes chaque soir), des centres spécialisés de santé mentale, des centres de rétention administrative.

Le bilan des réfugiés syriens s’élève à plus 4 millions de personnes. Entre 2011 et 2014, l’Europe a accueilli 210 000 réfugiés (soit 6% des personnes exilées), surtout concentrés en Suède et en Allemagne (56% des demandes), mais aussi en Suisse, aux Pays-Bas et en Bulgarie. Les demandes pour la France sont en constante progression, mais restent faibles (accueil de 100 réfugiés en 2011 et 2071 au cours de l’année 2014).

On dénombre 83 réfugiés domiciliés en région Rhône-Alpes. Ils sont parmi les 6000 bénéficiaires du programme ACCELAIR, en faveur de l’obtention d’un logement et d’une insertion socio-professionnelle plus rapides. L’organisation travaille en partenariat avec les élus locaux, dont l’implication, la volonté et la mobilisation restent des facteurs majeurs d’efficacité de l’accueil et de l’insertion des personnes exilées

Lise Salavert, Handicap International

La réponse humanitaire de l’organisation Handicap international se concentre sur les soins et la réadaptation des réfugiés syriens en Jordanie. Au début de l’année 2012, les réfugiés arrivent peu à peu à la frontière jordano-syrienne et sont installés dans des camps de transit au sein desquels ils peuvent bénéficier d’une aide humanitaire. Mais dès lors que le conflit s’intensifie les camps deviennent trop réduits pour répondre aux flux de réfugiés : le gouvernement jordanien ouvre le camp de Zaatari dans le but de centraliser l’accueil et la gestion des personnes exilées. Concentrant l’aide humanitaire, le principal objectif des organisations qui travaillent dans ce camp est d’identifier toutes les personnes vulnérables en demande de soins et de réadaptation. À cet égard, l’un des défis majeurs qui se pose aux acteurs sur le terrain est d’éviter le départ des réfugiés vers les villes alentours où l’action humanitaire est plus difficile à mettre en place. En 2013, alors que la Jordanie ferme ses frontières, le nombre de réfugiés s’accroît pourtant de façon significative (jusqu’à 3000 nouvelles personnes arrivant chaque nuit), surchargeant le travail des humanitaires et la capacité d’accueil du camp de Zaatari (160 000 personnes au maximum). C’est pourquoi le gouvernement jordanien, qui souhaite augmenter sa capacité d’accueil, ouvre en 2014 le camp d’Azraq.

Désormais, de nouveaux acteurs entrent en jeu dans le cadre de la réponse humanitaires : les Pays du Golfe d’où émanent d’importants financements, et la société civile syrienne avec la construction de réseaux de solidarité locaux. Les ONG doivent également faire face à des défis nouveaux : le coût élevé de la crise, le manque de données chiffrées, la difficulté à identifier les personnes vulnérables dans des milieux urbains ou ruraux complexes qui comportent chacun des problématiques d’intervention particulières.

Stéphane Lobjois, Responsable des urgences, Secours Islamique France

Le Secours Islamique France est présent en Syrie depuis 2008. Il fait partie de la douzaine d’organisations à être implantées dans la zone gouvernementale, non par choix politique mais par humanisme. Cette organisation à deux champs d’intervention : tout d’abord la Shelter rehabilitation (la réhabilitation de logements) et le Wash (interventions concernant l’eau, l’hygiène et l’assainissement). Ainsi, elle prévoit la construction d’environ 200 000 logements et réalise entre autres des actions de Water trucking (acheminement d’eau par camions) et de distribution de Non-food items (denrées non-alimentaires). Néanmoins, il lui est difficile de répondre efficacement à l’urgence humanitaire car elle rencontre plusieurs défis : l’interdiction stricte par le gouvernement de travailler avec des organisations locales et la difficulté à trouver les populations vulnérables qui sont très dispersées sur le territoire.

Une partie de son action en termes de logement consiste à réhabiliter des bâtiments privés ou des écoles publiques. Toutefois, de nombreuses difficultés se posent puisque les accords avec les propriétaires sont d’environ deux ans, et d’autre part, le gouvernement tente actuellement de relancer l’éducation. Il est donc nécessaire d’envisager des accords avec le gouvernement syrien pour trouver ou reconstruire des logements pour les populations locales sinistrées. Par ailleurs, les actions de l’ONG se portent aussi sur les pays limitrophes comme le Liban où le Secours Islamique aide plus de 900 familles par des constructions d’abris et des transferts d’argent directs. Toutefois, la présence massive de réfugiés dans les pays voisins commence à poser des problèmes pour les sociétés d’accueil. Les personnes exilées subissent également des pressions, notamment économiques, qui les poussent parfois à rentrer en Syrie ; l’objectif de l’organisation est donc de comprendre pourquoi et comment ils rentrent pour être apte à les prendre en charge à leur retour.

Enfin, la réponse humanitaire en Syrie demeure fragile : l’enjeu majeur est désormais de continuer à mobiliser les bailleurs de fonds et les donateurs privés, qui se lassent de ce type de conflits chroniques et complexes.

Nicolas Edmet, Sawa consulting
L’intervention humanitaire en Syrie doit faire face à de nombreux défis. Tout d’abord, elle est menacée par le contexte politique international instable dont dépendent les aides financières et l’évolution du conflit. De plus, l’État Islamique constitue une nouvelle menace : cette organisation militaire extrêmement bien implantée dans de nombreux pays compte près de 30 000 soldats en Syrie et recrute quotidiennement de nouveaux combattants venus faire le djihad. Même si depuis l’été 2014, son extension spatiale a été stoppée par l’armée irakienne et la coalition internationale, l’État Islamique tend à renforcer son implantation et sa légitimité locale. En effet, l’organisation armée crée des organes administratifs (comme le Bureau de coordination et des frontières) et se distingue ainsi des groupes terroristes dits «militaires» en affirmant sa vocation étatique. De par ses actions violentes, la présence de ce groupe rend dangereuse voire impossible l’action humanitaire dans certaines zones. Cette inaccessibilité des territoires diminue les contacts avec la population locale et affaiblit par conséquent le système de remote control des ONG (formation de personnel local). Enfin, dans un contexte où l’intervention humanitaire devient stratégique, les ONG se voient imposer des précautions quant au risque d’instrumentalisation politique et médiatique. Au vue de ces défis spécifiques à la crise syrienne, la réponse humanitaire est freinée et doit faire preuve d’adaptation en termes d’équipes (recrutement d’experts en géopolitique, de groupes de sécurité, etc.) et de modalités d’intervention. Toutefois, malgré ces limites, l’intervention humanitaire reste largement bénéfique pour les populations et sera maintenue jusqu’à la résolution de ce conflit régional.

Séance 3 : La dynamique du conflit et ses conséquences humanitaires (CR de Marius Begey et Raphaël Durandard)

Président de séance : Fabrice Balanche, Directeur du GREMMO, Université Lyon 2

Cette troisième séance a pour but de comprendre le désastre humain en Syrie et, dans ce cadre, il est nécessaire de s’interroger sur le conflit, ses acteurs et sa dynamique. Pour ce faire, il n’est pas question d’avoir une posture morale mais bien d’essayer de comprendre la crise de manière pragmatique.

Si les sciences sociales sont utiles pour en saisir les causes, une approche basée exclusivement sur celles-ci ne peut permettre une compréhension totale du conflit. L’utilisation d’outils d’analyse du domaine militaire apparaît, dès lors, essentielle. Décrypter, par exemple, les techniques de contre-insurrection menées par Bachar el-Assad (séparer les rebelles des civiles, concentrer les troupes sur des points stratégiques avant de penser à un redéploiement futur, etc.) nécessite une connaissance approfondie des stratégies militaires et plus généralement de l’art de la guerre.

Pour comprendre ce conflit dont la résolution échappe aux syriens, il convient de s’intéresser aux dynamiques internes mais également de s’interroger sur les rapports de forces entre les puissances, à l’échelle régionale comme internationale.

Jean-Pierre VIAL, Sénateur de Savoie, Président du Groupe Amitié France-Syrie au Sénat

Géopolitique du conflit syrien

Afin d’approcher les dynamiques du conflit, et d’en comprendre la géopolitique, Jean-Pierre Vial propose une lecture à travers trois aspects de ce conflit : le fait économique, le fait islamique et le fait régional.

De par sa position d’élu, Jean-Pierre Vial se propose de réfléchir sur la position à adopter par la France et sur l’importance des relations franco-syriennes, qu’elles soient économiques ou politiques. Si la France a maintenu des liens avec la Syrie sous l’égide du Qatar notamment (après une brève rupture en 2008), elle reste dépendante de politiques plus globales et ne dispose donc pas d’une grande liberté d’action comme peut l’illustrer le cas des Airbus. En effet, alors que Nicolas Sarkozy s’était engagé à régler cette situation et à faire parvenir la commande à la Syrie, il n’a pas été à même de garantir la vente et de tenir sa promesse, du fait du maintien de l’embargo américain sur certains produits.

La situation de la Syrie apparaît d’autant plus complexe que la France, et plus généralement l’Union Européenne, veulent jouer un rôle, au moins sur le plan économique, au Moyen-Orient, volonté symbolisée par la création de l’Union Pour la Méditerranée ou par les récents accords entre l’Allemagne et l’Égypte. Cette volonté de rester présent sur la scène économique régionale ne doit cependant pas être interprétée comme un soutien politique aux gouvernements en place comme le souligne le roi Abdallah de Jordanie : « les choses sont simples ; il faut que les pays qui achètent des Boeing et des Airbus ne considèrent pas qu’ils sont protégés par les pays qui le leur vendent »

L’influence de la France doit de plus être nuancée, Jean-Paul Vial insistant sur la prise en compte de la conjoncture économique actuelle : la France peut-elle encore être un acteur de premier rang au Moyen-Orient alors que l’émergence des BRICS vient rebattre les cartes et changer la donne géopolitique ?

Jean-Pierre Vial propose, en second lieu, d’aborder le fait islamique, celui-ci apparaissant comme un élément central de ce conflit extrêmement confessionnalisé. Il dresse ainsi un rapide schéma des forces en présence et des acteurs se revendiquant de l’islamisme, et rappelle que, déjà bien avant le début du conflit, l’importance croissante du wahhabisme dans la région aurait pu être interprétée comme un prélude à la crise syrienne. Ainsi, l’Arabie-Saoudite avait par exemple financé de nombreuses actions de terrains et soutenu la diffusion du wahhabisme. Se pose également la question de l’inaction des grandes puissances, qui, afin de préserver certains intérêts économiques, ont fermé les yeux, refusant de voir les risques de conflits liés à la situation complexe du Moyen-Orient.

Enfin, le sénateur se penche sur l’importance que revêt la géographie régionale. Il se propose ainsi d’étudier les positions prises par différents pays (Turquie, Liban et Israël) et la place qu’ils occupent dans le conflit et plus généralement dans les dynamiques régionales. Le cas de la Turquie permet de mettre en lumière l’importance des velléités nationalistes dans l’ensemble du Moyen-Orient, que la crise syrienne a rendues apparentes. La position de la Turquie est délicate, celle-ci ayant peur d’une autonomisation des kurdes tout en ne pouvant véritablement nier l’utilité des combats qu’ils mènent à la frontière sud pour endiguer la progression de Daesh. La situation du Liban permet de montrer la propagation de la crise syrienne à l’ensemble de la région. Le pays est en effet dans une situation politique inquiétante (blocage des institutions) alors que des drapeaux islamistes flottent sur Tripoli. Enfin comment ne pas évoquer la situation d’Israël et le problème de non-résolution d’un conflit bien plus ancien ayant coûté la mort à Isaac Rabbin et étant source de nombreuses tensions au Moyen-Orient, voire aujourd’hui sur la scène internationale. La politique sécuritaire menée par le pays vis-à-vis de la Palestine compliquant son acceptation au sein d’une région de confession à dominante musulmane.

Jean-Pierre Vial conclut son propos en insistant sur la situation d’une opposition syrienne qui n’a jamais véritablement réussi à se constituer malgré le soutien international et insiste sur la nécessité d’une solution diplomatique, reprenant la thèse de Mme Bassma Kodmani : « il n’y aura pas de victoire militaire, il faut envisager une sortie institutionnelle ».

Jean-Paul BURDY, IEP Grenoble

Sunnites, chiites, wahhabites, salafistes djihadistes : quelle confessionnalisation des conflits ? Facteurs et acteurs, dimensions et perspectives

Pour expliquer la situation conflictuelle dans laquelle se trouve le Moyen-Orient, Jean-Paul Burdy débute son intervention en instaurant un parallèle avec la Guerre de 30 ans qui a touché l’Europe de 1618 à 1648, et met ainsi en évidence la prédominance de l’aspect confessionnel. Si le point de départ de la Guerre de 30 ans était confessionnel (opposition entre protestants de Prague et Habsbourg catholiques), ce n’est pas le cas de la crise actuelle puisque les révolutions du Printemps arabe de 2011 étaient le fruit de revendications politiques et sociales. Ces contestations démocratiques ont néanmoins rapidement été confessionnalisées, et notamment par deux pays, la Syrie et le Bahreïn. Ainsi pour la monarchie sunnite du Bahreïn, la volonté de démocratisation est à l’origine un complot chiite inspiré par l’Iran. De même, le régime baathiste syrien assimile la contestation démocratique à un complot djihadiste inspiré par les ennemis du pays (Arabie-Saoudite entre autres). Des conflits, qui au départ ne l’étaient pas, deviennent donc confessionnels, s’inscrivant dans une dynamique régionale ancienne, opposant chiites et sunnites.

En effet, Jean-Paul Burdy souligne le retour au premier plan de cette opposition depuis la révolution iranienne de 1979 marquant le « réveil » du Chiisme. En réaction à cela, les pétromonarchies sunnites du Golfe, et notamment l’Arabie-Saoudite, se sont employées à diffuser la pensée wahhabite dans le monde arabe. Cette diffusion d’un wahhabisme militant (idéologie radicale anti-démocratique, anti-libérale, anti-chiite, iconoclaste), servant de terreau au djihadisme actuel, peut d’ailleurs être considérée comme responsable de la radicalisation et de la confessionnalisation des conflits.

De ce fait, et afin de comprendre la situation complexe du Moyen-Orient, on ne peut se passer d’une grille d’analyse mêlant le confessionnel et le géopolitique. Ainsi, la crise syrienne apparaît comme un affrontement confessionnel tout autant que comme un affrontement de puissances : c’est une guerre par procuration entre l’Iran chiite et l’Arabie-Saoudite sunnite – deux puissances souhaitant asseoir leur domination à l’échelle régionale.

La crise syrienne s’inscrit dans des dynamiques en place depuis plusieurs années déjà, et ne peut être pensée uniquement à l’échelle du pays. Sous ce nouvel éclairage, l’intervention américaine en Irak peut sembler un facteur important dans la radicalisation et la confessionnalisation des conflits au Moyen-Orient en déstabilisant une région complexe à l’équilibre fragile.

Phillipe BANNIER, IEP Lyon

Conquête territoriale et construction étatique : l’État islamique jusqu’où ?

L’intervention américaine en Irak a été l’acte fondateur d’une organisation islamique sunnite d’un type nouveau, porteuse d’un projet utopique (effacer les frontières dessinées par les puissances coloniales) et désireuse de contrôler et administrer un territoire « étatique » : l’État Islamique.

Bien que relativement ancien maintenant, ce n’est que récemment, et grâce à la crise syrienne qu’il a pris une tout autre dimension (comme le symbolise la proclamation du califat en 2014), devenant un acteur important et sur lequel il faut compter, et ce malgré un relatif ralentissement depuis octobre 2014 (bombardements et mobilisation des forces kurdes). Si l’État Islamique a en effet redéfini ses objectifs et se concentre davantage sur la consolidation de son emprise territoriale (le long de l’Euphrate), il ne faut néanmoins pas voir en la défaite de Kobané un revers majeur pour Daesh, la ville n’étant pas d’un intérêt stratégique considérable.

Phillipe Bannier insiste, par ailleurs, sur l’aspect professionnel de l’État islamique dans son organisation militaire comme politique, profitant du savoir-faire d’anciens lieutenants baathistes de Saddam Hussein. Sa stratégie offensive extraterritoriale (sur la rive sud de la méditerranée) tend à le souligner, lui permettant de détourner l’attention de la Syrie où il a subi des revers. Ce professionnalisme se retrouve également dans son mode de gouvernance basé sur un programme minutieux. En s’appuyant sur une implication locale forte, il a ainsi mis en place un modèle décentralisé capable de maintenir un ordre sécuritaire, administratif et judiciaire fonctionnant relativement bien. Si le mode de gouvernance instauré par l’État Islamique semble efficient, il n’en reste pas moins un gouvernement autoritaire et sectaire, qui souhaite une purification culturelle et religieuse du Moyen-Orient. Aussi, l’éducation apparaît comme un point central de son programme, participant à l’endoctrinement d’une génération que l’on pourrait considérée « perdue ». La mise en place d’un véritable système étatique coûte cependant cher. Pour assurer ce financement nécessaire, l’État islamique s’appuie sur des revenus pétroliers mais aussi sur des activités « mafieuses » (enlèvement, pillage, trafic d’antiquités, etc.).

Phillipe Bannier aborde ensuite la question de l’expansion de l’État Islamique et de sa propension à se maintenir sur une période de temps longue. Daesh proliférant sur le chaos et l’absence d’un contrôle étatique fort, de nombreux pays du Moyen-Orient semblent aujourd’hui concernés. Le Liban, pourvoyeur important de djihadistes, fournit un bon exemple, d’autant plus qu’Ersal apparaît comme une voie d’accès plus que probable pour l’arrivée de l’État Islamique au Liban si jamais le front Al Nostra venait à s’affaiblir.

La logique militaire ayant pris le pas sur la logique politique dans la résolution de la crise syrienne, l’État Islamique semble parti pour durer si l’on en croit Phillipe Bannier. Il dispose en effet de ressources importantes et pourrait en obtenir davantage encore (financement possible de la part de puissances du Golfe). Peter Harling parle, en effet, de l’État Islamique comme d’un « monstre providentiel », chaque acteur y voyant un moyen de faire avancer ses intérêts : briser les velléités indépendantistes des kurdes pour la Turquie, justification du déploiement de milices chiites pour l’Iran et bras armé pour l’Arabie-Saoudite.

