SAINT VINCENT DE PAUL

 

CORRESPONDANCE

Tome III

 

829. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 2 d’août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous dire la consolation de mon âme qu’elle a reçue par la lecture de la vôtre, admirant la bonté de ce bon et saint cardinal (1) et sa conduite sur vous. Il est juste qu’on s’accommode un peu au temps quant aux difficultés de l’établissement. Je ne sais à quelle fin vous m’envoyez le projet, que je collige de la vôtre (2), que M. Codoing avait dressé à Gênes (3). J’écris derechef à M. Dehorgny qu’il vous envoie quelqu’autre que M. Dunots (4) et qu’il faut que celui qu’il vous

Lettre 829. — L. a. — L’original a été mis en vente par M. Charavay, chez qui nous en avons pris copie. Il est de la main du saint, sauf la partie du post-scriptum qui commence aux mots : il y a longtemps.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

2) La lettre d’Etienne Blatiron.

3) Il y était resté quelque temps à son retour de Rome.

4). Humbert Dunots, né près de Saint-Claude (Jura), fut attiré dans la congrégation de la Mission par Bernard Codoing, qui le reçut à Annecy en 1642. Il était prêtre et avait quarante ans. Il suivit Bernard Codoing à Rome et y resta jusqu’à sa mort. Il fut emporté par la peste à Saint-Sauveur, près de Rome, le 29 septembre 1649, quelques jours après avoir entendu la confession d’un pestiféré, qui lui avait communiqué son mal. Dans une lettre écrite après son décès (Bibl. mun de Lyon, ms. 774, f° 219-223), Martin

 

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enverra soit savant, intérieur, judicieux et qu’il sache faire le séminaire, ou pour le moins le moins éloigné de ces qualités que se pourra.

Monsieur Dufestel (2) s’est retiré chez lui à cause de la continuelle opposition qu’il avait et qu’il donnait aux autres contre le régime de la compagnie, jusques à menacer qu’après moi il la renverserait, et effectivement il jetait des fondements pour cela. Il y a assez long temps qu’il m’avait promis maintes fois de s’ajuster ; mais au lieu de le faire, il faisait tout le contraire. L’on lui a fait donner le doyenné de Lillers, en Artois. C’est une ville de conquête (6), Il est content et la compagnie en paix.

Monsieur Codoing (7) va toujours son train. Je crains bien ce que vous et Monsieur Martin m’en dites, quoiqu’il paraisse revenir. Nous suivrons vos avis à tous deux touchant sa demeure et son emploi (8), Il avait gâté déjà si fort M. Dunots (9) que celui-ci lui proposa de s’en aller tous deux à Genève. Mais, mon Dieu ! Monsieur, que me dites-vous de l’horrible méchanceté de ce pauvre f[rère] P[ascal] (10) ! L’esprit malin a-t-il eu le pouvoir de faire dire par un

Le Vasseur, prêtre de la Mission, après avoir fait l’éloge de sa grande piété, de sa parfaite régularité et de sa mortification, qui le portait à faire usage d’instruments de pénitence, ajoutait : "Il est bien difficile qu’un homme puisse arriver en cette vie à une plus grande pureté et innocence que ce bon serviteur de Dieu." Humbert Dunots était scrupuleux et peu propre à l’enseignement. Nous voyons par cette lettre qu’il subit la fâcheuse influence de Bernard Codoing. Ce ne fut heureusement que pour un temps très court.

5) Le nom de Dufestel est raturé dans l’original

6) Prise sur les Espagnols.

7) Le nom de Codoing se lit difficilement sous les ratures qui le recouvrent.

8) Il fut mis à la tête du séminaire de Saint-Méen.

9) On a cherché à rendre ce nom illisible sur l’original par des ratures.

10) Jean Pascal Goret.

 

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prêtre de la compagnie ce qu’il dit (11), et à lui cette imposture ! Bon Dieu ! de quel mal n’est-il capable, ou l’autre coupable ! Renvoyez-nous, s’il vous plaît, au plus tôt et le plus doucement que vous pourrez, et servez-vous cependant de quelqu’autre, en attendant que celui que j’espère faire partir demain ou trois jours après, soit arrivé. Ce ne sera pas celui dont je vous ai ci-devant écrit (12) ; car nous l’avons envoyé au Mans, en suite de ce que vous m’avez mandé, que vous vous en passeriez.

Je vois bien que ces Messieurs ont eu raison de conclure comme ils ont fait ; mais cui fini m’avez-vous envoyé le projet de la fondation ? Est-ce que S. E. soit disposée à faire la fondation au plus tôt ? Il y a dans ce projet des conditions qui pourraient altérer l’ordre de la compagnie et peut-être le renverser en ce lieu-là. Je vous prie me mander cui fini cet écrit (je ne l’ai pas bien pu colliger de la lecture de votre lettre), et alors je vous dirai mes petites pensées sur ces difficultés.

Je vous écris d’Orsigny (13), où je suis depuis hier, et m’en retourne dans deux heures à Paris, d’où j’ai envoyé votre lettre à Madame la duchesse d’Aiguillon, qui l’a désiré voir.

Je ne me ressouviens point des autres points de votre lettre pour vous y répondre.

Nos petites nouvelles sont que, par la grâce de Dieu, la compagnie fait assez bien partout (14), à ce que vous me dites près de ce frère ; elle a toujours à Paris environ 60 prêtres, au séminaire des Bons-Enfants ; et le petit séminaire du petit Saint-Lazare (15) est d’environ quarante,

11) Le saint avait ajouté les mots : O Jésus ! Monsieur, quelle méchanceté ! qu’il a ensuite raturés.

12) Le frère Nicolas ou le frère Le Rogueux. (Cf. 1. 827.)

13) Dans la commune de Saclay.

14) Première rédaction : partout, par la grâce de Dieu

15) Le petit Saint-Lazare, ou séminaire Saint-Charles, donnait sur

 

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qui commence assez bien, par la grâce de Dieu ; que l’on nous appelle à Notre-Dame de Plancoët, c’est un lieu de notable dévotion, qui s’est trouvé depuis peu à Saint-Malo ; que M. Nouelly et le frère Barreau sont partis pour l’assistance des pauvres esclaves chrétiens d’Alger, et que l’on est sur le point d’envoyer un prêtre et un frère à Salé, au royaume de Maroc, en Barbarie.

Voilà, Monsieur, ce que je vous puis dire à peu près, et mon chétif cœur, qui chérit plus le vôtre que soi-même et qui est, d’une affection invariable, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

J’écris à M. Dehorgny que, toutes choses cessantes, il vous envoie quelqu’un qui sache faire le séminaire, et je vous prie de nous renvoyer le frère P [ascal au plus tôt après la présente reçue. Nous ferons partir notre bon frère (16) dans trois jours.

Il y a long temps qu’on vous a envoyé par la voie de Marseille des ciseaux, des canifs, des petits livrets et des feuilles de dévotion. Je crois que M. Chrétien (17) diffère de vous les envoyer, attendant celui qui vous doit aller visiter. Si vous en êtes pressé, écrivez-lui

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

la rue du Faubourg Saint-Denis et occupait l’angle formé aujourd’hui, d’un côté des numéros impairs, par la rencontre de cette rue et du boulevard de la Chapelle.

16) Le frère Sébastien Nodo.

17). Jean Chrétien, né le 6 août 1606 à Oncourt (Vosges), ordonné prêtre le 5 avril 1631 reçu dans la congrégation de la Mission le 26 novembre 1640, supérieur à Marseille de 1645 à 1653, sous-assistant à la maison-mère en 1654, supérieur à La Rose de 1655 à 1662. Il faisait partie de la maison de Troyes le 26 novembre 1667.

 

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830. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 4 août 1646.

Mademoiselle,

Voici une semaine et demie de passée depuis votre départ, sans que nous ayons de vos nouvelles. Tout le monde en veut avoir ici, et je ne sais que dire à ceux qui m’en demandent ; moi-même, plus que tous, j’en suis en peine et ne puis m’adresser qu’à vous pour en apprendre. Je crains tant que les grandes chaleurs qu’il a fait et les incommodités du coche ne vous aient atténuée, ou pour le moins beaucoup affaiblie, que j’en attends le récit avec grande impatience et avec résolution de bien remercier Notre-Seigneur, si vous êtes encore en même disposition qu’en partant (1).

Lettre 830. — Manuscrit Saint-Paul p. 64. La lettre suivante nous apprend que celle-ci était de l’écriture du frère Ducournau.

1) Louise de Marillac avait quitté Paris le 26 juillet, en compagnie de Françoise Noret, de sœur Turgis, destinée à Richelieu, et des sœurs qui devaient former la petite communauté de Nantes : Elisabeth Martin, Claude, Marguerite Noret, Catherine Bagard, Perrette, de Sedan, et Antoinette, de Montreuil. La petite troupe arrivait à Orléans le lendemain soir. Elle y passa la matinée du 28 puis repartit, s’arrêta le soir à Meung-sur-Loire, fit de nouveau halte à Cour-sur-Loire et à Mont-Louis. Au port d’Ablevoie, sœur Turgis se détacha du groupe et prit la direction de Richelieu. A Tours, arrêt de six ou sept heures. Nouvelle étape à Saumur et pèlerinage à Notre-Dame des Ardilliers. Les voyageuses passèrent la nuit suivante aux Ponts-de-Cé, chez la femme d’un chirurgien. Au lever du jour, elles prirent le bateau, qui les déposa, le 3 août, à Angers, où, trois jours durant, elles vécurent en compagnie des sœurs de l’hôpital. D’Angers à Nantes, le trajet, coupé par trois courtes haltes, se fit encore par voie fluviale. Elles arrivèrent au terme de leur voyage le mercredi. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, pp 261-273.)

 

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831. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

je reçus hier une lettre qui me parut en quelque façon être de votre charité ; mais parce que je n’y vis aucune marque de votre écriture, je n’eus pas une petite peine, pour l’appréhension que vous fussiez bien malade mais j’ai été un peu soulagée par ce que le bon frère Ducournau m’a fait la charité me mander. Au nom de Dieu, Monsieur, vous savez la nécessité que vous avez de prendre un peu de temps pour recouvrer votre santé et pour essayer à en avoir pour le service de Dieu.

Je suis bien étonnée que vous n’ayez pas reçu la lettre que j’écrivis à votre charité à Orléans, où nous ne séjournâmes que la matinée du samedi, pour gagner pays tandis que notre bon Dieu me donnait a assez de force. 0 mon très honore Père, si votre charité savait les assistances de sa divine conduite, elle en serait reconnaissante pour suppléer à mes infidélités et ingratitudes. Je vous en supplie très humblement, par le saint amour de Dieu.

Je ne sais ce qui arrivera de cet établissement (1), auquel je n’ai point encore vu d’épines que de petits murmures populaires, mais tant d’applaudissements de tout le monde que cela n’est pas croyable. Nous n’avons séjourné que trois jours à Angers, d’où je me suis encore donné l’honneur de vous écrire, 4 ou 5 heures à Tours, et si nous ne sommes arrivés à Nantes que le huitième jour d’août, tant il nous a fallu être sur l’eau, à cause qu’elle est extraordinairement basse. Et quoique nous ayons fait tout ce que nous avons pu pour que l’on ne sut point le jour de notre arrivée la bonne Mademoiselle La Carisière avait donné tel ordre que l’on nous est venu treuver au bateau et mener, après la visite du Saint Sacrement chez Mademoiselle des Rochers qui vous salue très humblement ; et m’a témoigné un peu de douleur de n’avoir point eu de réponse de deux lettres qu’elle s’est donné l’honneur de vous écrire depuis le décès de son bon mari, qui était fort aimé et estimé en cette ville.

Je vous avais mandé quelque difficulté de demander Monsieur des Jonchères pour directeur de nos sœurs ; mais, si

Lettre 831 — L a — Dossier des Filles de la Charité, original

1) L’établissement de Nantes

 

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je n ai point d’autre ordre de votre charité que celui qu’elle nous donna, je ne vois point d’apparence de faire de choix que par son avis et lui faire la proposition de désirer cela de sa charité (2). Il n’est pas comme l’on n’avait dit, et je ne vois point que Mademoiselle sa sœur put rien gâter, car elle est très zélée et raisonnable et fait du bien non seulement en cet hôpital, mais par toutes les maisons de piété et nécessité.

Plut à Dieu, mon très honoré Père que j’eusse assez de puissance et d’amour pour reconnaître le soin de la conduite de la divine Providence sur nous ; oh ! que je chanterais hautement ses louanges ! Il faut demeurer court et me contenter d’inviter la cour céleste à en rendre la gloire a Dieu qu’elle pourra, et vous, notre très honoré Père auquel notre bon Dieu fait connaître ses conduites sur nous de suppléer à notre défaut.

Cette sainte Providence qui sait mes attaches à mes résolutions, a permis que nous ayons treuve malade du genou notre sœur que nous voulions amener ici, pour nous en faire prendre une autre, qu’il était nécessaire de changer Oh ! bénissons Dieu à jamais pour ses miséricordes et moi très particulièrement, de la grâce d’être, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

L. DE MARILLAC.

Je crois que quinze jours de séjour ici avanceront bien nos affaires.

Ce 11 août [1646] (3)

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

832. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 12 août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris un peu en hâte ; c’est pour vous dire que

2) Il y avait alors à l’hôpital un ancien aumônier, que désirait remplacer M. des Jonchères, confesseur ordinaire des religieuses de la Visitation. Louise de Marillac avait jusque-là été peu favorable à ce choix pour les motifs qu’elle laisse entrevoir ici, et aussi parce qu’elle craignait de déplaire aux Visitandines

3) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 332. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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je loue Dieu de votre conduite dans votre emploi et le prie qu’il la bénisse de plus en plus à Richelieu et ailleurs.

Je suis en doute, il y a quelques jours, si je vous dois prier de revenir pour toucher à nos règles, si besoin est, touchant ce que vous m’avez mandé qu’il faut changer ; et pource que je suppose que vous vous en ressouviendrez, je vous prie de me le mander, n’y ayant pu faire l’attention requise lorsque vous me l’avez mandé, et que maintenant j’aurais peine d’ajuster cela moi-même. C’est pource que Monseigneur le coadjuteur (1), qui est maintenant en pouvoir d’approuver nos règles, ayant un vicariat de Monseigneur l’archevêque pendant son absence, y va travailler. Vous me manderez donc de nouveau ce que vous pensez qu’il faut changer à nos règles et à celles des Filles de la Charité.

Vous trouverez de la besogne à Saintes et à La Rose. Nous avons envoyé M. Dufour pour supérieur au premier et lui avons donné M. des Noyelles, qui s’est choqué de l’esprit dudit sieur Dufour à un point qui est fort touchant, et le bon M. Le Soudier (2) symbolise avec lui, qui m’a écrit d’un style qui paraît indisposé ; et selon cela, il semble qu’il est à propos que vous preniez quelqu’un à Richelieu, si cela se peut, à la place dudit sieur des Noyelles, que vous leur enverrez. Il faut que ce soit un homme qui prêche, à cause qu’il faudra qu’il conduise la mission à Saintes, tandis que M. Dufour fera le séminaire. M. Bourdet s’accommoderait bien de M. des Noyelles ; mais je ne vois pas qui vous pourriez ôter d’auprès de lui ; je ne dis plus, de Saint-Méen, car les Bénédictins réformés les en ont chassés par arrêt du

1) Jean-François-Paul de Gondi, le futur cardinal de Retz

2) Samson Le Soudier.

 

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parlement. L’on est après à travailler à les rétablir ; il y a arrêt du Conseil pour cela (3).

3) Les Bénédictins de Saint-Maur avaient vu de mauvais œil la transformation de l’abbaye de Saint-Méen en séminaire et fait leurs protestations devant le parlement de Bretagne, auquel les lettres patentes royales de sécularisation étaient adressées, suivant l’usage, pour qu’il les vérifiât et les enregistrât. Quand l’évêque de Saint-Malo vit l’opposition qui s’y manifestait, il craignit pour son projet, et, au lieu de présenter les lettres, se tourna du côté de la cour et en en demanda d’autres, qui renverraient pour l’enregistrement et l’exécution, au grand conseil et non au parlement. Cependant, les nouvelles démarches demandaient du temps, et le parlement de Bretagne, pressé par les Bénédictins de Saint-Melaine, sommait le prélat de montrer les lettres qu’il disait avoir reçues du roi. Devant ses réponses dilatoires sans cesse renouvelées, le parlement lui interdit, le 1er juin 1646, de faire aucune innovation dans l’abbaye, le condamna aux dépens, évalués à quarante livres, et ordonna que le procureur du roi demanderait au supérieur général de la congrégation de Saint-Maur d’envoyer autant de religieux qu’il en faudrait "pour satisfaire aux charges et surtout à celles du service divin, suivant la pieuse intention. des fondateurs" Le 22 juin, après enquête de commodo et incommodo, le grand conseil rendait son arrêt, dans le sens des désirs de l’évêque. C’était le conflit ouvert entre les deux pouvoirs. Le 17 juillet, le parlement confirma sa décision du 1er juin, fit défense à qui que ce soit de mettre à exécution celle du grand conseil, sous peine de 3.000 livres d’amende, et intima aux prêtres de la Mission l’ordre de quitter l’abbaye. Le 23 juillet, M. de Montbourcher, conseiller au parlement, commissaire, M. Monneraye, substitut du procureur général, un conseiller adjoint, un huissier de la cour, le visiteur des Bénédictins réformés, le prieur du Mont-Saint-Michel, celui de Saint-Mélaine, le nouveau prieur de Saint-Méen, cinq autres prêtres bénédictins et un frère lai étaient de grand matin aux portes du monastère. Toutes les issues étaient barricadées, et si bien, écrit dom Germain Morel "qu’à peine pouvait-on s’imaginer que les barricades de Paris, tant renommées dans l’histoire, en pussent approcher". Les assiégés durent bientôt céder la place et se réfugier dans l’hôtel abbatial. Les parties belligérantes vécurent ainsi côte à côte jusqu’aux premiers jours d’août. Les passions étaient surexcitées et les querelles éclataient à tout propos. Les séminaristes et les domestiques prenaient un malin plaisir à exaspérer les moines, à l’insu des directeurs. Un jour, ils remplirent l’unique puits de l’enclos de toutes sortes d’immondices. Les moines n’y tinrent plus. Ils portèrent leurs plaintes devant le parlement ; et le 7 août 1646, paraissait un arrêt par lequel la cour ordonnait que d’humbles remontrances seraient adressées au roi sur la décision du grand conseil et que commandement serait fait aux prêtres de la Mission, aux séminaristes et à leurs partisans de sortir de l’abbaye et de remettre aux Bénédictins les saintes reliques, les meubles et les ornements, sous peine d’emprisonnement. Les directeurs

 

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Pour M. Le Soudier, il vous sera facile de le raccommoder.

Et pour La Rose, Dieu a disposé du bon M. Jegat, qui était une perle dans la compagnie. Il s’est noyé dans la rivière du Lot, qui passe auprès, où il s’était allé baigner par ordonnance du médecin. Vous ferez faire les prières et les conférences accoutumées, s’il vous plaît. Il ne reste que quatre missionnaires de sept qu’ils doivent être ; nous en ferons partir trois au plus tôt pour remplir les places vides. Et si nous le pouvons, nous vous enverrons M. Michel, curé de Normandie, fort judicieux, mais qui n’est au séminaire que depuis trois ou quatre mois (4).

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous bénisse en ce lieu-là, comme partout ailleurs. Il faut un peu s’expédier ; Monsieur Dehorgny presse pour Rome.

du séminaire et leurs élèves obéirent. Les choses en étaient là quand saint Vincent écrivait la lettre ci-dessus.

Tous les renseignements que nous donnons ici sont tirés d’un manuscrit de dom Germain Morel bénédictin de la congrégation de St-Maur et prieur de Saint-Mélaine, de Rennes, un des principaux opposants à l’entrée des prêtres de la Mission dans l’abbaye de Saint-Méen. (Bibl. Nat., fr. 19831.) L’ouvrage de dom Morel n’est pas un livre d’histoire ; c’est une apologie. Nous ne lui en faisons pas un reproche. Il est dans son droit en soutenant une cause qui lui est chère et qu’il croit bonne, et en la soutenant avec verve et chaleur. Mais ces sortes de livres sont de ceux qu’il faut lire avec beaucoup de circonspection, car ils ne découvrent qu’une partie de la vérité historique et contiennent souvent plus d’une exagération. C’est ce que n’a pas suffisamment compris M. Ropartz, qui a connu le manuscrit du fougueux Bénédictin par un exemplaire conservé avant 1903 au grand séminaire de Rennes (in-4° de 300 pages) et l’a résumé dans une brochure intitulée : Dom Germain Morel. Histoire de la sécularisation de l’abbaye de Saint-Méen. Toutefois, s’il faut se défier des appréciations de dom Morel, nous pouvons avoir foi aux nombreux documents que nous a conservés son écrit.

4). Guillaume Michel, né à Esteville (Seine-Inférieure) quitta sa cure de Saint-Valery pour entrer dans la congrégation de la Mission le 19 juin 1646, à l’âge de trente-neuf ans. Il sortit de son propre mouvement avant d’avoir fait les vœux et rentra depuis. Il était de la maison de Sedan en 1657 et de celle de Fontainebleau en 1666.

 

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Je ne puis écrire de ma main à M. Alméras. Je le salue du cœur avec la tendresse que Notre-Seigneur sait, et toute la maison aussi, prosterné en esprit aux pieds d’un chacun et aux vôtres, à qui je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Richelieu.

 

833. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, la veille de l’Assomption Notre-Dame (1) [1646] (2)

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai encore reçu aucune de vos lettres, et si je ne puis croire que vous ne m’en ayez envoyé (3). Je vous donne à penser en quelle peine nous serions si nous n’avions appris d’ailleurs de vos nouvelles. La Mère déposée de la Visitation d’Orléans (4), passant ici pour aller à Dieppe, nous a assuré qu’elle vous avait vue et M. l’abbé de Vaux a écrit d’Angers que vous avez été là et en êtes partie en bonne disposition ; ce qui nous a un

Lettre 833 — L s. — Dossier des Filles de la Charité, orignal. Le post-scriptum est de la main du saint.

1) 14 août.

2) Année du voyage de Louise de Marillac à Nantes. Tous les autres détails confirment cette date.

3) Louise de Marillac avait écrit d’Orléans (L. ettres de Louise de Marillac, I. 147), d’Angers et le II de Nantes

4) Marie-Renée Rousseau avait dirigé le monastère d’Orléans du 24 mai 1640 au 21 mai 1643. La Mère Claude-Espérance lui succéda pendant deux triennats successifs.

 

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peu consolés et nous fait espérer que vous êtes maintenant à Nantes (5). Dieu veuille que ce soit avec les forces convenables pour travailler à cet établissement, pour lequel je prie sa divine miséricorde de vous donner une ample participation à son esprit, pour le pouvoir communiquer à vos chères filles et répandre avec elles les odeurs de la très sainte dévotion dans les âmes !

Je ne vous dis rien de particulier sur ce que vous aurez à faire avec ces Messieurs (6), sur la confiance que j’ai que N.-S. vous donnera assez de lumière et de conseil pour cela ; lui seul sait de quelle affection je lui recommande tous les jours votre âme et votre voyage, et combien grandes sont les bénédictions que je lui demande pour vous et votre petite troupe, laquelle je salue en esprit avec toute la tendresse qui m’est possible.

Je n’ai pu voir qu’une fois vos assistantes d’ici (7). Aujourd’hui je les dois voir, s’il plaît à Dieu. Tout y va assez bien, à la réserve d’un peu d’intempérie qui paraît en quelques-unes ; mais votre présence remettra tout, et peut-être aussi la conférence que je me suis proposé de leur donner la semaine prochaine (8).

M. votre fils est incommodé et tient le lit chez son médecin (9). Je lui ai fait offrir la maison et tout ce qui dépend de nous, pour son plus grand soulagement, ou bien deux sœurs pour le servir, au cas qu’il voulût demeurer au lieu où il est. Il a mieux aimé le secours des sœurs, lesquelles sont auprès de lui depuis quelques

5) Elle y était arrivée le 8.

6) Les administrateurs de l’hôpital.

7) C’étaient Jeanne Lepeintre, à laquelle Louise de Marillac avait passé ses pouvoirs, Julienne Loret, "une grande âme dans un petit corps", et Elisabeth Hellot, la si dévouée et si intelligente secrétaire de la fondatrice.

8) Cette conférence nous a été conservée. Elle traite du respect mutuel et cordial.

9) M. Vacher (cf Lettres de Louise de Marillac, I 155)

 

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jours. Monsieur Brin vient de le voir tout présentement ; il m’a assuré qu’il se porte mieux et qu’il n’y a rien à craindre. C’est pourquoi je vous prie de ne vous en point mettre en peine, mais bien de faire en sorte que je puisse sortir bientôt de celle où je suis à l’égard des dames de la Charité de l’Hôtel-Dieu, qui me font une rude guerre pour vous avoir laissée aller, particulièrement Madame de Nesmond. Si vous revenez en santé, comme je l’espère de la bonté de Dieu, la paix sera bientôt faite. Je vous supplie donc de vous conserver autant qu’il vous sera possible.

Employez tout le temps qu’il faudra pour ne rien presser, ni vous incommoder en votre retour. Notre-Seigneur l’aura très agréable, puisque vous le ferez pour son amour.

C’est en ce même amour que je suis véritablement, Mademoiselle, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Depuis la présente écrite j’ai reçu votre lettre d’Angers, qui contient deux choses principales : l’une, la difficulté de sœur Perrette (10), et l’autre touchant le confesseur de vos filles de Nantes. Pour le premier, il faudra voir si elle changera, et eh user comme vous dites. Quant au second, je m’y trouve un peu empêché ; néanmoins, toutes choses pesées et considérées, je pense qu’il vaudra mieux se tenir à la proposition que nous prîmes ici, à

10) Sœur Perrette donnait beaucoup de soucis à Louise de Marillac. (Lettres de Louise de Marillac, 1. 178 bis et 182 bis.) Dans l’espoir qu’un déplacement lui serait utile, on la mit à Nantes. Rien n’y fit. Nous verrons plus loin qu’elle s’enfuit de Nan et rentra dans sa famille, à Sedan

 

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cause de ce commencement, et pource qu’on a quelque pensée de l’employer ailleurs dans quelque temps ; et ainsi vous pourrez alors prendre le Père spirituel de la Visitation (11), si ce n’est que vous jugez à propos, par les connaissances que vous avez de delà, d’en user autrement ; et c’est ce que je vous prie de faire.

Je viens tout présentement d’apprendre que M. votre fils est quasi guéri, et m’en vas mander à vos officières qu’elles se rendent céans après le dîner incontinent pour traiter avec elles de ce qu’il y aura à faire.

Je vous supplie d’avoir soin de votre santé et de prier Dieu pour le plus grand pécheur du monde, qui est v. s.

V. D.

Derechef je vous prie de suivre la pensée que Notre-Seigneur vous donnera sur le sujet du confesseur des filles.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras supérieure des Filles de la Charité, chez Messieurs les gouverneurs de l’hôpital de Nantes, à Nantes.

 

834. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis], août 1646.

Je crois être obligé de vous faire savoir que, le jour de sainte Anne, un second Joseph (1) fut sacrifié en cette ville de Tunis pour la conservation de sa chasteté, après avoir résisté plus d’un an aux violentes sollicitations de son impudique

11) M. des Jonchères.

Lettre 834. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 8, 1er éd., p 125

1). Antonin de la Paix.

 

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patronne et reçu plus de cinq cents coups de bâton pour les faux rapports que faisait cette louve. Enfin il a remporté la victoire en mourant glorieusement pour n’avoir voulu offenser son Dieu. Il fut trois jours attaché à une grosse chaîne, où je l’allai visiter, afin de le consoler et de l’exhorter à souffrir plutôt tous les tourments du monde que de contrevenir à la fidélité qu’il devait à Dieu. Il se confessa et communia, et après il me dit : "Monsieur, qu’on me fasse souffrir tant qu’on voudra ; je veux mourir chrétien." Et quand on le vint prendre pour le conduire au supplice, il se confessa encore une fois, et Dieu voulut, pour sa consolation, qu’il nous fut permis de l’assister à la mort ; ce qui n’avait jamais été accordé parmi ces inhumains. La dernière parole qu’il dit, en levant les yeux au ciel, fut celle-ci : "O mon Dieu, je meurs innocent." Il mourut très courageusement, n’ayant jamais fait paraître aucuns signes d’impatience parmi les cruels tourments qu’on lui fit souffrir ; après quoi nous lui fîmes des obsèques très honorables.

Sa méchante et impudique patronne ne porta pas loin la peine due à sa perfidie ; car le patron étant de retour en sa maison, la fit promptement étrangler pour achever de décharger sa colère. Ce saint jeune homme était portugais de nation, âgé de vingt-deux ans j’invoque son secours ; et comme il nous aimait sur la terre, j’espère qu’il ne nous aimera pas moins dans le ciel (2).

 

835. — AU CARDINAL MAZARIN

De Paris, ce 20 août 1646.

Monseigneur,

Voici Monsieur de Saintes (1) qui s’en va trouver [Votre Éminence]. Il lui confirmera ce que je me suis donné l’h[onneur] d’écrire à V[otre] E[minence] touchant Bordeaux et M[aillezais] (2) pour La Rochelle, et lui dira

2) Ce martyre est raconté avec plus de détails dans la notice de Julien Guérin. (Notices, t. III, p. 67 et suiv)

Lettre 835. — L. s — Dossier de la Mission, minute. Quelques additions sont de la main du saint.

1) Jacques Raoul de la Guibourgère

2) Aujourd’hui chef-lieu de canton en Vendée, dans l’arrondissement de Fontenay.

 

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comme les par [tisans de] Monsieur de Maillezais (3) agréent ce traité (4) [et en] remercieront V[otre] E[minence], et comme mondit sieur [de] Maillezais désirerait qu’il plût à la bonté [de Votre Éminence] de lui faire espérer quelque abbaye avec [un bénéfice], pour suppléer à la diminution du revenu qu’[il] souffre en ce traité, en sorte néanmoins qu’il se soumet à la volonté de V[otre] E[minence]. Il a fort bien fait à [Maillezais] et se propose de faire encore mieux à Bordeaux.

Et moi, Monseigneur, je continue mes [pauvres] prières pour la conservation de V[otre] E[minence], [pour le] bien de cet État et pour la sanctification de sa chère âme, qui suis, par la grâce [de Dieu], son, Monseigneur, très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

836. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 21 août 1646

Mademoiselle,

J’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite de Nantes (1). Je loue Dieu de tout ce que vous me dites, particulièrement de votre bonne disposition, laquelle je prie sa divine

3). Henri de Béthune, évêque de Maillezais.

4). Traité important, par lequel le siège épiscopal de Maillezais était transféré à la Rochelle, l’évêque de Maillezais nommé à Bordeaux et celui de Saintes à La Rochelle. On espérait porter un coup décisif au protestantisme en érigeant en évêché un de ses principaux boulevards. (Cf. I. Bertrand, La vie de Messire Henri de Béthune archevêque de Bordeaux, 2 vol. in-8°, Paris, 1902.)

Lettre 836. — Manuscrit Saint-Paul, p. 64

1) La lettre 831.

 

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bonté de vous conserver, et vous d’y faire, de votre côté, tout ce qui vous sera possible. Je suis bien aise que vous ayez trouvé la dame dont vous me parlez (2) autre qu’on ne vous l’avait figurée. Cela étant, vous ferez bien de vous tenir à votre première résolution pour la conduite de nos sœurs, au cas néanmoins que rien ne soit survenu qui vous ait fait changer d’avis (3).

M. de Vaux m’a mandé qu’une des sœurs d’Angers (4) est dangereusement malade ; peut-être aussi qu’il vous en a avertie ; et ainsi vous aurez pu penser qui nous pourrons envoyer à sa place, au cas qu’il soit nécessaire.

La reine nous a commandé de lui envoyer deux sœurs pour la Charité de Fontainebleau ; à quoi nous avons satisfait, et choisi la sœur Barbe (6), avec une autre (6), qui, pour être trop jeune, me fait croire qu’il la faudra retirer (7).

 

837. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Nantes, ce mardi 22 août [1646] (1)

Monsieur,

Je crois que vous aurez reçu la lettre par laquelle je vous mandais que je croyais que la divine Providence voulait que nous suivissions l’ordre que votre charité nous avait donné pour la direction de nos sœurs, et ç’a grâce que sa bonté nous a faite à l’égard des difficultés dont je vous avais écrit au sujet de ma sœur Perrette. Je crois que nos

2) Mademoiselle des Jonchères.

3). Le premier nom mis en avant pour la direction des sœur, était celui de M. des Jonchères.

4). La sœur Marie-Marthe * Trumeau.

5). Barbe Angiboust. Elle était chargée des pauvres et des malades.

6). Anne Scoliège, directrice de l’école des filles.

7) Quelques mois après, trois autres sœurs furent envoyées à Fontainebleau pour le service de l’hôpital.

Lettre 837. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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sœurs auront pour confesseur ordinaire celui des religieuses de la Visitation (2), qui se veut donner à l’hôpital pour aumônier, à la place de celui qui y est depuis y a longtemps. J’appréhende bien que ces bonnes religieuses ne nous attribuent être la cause du déplaisir qu’elles en recevront. Elles ne le savent pas encore, et je ferai bien tout ce que je pourrai pour avoir l’honneur de les voir avant, crainte qu’elles m’en fassent reproche, encore que je n’y aie rien contribué.

Je vous remercie très humblement, mon très honoré Père, de la bonté que vous avez pour mon fils ; que ce m’est un grand repos. Le jour que je reçus l’honneur de votre chère lettre, j’avais eu une plus forte pensée de le donner à Dieu et lui abandonner entièrement. Cela m’aida à porter la nouvelle que votre charité me donna.

J’espère que demain nos affaires avec ces Messieurs seront terminées. Il n’y aurait plus qu’à voir parfaire les accommodements que j’ai demandés à ces Messieurs, et à voir nos sœurs dans l’exacte pratique, un peu de temps, de leur règle, chacune dans sa charge. Mais la crainte que j’ai de me satisfaire sans nécessité et de demeurer malade, me fait prendre résolution de partir la semaine prochaine pour aller prendre le carrosse d’Angers, si j’ai la santé que Dieu me donne. Ma sœur Jeanne Lepeintre m’a mandé qu’un homme d’église a été chez nous pour que l’on me mandat de passer par Le Mans, ce que je ne ferai pas, au moins pour m’y arrêter, si votre charité ne me l’ordonne et m’avertisse de ce que j’aurais à y faire.

