Dans la ferraille de la Fête
les feux de la Saint-Elme
sur les trolleys crépitent
Fille de Mars
garçon d’Avril
amoureux de Mai
Bercés par le doux fracas du manège
en caressant un rêve
se caressant aussi
Ils s’aiment
pour la vie
Ce rêve est aussi vrai que le vacarme de cette fête
c’est pour la vie qu’ils s’aiment
c’est à cause de la vie
et même s’ils se quittent
elle les a réunis.
Musique : Jacques Bertin Interprète : Jacques Bertin
À l’heure où la lumière enfouit [cache] son visage dans notre cou, on crie les nouvelles du soir, on nous écorche. L’air est doux. Gens de passage dans cette ville, on pourra juste un peu s’asseoir au bord du fleuve où bouge un arbre à peine vert, après avoir mangé en hâte ; aurai-je même le temps de faire ce voyage [cet ouvrage] avant l’hiver, de t’embrasser avant de partir ? Si tu m’aimes, retiens-moi, le temps de reprendre souffle, au moins juste pour ce printemps, qu’on nous laisse tranquilles longer la tremblante paix du fleuve, très loin, jusqu’où s’allument les fabriques immobiles… Mais pas moyen. Il ne faut pas que l’étranger qui marche se retourne, ou il serait changé en statue : on ne peut qu’avancer. Et les villes qui sont encor debout brûleront. Une chance [que j’aie au moins visité Rome, l’an passé,] que nous nous soyons vite aimés, avant l’absence, regardés encore une fois, vite embrassés, [avant qu’on crie « Le Monde » à notre dernier monde ou « Ce soir » au dernier beau soir qui nous confonde…] Tu partiras. Déjà ton corps est moins réel que le courant qui l’use, et ces fumées au ciel ont plus de racines que nous. C’est inutile de nous forcer. Regarde l’eau, comme elle file par la faille entre nos deux ombres. C’est la fin, qui nous passe le goût de jouer au plus fin.
Musique : Lino Leonardi
Interprète : Monique Morelli
Les palais de justice
Regardons, en suivant la Seine
et ses ponts déjà célébrés,
les fillettes des vingt quartiers
qui s’en vont deux fois la semaine,
un renard chauve autour du cou,
avec la morgue du hibou,
oiseau rebelle à l’allégresse,
chez les médecins du Palais
où la Main de gloire est au frais
chercher franchise pour leurs fesses.
Les Champs-Élysées
Rien n’est encor plus détestable
que les retraits des boulingrins
où l’on voit errer des putains
qui semblent grand’mères du Diable.
Seigneur où vont en de tels lieux
ces ombres dévorées au feu
qui flambe à leurs tristes bouzines.
Les Bilitis d’un jour sans pain
se mêlent dans la limousine
ronflant en douce et feux éteints.
Montmartre
Les bougnats bordent le cratère
de ce petit mont de Vénus
et chacun d’eux y désaltère
Cartouche et Jenin l’Avenu.
On estime ici les pucelles
autant qu’un pet de veau mort-né.
L’art n’a besoin de chasteté
et la muse ici n’est cruelle
qu’à ceux qu’elle doit restaurer.
Montparnasse
On y voit venir d’Amérique
les yeux encore à peine ouverts
sur la perversité publique
les blondes girls de Mortimer.
Mais sur leurs muqueuses trop neuves
elle attendent de l’amour
la très intime extase pour
en établir enfin la preuve,
les yeux cernés au point du jour.
L’école militaire
La Grande Roue est démolie
avec ses boudoirs aériens ;
la culotte rouge est bannie
d’un tableau jadis quotidien ;
les bobinards parés de glaces,
dont Mars absorbait tous les dons,
n’offrent que des décors sans fonds
où les servantes se prélassent
dedans leur peau bleu d’horizon.
Cimetière Saint-Vincent
Comme un bonbon frais dans la bouche
d’un soldat blessé en juillet
et le repos de qui se couche
ayant pour un soir son lit fait,
le charnier Saint-Vincent s’impose
aux amateurs de ce quartier,
mais pour ceux-ci et leurs péchés
l’avenir n’est pas peint en rose.
Pourtant je les crois guerdonnés.