La thèse du maintien de l’État Islamique semble d’autant plus probable qu’il n’y a, aux yeux des populations, pas d’alternatives politiques crédibles, ce qui risque d’entraîner un remodelage des frontières étatiques sur le long terme.

Jean MARCOU, IEP Grenoble

La Turquie et ses nouveaux voisins

Alors que la Turquie était annoncée comme l’un des potentiels bénéficiaires de la crise syrienne, son aura apparaît aujourd’hui entamée, la crise syrienne ayant servi de révélateur des lacunes de la politique étrangère turque. Jean Marcou résume d’ailleurs sommairement les difficultés de la Turquie sur le plan diplomatique en parlant de l’évolution d’une situation « zéro problème avec nos voisins » vers une autre « zéro voisin avec nos problèmes ». Il insiste de ce fait sur le problème de la frontière sud de la Turquie : quelles relations entretenir avec des États qui n’existent plus vraiment et surtout avec les acteurs qui leur succèdent ?

La frontière syro-irakienne devient dès lors un véritable enjeu puisqu’elle est le lieu de cohabitation de nombreux acteurs et, de fait, une interface entre les nouvelles forces en présence et l’État turc. Celui-ci se positionne en opposition à l’État syrien, avec lequel il entretient des relations conflictuelles ; et pour cause, la Turquie soutient une opposition qu’elle rêve modérée et capable de faire front contre le djihadisme. Paradoxalement, cette opposition est aujourd’hui largement dominée par Al-Nostra et l’État Islamique. Ce paramètre vient compliquer les relations de voisinage de la Turquie qui ne peut pas maintenir de relation officielle avec des organismes djihadistes mais qui tolère cependant leur présence sur son territoire.

La question de l’autonomisation des Kurdes, de retour sur le devant de la scène géopolitique régionale avec la crise syrienne, place la Turquie dans une position délicate. Si celle-ci entretient des liens économiques, énergétiques et politiques nécessaires avec les Kurdes d’Irak, elle ne peut cependant pas les soutenir dans leur volonté d’indépendance, craignant un regain des velléités indépendantistes de sa propre minorité kurde. En revanche, elle n’entretient pas de politique officielle de voisinage avec les kurdes syriens, se méfiant de la proximité relative qu’ils entretiennent avec le régime de Bachar el-Assad depuis le soulèvement de 2011. L’attitude turque vis-à-vis des kurdes apparaît, par conséquent, complexe comme l’illustre la politique de non intervention lors du siège de Kobané, cristallisant une crainte encore actuelle du PKK.

Le conflit syrien marque la fin de la « Sifir Sorun Politikasi ». Dans un contexte régional compliqué, la Turquie voit ses relations avec les puissances régionales (Arabie-Saoudite, Égypte) mais aussi internationales (Russie) se détériorer, ce qui se traduit par un certain isolement diplomatique. Le pays hésite entre la conservation de ses acquis, du fait de son statut d’allié de l’occident, et la préservation d’atouts affaiblis, propre à son statut de puissance régionale.

Cyril ROUSSEL, IFPO Amman

Les Kurdes de Syrie et le projet du Rojava, rêve éphémère ou espoir durable ?

Le projet du Rojava permet de s’interroger sur la modification des dynamiques aux frontières dans le Moyen-Orient et de souligner un point important de cette crise syrienne : la disparition des États, du moins tels qu’ils étaient avant le conflit. Cyril Roussel propose ainsi d’étudier l’apparition d’un proto-État suite à un conflit au sein d’un ancien État centralisé.

En mettant en place une administration autonome sur trois cantons spatialement discontinus dans le cadre du projet territorial du Rojava, le PYD (l’un des 17 partis kurdes syriens) apparaît comme un nouvel acteur dans la géographie régionale. Aux antipodes de l’État Islamique, et alors qu’il semble avoir toutes les qualités pour plaire – il s’agit de trois gouvernements régionaux transitoires en attente d’une élection, ne regroupant pas uniquement des Kurdes (il est possible de remarquer la présence de minorités chrétiennes et arabes) – le projet du Rojava connaît néanmoins un certain nombre de problèmes pour s’intégrer dans un ensemble régional complexe. En effet, le spectre du PKK planant au dessus de toute organisation kurde, il lui est difficile de se rapprocher des pays voisins, ou de nouer des alliances localement avec des tribus arabes pour instaurer une continuité territoriale.

La fragmentation de l’horizon politique kurde syrien pose un autre problème, puisqu’une large part des structures partisanes kurdes n’est pas intégrée dans ce projet (CNKS, KNG) et ne reconnaît pas la déclaration d’autonomie du PYD jugée unilatérale. Il en résulte une situation d’isolement diplomatique et économique importante que Cyril Roussel résume à travers la notion de triple embargo (côtés turc, syrien et irakien).

Si une division politique du peuple kurde est observable au sein du territoire syrien, elle se retrouve également à l’échelle régionale ; celle-ci étant notamment matérialisée par la rivalité entre le PDK irakien et le PYD syrien, proto-États limitrophes. Dans ce contexte, la gestion des frontières est primordiale et, à ce titre, le pont de Simalka apparaît comme un enjeu majeur, étant le principal point de passage entre le Kurdistan d’Irak et le territoire du Rojava. Les conséquences de la fermeture temporaire de ce dernier (plusieurs milliers de réfugiés économiques), de fin 2013 à l’été 2014, témoignent de l’importance que revêt le contrôle des frontières et notamment en situation de crise. Le PDK souhaitait, en effet, faire pression sur le PYD, déjà cerné de toute part par des organisations proches d’Al-Nostra, afin d’imposer l’intégration du CMKS (condition préalable à la réouverture du pont).

Après quatre années de conflit en Syrie, le Kurdistan, s’il possède une situation économique et sécuritaire relativement bonne (présence d’hydrocarbures), se trouve finalement enclavé aussi bien économiquement que politiquement. Aussi, l’avenir des Kurdes de Syrie est aujourd’hui une équation à plusieurs inconnus, du fait de dynamiques internes (fragmentation de la scène politique kurde) comme externes (rôle des autres acteurs du conflit syrien).

Séance 4 : Les problématiques de l’intervention humanitaire (CR Théo Morin et Hugo Hyart Dauvergne)

Séance présidée par Jean Marcou, professeur à Science Po Grenoble

Serge Gruel, Triangle

Serge Gruel, de l’ONG Triangle, fait part de son expérience depuis 2007 car Triangle était implanté en Syrie pour accueillir les réfugiés irakiens. En tant que coordinateur de l’aide internationale, il a pu observer le tournant du conflit et le changement des besoins des Syriens et des Irakiens à partir de fin 2011 lorsque la guerre civile s’est installée, ainsi que des problématiques de coopérations avec le Croissant Rouge. Il exprime son admiration devant les acteurs de la société civile syrienne, telles que les ONG locales comme JORM, avec lesquelles il a eu l’occasion de travailler, car elles jouent un rôle essentiel dans le dispositif humanitaire.

Laurent Davy, Handicap International

Laurent Davy, responsable du programme d’urgence au Proche-Orient chez Handicap International, revient sur la notion de crise chronique, rappelant que l’action humanitaire est aussi confrontée à la question de la durée de la crise, ce qui amène à faire ressentir une urgence au moins pour les cinq à dix prochaines années. Ainsi les humanitaires doivent concevoir leur action dans le cadre d’un conflit dont on ne voit pas l’issue et dont les marques seront encore saillantes après sa résolution. Il faut espérer que la Syrie ne connaisse pas un sort comparable au Soudan ou la Somalie.

Elisabeth Longuenesse, Directrice de recherche CNRS

Elisabeth Longuenesse, directrice de recherche au CNRS et ex-directrice de l’IFPO contemporain à Beyrouth (2010-2013), aujourd’hui en retraite, a souligné plus en détail le rôle clé de la société civile syrienne dans l’acheminement de l’aide et la possibilité d’une résolution du conflit. Mais, elle remarque que les ONG internationales ne rentrent pas toujours en relation avec les ONG locales.

Olivier Maizoué, MSF Suisse

Olivier Mazoué, représentant de Médecin Sans Frontière Suisse, parle du problème plus large des besoins de la population, qui ne peuvent pas être remplis uniquement par les ONG. Ainsi, apporter une aide en chirurgie est plus compliquée que de guérir des rhumes, et dans un contexte de guerre, où les blessés affluent parmi les réfugiés, il n’est souvent pas possible de dispenser des soins minimum. La multiplicité des systèmes de gestion de la santé et de l’aide dans les pays limitrophes, où s’installent les réfugiés, pose également des problèmes d’adaptations. Il cite les exemples du Liban, où des cliniques privées ont recours à des pratiques de surfacturations, et du Kurdistan irakien où au contraire le système politique implique la gratuité de l’aide. Parmi les autres problèmes difficiles à traiter, il évoque les violences sexuelles. Ces dernières sont difficiles à évaluer tant elles demandent une mise en confiance de la victime pour qu’elle en parle.
MSF n’est pas intervenu dans les zones contrôlées par le gouvernement syrien car il leur en a interdit l’accès puisque l’ONG travaille en transfrontalier depuis la Turquie et l’Irak vers le territoire syrien.
Enfin pour conclure, Olivier Maizoué souligne que si le manque d’argent est un problème, le manque de volonté politique pour protéger l’exercice du droit à l’humanitaire est beaucoup plus grave.

Roger Persichino, Première Urgence

Roger Persichino, représentant de Première Urgence, explique que son ONG est présente en Syrie depuis 2008. A l’époque, il s’agissait de venir en aide aux réfugiés irakiens. A partir de 2011, Première Urgence s’est réorienté vers les déplacés internes syriens. Elle est une des seules ONG internationales à être restée en zone gouvernementale.

 Synthèse de la séance

Ces différentes communications apportent un éclairage sur les problématiques de l’intervention humanitaire dans un contexte de conflit armé. Elles posent plusieurs questions qui changent selon les formes du conflit, les événements et les forces en présence. Afin de tendre vers les principes d’impartialité et de neutralité prônés par le Droit International Humanitaire, il est nécessaire pour les organisations de se doter d’un code de conduite adapté à la mission qu’elles aspirent à remplir et d’une déontologie pour pouvoir rester le plus neutre possible. La situation en Syrie est particulièrement difficile, car les contraintes militaires empêchent une action globale et un accès aux différentes zones où affluent les réfugiés.

Les intervenants se sont accordés sur le fait que la crise était là pour durer bien au-delà de la guerre dont l’issue reste incertaine. La radicalisation du conflit, la nature irréversible des dommages et des transformations opérées, excluant toute espèce de retour à la situation préalable et supposant de considérables efforts de reconstruction et de recomposition dans des espaces désintégrés, questionnent aussi la durée dans laquelle doivent se projeter les ONG. Or, cette situation d’urgence qui s’éternise entraîne une difficulté grandissante à recueillir les dons des bailleurs de fonds, qu’il s’agisse des Etats arabes du Golfe, des agences onusiennes et occidentales, ou des donateurs privés.

Plus la crise se prolonge et plus le flux de dons se réduit du fait de la lassitude, dans un contexte où les promesses sont souvent bien supérieures aux dons effectivement versés. Cela peut vouloir dire qu’il faudra accepter soit une source de revenus ne pouvant pas garantir une action indépendante, soit tout bonnement interrompre l’aide comme cela a failli être le cas fin 2014 pour les coupons alimentaires, si l’Union Européenne n’était pas intervenue en urgence.

Les problématiques d’intervention sont multiples et ont évoluées en même temps que s’est développé le conflit. L’aide humanitaire doit tenir compte d’une géopolitique complexe impliquant de nombreux acteurs, à l’intérieur, dans les pays limitrophes de la Syrie et au niveau international. La saturation et l’épuisement des pays limitrophes a conduit à la fermeture de la quasi-totalité des frontières enserrant la Syrie au début de l’année 2015. Les aller retours ou les aller simples des réfugiés vers l’extérieur et l’accès des humanitaires aux zones de conflits s’en trouvent complexifiés davantage.

Pour pouvoir venir en aide efficacement à toutes les victimes qu’elle que soit leur zone, il est nécessaire de faire des choix. Puisque le gouvernement syrien interdit l’accès aux zones qu’il contrôle aux ONG travaillant en zone rebelle, il est nécessaire pour les organisations humanitaires de faire un choix, non pas par sympathie en fonction de tel ou tel partie, mais en fonction des besoins. Plusieurs organisations telles que Triangle ou Première Urgence ont jugés pouvoir être plus utiles dans les zones gouvernementales, où les très nombreuses victimes ne sont pas couvertes par autant d’ONG internationales que dans les zones tenues par les rebelles. Pour des organisations comme MSF en revanche, puisqu’il n’était pas question d’accepter l’interdiction par le gouvernement syrien de travailler en transfrontalier (crossborder), il a fallu se concentrer sur les zones tenues par les rebelles. Néanmoins, MSF essaie de travailler avec des partenaires qui, bravant l’interdiction du gouvernement syrien, effectuent des transferts officieux vers les populations affectées en zones gouvernementale. Le gouvernement syrien bénéficie de soutiens au conseil de sécurité de l’ONU (Russie et Chine) qui le rendent moins sensible aux pressions internationales, au contraire du régime soudanais d’Omar El-Béchir, très isolé lors de la crise du Darfour.

Par ailleurs, il s’agit de se demander quelle sorte d’aide est la plus efficace. Ainsi, il existe les tenants du transfert monétaire direct aux réfugiés pour leur laisser le choix des besoins qui leur sont prioritaires et les tenants de transfert de matériel.
Il faut aussi savoir que les infrastructures de santé qui ne sont pas détruites peuvent coûter extrêmement cher à entretenir et que, bien souvent, les organisations humanitaires assurent pratiquement un service public, ce qui relance la question de savoir si, en définitive, il est possible d’apporter une aide de façon complètement impartiale, comme cela est prescrit par le droit international de l’humanitaire. Celui-ci prône l’impartialité, la neutralité et l’indépendance comme grands principes qui, en situation de guerre, ne sont pas respectés par les belligérants.
Parmi les problématiques d’intervention que nous avons pu identifier dans cette séance, plusieurs ont trait à la relation entretenue avec les multiples acteurs et partenaires impliqués, qu’ils soient bailleurs de fonds, gouvernements, autres ONG internationales, ONG locales, belligérants ou organisations criminelles et terroristes. D’autres problématiques ont trait à l’accès aux réfugiés et aux victimes, rendu compliqué par les fermetures de frontières ou de lignes de front, les formes de dispersions ou de concentrations des déplacés, ainsi que l’acheminement d’une aide appropriée dans la mesure des moyens disponibles. Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte les possibilités de récupération médiatique. Enfin, l’intervention humanitaire nécessite le choix d’un terrain d’intervention et une véritable stratégie en fonction de son expérience, de la disponibilité des partenaires de confiance et de la situation géopolitique du périmètre envisagé, pour limiter les risques encourus par le personnel. Pour ce dernier paramètre on peut se reporter à l’intervention de Nicolas Edmet de Sawaa consulting au sujet de l’Etat Islamique (séance 2).

Synthèse du colloque  et perspectives (CR Charlotte Schmidt et Elise Varenne)

Cette dernière séance constitue la synthèse du colloque. Elle tente de reprendre les grandes thématiques qui ont été discutées au cours de la journée. Quelle connaissance avons-nous de ce qui se passe au Moyen-Orient ? Comment cette crise syrienne se manifeste-t-elle sur le territoire ? Quelle position adopte les grandes puissances et les différentes parties en lice face à la crise ? Des perspectives sont-elles envisageables dans cette région du monde ? Pour cela, deux regards distincts mais complémentaires se confrontent: celui de l’acteur humanitaire, et celui du chercheur.

Joseph Dato, directeur d’HUMACOOP

Le premier aspect à retenir est la connaissance globale du conflit qui apparaît extrêmement bien documenté, d’abord par les rapports des humanitaires intervenant directement sur le terrain et ensuite par le travail de synthèse effectué par les chercheurs afin de rendre cette crise la plus intelligible possible. Le second point est la forte dimension urbaine du conflit, ce qui n’est pas sans rappeler la guerre des Balkans. Les humanitaires doivent faire preuve d’une forte réactivité qui répond aux nombreux enjeux du conflit. Le troisième point est la chronicisation de la crise syrienne qui n’avait d’ailleurs pas été anticipée par les organismes humanitaires. Cependant ce conflit s’inscrit dans la durée et demande toujours plus de mobilisation de la part de ces derniers. Le quatrième point est l’apparent « brouillard » politique ou encore la paralysie des différentes puissances face à la crise syrienne. Il faut pourtant rappeler que l’action humanitaire ne peut se substituer à celle des Etats. Le cinquième point pose la question du respect du droit international humanitaire par les différentes parties au conflit. Mais quelle doit être la position des ONG lorsque le gouvernement syrien ou le très jeune Daesh ne respectent pas ce droit ?

Il est nécessaire de conserver une forme de prudence lorsque l’on aborde le sujet de la crise syrienne. Il faut aussi considérer le fait que cette crise humanitaire est partie pour durer. L’enjeu est donc de continuer à documenter le conflit et de mettre davantage en lumière les difficultés que rencontrent les organismes humanitaires.

Marc Lavergne, Directeur de reherche au CNRS-GREMMO

Malgré tous les efforts des organisations humanitaires, la situation en Syrie est aujourd’hui dramatique et sans perspective d’amélioration à court terme tant à l’intérieur du territoire syrien que dans les pays voisins. Le problème est que ni les besoins réels de la population, ni la part de ces besoins qui sont couverts par l’aide ne sont mesurables. La question du manque d’argent est également un problème contre lequel il faut se mobiliser, et plus particulièrement auprès des bailleurs de fonds. Autre point important est de savoir si les réfugiés syriens dans les pays voisins ou encore dans les pays occidentaux auront un jour la volonté de retourner chez eux.