Je suis bien fâchée que mon fils n’ait pas accepté l’honneur que vous lui avez fait de l’admettre chez vous. Mon Dieu ! je pense que je ne serai point exaucée, demandant son entière conversion. Il me semble que le mal qu’il a eu est plus dangereux qu’il ne pense ; mais je crains bien qu’il fasse la sourde oreille et qu’il ne veuille laisser entrer en son esprit la crainte, de peur qu’elle ne l’engage à un heureux retour.

Je ne sais rien de votre santé ; cela me met un peu en soin. Pour l’amour de Dieu, Monsieur, je vous supplie que j’en sois assurée.

Je crois que Mesdames de l’Hôtel-Dieu seront bien satisfaites de moi, quand elles auront vu que je n’ai point manqué d’écrire. Je m’étonne de tant de peine, vu que je sais bien me le pas mériter ; et Dieu, qui le sait, comment le souffre-t-il ? C’est pour m’humilier.

1) M des Jonchères

 

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Je me prends un peu à votre charité des honneurs que l’on nous rend ici. Au nom de Dieu, ne trompez plus personne en mon sujet L’on me prend pour grande dame. Je pense qu’il n’y a gué de dame de qualité qui ne nous soit venue voir, et même des personnes venir exprès des champs. Oh ! que je brûlerai un jour et que je recevrai de grandes confusions ! La volonté de Dieu soit faite, en laquelle je suis, Monsieur, votre très obéissante servante et indigne fille.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

838.--A DES PARENTS (1)

Ce n’est pas sans une conduite bien particulière de la Providence que vous avez été diffamés ; Dieu l’a ainsi permis pour sa gloire et pour votre bien : pour sa gloire, afin que vous soyez conformes à son Fils, qui a été calomnié au point qu’on l’appelait séducteur, ambitieux et possédé du démon ; pour votre bien, afin de satisfaire à la justice de Dieu pour d’autres péchés que vous pouvez avoir commis et que vous ne connaissez pas peut-être, mais que Dieu connaît.

 

839. — A JEAN BARREAU

De Paris, ce jour saint Barthélemy (1) 1646.

Béni soit Dieu, Monsieur, de ce qu’il vous a rendu heureusement

Lettre 838. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XIX, p. 291.

1). Sur les accusations de misérables calomniateurs, dit Abelly, un parlement célèbre, celui de Bordeaux probablement, intenta des poursuites contre quelques parents de saint Vincent. Malgré les prières de ses amis, le saint refusa d’intervenir sinon pour modérer la sévérité des juges, qui condamnèrent les diffamateurs, et pour engager ses parents, par la lettre ci-dessus, à bien supporter cette pénible épreuve.

Lettre 839. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) 24 août

 

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à Alger, votre consulat ! Je prie sa divine bonté de vous y donner son esprit pour y servir Sa Majesté et le public en ce même esprit, dans la conduite de son Fils et de l’ange gardien qu’il vous a donné.

Je ne puis vous exprimer la consolation que mon âme a reçue à la réception de votre chère lettre. Oh ! que je prie bien Dieu qu’il bénisse le séjour, comme il a fait votre arrivée de delà, et tout ce que vous ferez de delà !

J’écris à Monsieur Nouelly touchant ce que l’on fait pour ces pauvres rachetés et captifs, qui n’est encore rien.

Votre bonne tante nous est venue voir pour apprendre de vos nouvelles. Elle a été ravie de celles que je lui ai dites de votre arrivée, et moi de la bonté que j’ai vue en cette chère âme. Elle se recommande à vos prières. Et moi, Monsieur, je vous recommande la mienne, à ce qu’il plaise à Dieu la faire participante au bien que vous faites de delà. J’en attends des nouvelles avec dévotion, et prie cependant Notre-Seigneur qu’il bénisse de plus en plus votre chère âme et qu’il la sanctifie.

Nous n’avons rien qui mérite vous être écrit pour le présent, sinon la bénédiction qu’il plaît à Notre-Seigneur donner aux petits travaux de la petite compagnie. Il vient de se faire une mission par M. Gallais de trois ou quatre mois durant. Je ne puis vous exprimer les bénédictions extraordinaires que Notre-Seigneur lui a données, comme aussi à celle de Gênes.

Sa divine bonté, qui vivifie et mortifie, nous a mis dans la souffrance et la confusion, à cause de la persécution que nous recevons dans l’établissement de Saint-Méen, ou plutôt Monseigneur de Saint-Malo (2), qui nous

2. Achille de Harlay de Sancy.

 

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y a établis. Béni soit sa divine bonté, qui en dispose ainsi ! Je suis, en son amour, votre très humble serviteur,

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul d’Alger, à Alger.

 

840. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GENES

De Paris, ce jour saint Barthélemy (1) 1646.

Monsieur,

Il n’y a que Dieu seul, Monsieur, qui vous puisse exprimer la consolation que j’ai de vous et de M. Martin et de tout ce que vous faites. O Monsieur, que je m’en vas dire la sainte messe de bon cœur à ce que sa divine bonté sanctifie vos chères âmes de plus en plus ! Je viens d’écrire à M. Dehorgny ce que je vous viens de dire, et le prie, si déjà il ne l’a fait, qu’il vous envoie celui qu’il vous a destiné (2).

Le bon M. Jegat, que M. Martin a connu, est mort à La Rose. Je le recommande à vos prières. Notre établissement (3) de Saint-Méen souffre persécution par les religieux réformés (4) pour nous chasser d’une abbaye, la mense des religieux, laquelle Monseigneur l’évêque, après la permission du roi et celle du Grand Conseil, a offerte à la compagnie pour son séminaire.

Lettre 840. — L. a. — Dossier de la Mission, original

1) 24 août

2) François Richard.

3). Le saint avait d’abord écrit notre maison

4) Le saint avait ajouté de Saint-Benoît, puis il ratura ces mots.

 

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Aidez-nous à honorer le déchassement de Notre-Seigneur de certaines provinces et les actes de vertu qu’il a pratiqués là dedans ; et priez pour ces Pères, je vous en supplie, que je chéris plus que moi-même et que j’ai tâché de servir en toutes les occasions, comme notre petite compagnie.

En même temps Notre-Seigneur, qui vivifie et mortifie, nous a consolés des merveilleuses et quasi miraculeuses bénédictions qu’il a données à une mission qu’on vient de faire, quatre mois durant, en même lieu, au fin fond du Maine par M. Gallais. J’en envoie la lettre à M. Guérin, à Tunis.

L’on vous a envoyé les choses que vous avez demandées, il y a assez longtemps. Je crois que vous les avez reçues et que le bon frère que nous vous avons envoyé (5) sera à vous aussitôt que la présente.

Je pense qu’il vaut mieux que vous nous renvoyiez notre frère Pascal (6) et que vous preniez plutôt quelque petit garçon pour vous servir, en attendant que nous vous envoyions quelqu’autre.

J’embrasse ici le bon M. Martin avec dévotion et vous, Monsieur, que je chéris aussi plus que moi-même, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Vous retiendrez ce bon frère Pascal le temps que vous [aurez besoin de lui] (7).

5) Sébastien Nodo ou Sébastien Drugeon, né à Briancon-l’Archevêque (Yonne), entré à Saint-Lazare le 1er novembre 1645, reçu aux vœux en novembre 1648.

6). Jean-Pascal Goret.

7). Ces mots ou d’autres équivalents ont disparu de l’original par suite d’une maladroite découpure des bords de la feuille.

 

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841. — A LOUISE DE MARILLAC

Paris, le jour de saint Louis (1) 1646.

Mademoiselle,

Je rends grâces à Dieu de celles qu’il vous fait et notamment de la santé qu’il vous donne.

Monsieur des Jonchères m’a écrit l’agrément de la prière que vous lui avez faite touchant la direction de nos chères sœurs. Il m’est impossible de lui écrire ; le courrier va partir. Faites-lui le renouvellement de mon obéissance, je vous en prie.

Vous trouverez votre nombre de sœurs augmenté de trois, dont les deux me paraissent bien bonnes. Je me défie un peu de la troisième. Mais quoi ! elle est venue de cent lieues d’ici. Je leur ai dit à toutes que nous en essaierons. Elles sont du Poitou.

Monsieur votre fils fut hier céans. Il est entièrement guéri. Je ne le vis pas, parce que je ne descendis pas assez à temps.

Mais quand viendrez-vous, Mademoiselle ?

Voici le résultat de la conférence de nos chères sœurs, rédigé par ma chère sœur Hellot (2), Je viens d’en lire une partie. Je vous avoue que j’en ai un peu pleuré à deux ou trois diverses reprises. Si vous ne venez bientôt, renvoyez-le-nous après l’avoir lu.

Nous vous attendons avec l’affection que Notre-Seigneur sait. Je suis, en son amour…

Lettre 841 — Dossier de la Mission, copie prise sur l’original, chez M. Butel, avocat, à Pau (14, rue Marca).

1) 25 août.

2) Sœur Elisabeth Hellot, née à Paris, entrée chez les Filles de la Charité en 1645, morte en 1652. Elle sut mériter la confiance de Louise de Marillac, qui la prit pour secrétaire.

 

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842. — A GILBERT CUISSOT

De Paris, ce jour saint Louis (1) 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous demande très humblement pardon, prosterné en esprit à vos pieds, de ce que je ne vous ai pas fait réponse plus tôt au détail de ce que vous m’écrivez du premier de ce mois.

L’affaire de M. Vasse est une indemnité qu’il a droit de prendre sur Coëffort (2) au changement du supérieur. Nous avons convenu avec un chanoine du Mans et maître des requêtes à quatre cents livres et à lui donner homme vivant et mourant. M. Gallais vous expliquera cela, et il est nécessaire qu’il soit satisfait au plus tôt. Je ne savais pas tous ces dettes. Ce que nous pouvons faire est de tâcher à satisfaire ici à M. l’abbé Lucas (3), et vous pourrez vous aider de ce que M. le fermier général lu doit. Je l’écris à M. Gallais.

Je dirai à M. Bajoue (4) ce que vous me dites de nos frères pour apprendre à servir à la sainte messe.

Lettre 842. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

12) 25 août.

2). Notre-Dame de Coëffort, église collégiale du Mans, unie à la Congrégation de la Mission.

3) Conseiller et aumônier du roi, abbé commenditaire de Saint-Hilaire au diocèse de Carcassonne. Il habitait Paris, rue Neuve-Saint-Honoré, sur la paroisse Saint-Roch. C’est de lui que les prêtres de la Mission tenaient la prévôté de l’église collégiale de Notre-Dame de Coëffort et leurs droits sur l’Hôtel-Dieu.

4). Emerand Bajoue, né à Céaux (Vienne), entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 1er décembre 1640, à l’âge de trente et un ans, reçu aux vœux le 24 avril 1657, mort le 28 février 1671. Il fut supérieur à La Rose (1649-1652) et à Notre-Dame de l’Orme ou de Lorm (1652-1654).

 

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M. Gallais vous pourra instruire de l’affaire de M. Pousset, et prendre résolution avec vous de ce qu’il y a à faire, et me le mander.

M. Alain est travaillé d’une fièvre tierce. Il eut hier le 5è accès. L’on espère que ce ne sera rien. Dès qu’il se portera mieux, je le prierai de répondre à votre lettre. M. Gallais et vous, Monsieur, jugerez s’il est expédient de donner la conduite intérieure et extérieure du séminaire à M. Le Blanc.

M. votre neveu (5) se porte bien, Dieu merci. Il est rentre dans le séminaire de son propre mouvement et y fait

Et moi, je prie Notre-Seigneur qu’il vous fortifie de plus en plus, et suis, en son amour, plus tendrement que je ne saurais vous exprimer, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Cuissot.

 

843. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 25 août 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai reçue du succès de votre visite de Richelieu. Je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse les autres à l’avenant et qu’il vous

5) Jean Cuissot, né à Moulins, entré dans la congrégation de la Mission le 28 novembre 1642, à l’âge de vingt-trois ans, reçu aux vœux le 11 novembre 1644. Il avait quitté la compagnie et obtenu sa réadmission.

Lettre 843. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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fortifie, M. Alméras et vous. Je salue mondit sieur Alméras et le prie de demander pardon à M. son père (1), pour lui et pour moi, de ce qu’il n’est allé prendre congé de lui, dont il est plus fâché contre moi que je ne vous puis expliquer.

Vous trouverez à quoi travailler à Saintes, Messieurs Soudier et Noyelles ne vivant pas bien dans l’ordre, ni avec M. Dufour. La grande récollection de celui-ci a choqué ceux-là. Il peut y avoir de l’excès en M. Dufour. Tout le monde ne peut pas s’ajuster à cette sainte exactitude qu’il a. Mais le principal défaut vient de la liberté, quoique honnête, des autres. Vous tâcherez de les ajuster. Que si M. des Noyelles ne vous donne pas espérance de s’ajuster à l’exacte observance de la régularité, il vaudrait mieux l’envoyer à Saint-Méen ; M. Bourdet sera fort satisfait de cela. Mais je ne sais qui l’on pourra envoyer à sa place à Saintes, qui puisse parler en public. Pensez-y, Monsieur, je vous en prie.

Je viens d’écrire à M. du Coudray a que vous serez bientôt à lui, après avoir expédié Saintes, et le prie de vous bien recevoir et de faire usage de vos ordonnances. Je l’ai prié d’aller ensuite faire la visite à Cahors en la même manière qu’il vous verra faire. Monseigneur de Cahors (3) est mal satisfait de M. Delattre (4) et

1). René Alméras, né à Paris le 12 novembre 1575, avait épousé en premières noces Marguerite Fayet et en secondes Marie Leclerc, qui lui donna six enfants. D’abord secrétaire du roi, puis trésorier de France à Paris (19 janvier 1608), secrétaire de Marie de Médicis, maître des comptes de 1622 à 1656, contrôleur général des postes (1629-1632), secrétaire des commandements de Marie de Médicis, il remplit dignement tous ces emplois. Après avoir donné son fils à la congrégation de la Mission, il y entra lui-même le 2 mars 1657, à l’âge de quatre-vingt-un ans. Il termina ses jours à Saint-Lazare le 4 janvier 1658. (Notices, t. II, p. 453-461.)

2) Supérieur à La Rose.

3) Alain de Solminihac.

4) Supérieur du séminaire.

 

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demande quelqu’autre à sa place, et c’est ce qui m’empêche.

Je ne sais si vous avez su la mort de feu M. Jegat. (11) s’est noyé, s’étant allé baigner, par l’ordre du médecin, à une rivière qui passe auprès de La Rose. Je ne vous puis dire quelle perte nous avons faite. Vous en ferez faire la conférence, si M. du Coudray ne l’a faite, quand vous y arriverez, ainsi que je lui ai mandé, et ferez écrire ce qu’on dira de ses vertus, et le nous enverrez pour faire la nôtre sur celle-là. Il y en a peu céans qui le [connaissent].

Je ne sais si je vous ai écrit le départ de M. Le Soudier (5) pour Salé, qui est en Afrique, par delà le détroit, sur la mer Océane, et comme les religieux réformés de Saint-Benoît nous ont chassés de Saint-Méen, de l’autorité du parlement. Je viens de recevoir une lettre de M. de Saint-Malo (6), par laquelle il me mande qu’il a avis que les nôtres sont rétablis de l’autorité du roi, cela avec l’assistance du capitaine des gardes de M. le gouverneur de la province (7). Si la chose dépendait de nous, nous rappellerions les nôtres ; mais c’est l’affaire de mondit seigneur, qui a agi en son nom et a interdit l’église de Saint-Méen, et a défendu, sur peine d’excommunication, à son peuple d’y entrer, pendant que ces Pères y seront. Mon Dieu, Monsieur, que cela m’afflige ! Eussiez-vous jamais dit que nous eussions eu cet exercice par ces bons Pères, que nous avons tâché de servir avec autant d’affection que si ce fussent été nos propres affaires ? J’espère

5) Jacques Le Soudier. Il n’alla pas plus loin que Marseille.

6) Achille de Harlay.

7) Le maréchal de la Maillerraye, gouverneur de Bretagne, avait, à la demande d’Achille de Harlay, envoyé quinze cavaliers à Saint-Méen, sous les ordres de Grand-Misons, pour chasser les Bénédictins de l’abbaye.

 

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que Notre-Seigneur regardera ce peu que nous avons tâché de faire pour eux, comme venant de la charité, quae patiens est (8), Plaise à la miséricorde de Dieu que cela soit ainsi et me donner le moyen de les servir à l’avenir ! ce que je me propose de faire plus afftectionnément que jamais, moyennant l’aide de Dieu, que je vous prie de lui demander pour moi.

Voilà l’endroit où je finis, après m’être recommandé à vos prières et à celles de ces Messieurs, que j’embrasse, prosterné en esprit à leurs pieds et aux vôtres, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, étant de présent à la Mission de Saintes, à Saintes.

 

844. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Du 27 août [1646].

Monsieur,

J’ai rendu compte à la reine de ce que vous avez arrêté avec M. de Maillezais. Elle l’approuve entièrement et désire que le tout s’exécute de point en point. Je vous envoie pour cet effet le brevet de nomination qu’elle a faite de la personne de mondit sieur de Maillezais à l’archevêché de Bordeaux, ne doutant point que, de son coté, il ne soit bien aise de vous remettre sa démission entre les mains. Quant aux deux mille livres de pension et 400 en bénéfices dont vous êtes convenus, Sa Majesté m’a commandé de vous en assurer de sa part, afin que rien ne retarde la conclusion de cet affaire. Cependant je suis..

8) Première épître de saint Paul aux ; Corinthiens XIII, 4

Lettre 844. — Arch. des Affaires Étrangères, Mémoires et documents, France, 1646-1647, Lettres de Mazarin, Reg. 261, f° 186 v°, copie.

 

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845. — JEAN GARRON A SAINT VINCENT

27 août 1646.

Voici l’un de vos enfants en Jésus-Christ, qui a recours à votre bonté paternelle, dont il a ressenti autrefois les effets, lorsque, l’enfantant à l’Église par l’absolution de l’hérésie, que votre charité lui donna publiquement en l’église de Châtillon-les-Dombes l’année 1617, vous lui enseignâtes les principes et les plus belles maximes de la religion catholique, apostolique et romaine, en laquelle, par la miséricorde de Dieu, j’ai persévéré et espère de continuer le reste de ma vie. Je suis ce petit Jean Garron, neveu du sieur Beynier, de Chatillon, en la maison duquel vous logiez pendant que vous fîtes séjour audit Chatillon (1). Je vous supplie de me donner le secours qui m’est nécessaire pour m’empêcher de rien faire contre les desseins de Dieu. J’ai un fils unique qui, après avoir achevé ses classes, a formé le dessein de se faire jésuite. C’est le fils le plus avantagé des biens de la fortune qui soit en toute cette province. Que dois-je faire ? Mon doute procède de deux choses… Je crains de faillir, et j’ai cru que vous me feriez la grâce de donner vos avis là-dessus à l’un de vos enfants, qui vous en supplie très humblement.

Vous agréerez que je vous dise que dans Chatillon l’association de la Charité des servantes des pauvres est toujours en vigueur.

 

846. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Nous n’avons presque rien à faire et néanmoins je ne saurais faire hâter ces Messieurs, qui m’ont encore retenue pour cette semaine. Nous avons une grande difficulté, qui est que la coutume de cette ville est d’avoir un pourvoyeur.

Lettre 845. — Abelly, op. cit., 1. I, chap. XI 1er éd., p. 49.

1) Abelly a consacré plusieurs chapitres de son ouvrage (l. I, chap. IX, X, XI, XII) au séjour de cinq mois que saint Vincent fit à Châtillon en 1617.

Lettre 846. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

 

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qui avance ses deniers pour la dépense de l'hôpital gratuitement, dont la femme avait accoutumé de venir faire les portions des malades et vient encore les distribuer à sa volonté, d'autant que cela répugne à nos articles. Je proposai cette difficulté aux pères, qui m'accordaient tout ce que je leur demandais. Je crains bien que cela ne nous accroche et arrête un peu plus que le ne pensais, à cause que je prévois de grands inconvénients pour la tranquillité et union de nos sœurs, d'autant que cette femme n'est pas contente de leur ménagement et se veut faire d'intelligence tantôt avec l'une, tantôt avec l'autre, et je ne pense pas les devoir laisser, qu'elles ne soient déchargées de cet empêchement. Si cela se fait cette semaine, j'espère que nous partirons lundi, mais, parce que cela n'est pas très assuré, je vous supplie très humblement, Monsieur, prendre la peine me mander ce que j'aurai à faire, parce que cette femme et son mari achêvent dans 3 ou 4 mois et que Messieurs proposent supprimer cette charge pour plusieurs autres inconvénients ; savoir si, sur cette espérance, je les dois laisser, quoique je craigne que les désordres les plaintes et manque de bon service aux pauvres ce temps-là ne mettent impression dans les esprits que toutes ces fautes viendraient de nos sœurs. Si vous me faites l'honneur de m écrire, je vous supplie très humblement, Monsieur que votre charité adresse cette lettre à Sainte-Marie (1) crainte qu'elle ne tombe entre d'autres mains, au cas que toutes ces difficultés soient bien et sûrement levées et que je partisse le jour que je vous ai marqué.

Il est vrai que Monsieur l'abbé de Vaux m'a avertie de la maladie et rechute de notre bonne sœur Marie-Marthe (2) à Angers, et, depuis la semaine passée, je n'ai point eu de nouvelles. Quand bien Dieu en aurait disposé, je pense, Monsieur, qu'il ne serait pas encore besoin d'en envoyer une autre, d'autant que nos sœurs m'avaient fait entendre la nécessité des quatre sœurs qu'elles demandent y a longtemps. Messieurs les pères des pauvres, de leur mouvement me les ont demandées, me voyant sur le point de sortir d'Angers sans leur en parler, me promettant tout ce que j'ai cru nécessaire leur demander pour leur accommodation. Je leur ai promis vous en parler à mon retour et comme assuré de leur en envoyer le plus tôt qui se pourra, comme aussi deux à cet hôpital ici de Nantes, tellement, Monsieur, que

1) Couvent de la Visitation.

2). Marie-Marthe Frumeau.

 

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ce sera sept qu'il nous faut demander à ça divine Providence. Dieu soit éternellement glorifié des bénédictions qu'il donne à notre petite compagnie ! J'en espère toujours l'augmentation, puisque votre charité s'exerce si fortement pour sa perfection. Je ne vous saurais dire la consolation que mon cœur en ressent, Dieu me faisant connaître que je n'y suis nullement nécessaire et très peu utile.

J'ai bien ressenti la douleur de Monsieur et Madame de Liancourt : mais j'appréhende bien que la manière dont a été la mort de leur fils (3) soit longtemps à grande affliction à cette bonne mère. J'espérais que la maladie du pensionnaire de Monsieur Vacherot (4) lui aurait servi ; mais, a ce que l'on me mande, il se promène et même il découche de la maison. Il m'a écrit et me fait paraître un nouveau ressentiment d'avoir été arrêté, et, à mon petit sentiment, ici a mis et met une garde à son cœur pour l'empêcher qu'il ne reçoive connaissance de l'état auquel est son âme. Je vois tout ce mal, mais assez tranquillement, et me semble n'avoir plus rien en lui, duquel pourtant je désire beaucoup le salut. Je supplie très humblement votre charité le demander à notre bon Dieu, par les mérites de son Fils ; c'est une affaire de toute-puissance, je le crois.

Ma santé est un peu meilleure que losque je me donnai l'honneur de vous écrire la dernière fois. Tous savez tous mes besoins, non pas mes infidélités, qui me tiennent, presque sans aucun exercice de dévotion, toujours avec le monde ou dans le soin de ma santé. C'est pitié de moi, quoique je sois véritablement, et Dieu veuille que ce ne soit à ma grande confusion Monsieur, votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

[Nantes] ce 28 août 1646 (5) ]

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

3) Henri-Roger du Plessis, comte de la Roche-Guyon, marquis de Montfort, tué au siège de Mardick le 6 août 1646.

4) Michel Le Gras.

5 Date ajoutée au dos de l'original par le frère Ducournau.

 

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847. —A LOUIS CALLON

Paris, 28 août 1646.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de celle que vous nous faites espérer, de venir bientôt vous reposer en suite de vos grands travaux. O Monsieur, que vous serez le bien venu et que je vous embrasserai volontiers ! Venez donc et ne tardez pas, s'il vous plaît, Monsieur ; et je vous assure que nous aurons un soin tout particulier de votre santé et que vous serez le maître de la maison pour dire et faire tout ce qu'il vous plaira, et particulièrement le mien, qui vous ai toujours chéri avec plus de tendresse que mon propre père.

Que si tant est que vous ayez besoin des quatre mille livres que vous avez données aux Feuillants (1) à rentes et affectées à la Mission, très volontiers nous vous en ferons la rétrocession, étant juste, ce me semble, qu'un fondateur qui se trouve en nécessité, s'aide du revenu de la fondation qu'il a faite. Et nous ferons plus; car si vous avez besoin du fonds pour vous subvenir en votre vieillesse, nous le vous transporterons, comme nous avons fait à M. le curé de Vernon (2), lequel nous ayant donné six cents livres de rente et les nous ayant demandées depuis, assurant en avoir besoin, nous lui avons rétrocédé et la rente et le fonds. Mais si vous n'en avez pas

Lettre 847. — Recueil du procès de béatification.

1) La donation remontait au 23 août 1629. Elle était faite à cette fin que deux prêtres de la Mission donneraient tous les ans une mission dans le diocèse de Rouen, plus spécialement dans le doyenné d’Aumale. La somme fut remboursée aux Pères Feuillants ie 23 novembre 1650. (Arch. Nat. M 211 liasse l.)

2). Aujourd’hui chef-lieu de canton dans I’Eure.

 

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besoin, jouissez toujours du revenu, Monsieur, ainsi que vous avez fait jusqu'à présent; et nous continuerons les missions que nous avons commencées et continuées avec tant de bénédictions. L'on nous a fait quelques ouvertures d'un établissement en ces quartiers-là ; et ceci pourra y servir. Et moi, Monsieur, n'aurai jamais plus grande consolation que celle de vous pouvoir complaire, comme à mon bon et très cher père, que je chéris plus que moi-même, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

 

848. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GENES

[Fin août 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre m'a infiniment consolé, comme toutes les autres que vous m'écrivez, dont je rends grâces à Dieu, et le prie qu'il sanctifie de plus en plus votre chère âme. Je suis en peine du petit voyage de Monsieur Blatiron dans les grandes chaleurs, quoique bien consolé qu'il ait rendu ce petit service à Dieu en la personne de Madame de Guébriant (2), qui est une personne de notable considération.

Lettre 848. — Dossier de ia Mission, copie.

1). C'est évidemment entre les lettres 840 et 853, c’est-à-dire entre le 24 août et le 6 septembre 1646, que se place la lettre ci-dessus Saint Vincent ayant l'habitude d’écrire tous les huit jours, il est assez probable qu’elle est du 31 août.

2). Renée du Bec-crespin, veuve de Jean-Baptiste de Budes, comte

 

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Je viens d'écrire présentement à Monsieur Dehorgny qu'il se hâte de vous envoyer Monsieur Richard ; et je pense que vous aurez reçu notre frère Bastien avant la présente ; vous le trouverez fort bon enfant.

Voilà, Monsieur, ce que l'embarras que j'ai me permet de vous dire en fort grande hâte et en renouvellement des offres de mon obéissance, que je vous fais avec toute l'humilité et l'affection que je le puis, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

 

849. —A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

De Paris, ce 31 août 1646.

Monsieur,

L.a grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n'ai point reçu votre paquet cette semaine. Je vous fais ces lignes néanmoins pour entretenir le commerce de lettres par tous les courriers ordinaires, comme aussi pour vous dire que j'ai vu le R. P. Charlet, qui m'a dit, pour nos vœux, qu'il s'en faut tenir pour le présent à ce que nous en avons.

Je serai bien aise de savoir l'avis de delà, s'il est nécessaire que la perpétuité du général (1) soit autorisée par

de Guébriant, maréchal de France, mort, le 24 novembre 1643, des suites d’une blessure reçue au siège de Rotweil et inhumé à Saint-Lazare. La reine Anne d’Autriche lui confia la délicate mission de mener au roi de Pologne en 1645 la princesse Marie de Gonzague, qu'il avait épousée par procuration. Madame de Guébriant rentra à Paris en octobre 1646 et mourut à Périgueux le 2 septembre 1659.

Lettre 849. — L. a. — Colleclion de M Henri de Rothschild, orlginal

1) Le supérieur général de la congrégation de la Mission est élu à vie.

 

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le Pape, ou s'il suffit qu'elle le soit par Monseigneur de Paris.

Je me trouve empêché du refus qu'on vous fait de donner les facultés aux missionnaires d'Alger, desquels j'ai reçu lettre qu'ils ont été bien reçus et ont commencé déjà à y faire bien du bien.

M. Le Soudier (2) est parti pour Salé, qui est une ville sur la côte d'Afrique, sur la mer d'Océan, au delà du détroit.

Que ferons-nous à cela ? Les choses continueront-elles comme cela après M. Ingoli ?

Les Capucins demandent ici que nulle autre communauté se puisse établir aux villes de Grèce, d'Afrique et d'Asie, où le roi a des consuls, où ils sont établis, qui n'apporte lettres du roi au consul. J'ai moyenné cela; mais, la chose n'étant pas encore expédiée, j'y penserai.

Je vous avoue que j'ai beaucoup d'affection et de dévotion, si me semble, à la propagation de l'Eglise aux pays infidèles par l'appréhension que j'ai que Dieu l'anéantisse peu à peu de deçà et qu'il n'en reste point ou peu d'ici à cent ans, à cause de nos moeurs dépravées, de ces nouvelles opinions, qui croissent de plus en plus, et à cause de l'état des choses. Elle a perdu depuis cent ans, par deux nouvelles hérésies (3), la plupart de l'Empire et les royaumes de Suède, de Danemark et Norvège, d'Ecosse, d'Angleterre, d'Irlande, de Bohème et Hongrie, de sorte qu'il reste l'Italie, la France, l'Espagne et la Pologne, dont la France et la Pologne font beaucoup des hérésies.

Or, ces pertes d'Eglises depuis cent ans nous donnent sujet de craindre, dans les misères présentes, que dans

2) Jacques Le Soudier.

3) Les hérésies de Luther et de Calvin.

 

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autres cent ans nous ne perdions tout à fait l'Eglise en Europe ; et en ce sujet de crainte, bienheureux sont ceux qui pourront coopérer à étendre l'Eglise ailleurs. Monsieur Martin me mande que vous avez mandé à M. Blatiron que vous lui envoyez M. Richard, dont ils sont contents. Je vous prie de l'exécuter au plus tôt et de prier Dieu pour moi, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Dehorgny.

 

850. —A JEAN BOURDET, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

De Paris, ce 1er de septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre Seigneur soit avec vous pour jamais !

[Votre lettre] du mois passé m'a consolé d'un côté et

Lettre 850. —L. a. —Arch. de la Mission, minute. Cette minute est en mauvais état. Là où le texte fait défaut nous le reconstituons d'après une copie donnée par le registre 2, p. 287.

1). Pour se rendre compte de l'état d'esprit de Jean Bourdet au moment où saint Vincent écrivait cette lettre, il faut savoir que les religieux de Saint-Benoît, chassés de l'abbaye, le 20 août, par les soldats du maréchal de la Meilleraye, avaient demandé aide et protection au parlement de Bretagne. Le 22, la cour ordonnait une enquête. Le 28, elle décrétait de prise de corps MM. d'Orgeville, grand vicaire, Bourdet, Beaumont, Grand-Maisons et plusieurs autres. Pour éviter sans doute une collision sanglante, le maréchal de la Meilleraye rappela ses soldats. Pierre Beaumont resta seul pour garder l'abbaye. Jean Bourdet, écrit dom Maurel (cité par Ropartz, p.195), " fut saisi d'une terreur panique qui le fit à l'instant mettre le pied dans l'étrier et porter un jour et une nuit sans débrider, n'osant mettre le pied à terre, crainte de tomber entre les mains de la justice, jusqu'à ce qu'enfin, ni homme ni cheval n'en pouvant plus, il descendit à la porte d'une hôtellerie qu'il rencontra dans un village de

 

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mis en peine d'un autre. [La consolation] venait de ce que l'on n'avait rien fait contre vous [des choses] dont vous attendiez la violence le lendemain ; [et la peine] venait de ce que vous me mandez que vous ne p[ouvez retenir] la compagnie dans le danger dans lequel elle est. [sur quoi je vous dirai] que si la chose dépendait de la compagnie, que n[ous vous eussions] rappelés au premier exploit ; mais qu'étant [liés avec] un prélat qui est en cause, et la chose regardant le bien des [autres], qu'en pensant observer le conseil de l'Evangile, de ne point plaider, [nous tomberions] dans l'ingratitude, qui est le crime des crimes ; que le sujet est juste. De plus quelle risque encourt en cela la compagnie ? C'est de souffrir emprisonnement, me direz-vous ; car c'est le pis. Hélas ! [Monsieur], de quoi sommes-nous capables, si nous ne le sommes de cela pour [Dieu] ? Est-il possible que nous voyions des cent mille hommes qui [s'exposent] en chaque campagne, depuis le moindre du peuple jusques [aux princes] du sang, pour le service de l'État, non seulement à l'emprisonnement, mais à la mort, et que Notre-Seigneur ne trouvera pas cinq ou six serviteurs fidèles et assez courageux pour son service !

Oui, mais cela est contre la maxime de l'Evangile, qui nous défend de plaider, et contre l'usage de la compagnie. —Saint Paul et Notre-Seigneur ont conseillé de tout perdre plutôt que de plaider. Mais l'un et l'autre ont été contraints d'en venir là et ont perdu leurs [procès] et leur vie dans leurs procès. La maxime de la compagnie

l'évêché de Vannes, où voulant séjourner quelque temps pour prendre haleine et se rafraîchir, il trouva par malheur deux chevaux dans l'écurie, qu'on lui dit appartenir à deux huissiers qui venaient d'arriver ; ce qui l'étonna de telle sorte que, sans s'informer d'où ils venaient, où ils allaient, ni qui les menait, il replie bagage, remonte sur sa bête et recommence tout de nouveau à lui donner des deux, jusqu'à la faire, comme on m‘a dit, mourir entre ses jambes ".

 

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est d'aimer à plutôt perdre que de plaider ; cela est vrai; et je prie Dieu qu'il nous fasse la grâce d'être bien fidèles à la pratique de cette maxime; mais cela [est pour] quand cela dépend de nous. Mais quoi ! ce n'est pas nous qui sommes en cause; c'est un prélat qui nous a appelés pour servir Dieu av[ec lui] dans son diocèse, tandis que des personnes qui n'ont point droit vous en chassent. Une abbaye de Saint-Benoît qui n'est point en la congrégation des réformés, ni en quelqu'autre, ne dépend point d'une autre ; et nul abbé a droit de s'introduire dans l'abbaye d'un autre, non plus qu'au bénéfice d'un autre Ordre. De plus, ces bons Pères n'ont point permission de s'introduire dans une abbaye pour y établir leur réforme, que du consentement des religieux, de l'abbé et de l'évêque. Or, les religieux ont traité avec M. de Saint-Malo, [et M. de Saint-Malo] (2), en qui leur droit, celui d'abbé, comme il est, et celui d'évêque réside, contredit à leur introduction. In qua ergo potestate (3) ?