La situation politique est aussi très complexe. Beaucoup d’Etats sont déstabilisés et sont en passe de s’effondrer du fait d’ambitions politiques contraires. Les éléments de blocages sont visibles mais conduisent vers une désintégration progressive des territoires nationaux tels que nous les connaissons aujourd’hui. Il paraît plausible que dans les prochaines années d’autres Etats se construiront sur les ruines des anciens. La guerre civile en Syrie, l’émergence de l’Etat islamique ou encore la montée en puissance des revendications kurdes révèlent des clivages profonds au sein des sociétés du Proche-Orient. Alors que le régime de Bachar el-Assad chasse en dehors du territoire syrien une partie de la population, d’autres parties au conflit (Etat Islamique, Kurdes) entendent construire de nouveaux Etats sans aucun lien avec la Syrie actuelle. Le déplacement massif des populations syriennes peut également mettre en péril les Etats d’accueil. N’y-a-t-il pas un risque d’effet domino pour la Jordanie, la Turquie ou le Liban ? Le poids des réfugiés sur ces pays ne risque-t-il pas de révéler d’autres clivages ? Mais le désintérêt ou la lassitude des grandes puissances face à cette crise syrienne ne va pas aider à la résolution de l’ensemble de ces problèmes dans la région.

Éléments sur la géographie des déplacés dans le contexte de la crise syrienne

Depuis les événements de Deraa en mars 2011, le conflit syrien a déclenché une crise humanitaire profonde qui a gagné plusieurs pays de la région. Alors que le nombre de victimes dépasse désormais les 200 000 morts, les instances de l’ONU estiment à environ 11,5 millions[1], le nombre de personnes forcées de fuir leur foyer, soit plus de la moitié de la population syrienne[2]. Les deux tiers – un nombre de 7,6 millions estimé par l’UNOCHA – sont des déplacés internes issus de l’ensemble des provinces du pays. Les 3,8 millions restant, comptabilisés par le HCR, sont des réfugiés dans les pays voisins[3]. Si les chiffres du HCR, ne tenant compte que des réfugiés enregistrés, sont bien en dessous de la réalité, les chiffres relatifs aux déplacés ne sont, quant à eux, que des estimations qui peuvent varier considérablement suivant les organisations humanitaires consultées. De façon générale, la collecte de ces données est rendue difficile par la volatilité des lignes de front ainsi que l’intensité des combats. Les autorités syriennes bloquent l’accès à de nombreux territoires, notamment les villes assiégées, et les zones sous contrôle rebelle sont souvent difficiles à atteindre.

Les premiers déplacements internes majeurs ont été observés en mai-juin 2011. Craignant la répression de la révolte par l’armée syrienne ainsi que les affrontements armés qui commençaient à s’engager, de nombreux habitants des villes au premier plan de la contestation comme Deraa, Jisr al-Shughur et Marrat al Numaan ont fui dans les campagnes environnantes. Ces premiers déplacements étaient relativement épars et circonscrits aux territoires victimes de la répression et se sont souvent avérés de courte durée, les populations rentrant chez elles après la fin des opérations militaires.

Dès l’été 2011, avec la militarisation ainsi que l’extension de l’insurrection[4] aux grandes villes[5], les déplacements s’intensifient et se font aussi plus durables. À l’été 2012, les différentes organisations humanitaires s’accordent sur le chiffre de 1,5 millions de déplacés. Ces mouvements internes de populations ont lieu essentiellement dans les zones de conflit et une large proportion se fait à l’intérieur des frontières des différentes provinces. Les déplacés ont tendance à s’établir le moins loin possible de leur lieu d’habitation, souvent dans l’espoir d’un retour rapide. Dans la province de Damas campagne, le rayon des déplacements par rapport au lieu d’origine oscille entre 5 et 20 km en moyenne. (UN HABITAT, 06/2014) En juillet 2012, en raison des opérations militaires dans les villes de Zabadani et de Douma en périphérie de Damas, de nombreux habitants ont rejoint des banlieues voisines davantage sécurisées telles que Jaramana, Babbila ou Set Zeinab, qui ont ainsi vu leur population doubler voire tripler en quelques jours. Au nord du pays, alors que l’opposition commence à étendre son contrôle du territoire, les populations ont massivement fui les représailles de l’armée syrienne pour se rendre principalement au sud de la frontière turque où sont implantés de nombreux camps de fortune, notamment dans la région d’Idlib. C’est aussi l’époque où de grandes lignes de fracture sont apparues au sein des forces d’opposition. Les affrontements entre ces dernières ont conduit au déplacement de dizaines de milliers de syriens, notamment au sein des provinces d’Alep, d’Idlib, ainsi que de Raqqa et de Deir ez-Zor.

À compter du printemps 2013, la guerre civile communautaire se transforme peu à peu en guerre de religions. Les groupes djihadistes sunnites syriens et étrangers (EIIL, Djabat al-Nosra…) montent en puissance et s’en prennent délibérément aux minorités religieuses (les chrétiens et les chiites) dans une logique d’épuration ethnique[6]. À ces attaques, ont répondu celles de milices chiites irakiennes et du Hezbollah libanais ainsi que des membres des forces armées chiites iraniennes, venus prêter main forte au gouvernement de Bachar al-Assad. L’intensification des affrontements se traduit par des déplacements menant les populations toujours plus loin de leur foyer, parfois au-delà des frontières de leur province d’origine. La dimension clairement sectaire du conflit pousse les minorités à chercher refuge dans des régions davantage propices à leur sécurité du fait de leur composition ethno-religieuse. Les Kurdes du quartier de Cheikh Maqsoud à Alep ont rejoint la région de Hassakeh sous contrôle kurde, tandis que les chrétiens et les alaouites des régions centrales se sont essentiellement dirigés vers les villes côtières de Tartous et Lattaquié. Ces différents mouvements favorisent, à l’échelle du pays, le regroupement des différentes communautés. L’instabilité des lignes de front, notamment au nord du pays, a conduit à une moyenne de 9500 nouveaux déplacés par jour en 2013. Dans certaines provinces, l’intensité des combats a parfois entraîné de nombreux déplacements successifs. C’est notamment le cas dans les provinces de Deraa et de Quneitra où les déplacements internes sont caractérisés par leur courte durée et leur répétition du fait des perpétuels affrontements.

Les combats se sont encore aggravés depuis le début de l’année 2014, auxquels s’ajoutent depuis mi-septembre les tirs aériens de la coalition arabo-occidentale dans le Nord de la Syrie et de l’Irak. Certains pays voisins, comme le Liban, la Jordanie et l’Egypte, qui ont déjà accueilli un nombre considérable de réfugiés syriens, ont désormais tendance à fermer leurs frontières. L’ampleur de la violence et les difficultés à quitter le pays se traduisent par une recrudescence du nombre de déplacés internes. De nouveaux déplacements massifs ont notamment eu lieu dans la province d’Alep, qui compte le plus grand nombre de déplacés (1,8 millions[7]) avec les provinces de Damas-campagne (1,4 million) et de Idlib (près d’un million, ce qui équivaut à 65% de sa population d’avant la crise). Dans la province d’Alep, les nombreux affrontements autour des villes d’Alep, de Kobané ainsi que de Safira, plus au sud, ont poussé de nombreux syriens à fuir tant au sein de la province qu’au delà de ses frontières. Au cours des seuls mois de janvier et février 2014, les combats et les nombreux bombardements à l’est de la ville ont poussé près de 500 000 civils à rejoindre la zone ouest tenue par l’armée syrienne mais également d’autres territoires plus au nord de la province, tenus par l’opposition comme la ville d’Aazaz, non loin de la frontière turque. Un mouvement de retour des populations vers l’est de la ville s’est toutefois récemment amorcé à la suite de la diminution des bombardements aériens. Dans la province d’Idlib, théâtre de nombreux affrontements entre l’armée syrienne et les insurgés mais également au sein même de l’insurrection, les déplacés sont issus de la province et de gouvernorats proches tels que Hama, Damas campagne, Alep ainsi que Lattaquié. Les provinces de Hassakeh, Deraa, Hama, Homs, Quneitra et Raqqa connaissent essentiellement des déplacements internes à la province. Enfin, les provinces de Lattaquié, Tartous et dans une moindre mesure Sweida, sous contrôle du gouvernement syrien[8] depuis le début du conflit, n’ont pas ou peu été affectées par les combats et bénéficient encore de nombreux services publics. En conséquence, elles ont enregistré un nombre important de syriens venus des provinces touchées par les affrontements. Les 580 000 déplacés dans le gouvernorat de Lattaquié viennent essentiellement de la province d’Idlib et d’Alep. Ce chiffre équivaut à la moitié de la population de la province avant la crise. La province de Tartous accueille environ 200 000 déplacés en provenance des provinces d’Idlib, Hama, Homs, Alep mais également de Raqqa et Deir ez-Zor. Enfin, la province de Sweida héberge aujourd’hui 70 000 déplacés venus des provinces voisines de Deraa et de Damas-campagne. Pour les mêmes raisons, la ville de Damas est également une destination de nombreux déplacés (440 000) notamment venus de Deraa et de Homs.

À l’échelle des provinces, les déplacés s’installent préférentiellement dans les grandes villes. Homs, Qamishli et Hassakeh, Lattaquié et Tartous accueillent environ la moitié de l’ensemble des déplacés de leur gouvernorat respectif. Ce phénomène se vérifie moins dans les provinces de Deir ez-Zor et Raqqa depuis les tirs aériens de la coalition qui ont entrainé des flux massifs en direction des campagnes. (UNSC, 23/11/2014) Globalement, seulement 3 % des personnes déplacées trouvent à s’héberger dans des centres collectifs officiels mis en place par le gouvernement. Les autres sont accueillies par des proches ou bien vivent dans des logements privés aussi longtemps que leurs ressources le leur permettent. Certaines, enfin, s’établissent dans des habitats collectifs improvisés, tantôt dans des écoles, des mosquées ou encore des immeubles inachevés. La majorité vit dans le dénuement et l’insécurité.

L’étendue de ces déplacements ne doit pas seulement être interprétée comme un dommage collatéral du conflit. Ces derniers résultent largement d’une stratégie délibérée des belligérants sur le terrain. L’armée syrienne, par ses bombardements à l’aveugle des quartiers civils tenus par les insurgés, cherche à empêcher l’opposition de se constituer une vie normale dans les zones qu’elle contrôle. En rendant la vie impossible dans ces secteurs et en contraignant les habitants à fuir, le gouvernement syrien attire sur les insurgés le ressentiment de la population qui n’aspire, au bout d’un certain temps, qu’à retrouver la paix. Après plusieurs mois de conflit, la population peut facilement abandonner son soutien à celui qui a la plus juste cause pour lui préférer celui qui est capable de rétablir la sécurité le plus rapidement possible. Par ailleurs, dans les régions dominées par les groupes djihadistes tels que le front al-Nosra ou l’Etat Islamique, les minorités sont systématiquement persécutées et chassées.

Enfin, rares sont ceux qui peuvent retourner dans leur domicile, soit qu’il a été détruit, soit que la sécurité n’a pas été rétablie. En particulier, des mines terrestres et des restes explosifs de guerre rendent la circulation difficile dans toutes les zones où se sont déroulées des conflits. (ACAPS, 08/2014) L’OCHA signalait toutefois en juin 2014 le retour de 120 000[9] personnes dans la province de Hama et de 100 000 dans la province de Homs, désormais largement contrôlées par l’armée syrienne. (OCHA, 06/2014) Des retours significatifs ont également été relevés dans les villes de Hassaké et de Berzé (province de Damas). Une certaine accalmie des combats dans ces zones peut expliquer ces rares retours.

 

 

 

Nombre de personnes déplacées par province (Novembre 2014)

Province Population avant la crise* Nombre de déplacés**
Damas 1 754 000 440 000
Alep 4 867 991 1 800 000
Damas campagne 2 835 900 1 400 000
Homs 1 803 000 490 000
Hama 1 628 000 450 000
Lattaquié 1 008 000 580 000
Idlib 1 501 000 920 000
Hassaké 1 512 000 250 000
Deir ez-Zor 1 239 005 460 000
Tartous 797 000 200 000
Raqqa 944 000 170 000
Deraa 1 027 000 390 000
Sweida 370 000 73 000
Quneitra 90 000 57 000
TOTAL 21 376 869 7 680 000

* Source : UN OCHA

** Source : ACAPS (SNAP)

NB : Les chiffres cités dans le rapport de l’ACAPS sont comparables aux dernières estimations de l’OCHA en date de juin 2014. Les légères variations s’expliquent par l’évolution de la situation sur le terrain entre les deux dates. Toutefois, deux provinces présentent des chiffres très différents et difficiles à mettre en relation. En juin 2014, l’OCHA annonçait 450 000 déplacés dans la province de Tartous et 770 000 pour la province de Damas Campagne. Selon l’ACAPS, l’écart entre les estimations pour ces gouvernorats n’est pas dû à des mouvements massifs de populations ; les estimations citées par l’ACAPS seraient simplement de meilleure qualité et de nature à corriger celle de l’OCHA. Ces variations dans les chiffres témoignent de la difficulté de la collecte des données sur le terrain et de l’incertitude des différentes estimations.

Lucile Housseau, 27/02/2015

 

Bibliographie

 

ACAPS (SNAP), 01/2015, Regional analysis, Syria october-december 2014

ACAPS (SNAP), 01/2015, Regional analysis, Syria october-december 2014, governorate profiles

ACAPS (SNAP), 08/2014, Explosive remnants of war and landmines

Courbage Y., 15/10/2012, « Ce que la démographie nous dit du conflit syrien », Slate.fr

Daou M., 24/03/2014, « Syrie : le village arménien de Kassab, victime « d’une épuration éthnique », france24.com

Internal Displacement Monitoring Center & Norwegian Refugee Council, 10/2014, SYRIA :Forsaken IDPs adrift inside a fragmenting state

Phillips M. et Starup K., 09/2014, « Les difficultés de protection posées par la mobilité », Migrations forcées, N° 47

Ruiz de Elvira Carrascal L., 2013, « Refugiés, déplacés et aide humanitaire : l’autre face du conflit syrien », Moyen Orient, n°19

UN HABITAT, 06/2014, Reif Damascus, shelter profile

UN OCHA, 06/2014, Syrian Arab Republic, Governorate profile

 

__________________________________________________________

[1] http://www.unocha.org/syria

[2] La population syrienne était estimée à environ 21,6 millions d’habitants avant la crise. Voir Youssef Courbage, 15/10/2012, « Ce que la démographie nous dit du conflit syrien », Slate.fr Disponible sur : http://www.slate.fr/story/62969/syrie-guerre-demographie-minorites

[3] Les données acualisées sont disponibles sur le site du HCR à l’adresse suivante : http://data.unhcr.org/syrianrefugees/regional.php

[4] Le terme d’ « insurrection » est un terme militaire sans connotation partisane et utilisé comme tel dans ce texte.

[5] Essentiellement dans les périphéries défavorisées peuplées de populations arabes sunnites

[6] Les insurgés islamistes dirigés par al-Nosra ont notamment attaqué le village arménien de Kassab. Voir Daou M., « Syrie : le village arménien de Kassab, victime « d’une épuration éthnique », france24.com, 24/03/2014, disponible à l’adresse : http://www.france24.com/fr/20140324-syrie-village-armenien-kassabepuration-ethnique-assad/

[7] Sauf mention contraire, les estimations du nombre de déplacés rapportées dans ce texte sont extraites du dernier rapport de l’ACAPS (SNAP), partenaire de l’ONU, et correspondent à la situation en novembre 2014. Ces chiffres sont le fruit d’un travail de vérification et de mise à jour des données (sources primaires et secondaires) réalisé par de nombreux acteurs humanitaires et spécialistes.  Voir : ACAPS (SNAP), 01/2015, Regional analysis, Syria october-december 2014, governorate profiles

[8] « Le gouvernement syrien » désigne dans le présent texte le gouvernement de Bachar al-Assad. Si la France reconnaît la Coalition Nationale Syrienne « comme la seule représentante du peuple syrien et donc comme le futur gouvernement provisoire de la Syrie démocratique » (Déclaration de F. Hollande le 13 novembre 2012), le siège de la Syrie à l’Assemblée générale de l’ONU est toujours occupé par le gouvernement de Bachar al-Assad.

[9] Les informations concernant les retours ne distinguent pas entre anciens réfugiés et anciens déplacés. Les chiffres rapportés ici incluent indifféremment les deux types de population.

Quatre années de conflit en Syrie : un désastre humanitaire

Lundi 16 mars 2015 – 9h-18h

Grand Amphi de l’Université Lyon 2

18 quai Claude Bernard, 69007 Lyon

Colloque organisé par le GREMMO (Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), laboratoire CNRS – Université Lyon 2

235283_vignette_Point-d-eau-1235301_vignette_Zaatari-vue-Cette conférence « 4 années de crise en Syrie : un désastre humanitaire » s’inscrit dans une série de rencontres scientifiques sur le thème : « Le Proche-Orient et la crise syrienne ». Depuis quatre ans nous avons analysé les causes et le processus de la crise syrienne. Le gouvernement syrien est resté en place mais une partie du territoire est toujours sous le contrôle des rebelles.

Depuis les évènements de Deraa, en mars 2011, la Syrie est entrée dans une crise profonde. Le nombre de victimes dépasse les 200,000, plus de 4 millions de Syriens ont fui le pays et 7 millions sont des déplacés internes, soit près de la moitié de la population syrienne. Les combats font rages entre l’armée syrienne et les rebelles, mais également entre les rebelles eux-mêmes, puisque le Front Al Nosra et l’Etat Islamique tentent de s’imposer au sein de l’opposition armée. La moitié du pays se trouve dans une profonde insécurité et dans le dénuement.

Le 1er décembre 2014, le Programme Mondial pour l’Alimentation a annoncé qu’il ne pouvait fournir de la nourriture à 1,7 millions de réfugiés syriens installés dans les pays voisins et que ses aides aux populations déplacées en Syrie allaient s’interrompre le 1 février 2015. Un don de l’Union Européenne et des dons privés ont permis in extremis de rétablir les distributions de nourriture, sans quoi une explosion sociale était à craindre au Liban, en Jordanie et en Irak.

La crise syrienne dure et le flot de réfugiés continue d’augmenter, car rares sont ceux qui peuvent retourner dans leur domicile, soit qu’il a été détruit ou que la sécurité n’a pas été rétablie. Des centaines de milliers, voire des millions, de réfugiés sont donc bloqués dans les pays voisins. Ils dépendent de l’aide internationale pour leur survie, car les possibilités d’intégration sur un marché du travail saturé ou protégé sont minimes. Or, la multiplication des crises humanitaires dans le monde et une certaine lassitude à l’égard de la crise syrienne réduit l’aide financière alors que les besoins sont croissants.

En l’absence de solution diplomatique ou militaire en vue, la crise syrienne continuera. Les crises de réfugiés vont donc augmenter aussi, avec le Liban comme destination privilégiée pour de nombreux réfugiés en raison de l’accès privilégié accordé aux ressortissants syriens. La situation sécuritaire du Liban va probablement se détériorer davantage, du fait du flux de réfugiés et de l’implication des partis libanais dans la crise.

L’objet de la conférence sera de faire le point sur la situation humanitaire après quatre années de crise et d’établir quelques scénarios pour le futur.

Contacts :

Fabrice Balanche (Maître de conférences – GREMMO -Université Lyon 2) : Téléphone : 06 44 79 84 75

fabrice.balanche@mom.fr

Marie Christine Michel (Gestionnaire GREMMO) :

Téléphone : 04 72 71 58 45

marie-christine.michel@mom.fr

Lucile Housseau (Stagiaire chargée de l’organisation du colloque)

Téléphone : 06 64 87 62 97

lucile.housseau@gmail.com

Beyrouth entre mondialisation et crise syrienne

GéosphèreTélécharger le numéro :

Fw Géosphères – vol 33-34 (PDF)

Ce numéro spécial de géosphère (Annales Géographie, Vol 33-34, 2012-2013)contient les actes de la table ronde “Beyrouth, entre mondialisation et crise syrienne”, qui s’est tenue le 23 octobre 2013 à l’Université Saint Joseph à Beyrouth. Il clôture le programme franco-libanais Cèdre (2011-2013) mené par Liliane Buccianti-Barakat (Université Saint Joseph) et Fabrice Balanche (Université Lyon 2).

Le but de cette journée d’étude est de faire la synthèse entre les problématiques liées à l’intégration de Beyrouth dans la mondialisation et les conséquences de la crise syrienne. Cette journée s’organise autour de deux thématiques : les processus d’intégration de Beyrouth dans la mondialisation et leurs conséquences sur l’espace urbain.

Depuis 20 ans quel bilan peut-on faire de la reconstruction de Beyrouth. La ville possède-t-elle les infrastructures publiques et privées capables d’en faire un pôle de l’économie mondialisée ?

Les conséquences de la crise syrienne sur le développement de Beyrouth. Comment les acteurs économiques réagissent-ils face à la crise syrienne ? Les chantiers immobiliers ont-ils ralenti ? La place financière de Beyrouth est-elle toujours aussi prisée ? Comment les activités économiques globalisées s’adaptent-elles à la situation ?

Sommaire

Fabrice BALANCHE et Liliane BUCCIANTI-BARAKAT                                                           1

La métropole de Beyrouth et la mondialisation : entre modernisation à l’européenne et modèle du Golfe (introduction)

Simon POCHET                                                                                                                                 9

Bilan et perspectives de recherche. Métropoles et mondialisation : la diversification des centralités commerciales de Beyrouth

Nizar HARIRI, Nai CHOUEIRI, Myriam HAJJAR et Sarjoun MOUSSA                               23

Beyrouth comme ville polycentrique et fragmentée : les Souks du centre-ville et l’ABC d’Achrafieh

Éric VERDEIL                                                                                                                                  35

Les services urbains à Beyrouth : entre crise infrastructurelle et réformes contestées

Liliane BARAKAT                                                                                                                           59

Les aires commerciales : nouveaux espaces publics beyrouthins

Fabrice BALANCHE et Liliane BUCCIANTI-BARAKAT                                                          73

Beyrouth entre mondialisation et crise syrienne

Fabrice BALANCHE                                                                                                                        75

Le Liban entre mondialisation indirecte et crise syrienne

Nizar HARIRI                                                                                                                                  85

Le désengagement de l’État libanais face à l’urgence de la crise syrienne

Liliane BUCCIANTI-BARAKAT                                                                                                   97

Les retombées du conflit syrien sur le tourisme au Liban

 

Le Moyen-Orient à l’heure du Golfe : compte rendu et enregistrement

LE MOYEN-ORIENT A L’HEURE DU GOLFE

Lundi 3 et mardi 4 novembre 2014

Colloque organisé par le GREMMO (CNRS-Lyon2 et IEP de Lyon) et l’IEP de Grenoble

Ce colloque se propose de réfléchir aux relations qu’entretiennent les pays arabes de la Méditerranée orientale (Egypte, Syrie, Liban, Jordanie, Palestine), mais aussi la Turquie, et les puissances du Golfe (Iran et Conseil de Coopération du Golfe, voire l’Irak) à travers les aspects économiques et politiques, confessionnels et culturels. Une importance particulière est accordée aux conséquences de cette influence sur les mutations et les crises actuelles dans les pays de la Méditerranée orientale (Egypte, Syrie, Jordanie, Liban).

L’enregistrement audio-visuel du colloque est disponible sur le site de Lyon 2

http://www.univ-lyon2.fr/culture-savoirs/podcasts/podcast-le-moyen-orient-a-l-heure-du-golfe-colloque-international-600310.kjsp?RH=WWW_FR

Deux émissions « Géopolitiques, le débat » de Marie France Chatin, journaliste à RFI ont été enregistrées à cette occasion :

http://www.rfi.fr/emission/20141109-le-moyen-orient-heure-golfe/

http://www.rfi.fr/emission/20141115-etats-unis-obama-republicains-moyen-orient/

Le compte rendu des séances ci-dessous a été réalisé par les étudiants du Master CODEMO de Sciences Po Lyon.

 

Séance 1 : Quelles sont les stratégies des pays du Golfe à l’égard du Moyen-Orient et comment sont-elles mises en œuvre ? (CR de Nemo Lieutier et Olivier de Trogoff)

Plus de trois ans après le début des révoltes arabes, l’avenir politique, social et stratégique du Proche et Moyen-Orient semble encore bien incertain. Tandis que l’évolution démocratique annoncée n’a pas été uniformément établie, de nouvelles alliances se sont formées, sous couvertes d’un réalignement des intérêts régionaux. Dans ce cadre, cette première séance vise à éclaircir le rôle du Golfe, dont l’ombre tutélaire est un déterminant de l’évolution des problématiques régionales actuelles. Il s’agira de démêler les déterminants et les capacités d’influence du Golfe et de ses géants.

 

Jamal Abdullah, Chercheur, Al Jeziraa Center, Doha

La Politique Etrangère de l’Etat du Qatar sous Sheikh Tamim : Influence ou Médiation ?

Le 25 juin 2013, Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani succède à son père à la tête du Qatar et amorce une réorientation de sa politique extérieure.

Depuis 1995, date de l’accession au pouvoir de Hamad ben Khalifa al-Thani, le Qatar a fait le choix d’une alliance avec les pouvoirs occidentaux et d’une politique étrangère de médiation et d’ouverture basée sur le principe de neutralité. Toutefois avec le début des révoltes arabes à la fin de l’année 2010, un changement notable s’opère dans la politique extérieure de l’émirat qui entend alors exercer une plus grande influence, régionale et internationale, en profitant du vide laissé par les autres acteurs régionaux occupés avec leurs affaires internes. Ce nouvel interventionnisme s’est traduit dès 2011 par la participation au côté de l’OTAN à l’opération en Libye et par un généreux soutien aux rebelles syriens. Théoriquement, nous pouvons dire que le Qatar est passé du soft power au hard power dans la sphère de sa politique extérieure.

C’est dans ce contexte que l’arrivée au pouvoir du Sheikh Tamim marque une nouvelle phase dans la politique étrangère : le smart power qui tente de conjuguer soft et hard power. Dans cette optique, le Qatar offre son soutien depuis 2011 aux représentants de l’Islam politique, notamment les Frères Musulmans, qui s’imposent comme les forces politiques de la région. Cet engagement représente l’avènement d’une politique étrangère réaliste qui cherche un intérêt pragmatique à soutenir les nouveaux acteurs forts de la région.

Les dernières décennies témoignent ainsi d’une évolution de la politique étrangère du Qatar, au fil des différents dirigeants qui se succédèrent à la tête de l’émirat. Après être passé par la neutralité et par l’interventionnisme, le Qatar tente aujourd’hui de concilier son rôle de médiateur à sa volonté de s’imposer sur la scène régionale.

 

David Rigoulet-Roze, Chercheur, Institut Français d’Analyse Stratégique, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe. MEDEA (Bruxelles).

Les conséquences du problème de la succession en Arabie Saoudite sur le fonctionnement interne du pays et ses incidences sur sa politique étrangère.

L’Arabie Saoudite est un Etat dynastique au sens strict, la succession s’y fait par ordre de primogéniture. Depuis la mort du roi fondateur en 1953 les descendants se succèdent selon une transmission horizontale, entre les fils ainés du roi fondateur. Ce système est aujourd’hui dysfonctionnel car il fait accéder au trône des rois très âgés et conduit à la constitution de clans qui impactent négativement le fonctionnement interne du régime et sa politique externe.

Dans l’optique de faciliter la succession au trône, le Conseil d’allégeance fut créé en 2006. Selon la loi fondamentale saoudienne de 1992 la désignation de la succession devait se faire selon un consensus entre les différentes familles dynastiques. Certaines familles étant plus influentes que d’autres, cela conduit mécaniquement à la formation de clans, le plus important étant le clan des sept. Le Conseil d’allégeance tente de limiter l’influence de ces derniers et  d’éviter que des rois trop âgés n’accèdent au trône.

Malgré ces tentatives pour faciliter la succession, le Royaume doit désormais compter avec des sous- clans qui ajoutent à la complexité des relations entre les différentes familles dynastiques. La création, cette année,  par le roi Abdallah d’un poste de vice prince héritier suscita une forte opposition accompagnée d’une marginalisation du Prince Sultan. A la tête des services secrets Saoudiens, ce dernier joue pourtant un rôle déterminant dans la politique extérieure du Royaume, tout particulièrement sur les théâtres syrien et irakien. Il faut aussi ajouter à ces difficultés une interpénétration des réseaux tribaux. Le roi Abdallah est d’ascendance Chamar, tout comme Ahmad Jabra, président de la Coalition Nationale Syrienne. Ces liens tribaux peuvent avoir une influence très importante sur la politique étrangère du Royaume.

Au regard de cette multiplicité de réseaux et de clans, et de leur impact actuel sur la politique étrangère de l’Arabie Saoudite, il est légitime de s’interroger sur les modalités futures de la succession du roi du roi Abdallah.

 

Lucas Oesch, Post-doctorant, Université Lyon 2, GREMMO 

Le Golfe et les migrants du Proche-Orient.

L’étude porte sur les champs migratoires provenant de la Syrie vers les pays du Golfe et le Liban, avant et après l’explosion de la crise syrienne.

Le Moyen-Orient est un espace de migration très important. Dans cet espace, le Golfe est devenu un véritable pôle d’attraction des migrations régionales, principalement liées au travail. Les travailleurs en provenance de la région ont été longtemps privilégiés, avant d’être progressivement remplacés par la main d’œuvre asiatique, à partir des années 1990.

Après l’immigration du travail, l’immigration forcée est la deuxième grande catégorie de migration au Moyen-Orient, ces deux catégories étant bien entendu étroitement liées. Ainsi, le Golfe a accueilli de nombreux réfugiés palestiniens dans les années 1950, et plus récemment des réfugiés syriens. Les migrants représentent aujourd’hui une grande partie des populations vivant dans le Golfe, entre 1/3 et 4/5 des populations, mais l’accès à la nationalité et à des postes à responsabilité est souvent réservé aux nationaux de ces pays. L’augmentation des prix du pétrole et des revenus pétroliers dans les années 1970 a permis aux pays du Golfe d’investir massivement dans le développement des différents secteurs de l’économie, ainsi que dans la modernisation des infrastructures. On voit alors l’apparition de sociétés dualistes, composées des travailleurs étrangers d’une part et des nationaux d’autre part. Ces deux composantes sont séparées en fait et en droit et vivent relativement à l’écart l’une de l’autre.

On peut schématiquement diviser les travailleurs syriens du Golfe en deux groupes. Le premier groupe est composé de travailleurs qualifiés qui vivent dans le Golfe avec leurs familles, envoient de l’argent à leur famille et reviennent parfois en Syrie, pour les vacances. La deuxième catégorie est composée de travailleurs célibataires qui restent moins longtemps et qui travaillent pour investir dans un terrain, un logement ou un commerce en Syrie. Il s’agit ici de migrations circulaires. La plupart du temps, les migrants économisent pour pouvoir rentrer en Syrie et y investir ensuite. Le régime syrien avait tenté de limiter l’émigration des travailleurs, mais depuis la crise syrienne, les flux migratoires en provenance de Syrie se sont multipliés. Le Liban est ainsi devenu le principal pays hôte des réfugiés syriens. En raison de la proximité des deux pays et de la libre circulation des travailleurs, l’entrée ne nécessite pas en effet de visa. Le Liban ne parvient donc pas à réguler les flux migratoires, contrairement aux pays du Golfe, qui ont efficacement mis en œuvre les systèmes de visa et de sponsoring.

Pour conclure, Le Liban et les pays du Golfe ont adopté des politiques migratoires très différentes depuis le début de la crise syrienne. Dès 2011, les pays du Golfe ont limité l’immigration de réfugiés syriens, tandis que le Liban a laissé ses portes grandes ouvertes.

 

Haoues Taguia, Chercheur, Al Jeziraa Center Doha 

Arabie Saoudite – Iran : enterrer la hache de guerre ? 

On peut dire qu’aujourd’hui plusieurs menaces pèsent sur l’Iran et l’Arabie Saoudite. Il s’agit ici de voir comment ces deux pays perçoivent ces menaces et comment ils réagissent. La montée de l’Etat Islamique peut-elle pousser les deux pays à enterrer la hache de guerre et à mettre fin à une période de guerre froide ? Les conditions d’une entente sont-elles aujourd’hui favorables ?

Les menaces sont perçues de façons très différentes. Ainsi pour l’Arabie Saoudite, l’Etat Islamique a l’avantage de casser le fameux arc chiite. L’Iran est donc beaucoup plus menacé par le terrorisme que l’Arabie Saoudite qui est parvenue à le repousser au Yémen. Cela remet en question l’influence iranienne en Irak et isole un peu plus le Hezbollah libanais. Cette situation pousse la République Islamique à faire des concessions. D’un autre côté la montée de l’Etat Islamique délégitime les mouvements armés sunnites, en Syrie ou en Irak qui apparaissent comme ses satellites. Les pays occidentaux, et en premier lieu les Etats Unis cherchent donc à se rapprocher de Bachar al Assad et de l’Iran, ce qui se révèle être finalement une grande opportunité pour le pouvoir iranien puisque cela affaiblirait l’influence saoudienne dans la région.

Le premier intérêt pour l’Arabie Saoudite est que l’Iran reste isolé, cela lui permet de plus de mieux vendre son pétrole, car l’Iran est encore soumis aujourd’hui aux sanctions de la communauté internationale. Pour les Iraniens, accepter une entente avec l’Arabie Saoudite reviendrait à remettre en cause la légitimité du Guide suprême iranien, qui se considère comme le chef universel des musulmans. Or, le roi saoudien fait lui aussi valoir sa légitimité religieuse qu’il voudrait universelle, tout comme le Guide suprême. Ces considérations religieuses éloignent la perspective d’un accord entre la monarchie sunnite saoudienne et les autorités chiites iraniennes.

Plusieurs Etats, tels que la Syrie et l’Irak, ont perdu le monopole de la violence légitime.  Les acteurs non étatique prolifèrent et l’Etat n’exerce plus son autorité sur l’ensemble du territoire Des Etats fragmentés ou fédéraux vont faire leur apparition, au détriment des Etats nations traditionnels. Les dynamiques conflictuelles autour de l’Iran et de l’Arabie Saoudite sont donc de plus en plus nombreuses, ce qui rend improbable un rapprochement entre les deux puissances régionales.

 

Séance 2 : Les paradigmes des révoltes au Moyen-Orient

La déstabilisation des pays du Moyen-Orient a plusieurs causes internes et externes. Il ne faut pas négliger le conflit israélo-arabe bien sûr, mais le sujet ayant été abondamment traité, il convient de s’intéresser à la résultante des objectifs et des modes d’action de l’Iran et du CCG au Proche-Orient arabe. Qu’est-ce qui est commun aux différents pays, qu’est-ce qui est spécifique ? Quels sont les paradigmes des révoltes ? Les explications ne font pas consensus. Le qualificatif de guerre civile en Syrie n’est pas accepté par tous les chercheurs, le caractère « communautaire » du conflit l’est encore moins. Mais c’est précisément ce qui nous intéresse et qui nous permettra d’avancer dans la compréhension de cette crise en ouvrant un débat entre chercheurs sur les causes des crises, les éléments qui la rattachent aux autres mouvements du monde arabe et ceux qui la rendent spécifiques. On peut distinguer trois paradigmes explicatifs, souvent opposés :

– L’échec d’une trajectoire de développement et la remise en question des pratiques de l’Etat

– La résurgence ou la permanence du communautarisme

– La place particulière de la région dans la géopolitique mondiale

Eliott Ducharme, étudiant en master, Lyon 2, sous la direction d’Eric Verdeil

L’impact  de la crise syrienne en Jordanie

Quel est l’impact de la crise syrienne en Jordanie ? Dans quelle mesure pèse-t-elle sur les ressources en eau du pays, dont l’importance est corrélée à sa rareté ? L’afflux des réfugiés ces trois dernières années a provoqué des crispations au sein de l’opinion publique jordanienne. Ces crispations entravent grandement l’action humanitaire dirigée vers les réfugiés syriens. D’un autre côté, ceux-ci apportent une manne financière considérable pour le gouvernement jordanien.