Oui ; mais le parlement [les porte] et les introduit là dedans. —Il est vrai ; mais ce souverain sénat [n'a pas le pou]voir d'introduire ni de maintenir le particulier dans un bien, [s'il ne lui] appartient de droit ; et il y a apparence que celui de Bretagne, [qui] a la réputation d'être des plus grands justiciers du royaume, [ne soutiendra] pas ces Pères, quand [il sera] bien informé. Et puis, le roi, en qui réside le souverain pouvoir [sur le] pouvoir des parlements et celui de prononcer par-dessus eux, [nous auto]rise. Comment pouvez-[vous] (4) mieux connaître la volonté de [Dieu aux] choses temporelles que par l'ordonnance

2) Ces mots, demandés par le sens, ne se trouvent pas dans le texte.

3). l’évangile de saint Mathieu XXI,23

4) Mot oublié dans l'original.

 

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des princes, et aux spirituelles que par celle de Nosseigneurs les prélats, chacun dans son diocèse ?

Oui, mais ce bien est de Saint-Benoît ; et par conséquent ses enfants ont droit de le réclamer quand on le veut aliéner de son Ordre et appliquer à d'autres usages. —[Je réponds] le bien de l'Eglise appartenir à l'Eglise ; et si saint Benoît vivait encore, il serait bien marri de nier cette proposition, lui qui est enfant de l'Eglise, joint d'ailleurs que le bien de son Ordre lui est donné par l'Eglise à cause des secours qu'il lui donnait pour lors par des séminaires d'ecclésiastiques qu'il élevait pour lors pour le service de l'Eglise et pour en remplir les bénéfices. Or ils ne font plus cela, et l'Eglise a ordonné que cela se fasse par les évêques, et les ordonnances du roi les y obligent pareillement, comme aussi d'appliquer à cela des bénéfices et autres revenus. Est-il pas juste que la même Eglise, qui a donné ce bien-là à cet Ordre pour faire lesdits séminaires, et qu'eux ne le faisant plus et n'étant plus dans l'état de ce faire, que la même : Eglise se serve [de ce] quelque peu de bien, de l'autorité du prince et du prélat, pour suppléer à ce que ces Pères ont fait d'autrefois et qu'ils ne font plus, pourvu qu'ils le fassent du consentement des justes possesseurs.

Selon cela, Monsieur, vous êtes fondé en droit, en autorité, en un besoin de l'Eglise et dans l'exécution de son intention. Et après cela, il se trouvera quelques-uns d'entre nous qui ne voudront rien souffrir pour cela ! Eh! bon Dieu ! quelle occasion meilleure attendez-vous de souffrir quelque chose pour Dieu ? Certes, je n'en vois point. Au nom de Dieu, Monsieur, ne soyons pas si peu affectionnés au service de Dieu, de nous laisser [aller] à une vaine peur, qui nous fasse abandonner le poste [qu'il] nous a donné. Oui ; mais la compagnie sera blâmée et dans le décri.

 

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— O Monsieur, quel or [gueil serait-ce] si, sous apparence de déférence et d’humilité, nous [abandonnions] l’honneur de Dieu pour ne pas risquer le nôtre ! Oh ! que [saint Paul] en était éloigné quand il disait qu’il fallait servir Dieu [per] infamiam et bonam famam, quasi seductores et tamen veraces (5) ! Je viens de dire que vous êtes [fondés en justice], et, cela posé, comme chacun l’estime, bien [heureux serez-vous] de souffrir quelque chose propter justitiam (6) [puisque par ce] moyen le royaume du ciel vous appartient, qui est la [fin pour] laquelle vous avez été appelés de Dieu pour l’établissement et la manutention des choses de sa gloire, non certes comme [des] lions entre des brebis, mais comme des brebis entre les [lions], pour être déchirés et dévorés. Plaise [à sa bonté nous faire cette grâce !

Je suis, en son amour….

 

851. — AU CARDINAL MAZARIN

De Paris, ce 4 septembre 1646.

Monseigneur,

La présente est pour faire savoir à Votre Éminence qu’il est mort depuis peu un professeur en théologie dans la Sorbonne. Il est question de procéder à nouvelle élection dans la même faculté. Monsieur le pénitencier (1) m’a dit que les jansénistes font grand’brigue pour en faire élire un de leur parti. Ceux de l’opinion commune de l’Église ont concerté entre eux et jeté les yeux sur un nommé M. Le Maistre, qui est fort savant, qui prêche

5) Deuxième épître aux Corinthiens VI, 8.

6) Évangile de saint Mathieu V,10

Lettre 851 — L s. — Arch de la Mission, original.

 

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bien et a une des meilleures plumes du royaume et est du bon parti (2), On lui a demandé si, étant élu, il acquiescerait à l’élection. Il en a fait difficulté, pource qu’un prélat lui offre une condition beaucoup plus avantageuse. Ce qui fait, Monseigneur, que ces Messieurs du bon parti ont désiré que je propose à V [otre] E [minence] si elle aura agréable de lui assurer présentement douze cents livres de pension sur quelque bénéfice, ou de lui donner parole qu’elle le fera dans quelque temps. Les avantages qui arriveront en ceci à l’Église, Monseigneur, sont que V [otre] E [minence] empêchera que cette opinion dangereuse ne s’enseigne publiquement en Sorbonne, qu’elle opposera un puissant génie à ces gens-là, qu’elle usera de sa providence ordinaire en tous les affaires d’importance, en un qui regarde la gloire de Dieu et le bien de son Église, et qu’enfin elle fera une créature au roi et à V [otre] E [minence]. L’élection se doit faire lundi prochain. Il est nécessaire que je sache la volonté de V [otre] E [minence] dans vendredi au Soir (3). Je prie Dieu cependant, Monseigneur, qu’il conserve V [otre] E [minence] et sanctifie sa chère âme de plus en plus, qui suis, en son amour, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

2). Nicolas Le Maistre accepta la place qu on lui offrait Il fut proposé le 4 juillet 1661 pour l’évêché de Lombez et mourut le 14 octobre suivant.

3) 7 septembre.

 

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852. — A JEAN BARREAU

De Paris, ce 6 septembre 1646.

Monsieur,

Il n’y a que Dieu seul qui vous puisse faire comprendre la consolation que nous avons de votre heureux voyage, du commencement et du progrès de votre arrivée. J’en rends grâces à la bonté infinie de Jésus-Christ, qui vous a fait celle-ci, et le prie qu’il sanctifie votre chère âme de plus [en plus], afin que vous agissiez toujours saintement et en toutes choses.

Voici les petits avis que je pense vous devoir donner. C’est qu’il semble que vous vous êtes un peu trop hâté à promettre l’argent du droit de la poste : 1° pource qu’il pouvait arriver que vous ne vous trouveriez pas cet argent dans le temps préfix ; 2° en ce qu’il se pouvait faire qu’empruntant cette somme de delà aux marchands pour leur rendre à Marseille, il pouvait arriver que l’argent ne serait pas prêt à leur arrivée à Marseille ; ce qui apporterait du décri de votre personne et de votre ministère. Le contraire est néanmoins, parce que la Providence a fait trouver du crédit aux Mathurins réformés pour fournir douze mille livres dans dix ou douze jours à Marseille à celui auquel vous auriez envoyé l’ordre de le prendre.

Le second avis est de ne jamais écrire ni parler des conversions de delà, et, qui plus est, de ne pas tenir la main à celles qui se font contre la loi du pays. Vous avez sujet de craindre que quelqu’un ne feigne cela pour exciter une avanie. Ressouvenez-vous, s’il vous plaît, Monsieur, de ce que je vous ai dit que les Jésuites ont

Lettre 852. — cette lettre a été publiée dans la Revue des documents historiques, juin 1873, p. 45, d’après l’original, qui a été mis en vente chez M. Charavay.

 

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fait d’autre fois à Péra (1) sur pareil rencontre. Il est bien à souhaiter que nous ayons un chiffre, si vous en savez l’usage, ou je vous en enverrai un. L’âme de votre affaire est l’intention de la pure gloire de Dieu ; l’état continuel d’humiliation intérieure, ne vous pouvant pas beaucoup employer aux extérieures ; la soumission intérieure du jugement et de la volonté à celui qui vous a été donné pour vous conseiller ; et, autant que vous le pourrez, ne rien faire sans lui proposer, si vous n’êtes obligé de répondre sur-le-champ. Jésus-Christ était le souverain seigneur [de Marie] et de saint Joseph, et cependant il ne faisait rien que de leur avis. C’est, Monsieur, ce mystère que vous devez honorer d’une manière particulière, à ce qu’il plaise à son infinie bonté vous conduire, dans l’état auquel vous êtes. Je vous ai écrit que j’ai vu votre bonne tante, et l’édification que j’en ai eue, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je minute à vous envoyer une personne pour servir de chancelier. Nous pressons les Pères de la Merci ; mais le désordre est si grand entre eux, à ce qu’ils m’ont dit, qu’il n’y a point apparence de rien faire avec eux. Le roi a commis M. de Morangis (2) pour en connaître. Cela va…. Nous verrons à y faire ce que nous pourrons Je loue Dieu de ce que vous avez retiré ce Père chez vous (3).

Suscription : A Monsieur Monsieur Barreau, consul d’Alger, à Alger.

1) Quartier de Constantinople

2). Antoine Barrillon, sieur de Morangis, maître des requêtes en 1625, conseiller d’État en 1648.

3) Une note écrite de la main du frère Barreau nous apprend que cette lettre fut reçue le 22 janvier et qu’il y fut répondu le 25.

 

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853. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 6 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer la consolation que vos lettres m’apportent, particulièrement la dernière que j’ai reçue, du 17 d’août. Je vous prie de m’en écrire souvent.

Je suis en peine de ce que M. Blatiron n’est encore de retour d’auprès de Madame la maréchale de Guébriant, et crains qu’il n’y soit tombé malade, ou que l’incommodité de cette bonne dame n’aille empirant ; ce que Dieu ne veuille !

J’ai nouvelles de M. Dehorgny, sur la prière que je lui ai faite, il y a long temps, de vous envoyer quelqu’un. Il m’écrit qu’il attendait la première pluie pour faire partir M. Richard, qui est un bon sujet et duquel j’espère que vous recevrez grand soulagement. J’ai certes beaucoup de douleur des longs travaux que vous souffrez, et n’en sens point de plus grande. J’ai toujours prié M. Blatiron de faire en sorte que Monseigneur le c [ardinal]-arch [evêque] modérât son zèle et vos occupations, et me propose de lui en écrire encore de bonne sorte au prochain ordinaire. Cependant, Monsieur, je vous prie de vous conserver autant qu’il vous sera possible.

Je loue Dieu de la disposition qu’il donne à ces deux Messieurs qui sont avec vous, de se donner à la compagnie, et prie Notre-Seigneur de leur communiquer de plus en plus son esprit. Saluez-les bien cordialement de ma part, s’il vous plaît, comme je fais votre chère âme, que

Lettre 853 — L s — Dossier de Turin, original

 

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a mienne chétive embrasse avec tendresse et affection particulière. J’ai envoyé votre lettre à Madame votre mère ; si elle m’envoie réponse, je la vous ferai tenir. Nous ne cessons ici de prier Dieu pour vous et pour vos emplois. Faites-en de même pour moi, qui suis de tout mon cœur, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

854. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Monsieur,

Je vous dirai, pour réponse à la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire, du 4e de ce mois, que je ne puis que louer le zèle que vous faites paraître en tout ce qui regarde la gloire de Dieu et le bien de son Église. Le soin que vous prenez de rompre la brigue des jansénistes par l’élection de M. Le Maistre m’en est une nouvelle preuve, et je suis bien aise qu’on fasse choix d’une personne qui, par le témoignage que vous m’en rendez est si digne de remplir la place qui vaque dans la Sorbonne. Vous pouvez cependant l’assurer de ma part des douze cents livres de pension que vous jugez à propos qu’on lui donne sur quelque bénéfice, et que cela s’effectuera aux premières occasions que j’en aurai. Croyez en votre particulier que je serai toujours bien véritablement, Monsieur, votre très affectionné à vous faire service.

Le cardinal MAZARINI.

A Fontainebleau, ce 7e septembre 1646.

Suscription : Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission, à Saint-Lazare, faubourg Saint-Denis à Paris

Lettre 854. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

 

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855. — A CLAUDE DE MARBEUF (1)

De Paris, ce 8 septembre 1646.

Monseigneur,

Je suis le supérieur indigne de la congrégation de la Mis[sion et je me] donne la confiance de vous écrire la présente, pros[terné] à vos pieds et à ceux de Nosseigneurs de votre par[lement], pour vous supplier, par les entrailles de Notre-Seigneur, [de vouloir bien] protéger l’innocence d’un des plus hommes de [bien qui soient] au monde et qui travaille au salut du pa[uvre peuple avec] autant de bénédiction de Dieu. C’est M[onsieur de] Beaumont, l’un des prêtres de notre compag[nie. Les religieux] réformés de Saint-Benoît l’ont fait mettre dans vos p[risons], où il a les fers aux pieds, pour avoir été trouvé da[ns Saint-Méen] (2).

Je vous supplie de considérer, Monseigneur, que lui

Lettre 855. — L. non s. — Dossier de la Mission, minute de la main du secrétaire. Le document est en mauvais état

1) Premier président au parlement de Rennes.

2) Nous avons vu plus haut qu’à la suite d’un décret de prise de corps, prononcé par le parlement de Rennes, Pierre de Beaumont resta seul à l’abbaye de Saint-Méen. La Fontaine, sergent royal venu dans cette localité à la tête d’une petite troupe pour faire exécuter les ordres du parlement, se saisit de lui et le conduisit dans les prisons de Rennes. Mécontent d’avoir laissé échapper les personnages de marque qu’il comptait surprendre, il fit tomber sa mauvaise humeur sur son unique prisonnier et ordonna au geôlier de lui mettre brutalement les fers aux pieds. c’est ce que raconte dom Morel, et il ajoute que, sur sa propre intervention, Pierre de Beaumont fut traité avec égards et même relâché après avoir subi un interrogatoire en la chambre criminelle le 4 septembre. La détention du prisonnier n’avait duré que quatre ou cinq jours. Il était en liberté quand saint Vincent écrivait cette lettre. (Cf. Collet op cit. p. 416)

La conduite de saint vincent lors de l’affaire de Saint-Méen fut une des principales objections que souleva l’avocat du diable au procès de béatification. (Cf. Novae animadversationes R. P. D. Ridei promotoris super dubio virtutum tam theologalium quam cardinalium,

 

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[et ses] confrères ont été appelés en ce lieu par Mgr de [Saint-Malo], à dessein de faire un séminaire de jeunes ecclésiastiques, de les faire instruire de toutes les choses nécessaires [à leur] condition, conformément au concile de Trente [et aux] ordonnances de nos rois, qui veulent que les [évêques] instituent des séminaires d’ecclésiastiques dans [leur diocèse], où ils soient élevés suivant l’ancien usage de l’Église, et d’affecter des bénéfices pour l’entretien d’iceux. Mondit seigneur de Saint-Malo a érigé le sien dans l’abbaye de Saint-Méen et affecté à ce bon œuvre la mense des religieux, de leur consentement, à la réserve des pensions portées dans le concordat fait avec eux ; ce que le roi a confirmé par ses lettres patentes et par divers arrêts. En quoi je pense, Monseigneur, que vous et Nosseigneurs de la cour ayant été bien in [formé] de la chose, ne trouverez rien à dire, si ce n’est peut-être ce que ces bons Pères disent que M[onsieur] de Saint-Malo n’a pu faire l’union de ladite mense, ni l’approuver, attendu qu’elle appartient à l’ordre de Saint-Benoît et non à mondit seigneur de Saint-Malo. A quoi l’on répond, Monseigneur, qu’elle appartient tellement à Saint-Benoît qu’elle dépend de la juridiction de l’évêque, en sorte que le général des Ré[guliers] n’a juridiction que sur les religieux des abbayes de sa congrégation et n’a aucune autorité sur les autres qui [n’en sont] pas ; et par conséquent il n’a point eu droit de s’opposer à l’union de ladite mense audit séminaire, ni nul autre de l’Ordre, attendu qu’elle ne dépend d’aucune congrégation.

J’ajoute une autre raison à celle-ci, Mgr, que, l’abbaye [de] Saint-Méen étant dépendante de la juridiction des

quarta difficultas, p. 9, et Ultimae animadversationes, p. 3.)

L’avocat de la cause n’eut pas de peine à montrer que non seulement il n y avait rien à reprendre à ses actes, mais qu’il s’était comporté en saint. Cette lettre admirable en est une preuve.

 

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évêques de Saint-Malo, il est vraisemblable que les évêques sont les [fondateurs] de cette abbaye, qu’ils lui ont donné les dîmes [qu’elle] possède et une bonne partie du bien, en considération [de ce] que cette maison servait de séminaire au diocèse [pour] y élever les jeunes ecclésiastiques, et fournissait de bons curés aux cures qui en dépendaient. Et cela étant, [ne] semble-t-il pas raisonnable, Monseigneur, que, puisqu’ils ne font plus ni l’un ni l’autre, ains que les réformés ont changé leur état d’ouvriers de la vigne du Seigneur en moins, que l’Église rentre dans ses droits et qu’elle applique le bien qu’elle leur a donné, à des ouvriers qui tâchent à faire ce qu’ils ne font pas.

Ajoutons à cela, Mgr, qu’ils n’ont pu demander à la congrégation la permission d’entrer dans ladite abbaye, attendu que la bulle de l’érection de leur congrégation ne leur permet d’entrer dans aucune abbaye, quoiqu’ils y soient appelés par les religieux, si l’abbé et l’évêque n’y consentent. Et tant s’en faut qu’ils aient demandé cette permission à Mgr de Saint-Malo, qui est l’abbé et à qui appartient la juridiction de Saint-Méen, qu’au contraire il a lettre en main du général de Saint-Maur, par laquelle il paraît comme mondit seigneur de Saint-Malo l’avait prié de mettre de ses réformés dans ladite abbaye, et comme ce bon Père s’en excuse sur ce qu’il manquait de sujets pour y mettre. Ce qu’ayant vu, mondit seigneur de Saint-Malo, tant pour remédier aux désordres qui étaient dans cette abbaye, que pour faire son séminaire pour le bien de son diocèse, il en a usé de la sorte. Après cela, Mgr, ces bons Pères ont-ils eu raison de procéder avec tant de chaleur contre leur prélat et les ouvriers qu’il a placés dans sa vigne, [de les faire] emprisonner et mettre les fers aux pieds. Je ne [dis pas] ceci, Mgr, par plainte que je fasse contre eux. [il n’est]

 

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homme au monde qui les honore ni qui les [chérisse aussi] affectionnément que je tâche de faire, par l[a grâce de Dieu], comme ils vous pourront dire eux-mêmes.

Que si l’on trouve à redire à ce [que M. de Beaumont] est rentré dans Saint-Méen contre les [arrêts du parlement], assurez-vous, Mgr, qu’il en a usé de [la sorte avec la] simplicité d’un pauvre prêtre de la Mission, [qui ne] sait que c’est de procès et qui pensait [bien faire] en suivant l’ordre de son évêque et du roi. Vous pouvez croire, Mgr, que, si la chose eut dép[endu de] nous, qui ne sommes point en cause, nous [les aurions] rappelés au premier exploit.

Tout cela étant ainsi, Mgr, j’ai [recours à] votre bonté, puisque vous êtes le principal [ministre] de la justice souveraine de Dieu en votre [province], pour lui demander très humblement sa protection pour ledit sieur de Beaumont et pour notre compagnie. Et outre le mérite que vous en aurez devant Dieu, vous acquerrez sur nous tous une perpétuelle obligation, qui nous fera chercher les occasions de vous rendre nos très humbles services, desquels, Mgr, je vous supplie, avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, d’agréer les offres que je vous en fais et à votre famille. Je commencerai les prières que je me propose de faire toute la vie pour vous, Mgr, et pour la sanctification de votre chère âme, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

 

856. — A N***

12 septembre 1646.

Saint Vincent de Paul annonce à son correspondant qu’après

Lettre 856. — Collet, op. cit., t. I, p. 415. Le destinataire est probablement Antoine Portail ; nous savons par M. Charavay que

 

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quatre ou cinq jours de détention, Pierre de Beaumont, prêtre de la maison de Saint-Méen, a été mis en liberté.

 

857. — A JEAN DE FONTENEIL

A Paris, ce 13 septembre 1646.

Monsieur,

Je vous supplie, au nom de Notre-Seigneur, de donner adresse à ce paquet pour être envoyé et rendu à M. du Coudray, à La Rose. Je sais que je vous importune ; mais vous savez aussi que mes services vous sont dédiés, aussi bien que mon cœur, qui salue le vôtre avec toute l’humilité et l’affection possible, étant véritablement, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Fonteneil.

 

858. — A CLAUDE DUFOUR

De Paris, ce 13 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’espère de vous écrire amplement de ma main au premier jour, ne le pouvant à présent, à cause qu’il est heure tarde et que le courrier va partir. Je ne puis vous exprimer la consolation que j’ai de ce

saint Vincent lui écrivit, le 12 septembre 1646, une lettre de trois pages in-4°.

Lettre 857. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

Lettre 858. — L. s. — Dossier de la Mission. original.

 

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que M. Portail m’a écrit de vous et que je savais déjà. Je prie Notre-Seigneur de vous communiquer de plus en plus sa conduite et son esprit. J’écris à Messieurs Le Soudier et des Noyelles ; donnez-leur, s’il vous plaît, mes lettres fermées, comme on fait ailleurs. Je mande au dernier, dans les difficultés qu’il trouve à Saintes, de s’en aller à La Rose ; et pour cela, je vous prie, Monsieur, de lui donner ce qui lui faudra. Et pour M. Le Soudier, je le conjure de faire son possible pour unir son cœur au vôtre et vivre avec vous dans l’intelligence et la soumission requises. Que s’il en usait autrement et qu’enfin vous n’en soyez pas satisfait, mandez-le-moi, s’il vous plaît ; je vous enverrai quelqu’un à sa place ; et effectivement nous vous enverrons au premier jour un prêtre et un frère clerc. Je me recommande humblement à vos prières et vous salue avec toute l’affection de mon cœur, étant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Dufour, supérieur des prêtres de la Mission, à Saintes.

 

859. — A JEAN MARTIN

Paris, ce 14 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis si consolé de recevoir de vos lettres que je ne

Lettre 859. — L. s. — Dossier de Turin. original.

 

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puis me passer de me plaindre quand je n’en reçois pas, comme cette semaine-ci, cette privation me mettant en peine et de vous et de M. Blatiron, duquel je n’ai aucune nouvelle depuis qu’il est allé au secours de Madame de Guébriant. Pour moi, je tâcherai à continuer, autant que je pourrai, le commerce des lettres par tous les ordinaires, encore qu’à présent je n’aie rien à vous dire que ce que je vous écrivis il y a huit jours, qui est que M. Dehorgny n’attend que la première pluie pour vous envoyer M. Richard, ainsi qu’il m’a assuré par deux fois, ce qui me fait croire que, s’il n’est déjà arrivé à Gênes, il y arrivera bientôt. Le sujet est si bon que M. Dehorgny ne s’en défait qu’à regret ; et faute de vous en pouvoir donner un autre qui vous soit propre, nous vous avons aussi envoyé d’ici un frère coadjuteur de bon exemple et de grand support ; mandez-moi, s’il vous plaît, s’il est arrivé et ce qu’il vous en semble.

J’ai bonne espérance maintenant que vos travaux se modéreront un peu, surtout si Monsieur Blatiron représente à Monseigneur le cardinal-archevêque le danger où il vous expose par la continuelle occupation à laquelle il vous oblige, qu’en cela il vous fait contrevenir à la pratique ordinaire de la compagnie et à la recommandation que je vous ai tant de fois réitérée de vous reposer de temps en temps. Je prie ledit sieur Blatiron de lui bien faire entendre cela pour une bonne fois ; car j’espère qu’il y aura égard.

Monsieur Guérin, qui est à Tunis, me mande qu’il peut facilement avoir la communication des lettres avec vous par le fréquent abord que font en ce lieu-là quelques barques de la principauté de Gênes. Je serais bien aise que cela fût, pour servir d’autant de divertissement audit sieur Guérin, qui n’en a quasi point, et aussi à cause de la consolation que vous aurez de la lecture de ses lettres.

 

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Quand j’en reçois, c’est toujours avec une particulière satisfaction. Je n’écris point à M. Blatiron, dans le doute où je suis qu’il soit de retour. Si d’aventure il l’est, cette lettre servira, s’il vous plaît, pour vous et pour lui. Je vous salue tous deux, prosterné en esprit à vos pieds, me recommandant humblement à vos prières. Les miennes tendent à ce qu’il plaise à Dieu vous conserver et vous donner de plus en plus une ample participation à son esprit, et à moi la grâce de vous faire connaître combien je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

860. — A JEAN-FRANÇOIS DE GONDI, ARCHEVÊQUE DE PARIS

[Entre août et novembre 1646] (1)

Supplie humblement Vincent Depaul, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission, disant qu’ayant plu à votre charité pastorale donner auxdits prêtres de la Mission le pouvoir d’établir la confrérie de la Charité pour l’assistance des pauvres malades en toutes les paroisses de votre diocèse où elle se pouvait convenablement

Lettre 860. — Dossier des Filles de la Charité, copie du temps. Louise de Marillac a elle-même écrit au dos du document "copie de requeste présentée à Monseigneur de Paris pour l’establissement des Filles de la Charité." Cette supplique est une seconde rédaction ; la première a été publiée sous le no 773.

1) La première date est celle de l’entrée des sœurs à l’hôpital de Nantes ; la seconde, celle de l’approbation de la supplique.

 

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établir, après avoir fait ledit établissement en plusieurs villages avec bénédiction, quelques dames charitables de Paris en ont été si touchées qu’elles ont moyenné par Messieurs leurs curés un pareil établissement dans leurs paroisses, comme sont Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Saint-Leu, Saint-Sauveur, Saint-Médéric (2), Saint-Etienne, Saint-Sulpice, Saint-Gervais, Saint-Paul et autres, où ladite Charité est établie et s’exerce avec bénédiction.

Mais pource que les dames dont elle est composée sont la plupart de condition qui ne leur permet pas de faire les plus basses et viles fonctions qu’il convient exercer, comme de porter le pot par la ville, faire les saignées, les lavements, panser les plaies, faire les lits et veiller les malades qui sont seuls et tendent à la mort, elles ont pris quelques bonnes filles des champs à qui Dieu avait donné le désir d’assister les pauvres malades, lesquelles vaquent à tous ces petits services, après avoir été dressées à cet effet par une vertueuse veuve nommée Mademoiselle Le Gras, et ont été entretenues, pendant qu’elles ont demeuré en la maison de ladite demoiselle, par l’assistance de quelques charitables veuves et autres personnes, qui y ont contribué de leurs aumônes, de sorte que, depuis treize ou quatorze ans que cet œuvre est commencé, Dieu y a donné sa bénédiction, si bien qu’à présent il y a en chacune desdites paroisses deux ou trois de ces filles, lesquelles travaillent tous les jours à l’assistance desdits pauvres malades et même quelquefois à l’instruction des pauvres filles, quand elles le peuvent, et vivent aux dépens de ladite confrérie des paroisses où elles sont employées, mais si frugalement qu’elles ne dépensent que cent livres au plus par an pour leur nourri

2). Saint-Merry.

 

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ture et vêtement, et en quelques paroisses vingt-cinq écus seulement.

Outre l’emploi desdites filles dans les paroisses, il y en a trois qui sont employées par les dames de la Charité de l’Hôtel-Dieu pour y servir les pauvres malades et leur apprêter les petites douceurs qu’elles leur portent tous les jours audit Hôtel-Dieu. De plus, il y en a d’ordinaire dix ou douze employées pour élever les petits enfants trouvés de cette ville et deux ou trois pour l’assistance des pauvres forçats. Et outre celles qui sont employées ès choses susdites en cette ville, il y en a qui le sont encore à l’hôpital d’Angers, à celui de Nantes, à Richelieu, à Saint-Germain-en-Laye, à l’Hôtel-Dieu de Saint-Denis en France et en d’autres lieux de la campagne, où elles font à peu près les mêmes exercices pour ce qui regarde le traitement des malades, la guérison des plaies et l’instruction des petites filles.

Et pour fournir desdites filles en tous ces lieux et en tous les autres où l’on en demande, ladite demoiselle en élève d’autres chez elle et en a d’ordinaire plus de trente, qu’elle emploie, les unes à instruire les petites filles pauvres qui vont chez elle à l’école, les autres à visiter les malades de la paroisse pour leur porter leur nourriture et des médicaments, ou pour les soigner, les autres pour panser les maux des pauvres de dehors qui les viennent trouver à cet effet, les autres apprendre à lire et à écrire, et les autres à faire le petit ménage de la maison.

Et elle les entretient partie de l’argent que lesdites filles gagnent par leur travail manuel, quand elles ont du temps de reste après leurs emplois ordinaires, partie par l’assistance desdites veuves, qui y contribuent selon leurs facultés, partie par les aumônes ordinaires, mais particulièrement par le revenu que le feu roi et Madame la duchesse d’Aiguillon leur ont charitablement donné à perpétuité,

 

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qui se monte environ à deux mille livres par an. Et Ce qui est encore bien considérable dans les emplois de ces pauvres filles, c’est qu’outre le service corporel qu’elles rendent aux pauvres malades, elles tâchent de contribuer au spirituel en la manière qu’elles le peuvent, particulièrement en leur disant de fois à autre quelque bon mot, et donnant quelques avis à ceux qui sont pour mourir à ce qu’ils partent de ce monde en bon état, et à ceux qui guérissent pour leur aider à bien vivre. Et Notre-Seigneur bénit tellement le petit service qu’elles apportent dans leur simplicité, qu’il y a sujet de le glorifier pour les effets qui en réussissent (3).

Mais parce que les œuvres qui regardent le service de Dieu finissent d’ordinaire en ceux qui les commencent, s’il n’y a quelque liaison spirituelle entre les personnes qui s’y emploient, le suppliant craint qu’il n’arrive de même de cette compagnie, si elle n’est érigée en confrérie. C’est pourquoi il représente à Votre Seigneurie Illustrissime, avec tout le respect qui lui est possible, qu’il semble être à souhaiter qu’il vous plaise ériger ladite assemblée de filles et de veuves en confrérie, sous le titre de Confrérie de la Charité des servantes des pauvres malades des paroisses, et de leur bailler pour règlement les articles suivants, selon lesquels elles ont vécu jusques à maintenant et se proposent de vivre le reste de leurs jours (4).

VINCENT DEPAUL,

supérieur général de la congrégation de La Mission très indigne.

 

Suscription : A Monseigneur Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime archevêque de Paris.

3) Le saint a supprimé ici un assez long passage de la première supplique, probablement parce qu’il contenait l’éloge de son œuvre.

4). Le règlement sera publié au volume des documents.

 

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861. — A ANTOINE PORTAIL

Ce 22 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à la hâte de Fontainebleau (1), où je suis venu pour les affaires qui me sont commises, pour vous continuer mes lettres et vous donner de nouvelles assurances de l’affection de mon pauvre cœur pour le vôtre très cher, et pour vous dire, Monsieur, que Monseigneur de Cahors me mande qu’il sera bien aise que vous alliez faire un tour jusqu’à Cahors, pour voir l’état de notre maison et comme toutes choses s’y passent. C’est de quoi j’ai voulu vous prier par ces lignes, afin de vous y en aller au plus tôt que vous pourrez.

Je salue le plus tendrement qu’il m’est possible Monsieur Alméras, Monsieur du Coudray et le reste de la famille, me recommandant humblement à vos prières et aux leurs, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Puisque Monseigneur a cette affection, voyez avec le bon M. du Coudray, que je salue tendrement, s’il est expédient qu’il soit de la partie ; et si cela est, je l’en prie.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, étant à Notre-Dame de La Rose, à La Rose.

Lettre 861. — L s. — Dossier de la Mission, original. Le post-scriptum est de la main du saint.

1). Résidence de la cour.

 

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862. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

D’Orsigny, ce 27 septembre 1646.

Monsieur,

Après avoir parlé de diverses affaires relatives à sa congrégation, le saint remercie Jean Dehorgny de l’envoi de François Richad à Gênes :

"Cette petite communauté (1) est en notable considération, à ce que m’a rapporté l’intendant de la Justice de l’armée du roi en Italie."

La petite persécution de Bretagne n’est pas encore apaisée,

"quoique Monseigneur l’évêque (2) et M. le coadjuteur de Saint-Malo (3) soient allés sur les lieux exprès pour cela. Notre prisonnier (4) a été délivré cinq jours après, et la compagnie est éparse par-ci par-là. Notre-Seigneur la rassemblera quand il lui plaira."

 

863. — A JEAN MARTIN

D’Orsigny, ce 27 septembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 11e de ce mois, avec la consolation

Lettre 862. — Catalogue de vente de M. Laverdet, janvier 1854, n° 1060. Il décrit ainsi l’original : "Lettre autographe signée…, deux pages in-4°, déchirure au haut de la marge extérieure enlevant la fin de sept lignes au recto et le commencement de quatre lignes au verso.

1) La communauté de Gênes.

2) Achille de Harlay de Sancy.

3) Ferdinand de Neufville.

4) Pierre de Beaumont.

Lettre 863. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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que vos lettres ont accoutumé de me donner, tant votre âme m’est chère et ce qui me vient de sa part agréable.

Je loue Dieu de l’arrivée du frère Sébastien et du bon accueil que lui ont fait Messieurs les ecclésiastiques qui sont avec vous, et Monseigneur le cardinal même. Je prie Notre-Seigneur qu’il lui fasse la grâce de les satisfaire toujours et les édifier de ses bons exemples. M. Dehorgny m’a mandé que M. Richard était aussi parti pour venir à Gênes. Je crois qu’il est meshui (1) auprès de vous et qu’il sera arrivé à temps pour vous soulager dans les travaux de l’ordination, au défaut de M. Blatiron, lequel vous dites être toujours arrêté par Madame la maréchale de Guébriant. Je loue Dieu pareillement de ce qu’elle est satisfaite de se, services, et j’approuve volontiers qu’il les y continue pendant qu’elle en aura besoin. Vous ne laisserez pas, moyennant l’aide de Dieu, de bien réussir dans votre conduite et dans vos emplois, parce que l’œuvre de Notre-Seigneur ne se fait pas tant par la multitude des ouvriers que par la fidélité du petit nombre qu’il appelle. Et comme je vous sais plein de zèle et de charité, j’attends aussi de voir réussir de vos soins grande bénédiction, s’il plaît à notre Maître commun vous départir les grâces que je lui demande. Je vous supplie, Monsieur, de lui bien recommander ma pauvre âme, puisque je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

Lettre 863. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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864. — A RENÉ ALMÉRAS, PÈRE

De Saint-Lazare [28, 29 ou 30 septembre 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je me prosterne en esprit à vos pieds et vous demande pardon avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, de ce que je vous ai donné sujet, sans y penser, de vous plaindre de moi, de ce que M. Alméras, votre fils, n’est allé prendre congé de vous avant son départ. Je vous ai dit, Monsieur, que j’ai fait cette faute sans y penser ; et il est vrai que je n’y fis point de réflexion pour tout avant son départ.

Voici comme la chose se passa. Nous fûmes longtemps en doute s’il irait à la campagne, tant à cause de son indisposition que dans le doute des lieux où ii irait. Au commencement, nous avions pensée de l’envoyer visiter si peu de maisons que nous avons, à commencer par Sedan, et de là aller à Toul, à Troyes, à Annecy, à Marseille et à Rome, non tant pour faire les visites que pour essayer si ce divertissement lui rendrait la santé. Nous consultâmes sur cela les médecins, qui furent bien d’avis de l’envoyer à la campagne, mais non pas à Rome, si ce n’était qu’il se trouvât en parfaite santé arrivant à Marseille, vers la fin de l’automne. Il se passa ensuite bien

Lettre 864. — L. a. — L’original appartient à M. Morel, entrepreneur à Rouen.

1) Une main étrangère a ajouté à côté de la suscription : septembre 1646. C’est, en effet, la seule date qui convienne à la lettre. Comme la lettre a été écrite après le voyage de Fontainebleau et que le saint n’était pas encore de retour le 27 septembre, nous ne pouvons choisir qu’entre les trois derniers jours du mois.

 

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du temps à penser à la route de Sedan ; mais, les grandes chaleurs survenant, nous appréhendâmes de l’envoyer de ce côté-là, à cause qu’il n’y a pas des coches pour être à couvert que depuis Troyes ; Ce qui nous fit changer de dessein du jour au lendemain sur l’occasion qui se présenta de l’envoyer à Angers, où il pouvait aller à couvert par le coche jusques à Orléans et de là par la rivière, de sorte que, la résolution prise le soir, il partit le lendemain, sans que je fisse aucune réflexion à l’obligation filiale qu’il avait d’aller recevoir vos commandements ; et je pense que ce fut de même de lui ; pour le moins il ne m’en parla point pour tout. Vous voyez par là, Monsieur, comme ma faute n’est pas volontaire, ains de manque de réflexion à ce que je dois.

La lettre que je vous envoie de mondit sieur votre fils vous fera voir un autre manquement, Monsieur, qui est de l’avoir reçue il y a environ vingt jours, et ne la vous ai point envoyée qu’à présent. C’est encore ici une faute qui ne procède pas tant de mon fait que d’un de nos frères, auquel je l’avais donnée avant mon départ pour Fontainebleau, et lequel oublia de la vous envoyer ; de quoi j’ai été bien étonné à mon retour, que je lui ai demandé s’il la vous avait envoyée. Il m’a dit que non ; et quoiqu’il soit bien soigneux, Dieu merci, il ne l’a pas été en cette occasion ; et je pense que notre soudain départ pour Fontainebleau, où il vint avec moi, en fut cause. Je vous rends compte de tout ceci, Monsieur, afin qu’il vous plaise de croire que je n’ai point manqué en cette occasion de bonne volonté, ains de mémoire, et que par conséquent vous me fassiez la grâce de m’accorder plus volontiers le pardon que je vous demande pour mondit sieur votre fils et pour moi.

Monsieur Portail m’écrit de notre maison de La Rose, du diocèse d’Agen, du 8 de ce mois, que M. votre fils et

 

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lui ne se sont jamais mieux portés, ce sont ses mêmes paroles, et qu’ils partiraient à huit jours de là pour Marseille, et de là l’un pour Gênes et pour Rome, et l’autre pour Annecy, diocèse de Genève, selon l’ordre que je leur enverrais à Marseille. Or, je suis en doute lequel des deux ira à Rome, ou bien s’ils y iront tous deux. Je vous assure, Monsieur, que Monsieur votre fils n’ira point à Rome, si Monsieur Merlet et notre médecin, M. Vacherot, y jugent le moindre inconvénient du monde. La vie de M. votre fils nous est trop chère, Monsieur, et votre satisfaction aussi. Et quoique les médecins estiment qu’il puisse passer, je manderai néanmoins qu’il ne le fasse pas, si sa santé n’est aussi bonne arrivant à Marseille que lorsqu’il est arrivé à La Rose.

Voilà, Monsieur, notre petite conduite à l’égard de Monsieur votre fils, que j’honore comme Dieu sait, et chéris plus que moi-même, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de La Mission.

 

Suscription : A Monsieur Monsieur Alméras, conseiller du roi et son maître de la Chambre des Comptes.

 

865. — AU SUPÉRIEUR DE LA MAISON DE TOUL (1)

1646.

Nous plaidons le moins que nous pouvons, et quand

Lettre 865. — Collet, op, cit., t. II, p. 236.

1) La maison de Toul eut deux supérieurs en 1646 : Jean Bécu (1642-1646) et Charles Aulent (1646-1647). Celui auquel cette lettre est adressée, dit Collet, "s’était embarqué dans une affaire où il avait échoué" Nous pensons que c’est Jean Bécu.

 

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nous sommes contraints à plaider, ce n’est qu’après avoir pris conseil et du dedans et du dehors. Nous aimons mieux relâcher du nôtre que de malédifier le prochain (2)

 

866. — A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION (1)

[Entre le 1er et le 6 octobre 1646] (2)

Ma chère sœur,

]e loue Dieu de ce que vous me dites de la disposition de notre Mère 3 et de ce qu’elle me mande qu’elle ne fera rien à Chartres si ses elles ne l’en prient de la bonne sorte (4) ; et pour ce qui est de La Perrine (5), je regarderai la résolution qui s’y sera prise comme venant de Dieu. Quant à ce que vous me dites, d’aller chez vous pour assister à votre conférence, avant que votre Mère vienne, c’est, ma chère sœur, de quoi je vous prie de m’excuser,

2) Après avoir rapporté ces paroles du saint, Collet ajoute : "Dieu a cependant permis qu’il ait eu quelques procès, qu’il en ait gagné et qu’il en ait perdu ; mais c’est que la Providence voulait faire de lui un modèle pour tous les états et que celui des plaideurs a besoin des grands exemples." A vrai dire, saint Vincent n’a eu de procès que lorsqu’il y a été poussé non par son propre intérêt, mais par l’intérêt des autres. (Cf. lettre 850.)

Lettre 866. — Reg. 1, f° 23 v°, copie prise sur la minute autographe

1) La lettre 873 nous porte à penser que celle-ci est adressée à une sœur du premier monastère de Paris, très probablement à la sœur Louise-Eugénie de Fonteines, qui en était précédemment supérieure

2) L’annonce du retour prochain d’Hippolyte Féret, le sujet même de la lettre et le fait qu’elle a été écrite sur la fin de la retraite annuelle, qui se clôtura le 6 octobre en 1646, ne laissent aucun doute sur la date que nous donnons ici.

3). Hélène-Angélique Lhuillier.

4) On travail ait alors à l’établissement d’un monastère de la Visitation dans cette ville.

5) Au diocèse du Mans. La sœur Louise de Fonteines avait autrefois fait revivre l’observance monastique dans l’abbaye de religieuses établie en ce lieu.

 

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à cause que je scandaliserais nos gens, si je sortais pendant la retraite. Je vas plus avant, ma chère sœur, et vous prie de faire mes excuses à notre Mère et à votre chère communauté si je n’ai le bonheur de lui continuer mes petits services, tant pource que cette retraite m’a fait voir clair comme le jour que je suis en demeure vers notre compagnie pour m’être appliqué à d’autres soins qu’aux siens, dont j’aurai à rendre compte devant Dieu. Il y a encore une autre raison qui ne me presse pas moins, c’est que la compagnie a pour règle de ne se pas appliquer au soin des religieuses, pour se réserver entièrement au service des pauvres gens des champs ; et cependant me voilà dans La contravention à cette règle. Et pource qu’après moi il est à craindre que l’on ne regarde pas tant la teneur des règles que la façon que j’en aurai usé, c’est ce qui m’oblige consciencieusement à me retirer. Que si j’en ai usé autrement, ce n’a pas été sans syndérèse. Et si j’ai de plus grands embarras (6), j’espère que N.-S. m’en délivrera aussi. Il y a tant d’autres personnes à Paris qui vous serviront avec bénédiction. Voilà M. Féret qui va venir pour être curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (7), et voilà encore M. Abelly. Ce sont des gens qui vous serviront dans l’esprit de notre bienheureux Père (8) et avec plus de grâce que moi incomparablement ; et je m’offre même si les en prier, à condition que votre Mère ni vous ne m’écrirez point, ni ne m’en ferez écrire ni parler par personne pour reprendre l’emploi, et que vous me dispenserez d’aller chez vous, ayant pris résolution de n’y

6) L’emploi au conseil de conscience.

7) Hippolyte Féret était à Alet depuis plusieurs années. Saint Vincent, qui l’avait envoyé auprès de Nicolas Pavillon, le rappelait à Paris, probablement à la demande de l’archevêque Jean-François de Gondi.

8) Saint François de Sales.

 

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plus aller, vous protestant, ma chère sœur, que ce n’est pas par aucun mécontentement ; oh ! non, je vous en assure devant Dieu, ains que c’est par principe de conscience, par] es raisons que je vous ai dites. Vous n’avez eu que trop de charité et de support pour mes misères. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous en récompense et qu’il me pardonne les fautes que j’y ai faites. Et assurez-vous, ma chère sœur, que je vous honorerai et chérirai en N.-S. autant et plus que jamais et que je serai à la vie et à la mort…

 

867. — AU CARDINAL GRIMALDI (1)

De Paris, ce 4 octobre 1646.

Monseigneur,

Le sujet de la présente est pour faire un renouvellement de mon obéissance à V[otre] E[minence] et pour la supplier très humblement d’agréer que je lui adresse quelques écrits touchant les deux chefs saint Pierre et saint Paul, lesquels ont été faits par un des plus savants théologiens que nous ayons, et des plus hommes de bien, et qui ne veut pas être nommé (2), Il a fait ces écrits dans le doute s’il les ferait imprimer ; et ayant appris

Lettre 867. — Reg. 1, f° 14 v°, copie prise sur la minute autographe. Une autre minute autographe de la même lettre se trouve aux archives de la Mission. Comme elle présente plus d’une lacune, nous préférons suivre le texte du registre l, et mettre en note les variantes de la minute.

1) Le nom du destinataire nous est connu par les Mémoires du P. René Rapin, Paris 1865, 3 vol. in-8°, t. I, p. 115. I. e cardinal Grimaldi avait été nonce en France.

2) Raoul Allier prétend à tort dans la cabale des dévots, Paris, 1902, in-l6, p. 168, que le saint a en vue François de Raconis, évêque de Lavaur, qui a défendu la doctrine orthodoxe dans deux ouvrages : Examen et jugement du livre de la fréquente communion, Paris, 1644, in-4°, et de la primauté et souveraineté singulière de saint Pierre, Paris, 1645, in-4°. François de Raconis était mort le 6 juillet 1646 et a signé ses écrits.

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par la Gazette de Rome que l’on y examine le livre le l’auteur desdits deux chefs (3), que deux docteurs de Sorbonne, qui sont à présent à Rome (4), soutiennent être la doctrine de leur faculté, et que d’ailleurs la même faculté ayant été informée qu’on lui attribuait cette opinion, s’est assemblée et a député vers Monseigneur le nonce pour désavouer ces docteurs (5), l’assurer du contraire et le supplier de faire en sorte que la prochaine gazette fasse mention que l’on lui attribue à faux cette doctrine (6) ; c’est ce qui a mu ce bon et vertueux personnage à m’apporter aujourd’hui ces écrits, à dessein que je les envoie à Rome, pour servir de mémoire à ceux que Sa Sainteté a députés pour examiner ledit livre. Ils trouveront dans cet ouvrage tous les auteurs allégués pour la prétendue égalité de saint Paul avec saint Pierre, réfutés par les mêmes auteurs dont ils allèguent les passages, tous les uns après les autres (7). Or, à qui puis-je mieux adresser cet ouvrage

3) La doctrine de l’égalité de saint Pierre et de saint Paul, soutenue d’abord dans la préface du livre De la Fréquente communion, avait été combattue, comme nous venons de le voir, par François de Raconis, évêque de Lavaur. Elle fut reprise en 1645 dans deux ouvrages anonymes que les uns attribuent à Barcos, neveu de l’abbé de Saint-Cyran, les autres à Antoine Arnauld : De l’autorité de S Pierre et de S Paul, qui réside dans le Pape, successeur de ces apôtres, et La grandeur de l’Église romaine établie sur l’autorité de S. Pierre et de S Paul. L’intervention d’Isaac Habert, théologal de Paris, et de dom Pierre de Saint-Joseph, feuillant, en faveur de la doctrine traditionnelle provoquèrent en 1646 les Esclaircissements de quelques objections qu’on a formées contre le livre de La grandeur de l’Église romaine.

4) Les évêques qui avaient approuvé le livre De la fréquente communion, envoyèrent à Rome, pour empêcher la condamnation de cet ouvrage, Jean Bourgeois et Jérôme Duchesne.

5). Les mots désavouer ces docteurs manquent dans la minute.

6) Informé par le nonce Mar Bagni que Jean Bourgeois et Jérôme Duchesne prétendaient à Rome que la doctrine du livre de Barcos avait l’approbation de la Sorbonne, Nicolas Cornet, docteur de Navarre et syndic de la Faculté, en informa ses collègues, qui s’émurent de cette imputation et condamnèrent sur-le-champ l’erreur qu’on leur attribuait. (Cf Rapin, ibid).

7) Cette phrase, à une petite modification près, on trouvera, au

 

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qu’à V[otre] E[minence], Monseigneur, pour en faire faire l’usage que ce bon docteur souhaite (8), puisque V[otre] E[minence] est le prince et protecteur des choses de notre sainte religion, et qui m’avez fait l’honneur de me mander que je m’adressasse à V[otre] E[minence] en tous les affaires qui regarderont le service de Dieu ? Cela me fait espérer, Monseigneur, qu’elle ne l’aura pas désagréable, ni que je m’arroge toujours la qualité qu’elle me souffre de son très humble et très obéissant serviteur (9).

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Ce bon docteur sera consolé s’il plaît à V[otre] E[minence] de me faire l’honneur de me faire écrire la réception et le succès de ses mémoires (10).

lieu de ils trouveront a été écrite par le saint lui-même au dos d’une lettre à lui adressée par le cardinal Mazarin le 7 septembre 1646. On a ajouté au-dessous : "Nota quod haec verba sunt scripta manu Vincentii a Paulo. Videtur quod opus illud de quo loquitur servus Dei fuerat editum a D. Le Maitre, de quo sermo est in libris Dupin… liber Magistri Morel, doctoris Sorbonici, edit apud Recolet ann ; 1646, in aquo falsificationis textuum…" (Cf. Rupin, op. cit., t 1, pp 114-115)

8). Le saint avait écrit dans la minute, à la suite de ces mots, quelques lignes, qu’il a ensuite raturées pour tourner autrement sa phase Les voici : "que ce bon docteur… l’auteur prétend que je… derechef au dire du public, des plus savants du monde et des plus hommes de bien. Je vous supplie très humblement l’avoir agréable, Monseigneur, et de me faire souffrir toujours la qualité, grâce que Votre Éminence m’a fait espérer, qui est de me tenir pour son très humble et très obéissant

9) Nous trouvons ici encore dans la minute trois lignes raturées

"Ces opinions, Monseigneur, troublent toujours un peu l’Église de deçà, non pas pourtant avec la chaleur, si me semble, qu’elles faisaient au commencement ; et après Dieu ce qui semble y avoir le plus contribué, c’est la Bulle de Sa Sainteté."

10) La doctrine des deux chefs fut censurée par Innocent X, le 24 janvier 1647, comme dangereuse et opposée à la constitution de l’Église ; mais la condamnation de Rome ne mit pas fin à la polémique. (Cf. Histoire ecclésiastique du XVIIe siècle par Louis Ellies Dupin, Paris, 1714, 5 vol. in-8°, t. II, p. 145 et suiv.)

 

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868. — A MONSIEUR DESGORDES

De Saint-Lazare, ce 4 octobre 1616.

Monsieur,

Madame Desgordes, votre mère, et Messieurs vos parents ayant désiré que je leur adresse, et à vous, Monsieur, un ecclésiastique pour être auprès de vous et vous servir à vos études. J’ai fait voir à Madame votre mère M. Le Noir, présent porteur, ecclésiastique de cette ville, laquelle l’agrée. Il a les qualités requises pour cela, et j’espère, Monsieur, que vous en aurez pleine satisfaction, après que vous l’aurez connu. Au nom de Dieu, Monsieur, recevez-le et obéissez en cela à madite dame ; la nature vous y oblige, Dieu vous le commande, et vous savez, Monsieur, que c’est l’intention de la cour ; et je vous puis assurer que la reine en aura une particulière satisfaction et que, s’il se présente jamais occasion de vous servir, que je le ferai de très bon cœur, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

869. — A ANDRÉ PRAT, CONSUL DE FRANCE, A SALÉ

De Paris, ce 5 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne puis vous exprimer, Monsieur, la reconnaissance

Lettre 868. — La — La minute de cette lettre appartient aux Filles de la Charité de Castelsarrasin.

Lettre 869. — L. a — Bibl. Nat, n. a. f. 3533, pièce 395, minute.

 

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que j'ai de la charité dont il vous plaît honorer notre petite compagnie, de la vouloir employer au service de Dieu, à l'assistance de nos pauvres esclaves de Salé et à votre service. Je vous en remercie très humblement, Monsieur, et vous offre les petits services de notre petite compagnie et les miens avec toute l'humilité et l'affection que je le puis.

Je ne sais que dire au procédé de ce bon Père qui a gagné le devant (1), Monsieur, sinon que nous avons pour maxime de céder aux autres les bonnes œuvres qu'ils s'offrent à faire, estimant avec sujet qu'ils les feront mieux que nous. Et puis, nous craignons qu'il arrive quelque contestation sur le lieu et que cela ne soit plutôt à scandale qu'à édification aux chrétiens et aux infidèles. Que s'il arrive que Monsieur votre fils (2) n'ait pas reçu ce bon Père, ou si son voyage ne tend qu'au rachat des esclaves, ainsi qu'il l'a dit en partant, à ce qu'on m'a mandé, en ce cas ou semblable très volontiers nous ferons ce que vous commanderez, qui êtes choisi du roi et par conséquent de Dieu pour faire connaître sa volonté par la vôtre en ces occasions ; et si, en reconnaissance de cette obligati[on, se] présente quelque occasion de vous honorer, nous le ferons très volontiers, Monsieur.

Nous prierons Dieu cependant pour la c[onservation] de votre personne et celle de M. votre [fils, qui] vous représente à Salé, à ce qu'il vous conserve tous deux et sanctifie de plus en plus votre chère âme et celles du reste de votre famille, et suis, en son amour, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

1) Un Récolle.. (Cf. 1. 870.)

2).Henri Prat. Il succéda à son père le 20 octobre 1648.

 

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870. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Te reçus hier deux de vos lettres, l’une du 21 et l’autre du 22 de septembre. Je m’en vas écrire à M. [du Coudray]. Je vous envoie la présente par homme exprès. Mon Dieu ! Monsieur, que ferons-nous ?.. Vous nous dites de faire revenir cette personne (1) de ses opinions (2), Il n’y a pas d’apparence, à cause de la qualité de son esprit et que déjà il en est venu là d’estimer que les conciles ont moins bien entendu les Saintes Écritures. De le mettre en retraite, il n’est pas de la trempe de son esprit. L’autre (3) est pituiteux et changement ; celui-ci un peu atrabilaire et arrêté. De le tenir, cela est fâcheux, et fâcheux encore de le renvoyer ; et néanmoins, toutes choses considérées, on sera contraint d’en venir là. Vous verrez par celle que je lui écris, que je vous envoie ouverte et que vous cachetterez ensuite de notre cachet, comme je le prie de se rendre à Richelieu, où je me propose de tâcher de l’aller voir et d’aviser à ce qu’il faudra faire. Vous la lui donnerez quand et de la manière que vous le jugerez à propos. Et, quoi qu’il dise ou fasse, demeurez toujours dans l’esprit de douceur et d’humilité.

Pour M. Boucher, s’il le veut suivre, vous lui direz qu’il

Lettre 870. Lettre et Conférences de S. Vincent de Paul (supplément), p. 61, 1. 3O4O. L’éditeur reconnaît avoir eu sous les yeux une copie fautive.

1). François du Coudray.

2) La lettre 885 nous en fait connaître quelques-unes

3) Léonard Boucher.

 

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faut ordre de moi pour cela. Il n’est pas expédient qu’il l’accompagne ; que s’il le fait par lui-même, nous verrons.

Quant à celui que vous laisserez à sa place, ce que vous me dites de M. Dufour à Cahors et de M. Delattre à La Rose n’est pas faisable du côté dudit sieur Dufour ; cela mortifierait trop Monseigneur de Saintes. Mais voyez ce qui m’est tombé dans la pensée : c’est de mettre M. Testacy à Cahors, si Monseigneur l’agrée et si vous n’y voyez pas de l’inconvénient, eu égard à sa conduite et à la proximité de sa bonne mère (4). Il paraît homme de bon sens, fidèle à ses pratiques, formé et entendu aux affaires. [Il est vrai que ce] fut hier qu’il vient d’être fait prêtre et que [peut-être on] aura peine de le voir d’un plein saut [arriver] à un premier emploi ; mais comme Messieurs…. sont bons et sans ambition, vous le leur pourriez faire trouver bon par la considération de l’intelligence qu’il a aux affaires. Quant à Monseigneur de Cahors, peut-être l’y trouverez-vous disposé ; sinon, nous tâcherons de vous envoyer M. Grimal ou M. Dufestel (5) ou M. Berthe. J’avais pensé à M. Bourdet ; mais je pense que nous l’enverrons en Hibernie, où nous sommes pressés d’envoyer des missionnaires du pays, sous la direction d’un supérieur français. Ils pourront partir dans quinze jours, si M. Bourdet est prêt. Il vous restera là M. Rivet (6) un bon petit prêtre de Normandie (7), M. des

4) Charles Testacy était de Condom.

5) Ce nom ne doit pas se trouver sur l’original François Dufestel avait quitté la compagnie et obtenu la cure de Saint Omer-de-Villers. Il n’y a guère apparence qu’il ait demandé sa réadmission ; car nous ne retrouvons plus son nom dans la correspondance du saint.

6) Louis Rivet, né à Houdan (Seine-et-Oise) le 19 février 1618, entré dans la congrégation de la Mission le 13 juin 1640, reçu aux vœux le 16 octobre 1642, ordonné prêtre le 19 septembre 1643. Il fut placé à Richelieu en 1646, puis au séminaire de Saintes, qu’il dirigea pendant plusieurs années (1648-1650, 1656-1662, 1665-1675).

7), Guillaume Michel.

 

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Noyelles. M. Le Soudier (8), [destiné] pour la Barbarie, est encore à Marseille, dans le doute s’il passera, et par suite du rencontre d’un Récollet, qui l’a supplanté ; et puis, nous étions en doute lequel, de lui ou de M. Lesage (9), partirait.

Que si M. Le Soudier ne va pas à La Rose, M. Cuissot (10), qui va à sa place et fait fort bien à présent, ira à La Rose et M. Perraud (11) à Saintes. Nous tâcherons d’envoyer au plus tôt les autres.

Nous voilà rétablis pour la deuxième fois à Saint-Méen, par arrêt du Conseil ; mais le parlement, dont le commissaire qui a chassé les nôtres (12) et le procureur général (13) ont ajournement, a mis un tel sévice (?) qu’on juge que nous n’aurons jamais repos en cette province-là, si l’on ne s’accommode à cet emploi (14). M. Codoing, que nous y avons envoyé (15), travaille…

Monseigneur de Cahors m’a mandé qu’il désirait que vous fassiez la visite chez lui. Il vous déchargera [son cœur]. Il a un peu de peine contre [nous]. Je pense

8) Jacques Le Soudier

9). Jacques Lesage, ne à Auffray (Seine-lnférieure, entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1639, à l’âge d’environ vingt-cinq ans, reçu aux vœux le 26 novembre 1645. Il s’embarqua pour Alger en janvier ou février 1648 et s’adonna tout entier, sans regarder les fatigues et les dangers, au ministère des pauvres esclaves. Après une visite. aux pestiférés, il fut lui-même atteint par le terrible mal, qui l’emporta le 12 mai 1648.

10) Jean Cuissot. Nous verrons plus loin qu’il fut placé à Saintes.

11). Hugues Perraud, né à Arguel (Doubs) le 4 octobre 1615 entré dans la congrégation de la Mission le 5 janvier 1640, reçu aux vœux le 23 mars 1644, ordonné prêtre en 1646. Il fut placé à Saintes (1646), à Richelieu (1651) et mourut à Paris le 26 décembre 1659.

12). M. de La Touche_Frélon, conseiller au parlement.

13). M. Huchet de la Bédoyère.

14). Cette phrase est bien obscure et bien incorrecte. Elle ne doit pas reproduire fidèlement l’original.

15). En qualité de supérieur.

 

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que je ne l’ai pas assez servi, au gré de ces bons Pères (16) au procès qu’ils ont ici.

Vous n’avez jamais rien fait plus à propos que de rester à La Rose jusqu’à ce que toutes les choses soient au meilleur état que vous les pourrez mettre.

Je pense que nous n’aurons pas de difficulté à faire changer ce que vous et M. Dehorgny trouvez à propos de changer aux offices que vous me marquez, ni aux autres. Je ne laisserai pas de presser le coadjuteur (17), qui est bien long.

Nous sommes environ quarante en retraite. J’assiste à la bande des prêtres ; Dieu m’a donné des forces pour cela. Voici le huitième jour. Il n’y aura que notre visite, que j’ai pensée de différer à votre retour, que je prie Dieu qu’il soit au plus tôt que faire se pourra.

Je vous écrirai à Marseille et vous y enverrai les règles communes en latin.

J’embrasse cependant cette petite communauté avec toute l’humilité et l’affection que je le puis.

M. Bourdet m’a fait de grandes excuses de ce qu’il vous a contredit, et proteste de son obéissance aux ordonnance (18). S’il ne va en Hibernie, nous le pourrons envoyer à La Rose, si vous n’arrêtez l’un ou l’autre de ceux que je vous ai marqués.

J’ai écrit à Monseigneur de Cahors, en suite de ce qu’il avait mandé, de rappeler M. Delattre, que j’avais pensée de le lui reprendre, que vous n’en aviez point d’autre qui entende les affaires que lui, et que nous ferons néanmoins ce qu’il recommandera.

16) Les religieux des monastères qui dépendaient de l’abbaye de Chancelade.

17) Jean-François-Paul de Gondi, plus tard cardinal de Retz.

18) Aux ordonnances de la visite laissées par M. Portail à Saint-Méen

 

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871 — A FRANÇOIS DU COUDRAY (1)

[6 octobre 1616] (2)

Je ne puis, non, je ne puis, mon cher petit Père, vous exprimer la douleur que j’ai de vous contrister. Je vous supplie de croire que, si ce n’était l’importance des choses, j’aimerais mille fois mieux en porter la peine que vous la donner.

 

872 — ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GENES, A SAINT VINCENT

Nous avons écrit, de la part de M. le cardinal Duranzo archevêque de cette ville, à tous les archiprêtres des lieux où s’est faite la mission, de donner avis à tous les curés et prêtres de leur archiprêtré que les exercices spirituels se doivent commencer à tel jour en la raison de la Mission et loue tous ceux qui voudraient se servir de cette bonne occasion se pourraient tendre ici à telle heure. Plusieurs sont venus et se sont déjà retirés. le ne vous puis exprimer la grande consolation qu’ils ont revue, ni l’abondance des grâces que Notre-Seigneur leur a communiquée, ni la grande modestie et le silence exact qu’ils ont observés, ni leur humilité et sincérité à rendre compte de leurs oraisons, ni les conversions admirables et presque miraculeuses qui s’y sont faites.

Entre autres il s’y est trouvé un curé qui m’a dit, et presque eu public qu’il était venu, pensant se moquer, et plutôt par hypocrisie que par dévotion, afin que M. le cardinal lui procurât quelque augmentation de revenu. Il a dit de plus que la Mission n’a pas eu de plus grand ennemi que lui, qu’il en

Lettre 871. — Collet, op. cit., t. II, p. 162.

1) Collet dit que la lettre dont nous avons ici un extrait a été adressée à un missionnaire. L’expression mon cher petit Père, nous permet d’affirmer que ce missionnaire est François du Coudray.

2) L’extrait ci-dessus convient bien aux circonstances dans lesquelles fut écrite la lettre du 6 octobre 1646 adressée à François du Coudray et annoncée à M. Portail dans la lettre 870

Lettre 872. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. IV, 1er éd., p. 290.

 

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avait dit tout le mal qu’il s’était pu imaginer, et même de Son Éminence. C’était un homme fort adonné au vice, qui avait obtenu un bénéfice par simonie, reçu les ordres sans aucun titre que ce bénéfice, exercé les ordres, administré les sacrements, fait tous les offices curiaux et demeuré plusieurs années en cet état ; un homme de négoce et d’intrigue, etc. Mais enfin Dieu l’a touché, et l’a touché très efficacement : il s’est converti, il a pleuré, il s’est humilié et a donné de grands témoignages de son changement. Tous ceux qui l’ont vu dans ces exercices, ou qui en ont entendu parler sont restés extrêmement édifiés ; et nous ne le sommes pas moins de tous les autres, qui ont fait beaucoup de fruit, chacun selon ses besoins.

De vous dire maintenant, Monsieur, combien grande a été la joie et la consolation qu’en a reçue Son Éminence, certes, les larmes qui sortaient de ses yeux, quand quelques-uns de ces Messieurs lui ont dit leurs sentiments, le peuvent mieux témoigner que mes paroles ; ce qui a fait un tel éclat dans la ville et encore aux environs, que plusieurs autres se présentent pour venir faire le même.

 

873. — A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION (1)

Ce jour saint Denis (2) [1646 (3)]

Ma chère Mère,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais Le sujet, ma chère Mère, pour lequel je vous ai prié de faire mes excuses à Madame Fouquet (4) de ce que je

Lettre 873. — Reg. 1, f° 34, copie prise sur la minute autographe.

1) Très probablement Marie-Agnès Le Roy, supérieure du second monastère de Paris.

2) 9 octobre.

.3) Dans sa lettre du 19 mai 1647 à la Mère Catherine de Beaumont, saint Vincent dit qu’il a essayé de se décharger, sept ou huit mois auparavant, des fonctions qu’il remplissait auprès des monastères de la Visitation. Il y a donc lieu de croire que celle-ci est de 1646 Cette conclusion se trouve corroborée par ce fait que sœur Madeleine-Augustine, la dernière des filles de Madame Fouquet, religieuse au second monastère de la Visitation, fit profession en 1646.

4) Née Marie de Maupeou. Saint Vincent disait que "si par malheur l’Évangile était perdu, on en retrouverait l’esprit et les maximes dans les mœurs et les sentiments de Madame Fouquet" Il

 

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ne pouvais assister à la profession de notre chère sœur sa fille (5), et de prendre tel autre que vous et elle choisirez, est de ce que la retraite que je viens de faire m’a fait voir que je ne puis satisfaire à mon obligation vers notre compagnie et au service que je dois à votre maison, et d’ailleurs que, notre petite congrégation ayant pour règle que nous ne nous appliquerons point au service des religieuses, afin de n’être pas détournés du service que nous devons au pauvre peuple des champs, je me sens obligé en conscience de l’observer, pource qu’on ne se réglera pas tant par la teneur de nos règles à l’avenir que par la façon que je les aurai observées ; que si j’en ai usé autrement, ce n’a pas été sans quelque syndérèse, quoique l’on me l’eût promis pour quelque temps, à cause de l’affection que j’ai pour votre saint Ordre ; et si j’ai de plus grands embarras (6), j’espère que N.-S. m’en délivrera aussi. C’est ce qui fait, ma chère Mère, que je vous supplie très humblement d’agréer de bon cœur la résolution que j’ai prise de me retirer, et de penser à quelqu’autre qui vous serve de Père spirituel. Il y a tant de personnes à Paris qui sont pleines de l’esprit de Dieu et de celui de notre bienheureux Père (7), et qui vous serviront avec bien plus de grâce de Dieu que moi.

ajoutait : "Elle rend la piété si aimable qu’elle anime tout le monde à s’y attacher." (Année sainte, t. I, p. 627.) La nouvelle de la disgrâce de son fils lui arracha ce cri : "Je vous remercie, ô mon Dieu. Je vous avais demandé le salut de mon fils ; en voilà le chemin."

5) Madeleine-Augustine Fouquet, alors âgée de seize ans. Du second monastère elle passa au troisième, lors de sa fondation. Elle y fut conseillère pendant trente ans et successivement directrice, assistante et économe. Trois de ses sœurs, Anne-Madeleine, Elisabeth-Angélique et Marie-Thérèse étaient religieuses au premier monastère. une autre, Louise-Agnès, fut avec elle d’abord au second, puis au troisième. Elle mourut le 2 novembre 1705, à l’âge de soixante-quinze ans. L’Année sainte nous a transmis le souvenir de ses vertus.

6) L’emploi au conseil de conscience.