Le système de distribution de l’eau en Jordanie est dépendant de l’aide étrangère. Il est financé par les banques de développement, l’USAID, l’AFD, etc. Or, le réseau connaît des dysfonctionnements majeurs : une distribution intermittente (le territoire est coupé en plusieurs zones, chacune d’entre elle reçoit de l’eau quelques heures par jour) ; de fortes inégalités territoriales entre les zones desservies ; un matériel vétuste ; des branchements illégaux et des factures impayés. Face à ces carences, l’argument principal des bailleurs de fond, à l’instar du FMI, reste celui de l’ajustement structurel. La Jordanie a donc été contrainte de mettre en place des politiques néolibérales, ce qui s’est surtout traduit par une réforme tarifaire, c’est à dire faire supporter le coût de la distribution davantage par les usagers que par l’administration. Cette réforme a suscité de forts mécontentements et n’a pas produit l’efficience attendue. Le gouvernement jordanien a fini par geler les réformes et est entré en blocage avec les partenaires occidentaux et les bailleurs de fond.

La crise syrienne et l’afflux de réfugiés donne au royaume hachémite l’occasion de rebondir. En effet, 80% des réfugiés recensés au Haut Comité pour les Réfugiés (HCR) vivent en dehors des camps, et 80% d’entre eux bénéficient de l’eau subventionnée. En arguant du poids que font peser les réfugiés sur les ressources du pays, la Jordanie en appelle à l’aide internationale. Toutefois, dans le National Resilience Plan, élaboré par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), les bailleurs de fonds s’interrogent sur une ambiguïté de l’aide internationale : qu’est-ce qui relève de l’Aide Publique au Développement (APD) dont la Jordanie bénéficie depuis longtemps, et qu’est-ce qui est du ressort de l’aide humanitaire d’urgence déployée pour répondre aux besoins des réfugiés syriens en Jordanie ? Cette différenciation est directement liée à la question de l’efficacité de l’aide. L’objectif du PNUD et du gouvernement jordanien est de mettre en place des politiques dites de résilience, afin que le pays sorte de la situation de crise dans une meilleure condition que celle dans laquelle il se trouvait lorsqu’il y est entré. Mais ce traitement différencié suscite colère et sentiment d’injustice parmi la population jordanienne. Selon une étude du programme Reach, 24% des Jordaniens ont une vision négative des Syriens, accusés de gaspillage de l’aide  financière internationale. Dans la région du Mafraq ont éclaté des Water Riot. Les élus, tout comme l’administration, sont en réalité coincés entre la pression des Jordaniens et celles provenant des bailleurs. Une partie de la population jordanienne ressent un fort sentiment d’abandon.

Haoues Seniguer, Docteur en sciences politiques, chargé de cours à l’IEP de Lyon

Le discours de quelques figures religieuses chiites et sunnites au prisme des révoltes arabes

Les figures religieuses s’inscrivent par des mots et dans des contextes. Leurs discours sur la crise syrienne également. La guerre en Syrie semble en effet être l’exemple le plus récent d’un processus de confessionnalisation d’un conflit armé. Or, plus les conflits s’enlisent, plus les acteurs se montrent schématiques et exclusifs dans leurs discours. Plus la solution politique s’éloigne et plus la frontière entre politique et religieux semble se rétrécir. Comment peut-on appréhender les vecteurs de la confessionnalisation? Il convient à tout prix d’éviter l’essentialisme et de garder à l’esprit le caractère contextuel, donc forcément conjoncturel des discours que les figures religieuses tiennent sur le conflit syrien.

Nous pouvons dès lors formuler trois hypothèses qui structurent notre interrogation:

–             Les effets de contexte sont déterminants dans la production de discours confessionnalisants. L’animosité chiites-sunnites n’est ni systématique ni évidente selon les espaces sociaux et les époques. Elle ne répond pas aux expériences historiques et sociales. Ainsi, les sunnites et les chiites n’ont pas été toujours en guerre. Ils ont pu parfois faire alliance, en Irak notamment contre le mandat britannique de l’entre-deux guerres.

–             Le confessionnalisme est réactivé dans les discours par la mobilisation des expériences de division.

–             Les clercs chiites confessionnalisent moins le discours que leurs homologues sunnites. L’agenda nationaliste est plus fort chez les chiites.

Il est intéressant de constater que la rhétorique confessionnelle est plus présente chez les théologiens des Frères Musulmans (FM) que chez les clercs chiites. Ainsi, l’intervention du Hezbollah est présentée comme le résultat d’une proximité envers l’alaouisme de Bachar al-Assad. Or l’alaouisme est considéré par tant du côté des théologiens sunnites que des clercs chiites comme une hétérodoxie sinon une hérésie. Ce n’est donc pas par proximité religieuse que le Hezbollah s’est engagé en Syrie, sinon comment expliquer qu’il ne soit pas allé prêter main forte au régime de Bachar al-Assad avant 2013 ? Par ailleurs, Ali Khamenei, dans un prêche tenu en arabe le 3 février 2011, rend hommage à plusieurs figures appréciées dans le monde sunnite, notamment Hassan Banna, fondateur des FM, et à Saad Zaghloul, un esprit consensuel reconnu par les chiites comme par les sunnites. Dans les premiers temps des révoltes arabes, on a pu constater un discours unanime pour dénoncer les anciennes dictatures de l’Egypte, de la Tunisie et de la Libye. Ali Khamenei a pu ainsi déclarer que ces révoltes présentaient un caractère a-confessionnel, comme matérialisation d’une Sahwa Islamiyya (« réveil islamique »). L’emploi de ce terme, que l’on rencontre plutôt dans la rhétorique sunnite, par l’une des figures les plus écoutées parmi les chiites peut être interprétée comme une tentative de rapprochement.  C’est à partir de la crise syrienne que les discours des uns et des autres évoluent dans un premier temps, et finissent par se radicaliser.

Devenir un acteur majeur dans le Moyen-Orient revêt un potentiel symbolique. L’action du Qatar peut être interprétée comme une recherche d’un nouveau statut symbolique. Les conflits irriguent les relations internationales, et l’on ne peut penser le discours des acteurs sociaux sans tenir compte du contexte dans lequel ils évoluent : Youssouf al-Qaradawi, prédicateur d’origine égyptienne et proche de la diplomatie qatarie, est une figure très écoutée parmi les populations sunnites du Moyen-Orient. En 2014, il a réactualisé une fatwa provenant d’Ibn Tawmiyya qui condamne les alaouites comme « plus mécréants que les juifs et les chrétiens ». En outre, il a pu déclarer ces derniers mois sur al-Jazeera que  Bachar n’est plus un lion (« al-Assad » en arabe) mais un rat (« al-Far ») ; ou bien que Le Hezbollah libanais n’est plus le « parti de Dieu » mais Hezb el-Sheitan, le « parti du diable ». La stratégie de délégitimation adoptée par al-Qaradawi se situe avant tout sur le plan religieux. Il s’agit de détruire la figure religieuse de celui qui est considéré comme l’adversaire, en l’occurrence le régime syrien et son allié, le Hezbollah libanais.

En revanche, son leader Hassan Nasrallah va moins loin dans la stigmatisation des sunnites. Il parle en terme généraux de majmu’at takfiriyyat (takfiristes, « organisations qui excommunient »), et jette ainsi la responsabilité de l’excommunication sur certains groupes sunnites sans jamais mentionner qu’ils sont sunnites. La place du secrétaire général du Hezbollah, parti politique impliqué dans les institutions nationales libanaises, le contraint à nuancer son discours. Il ne veut ni ne peut s’aliéner une partie des soutiens potentiels dans les  communautés sunnites au sein de son propre pays, mais aussi dans la région. Nasrallah, dans un discours télévisé en 2013, justifie son intervention en Syrie par des raisons logistiques et politiques, car si les takfiristes arrivent au pouvoir en Syrie, le véritable gagnant en sera Israël. Le discours de Nasrallah, s’il n’occulte pas entièrement la dimension religieuse, se situe clairement dans une dimension nationale et politique.

 

Jérôme Maucourrant, Maître de conférences, Université de Saint Etienne, Triangle

Comment sortir de la vision communautariste du conflit syrien ?

La question mérite d’être abordée d’un point de vue comparatiste, en l’occurrence avec l’histoire européenne. En 1914, Thomas Mann écrit que la démocratie ne saurait convenir à l’Allemagne, dont le peuple se pense comme peuple mondial de l’esprit. Il s’agit de la théorie de la souveraineté universelle, forgée par l’anthropologue Louis Dumont. Ce n’est pas le califat global mais nous nous en approchons.

Marx met en garde contre la dérive empiriste des politologues. « Si l’apparence des choses et leur essence était une seule et même chose, il n’y aurait pas de sens ». Il convient donc, comme nous l’avons vu avec M. Seniguer, de faire la distinction entre l’ordre de la vérité des choses et l’ordre de la vérité des discours.

La nature profonde du conflit syrien serait de nature communautaire. Les forces dominantes, les acteurs comme les observateurs ne cessent de le clamer. Ainsi, dans les années 1980, Michel Seurat postulait que l’orthodoxie des discours transcende les conflits en cours. En 2014, on réédite Michel Seurat et il est déclaré avoir eu raison. Il se situe ici dans une perspective post-Kaldounienne, du nom du penseur Ibn Kaldun qui est à l’origine du concept de ‘Assabiyya.

Il convient de revenir sur le terme de « révolution », sur toutes les lèvres lors des premières manifestations pacifiques de 2011. La révolution réside en l’émancipation des schémas de domination traditionnelle hérités du passé. La France révolutionnaire a rompu les liens de domination qui existaient sous l’ancien contrat social. Dans cette perspective, l’autoritarisme dont a fait preuve le régime syrien face aux premières manifestations est à la mesure de leurs capacités de transformation. En effet, la Syrie a connu d’intenses intenses mutations sociales ces dernières années,  qui ont mis à mal le pacte d’obéissance. La stagnation économique a été en partie responsable du phénomène des diplômé-chômeurs, engendrant de la frustration dans des catégories sociales capables d’identifier des besoins, de formuler des mots d’ordre et de se mobiliser.

Dans la compréhension communautariste du conflit, on s’attarde peu sur la réalité des morts de masse et son impact sur la psychologie collective. Il s’agit en réalité de la mort du social et des capacités de transformations dont a fait preuve la société syrienne en 2011. L’énergie révolutionnaire a été détournée, et les analyses communautaristes laissent de côté cette problématique-là. Le conflit syrien est a ranger sur l’étagère des révolutions ratées et de la peur des masses. L’économiste hongrois Karl Polanyi a expliqué pour l’Allemagne nazie le passage du consentement de la population à une révolution au consentement à un régime autoritaire.  La véritable force du régime syrien est d’avoir fait en sorte que les masses se dépossèdent elles-mêmes du pouvoir.

 

Karim Zouach, Maître de conférences, Université de Saint Etienne, GATTE

L’impact de la libéralisation sur le « processus de transition » en Syrie et en Algérie

Derrière les débats géopolitiques, sociaux et culturels, des enjeux économiques existent. Les révoltes qui secouent le Moyen-Orient révèlent aussi la faillite d’un certain modèle économique. Le socialisme à l’arabe, créé après les indépendances, connaissait déjà quelques difficultés. Le FMI et son aide conditionnée à la mise en place de réformes structurelles a abouti à la destruction du vieux tissu industriel et à l’émergence d’économies de rentes en faveur des classes dirigeantes.

En effet de libéralisation et de développement, la région a connu un statut quo. Revenons sur le processus dit de « libéralisation » des économies arabes socialistes : en Syrie et en Irak, l’objectif du modèle économique du parti Baath était d’assurer l’indépendance économique en favorisant le contrôle étatique des activités. La coordination était assurée par la planification. L’État intervenait non seulement dans le secteur industriel mais également dans le système financier. En d’autres termes, l’État détenait les fonds destinés à l’économie. Ainsi il en allait de même en Algérie : depuis 1976 et le National Plan, la rente pétrolière a financé le plan industriel. Ce dispositif a rapidement montré ses limites puisque dans les années 1980, à la suite d’une chute des prix du baril, l’économie de rente s’est avérée inapte à financer le plan. En résulte une dégradation des termes de l’échange pour l’Algérie et une augmentation du chômage, ce qui a contraint le pays à libéraliser son marché.

En Syrie et en Irak, l’économie sociale et planifiée a été soumise elle aussi à une lente libéralisation. Depuis les années 1980, l’économie ba’athiste est déclarée comme « marché social », ce qui permet l’action d’acteurs privés dans l’économie. Un pas supplémentaire est franchi en 2005 par Bachar al-Assad qui « libéralise » le marché en l’ouvrant aux investisseurs internationaux. Cela passe par la libéralisation des banques et des institutions financières, et à la fin des monopoles d’Etat.

Quels ont été les résultants des politiques de libéralisation ? Les travaux de MM. Belarbi et Zouache ont montré qu’il n’y avait pas eu d’apparition de nouveaux entrepreneurs, mais un recyclage des proches du régime. De plus, dans le domaine financier, l’État a largement repris la main.

En Syrie, les textes de lois se sont avéré être des coquilles vides. Le Conseil de la monnaie et du crédit, instance comparable à une banque centrale mise en place en 2005, a été noyautée et doit rendre des comptes au ministère de l’économie. Dans le même temps, le pays connaît une intense désindustrialisation sous l’impulsion des réformes. De nouveaux acteurs ont certes fait leur apparition mais il s’agit en grande partie de rentiers, qui se montrent peu productifs. Ils sont présents dans des secteurs-clés de l’économie, comme les télécoms. Ces entrepreneurs sont des proches du régime, physiquement, ou par le truchement de lobbies. L’apparition de ces nouveaux acteurs a en outre complexifié le jeu politique tout en en renforçant ses branches conservatrices.

Les ajustements structurels n’ont pas créé de véritable économie de marché. Ils ont contribué à la destruction des compagnies publiques mais pour créer en parallèle des secteurs rentiers, qui à leur tour favorisent des comportements oisifs. La frustration sociale générée par de tels bouleversements peut constituer un élément explicatif des révoltes qui agitent le Moyen-Orient.

Séance 3 : Quelles nouvelles perspectives énergétiques et  quelles recompositions possibles de la rente pétrolière ? (CR d’Oliver de Trogoff et Ibtissem Guettou)

Quelles sont les perspectives énergétiques au Moyen-Orient ? Certains pays pourront-ils passer de la rente indirecte à la rente directe grâce aux gisements en Méditerranée orientale ? Quelles conséquences pour la relation entre le Golfe et le Proche-Orient ? Les gaz de schiste en Jordanie peuvent-ils sortir ce pays de la dépendance ? Quel est l’avenir des gisements d’hydrocarbures du Golfe ?

La découverte de gisements pétroliers et gaziers en Méditerranée a-t-elle le potentiel de remettre en cause les relations de dépendance des pays du Levant par rapport à ceux du Golfe ? Pourrait-elle favoriser de nouvelles relations dans une logique de coopération autour de la mise en valeur de ces ressources, ou attisera-t-elle les concurrences ? La prospection autour de nouvelles énergies (nucléaire, renouvelables mais aussi hydrocarbures on conventionnels, comme en Jordanie) peut-elle avoir des effets identiques ?

 

Eric Verdeil, Chercheur, Environnement Ville et Société, CNRS, Lyon  et Eliott Ducharme étudiant Lyon 2

La crise syrienne et son impact sur les services publics dans les pays d’accueil des réfugiés. Le cas de l’eau en Jordanie

Depuis le début du XXème siècle, nombre des conflits dans la région sont liés à des enjeux énergétiques. Eric Verdeil considère alors comme indispensable de s’arrêter sur la notion d’ « écologie politique ». Celle-ci, appliquée à la question de l’énergie, repose sur quatre dimensions :

–          la circulation de l’énergie ;

–          la transformation de l’énergie ;

–          la distribution et la consommation de l’énergie ;

–          les représentations et les pratiques autour de l’énergie.

Concernant la circulation, la Jordanie souffre d’une très forte dépendance envers l’étranger, (on l’estime à 96%) dépendance à l’origine de nombreuses tensions avec ses voisins. De même, la Jordanie essaye de passer du pétrole à l’électricité, entrainant d’énormes coûts, et allant vers une politique de transition énergétique à travers un système de subventions. En plus des problématiques internes, la question de l’énergie a de réelles conséquences sur la situation internationale, à travers notamment un conflit ouvert avec l’Egypte sur la question nucléaire.

Eric Verdeil a donc à cœur de replacer la problématique énergétique comme un objet central dans la réflexion sur la géopolitique de la région, problématique dont les conséquences se font ressentir dans la région comme à l’échelle planétaire.

 

David Amsellem, Chercheur,  Institut Français de Géopolitique, Université Paris 8 

Découverte de gaz en Méditerranée orientale : enjeux locaux et régionaux

Quel est le lien de dépendance entre les pays du Golfe et le Proche-Orient ? Comment la découverte du gaz va changer ce lien de dépendance ?

Les pays du Golfe sont des acteurs majeurs de l’énergie : ils détiennent 50% des réserves mondiales de pétrole et sont responsable de  35% des exportations. Contrairement à ce qui peut être imaginé, les pays du Golfe sont tout à fait dépendants du Proche-Orient. Longtemps ce dernier représentait en effet un territoire de transit vers l’Occident, via les pipelines traversant notamment le Liban et la Palestine. Cependant, aujourd’hui les techniques d’exportation se sont modifiés et la dépendance affaiblie : une grande partie des exportations se font maintenant par cargo. Parallèlement, de nouveaux acteurs se sont imposés, et notamment l’Asie qui est devenu le principal client des pays du Golfe, affaiblissant encore le lien énergétique entre Proche-Orient et pays du Golfe.

Concernant la situation énergétique du Proche-Orient, David Amsellem note une diversité des situations et des besoins nationaux avec différents degrés de dépendance (entre 97% pour le Liban à 71% pour la Turquie). De manière générale, la dépendance en énergie reste forte dans la région, mais une très grande partie des importations vient de la Russie ou de l’Azerbaïdjan. La découverte récente de réserves d’hydrocarbure au large des côtes israéliennes représente alors une avancée majeure dans la situation énergétique régionale. Cependant, ces ressources nouvelles sont à l’origine de nombreuses tensions entre les pays intéressés, du fait notamment de la difficulté d’établir des frontières claires et acceptées de tous, d’autant plus que nombre de ces Etats sont dans une démarche de transition énergétique et de recherche d’autonomie.