7) Saint François de Sales

 

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874. — RENÉ ALMERAS, PÈRE, A SAINT VINCENT

[Octobre 1646] (1)

Quand je considère de quelle sorte et acquiescement je consentis à la vocation de mon fils, sans que les tendresses naturelles m’aient empêche de le consigner en vos maîtres, que, depuis près de dix ans, je n’ai exigé aucune visite, ni aucun des devoirs que les enfants doivent à leurs pères ; que je ne lui ai jamais parlé de sa vocation qu’en l’approuvant et me réjouissant de l’y avoir si bien confirmé, je vous proteste devant Dieu, qui est le scrutateur des cœurs, que je ne trouve rien à redire aux desseins que vous avez sur la personne de mon fils, aux commissions et aux emplois que vous lui donnez, ni aux voyages que vous lui faites faire, fussent-ils jusques aux Indes, croyant assurément que vous ne faites rien en tout cela que pour la gloire de Dieu. Et ayant une fois, qui fut la première que je vous le menai, déposé entre les mains de Dieu et les vôtres l’autorité paternelle que j’avais sur lui, pour vous en rendre le maître absolu, je ne puis ni ne dois révoquer l’offrande que j’en ai si volontairement faite. Ainsi il me reste seulement à prier Dieu qu’il bénisse ses actions, qu’il fasse prospérer ses voyages, et vous, Monsieur, de me donner quelque part à vos prières.

 

875. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 13 octobre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour] jamais !

La présente est pour vous [assurer de ce que] je vous ai

Lettre 874. — Vie manuscrite de M. Alméras, p. 15. (Cf. Notices, t. III, p. 234.)

1), L’auteur de la notice imprimée date cette lettre de 1647. L’auteur de la notice manuscrite se contente de dire que René Alméras, père, l’écrivit "pour répondre aux excuses" que saint Vincent "lui avait faites de ce que son fils était allé à Rome sans lui en donner avis ni prendre congé de lui". C’est donc non loin de la lettre 864 qu’il faut placer celle-ci.

Lettre 875. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) Le contenu demande cette date.

 

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dit par ma dernière [lettre touchant] la personne dont est question (2), et [aussi pource] que j’ai écrit à Richelieu qu’on le re[çoive avec] le respect et la cordialité qu’il mérite. Vous en userez pour cela et pour toutes choses selon que votre prudence jugera à propos. Notre frère Champion (3) m’a dit la même chose que vous touchant l’ascension et la croix de Notre-Seigneur. Il sera bon que vous en fassiez un mot d’information à votre nom, faisant mention des erreurs du personnage, et que vous receviez les dépositions de M. Alméras et des autres qui lui ont ouï dire et soutenir cet erreur ; et faudra que vous et eux le signiez et que vous me l’envoyiez cacheté.

Vous avez bien fait de prendre les cent écus qu’on vous a mis en main ; nous les rendrons en cette ville.

Et il faudra que vous fassiez la visite à Cahors. Que si M. Delattre est destiné à La Rose et M. Testacy à Cahors, vous m’en donnerez avis, afin que nous en louions Dieu, si vous l’avez fait ; sinon, que nous vous envoyions quelqu’un pour diriger La Rose.

Voilà ce que je vous puis dire pour le présent en hâte, qui suis, à vous et à M. Alméras, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

2) François du Coudray.

3) Il y avait alors deux Champion dans la compagnie Louis clerc, et René, frère coadjuteur. Nous pensons qu’il s’agit ici de Louis Champion, né à Châteaudun, entré dans la congrégation de la Mission le 12 avril 1643, à l’âge de vingt ans, reçu aux vœux le 17 juin 1646. Il n’était encore que tonsuré en 1650 et enseignait néanmoins la morale aux Bons-Enfants. Il fut supérieur à Montmirail de 1652 à 1654 et passa de là à la maison de Marseille, où il était en 1655

 

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876. A EDMOND DWYER, ÉVÊQUE DE LIMERICK (1)

PREMIÈRE RÉDACTION

De Paris, ce 15 [octobre 1646] (2)

Monseigneur,

Voici enfin huit missionnaires (3), qu [i s’en vont] en Hib[ernie Parmi eux], les cinq sont hibernois, [un prêtre et un clerc français] et un frère anglais. Le p[rêtre français va pour] diriger la compagnie, selon l’avis de feu M. Skyddie, qui me manda, avant mourir, qu’il croyait qu’il en fallait user de la sorte ; et le clerc a [appris] le chant. Les uns et les autres craignent et aiment Dieu et ont du zèle pour le salut du prochain, par la grâce de Notre-Seigneur. Ils s’en vont se jeter à vos pieds, Monseigneur, et s’offrir au service de V[otre] S[eigneurie] Illustrissime et de Nosseigneurs les prélats, auxquels ils pourront rendre quelque petit service avec le temps. Nous en élevons ici d’autres, que nous vous pourrons envoyer quand ils seront formés, s’il se trouve le moyen de les faire subsister par l’affectation de quelque bénéfice, sans qu’ils soient à charge au peuple auquel ils iront faire la mission. Et plût à Dieu, Monseigneur, que je fusse digne d’être de la partie ! Dieu sait de quel cœur j’irais et de quelle affection je lui offre cette petite troupe, et à vous,

Lettre 876. — L a — Dossier de la Mission. Après une première minute, qui ne le satisfit pas, saint Vincent en écrivit une seconde de sa main. Nous donnons ici les deux rédactions.

1) Richard Arthur, évêque de Limerick, mort le 23 mai 1646 avait eu pour successeur son coadjuteur Edmond Dwyer, qui traversa les mauvais jours de la persécution religieuse en donnant l’exemple d’une foi inébranlable et d’un courage sans égal Obligé de s’exiler après la chute de Limerick, il mourut à Bruxelles deux ans après, en 1654.

2) Mois et année du départ des missionnaires pour l’Irlande.

3) Les noms sont donnés dans la lettre 877.

 

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Monseigneur, mon obéissance perpétuelle (4) ! Je vous supplie, très humblement, Monseigneur, de l’avoir agréable.

 

DEUXIÈME RÉDACTION

Je me donnai l’honneur de dire à Votre S [eigneurie] Illustrissime étant en cette ville, l’ordre que j’avais reçu de la part de notre Saint-Père d’envoyer quelques missionnaires de notre compagnie en Hibernie. Divers embarras nous ont empêchés de les envoyer plus tôt. En voici huit, Monseigneur, qui s’en vont se prosterner à vos pieds, vous demander votre sainte bénédiction (5).

L’on nous dit ici des merveilles de la conduite de V [otre] S [eigneurie], Monseigneur, et que d’elle seule, après celle de Dieu, viennent les heureux succès de la religion et de l’État en ces pays-là. Hélas ! Monseigneur, cela n’est pas malaisé à croire à ceux qui ont eu le bonheur d’approcher V (otre) S [eigneurie], comme moi, qui ne suis jamais sorti d’auprès d’elle qu’avec la pensée que l’esprit de Dieu et sa sainte opération résident en elle. S’il plaît à Notre-Seigneur de faire réussir la chose selon vos saintes intentions, votre mémoire en sera immortelle en la terre et au ciel. C’est de quoi je le prie, Monseigneur, qui me donne l’honneur de baiser les mains sacrées de V [otre] S [eigneurie] Illustrissime, prosterné en esprit à ses pieds, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère…

4) Saint Vincent a eu de la peine à trouver sa phrase. Il avait d’abord écrit "de quel cœur je travaillerais, selon les commandements desquels il plairait à Votre Seigneurie Illustrissime m’honorer", puis "de quel Cœur j’irais sous vous, Monseigneur"

5) Quand il eut terminé sa seconde minute, le saint, mécontent, ratura tout ce qu’il avait écrit, sauf les mots qui précèdent, et remplaça la partie raturée par Ce qui suit

 

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877. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A LA ROSE

[De Paris, ce 20 octobre 1646] (1)

Monsieur,

J’ai été bien consolé de vos dernières lettres, écrites de Cahors, et je suis en attente du succès. Je vous ai moi-même écrit deux fois à Cahors, et, après avoir répondu à vos questions, je vous disais, en outre, ce que je pense que vous deviez faire à La Rose, et notamment de faire en sorte que le personnage dont est question (2) vienne à Richelieu, et aviserons s’il le faudra faire venir ici.

Je vois bien, de la façon que vous me parlez de M. Testacy, qu’il ne faut tenter ce que je vous ai écrit par ma dernière, de lui confier la direction de La Rose, ni celle de Cahors. Il faut espérer que Notre-Seigneur fera ce qui sera pour le mieux. J’étais en pensée d’y envoyer M. Lucas ou M. Grimal, ou bien M. Le Soudier le jeune (3), lequel je doute qu’il aille en Barbarie, y ayant un Récollet

Lettre 877. — Pémartin, op. cit., t. 1, p. 591 lettre 505. Il a pris son texte sur l’original chez M. Charavay.

1) Nul doute que cette lettre ne soit d’octobre ou de novembre 1646. Pendant ces deux mois, le saint écrivit chaque semaine à M. Portail. Nous avons ses lettres du 6, du 13 et du 27 octobre, ainsi que celles du 3, du 10 et du 23 novembre, qui fut suivie de celle du premier décembre. La lettre ci-dessus semble donc devoir se placer ou le 20 octobre ou le 17 novembre. Les deux premières phrases porteraient à préférer cette dernière date ; mais ce qui suit ne peut convenir qu’à la première. C’est à cette dernière solution que nous nous arrêtons. La difficulté que soulèvent les premières lignes s’évanouirait vraisemblablement si nous pouvions consulter l’original. M Charavay écrit dans son catalogue en signalant cette lettre : "Déchirure dans un angle, emportant un certain nombre de mots." M. Pémartin a eu le tort de suppléer aux mots qui manquaient par des mots de son choix, sans séparer par des crochets ce qu’il supposait de ce qu’il lisait. Nous le soupçonnons d’avoir écrit Cahors là où il y avait La Rose et deux fois là où il fallait deux ou trois fois.

2). François du Coudray.

3). Jacques Le Soudier.

 

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qui l’a supplanté, a pris le devant et la condition qui lui était destinée à Salé. Un mot de votre avis sur tout cela, s’il vous plaît, le plus promptement que vous le pourrez.

M. Brin, M. Barry (4), le frère [O’Brien] (5), le frère Leclerc (6) et notre frère Patriache (7) sont partis pour l’Hibernie et doivent prendre MM. Le Blanc et Duiguin (8) et le frère Vacher (9) au Mans et peut-être M. Bourdet en

4.) Edme Barry, né au diocèse de Cloyne, en Irlande, le 24 juin 1613, ordonné prêtre à Cahors en 1639, reçu dans la congrégation de la Mission le 21 juillet 1641. Il fit les vœux à Saint-Lazare quelques jours avant de partir en Irlande, d’où il revint en 1652, après la prise de Limerick par l’armée de Cromwell. Il dirigea le séminaire du diocèse de Montauban de 1656 à 1664 et de 1675 à 1680, année de sa mort.

5) M. Pémartin écrit Aubriez. Il s’agit certainement de l’Irlandais Dermot O’Brien, né à Emly entré dans la congrégation de la Mission le 23 octobre 1645, à l’âge de vingt-quatre ans, mort prêtre en novembre 1649.

6). Pierre Leclerc, frère coadjuteur, né à Meaux le 24 juin 1624 entré dans la congrégation de la Mission le 28 avril 1644, reçu aux vœux le 21 novembre 1646.

7) Salomon Patriarche, né à l’île de Jersey, entré dans la Congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, le 24 juillet 1642, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux en 1646. Il revint en France en 1649 à la suite de troubles cérébraux, fut placé à Saint-Méen et perdit complètement la raison en 1651.

8). Dermot Duiguin (ou Duggan), né en Irlande, entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 26 août 1645, à l’âge de vingt-cinq ans. Il revint en France en 1648, mais pour repartir deux ans après en Ecosse, où il passa le reste de sa vie, au milieu de dangers sans nombre, animé du zèle des apôtres et du courage des martyrs. Il mourut le 17 mai 1657 dans l’île de Uist, où une. ancienne chapelle porte encore son nom et rappelle son souvenir. (Notices, t. III, pp. 114-121.)

9). Philippe Le Vacher, né à Écouen (Seine-et-Oise) le 23 mars 1622, entré dans la congrégation de la Mission le 5 octobre 1643, reçu aux vœux le 5 août 1646. Rappelé en France en 1649, il fut envoyé à Marseille, y fut ordonné prêtre le 2 avril 1650 et s’embarqua pour Alger avec les titres de vicaire apostolique et de grand vicaire de Carthage. De retour en France en 1657, il quêta en faveur des esclaves. Son absence, qui devait être de quelques mois, dura deux ans. Il repartit en septembre 1659, rentra de nouveau dans son pays, puis accompagna à Alger en 1661 le frère Dubourdieu, qui allait prendre la place du frère Barreau consul de France dans cette ville. Il paya les dettes de ce dernier, arrangea diverses affaires et quitta définitivement la Barbarie en 1662, en compagnie de soixante

 

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Bretagne (10) Nous avons été pressés et du côté de Rome et des prélats du pays pour cela, et c’est pour ne faire aucune autre fondation de longtemps ; car nous avons disposé de tous ceux qui pouvaient travailler.

Je trouve que vous avez raison de faire partir le bon M. Alméras pour Annecy, si sa santé lui permet le voyage. Pourtant je fais attention à ce que vous me marquez, et vous pouvez lui dire que, s’il sent quelque tendance à éprouver les fatigues de l’année passée, il vaut mieux ne séjourner que peu de temps à La Rose et aller à Richelieu, d’où il sera prêt à revenir, et envoyer quelque autre à Annecy et aux autres maisons, où l’on demande incessamment qu’on les visite. Le capital que je vous prie de regarder ici, c’est la santé ; Notre-Seigneur pourvoira au reste.

Vous apprendrez à Marseille la faute qu’a faite le frère Barreau, consul d’Alger, de s’être obligé au payement de quarante mille livres, pour la rédemption de quelque captif, contre l’expresse défense qu’on lui en avait faite (11) Cet affaire nous met en peine. Et ce qui

dix esclaves, qu’il venait de racheter Il fut placé à la maison de Fontainebleau, où il mena jusqu’au 5 août 1679, jour de sa mort, la vie la plus exemplaire. (Notices, t. III, p. 595-606.)

10). Abelly nous a conservé (op. cit, t. II, p. 187) les avis que saint Vincent donna de vive voix aux missionnaires qui le quittaient pour aller travailler en Irlande. Après un arrêt forcé à Nantes, où ils occupèrent leurs loisirs auprès des pauvres et des malades, ils s’embarquèrent sur un vaisseau hollandais, qui les conduisit sans incident au terme de leur voyage. Là, ils se partagèrent en deux groupes pour évangéliser, les uns le diocèse de Limerick, les autres celui de Cashel

11) Le frère Barreau avait eu la faiblesse de s’engager pour un religieux de la Merci, le Père Sébastien Brugière, qui, après s’être imprudemment couvert de dettes pour libérer des esclaves, avait été poursuivi par ses créanciers, jeté dans un cachot, puis, vu l’état de sa santé, enfermé dans la maison du consul, avec défense d’en sortir. (Dan, Histoire de Barbarie et de ses corsaires, Paris 1649, p. 151 ; Documents algériens, Certificat des souffrances du Père Sébastien, dans la Revue africaine, t. XXXV, 1891.

 

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est plus fâcheux, c’est que le bon M. Nouelly (12) l’avait conjuré de ne le pas faire une heure auparavant. Je vous prie de faire célébrer une messe [par] (13) chacun de la famille de La Rose pour cela, comme aussi pour la mission d’Irlande. L’on est rétabli dans Saint-Méen par l’ordre du roi ; mais je ne sais pas si cela durera. Nous venons de faire nos retraites avec fruit, par la grâce de Dieu, en l’amour duquel je suis…

878. — AU MARQUIS DE MIREPOIX, GOUVERNEUR

DU COMTÉ DE FOIX

De Paris, ce 20 (octobre 16461).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour jamais !]

Je vous fais ici un renouvellement des (offres de mon) obéissance avec toute l’humilité et l’affection que je le puis. Je vous supplie très humblement, Monsieur, de l’avoir agréable, ensemble la très humble prière que je vous fais, de considérer Monseigneur l’évêque de Pamiers (2) comme l’un des plus zélés évêques pour la gloire de Dieu que je connaisse dans le royaume. Il a su l’honneur que vous me faites de m’avouer pour votre serviteur et souhaite beaucoup que je vous fasse savoir qu’il vous estime et affectionne au delà de tout ce que je

12). Supérieur du frère Barreau.

13). M Pémartin a lu pour ; il faut par.

Lettre 878. — L. a — Dossier de la Mission, minute.

1) Les contours des parties attaquées par l’humidité sur le document original montrent que cette lettre doit être rapprochée des lettres écrites dans les trois derniers mois de l’année 1646 ; elle est très probablement du 20 octobre.

2). François de Caulet, sacré évêque de Pamiers le 5 mars 1645.

 

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vous en pourrais dire, et qu’il désire avoir intelligence avec vous, Monsieur, pour les choses qui regardent le service de Dieu dans son diocèse, qui fait partie de votre gouvernement ; et quoique je l’aie assuré qu’il n’a pas besoin de médiateur, [pource que vous avez l’]esprit plus ecclésiastique que [qui ce soit], je ne laisse pas pourtant de vous [écrire, selon le dé]sir de mondit seigneur. L’expérience [montre que,] tandis que les évêques et les gouverneurs [vivent en bonne] intelligence, le règne de Jésus-Christ [s’établit puis]samment dans les âmes, et que, (quand cela n’) est pas, les affaires du bon Dieu n’en vont [pas bien.]

Il a différend avec les ecclésiastiques [syndiqués] de son diocèse, avec un entre les autres (3), [puissam] ment appuyé de quelques personnes de condition, qui favorisent l’impunité de ces scandales. Ce serait une chose digne de votre incomparable piété, Monsieur, si vous aviez agréable de lui faire dire de votre part qu’il se soumette aux ordres de son prélat et qu’il vive en sorte que mondit seigneur ne soit pas obligé par sa conscience d’agir contre lui. Et peut-être, Monsieur, que Dieu bénira votre entremise, non seulement à l’égard de cet ecclésiastique, mais aussi de beaucoup d’autres qui sont quasi en même état.

Certes, Monsieur, il me semble que cela vaut fait, et déjà j’en rends grâces à Dieu, et vous supplie, Monsieur, de me regarder comme la personne du monde [sur laquelle vous avez un] pouvoir absolu ; et, [si je puis vous servir en] quelque chose, honorez-moi [de vos commandements, je vous en] supplie.

Je prierai Notre-Seigneur cependant qu’il [vous bénisse

3). Probablement l’archiprêtre d’Ax. (Cf. Doublet Georges, François de Caulet, évêque de Pamiers, et la vie ecclésiastique dans un diocèse ariégeois sous Louis XIV, Foix, 1896, in-8°, p. 39 et suiv)

 

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de] plus en plus, qui suis en son amour, votre serviteur.

 

879. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION (1)

De Paris, ce… octobre 1646 (2)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec nous pour jamais !

Vous pouvez juger de l’affliction que vos lettres m’ont

Lettre 879 — Reg. 2, p. 289 ; dossier de la Mission, minute autographe. La minute a souffert des ravages du temps. Comme fort probablement le copiste du registre 2 a pris son texte sur l’original c’est ce texte que nous suivons ici, tout en mettant en note les variantes de la minute.

1) La minute ne donne aucune indication sur le destinataire de la lettre. Le registre 2 note qu’elle est adressée " à un prêtre de la compagnie qui était sorti sous prétexte d’infirmité" Le manuscrit d’Avignon, qui la reproduit également, porte : à A M. N. au Mans" Si ce dernier renseignement est exact comme il n’y avait alors au Mans, du moins à notre connaissance, que MM. Gallais, Le Blanc et Cuissot ; comme d’autre part, ainsi que l’indique le contenu de la lettre, le destinataire n’était pas supérieur et avait fait les vœux le nom de Gilbert Cuissot semble s’imposer. C’est ce que pense l’auteur de sa notice. (Notices, t. II, p. 87.) Cependant cette conclusion ne s’accorde guère avec le registre 2. Nous y voyons, en effet, que cette lettre et la lettre 896 du 24 novembre, ont eu le même destinataire. Or la lettre 896 n’a pu être adressée à Gilbert Cuissot, qui se trouvait alors à Saint-Lazare, ainsi qu’il résulte du rapprochement des lettres 891, 899, 900

Deux missionnaires quittèrent la compagnie en novembre Jean Bourdet, supérieur de Saint-Méen, et Thomas Berthe. Les lettres 879 et 896 ne peuvent s’appliquer à Jean Bourdet, à qui saint Vincent offrait la direction de la Mission d’Hibernie. Mais ne conviendraient. elles pas à Thomas Berthe, que saint Vincent eut la pensée d’envoyer à Cahors et qui, placé à Sedan, rentra dans sn famille de dépit de n’être pas nommé supérieur ? (Cf. 1. 888.)

2). Dans la minute, le coin sur lequel se trouvait la date a disparu. Le registre 2 ne donne que le mois et l‘année. Seul le manuscrit d’Avignon indique le jour ; mais nous soupçonnons fort le copiste d’avoir choisi le premier jour d’octobre sans fondement sérieux. La lettre semble mieux placée à la fin du mois qu’au commencement.

 

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apportée, par l’affection que j’ai eue pour vous et que j’aurai toute ma vie. Toutes les raisons que vous m’alléguez sont fondées sur votre indisposition et sur l’espérance que vous avez de vous mieux porter en votre air natal, auquel cas vous faites état de revenir, pour accomplir les promesses (3) que vous avez faites à Dieu. Souffrez que je vous die, Monsieur, que nous n’avons pas tant d’intérêt à vivre longtemps qu’à marcher dans la vocation dans laquelle Notre-Seigneur nous a appelés, selon le conseil de l’Apôtre, et à tenir ce que nous avons promis à Dieu. Vovete et reddite Deo vestro (4). Et puis, pensez-vous (5) que l’air natal allonge les jours de votre vie au delà du compte que Dieu en a fait ? O Dieu ! Monsieur, qu’un peu du cœur de ceux qui vont chercher la maladie et se faire tuer aux armées par vanité, conviendrait bien à notre piété ! Trois personnes de la compagnie (6) se sont flattées de cette espérance, qu’elles se porteraient bien en leur pays, dont la première (7) y hâta sa mort et mourut trois jours après son retour. C’était M. Perdu. M. Senaux (8) a passé quatre mois chez ses parents (9), où il ne se trouva pas mieux, et M. Dubuc (10), qui est présentement chez les siens, me mande (11) qu’il s’y trouve mal de l’esprit

3). Texte de la minute : vous faites état d’accomplir la promesse.

4) Psaume LXXV, 12,

5) Minute : pensez-vous, Monsieur.

6) Minute : de la maison.

7) Minute : de cette espérance qu’elles se porteraient en leur pays, dont la première..

8). Nicolas Senaux, né à Auffay (Seine-Inférieure) le 9 mai 1619, entré dans la congrégation le 22 juin 1639, ordonné prêtre le 20 février 1640, reçu aux vœux le 23 mars de la même année, mort à Troyes le 28 mars 1658. Saint Vincent fait un bel éloge de sa régularité, de sa résignation et de son esprit d’indifférence dans une lettre du 12 avril 1658 et dans la conférence du 28 juin suivant.

9). Minute : quatre mois en son pays.

10) Louis Dubuc, né à Eu (Seine-Inférieure), reçu dans la congrégation en 1636

11) Minute : et M. Dubuc y est à présent, qui me mande.

 

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et du corps. Peut-être qu’il en arrivera autrement de vous. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas, selon ce que je viens de vous dire, qu’il y ait raison (12) de dispense en cela, ni par conséquent de sûreté pour vous. Et vous devez vous en méfier d’autant plus comme le fond de votre résolution vient de ce qu’ayant été flatté de l’attente de la supériorité, et la chose ayant tourné autrement, votre esprit a désiré de sortir premièrement du lieu où nous vous avions envoyé (13) ; et secondement, la tentation vous poussant plus avant, vous a porté à sortir de la congrégation ; car voilà le fond de l’affaire, quoique la nature tricheuse vous ait fait voir le contraire. Et si vous eussiez montré (14) ce repli à ceux de qui vous avez pris avis, vraisemblablement ils vous auraient conseillé de demeurer (15), notamment si vous leur eussiez dit le soin que l’on a céans, Dieu merci, des personnes infirmes, non seulement à l’égard de la nourriture et des remèdes, mais aussi à l’égard des changements de lieu et des emplois ; et selon cela, j’écrivis à Monseigneur (16) de Cahors (17) le jour avant que j’aie reçu votre lettre, comme nous vous destinions pour aller prendre la direction de son séminaire (18) Cela étant ainsi, revenez-vous-en, Monsieur, je vous en conjure, par la promesse que vous avez faite à Dieu de vivre et de mourir dans la compagnie et par le jugement adorable qu’il doit faire de votre âme à l’heure

12) Minute : Peut-être qu’il en arrivera autrement de vous. je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que cela soit ainsi, et l’en prierai tous les jours de ma vie. Selon ce que je viens de vous dire, je ne vois pas qu’il y ait de raison de dispense en cela.

13) Sedan. Le mot se trouve en toutes lettres dans la minute, mais raturé.

14.) Minute : et si vous eussiez fait voir.

15). Minute : ils vous en auraient conseillé autrement.

16). Minute : Monsieur.

17) Alain de Solminihac.

18) Minute : de sa mission.

 

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de la mort. Vous avez deux exemples notables dans la même compagnie de deux personnes lesquelles, ayant cédé à la tentation de sortir, se sont relevées bientôt et sont rentrées (19) dont l’un est allé faire un établissement en son pays (20), lui sept ou huitième, et l’autre (21) travaille avec bénédiction, et nous lui avons la même confiance qu’auparavant, et la vous aurons à vous de même, pource que je sais la bonté de votre cher cœur, que je prie Dieu qu’il sanctifie de plus en plus, qui suis, en son amour….

 

880. — NICOLAS PAVILLON, ÉVÊQUE D’ALET, A SAINT VINCENT

Monsieur,

Voilà que je vous rends Monsieur Féret, qu’il vous a plu nous prêter pour quelques années. Je vous en rends très humbles grâces, reconnaissant ingénuement vous en avoir une particulière obligation. Il a rendu de très grands services à Dieu dans ce diocèse et y a répandu, par ses instructions et par l’exemple de ses vertus, la bonne odeur d’édification en tous états. Aussi a-t-il été généralement aimé et regretté de tous. Il s’en va se jeter entre vos bras, dans l’esprit d’indifférence, pour être déterminé, par vos avis et résolutions, à quoi que vous jugerez le devoir employer. Il ne peut qu’y réussir heureusement et procurer avantageusement le service de Dieu et de l’Église. Vous en reconnaîtrez, comme j’espère dedans l’expérience beaucoup plus que je ne puis vous exprimer. Quoique la perte que nous en allons faire pour ce pauvre diocèse nous en soit rude, nous l’acceptons pourtant avec douceur et patience, comme de la bonne et paternelle main de Dieu, qui nous donne et nous ôte comme il lui plaît. Il vous entretiendra de toutes nos petites nécessités, auxquelles je vous supplie très humblement de nous vouloir donner vos assistances ; ce que j’espère que vous ferez, Monsieur, d’autant plus volontiers qui regardent le rétablissement du service

19) Minute : lesquelles ayant cédé à la tentation, ils s’en sont relevés bientôt et sont rentrés dans la compagnie, dont l’un…

20). En Irlande.

21. Marc Coglée.

Lettre 880. — L. a. — Dossier de la Mission, original

 

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de Dieu et de la discipline de son Église. Monsieur Féret vous informera plus nettement de toutes ces affaires et des expédients qu’on pourrait employer pour en venir à bout. Je ne doute point, Monsieur, que votre zèle et vos adresses, conjoints au crédit que Dieu vous a donné, ne contribuent beaucoup à leur avancement. C’est ce qui m’oblige de l’implorer en cette occasion, comme aussi vos prières et sacrifices, pour nos extrêmes nécessités spirituelles. Je supplierai Notre-Seigneur en contre-échange de vous remplir de ses plus saintes bénédictions, et vous de me faire l’honneur de me croire de plus en plus, en son amour, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

NICOLAS,

é[vêque] d’Alet.

D’Alet, ce 25 octobre 1646

Suscription : A. Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission

 

881. — A ÉTIENNE BLATIRON

De Paris, ce 26 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai point de vos lettres cette semaine, et si je ne puis discontinuer les miennes à votre égard. J’ai si grande joie de la lecture des vôtres et d’apprendre ce qui se passe en vos emplois que je vous prie, Monsieur, de m’écrire par tous les ordinaires. Cette joie n’est pas pour moi seul ; j’en fais part à toute la compagnie, lorsqu’il y a quelque chose de particulier, et prends de là sujet à vous recommander aux prières d’un chacun.

Je trouve bonne la raison de Monseigneur le c [ardinal-] archevêque (1) pour ne vous point accorder le relâche

Lettre 881. — L. s — Dossier de la Mission, original.

1). Le cardinal Durazzo.

 

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en vos travaux, la considérant dans son zèle ou (2) dans la disposition et la chaleur présente des peuples ; mais il faut regarder plus loin et conserver les ouvriers pour faire durer le travail. Faites donc encore, s’il vous plaît, quelques efforts pour avoir cette modération. Que si mondit seigneur persévère, au moins retenez-vous pour agir plus doucement dans la chaire et dans les fonctions. Parlez-leur plus familièrement et plus bas, les faisant approcher de vous ; car enfin la vertu ne se trouve point dans les extrémités, mais dans la discrétion, laquelle je vous recommande autant que je le puis, à vous et à Monsieur Martin.

M. Portail vous ira voir bientôt. Il est encore à La Rose, mais sur le point d’en partir pour aller à Marseille et puis à Gênes.

Notre frère Pascal (3) n’est pas encore arrivé ; quand il le sera, nous le recevrons en la manière que vous l’entendez et qu’il le désire. Je salue votre chère âme et votre petit troupeau, avec une consolation et une tendresse de mon cœur tout extraordinaire, et prosterné aux pieds adorables de Notre-Seigneur. Je le supplie de vous recevoir tous en sa protection et vous animer de plus en plus de son esprit et de son amour, dans lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

2) Le saint avait d’abord écrit : ou même ; réflexion faite, il ratura le second mot.

3) Jean-Pascal Goret.

 

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882. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 27 octobre 1646.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre écrite de Cahors, qui m’oblige à rendre grâces à Dieu de toutes les choses que vous me dites et de tous les biens que Dieu opère par vous, et je prie sa divine bonté de vous continuer ses lumières et sa conduite pour réussir en ce qui vous reste à faire, comme en ce que vous avez fait.

J’ai écrit à Richelieu qu’on y reçoive M. du Coudray et qu’il y demeure jusqu’à ce que la disposition des choses nous en fasse user autrement. Pour le surplus, qui regarde La Rose et Cahors, je ne puis rien conclure que vous n’ayez tout fait et que je ne sache vos sentiments.

Je prie M. Alméras de s’en aller à Annecy, puisque sa disposition (I) le permet, et vous, Monsieur, à Marseille ; mais ce sera après que vous aurez achevé où vous êtes.

M. Brin avec 4 ou 5 autres de nos Hibernois (2) sont partis pour l’Irlande, et M. Bourdet les doit aller joindre à Nantes, pour les diriger. Le f[rère] Vacher (3), qui était au Mans, en est aussi, et le frère Patriarche. Je les recommande à vos prières.

Nous avons maintenant M. Lambert supérieur au collège (4) et M. du Chesne est en mission avec Monsieur l’évêque de Tréguier (5). M. Bécu (6) nous aide céans, d’où

Lettre 882. — L s — Dossier de la Mission, original

1). Sa santé.

2) Voir leurs noms I 877.

3). Philippe L e Vacher.

4). Au séminaire des Bons-Enfants

5). Balthazar Grangier de Liverdi.

6) Jean Bécu

 

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la plupart de nos prêtres partent présentement pour les missions ; et M. Bajoue reste pour le séminaire.

Nous avons renvoyé au Mans M. Alain avec quelques autres, et rappelons M. Cuissot, à cause de son incommodité (7). Son neveu (8) est allé à Saintes avec M. Perraud et le f[rère] David (9).

Je ne puis vous dire autre chose, étant pressé pour le conseil, vous suppliant, Monsieur, de recommander mon âme à Notre-Seigneur, puisqu’elle chérit la vôtre très intimement et que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

883. — A FRANÇOIS PERROCHEL, ÉVÊQUE DE BOULOGNE

De Paris, ce dernier d’octobre 1646.

Monseigneur,

Je rends grâces à Dieu de toutes celles qu’il vous fait, et par vous, Monseigneur, aux âmes qu’il vous a commises, et généralement à toute son Église, et prie sa divine bonté qu’il la sanctifie de plus en plus.

Monsieur de. Villequier (1) a dit ici des merveilles de

7.) Il était sujet à des accès de fièvre quarte.

8) Jean Cuissot

8) David Levasseur, frère coadjuteur, né à Dancé (Orne) en 1608, reçu dans la congrégation de la Mission le 2 janvier 1638.

Lettre 883. — L. a. — Original à Panningen (Hollande), chez les prêtres de la Mission.

1) Antoine, marquis de Villequier, puis duc d’Aumont, gouverneur de la ville et du territoire de Boulogne, né en 1601 maréchal de camp en 1638, lieutenant général en 1645, maréchal de France en 1651, créé duc et pair en 1665, mort le 11 janvier 1669.

 

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Monseigneur son évêque à la reine et à Monseigneur le cardinal (2) de sorte que, quand ils parlent des bons évêques, ils ont accoutume de nommer Messeigneurs de Boulogne et d’Alet (3). C’est ce qui fait, Monseigneur, que je pense que vous userez de tous les moyens imaginables pour conserver cette bonne intelligence entre vous deux, et, à cause de lui, avec ceux qui prennent connaissance de votre Hôtel-Dieu. J’en ai dit mes petites pensées au bon M. l’abbé de Colugri, qui les vous pourra dire.

Votre dernière me fait mention de la surcharge que vous avez des pays conquis (4), et la difficulté d’y faire ce qu’il faut, attendu le peu de revenu ; j’en parlerai à la reine, à ce qu’il lui plaise de vous assister d’ailleurs.

Quand je dis ici que vous faites votre visite, six personnes à un cheval, cela étonne et donne de l’admiration à un chacun. Oh ! que l’évêque est riche qui attire en admiration tous ceux non seulement qui voient, mais même qui entendent parler des trésors de leurs vertus ! C’est un grand cas que le monde même publie plus estimable la sainte pauvreté d’un évêque qui conforme sa vie à celle de Notre-Seigneur, l’évêque des évêques, que les richesses, le train et la pompe d’un évêque qui possède de grands biens.

Ce que je dis, Monseigneur, n’empêchera pas que je ne prenne occasion de représenter vos besoins dans les occasions.

Je me prosterne en esprit à vos pieds sacrés et vous

2) Le cardinal Mazarin.

3) Nicolas Pavillon. Les deux prélats s’étaient connus à Paris. Ils avaient fréquenté ensemble les conférences des mardis et donné ensemble plus d’une mission.

4). Sur les Espagnols. Cette partie du diocèse de Boulogne était très pauvre et souvent dévastée par les garnisons espagnoles de Saint-Omer, Aire et Renty, qui pillaient les églises ou même les incendiaient.

 

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demande votre sainte bénédiction, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

884. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce jour des trépassés (1) [1646] (2)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris à la hâte, mais non sans grande consolation de toutes les choses que vous m’avez écrites, dont je vous remercie, et prie Notre-Seigneur de vous donner la plénitude de son esprit pour le répandre par vous à ces bons ecclésiastiques que sa divine providence vous donne à conduire. Croyez-moi, ayez grande confiance en lui et ne vous étonnez pas de voir en vous de l’insuffisance ; car c’est bon signe et un moyen nécessaire pour l’opération de la grâce que Dieu vous a destinée. Nous ne cesserons de prier pour vous et je vous ferai envoyer les règlements et les pratiques du séminaire, pour vous donner de la facilité en ce commencement. Je vous supplie surtout de vous conserver et de prendre ce même soin de M. Blatiron et des autres, que je salue affectionnément, et en particulier votre chère [personne] (3), qui m’est en la considération que Dieu sait. Je prie Notre-Seigneur

Lettre 884. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). 2 novembre.

2). Ce fut en 1646 que Jean Martin commença à s’occuper des ordinands de Gênes.

3). Mot oublié dans l’original.

 

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de la combler de ses grâces et de son amour, auquel et par lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

885. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 2 de novembre [1646] (1)

Béni soit Dieu, Monsieur, de toutes les choses [que vous] me redites et que vous m,’aviez déjà écrites ! et (je le prie) qu’il soit son remerciement à lui-même de to [ut le bien] qu’il vous fait en toutes les manières que vous [me mandez]. Mon Dieu ! Monsieur, que cela me paraît bien, par [la grâce de] Dieu, qui conduit votre famille par vous !

Je ne suis qu’en peine de cette chère san[té. Au nom de] Dieu, Monsieur, ménagez-la dans la longueur des travaux où il] vous désire occupés, et consolez-moi de [vos nouvelles en] toutes les occasions que vous en aurez.

Nous avons fait partir sept missi[onnaires pour] l’Hibernie, et j’avais écrit à M. Bourdet en B[retagne] de faire le huitième. Je suis en doute s’il y pourra aller.

Dieu bénit de plus en plus la conduite et les travaux de M. Guérin à Tunis ; et notre consul d’Alger (2) s’est

Lettre 885. — L. a. — L’original appartient aux Filles de la Charité espagnoles de Madrid, calle de Jésus. Le coin supérieur de droite a été rongé par l’humidité.

1) L’année ne fait aucun doute, elle a été écrite anciennement au dos de la lettre et est demandée par le contenu.

2). Le frère Jean Barreau.

 

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obligé à environ 7 mille piastres pour la rédemption qui a été faite et non payée de plusieurs captifs, dont nous sommes en peine, mais plus d’une certaine personne de la compagnie (3), autre que M. C [odoing], qui s’est laissée emporter à quelques opinions non orthodoxes ; et qui plus est, c’est qu’il s’y opiniâtre Il croit que Notre-Seigneur n’est pas encore monté au ciel, et dit que Rome, les conciles, ni les Pères n’ont pas si bien entendu l’Ecriture Sainte, et à d’autres rêveries semblables. Nous sommes en peine de ce que nous en ferons. La curiosité de la langue hébraïque et des rabbins l’a mis dans ces extravagances qu’il soutient. L’on pense (4) qu’il le faut mettre hors de la compagnie, s’il ne revient de ces erreurs ; et nous y serons contraints. O Monsieur, que la vanité de l’esprit est un étrange démon ! Je recommande cet affaire à vos prières.

Nous avons en notre séminaire des Bons-Enfants soixante-dix prêtres, parmi lesquels il y a même un bachelier ; et celui de la compagnie céans est d’environ trente. Dieu bénit les uns et les autres. Je le prie qu’il bénisse les vôtres de Gênes et suis, en son amour et celui de sa sainte Mère, à vous et à M. Martin, lequel j’embrasse, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

3). François du Coudray

4) Première rédaction : M le pénitencier dit

 

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886. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 3 de novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

[Je suis] étonné de n’avoir reçu de vos lettres touchant (ce que) vous avez fait à Cahors, tant avec Mgr l’évêque que [touchant le bon] ordre et la conduite de la maison, et ne puis (nullement) croire que vous ne m’en ayez envoyé la relation, [à moins que] les choses ne soient pas encore terminées [et que vous] en attendiez la fin. Quoi qu’il en soit, je [désire beaucoup] de savoir ce que vous y avez fait. Comment, si vous êtes retourné à La Rose a[vez-vous arrangé] ce qui reste pour remettre cette maison en [ordre] ?

J’ai nouvelles que M. du Coudray est arrivé… Quand il sera à Richelieu, je vous donnerai avis de ce qui se passera à son égard (1)

Cependant j’attendrai de vos nouvelles et le secours de vos prières et saints sacrifices pour moi et pour tous les besoins de la compagnie.

Et prosterné à vos pieds, j’embrasse en esprit votre chère âme, qui m’est en particulière considération devant

Lettre 886. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) Le secrétaire avait d’abord écrit quand il sera à Richelieu et que je saurai ce qui s’y passera à son égard je vous en donnerai avis. La phrase n’étant pas de son goût, le saint barra les mots et que je saurai ce qui s’y passera à son égard.

 

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Dieu, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

887. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

Paris, ce 8 novembre 1646.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec] vous pour jamais !

Je n’ai point reçu lettre de vous cette semaine. (Voici) le sujet de la présente. Le parlement de Rennes s’[est trouvé] embarrassé par les arrêts du Conseil, qui cassent les leurs et portent ajournement personnel au p[rocureur] général et au commissaire qui a exécuté les arrêts [de ce] parlement contre nous. On a donné enfin un a[rrêt, dans] lequel il est dit entre autres choses que le s [eigneur] évêque de Saint-Malo ne pourrait nous éta[blir à] Saint-Méen que par bulles du Pape, couchées aux États de la province et vérifiées a[u parlement] de Rennes (1) M. Codoing, qui est à présent à S[aint-Méen, est à la tête] de la famille, qui y est établie par arrêt [du Conseil], exécuté par un huissier du Conseil d’État (2) en la présence de Monseigneur l’évêque d’Auguste, coadjuteur de Saint-Malo (3) frère de Monsieur le maréchal

Lettre 887. — L. a. — Dossier de la Mission, original

1) Cet arrêt était daté du 8 octobre ; il fut confirmé par un second, le 28.

2). Il se nommait Quiquebœuf.

3). Ferdinand de Neufville était depuis 1644 coadjuteur de son oncle Achille de Harlay, que la mort devait enlever le 20 novembre 1646.

 

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de Villeroi, gouverneur du roi (4), qui porte cet affaire. Il est question, pour être en pleine paix, d’obtenir à Rome des bulles d’union de la mense religieuse de Saint-Méen au séminaire érigé par mondit seigneur de Saint-Malo, dont la direction perpétuelle est donnée à la (5) congrégation des prêtres de la Mission. Voici l’histoire et ensuite les raisons.

Monseigneur de Saint-Malo, voyant le misérable état auquel sont la plupart des ecclésiastiques de son diocèse, obtint permission du roi, conformément aux ordonnances de nos rois et du concile de Trente, d’unir la mense des religieux au séminaire d’ecclésiastiques qu’il avait institué dans Saint-Méen, où il y avait douze ecclésiastiques, et donné la direction aux prêtres de la Mission, que les lettres patentes du roi ont été adressées et vérifiées au grand conseil et l’union faite par mondit seigneur de Saint-Malo, et que le parlement, provoqué par les religieux réformés de Saint-Benoît et fâché de ce que mondit seigneur de Saint-Malo avait fait adresser les lettres patentes au grand Conseil, ont fait toutes les violences dont je vous ai écrit, et qu’enfin, ayant vu que le Conseil (du roi) était fortement contraire, ils ont trouvé [un ex]pédient de se mettre en quelque façon à couvert. [Ils ont] trouvé cet expédient pour nous donner lieu de nous accommoder avec ces Pères, ou de nous établir selon [leur] sens ; et c’est ce que M. le premier président

Il lui succéda et occupa le siège de Saint-Malo jusqu’en 1657.

4). Nicolas de Neufville, marquis de Villeroi, né le 14 octobre 1598, servit avec succès dans l’armée. Il gagna la confiance de Mazarin, devint maréchal de France (20 octobre 1646), gouverneur de Louis XIV (1646) et duc de Villeroi (septembre 1663). Il mourut à Paris le 28 novembre 1685

5). Première rédaction aux prêtres de la.

 

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a dit à Monseigneur l’évêque de Rennes (6), qui me l’a écrit.

Outre l’indisposition de Rome aux unions, vous y trouverez opposition du côté de ces bons Pères ; et allégueront que le concile et les rois de France ordonnent que les évêques uniront des bénéfices à leurs séminaires, n’entendant pas que ce soit des bénéfices qui dépendent des Ordres, ains seulement de ceux qui dépendent d’eux.

A quoi il se peut répondre que cette abbaye dépend des évêques de Saint-Malo, et non d’aucune congrégation, ni d’autre supérieur, quel qu’il soit ; 2° que vraisemblablement les évêques ont donné à l’abbaye de Saint-Méen les dîmes qu’ils ont, en considération de ce qu’ils faisaient alors les séminaires et faisaient ce qu’on tâche de faire. Cette dernière raison ne sera pas de mise ; vous ne l’alléguerez point, ains seulement que les religieux de l’abbaye, qui étaient en très grand désordre, ayant consenti à cela et étant contents de la condition qu’on leur a faite, que nul autre y a intérêt.

L’on vous dira qu’il n’y a que le Pape, et que les évêques ne peuvent point supprimer une régularité par quelque union à un corps. A quoi l’on répond qu’il est vrai, communément parlant, mais que les conciles donnant les pouvoirs aux évêques [au sujet] des bénéfices ordinaires et ne limitant pas le [nombre] des bénéfices, qu’il est vraisemblable que l’ [évêque] a pu faire cette union, attendu, comme j’ai dit, que cette abbaye dépend de sa juridiction et est censée dépendre de lui.

De dire que c’est le bien de Saint-Benoît et (que le) général des réformés (7) a eu droit de réclamer (pour sa)

6). Henri de la Motte-Haudancourt (1642-1662).

7). Dom Grégoire Tarrisse. Il gouverna dix-huit ans la congrégation de Saint-Maur et mourut à Paris le 24 septembre 1648 Collet fait remarquer que les enfants de saint Benoît furent des premiers à demander au saint-siège la béatification de Vincent de Paul

 

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communauté, l’on répond que la bulle [d’instruction] de leur congrégation porte qu’ils s’établiront [dans les] abbayes où les religieux, l’abbé et l’évêque [les demanderont]. Or est-il que les religieux de la maison ne demandent point cette réforme, l’abbé ni l’évêque n’y [consentent] point, qui est M. de Saint-Malo, lequel est abbé et le supérieur de la maison. Il s’ensuit que ledit général ni les religieux réformés n’ont point droit de s’opposer aux bulles que vous demanderez, ni de faire ce qu’ils ont fait.

Ajoutez à cela qu’une mense de religieux (8) n’est pas un bénéfice, que la cour de Rome n’a point d’intérêt à cette union, pource que, n’étant bénéfice, le Pape ne donne point des bulles jamais pour lesdites menses.

Voilà, Monsieur, à peu près les raisons de cette union. Il y a deux voies pour faire cet affaire : ou de faire juger à Rome si l’union faite par M. de Saint-Malo est bonne ou non, et, supposé qu’elle ne le soit pas, qu’il plaise à Sa Sainteté de l’approuver et suppléer aux défauts ; ou bien de donner une bulle qui ne fasse mention de celle qui a déjà été faite.

Je vous supplie, Monsieur, de consulter [sur] cet affaire et de me mander ce que vous en trouverez, au plus tôt. Et, s’il [est bes]oin, l’on en fera écrire d’ici à Sa Sainteté. Messieurs de Saint-Malo [sont] fort résolus d’employer tout ce qu’ils pourront, à cet affaire. Et pour vous dire vrai, je pense que Notre-Seigneur en serait bien glorifié et que l’Église en recevrait du secours non petit, à cause des séminaires qui se pourraient établir par ce moyen et non guère par autre.

L’Assemblée du clergé a agité la question de l’importance des séminaires ecclésiastiques et traité des moyens

8). Première rédaction : qu’une mense abbatiale.

 

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de les faire subsister, et n’en a point trouvé de plus avantageux que celui de l’union de quelques bénéfices où les religieux sont dans le désordre et où ils n’ont point disposition d’appeler les réformés, ou èsquels les réformés ne veulent pas s’établir à cause de la pauvreté des menses qu’ils ne veulent pas (9).

Voici le mémoire du nom, surnom et du diocèse de ce jeune gentilhomme polonais (10) que la reine de Pologne (11) nous a laissé ici et qui s’est mis dans le séminaire des écoliers, au petit Saint-Lazare (12), Je vous prie, Monsieur, de lui moyenner un dimissoire ad omnes ordines. Il a quelque disposition d’être de la compagnie, et moi d’être toute ma vie, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. de la M.

 

888. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 10 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre et celles que v [ous m’avez écrites] de La Rose, ensemble la pièce q [ue je vous avais] demandée,

9). La question des séminaires avait été agitée la veille dans l’assemblée du clergé au sujet d’un mémoire présenté par les prêtres du séminaire de Caen. (Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France, Paris, 1769, t. III, p. 372.)

10) Peut-être Stanislas-Casimir Zelazewski.

11) Louise-Marie de Gonzague.

12). Au séminaire Saint-Charles.

Lettre 888. — L a — Dossier de la Mission, original.

1) Tous les détails de cette lettre supposent l’année 1646 : la visite de M. Portail à La Rose, la présence de René Alméras dans cette maison, l’affaire de François du Coudray et de Léonard Boucher, etc.

 

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et ai appris l’ordre q [ui a été établi] à La Rose par M. Alméras [et celui qu’il] a donné à Cahors, dont je suis [fort content] et en rends grâces à Dieu et [le prie qu’il] vous exauce toujours dans les prières que vous lui faites incessamment pour la conduite que vous lui demandez dans vos visites.

Je vous dirai par la première mes petites pensées sur ce qu’il y a à faire à l’égard de M. B [oucher], quoique je pense qu’il est à propos que l’on vide l’affaire de M. du C [oudray] avant la sienne. Celui-ci est encore à Richelieu. Je lui ai écrit et prié d’attendre quelque temps, ayant jugé à propos d’en user ainsi, en attendant le papier que vous m’avez envoyé, qui le regarde. Ma pensée présente est de le faire venir à Fréneville et de traiter là avec lui de son affaire, jugeant quelque inconvénient à le faire venir en cette ville. Nous examinerons néanmoins une autre fois la chose. Peut-être serait-il [bon d]’en user avec lui comme l’on a fait avec M. C[odoing], qui ne se sent plus de ces opinions et [fait maintena]nt avec bénédiction ce qui lui a été commis [en Bre]tagne, où il fait la charge de M. [Bourdet] (2), qui est à Nantes, où il fait sa retraite, en [attendant le] congé qu’il m’a demandé de se retirer, [à cause] d’un fâcheux rencontre qui est arrivé [entre lui] et M. de Saint-Malo, dans les sentiments duquel M. Codoing est entré, et quelques-uns de la famille, qui trouvent à redire à son manîment. Ceci est secret. Hors M. Alméras, vous n’en parlerez à personne,

2) L’original porte : Brunet ; mais il est évident que le saint a écrit un nom pour un autre. Jean Bourdet quitta la compagnie ; et dom Morel nous apprend que saint Vincent lui fit obtenir un excellent bénéfice qui dépendait de l’abbaye de Marmoutiers. (S. Ropart, op. cit., p. 196.) Si M. Ropartz avait lu la correspondance du saint, il n’aurait pas ajouté, après avoir rapporté ce fait : "C’est la seule intervention de saint Vincent dans toute cette affaire (l’affaire de Saint-Méen) et la seule occasion qu’ait eue dom Morel de prononcer son nom. Est-il besoin de dire que je m’en suis senti tout heureux ?"

 

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s’il vous plaît. Nous l’avions destiné pour l’Hibernie, pour y conduire la compagnie que nous y envoyons, lui huitième ; mais il s’en excuse. Nous verrons le succès de sa retraite. Je l’ai conjuré par tous les moyens imaginables de demeurer dans la compagnie et de s’en venir ici.

Douze cents livres, c’est beaucoup pour La Rose. Vous ne sauriez vous représenter la pauvreté en laquelle nous sommes. Je vous prie de disposer la famille à honorer les incommodités de Notre-Seigneur. Les dépenses qu’on a faites au Mans ont réduit cette maison-là et celle-ci en la nécessité. Les accommodements se font par eux-mêmes avec le temps. Il n’appartient qu’à Dieu d’avoir toutes choses à souhait, et à ses serviteurs à en user comme Notre-Seigneur a fait. Vous ferez prendre cinq ou six cents livres de lettre de [change, s’il vous] plaît. Si c’est peu pour la maison, ass [urez-vous] que c’est beaucoup pour nous.

Bon Dieu ! Monsieur, que vous [avez bien fait de donner] l’ordre que vous avez donné à l’égard [de….]

Je pense vous avoir écr [it que] Monsieur Berthe s’est retiré, n’ayant pu [souffrir, là] où nous l’avions envoyé (3) l’opinion qu’ [avait plus d’]un externe et le bruit qu’il avait fait cour [ir par] la ville qu’il allait là pour être supérieur ; dont l’ayant désabusé et mandé ici, il feignit à Reims d’être malade, d’où il s’en retourna à Donchery, chez ses parents ; c’est à une lieue de Sedan.

Vous voilà donc bientôt sur le point de partir pour Rome. Dieu sait de quel cœur vous y êtes attendu, et aux autres maisons, et M. Alméras à Annecy. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous bénisse tous deux et qu’il sanctifie vos chères âmes de plus en plus.

Je suis en son amour, et salue très humblement la petite

3) La maison de Sedan.

 

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famille de La Rose, où j’estime que la présente vous trouvera, et cela prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je me trouve en peine à vous envoyer les deux personnes que vous demandez pour Cahors et pour La Rose.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à La Rose.

 

889. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Novembre 1646] (1)

Monsieur,

Nous avons grand besoin d’instruction de votre charité sur le sujet d’une faute assez notable d’une de nos sœurs ; c’est une nommée Marthe, fille d’un jardinier, qui demeure sur le chemin du village d’Issy. Elle a été fort longtemps sur la paroisse St-Leu, qui paraissait assez simple et bonne fille, mais est plutôt, à ce que je crains, un peu fine et réservée. Peu de temps après avoir été dans les paroisses, la curiosité l’a prise de vouloir beaucoup savoir, et d’elle-même s’est avancée à la chirurgie ; nous dit sa mère, pauvre femme, lui avoir donné la garniture d’un grand étui ; et depuis l’avoir mise à St-Paul, elle a encore eu une lancette, et dit sa mère lui avoir encore donnée. Et, au déçu de sa sœur servante, a saigné, quoique jamais l’on ne lui ait montré, si ce n’est des chirurgiens, étant aux paroisses. Et lorsque sa sœur lui a demandé sa lancette, elle (la) lui a refusée, disant qu’elle me la baillerait ; et à moi elle m’a dit l’avoir jetée, comme ne voulant plus voir le sujet qui l’avait fait offenser Dieu. Je l’ai retenue céans pour savoir de vous, Monsieur, ce que nous devons taire pour telles fautes, me semblant bien nécessaires à l’avenir ces exemples pour le bien de la compagnie,

Lettre 889. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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et que nous soyons averties de procéder en telles affaires avec justice et charité.

Faites-moi celle de demander à notre bon Dieu que mon fils, par sa miséricorde, participe un jour au mérites de la vie et mort de Jésus crucifié, vive source de toute sainteté, et moi aussi, misérable et infidèle à Dieu, qui suis, quoique très indigne, Monsieur, votre très obligée fille et obéissante servante.

L. DE MARILLAC

J’oubliais à vous dire que j’ai empêché cette sœur de se confesser et communier aujourd’hui, et attends l’ordre que votre charité me donnera, avant l’y envoyer.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

890. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Avant 1650] (1)

Monsieur,

Le petit garçon de mon fils me vient de dire qu’il le renvoya hier et qu’il ne sait où il est. Vous pouvez penser ma peine, que je supplie très humblement votre charité soulager et aider devant Dieu et recommander à sa miséricorde l’état où il peut être pour le présent et l’avenir. Si vous vouliez me faire la charité d’envoyer quelqu’un de chez vous pour savoir s’il n’a rien dit et ce qu’il a fait, sans que l’on sût mes appréhensions, ni les dispositions qu’il vous a dites, ce me serait un grand soulagement d’apprendre quelque chose. Comme je crains tout, cela me donne pensée qu’il ne fasse emporter le meuble de sa chambre pour se retirer tout à fait, sans que je sache où.

Je suis bien fâchée de vous donner tant de peine, mais il m’est impossible de chercher soulagement ailleurs ; et non seulement cela, mais j’appréhende si fort que l’on sache mon déplaisir, pour la crainte que j’ai que l’on vienne pour m’en dire quelque chose ; ce qui augmentera ma peine. Que ma douleur est grande ! Si Dieu ne m’aide, je ne sais ce que je ferai. Aidez-moi à me tenir fortement attachée à Jésus crucifié,

Lettre 890. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date du mariage de Michel Le Gras.

 

auquel je suis, Monsieur, votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Un mot que j’ai dit à mon fils à cause de ma grande peine.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

891. — A MICHEL ALIX

De Paris ce 23 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

J’ai reçu votre lettre avec grande joie ; (cependant elle) m’a laissé de la douleur, à cause de [ce que vous] souffrez par la fièvre et par les t [racas qu’on vous] donne. Mais grâces à Dieu ! Il est plein de bonté] et pour vous et pour moi : po (ur vous, car c’est pource) que de tout cela vous en faites [bon usage, qu’il le] demande de vous, pour une plus [grande perfection et] sanctification de votre chère âme ; [ce qui paraît] en ce que telles afflictions portent une p [articulière] marque de la bonté de Dieu sur vous, vous donnant sujet d’honorer les actions plus amoureuses de la vie et de la mort de son Fils Notre-Seigneur. Oh bien ! Monsieur, exercez-vous donc en cette divine vertu de patience et de soumission à son bon plaisir. C’est la pierre de touche par laquelle il vous éprouve, et c’est par là qu’il vous mène en son pur amour. Pendant que vous lui demanderez la force de bien souffrir, je lui demanderai la grâce de vous

Lettre 891. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Le post-scriptum est de la main du saint.

1) Cette date est demandée et par la date de la dédicace dont parle saint Vincent (22 novembre 1646) et par le contenu de la lettre.

 

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soulager ; et tout maintenant, prosterné en esprit devant son infinie miséricorde, je la supplie humblement de vous rendre la santé du corps et la paix (2) intérieure de votre cœur (3). Nous avons deux personnes en la compagnie qui ont aussi la fièvre quarte ; l’une est céans à présent (4) mais l’autre n’a pas laissé d’entreprendre le voyage d’Hibernie, avec le même courage que les autres, qui sont bien sains ; et je ne doute pas que Dieu ne l’en délivre bientôt, tant il se plaît à faire du bien à ceux qui pour le servir se détachent d’eux-mêmes. Plût à Dieu, Monsieur, que j’eusse le moyen de contribuer [à vo]tre soulagement ! Il sait de quelle affection je m’y [emploie]rais. Et si l’occasion se présente de vous faire changer de lieu, vous verrez que je n’épargnerai [rie]n de ce qui dépendra de moi.

[Je] vous eusse aussi volontiers rendu mes services [concern]ant la fondation qu’on veut faire en votre paroisse, [si j’av]ais su le nom de la fondatrice ou quelle sorte [de re]ligion s’y veut établir ; et faute de cela, [je mé]contenterai du moyen que vous me marquez, [en parlant] à Madame la duchesse d’Aiguillon [et enco]re aux magistrats de Pontoise ; ce que je ferai le plus tôt qu’il me sera possible.

Mais que me dites-vous, Monsieur, quand vous me mandez que vous m’avez dédié un livre (5) ? Si vous aviez pensé que je suis fils d’un pauvre laboureur, vous ne m’auriez pas donné cette confusion, ni vous n’auriez pas fait ce tort à votre livre de mettre en son frontispice le nom d’un pauvre prêtre qui n’a d’autre lustre que des misères et des péchés. Au nom de Notre-Seigneur, Monsieur,

2). Première rédaction : la paix de l’esprit.

3). Première rédaction : de votre âme.

4). Gilbert Cuissot. (Cf 1. 899 et 900)

5). Une nouvelle édition de l’Horus pastorum de Jacques Marchant.

 

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si cet œuvre est encore en état de pouvoir être dédié à quelque autre, ne me surchargez pas de cette obligation. Il y a longtemps que je connais assez votre bonne volonté pour moi ; et vous n’ignorez pas que je ne sois plein de reconnaissance pour vous et de désir d’être à jamais, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Je tiendrai à bénédiction de vous servir à l’égard du changement dont vous parlez, et vous promets d’y penser, quoique je ne voie rien pour le présent et que j’aie sujet de craindre que mes péchés me rendent indigne.

Suscription : A Monsieur Monsieur Alix, curé d’Aumône (6) à Aumône.

 

892. — A ETIENNE BLATIRON

De Paris, ce 23 novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous po[ur jamais !]

J’ai reçu deux de vos lettres en même temps. [L’une] et l’autre ont contribué à ma conso[lation, m’]apprenant la continuation et de votre santé [et de votre] bonne conduite, dont je rends grâces à Di[eu, et] le prie de vous conserver et bénir de [delà].

Mon âme a reçu un surcroît de [consolation] de ce que Monseigneur le cardinal v [ous donne la] liberté de prendre

6.) Saint-Ouen-l’Aumône, près de Pontoise (S.-et-O.)

Lettre 892. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

 

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le repos qui ser[ait nécessaire] après chaque mission. Usez-en donc, [je vous en] prie, et vous conservez comme une personne très chère à la compagnie, particulièrement à mon cœur, qui garde des tendresses d’affection pour vous, qui ne sont pas ordinaires.

Je salue très cordialement Messieurs Martin et Richard et me recommande humblement à leurs prières et aux vôtres, comme aussi à celles de ces bons Messieurs les ecclésiastiques qui vont travailler avec vous, auxquels je vous supplie de renouveler les offres de mes services.

Je vous ai envoyé, la huitaine passée, le traité de votre établissement, où j’ai fait quelques remarques. Vous me manderez œ que vous ferez en cela, et me croirez, en l’amour de Notre-Seigneur, s’il vous plaît, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

893. -- A GUILLAUME DELATTRE

De Paris, ce 23 novembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit a[vec vous] pour jamais !

Je vous fais ces lig[nes] pour vous dire que j’ai reçu v[otre] dernière et que je ne pourrai p[as vous] faire réponse au détail de ce [qu’elle contient], sinon qu’en vous disant qu’on [peut tomber dans l’excès en la pratique des v[ertus, et que] l’excès est quelquefois un p[lus grand]

Lettre 893. — L.a. — Dossier de la Mission, original.

 

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mal que le défaut de les pratiquer, [et qu’en] ce genre-là il s’est vu des personnes, et j’en connais, qui y trouvent de la volupté sensuelle et criminelle, qu’il suffira que vous en usiez comme je le vous ai permis, une fois le jour, l’espace d’un Miserere, absque emissione sanguinis, non enim meritum tam in dolore quam in amore consistit. Au nom de Dieu, Monsieur, réglez-vous à cela et observez les conseils que M. Portail vous donnera, et faites généralement tout ce qu’il vous ordonnera. Je vous fais cette prière d’autant plus volontiers que je sais que la sainte obéissance est l’âme de votre âme et que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delattre, supérieur des prêtres de la Mission, à Cahors.

 

894. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A CAHORS

De Paris, ce 23 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je reçus hier la vôtre du… ; et toutes les autres que vous m’avez écrites, je pense aussi les avoir toutes re [çues et aussi] avoir répondu à toutes.

Si vous n’avez fait à Ca [hors, je vous prie] de conclure

Lettre 894. — L. a. — Bibl. Nat., n a. f. 1473, original. Le document est en mauvais état. Une copie ancienne nous a aidé à compléter les phrases mutilées

1). Année de la visite de M. Portail à La Rose et à Cahors.

 

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au plus tôt et de [vous rendre] à La Rose pour y conclure ce[lle] que vous y avez commencée. [Les visites] qui traînent comme cela sont pour l’ordinaire de peu de fruit. Les esprits se lassent [vite]. Qui veut remédier aux maux du corps et rétablir une meilleure santé, il faut qu’il donne les remèdes peu à peu, ou autrement il est à craindre qu’on ne lui fasse plus de mal que de bien. Il suffit en une visite qu’on connaisse le mal, qu’on impose et ordonne les remèdes et que l’on en laisse l’exécution au supérieur. Vous avez eu raison de leur expliquer les règles et d’en voir l’usage deux ou trois jours seulement ; mais, après cela, il faut commettre la chose à Dieu et au supérieur. Huit ou dix jours au plus en chaque lieu suffisent.

Vous avez bien fait de faire connaître l’excès qu’on a commis dans les disciplines, et de leur modérer le nombre, de leur prescrire le temps et la manière. Vous pouvez sans difficulté consentir que Monsieur Delattre la prenne tous les jours l’espace d’un Miserere, mais qu’elle soit simple et sans épingles. Et pour les autres, vous leur en permettrez moins et les consolerez dans leur fidélité aux pratiques de cette sorte de pénitence si rigoureuse et les règlerez

Je vous supplie de plus, Monsieur, de faire partir Monsieur Alméras au plus tôt pour Annecy. Il ne saurait traverser les montagnes d’Auvergne. Il faudra qu’il tire droit à Béziers, à Montpellier et qu’il passe à Nîmes et de là au Saint-Esprit (2), à Lyon et puis à Annecy.

Je ne vous dis rien de l’ordre que vous avez à établir à La Rose ici, parce que Monsieur Delattre (3) l’exécutera. [Voilà] longtemps qu’on n’a fait la mission [à Ai]guillon.

2). Au Pont-Saint Esprit, arrondissement d’Uzès (Gard).

3). Le nouveau supérieur de l’élablissement de La Rose.

 

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Je vous prie que ce soit la première [qu’on] y fera, et qu’on y fasse ce qui se pourra, (afin de) les accorder avec Madame la duchesse et ses [gens] et entre eux, et d’y passer cet Avent jusques (aux grandes fêtes de Noël pour faire à plein fond. [Dieu comble de] grâces ceux qui devront parler, qui donnent… plus forts et qui ont grâce pour vi [siter les ennemis ! Ils ne diront point à personne que c’est par ordre de moi ; ils diront qu’on est obligé d’y aller de 5 en 5 ans, et qu’on ne compte point pour mission ce que Monsieur du Coudray y fit quand il y alla avec Monsieur Drouard.

Vous me mandez que nous devons trois cents livres à Cahors. Je ne sais pourquoi nous donnâmes ici 400 livres à Monseigneur de Cahors, qu’il nous devait renvoyer à son arrivée. Je ne sais s’il l’a fait, et l’on ne lui en parlera point.

Voilà, Monsieur, ce que je vous puis dire pour le présent, sinon que je vous embrasse, prosterné en esprit à vos pieds, et fais le même à la petite famille de La Rose, et suis à vous et à eux, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

895. — A BONIFACE NOUELLY

De Paris, ce 2 [… novembre 1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit [avec vous pour jamais !]

Lettre 895 — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) La date écrite en tête a disparu, avec le coin supérieur de droite, par suite des ravages de l’humidité ; il ne reste que le premier chiffre du quantième du mois. Si nous ajoutions foi à celle qui a été

 

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J’écris à M. le consul (2) [l’embarras où nous] sommes pour avoir l’argent auq (uel il s’est engagé). Le conseil a ordonné qu’il sera payé avec les] deniers qui se lèveront, dès que [l’on aura quêté] dans Paris pour les esclaves…. se veut charger desdites quê [tes……] de la Merci ni des Mathurins, (lesquels) nous font espérer plus de secours que les [autres] ; et c’est avec eux que nous tachons de nous accommoder. Nous ne perdrons point de temps, s’il plaît à Dieu ; et dès que l’argent sera prêt, nous vous l’enverrons par la voie de Tunis, ainsi que vous nous mandez.

Je prie ledit sieur Barreau de ne jamais plus s’engager à rien, ni même de s’entremettre du rachat d’aucun esclave, ains de bien exercer son office. Je le prie aussi de n’entreprendre aucune affaire, petite ni grande, sans vous en communiquer. Et je vous prie, Monsieur, de faire de même, vivant ensemble avec grande déférence, ouverture de cœur et pleine confiance, comme deux personnes unies en Jésus-Christ.

J’ai écrit aussi par ce même ordinaire à M. Guérin, à Tunis, de vous écrire quelque chose de la méthode et de la manière avec laquelle il agit envers les pauvres esclaves, afin de vous conformer à cela autant qu’il vous sera [possi] ble.

Je vous écris bien à la hâte, à cause [qu’il] est nuit. Je prie Notre-Seigneur d’être [de] plus en plus votre lumière, votre force et votre esprit et enfin votre récompense.

anciennement ajoutée au dos du document, la lettre serait du 8 mars 1647. Mais cette date soulève quelques difficultés ; elle est en opposition avec le 2 du début ; de plus les contours de la partie mutilée rapprochent étrangement cette lettre des lettres datées du 23 novembre 1646, et par son contenu elle semble mieux à sa place non loin de la lettre 877.

2). Le frère Jean Barreau.

 

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[Je suis], en lui, de toutes les forces de mon âme, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Nouelly. prêtre de la Mission, à Alger.

 

896. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION (1)

Du 24 novembre 1646.

J’ai reçu deux de vos lettres, qui ont redoublé ma douleur, voyant que vous persévérez à vous séparer de nous ; ce qui m’oblige de persévérer aussi à vous représenter le danger où vous vous exposez, mais c’est avec toute l’humilité et l’affection dont je suis capable, et avec un plein désir de votre salut. Je vous dirai donc dans ce sentiment :

1° Que je ne vois aucune raison qui vous rende dispensable des vœux, et, pour une seule que vous en cotez, qui est très faible, plusieurs fortes me persuadent que vous devez revenir. Vous êtes infirme, il est vrai ; mais ce prétexte est-il suffisant pour obliger Dieu à vous tenir quitte de la promesse que vous lui avez faite ? Vous n’ignoriez pas alors que vous ne fussiez sujet aux infirmités corporelles, comme le reste des hommes. Et, puisque vous avez franchi le pas, faut-il maintenant qu’une légère incommodité vous décourage ?