 

Bernard Cornut, Expert énergie dans les pays du Sud de la Méditerranée

 Ressources et passages : enjeux d’empires avant 1914, atouts de consolidation régionale en 2014 ?

Le pétrole est la ressource fondamentale de la puissance. La prospection et l’exploitation des ressources pétrolières de nombreuses tensions dès le début du XXème siècle, entre l’empire ottoman et les puissances occidentales. Ces tensions se poursuivent à la disparition de l’empire et participent du partage du Moyen Orient, sous l’influence des puissances européennes.

Monsieur Cornut prône aujourd’hui une harmonisation des taxes afin d’éviter les effets dangereux des hausses et baisses soudaines du prix du pétrole.

 

Conférence : Les Etats Unis et le Moyen-Orient, les enseignements de l’été 2014 (CR de Max Verlhac et Kristel Guyon)

 

Henri Barkey, Professeur, Lehigh University, Bethlehem, Etats Unis

Indroduction de Vincent Michelot, Directeur de Sciences Po Lyon

En 2009, le président américain Barack Obama reçoit le prix Nobel de la paix « pour ses efforts extraordinaires afin de renforcer la diplomatie internationale et la coopération entre les peuples ». Au Moyen-Orient, les espoirs et attentes ont été grands envers le nouveau président, comme l’illustre l’écho de son discours du Caire de juin 2009 qui a annoncé une véritable rupture avec la politique étrangère de son prédécesseur, George W. Bush.

Pourtant, cinq ans après, la situation dans la région est pour le moins catastrophique, et le rôle des Etats-Unis y est plus que jamais remis en question. Quels enseignements peut-on tirer des évolutions de l’été 2014, notamment en Syrie, en Irak, et vers quelle type de relations semblent s’engager la puissance américaine vis à vis des acteurs moyen-orientaux ?

Il est difficile d’identifier une stratégie claire de la part de l’administration Obama dans la région. Sa politique moyen-orientale semble dès le premier mandat orientée par une volonté de non-intervention et de prise de risque minimale dans un contexte intérieur fortement marqué par la crise économique. Les grands dossiers aux chances de succès minimes que sont le conflit israélo-palestinien, la situation en Afghanistan et au Pakistan sont délaissés au profit de la question du nucléaire iranien. Incontestable succès pour Barack Obama qui a impulsé les négociations et le réchauffement des relations entre l’Iran et les Etats-Unis, malgré les incertitudes quant à la réintégration complète de l’Iran sur la scène internationale.

La prise de conscience de la situation irakienne a été très tardive. L’administration, obnubilée par Bagdad et l’après 2003, reste très réticente à s’engager dans le conflit syrien. Les bombardements actuels sont une solution d’urgence qui marquent cependant une faillite intellectuelle pour Obama, celle de ne pas avoir su voir, que la politique sectaire de l’ancien Premier Ministre Nouri al Maliki amenait dangereusement à une contre-révolution, qui prend aujourd’hui les contours de Daech. Par ailleurs, le soutien aux peshmergas kurdes restent soumis au pragmatisme de la conservation de l’alliance américaine avec la Turquie. Kobane a été l’objet d’une tension importante entre l’administration Obama et le nouveau président turc Erdogan qui ne souhaite pas intervenir, du fait de la prégnance de la résistance kurde PKK dans la région. Malgré ces tensions, Kobane demeure la pierre angulaire dans la lutte contre l’Etat islamique pour les Etats-Unis.

Ainsi pourrons nous résumer la politique américaine au Moyen-Orient comme l’illustration d’une absence de grande stratégie, de grande idée, sur la région. Absence qui a eu aujourd’hui pour conséquence de faire vaciller l’image de la puissance américaine sur la scène internationale, ayant toujours « un temps de retard » sur les évènements.

Séance 4 : Syrie-Irak : la démocratie est-elle toujours un objectif pertinent dans la région ? (CR de Yasmina Ben Laaouinate, Alexandre Marchal-Perrin et de Caroline Creton)

Le printemps syrien a fait naître de nombreux espoirs de démocratisation qui contrastent aujourd’hui avec le conflit chaotique qui règne dans le pays et avec la possible victoire du régime de Bachar el Assad. Les minorités confessionnelles craignent une démocratisation qui se traduirait par la dictature de la majorité et leur exclusion du pays. Comment les rassurer aujourd’hui alors que les mouvements islamistes radicaux dominent la rébellion ? Le cas syrien interroge sur les voies et moyens de transitions démocratiques dans les sociétés fragmentées du Moyen-Orient, dont l’Irak.  Ce pays traverse une crise majeure, dix après la chute de Saddam Hussein, qui provoque la division du territoire sur des lignes ethnico-confessionnelles. S’agit-il d’un processus lié à la démocratisation du pays ou aux jeux des puissances régionales ? La décomposition de l’Irak annonce-t-elle ce qui va se produire en Syrie ?

 

Fabrice Balanche, Maître de Conférences, Université Lyon 2, GREMMO 

La Syrie, entre autoritarisme et communautarisme

Après un bref rappel de la situation catastrophique que vit la Syrie depuis 3 ans, Fabrice Balanche nous fait remarquer que l’Occident n’a pas su prévoir cette situation. Il explique cet aveuglement par

la négation complète des facteurs communautaire et tribaux et par la négligence du poids de l’Iran, pour qui la Syrie occupe une position stratégique cruciale.

Fabrice Balanche nous propose une vision globale qui établit un parallèle avec la guerre de 30 ans, c’est à dire une guerre confessionnelle (chiites/sunnites) sur un fond très important de géopolitique internationale et la possibilité d’alliances contre nature à ne pas exclure.

Le conflit en Syrie s’étant militarisé depuis 2012, les sciences humaines et sociales ont montré leurs limites dans la compréhension du conflit. La Syrie est aujourd’hui dans une situation de guerre civile avec des logiques d’insurrection et de contre insurrection, d’où l’intérêt de chercher à  comprendre le conflit avec des outils militaires.

Les rebelles modérés n’existant plus et les autres groupes étant financés par des bailleurs de fonds du Golfe, donc ayant tous de fortes références à l’islam, l’Occident n’a plus d’allié fréquentable dans l’opposition.

Plusieurs facteurs expliquent la résistance du régime d’Assad dont le soutien de ses alliés, l’échec de l’opposition politique et la montée en puissance du Daech qui permet à Assad de rallier une certaine partie de la population à la recherche de sécurité.

De plus, la militarisation du conflit a eu pour conséquence de renforcer l’autoritarisme du régime de Bachar al-Assad en permettant notamment de remplacer certaines élites inefficaces par des cadres fiables qui ont montré leur efficacité dans la répression.

Comme futurs possibles, Fabrice Balanche émet l’hypothèse d’une partition étatique ou d’une fédération molle.

 

Philippe Droz Vincent, Professeur à Sciences Po Grenoble

La rupture dans les relations Golfe Moyen-Orient récente

Dans toutes les mobilisations récentes du monde arabe, il faut distinguer deux acteurs : la société civile et les corps militarisés. Dans son intervention, Philippe Droz Vincent s’est concentré sur cet acteur en voulant définir sa composition, sa réaction face au stress test, et enfin en dressant le constat de la persistance du complexe militaro-politique.  La réaction de ces derniers (s’allier aux revendications populaires ou au régime) vont dessiner des trajectoires et des sorties de conflit différentes selon les pays.

L’armée syrienne est composée d’un corps dépolitisé et professionnalisé, il s’agit d’une grande évolution par rapport à l’armée syrienne des années 1950. Elle est également ancrée dans la société à travers le système de la circonscription militaire. Enfin, elle est proche du régime.

Lors des révoltes arabes, l’armée est confrontée à un stress test du fait de sa proximité sociale avec la société civile (ne serait-ce qu’à travers la circonscription). Une chasse aux déserteurs s’est accentuée dernièrement ainsi que la brutalisation de l’armée afin de la maintenir dans la répression. Il y a eu décomposition de l’armée selon des lignes confessionnelles et sociales mais sans aller jusqu’à une décomposition de corps totale.

En réaction, le régime a reconstruit un appareil sécuritaire pour faire face à ces bouleversements : le corps militaire est désormais plus restreint en terme d’effectifs, le contexte de militarisation va bénéficier à l’armée car en face les mouvements se font de plus en plus violents, enfin l’aide extérieure va dans ce sens. La contre-insurrection menée par les militaires bénéficie donc d’une force de frappe conséquente.

Que restera-t-il de l’armée syrienne après le conflit ?

 

Akkram Kachee, Chercheur associé, GREMMO, chargé de cours à l’IEP de Lyon 

Pourquoi l’échec de l’opposition démocratique en Syrie ?

Akkram Kachee relate premièrement les débuts de l’opposition syrienne dans laquelle il a été militant. Il y eut la constitution d’une opposition intérieure, le Comité de coordination nationale des forces de changement démocratique, et d’une opposition extérieure sous l’impulsion des Frères Musulmans, le Conseil national syrien soutenu par le Qatar et la Turquie.

Un congrès à Damas en septembre 2011 a mené à un programme commun basé sur les “trois non”: non à l’intervention étrangère, non à la violence et non au communautarisme mais de grandes différences persistent entre les deux mouvements. Constatant que le régime de Bachar Al-Assad ne peut pas tomber, le Comité de coordination privilégie une victoire par étapes tandis que le Conseil national syrien désire à tout prix la chute du dictateur et soutient, par ailleurs, une intervention étrangère. Cette divergence de programme a pour conséquence, selon Akkram Kachee, une “dualité” qui a profité au régime syrien et mené à l’échec de l’opposition.

Plusieurs tentatives ont eu lieu afin de parvenir à l’union de l’opposition syrienne. Un exemple notable fut le Pacte du Caire, en décembre 2012, où les différentes parties ont accepté que le conflit reste interne au monde arabe. Mais Burhan Ghalioun, alors président du Conseil national syrien, fut qualifié de traître par les Frères musulmans et déclara finalement qu’il n’approuvait pas cet accord. Diverses organisations ont ensuite été constituées comme la Coalition nationale dont le premier président, Moaz Al-Khatib, a démissionné pour dénoncer l’influence étrangère ou le gouvernement de transition à la répartition floue des pouvoirs. Haytham Al-Manna, porte-parole du Comité de coordination, a déclaré que la seule solution était le dialogue avec le pouvoir. Au fil du temps, l’opposition intérieure s’est donc retrouvée affaiblie.

D’autres problèmes demeurent, comme la résistance kurde qui dispose de son propre organe de coordination ou la question de la nature du régime à instituer après la chute de Bachar Al-Assad, et expliquent l’échec d’une opposition fragmentée qui manque de vision et d’autocritique.

 

Jordi Tejel Gorgas, Professeur, Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement, Genève

Pour ne pas réifier les positions et les situations des acteurs minoritaires : le mouvement kurde en Syrie et en Irak depuis 2011

De prime abord, Jordi Tejel Gorgas nous livre quelques précautions épistémologiques : une minorité n’est pas forcément un groupe homogène passif et victime. Les relations entre les majorités et les minorités sont des processus dynamiques avec des continuités et des ruptures. Cette dynamique se retrouve dans le champ politique kurde : les gouvernements nationalistes Kurdes, attentistes depuis 2011, sont finalement devenus des acteurs du contexte régional de confrontation.

En Syrie, les Kurdes étaient divisés entre une jeunesse qui souhaitait la chute du régime, des partis traditionnels faibles attentistes et le PYD pour qui la seule lutte est l’autonomie démocratique.

Une sorte de pacte non-écrit entre le PYD et le régime (je ne m’implique pas dans la révolte, laisse moi gagner en autonomie) s’est mis en place qui a finalement permis au PYD de prendre le contrôle politique et militaire du nord du pays, tout en marginalisant les autres partis kurdes. En janvier 2014, le PYD déclare la création de trois cantons autonomes : Jazira, Kobané et Afrin.

Cette autonomie a conduit à son isolement régional. Hôni par la Turquie et lâché par le régime syrien, le PYD se retrouve aujourd’hui isolé et dépendant des Kurdes Irakiens et des forces internationales.

En ce qui concerne le Kurdistan Irakien, reconnu par la constitution fédérale de l’Irak en 2005, il n’a pas été épargné par les conflits de la région. Les Kurdes Irakiens sont divisés entre le PDK et l’UPK et ne sont notamment pas d’accord sur la position à adopter vis-à-vis du PYD et de la Turquie. La Turquie n’approuvant pas l’autonomisation Kurde en Syrie mais étant économiquement indispensable aux Kurdes Irakiens.

On constate que les gains en autonomie du mouvement Kurde ne sont pas accompagnés d’un processus unitaire, au contraire, ce qui permet de questionner l’inscription dans la durée de la solidarité intra-Kurde actuelle autour du sort de Kobané.

 

Adel Bakawan, Docteur en sociologie et chargé de cours à l’Université d’Evry

Le mythe du Kurdistan indépendant

D’emblée, Adel Bakawan nous fait remarquer que la question kurde est constamment traitée sous le prisme du registre émotionnel. Tout chercheur se doit donc d’éviter cet écueil.

La question de l’indépendance du Kurdistan est une question qui se complexifie avec la création de l’Etat islamique (nouvelle frontière avec le Kurdistan).

L’Irak est marqué par un vide étatique généralisé. Le Kurdistan échappe à ce vide étatique du fait de deux caractéristiques spécifiques : sa stabilité et sa sécurité. On peut faire le constat d’un renforcement des acteurs non étatiques.  Adel Bakawan se pose ainsi la question de savoir comment expliquer le monopole des acteurs non étatiques en Irak ? Il émet une hypothèse : selon lui, l’émergence et le monopole de ces acteurs sont dus à l’échec de l’Irak politique, contrairement à l’avis des spécialistes irakiens qui expliquent ce phénomène à travers l’échec de l’armée irakienne.

Selon Adel Bakawan, la question de l’indépendance du Kurdistan se trouve dans la « zone de l’improbable », tout en soulignant qu’ « improbable » ne veut pas dire « impossible ». En effet, de manière objective, il n’est pas en mesure de déclarer son indépendance à cause de trois facteurs : sa fragilité politique, son manque de cohésion interne (notamment sur les positions à prendre à l’égard de Daesh) et enfin sa fragilité économique.

 

Séance 5 : Egypte, quels rapports entre la société, l’appareil d’Etat et l’armée (CR de Paul Dumayet et Bastien Roland)

Le « Prophète et le Pharaon » (Kepel, 1984) reste-t-il  une lecture toujours pertinente ?  Après trois ans de tensions et de recompositions, où en sont les rapports entre l’Etat, l’armée  et la société ? Comment la société égyptienne évolue-t-elle ? Peut-on mesurer l’impact des millions d’émigrés égyptiens dans les pays du Golfe sur les mutations sociales et les engagements politiques en Egypte ? Quel est désormais le rapport de force entre les groupes pro-occidentaux mondialisés et les Frères Musulmans ? A travers le probable prochain président de la République, quelle place l’armée entend-elle reprendre dans le fonctionnement politique et sociétal du pays ?

 

Clément Steuer, post doctorant à l’Académie des Sciences de Prague

La répartition territoriale du vote comme grille de lecture des rapports Etat-société.

Clément Steuer traite de la manière dont la répartition territoriale du vote peut être une grille de lecture des rapports Etat-société. Pour lui, la « Révolution du 25 janvier » 2011 et la chute de Moubarak est une rupture importante dans l’interprétation à donner aux élections dans le pays. Avant 2011, les élections sont la traduction d’un système néo-patrimonial où le pouvoir en achetant les voix promet en échange des emplois ou encore des services publics. Moubarak s’appuyait alors sur le PND (Parti National Démocratique) pour asseoir le pouvoir et assurer la continuation de sa domination.

Après 2011, on remarque plusieurs changements fondamentaux. D’abord, la participation électorale quadruple : le vote qui était jusqu’alors le résultat du clientélisme (touchant donc en particulier une population paupérisée) devient un vote politique notamment grâce à la diminution de la fraude et de la violence politique.

Cette expression politique est également rendue possible du fait de la création de multiples nouveaux partis en particulier l’autorisation pour les Frères musulmans d’exister légalement.

Il évoque également l’importance de comprendre le clivage centre/périphérie dans la préférence politique et le comportement électoral des égyptiens. Globalement, le centre de l’Egypte, à savoir Le Caire et le Delta, vote plus pour les partis libéraux et la participation y est plus importante. La périphérie de son côté a tendance à voter pour les Frères musulmans à deux exceptions près que sont le fief salafiste du nord-ouest du pays (vers Marsa el-Matrouh) et les zones touristiques du Sud et du sud Sinaï qui votent pour les tenants de l’ancien régime, car il assurait la stabilité nécessaire à l’activité touristique.

 

Stéphane Lacroix, maître de conférence à l’IEP de Paris et chercheur au CERI

Les islamistes égyptiens à l’heure de la restauration autoritaire : la stratégie du parti salafiste al-Nour

Stéphane Lacroix aborde lui la question de la surprenante montée en puissance du parti salafiste égyptien Al Nour et de son attitude vis à vis du nouveau pouvoir autoritaire. Ce parti est issu d’un mouvement se revendiquant de la « prédication salafiste » et rejette à priori le pouvoir politique en tant qu’objectif.

Pourtant le parti se présente lors des premières législatives de 2011 et prend la deuxième place derrière le parti Liberté et Justice des Frères Musulmans. Ce succès inattendu s’explique par une forte représentativité dans le tissu social égyptien mais aussi par une communication très moderne mettant en avant la jeunesse et l’ouverture.

Toutefois le comportement politique des salafistes pose question. En effet, le mouvement s’oppose systématiquement aux Frères Musulmans alors qu’ils appartiennent à la même catégorie « islamiste ». Or, les salafistes soutiennent successivement dans leurs alliances politiques les libéraux, Abdoul Fotouh, candidat modéré dissident des Frères Musulmans, et enfin ils soutiennent l’armée qui a éliminé le président Morsi et la répression menée contre les Frères Musulman qui a suivi.