2° Votre retraite chez vous ne vous guérira pas. De quels remèdes userez-vous que vous n’ayez ici ? L’air de votre pays n’est pas meilleur que celui de Paris, et

Lettre 896. — Reg. 2, p. *290.

1). Probablement Thomas Berthe. (Cf. 1. 879, note l.)

 

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vous savez bien que vous ne trouverez pas chez vos parents plus de repos et de bons secours que nos infirmes en ont dans la compagnie.

3° Je vous prie de considérer la bonté de Dieu à vous appeler du monde. Combien y a-t-il d’âmes qui se perdront, faute d’une pareille grâce ! Mais combien plus mériteront de se perdre celles qui l’auront méprisée après l’avoir reçue !

4° Vous avez confessé tant et tant de fois que vous étiez touché de reconnaissance envers Dieu du bienfait de votre vocation ; pourquoi le rejetez-vous maintenant ?

5° Dieu vous a départi assez libéralement des talents pour tous les emplois de la compagnie ; et, vous en retirant, les peuples et les ecclésiastiques seront frustrés des assistances spirituelles pour lesquelles peut-être il vous les a donnés. Et quoique vous pensiez les faire valoir en assistant le prochain en votre particulier, ce sera néanmoins sans grand effet, parce que] a grâce de la vocation vous manquera ; l’expérience de quelques autres me fait craindre cela de vous.

6° Combien de victoires perdrez-vous, si vous perdez votre vocation, puisqu’avec elle vous pouvez surmonter le diable, le monde et la chair, et à même temps enrichir votre âme de la perfection chrétienne, pour laquelle les anges s’incarneraient, s’ils pouvaient, afin de venir imiter sur la terre les exemples et les vertus du Fils de Dieu !

7° Je veux croire qu’il vous semble que votre sortie ne procède pas du motif que j’ai dit, quoique vous ayez sujet d’estimer le contraire ; car, si cela n’était pas, d’où pourrait venir un si prompt changement ? Car, en partant d’ici pour cette maison-là, vous étiez si content de votre vocation qu’il ne se pouvait davantage, et j’en étais fort édifié. Mais quand il serait vrai que ce mal viendrait de quelqu’autre cause, et non de celle-là,

 

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comme vous dites que je le verrai au jour du jugement, que direz-vous en ce grand jour, quand il vous sera demandé compte de vos promesses, des lumières que vous avez reçues et de l’emploi que vous aurez fait de votre temps et de vos talents ? Pensez-vous que le soin de votre santé vous en décharge, puisque c’est Dieu qui la donne et qui l’ôte quand bon lui semble, et qu’il est dit que qui voudra sauver sa vie la perdra ?

Au nom de Notre-Seigneur, Monsieur, pensez à tout ceci et ne résistez point aux reproches de votre conscience ; mettez-vous en l’état auquel vous voudriez mourir, et j’espère de la bonté de Dieu qu’il vous donnera la force de vaincre la nature, qui ne cherche que sa liberté, au préjudice de votre pauvre âme, pour laquelle Dieu m’a donné des tendresses d’affection inexplicables. C’est pourquoi je vous conjure derechef, au nom de Jésus-Christ et par l’amour qu’il vous porte, de vous en venir ici. J’aurai en vous plus de confiance que jamais, parce que je n’aurai plus crainte de vous perdre, vous voyant garanti d’un écueil si dangereux. Choisissez telle maison qu’il vous plaira ; vous serez reçu partout à bras ouverts, et vous me donnerez occasion de vous témoigner que je suis, en son amour, Monsieur, votre…

 

897. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

De Paris, ce 27 novembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

J’ai été consolé de voir dans votre lettre [que M.] le curé s’est un peu relâché de la réso [lution de] ne point

Lettre 897. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) Ce qui est dit dans cette lettre de Louis Thibault nous porte à la rapprocher de la lettre 900, qui est du 2 décembre 1646. L’état

 

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souffrir la communion des en [fants. J’espère] qu’il se rendra tout à fait si v [ous avez soin de lui] représenter : 1° que par nos règles [nous sommes tenus] à cela ; 2° qu’il a été toujours p [ratiqué ainsi en] toutes les missions que nous avons (faites ; 3° que les enfants) sont bien instruits et en état de bien [se préparer à la] communion, laquelle sert par après de dis [position à bien] faire les autres ; 4° que c’est un des princip [aux moyens] que nous ayons pour toucher les personnes plus âgées, qui ont le cœur dur et obstiné, lesquelles se laissent vaincre à cette dévotion des enfants et du soin qu’on prend après eux. Et, à propos de ceci, on me mande de Gênes que Monseigneur le cardinal-archevêque (2) a une telle affection à la communion des enfants qu’il se trouve en la plupart et y pleure de tendresse, comme s’il était lui-même un enfant. Enfin l’expérience que nous avons de la bénédiction que Dieu donne à cette action doit servir de motif à mondit sieur le curé de l’approuver en sa paroisse.

Que s’il dit qu’il veut faire cela lui-même, et que pendant le carême il les instruira pour les faire communier à Pâques, on lui peut répondre qu’il est vrai qu’il s’en acquittera bien mieux que nous, mais que ce que nous en ferons n’empêchera pas qu’il ne fasse alors la même chose. Que s’il craint que nous admettions à la communion des enfants qui ne soient assez instruits et n’aient les autres dispositions nécessaires, vous lui direz, s’il vous plaît, que notre coutume est de les examiner tous [en] la présence de Messieurs les curés, lesquels jugent [eux]-mêmes si on les doit recevoir à ce sacrement ou non, [qu’] ainsi mondit sieur pourra remettre à un

de mutilation de l’original, comparé à celui des originaux des lettres qui précèdent et qui suivent, enlève tout doute.

2) Le cardinal Durazzo

 

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autre temps [ceux] qu’il n’en trouvera pas capables. Que si enfin il trouve à redire à la solennité de la procession, [on la fera le] plus simplement qu’il se pourra, sans [éclat et s] ans habiller certains enfants en forme [d’anges], comme on a fait en quelques endroits ; (lui résister) en cela ne me semble pas faisable (3).

[Je] vous prie donc de lui bien représenter toutes ces choses, et j’espère qu’il vous donnera toute liberté pour ce regard ; sinon, nous verrons avec la compagnie s’il est expédient de continuer la mission sans ladite communion (4).

Quant aux confessions, il n’y aura rien de perdu à les différer jusqu’à lundi.

Et pour faire durer la mission jusqu’à la fin de l’an, à la bonne heure, on le fera aussi, s’il est nécessaire.

Nous enverrons de l’argent à M. Thibault et le ferons avertir de faire ce que vous dites vers M. Raisin, pour savoir si rien n’a été laissé par mégarde en sa maison.

Puisque vous n’avez point assez de lits, voyez, Monsieur, si vous pourrez en envoyer quelques-uns coucher aux Bons-Enfants.

Nous vous renvoyons notre frère Laisné (5). S’il est inutile, vous le pourrez renvoyer dans deux ou trois jours.

3). L’abbé Villien, le savant professeur à l’Institut catholique de Paris, estime que saint Vincent a le premier introduit l’usage de donner de la solennité à la première communion (La discipline des sacrements dans la Revue du clergé français,1er janvier 1912, t. LXIX, p. 30.)

4). Cette fin de phrase, depuis sinon nous verrons, est de la main du saint.

5). Le catalogue du. personnel signale deux missionnaires du nom de Laisné, Nicolas et Pierre, nés tous deux à Dreux, l’un le 9 novembre 1623, l’autre en 1625, entrés dans la congrégation de la Mission le 24 septembre 1641 et admis. aux vœux le 4 octobre 1643. Pierre reçut tous les ordres sacrés en décembre 1648. C’est de lui probablement qu’il est ici question. Il faisait partie de la maison de Saint-Méen en 1657.

 

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Nous vous enverrons demain des surplis et des bonnets

Les deux pistoles que vous avez envoyées ont été reçues.

Je salue toute la compagnie et vous particulièrement, étant, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

898. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[1646] (1)

Monsieur,

Je ne me suis point avisée de vous demander si je communiquerai ceci (2) à nos sœurs, et ne l’ai pas fait. Permettez-moi de dire à votre charité que l’explication portée dans notre règlement de Filles de la Charité me fait désirer la continuation de ce titre, qui est omis, peut-être par mégarde dans le mémoire des termes de l’établissement (3).

Ce terme si absolu de dépendance de Monseigneur (4) ne nous peut-il point nuire à l’avenir, donnant liberté de nous tirer de la direction du supérieur général de la Mission ? N’est-il pas nécessaire, Monsieur, que par cet établissement, votre charité nous soit donnée pour directeur perpétuel. ? Et ces règlements qui nous doivent être donnés, est-ce l’intention de

Lettre 898. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le mot du début "Monsieur" montre que la lettre a été écrite avant 1650. La note 2 permet de préciser l’année.

2). L’acte du 20 novembre 1646, par lequel Jean-François de Gondi, archevêque de Paris, érigeait en confrérie la compagnie des Filles de la Charité.

3). Le coadjuteur, qui a signé l’acte d’érection, au nom de son oncle l’archevêque de Paris, donne aux sœurs le nom de "servantes des pauvres de la Charité".

4). Le coadjuteur spécifie que la compagnie "demeurera à perpétuité sous l’autorité et dépendance" des archevêques de Paris. Il ajoute qu’il confie et commet à Vincent de Paul "la conduite et direction de la susdite société et confrérie tant qu’il plaira à Dieu de lui conserver la vie"

 

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Monseigneur que ce soient ceux marqués en suite la requête ? Cela requiert-il un acte à part, ou bien en veut-on former d’autres, puisqu’il en fait mention séparément ?

Au nom de Dieu, Monsieur, ne permettez pas qu’il se passe rien qui donne tant soit peu de jour de tirer la compagnie de la direction que Dieu lui a donnée, car vous êtes assuré que aussitôt ce ne serait plus ce que c’est, et les pauvres malades ne seraient plus secourus ; et ainsi je crois que la volonté de Dieu ne serait plus faite parmi nous, par laquelle j’ai le bien d’être, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante (5).

 

899. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 1er décembre [16461] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

J’ai reçu votre lettre avec grande co[nsolation, voyant] tout ce que vous m’écrivez, et n[e cesse de remercier] Dieu du bon ordre que vous av[ez mis] dans nos maisons. Je prie sa divine [bonté de donner sa] bénédiction pour les m[aisons qui restent à voir] d[ans ce] que vous leur a[llez prescrire. Maintenant], Monsieur, vous voilà donc [prêt à partir, ainsi] que je vois par votre lettre. J’en [ai une consolation] que je ne vous puis exprimer, parce [que vous] êtes attendu ailleurs avec patience et besoin, sur

5) Les craintes de Louise de Marillac n’étaient pas exagérées. Au sortir de la Révolution, les Vicaires généraux de Paris, s’appuyant sur les termes mêmes de l’approbation donnée en 1646 et en 1655, revendiquèrent le droit de diriger la compagnie des Filles de la Charité et provoquèrent un schisme, qui dura des années. L’autorité traditionnelle du supérieur général de la Mission sur les sœurs fut enfin mise hors de discussion, le 25 juin 1882, par cette réponse de Rome : "Nihil esse innovandum quoad regimen enuntiatae associationis Puellarum Charitatis quod per Pontificia indulta Superiori Generali Congregationis Presbyterorum Missionis, vulgo Lazzaristi, a S. Vincentio a Paulo institutae, pertinet"

Lettre 899. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1). Année de la visite de M. Portail à Cahors.

 

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tout à Rome, où je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ de vous conduire et de vous continuer les mêmes grâces, pour ramener les choses au point qu’il les désire, dans ce qui vous reste à faire, comme dans ce que vous avez fait.

M. B[oucher] m’a écrit par deux fois de La Rose les bons sentiments et la reconnaissance que Dieu lui donne. Je vous prie, Monsieur, de me mander si je me dois appuyer là-dessus.

Je n’ai rien à vous dire davantage qu’à vous assurer que tout va bien ici, grâce à Dieu. Je n’ai point d’autres nouvelles à vous donner. Vous saurez seulement que M. Cuissot a la fièvre quarte, et M. Bécu la goutte, et moi la grâce d’être, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT D EPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

900. — A LOUIS THIBAULT

De Paris, ce 2 [décembre 1646] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

Nous vous envoyons ce porteur pour ap[prendre de vos nouvelles et vous en donner des nôtres, [qui sont] bonnes, grâces à Dieu. La com[munauté est en bonne] santé, à la réserve de M. [Bécu, qui a la goutte, et de]

Lettre 900. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1). Cette lettre doit être rapprochée de la lettre 899.

 

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M. Cuissot, qui a la fièvre q[uarte. Et vous, allez-vous] bi (en, après) tant de longs tr[avaux ? Peut-être n’êtes-vous pas sans] quelque incommodité ; mais j[e prie Notre-Seigneur] de vous conserver pour sa gloire. Je [le remercie de] la bénédiction avec laquelle vous les a[vez accomplis], dont nous avons été avertis de deçà. Et plaise à sa bonté infinie faire la grâce à tant de pauvres âmes d’en faire usage pour leur salut !

Voici cent livres que nous vous envoyons, tant pour payer ce que vous devez à Villeneuve-Saint-Georges, si d’aventure M. Gentil (2) ne vous a envoyé de quoi pour cela, que pour satisfaire à la dépense et autres dettes que vous avez faites depuis, comme aussi pour vous donner moyen de vous en revenir ; ce que je vous supplie de faire au plus tôt, et tout au plus tard jeudi. C’est assez travaillé pour ce coup ; et puis nous avons affaire de vous ici. Nous enverrons quelqu’autre à Villejuif (3) et la mission d’Orsay (4) se peut remettre à la Noël. Je vous attends donc avec désir de vous embrasser chèrement et avec espérance de vous voir bien reposer après tant de fatigues.

Dieu nous fasse la grâce de nous reposer éternellement en lui, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Thibault, prêtre [de la Mission, à Mont]geron (5).

2) Procureur à la Procureur à la maison-mère.

3). Grosse commune des environs de Paris.

4). Commune de l’arrondissement de Versailles (S.-et-O.).

5). Commune de l’arrondissement de Corbeil (S.-et-O.).

 

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901. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 7 décembre [1616] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous voilà donc seul, Monsieur, dans votre nouvel emploi. Oh ! que béni soit Dieu de vous avoir donné un moyen si propre de le consulter sur la manière d’avancer en son amour ceux qu’il vous a confiés ! Où le secours des hommes manque, le sien abonde. Et bénie soit à jamais sa bonté tant aimable de vouloir être servi en même temps à la ville et à la campagne par trois personnes seulement, en des affaires si importantes comme sont les siennes ! C’est signe qu’il y veut mettre la main lui-même et faire réussir de leurs travaux des fruits d’éternelle bénédiction.

J’ai l’âme tout attendrie quand je pense à vous et au choix qu’il en a fait, pour vous appliquer, tout jeune que vous êtes, à un si haut ministère que celui de perfectionner des prêtres. Je rends grâces à Notre-Seigneur de vous avoir mérité cette grâce, et le prie de parachever en vous ses desseins éternels. Et vous, Monsieur, humiliez-vous bien fort en vue de la vertu et suffisance qu’il faut avoir pour enseigner les autres et élever les enfants du Roi du ciel en la milice chrétienne ; mais confiez-vous hardiment en celui qui vous a appelé, et vous verrez que tout ira bien. Il semble qu’en ce commencement Dieu vous ait voulu faciliter l’entrée en cette sainte occupation par la disposition qu’il donne à vos séminaristes à la

Lettre 901 — L a — Dossier de Turin, original

1) Ce fut à la fin de l’année 1646 que Jean Martin fut chargé du séminaire

 

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piété et aux exercices, pour vous obliger à l’entreprendre avec plus de courage. Il faut adorer sa conduite et néanmoins s’attendre à ne trouver pas toujours des personnes si souples et si aisées à gouverner, mais espérer aussi qu’à proportion que les difficultés s’augmenteront, Dieu vous augmentera ses grâces. Et afin, Monsieur, que, de votre part, vous soyez muni de toute sorte d’armes, exercez-vous à la douceur et à la patience, vertus fort propres à vaincre les esprits revêches et durs. Vous pouvez penser si, de mon côté, je ferai instance auprès de Notre-Seigneur pour vous obtenir la plénitude de son esprit. Recommandez-lui, s’il vous plaît, mon âme et rendez l’incluse au frère Sébastien. Je lui écris, selon votre avis, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

902. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 8e décembre (1646) (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous [pour jamais !]

Encore que je sois en doute si celle-ci vous [trouvera] à Cahors ou à La Rose, je ne Laisse pas de [vous écrire] pour me trouver par elle à votre départ [de delà, si] elle vous y rencontre, et v[ous souhaiter pour votre voyage] une [particu] lière protection (de Dieu).

Lettre 902. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) La date est marquée : au dos de l’original, et le contenu la confirme.

 

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[J’ai éc]rit à Mars[eille pour annoncer votre arrivée] bien[tôt ; ma]is je pense, M[onsieur, que vous ferez bien] de n’y pas faire la visite jusqu[’à votre retour. Il faut] aller au plus pressé, qui est Rome. Vous [ne vous arrêterez] pas même à Gênes pour cela, vous con[tentant de] voir M. Martin, qui fait le séminaire, et [de dire] un mot à. M. Blatiron et à M. Richard, pour les saluer, au lieu où ils feront la mission, sinon qu’en passant vous les puissiez voir sans détour. Je vous écrirai plus particulièrement entre ci et là.

La prochaine ordination se doit faire à Saint-Lazare ; je la recommande à vos prières, sans oublier ma pauvre âme, ni la compagnie, laquelle va bien, grâces à Dieu. Je suis en grande peine de M. du Chesne, que nous avons envoyé, comme vous savez, à Nantes, pour conduire la mission d’Hibernie ; et depuis trois semaines qu’il est parti, nous ne savons où il est, n’en ayant aucune nouvelle. Dieu nous en veuille donner de bonnes et vous conserver, à vous, Monsieur, pour qui sa divine bonté me donne des sentiments d’affection et d’estime extraordinaires, m’ayant rendu, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Cahors.

 

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903. — A JACQUES THOLARD

De Saint-Lazare, ce 8 [décembre 1646].

La grâce de No[tre-Seigneur soit avec vous] pour Jamais !

Il faut bien dire, Monsieur, qu’en [infligeant au démon le] mauvais traitement que vous lui fai[tes subir et en lui] faisant la rude guerre que vous lui f[aites] et le ch[assant des âmes qu’il] a révoltées et que vous… (2) Notre[-Seigneur Jésus-Christ bénit] le [secours] que vous rendez [aux âmes qu’il a] rachetées de son sang précieux. [Au nom de Dieu], tenez bon, ne rendez point les armes ; [il y va de la] gloire de Dieu, du salut peut-être d’un million [d’âmes] et de la sanctification de la vôtre. Ressouvenez-vous, Monsieur, que vous avez Dieu avec vous, qu’il combat avec vous et qu’infailliblement vous vaincrez. Il peut aboyer, mais non pas mordre ; il vous peut faire peur, mais non pas du mal ; et de cela je vous en assure devant Dieu, en la présence duquel je vous parle ; je douterais fort autrement de votre salut, ou, pour le moins, que vous vous rendissiez indigne de la couronne que Notre-Seigneur vous va façonnant, tandis que vous travaillez si heureusement pour lui. La confiance en Dieu et l’humilité vous obtiendront la grâce qu’il vous faut pour cela. Que si vous êtes si fort pressé de la tentation, suspendez la confession et appliquez-vous aux accommodements.

Lettre 903 —. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1). Les dégâts faits au document original par l’humidité correspondent trop à ceux dont a souffert la lettre 902, pour qu’il ne soit pas, comme celle-ci, du 8 décembre 1646. C’est, au reste, la conclusion à laquelle conduit l’étude du contenu.

2). Des deux lignes qui suivent dans l’original il ne reste que quelques mots épars, qu’il nous a été impossible de relier ensemble.

 

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Dites à M. Gentil (3) que je vous ai prié d’en user de la sorte et que, s’il le faut, je vous enverrai un prêtre ou deux des Bons-Enfants pour confesser à votre place. Je vous fais cependant une nouvelle oblation de mon cœur et salue M. Gentil (4) et le reste de la famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Tholard (5), prêtre de la Mission, à Villejuif (6).

 

904. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GENES

De Paris, ce 14 décembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici une bien petite lettre, mais qui porte à mon cher Monsieur Martin des assurances de la grande affection que Dieu me donne pour lui. Je ne la puis exprimer, et pourtant je la sens vivement au milieu de mon cœur. Celui qui la voit vous, la fasse connaître comme il a fait à moi la bonté de votre âme et les grâces dont il l’a remplie, qui font le sujet de mes plus ordinaires consolations ! Souvent et tout présentement je supplie Notre-Seigneur

3) Mot raturé sur l’original, probablement pour qu’on ne connaisse pas le destinataire de la lettre.

4). Mot raturé sur l’original.

5). Mot raturé sur l’original.

6). Mot raturé sur l’original.

Lettre 904. — L. s. — Dossier de Turin, original.

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qu’il soit tout vôtre, et vous tout sien, qu’il bénisse votre emploi et que votre emploi l’honore et le glorifie en soi et en ces jeunes ecclésiastiques que sa providence vous a confiés, que vos paroles soient autant de semences jetées dans leurs cœurs, qui portent au centuple des fruits de charité et de bon exemple vers les pauvres fidèles, afin qu’ils fassent des œuvres dignes de ce nom. Vous voyez bien, Monsieur, que, si mes désirs sont accomplis, les biens que vous ferez iront à l’infini et dureront après vous. Je l’espère de la bonté de Dieu, qui se veut servir de vous en choses si importantes (1). Et pour cela humiliez-vous et vous confiez en lui.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Martin.

 

905. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MEEN

De Paris, ce 15 décembre [1646 (1)]

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit av[ec vous pour jamais !]

J’ai reçu deux de vos lettres, [qui m’ont] tôt fait prendre part aux peines que [vous éprouvez], et m’[ont fait]

1) Le secrétaire avait écrit grandes ; le saint ratura ce mot pour le remplacer de sa propre main par si importantes.

Lettre 905. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Le document est en très mauvais état.

1) Cette date s’impose. Ce fut, en effet, à la fin de l’année 1646. que Bernard Codoing devint supérieur de l’établissement de saint Méen et que Ferdinand de Neufville monta, après la mort de son oncle, sur le siège de Saint-Malo.

 

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prier Notre-[Seigneur qu’il vous fasse la grâce] de [vous en dé]livrer… (2) [J’ai eu l’]occasion [de] lui (3) découvrir les [besoins de la] compagnie. Il m’a promis de lui co [ntinuer la] même assistance que son prédécesseur [et de nous] faire le bien qu’il pourra.

Je lui ai parlé aussi de Plancoët (4). Il veut être sur le lieu avant que de vous accorder la retraite de ceux qui y sont, et doit y aller dans un mois ou six semaines. Cependant, Monsieur, je vous prie d’avoir patience, faisant comme vous pourrez. Il serait pourtant à désirer que vous fissiez continuer les missions et le séminaire en même temps. Je sais bien que vous êtes trop peu ; mais vous pouvez vous allier quelques prêtres, qui vous aideront, quand ce ne serait que pour dire l’office. Je vous ai déjà écrit que nous avions exemple pour cela d’une maison (5) où il n’y a que trois personnes des nôtres, dont l’une conduit le séminaire et les autres sont quasi toujours en mission. Si vous pouviez faire de même, j’en serais consolé. Je remets néanmoins cela à votre discrétion, sachant bien que vous avez incomparablement plus d’affection que moi au bien et avancement du prochain.

Je n’ai pu encore vous envoyer le secours que vous m’avez demandé, tant pource [que nous n’]avons ici plus de monde qu’il nous faut, [que par la crai] nte où j’ai [été que] la tempête [ne revînt. Mainten]ant je su[is tenu] de le différer……. (6) en la bonne volonté qu’il (7) a de nous faire [du bi]en.

2) c’est à peine si nous avons pu saisir quelques mots détachés dans les trois lignes que nous omettons ici.

3) Ferdinand de Neufville, le nouvel évêque de Saint-Malo.

4) Saint Vincent avait vu de mauvais œil l’engagement pris par Jean Bourdet de desservir la chapelle de Plancoët. (cf. I 815) faisait des démarches pour se libérer de cette promesse.

5.) La maison de Gênes.

6) Les deux lignes qui suivent sur l’original sont trop incomplètes pour que nous puissions les reconstituer.

7). Probablement le nouvel évêque de Saint-Malo.

 

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Adieu, Monsieur ; conservez-vous, je vous en supplie, pour la plus grande gloire de Notre-Seigneur. Je salue très affectueusement votre petite troupe, laquelle je prie sa divine bonté de bénir de ses éternelles bénédictions, et particulièrement votre chère âme, que la mienne embrasse cordialement.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M Codoing.

 

906. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION A RICHELIEU (1)

De Paris, ce 19e décembre 1646 (2).

Monsieur,

La grâce [de Notre-Seigneur] soit av [ec vous pour jamais !

Il y a] déjà bien des [jours que] j’ai reçu ré [ponse de vous, et je suis] encore plein de la consolation qu’elle m’a [procurée, voyant les sentiments] que vous avez de vous-même, qui sont très nécessaires en [l’emploi] que Dieu vous a donné, en l’absence de M. Gautier (3). Je [suis très reconnaissant] à sa divine bonté des lumières qu’elle vous départ, et la supplie d’accomplir en vous ses desseins éternels. Mais vous savez, Monsieur, que cette

Lettre 906. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1) C’est à tort que le registre 2 (p. 107) fail adresser la lettre "à M. Rivet, supérieur à Saintes". Louis Rivet ne fut nommé supérieur à Saintes que plus tard. Il était à Richelieu en 1646.

2) Dans la copie que nous suivons, une déchirure du coin supérieur droit a emporté le dernier chiffre de l’année. La date nous est connue par le registre 2.

3) Supérieur de la maison de Richelieu.

 

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défiance de vos propres forces doit être le fondement de la confiance que vous devez avoir en Dieu, sans laquelle nous nous trouvons souvent pires que nous ne pensions être ; et avec icelle on fait beaucoup, ou plutôt Dieu fait lui-même ce qu’il prétend de nous. N’arrêtez donc plus votre vue à ce que vous êtes, mais regardez Notre-Seigneur auprès de vous et dans vous, prêt à mettre la main à l’œuvre si tôt que vous aurez recours à lui, et vous verrez que tout ira bien. Pensez-vous que, puisque l’ordre de sa providence vous a établi en cette charge, il ne vous donne pas aussi les grâces convenables pour la bien faire, si, pour son amour, vous l’entreprenez courageusement ? N’en doutez point, Monsieur, non plus que de la sincère affection que mon cœur a pour le vôtre, qui est telle que je ne puis vous l’exprimer. Dieu vous la fasse connaître, s’il lui plaît, et veuille vous remplir de plus en plus de son esprit pour le répandre par vous dans les âmes que vous conduisez, et pour la plus grande sanctification de la vôtre !

J’embrasse en esprit toute la famille et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

907. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 23 décembre [1646] (1)

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit a[vec vous pour jamais !]

Je ne sais si cette lettre v[ous arrivera pendant les]

Lettre 907. — L. s. — Dossier de la Mission, original

1) Date ajoutée au dos de l’original et donnée par le registre 2 p. 176) ; elle a disparu de cet endroit par suite des dégâts occasionnés par l’humidité.

 

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travaux de la mission… (2). [Dieu soit] donc à jamais béni ! [Je le prie que vous soyez de plus en] plus animé de son esprit pour [travailler à sa] gloire.

Votre lettre, que j’ai reçue hier au soir, m’apprend la bénédiction particulière qu’il a plu à Dieu donner à son œuvre, dont je ne puis le remercier assez. Plaise à sa divine miséricorde tirer son remerciement du fruit de cette mission, faisant la grâce à ces pauvres âmes de connaître et de reconnaître ses libéralités, et à nous de lui continuer nos petits services en tout ce qui pourra étendre et affermir l’empire de Jésus-Christ !

La proposition que vous m’avez faite de recevoir à pension des écoliers qui ont dessein sur l’état ecclésiastique, et non d’autres, m’a fait penser que peut-être Dieu se veut servir de nous en votre maison pour donner racine à ces jeunes plantes, et m’a fait désirer à même temps qu’il ait agréable de nous donner grâce pour le faire utilement. Vous pourrez donc en [faire] un essai ; mais que la pension soit de cinquante [écus] ; vous ne pouvez en prendre à meilleur compte, [et en]core moins gratis, crainte d’employer à cela ce [qui est nécessaire] à l’entretien des prêtres destinés [à évangéliser les peu]ples et à [conduire] la cure…. (3).

Je me suis enfin rendu au désir qu’on a de nous avoir à Luçon (4). La prière que Mgr de Luçon (5) et son chapitre

2) La suite manque sur une longueur de quatre lignes.

3) Des sept lignes qui suivaient sur l’original il ne reste plus que des mots isolés sans lien apparent.

4) Dès 1640, quelques prêtres de la Mission s’étaient établis à Luçon sous la direction de Gilbert Cuissot, auquel avait succédé Jacques Chiroye, qui dirigeait encore cette maison le 3 mai 1645. (Cf. 1. 749.) Nous ignorons à la suite de quelles circonstances Jacques Chiroye et les siens abandonnèrent Luçon et se retirèrent à Richelieu. Il est fort probable que cet abandon fut dû à la gêne dans laquelle se trouva la maison à la suite de la perte qu’elle fit, la mort du cardinal-ministre, du revenu des greffes de Loudun qu’elle partageait avec la maison de Richelieu.

5) Pierre Nivelle (1637-1661).

 

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nous en font, la nouvelle proposition de M. l’archidiacre (6) sont des marques que Dieu le veut, et des moyens qui facilitent l’exécution de cet établissement. Je prie M. Chiroye de s’y en aller, accompagné de quelque frère seulement, pour résoudre avec ces Messieurs ce qu’il faudra ; et, quand il en sera temps, nous enverrons les ouvriers nécessaires. J’ai déjà l’œil sur un de nos prêtres, qui me semble bien propre, et sur deux bons ecclésiastiques du séminaire des Bons-Enfants, qui ont désir d’aller rendre gloire à Dieu, un ou deux ans durant, dans l’exercice de nos fonctions. J’attendrai plutôt les nouvelles du succès du voyage de M. Chiroye. Donnez-lui, s’il vous plaît, ma lettre.

Je trouve raisonnable le soulagement [que Monsieur] Lucas demande, et il y a autant de jus [tice que de charité] de le lui accorder. Je vous supplie donc, [Monsieur, de] le dispenser de toute sorte de travail [et fonction] autre que d’entendre quelques [confessions], les fêtes et les dimanches… (7).

Continuez à M. du C[oudray vos charités]. Vous et la compagnie lui avez [bien servi ; je vous en] remercie. J’ai été bien aise que vous [en usiez] de la sorte. Laissez-lui donc faire ce qu’il voudra ; car j’espère qu’il n’y aura rien à dire en ses déportements. Je lui écris aussi, et, si je puis, j’écrirai à Monsieur Gobert pour lui témoigner la joie que j’ai de sa santé, et combien j’ai été touché de sa

6.) Claude Thouvant, conseiller et aumônier du roi, archidiacre d’aizenay. La discussion de sa proposition devait aboutir au contrat du 7 mars 1647 (Ach. Nat. S 6706,, par lequel il donnait à Jacques Chiroye, supérieur, une somme de 1.800 livres et lui faisait la remise des droits qu’il avait sur l’hôtel de Pont-de-Vie, maison achetée par les prêtres de la Mission en décembre 1641, le tout à condition que lesdits prêtres feraient chaque année une mission de trois semaines dans son archidiaconé.

7). Nous omettons ici quatre lignes de l’original, dont il ne reste plus que quelques mots épars.

 

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ferveur, le voyant si tôt dans le travail. Dieu le bénisse et lui et toute la compagnie, que j’embrasse en esprit avec beaucoup de tendresse et de consolation, particulièrement votre chère âme, pour laquelle la mienne a des affections que Dieu seul connaît et que je voudrais bien vous faire connaître, en son amour, comme étant en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Nous vous enverrons quelqu’un à la place de M. Chiroye au plus tôt.

Au bas de la première page : M. Gautier.

 

908. — A JACQUES CHIROYE, PRÊTRE DE LA MISSION. A RICHELIEU

De Paris, ce 23 décembre 1646.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour jamais !]

Qui ne recevrait chèrement les lettres [que vous écrivez], et qui ne serait consolé de [voir que vous ne cessez de] c[herche]r le salut [des âmes ? Votre zèle] m’[a touché et] produit [en moi une telle joie que je ne puis vous] la [dire. Je ne cesse] de r[emercier Dieu et de lui deman]de[r qu’il] vous [continue les grâces qu’il vous] donne [en l’éta]blissem[ent de Luçon. Ayez confiance], Monsieur ; à la bonne [heure ! vous aller donner] commencement à un œuvre du[quel Notre-Seigneur] veut tirer le salut d’une infinité d’[âmes et] l’entière sanctification de

Lettre 908. — L. s. — Dossier de Ia Mission, original.

 

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la vôtre. Pendant que vous négocierez cet affaire, nous vous préparerons les ouvriers nécessaires, à savoir un de nos prêtres, que j’ai déjà en vue, avec quelque frère clerc et deux bons ecclésiastiques de notre séminaire des Bons-Enfants, qui veulent passer un ou deux ans au service des pauvres de la campagne et qui vous donneront bien de la satisfaction, comme j’espère. Mais auparavant de vous envoyer personne, vous mettrez, s’il vous plaît, les choses en état, sans toutefois conclure les conditions qui vous seront proposées soit par Mgr l’évêque ou son clergé, soit par M. l’archidiacre, que premièrement je n’en sois averti.

Je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que, puisqu’il a agréable de vous commettre le soin d’un affaire qui le regarde, il vous donne la plénitude de son esprit et de sa conduite pour le traiter à son honneur et en sa vue

Monsieur l’archidiacre [désirerait la] mission tous [les an] s dans son archidiaconé… (1) [Pour le premier], vous pourrez volontiers vous y obliger, [mais] non pas au second, sinon pour deux ou trois villages au plus. Vous m’expliquerez, s’il vous plaît, son intention. Je me donne l’honneur de lui écrire et de lui témoigner notre soumission aux volontés de ces Messieurs et à la sienne, et le ressentiment que j’ai de la grâce qu’il nous présente. Je vous prie de lui en donner toutes les assurances possibles, comme je fais à vous des affections que mon cœur a pour le vôtre. Plaise à Dieu les unir de son amour dans le temps et dans l’éternité ! Je suis en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

1) Suivait ici l’énoncé des désirs de l’archidiacre ; mais il reste si peu de mots en cet endroit de l’original qu’il nous est impossible de reconstituer le texte.