En réalité les salafistes, au-delà de la catégorie « Islamiste » qu’on leur affuble, sont en opposition radicale et durable avec la stratégie et le mouvement des Frères Musulmans. Les Frères Musulmans veulent créer un Etat Islamiste et accordent moins d’importance aux questions théologiques pures. Au contraire les salafistes souhaitent islamiser la société « par le bas » et sont intransigeants sur un certain nombre de questions. Par conséquent la politique est pour eux un moyen de faire du « lobbying » en faveur de réformes religieuses « favorables », quelque-soit le pouvoir en place, et elle n’est donc pas une fin en soi comme pour les Frères Musulmans.

C’est donc cette différence stratégique fondamentale qui pousse les salafistes à vouloir éliminer leur adversaire sur le terrain social, quitte à se compromettre dans leur ligne idéologique en s’associant avec des « libéraux » au risque de se faire mal comprendre par leur base.

 

Sophie Pommier, maître de conférences à Sc Po Paris, directrice du cabinet Meroe

De Washington à Riyad, l’Egypte vit elle une « révolution » diplomatique ?

Sophie Pommier développe son argumentaire autour des évolutions importantes de la diplomatie égyptienne et évoque un passage de la domination de Washington à celle de Riyad. Elle rappelle rapidement que Moubarak a hérité de la politique de Sadate et de la forte coopération militaire (en formation et en matériel) avec les Etats-Unis. Puis elle en vient au premier changement intervenant avec la présidence de Morsi. Ce dernier a opéré  une diversification des partenaires pour se départir du trop important allié américain. Il s’est tourné vers les pays émergents : Brésil, Inde… Mais surtout le Qatar qui était le premier financeur du nouveau gouvernement des Frères Musulmans.

Ce soutien trouvé par les Frères, haïs par le nouveau gouvernement militaire, nécessite d’être revu par le régime du président Sissi. Car ce financement qatari indispose  les autres pays du Golfe qui voient d’un mauvais oeil le soutien du Qatar à des islamistes (qui sont de potentiels déstabilisateurs internes à leur pays). Sissi se tourne donc vers l’Arabie Saoudite et non plus vers les Etats-Unis qui n’ont pas soutenu Moubarak en 2011. On estime aujourd’hui les promesses de financement de Riyad pour Le Caire à 26 milliards d’euros, dont environ 20 milliards seraient déjà versés.

 

Marc Lavergne, directeur de recherche au GREMMO

Egypte : nœud du problème régional ou clé de la solution ?

Marc Lavergne dresse un bilan de la situation égyptienne post-« révolution ». Il rend compte du fait que l’Egypte ne réussit pas sa transition économique, car elle ne se dote pas de projets et n’affecte pas l’argent prêté par les pays du Golfe dans des perspectives d’amélioration de la situation économique du pays. Pour lui, l’objectif des militaires est de garder la mainmise sur le pouvoir et d’éviter une nouvelle explosion sociale.

Selon Marc Lavergne les différents pouvoirs de transition n’ont pas abordé une seule des réformes structurelles nécessaires tant au niveau économique (sur le système de perception des impôts, des subventions de produits…), qu’au niveau des infrastructures, de l’éducation ou de la gestion de l’eau.

Pour l’ensemble de ces raisons que sont la  volonté du nouveau régime égyptien de se maintenir au pouvoir coûte que coûte, l’absence d’administration efficace et de projet économique à long terme, Marc Lavergne reste à priori plutôt pessimiste quant à l’avenir de la transition politique et économique du pays et de son rôle dans la région.

 

Séance 6 : Quels scénarios pour le Moyen-Orient ? (CR de Nemo Lieutier et Max Verlhac)

Cette dernière séance constituera la synthèse du colloque.  Elle essaiera d’évaluer des scénarios sur  l’avenir du Moyen-Orient. Sa place dans la nouvelle division du travail,  car si les pays du Golfe sont riches,  en revanche, ils sont improductifs et leur modèle rentier sclérose les activités productrices dans l’ensemble de la région. Après la réaction saoudienne en Egypte et l’écrasement des Frères musulmans, que reste-t-il des transitions politiques  initiées en 2011-2012 ? L’Egypte peut-elle se réformer elle-même ? Le Liban peut-il continuer à s’intégrer de façon parasitaire dans le système-monde ? La Syrie et l’Irak pourront-ils maintenir leur unité territoriale ? Quel avenir pour l’islam politique à travers ses différentes versions au sein du sunnisme (Frères Musulmans et salafistes), mais aussi du chiisme ? La confessionnalisation des débats et conflits politiques va-t-elle perdurer, dans le Golfe comme au Levant ?  Enfin, bientôt quatre  ans  après le début des « printemps arabes », selon quels scénarios  les rapports de forces entre l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Turquie peuvent-ils être réévalués ?

Barah Michael, Chercheur, FRIDE Madrid : Une fragmentation pluridimensionnelle ?

Les scénarii du possible pour le Moyen-Orient

Parler de scenarii, chercher à anticiper les évolutions politiques, est loin d’être chose évidente dans cette région du monde. Il s’agira dans cet exposé d’évoquer seulement des tendances globales qui pourraient voir le jour à l’avenir. Ainsi, alors que les Etats-Unis bénéficiaient d’une position forte dans la région il y’a quinze ans encore, la tendance aujourd’hui est à l’affirmation d’un véritable anti-américanisme et d’un occidentalo-scepticisme. De plus, les bouleversements opérés à partir de 2011, et notamment à travers la situation syrienne, ont tout fait modifié la lecture des événements à venir dans la région. Les enjeux internationaux se réaffirment : Russie et Etats-Unis se déchirent sur le cas syrien, la Chine fait son apparition diplomatique dans la région et l’Union Européenne, malgré ses efforts, ne parvient pas à trouver sa place. Quant aux enjeux régionaux, ils ont une importance plus grande encore. Les Etats du Golf, et malgré les rivalités entre ces différents Etats, se sont imposés ces dernières années comme des acteurs essentiels de la région, en grande partie du fait de leurs capacités diplomatiques et financières. Ainsi, l’anticipation des événements à venir semble grandement liée aux prises de décision de ces Etats et à leur gestion des conflits régionaux, et notamment du cas iranien. De fait, il reste extrêmement difficile de répondre aux questions que nombre d’observateurs se posent en Occident : Quel avenir pour la Syrie ? Quel poids dans l’avenir pour l’Iran ? Les révoltes arabes, et notamment dans le Golfe, sont-elles définitivement éteintes ?

Jean-Paul Burdy, Maître de conférences, IEP-Grenoble

L’Iran dans le Golfe depuis 2011 : un acteur incontournable en voie de réhabilitation internationale”

Jusqu’en 2013 la Turquie et son modèle politique et diplomatique semblait-être un modèle pour la région entière. La popularité du premier ministre Recep Tayyip Erdogan et de son ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu était à son plus haut et leur activité diplomatique intense.
Pourtant ce modèle tant vanté en Occident s’effondre en l’espace de deux ans, achevé par les révoltes arabes, notamment en Libye et en Syrie, et par une crise politique interne.

La politique étrangère de l’AKP au pouvoir, dite de « zéro problème avec ses voisins », semble fonctionner jusqu’en 2011. La guerre civile en Syrie, la situation en Irak et les jeux d’alliances que cela implique vont mettre un terme aux espoirs de la Turquie qui ne réussit pas à jouer son rôle de médiateur en Syrie et qui s’implique probablement trop dans les affaires internes irakiennes. Ankara rompt avec Damas, sa relation avec Bagdad est détériorée au profit d’Erbil et son revirement contre Bachar el-Assad en 2011 fragilise ses relations avec l’Iran et la Russie.

Au niveau régional on ne peut que souligner son attitude particulièrement ambivalente concernant la question kurde. Ses relations chaleureuses avec la région autonome du Kurdistan irakien n’atténuent pas la méfiance envers les kurdes turcs et syriens, comme le montre sa réaction embarrassée face au siège de Kobane.

En plus d’un risque d’isolement régional les relations entre la Turquie et les pays occidentaux se sont considérablement refroidi depuis les manifestations de juin 2013 et les accusations d’Erdogan à l’encontre des Etats-Unis. La Turquie hésite entre la conservation de ses alliances occidentales et régionales et ne parvient pas à choisir.

Jean Marcou, Paris, IEP Grenoble

La Turquie comme acteur de la décomposition/recomposition de l’Irak depuis 2005 ?

À mains égards les relations entre l’Iran et les pays du Golfe ressemblent à une situation de guerre froide dans laquelle les deux puissances s’affrontent indirectement au Moyen-Orient.

La chute de Saddam Hussein en 2003 et l’installation d’un pouvoir chiite en Irak est le précurseur de cette guerre froide, l’Iran gagnant un relai de poids dans la région au désavantage de l’Arabie Saoudite. Celle-ci va jouer un rôle actif dans l’insurrection sunnite de 2006, rôle qu’elle prendra également en Syrie dès 2012.

Les révoltes arabes obtiennent le soutien de l’Iran jusqu’à l’invasion saoudienne de Bahrein et la militarisation du conflit en Syrie qui va pousser l’Iran à intervenir sur le terrain. Du côté de l’Arabie Saoudite et du Qatar on observe le même phénomène : la Syrie devient rapidement un terrain propice à un affrontement indirect avec la puissance iranienne.

Ces affrontements indirects vont être confessionalisés par les deux puissances qui vont se servir des clivages entre chiites et sunnites pour justifier leurs interventions en Syrie, au Bahreïn ou en Irak et pour dissimuler les réalités sociales, économiques et politiques des conflits.

L’Iran bénéficie de la détente de ses relations avec les Etats-Unis et d’une politique étrangère payante dans certains pays du Golfe comme aux Emirats Arabes Unis ou à Oman. C’est une puissance stable de poids au Moyen-Orient ce qui stimule les inquiétudes de l’Arabie Saoudite.

Sophie Pommier Directrice du cabinet Meroe, Paris

La vision de la situation géopolitique du Moyen-Orient est caractérisée depuis une décennie par un retrait des idéologies et par un manque de doctrine. George W. Bush a essayé d’imposer la promotion de la démocratie et des droits de l’Homme pour prendre de cours le phénomène djihadiste, en vain.

De plus cette vision axée sur les droits de l’Homme se heurte aux incohérences de la politique étrangère américaine, notamment en Egypte où les Etats-Unis ont fini par accepter le coup d’Etat de juin 2013.
Du côté des populations l’échec de les islamistes au pouvoir laisse un vide qu’aucun contre-projet n’est à même de remplacer pour l’instant.

Face à une situation politique catastrophique ce sont les attentes économiques et sociales qui se réaffirment parmi les populations qui s’adaptent à la situation locale faute de projet fédérateur.

C’est une tendance que l’on retrouve dans les interventions occidentales, notamment à travers la promotion d’une diplomatie économique. On constate une contradiction entre les schémas du développement et la poursuite des intérêts économiques des pays du Nord. S’est imposée une logique à court terme, dans laquelle les droits de l’Homme ne s’insèrent que là où l’intérêt économique potentiel est absent.

Ce phénomène est rendu visible notamment par les ventes d’armes qui alimentent la course aux armements qui se dessine au Moyen-Orient, et dans le Golfe en particulier.

En alimentant des pays instables et dictatoriaux en armes et en matériel militaire les pays du Nord hypothèquent la stabilité régionale au profit de leurs intérêts économiques.

Jamal Abdullah Chercheur, Al Jeziraa Center, Doha 

Le Qatar, indépendant depuis 1971 et pas plus grand que la Corse, a réussi, depuis l’arrivée au pouvoir  de « l’Emir Père » en 1995, à renforcer considérablement sa position régionale et internationale. Parvenant à retrouver une autonomie vis-à-vis de l’Arabie Saoudite, il bénéficie aujourd’hui de bonnes relations avec son voisinage, d’alliances solides avec des puissances occidentales (Etats-Unis, Grande-Bretagne et France notamment) ainsi que d’une très bonne image de marque (à travers les media, la diplomatie ou encore l’éducation). Aussi, d’une tradition de neutralité, le Qatar s’est attelé à partir de 2011 de renforcer son influence internationale, profitant également de la baisse de celle des autres acteurs régionaux (Egypte, Arabie Saoudite, Syrie ou Irak). Ainsi, d’un « soft power » très efficace, l’engagement du Qatar a pris une tournure nouvelle : il participe aux côtés de l’OTAN à l’intervention en Libye et soutient les rebelles contre le régime syrien. Enfin, depuis la succession pacifique au pouvoir avec l’arrivée de Sheikh Tamim en juin 2013, on note un réajustement politique et le mariage entre « soft » et « hard power ».

Marc Lavergne, Directeur de recherche, GREMMO, CNRS Lyon

L’Etat Islamique en Irak et au Levant – Daesh – est au cœur de l’actualité du monde arabe. Méconnu de la plupart des chercheurs, les motivations de ceux qui s’engagent ainsi que leurs objectifs, tout comme les capacités de son administration et de leur matériel militaire, restent des plus obscures.

La réussite économique des pays du Golfe peine à cacher son incapacité à créer un système social équilibré, et pousse nombre de jeunes à se réfugier dans des structures telles que Daesh ou Al Qaida. De même, les révolutions au Maghreb et au Machrek, à travers la redéfinition des rôles sociaux qu’elles proposent (et notamment dans les relations hommes/femmes), auront renforcé l’Islam en tant que force mobilisatrice au sein de la société.

Une série de questions viennent alors se poser quant à la situation régionale :

– Alors que le cours du pétrole se stabilise, comment vont réagir les économies régionales pour la plupart dépendantes de cette manne ?

– Quelle est la position du premier ministre turc, islamiste, Edorgan quant à l’Etat Islamique ?

– Quel est le rôle du Maghreb dans le renforcement du phénomène islamiste ?

 

 

 

 

 

 

 

 

Point sur la situation en Syrie du 16 au 29 juillet

Par M. Pierre Le Goff

Collaborateur de Mme Odile Saugues,

Vice-présidente de la commission des Affaires étrangères,

Rapporteure de la mission d’information sur le Proche et le Moyen-Orient,

 

Situation sécuritaire, politique et économique

Situation sécuritaire

  • De violents affrontements opposent les Forces armées et de sécurité syriennes (FASS) aux combattants de l’Etat islamique (EI) dans le centre et le Nord du pays. Dans le centre, le 18/07, les combattants de l’Etat islamique ont pris le contrôle du champ gazier d’al Chaer, à l’Est de Palmyre. Les combats auraient fait plus de 300 morts, dont 270 pro-régimes. Le 26/07, une contre-offensive des FASS a permis au régime syrien de reprendre le contrôle du champ d’al Chaer. Dans le Nord, l’EI a lancé des offensives contre les positions du régime dans les gouvernorats de Raqqa, Hassake et Alep. Le 26/07, après deux jours de combat, les FASS se sont retirées de la base militaire de la division 17, au Nord de Raqqa. 85 soldats syriens auraient été tués durant les affrontements. Le 27/07, les combattants de l’EI ont pris le contrôle de la base du régiment 121 des FASS, au Sud de Hassake.
  • Le régime syrien poursuit ses opérations contre les positions insurgées, notamment à Damas et dans les environs d’Alep. Le 22/07, les FASS ont lancé une offensive sur le quartier insurgé de Jobar, dans l’Est de Damas. A Alep, le régime intensifie ses bombardements sur les positions tenues par les insurgés au Nord de la ville.
  • Des combats opposent les insurgés à Jabhat al Nusra dans le gouvernorat d’Idlib, au Nord-Ouest de la Syrie.

Régime syrien

  • Le 20/07, B. al Assad a annoncé qu’il reconduisait à son poste la vice-présidente N. al Attar.
  • Le 21/07, dans une lettre adressée à son homologue S. Lavrov, W. Mouallem a affirmé que « la confiance de la Syrie en la victoire est inébranlable grâce à la résistance de son peuple et au soutien de ses amis, principalement la Fédération de Russie ».
  • Le 23/07, le régime syrien a annoncé accueillir avec satisfaction la nomination du nouvel émissaire des Nations-Unies pour la Syrie, S. de Mistura.

Opposition

  • Le 22/07, le chef du gouvernement provisoire de l’opposition syrienne, A. Tohmé, a été relevé de ses fonctions par un vote de l’Assemblée générale de la CNS.

Situation économique

  • Le 22/07, le ministre syrien du pétrole a annoncé que les pertes dans les secteurs pétroliers et gaziers depuis mars 2011 s’élevaient à 21,4 milliards de dollars. Le ministre a également affirmé qu’une nouvelle usine gazière, située près de la ville de Tabqa, devait entrer en service à la mi-août et atteindre une production de 3,2 millions de m3 à la fin de l’année.

Situation  diplomatique

UE : le 22/07, l’Union européenne a renforcé ses sanctions contre le régime syrien, en ajoutant trois personnes et neuf entités à sa liste noire. Cette liste comporte 192 personnes et 62 entités.

Situation  humanitaire

  • Le 18/07, le programme alimentaire mondial de l’ONU a annoncé que ses équipes étaient parvenues à entrer le 14/07 dans la localité assiégée de Mouadamiya, au Sud-Ouest de Damas. En quatre jours, 2 900 rations alimentaires ont été distribuées à 14 500 personnes.
  • Le 22/07, l’ONU a appelé les parties au conflit à faciliter l’accès humanitaire à 765 000 enfants de moins de cinq ans devant être vaccinés contre la polio. Selon un rapport de l’UNICEF et de l’OMS, plus de 6,5 millions d’enfants syriens ont un besoin vital d’aide humanitaire.
  • Le 24/07, l’ONU a annoncé qu’un premier convoi d’aide humanitaire était entré en Syrie par la Turquie sans l’accord de Damas, dans la cadre de l’application de la résolution 2165 du CSNU, adoptée à l’unanimité le 14/07.

Arsenal chimique

  • Le 24/07, l’OIAC a annoncé que l’ensemble des armes chimiques syriennes devant être détruites dans des usines spécialisées en Finlande, Grande-Bretagne et Etats-Unis avaient été livrées. Selon l’organisation, les destructions ont commencé dans toutes les usines.

Bachar al-Assad: ‘rampart against radical Islamism’ ?

Laura RUFALCO, trainee, GREMMO.

July 16, 2014.

Today is the date when Bachar al-Assad will give his inauguration speech for his new ‘presidential mandate’, following his expected ‘victory’ in the latest Syrian ‘presidential elections’. The Assad regime strictly controlled Syria for more than four decades. The years previous to the Arab Spring, the western media presented Bachar al-Assad as a moderate ruler in comparison with his father, Hafez al-Assad. It was this ‘moderate’ ruler, however, who brutally repressed demonstrators asking for change in the regime and plunged Syria in an atrocious, bloody civil war. First believed to follow the path of Kaddafi, Bachar al-Assad was nonetheless able to regain control over an important part of the Syrian territory thanks to two factors: Iranian and Russian support and the lack of coordination between the different rebel groups opposing him.

Previous to the civil war, the Ba’ath party was a clientelist network lacking a strong organization and with a faded ideology. The war urged the party and the Syrian administration – corrupted and inefficient, to restructure itself in order to survive. The regime had to tighten itself to “a core of Assad family members and staunch loyalists in the military, security, and intelligence establishment”. The core of Assad’s regime is therefore composed by a limited number of people having strong ties with Bachar al-Assad, notably his family members. In the center of the regime we have six important figures: Maher al-Assad, Assad’s brother and commander of the Fourth Armored division of the Syrian Army; Mohammed Makhlouf, Assad’s uncle and advisor, and his two sons, Rami Makhlouf and Havez Makhlouf, head of Damascus security; Thou al Himmah Shaleesh, head of presidential security and cousin of Bachar al-Assad, and Ali Mamlouk, director of the Syrian General Intelligence Directorate and head of national security.

If the government was able to restructure itself and to form alliances with some minorities groups living within Syria, such as the Kurds, the same cannot be said for the opposition. Lacking coordination and common goals, they became an easy prey to the Syrian Army, backed by Russia, Hezbollah and Iran. The so-called moderate opposition also became a target for hard-line Islamist groups, and internal war destroyed the opposition. Assad’s regime, at the beginning of the conflict, refused to reform itself and justified its disproportional use of force and stubbornness to stay in power as a way to protect Syria from a latent Islamist menace. If at the beginning of the protest this menace was implausible, nowadays with the rise of the ISIS this became a self-fulfilling prophecy: soon enough Bachar al-Assad will be faced with an ISIS that was able to expel its rivals from Syria. As the Islamist menace grows, so does, in a way, the popularity of Bachar al-Assad, nationally and internationally. The USA seems to accept the possibility of Assad staying in power, while the Syrian population allegedly fears the rise of the ISIS – a poll affirms that about one third of Syrians believe that Assad is the best alternative for Syria.

The presidential election was a sham, but the fear of the ISIS is real. In this context of gruesome war, Assad is nowadays presented as the ‘less of two evils’. The same president that incessantly attacked its own population is now considered as a rampart against hard-line Islamism and extremism in Syria. His centralized and monolithic government lacked organization and was corrupted to all levels, but the rebel forces were yet more disorganized, giving the advantage to Bachar al-Assad. In a short-term scenario, it seems reasonable to imagine that Assad will stay in power – he is even expected to put in place a few reforms. Some say he might have to accommodate a few moderate national opposition members in his old-new regime. However, these reforms may not be completely genuine and effective, and the Assad government will probably reduce itself even more into a core of loyalists to the Regime, as a way of avoiding any risks and to reward those who supported him. It is difficult to imagine how Syria will be in a long-term scenario, but by now we can affirm that the Assad regime will continue to struggle to continue to exist: Bachar al-Assad already demonstrated his inflexibility and his obstinacy to remain president, even if it means controlling a devastated Syria.

Bibliography:

Author unknown. 4% des Syriens se reconnaissent dans l’EIIL. Le Figaro, 07/09/2014, on http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/07/09/97001-20140709FILWWW00034-4-des-syriens-se-reconnaissent-dans-l-eiil.php

Author unknown. Syria Files: The Regime. Syria Deeply. http://www.syriadeeply.org/background/regime/

AZIZ, Jean. Will Assad reach out to ‘national opposition’ in Syria? Al Monitor, 06/27/2014, on http://www.al-monitor.com/pulse/originals/2014/06/syria-assad-inaugural-speech-messages-reform-rapprochement.html

LUND, Aron. Awaiting Assad’s Inauguration Speech. Carnegie Endowment for International Peace, 07/15/2014, on http://carnegieendowment.org/syriaincrisis/?fa=56155

Is the Syrian Political opposition still relevant ?

By Laura RUFALCO

Trainee, GREMMO.

July 7th 2014

When one studies the Syrian civil war it is quite noticeable how little it is said about the political opposition to the Assad regime, especially in the period after 2012. Deeply divided, with little or no connection to the Syrian armed combatants, the Syrian political opposition is mainly situated outside Syria. If the exiled members of this opposition are the ones going to international meetings and peace conferences, the Syrian people and armed groups combating inside Syria do not recognize them as their representatives. Lack of legitimacy and diverging interests are distancing foreign backers as well. As the possibility of a diplomatic issue for the conflict seems to fade away, many questions concerning the importance of the political opposition in Syria are raised. This articles aims to give an overview of the most important Syrian political opposition groups and to analyze whether they are still relevant or not.

  • The Syrian National Council (SNC).

President: George Sabra.

Announced on October 2011 in Istanbul, the SNC was first considered the most important political opposition group. Supposed to work as an umbrella organization, the SNC aimed at coordinating the different groups opposing Assad within and outside Syria, coordinating political organizations and armed groups:

“ The SNC was set up by a coalition of groups and individuals, including signatories of the Damascus Declaration (2005), the Syrian Muslim Brotherhood, various Kurdish factions, representatives of the Local Coordination Committees, other political parties or platforms including Damascus Spring and the National Bloc, representatives of the Alawi and Assyrian communities, and some independent figures. By March 2012, the SNC claimed it comprised 90 percent of the opposition parties and movements, although this claim has been challenged by the National Coordination Body for Democratic Change and others.[1]

However, differences within the SNC prevented the coalition of becoming a homogenous group. As a matter of fact, they become deeply divided and completely disconnected with the reality of the battleground in Syria. Furthermore, conflicts with the Free Syrian Army further undermined SNC credibility. As the SNC lost its legitimacy, foreign backers of the rebel groups pressured the Syrian opposition to form another coalition that would be able to coordinate the opposition. In November 2012, Hillary Clinton, the Secretary of State of Obama administration, affirmed that the SNC could ‘no longer be viewed as the visible leader of the opposition’, which allowed the creation of the National Coalition for Syrian Revolutionary and Opposition Forces (NCS). Nowadays, the SNC continues to exist in the figure of its coordinators in exile, but the group is marginalized, ineffective and has no negotiation force.

  • The National Coalition for Syrian Revolutionary and Opposition Forces (NCS)

President: former: Ahmad Al-Assi Jarba, actual: Hadi al-Bahara.

Created with international support, the NCS was formed in November 2012 during a meeting in Qatar. Its primary goal was accomplishing what the SNC was unable to do: to accommodate different opposition groups, in order to earn international recognition and funding. The NCS was initially formed by a council of 60 seats, with the SNC occupying over one third of the council seats. Nowadays, the NCS has more than one hundred seats and the SNC has no longer the majority. Conflict arose when part of the NCS decided to form an interim government, recognized by foreign powers such as the USA, the EU, the Gulf States and the Arab League, where it occupies Syria’s seat. Diverging positions between the prime ministers and the leader of the NCS were common ground: the first Prime Minister, Mr. Hitto, renounced and was replaced by Ahmed Tomeh. Differences between pro-Saudis and pro-Qataris deeply divided the NCS.

More diversified than the SNC, the NCS does not include hard-line Islamists groups- being considerate as an illegitimacy organization by most of them. Another absent in the NCS is the National Co-ordination Committee, an opposition group based in Syria and contrary to armed action against the government. But the NCS was able to gather support from the FSA and to coordinate different groups such as the Local Coordination Committees.

However, as the SNC, the National Coalition has been struggling with inside infighting, power disputes and lack of international proper funding, which leaves the group with very little room for negotiation manoeuvres. Facing this reality and the declining foreign support, the National Coalition was forced to formulate a transition plan that does not exclude Bachar al-Assad completely from power, a movement that is deeply contrary to its primary goal: to oust the Alawite president.

  • National Co-ordination Committee.

The National Co-ordination Committee is a non-armed opposition group formed in June 2011 by several political parties. This Committee has important differences concerning the SNC and the National Coalition, mainly the fact that the Co-ordination Committee is based in Syria and is not completely opposed to engage negotiations with the Regime. It demands a peaceful transition based on the release of political prisoners, the ending of Assad’s Regime and an immediate cease-fire between the Syrian Army and rebel groups. Even if they recognize the importance of the FSA, they are intrinsically against violent action and foreign intervention, being averse to the predominance of religious groups in the Syrian opposition. Being antagonized by Saudi Arabia, Turkey and Qatar for their willingness to negotiate with the Regime, the Co-ordination Committee turned itself towards Russia, Iran and China, countries that are supposedly open to support negotiations between Bachar al-Assad and the Syrian opposition.  As other opposition groups, the Co-ordination Committee faces internal divergence concerning important points such as whether or not they should negotiate with the Regime and whether or not to support the armed action of the FSA.

In September 2012, the Committee organized the Syria Salvation Conference, in Damascus, composed by several opposition groups. The conference was said to be tolerated by the Regime, which continued, however, to persecute some members of the opposition parties.

National Co-ordination Committee, composition:

  • National Democratic Rally

–          Democratic Arab Socialist Union

–          Arab Revolutionary Works Party

–          Communist Labor Party

–          Syriac Union Party

–          Democratic People’s Party

  • Together for a Free Democratic Syria.
  • Kurdish parties:

–          Democratic Union Party.

–          Kurdish Democratic Party in Syria (withdrew from the Committee to join the Kurdish National Council).

– – –

The three main political opposition groups inside and outside Syria share a few common characteristics: they are facing internal divergence concerning major aspects of their action, which prevents them to be a united organization with power to become a real political threat or alternative to the Regime. They are allegedly accused of defending foreign countries interests in Syria, instead of defending the civilians affected by the conflict. Being unable to completely organize themselves and to be a serious alternative to the Islamic armed opposition, the political opposition is not able to earn the trust of the Syrian people. Facing domestic and international discredit, they do not have the power to force the Regime to engage in negotiations, nor to coordinate the rebel groups inside Syria. Trapped within a militarized competition, the political opposition in Syria seems to be a forgotten, powerless actor struggling to exist in this complex scenario that is the Syrian Civil War.

Bibliography:

Author Unknow. Coalitions. Carnegie Endowment for International Peace. Last consulted on 07/08/2014, on http://carnegieendowment.org/syriaincrisis/?fa=Coalitions&lang=en

Author Unknow. Syria crisis : Guide to armed and political opposition. BBC News, 10/17/2013. Last consulted on 07/07/2014, on: http://www.bbc.com/news/world-middle-east-15798218

AL-GHARBI, Musa. Collapse of Syrian opposition: disaster or opportunity? Al Jazeera America, 02/28/2014. Last consulted on 07/08/2014, on http://america.aljazeera.com/opinions/2014/2/syrian-national-counciloppositionwar.html

BARNARD, Anne; CUMMING-BRUCE, Nick. Syrian rebels sketch peace plan that omits demand for Assad’s ouster. The New York Times, 02/12/2014. Last consulted on 07/09/2014, on http://www.nytimes.com/2014/02/13/world/middleeast/syria.html

O’BAGY, Elizabeth. Syria’s Political Opposition. Middle East Security Report 4, Institute for the Study of War, April 2012. Last consulted on 07/08/2014, on https://www.understandingwar.org/sites/default/files/Syrias_Political_Opposition.pdf


[1] Author Unknow. Coalitions. Carnegie Endowment for International Peace.

Point de situation Syrie du 02 au 15 juillet 2014

Par M. Pierre Le Goff

Collaborateur de Mme Odile Saugues,

Vice-présidente de la commission des Affaires étrangères,

Rapporteure de la mission d’information sur le Proche et le Moyen-Orient,

 

Situation sécuritaire et politique

Situation sécuritaire

  • Les Forces armées et de sécurité syriennes (FASS) mènent une offensive dans la périphérie d’Alep et procèdent à des frappes aériennes en territoire libanais et sur la ville de Raqqa. Le 04/07, des insurgés ont rapporté que les FASS avaient repris le contrôle d’une grande partie de la zone industrielle Sheikh Najjar, au Nord-Est d’Alep. Cette avancée permet au régime de poursuivre l’encerclement des quartiers insurgés d’Alep, les rebelles ne disposant plus que d’une seule route d’approvisionnement, en direction du Nord-Ouest. Le 06/07, l’aviation syrienne a mené des raids aériens sur la région frontalière d’Arsal, au Liban. Le 08/07, des frappes aériennes ont eu lieu sur les villes de Tal Rifat et Marea, situées sur la dernière route reliant les quartiers insurgés d’Alep à la Turquie. Le 09/07, 20 jihadistes de l’Etat islamique (EI) aurait été tués dans un raid aérien des FASS sur la ville de Raqqa.
  • Les rebelles syriens poursuivent leur stratégie de harcèlement des FASS et de leurs alliés. Le 13/07, des insurgés, menés par Jabhat al Nusra (JAN), ont tendu une embuscade à des combattants du Hezbollah dans la région frontalière du Qalamoun. Les combats se seraient déroulés des deux côtés de la frontière et auraient fait au moins 16 victimes, dont neuf dans les rangs de l’opposition.
  • L’Etat islamique poursuit son offensive dans la région de Deir-ez-Zor et assiège la ville kurde d’Aïn al Arab, à la frontière avec la Turquie. Le 03/07, les combattants de l’EI ont pris le contrôle de la ville de Mayadeen, à une cinquantaine de kilomètres au Sud-Est de Deir-ez-Zor, après le départ de Jabhat al Nusra. Le même jour, le groupe jihadiste s’est emparé du champ pétrolier d’al Omar, après que les combattants de JAN aient abandonné leur position. Le 04/07, le champ pétrolier d’al Tanak a été abandonné par les rebelles, parmi lesquels des combattants de JAN, permettant à l’EI de s’en emparer. Le 13/07, dans les environs d’Aïn al Arab, à la frontière avec la Turquie, des affrontements ont eu lieu entre des combattants kurdes du PYD et l’EI qui encercle la ville. Le PKK aurait envoyé plusieurs centaines de combattants pour défendre la troisième ville kurde de Syrie, aux côtés du PYD. Le 14/07, à Deir-ez-Zor, plusieurs groupes rebelles se seraient retirés ou auraient prêté allégeance à l’EI, permettant au groupe jihadiste de contrôler une grande partie de la ville.

Régime syrien

  • La prestation de serment et de discours d’investiture de B. al Assad doivent avoir lieu le 16/07 à Damas.

Opposition

  • Le 02/07, des groupes rebelles du Nord et de l’Est de la Syrie ont menacé de rendre les armes s’ils ne recevaient pas plus d’aide de la part de la CNS pour combattre l’EI.
  • Le 06/07, L. Safi, porte-parole de la CNS, a affirmé que le siège d’Alep était devenu une réalité et que le régime syrien préparait une offensive imminente sur la ville. Il a accusé la communauté internationale, et en particulier les Etats-Unis, de ne pas « avoir été sérieux dans leur soutien » et d’empêcher la livraison d’armes sophistiquées aux rebelles.
  • Le 09/07, Hadi al Bahra a été élu Président de la CNS, avec le soutien du Président sortant A. al Jarba et de l’Arabie saoudite, où il réside depuis près de 30 ans.

Etat islamique

  • L’annonce de l’instauration du Califat par l’EI a été condamnée par plusieurs figures religieuses. Le 02/07, le Sheikh d’al Azhar a déclaré que le Califat ne pouvait « être rétabli par la force » et que « tous ceux qui parlent aujourd’hui d’Etat islamique sont des terroristes ». Dans un communiqué, le mouvement libanais Jamaa Islamiya a qualifié l’annonce « d’hérésie ». Le 06/07, le prédicateur Y. al Qaradaoui a affirmé que le titre de Calife devait être « accordé par la communauté musulmane toute entière » et qu’il ne pouvait être usurpé par un groupe.

Situation régionale et diplomatique

Liban : le ministre libanais des Affaires sociales a affirmé que le Liban n’était « plus capable d’assumer le fardeau des réfugiés tous seuls ». Selon un rapport de l’ONU, 1,5 millions de réfugiés syriens se trouveront en territoire libanais en décembre, soit un tiers de la population libanaise.

Jordanie : selon l’ONU, 2,6 milliards de dollars d’aide seront nécessaire d’ici la fin de l’année pour aider le royaume jordanien à faire face à l’augmentation du nombre de réfugiés syriens.

Israël : les 13 et 14/07, trois roquettes, tirées depuis la Syrie, sont tombées dans la partie du Golan occupée par Israël. Le 15/07, un raid de l’armée de l’air israélienne dans le gouvernorat de Quneitra a fait quatre morts.

ONU : le 09/07, le diplomate suédois Staffan de Mistura a été désigné pour succéder à L. Brahimi au poste d’envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie. Un adjoint, représentant les pays arabes, doit également être désigné.

Le 14/07, une résolution du CSNU, autorisant les convois humanitaires à entrer en Syrie sans l’accord de Damas, a été adoptée à l’unanimité. Un « mécanisme de contrôle » sera mis en place par l’ONU « afin de confirmer la nature humanitaire des cargaisons » avant les passages transfrontaliers. Le 15/07, le bureau de coordination des Affaires humanitaires de l’ONU a affirmé être prêt à envoyer de l’aide à 2,9 millions de personnes supplémentaires en Syrie.

Arsenal chimique

  • Le 03/07, le Pentagone a annoncé que l’intégralité des armes chimiques évacuées de Syrie avait été transférée à bord du bâtiment américain Cape Ray pour être détruite en Méditerranée, dans les eaux internationales.