 

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J’ai différé l’envoi de la lettre à M. l’archidiacre et les autres jusqu’au premier jour que je vous les enverrai à Richelieu ou a Luçon. Vous ne direz point que ces prêtres ne sont pas de la compagnie.

Au bas de la première page : M. Chiroye.

 

909. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1).

Nous attendons une grande quantité de malades au retour des galères Si ces pauvres gens souffrent de grandes misères dans leurs courses sur la mer, ceux qui sont demeurés ici n’en endurent pas de moindres. on les fait travailler à scier le marbre tous les jours, exposés aux ardeurs du soleil, qui sont telles que je ne les puis mieux comparer qu’à une fournaise ardente. C’est une chose étonnante de voir le travail et la chaleur excessive qu’ils endurent, qui serait capable de faire mourir des chevaux, et néanmoins que ces pauvres chrétiens ne laissent pas de subsister, ne perdant que la peau, qu’ils donnent en proie à ces ardeurs dévorantes. on leur voit tirer la langue comme feraient les pauvres chiens, à cause du chaud insupportable dans lequel il leur faut respirer. Et le jour d’hier, un pauvre esclave fort âgé, se trouvait accablé de mal et n’en pouvant presque plus, demanda congé de se retirer ; mais il n’eut d’autre réponse sinon qu’encore qu’il dut crever sur la pierre, qu’il fallait qu’il travaille. Je vous laisse à penser combien ces cruautés me touchent sensiblement le cœur et me donnent de l’affliction.

Et cependant ces pauvres esclaves souffrent leurs maux avec une patience inconcevable et bénissent Dieu parmi toutes ces cruautés qu’on exerce sur eux ; et je vous puis dire avec vérité que nos Français emportent le dessus en bonté et en vertu sur toutes les autres nations. Nous en avons deux malades à l’extrémité et qui, selon toutes les apparences, n’en peuvent échapper, auxquels nous avons administré tous les

Lettre 909. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 7, 1er éd., p. 118

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

 

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sacrements. Et la semaine passée, il en mourut deux autres en vrais chrétiens ; et l’on peut dire d’eux que : pretiosa in conspectu Domini mors senctorum ejus. La compassion que je porte à ces pauvres affligés, qui travaillent à scier le marbre, me contraint de leur distribuer une partie des petits rafraîchissements que je leur donnerais s’ils étaient malades, etc. Il y a d’autres esclaves qui ne sont pas si maltraités, dont les uns sont sédentaires dans les maisons de leurs patrons et servent à tout de nuit et de jour, comme à cuire le pain, à faire la lessive, à apprêter le boire et le manger, et autres petits services d’un ménage. Il y en a d’autres que leurs patrons emploient à leurs affaires du dehors. Il y en a encore d’autres qui ont la liberté de travailler pour eux, en donnant à leurs patrons une certaine somme par mois qu’ils tâchent de gagner et d’épargner sur leur petite dépense.

 

910. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1645 et 1651] (1)

Mademoiselle Le Gras est priée de mander à Mademoiselle de Lamoignon qu’il est nécessaire qu’elle s’en aille prier Madame de Brienne de se trouver à l’assemblée, en laquelle l’on a besoin de son avis et de celui de Madame la duchesse d’Aiguillon aussi ; et pource que la dernière est en affaires qui la pressent aujourd’hui, il faudra pour le moins insister à la première.

VINCENT DEPAUL.

Suscription : Pour Mademoiselle Le Gras.

Lettre 910. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original. Louise de Marillac remit cette lettre à Mademoiselle de Lamoignon, qui écrivit en marge : "Pour m’en avertir, s’il vous plaît. Je suis toute vôtre. M. de L. Ce mercredi à une heure."

1) Cette lettre semble du temps où Madame de Lamoignon était présidente des dames de la Charité.

 

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A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce 28 décembre [1646] (1).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec [vous pour] jamais !

J’ai reçu votre lettre du […. Je remercie] Dieu de (tout ce) que vous (me marquez au sujet) des (succès que vous]) avez dans vos missions…] (2) ; car, à ce que je vois, (c’est un des plus grands] saints qui soient dans son [Église (3). J’ai un] sensible ressentiment de la modération que vous montrez] à l’article de la fondation dont vous me parlez, lequel je vous envoie en la forme qu’il le faudra passer, s’il lui plaît.

J’ai été certes beaucoup consolé d’apprendre le bon ordre du séminaire et le progrès qui s’y fait. C’est une grâce spéciale de Dieu, pour laquelle je prie sa divine bonté de se glorifier elle-même et d’agréer la reconnaissance que je lui en rends, particulièrement de la bonne conduite du bon M. Martin, qui a besoin d’être soutenu et fortifié du Saint-Esprit dans les divers emplois qu’il a. Dieu sait si j’appréhende qu’il succombe sous le faix, aussi bien que vous sous le vôtre.

J’écris par ce même ordinaire à M. Dehorgny de vous envoyer celui que vous demandez, ou un autre qui le vaille sans aucun retardement ; et, pour l’y obliger davantage ; je lui envoie votre lettre, afin que vos raisons le conseillent

Lettre 911. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original ; elle a disparu de cet endroit par suite des dégâts occasionnés par l’humidité.

2) Les quelques mots qui restent sur huit lignes de l’original ne nous permettent pas de reconstituer le texte.

3) Il s’agit fort probablement du cardinal Durazzo.

 

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sur le besoin qu’il en peut avoir. J’espère qu’il vous donnera contentement.

Je ne sais si vous vous souvenez qu’on a ci-devant donné le prieuré de Saint-Nicolas-de-Champvant, du diocèse de Poitiers, (à la maison de) Richelieu et que les provisions furent expédiées (à Rome pour présent[ement) faire venir ledit [prieuré] à la con[grégation des] prêtres de la [Mission établie à] Ri[chelieu. Il] est nécessaire [que vous en] fassiez [renonciatio]n par devant [notaire] po[ur la remettre entre] les mains de [M….], et un…, suivant [ce qu’] en ont [réglé les] abbés et religieux [de Notre]-Dame-des-Noyers (4), de qui ledit prieuré [dépend], étant à leur nomination, par acte du 6e de novembre dernier, par devant Girard, notaire royal ; laquelle démission vous enverrez, s’il vous plaît, en diligence, à M. Dehorgny, afin que sur icelle et sur la copie dudit consentement que je lui dois envoyer, il obtienne le bref de ladite union.

Je veux croire que cette lettre vous trouvera sur la fin de votre grande mission ; et plaise à Dieu qu’elle vous trouve dans une pleine disposition et dans un heureux succès de vos travaux pour le salut des pauvres que vous instruisez, et la sanctification de votre âme ! Je ne fais pas un moindre souhait pour ces messieurs qui travaillent avec vous, pour lesquels Dieu m’a donné de particulières et tendres affections, voyant leur bonté et le bon exemple qu’ils donnent à toute notre congrégation, à laquelle je fais souvent le récit de leur vertu et de leur zèle. Je vous supplie de les saluer humblement et cordialement de ma part, leur renou[velant les] offres de mon obéissance.

4) Abbaye de Bénédictins réformés de la congrégation de Saint Maur, au diocèse de Tours.

 

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J’embrasse [aussi] M. Richard et le frère Sébastien et p[rie Notre-Seigneur] de les bénir de plus en plus.

Je suis, [en son amour, Monsieur], votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

912. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

4 janvier 1647.

Vous pouvez dire à Monseigneur le cardinal (1) que Mes. seigneurs les prélats sont nos maîtres pour tous nos emplois extérieurs et que nous sommes obligés de leur obéir, comme les serviteurs de l’Évangile obéissaient à leur maître : s’ils nous commandent d’aller, nous sommes obligés d’aller ; si de demeurer, nous sommes obligés de demeurer ; si de travailler, nous sommes obligés de le faire ; et si nous y manquons, ils ont droit de nous punir. Bref, nous devons obéissance à Nosseigneurs les évêques en toutes les choses qui regardent nos emplois des missions, des ordinands, etc. ; mais pour la direction spirituelle et domestique, elle est au supérieur général.

 

913. — ALAIN DE SOLMINHIAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

[1647] (1)

le voudrais bien que M. Testacy et les autres de notre séminaire

Lettre 912. — Reg. 2, p. 76.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

Lettre 913. — Archives de l’évêché de Cahors, liasse 5, n° 6, original.

1) La lettre a été écrite pendant que Charles Testacy était supérieur du séminaire de Cahors et peu après le passage en cette ville d’Antoine Portail, qui s’y trouvait en décembre 1646.

 

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ne vous rompissent pas la tête, comme ils font, pour beaucoup de choses, n’y ayant aucune nécessité. L’intendant de ma maison m’a toujours dit qu’on pouvait nourrir les pensionnaires pour cent livres, et je le crois ainsi. Mais, quand ce ne serait pas, leur ayant fait entendre que c’est une ordonnance synodale faite de l’avis de tout notre synode, il faudrait avoir patience jusqu’au prochain synode pour la changer.

Il y a vingt-cinq braves ecclésiastiques dans notre séminaire, et dans peu de jours ils seront bien près de trente-cinq. C’est pourquoi il est tout à fait nécessaire d’envoyer quelqu’un des vôtres pour aider les autres, et particulièrement pour le chant ; ce qui est nécessaire. J’avais prié M. Portail de vous le dire. J’espère que vous y pourvoirez. Ce qu’attendant, croyez-moi votre très humble serviteur.

ALAIN,

évêque de Cahors.

 

914. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 11e janvier 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre chère lettre d’une affection très sincère et fort tendre pour votre chère âme, qui me paraît de plus en plus bénie et choisie de la main de Dieu pour procurer sa gloire dans celles que vous conduisez, et par elles dans une infinité d’autres, qui le loueront dans le temps et l’éternité. Travaillons donc hardiment et amoureusement pour un si bon Maître que le nôtre ; imitons-le en ses vertus, surtout en son humiliation, en sa douceur et sa patience ; et vous verrez un heureux progrès en votre conduite.

Je vous parle certes avec compassion des grands travaux que vous avez ; mais je me console dans la confiance

Lettre 914. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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que j’ai, que Dieu redouble vos forces et conserve votre cœur en paix. C’est la grâce que je lui demande, attendant que le secours qui vous doit venir de Rome soit arrivé. Il y a déjà 15 jours que j’ai prié M. Dehorgny de vous en envoyer quelqu’un en diligence ; et par le prochain ordinaire je vous enverrai les règles de notre séminaire des Bons-Enfants. Il y a longtemps que j’avais donné ce soin-là à quelqu’un. Excusez son oubliance et la mienne.

M. Portail vous ira voir bientôt. Il est déjà à Marseille. Il n’attend qu’une commodité pour partir. M. Alméras ira à Rome avec lui.

Je les recommande à vos prières, et moi avec eux, qui suis de tout mon cœur, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

915. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce mercredi. [Entre 1643 et 1649] (1)

J’ai envoyé votre billet, que l’on a baillé à Madame de Lamoignon, Mlle n’y étant pas ; laquelle dame m’a mandé que le jour de l’assemblée dépendait de vous et que Mlle Viole eut bien désiré que ce pût être vendredi.

Je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Lettre 915. — L. a. — Original communiqué par M. l’abbé Le Gras, 8, avenue du Parc, Lyon.

1) Avant 1643, Madame de Lamoignon n’était pas encore présidente des dames de la Charité ;. après 1649, Louise de Marillac n’appelait plus saint Vincent "Monsieur" au début de ses lettres.

 

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916. — A JEAN MARTIN

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous me faites un plaisir singulier de me consoler de vos lettres, à cause des effets qu’elles produisent en moi, n’en lisant jamais aucune que je ne sois touché de reconnaissance vers Dieu et de tendresse pour vous voyant les sentiments qu’il vous donne, d’humilité et de confiance, qui font naître la sainte générosité avec laquelle vous soutenez le poids d’un séminaire. Plaise à Dieu, Monsieur, vous fortifier de plus en plus et vous donner la plénitude de son esprit pour animer ce petit corps et le mouler selon les maximes de Jésus-Christ ! Je ne pense jamais à vous, que je ne vous donne à lui, avec actions de grâces pour celles qu’il vous fait. Et si je ne voyais sur vous une particulière assistance de Dieu, je croirais faire un songe quand je me représente qu’un jeune homme comme vous (1) conduit si heureusement l’intérieur et l’extérieur de plusieurs autres. Je prie derechef Notre-Seigneur d’exécuter ses desseins en vous et par vous, et de me faire miséricorde par vos prières.

Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

Lettre 916. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) M. Martin était né le 10 mai 1620 ; il avait donc vingt. sept ans.

 

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917. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 18 février 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

O Monsieur, que vos lettres me consolent toujours ! Certes, Monsieur, c’est à un point que je ne le vous puis exprimer.

Hélas ! Monsieur, que vous avez raison dans la description que vous me faites de l’état de votre intérieur ! Mais béni soit Dieu du bon usage que vous en faites ! tandis que nous serons dans cette vallée de misère, fussions-nous des saints, nous sentirons toujours ce que vous sentez ; et Dieu le permet afin de nous tenir toujours en haleine dans l’exercice de la sainte mortification et de l’humiliation. Tenons-nous ferme là dedans, et Notre-Seigneur restera vainqueur de nos passions en nous et régnera souverainement en nous et, par nous, dans les âmes au service desquelles sa providence nous a destinés. Tenons-nous donc ferme et marchons toujours dans les voies de Dieu, sans nous y arrêter.

O Monsieur, que dirons-nous de votre saint prélat (1), duquel vous me dites tant de choses ! Certes, j’admire cela et j’espère que, si Notre-Seigneur le conserve dix ans à son Église, qu’il renouvellera tout son diocèse, ainsi qu’a fait Monseigneur d’Alet (2),

J’écris à M. Blatiron qu’il est à souhaiter qu’on propose

Lettre 917 — L a — L’original a été donné en 1886 aux prêtres de la Mission de la maison de Chieri par M. Pierre Marietti, en reconnaissance de l’hospitalité reçue chez eux lorsqu’il y fit les exercices spirituels pour se préparer aux ordres sacrés.

1) Le cardinal Durazzo

2) Nicolas Pavillon.

 

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à ce saint prélat l’établissement des conférences entre Messieurs les curés et autres ecclésiastiques de la campagne. J’espère que, s’il plaît à Notre-Seigneur de continuer sa sainte bénédiction sur les travaux de ce saint prélat, comme il a fait jusques à présent, et notamment à l’égard de ces sortes de conférences que M. Blatiron sait, pour avoir été des premiers qui y ont travaillé, qu’il en réussira de grands biens. Mais quoi ! il faut faire les choses peu à peu. La grâce a ses commencements petits et ses progrès.

Pour la mission dans la ville, vous avez eu raison de lui en dire la manière.

Je vous prie, Monsieur, de lui faire de temps en temps des renouvellements de mon obéissance et de lui demander pour moi sa bénédiction, que je lui demande, prosterné en esprit aux pieds de Son Éminence, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

918. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1639 et 1649] (1)

Monsieur,

Je ne vous saurais que dire de ma santé, mais je vous assure que j’ai grand besoin de vous parler au sujet des nécessités de plusieurs filles, avant de penser a aucune chose.

Lettre 918. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) En 1639, la sœur Bécu était encore vivante (cf. 1 387) ; après 1649, toutes les lettres de Louise de Marillac à saint Vincent commencent par "Mon très honoré Père" et non par "Monsieur",.

 

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Nous avons ici notre sœur Charlotte bien mal depuis longtemps ; c’est la sœur de ma sœur Geneviève, de l’Hôtel-Dieu qui y servait aussi à la collation. Je crains bien qu’elle ne fasse comme notre défunte sœur Bécu. L’on lui a plusieurs fois ordonné la saignée du pied mais personne n’a pu avoir du sang. Si votre charité nous voulait envoyer ce bon frère Alexandre peut-être en aurait-il. Sa fièvre est d’ordinaire plus grande le soir que le matin.

Nos sœurs qui sont en retraite feront, quand il vous plaira leur confession, qui ne sera pas générale, ni de l’une ni de l’autre

La Lorraine qui vous parla samedi à Hôtel-Dieu, ne trouve point de condition. Il y a bien quinze jours qu’elle est à l’Hôtel-Dieu pour cela. Qu’en ferons-nous ?. Ne lui baillez point d’argent, si vous plaît. J’ai dit à ma sœur Geneviève de lui faire faire ce qu’elle a besoin. Elle ne de manderait pas mieux que de vivre là à ne rien faire et avoir de l’argent.

Je vois tant de désordre partout qu’il me semble que j’en suis accablée ; j’espère pourtant et me veux confier à sa divine Providence avec les saintes Marthe et Marie.

C’est en l’amour du bon Jésus que je suis, Monsieur votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

919. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier de février 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu une lettre de votre part, cette semaine, et non de celle de M. Blatiron, qui, étant absent et dans les grandes occupations où il est, ne peut fournir à tout. Et certes, j’admire votre soin de ce que, dans les embarras d’une maison et d’un séminaire, vous ne manquez pas à me donner cette consolation, qui a été extraordinaire à

Lettre 919. — L. s — Dossier de Turin, original.

 

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ce coup, en ce qu’elle m’apprend les bénédictions qu’il plaît à Dieu de continuer tant sur les travaux dudit sieur Blatiron que sur sa propre personne, en sorte que ce qui s’opère en lui et par lui semble un petit miracle, et les grâces singulières qu’il plaît à ce même Seigneur de vous faire aussi, bénissant, comme il fait, votre conduite et remplissant votre cher cœur d’une parfaite confiance en son secours, qui est le moyen des moyens pour faire heureusement son œuvre. Vous avez trouvé le secret ; et quiconque n’agira dans cet esprit, quelque capacité qu’il ait, il ne réussira jamais, ni pour lui, ni pour les autres. Tenons-nous donc, Monsieur, tenons-nous ferme à cette chère confiance en Dieu, qui est la force des faibles et l’œil des aveugles. Et, quoique les choses n’aillent pas selon nos vues et nos pensées, ne doutons point que la Providence ne les ramène au point qu’il faut pour notre plus grand bien

Que les discours qu’on vous fera ne vous étonnent nullement. Ce bon ecclésiastique qui a le premier travaillé dans les missions et qui vous a entretenu du dégoût qu’il en a maintenant, ne doit pas mesurer les autres par lui, ni croire qu’ils s’emploient à ce saint exercice pour complaire purement à Mgr le cardinal. Et quand cela serait, Dieu ne laisse pas de tirer sa gloire de ces intentions tortues, et plusieurs âmes en seront sauvées. Que s’ils viennent à discontinuer, comme il arrivera, s’ils ne regardent Dieu, Monseigneur le cardinal reconnaîtra pour lors que, pour faire un solide établissement, il lui faut des personnes qui se soient données à Notre-Seigneur en ces emplois, et non pas des ecclésiastiques du pays, qui ont d’autres prétentions.

Plaise à sa bonté infinie nous faire la grâce que toutes les nôtres tendent à l’avancement de sa gloire et à notre propre anéantissement !

 

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Je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

920. — A FRANÇOIS ADHEMAR DE MONTEIL, ARCHEVÊQUE D’ARLES

De Paris, ce 29 février (1) 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu la lettre dont vous m’avez honoré, avec tout le respect que je dois à un si digne prélat. J’avais déjà su, par la voix publique et par l’un des députés de Marseille, l’heureux succès de votre entremise dans la pacification de cette ville-là, laquelle reconnaît qu’après Dieu elle en a l’obligation à votre prudente conduite. Et pour moi, j’en ai rendu grâces à Notre-Seigneur, ne doutant pas qu’en récompense il ne vous donne la perfection et l’attribut de cette béatitude. Je le prie aussi qu’il vous conserve longues années pour sa gloire et le bien de son Église.

Quant à l’abbaye de Saint-Césaire, assurez-vous, Monseigneur, qu’en ce que je pourrai contribuer à votre dessein, je le ferai de tout mon cœur, tant parce que vous me le commandez, qu’à cause de la dévotion que j’ai à ce grand saint Césarius, et que d’ailleurs je sais depuis

Lettre 920. — L. s. — Bibl. mun. d’Arles, ms 142, t. III, original. ce manuscrit vient de la bibliothèque de Laurent Bonnemant, prêtre d’Arles, et a pour titre Actes anciens et modernes concernant l’archevêché d’Arles. 1) Distraction du secrétaire ; c’était vraisemblablement le 1er mars.

 

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longtemps le besoin de ce monastère, votre prédécesseur y ayant voulu remédier (2). Mais Dieu, par sa mort, vous a réservé l’exécution et le mérite de ce bon œuvre. Plaise à sa bonté infinie accomplir en vous ses desseins éternels ! Je ne devrais vous offrir que mes chétives prières, attendu que c’est tout ce que je puis pour votre service ; néanmoins, Monseigneur, je prends la liberté de vous faire ici un renouvellement des offres de mon obéissance avec toute l’humilité et l’affection que je le puis, dans la confiance que j’ai que vous ne l’aurez pas désagréable, puisque Notre-Seigneur m’a rendu au point que je suis, en son amour, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monseigneur Monseigneur l’archevêque d’Arles, en Arles.

 

921. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS

A SAINT VINCENT

A Mercuès, ce 3 mars 1647.

Monsieur,

J’ai fait la même difficulté que vous de recevoir dans le séminaire ces deux jeunes garçons desquels je vous ai écrit,

2) Pour rétablir la régularité dans le monastère de Saint-Césaire, où s’étaient glissés les plus lamentables abus, Jaubert de Barrault archevêque d’Arles, y avait introduit en 1639 des religieuses de Billom en Auvergne. (Gallia christiana novissima, Arles, Valence, 1901, in-f°, *col. 967, n° 2259, d’après les Arch. des Bouches-du-Rhône, S Césaire d’Arles, Reg. XXXVI, pièce 2.) Mal vues et jalousées par leurs compagnes, persécutées par l’abbesse, qui allait jusqu’à les priver de nourriture, les malheureuses réformatrices n’avaient pu, malgré les remontrances de l’archevêque et la volonté du roi, remédier aux désordres dont elles étaient, tous les jours, les témoins attristés. (Arch. Nat. Ve 187, n° 36.)

Lettre 921. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie.

 

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et l’avais dit à M. Testacy mais j’ai cru être obligé à vous écrire, remettant tout à votre jugement. Cependant le seigneur du lieu et partie des habitants qui résistaient ont donné les mains Je les entretiendrai dans ce bon dessein, attendant que Dieu nous fasse connaître sa volonté pour avoir un collège dans Cahors, afin d’y élever et instruire les personnes qui se dédient à son service en l’état ecclésiastique, et vous fournisse des moyens pour l’exécuter comme il fera, si c’est sa volonté. Cette fondation de mille écus pour ces deux jeunes hommes est un commencement.

Vous avez bien fait de ne point parler à M. de la Marguerie (1) de ce que je vous ai écrit de son fils (2) puisqu’il est dans l’opinion que vous me mandez.

Le provincial des Capucins n’est pas bien connu de vous. Il ne vous a pas dit les plaintes que les siens me font, non seulement par lettres, mais de vive voix. Je vous envoie une copie de la lettre que le roi m’a écrite sur son sujet, et une autre de Monsieur le nonce, afin que vous les lisiez à quelque heure perdue ; ce qui vous fera connaître cet esprit. Ignorez tout cela, s’il vous plaît et laissez parler le monde. Vous savez ma maxime sur ce sujet, de laquelle je ne me dépars pas.

Je vous prie de vouloir recevoir ces deux bons religieux aux Bons-Enfants en pension, comme les autres pendant qu’ils séjourneront à Paris. Ils s’en vont pour faire juger l’affaire de Sainte-Geneviève, auquel je vous supplie de nous continuer vos assistances. Vous seriez ravi de joie si vous saviez le bien que fait notre séminaire. Le bon M. Testacy en est tout extasié. C’est un fort bon ecclésiastique. le serais bien aise qu’il eut autant d’expérience que de bonté.

Je vous prie, au nom de Dieu, d’avoir pitié des diocèses de Montauban et de Sarlat et du mien, qui souffre de leur désordre. Un mot de recommandation à M. de Morangis pour nos bons religieux leur sera fort utile. Cependant croyez-moi, Monsieur…

ALAIN,

év. de Cahors.

1) Elie Laisné, sieur de la Marguerie.

2) Louis Laisné.

 

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922. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

Mars 1647.

Dieu vous fournir d’autres ouvriers, quand il en sera temps. Le besoin ne vous en a pas fort pressé jusqu’à maintenant, puisque vous n’avez pas fait d’ordination et que vous en avez passablement pour les missions, quoique non pas à souhait. Nous faisons ici et ailleurs comme nous pouvons. Serait-il raisonnable que nous fussions dans l’abondance des hommes, laquelle les rend inutiles une partie du temps, pendant que Dieu en manque en d’autres lieux où il nous appelle ? Saint Ignace ne fit-il par cent établissements, avant sa mort, de deux ou trois personnes chacun ? Ce n’était pas sans beaucoup d’inconvénients, puisqu’il y envoyait des novices et que parfois il était obligé de les établir supérieurs ; mais ce n’était pas aussi sans fruit ni sans providence. Si nous en avons entrepris quelques-uns, ce n’a pas été, Dieu merci, par aucun désir de nous étendre, sa divine bonté le sait, mais seulement de correspondre à ses desseins. Ce n’a pas été, non plus, de notre choix, ni par notre sollicitation, mais par la seule disposition d’en haut, que notre indifférence nous a donné loisir d’éprouver et de reconnaître.

Qui nous assurera que Dieu ne nous appelle point présentement en Perse ? Il ne le faut pas conjecturer de ce que nos maisons ne sont pas remplies ; car celles qui le sont davantage ne font pas le plus de fruit. N’avons-nous pas occasion de croire plutôt le contraire, même de craindre que Dieu n’abandonne l’Europe à la merci des hérésies qui combattent l’Église depuis un siècle et qui

Lettre 922. — Reg. 2, p. 72

 

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ont fait de si grands ravages qu’elles l’ont réduite comme à un petit point ? Et par un surcroît de malheur, ce qui en reste semble se disposer à une division par les opinions nouvelles qui pullulent tous les jours. Que savons-nous, dis-je, si Dieu ne veut pas transférer la même Église chez les infidèles, lesquels gardent peut-être plus d’innocence dans leurs mœurs que la plupart des chrétiens, qui n’ont rien moins à cœur que les saints mystères de notre religion ? Pour moi, je sais que ce sentiment me demeure depuis longtemps. Mais quand Dieu n’aurait pas ce dessein, ne devons-nous pas contribuer à l’extension de l’Église ? Oui, sans doute ; et cela étant, en qui réside le pouvoir d’envoyer ad gentes ; ? Il faut que ce soit au pape ou aux conciles ou aux évêques. Or ceux-ci n’ont de juridiction que dans leurs diocèses ; des conciles, il n’en est point en ce temps ; il faut donc que ce soit en la personne du premier. Si donc il a droit de nous envoyer, nous avons aussi obligation d’aller ; autrement, son pouvoir serait vain.

Vous savez, Monsieur, depuis quel temps la Sacrée Congrégation a jeté les yeux sur nous, combien de fois elle nous a fait solliciter, combien peu nous nous sommes hâtés pour ne mêler rien d’humain dans la résolution de cette sainte entreprise ; mais, comme nous sommes de nouveau pressés et par lettres et par Monseigneur le nonce (1), je ne doute plus qu’il n’en faille venir à l’exécution. J’avais disposé pour Babylone M. Féret ; mais Monseigneur de Paris le voulant avoir pour Saint-Nicolas-du-Chardonnet (2), m’a fait plainte de ce que je voulais le lui ôter. Je vous ai mandé que, ne sachant à qui m’adresser hors la compagnie, j’avais pensé à M. Gil

1) Nicolas Bagni.

2) Il occupa cette cure du 7 septembre 1646 au 16 janvier 1676.

 

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les ; ce qui n’a pas été trouvé convenable. J’en ai sondé d’autres parmi ces Messieurs de notre conférence ; mais je n’en ai trouvé ni d’assez résolus ni d’assez propres. Il me reste seulement à voir M. Brandon ; si celui-ci manque (3), je me vois obligé de rentrer dans la compagnie pour en prendre un. Priez Dieu pour cela, s’il vous plaît Quand le choix sera déterminé dedans ou dehors, je vous en donnerai avis. Cependant j’attendrai le mémoire que M. de Montheron vous a promis au sujet de ce voyage.

Je suis….

 

923. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 8 mars 1617.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour bénir Dieu des bénédictions qu’il donne à votre conduite du séminaire et aux bonnes dispositions de votre âme, qui vous font agir avec tant de confiance en Notre-Seigneur, qu’à la voir dans vos lettres elle me remplit de son odeur. Cette vertu, avec celles d’humilité et de douceur, pratiquées vers ces bons ecclésiastiques, feront des effets admirables dans leurs esprits, parce que Dieu même animera du sien vos exemples et vos paroles, et remplira le vôtre de ses lumières et de sa force ; et enfin il vous comblera de ses consolations éternelles. C’est la prière que je lui fais, prosterné devant lui, et que je lui ferai toute ma vie, tant il vous a rendu

3). Brandon n’accepta pas.

Lettre 923. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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cher à ma pauvre âme et tant il m’a fait, en son amour Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

924. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES (1)

8 mars 1647.

Trois de vos lettres me sont arrivées en même temps ; je les ai reçues comme de vous, Monsieur, c’est-à-dire avec joie et consolation, et certes avec reconnaissance envers Dieu de ce qu’il vous conserve parmi tant de travaux et qu’il bénit toujours ces mêmes travaux, nonobstant les empêchements que l’esprit malin s’efforce d’y apporter. Vous pouvez penser si de tout cela j’en remercie souvent son infinie bonté et si, en lui offrant les fruits qu’elle opère par vous, je lui présente aussi les désirs et les affections de votre charitable cœur et même tout ce cher cœur, afin qu’elle le détrempe dans les suavités de son amour ; car, me trouvant rempli de tendresse pour votre personne et d’appréhension qu’elle succombe à ses pénibles emplois, je me trouve aussi sans cesse sollicité d’invoquer sur vous le secours divin, encore que mes péchés me fassent craindre l’inefficacité de mes prières.

Lettre 924. — Reg. 2, p. 198.

1) Le manuscrit d’Avignon donne comme destinataire de celte lettre "M. N., supérieur, à Richelieu" ; mais il est clair que cette désignation provient d’une distraction du copiste, car le registre 2, que suit d’ordinaire le manuscrit d’Avignon, la dit adressée à Etienne Blatiron, supérieur, à Gênes, et plusieurs passages seraient inexplicables, si le destinataire était le supérieur de Richelieu.

 

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925. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 10 mars [1647] (1)

Monsieur,

L’embarras auquel vous êtes pour le grand monde qui est chez vous m’empêche de vous envoyer la lettre de Monsieur des Jonchères, en ayant aussi quelques autres à communiquer à votre charité pour en avoir son avis.

Je ne pense pas que ce que mon fils a dit ait été trouvé mauvais n’étant pas, à mon avis, sorti des termes du respect qu’il doit ; mais je crois être tout à fait impossible que l’affaire se fasse sans que votre charité donne son consentement, et je prévois bien que le retardement sera très préjudiciable à mon fils pour plusieurs raisons que je ne puis pas écrire. II faut se résoudre à tous les. événements que j’en appréhende, quoique très fâcheux.

Ce que je vous mandais qui m’avait été dit était pour faire empêcher que l’on ne continuât des invectives et médisances contre les mœurs de ceux de qui la doctrine est soupçonnée, et que l’on avait remarqué que ceux de ce parti avaient protesté en chaire n’y entrer qu’avec esprit d’union et de charité, et ne parlaient aussi qu’en ces termes.

Madame la comtesse de Maure m’a mandé que je prisse soin d’un livre qu’elle vous a envoyé, qui est l’Apologie de Jansénius (2), pour le lui renvoyer. Elle vous envoie aussi celui-ci pour le voir comme elle vous a promis.

Si je pensais vous pouvoir demain parler à quelque heure je vous supplierais très humblement me la donner, pour quelque besoin de notre compagnie, outre celui de Nantes qui est assez grand.

Notre sœur Madeleine (3) est beaucoup mieux, Dieu merci et tout va assez bien à Angers.

Je cause bien des désordres partout. Je crains que votre charité oublie mes besoins, qui me font souhaiter plus que jamais que votre charité croie que je suis, par la volonté de Dieu, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 925. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par ie frère Ducournau.

2). Ouvrage publié par Arnauld en 1644.

3) Madeleine Monget, supérieure des sœurs d’Angers

 

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926. — A MONSEIGNEUR INGOLI

De Paris, ce 15 mars 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu la lettre de laquelle il a plu à Votre Seigneurie Illustrissime m’honorer, avec le respect et la dévotion que Notre-Seigneur me donne pour l’un des prélats de l’Église qui travaillent le plus à l’extension de l’empire de Jésus-Christ par toute la terre, et me suis donné à Dieu pour lui obéir à l’égard du commandement que Votre Seigneurie Illustrissime me fait de destiner quelqu’un de la compagnie pour la coadjutorerie de Babylone. N’ayant pu trouver aucun externe en qui les qualités requises me paraissent, qui ait voulu ou pu entreprendre ce bon œuvre, celui que je destine à cet effet, Monseigneur, est l’un des deux assistants que la compagnie m’a donnés pour me servir de conseil à la direction d’icelle (2), en qui il a plu à la divine bonté mettre à peu près les qualités requises à ce saint ministère, ce me semble. Je vous avoue, Monseigneur, que la privation de cette personne est m’arracher l’un œil et me couper moi-même l’un bras ; mais la dévotion que j’ai vers le pouvoir que Notre-Seigneur a donné à son Église et qui réside en la personne de notre Saint-Père, qui est d’envoyer ad gentes, et à l’obligation qu’ont par conséquent de lui obéir tous les ecclésiastiques de l’Église en ce cas-là, et la pensée qu’Abraham s’est mis en état de sacrifier son fils unique, et que le Père éternel nous a donné son propre Fils, cela ensemble m’a

Lettre 926. — L. s — Arch. de la Propagande, VI, Lettre di Francia, Inghiltera Scozia, Ibernia et India, 1647, n° 145, f° 81, original

1) Secrétaire de la Propagande

2) Lambert aux Couteaux L’autre assistant était. Antoine Portail.

 

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fait résoudre à destiner ce bon missionnaire pour un tel œuvre et à m’offrir moi-même, si j’en étais digne. Voilà, Monseigneur, la disposition en laquelle nous sommes pour cet affaire, duquel j’espère parler au premier jour à la reine et à Monseigneur le cardinal, pour savoir l’intention de Sa Majesté sur cela, dont je donnerai avis à Votre Seigneurie Illustrissime, à laquelle j’offre l’obéissance de notre petite compagnie et la mienne, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL

indigne supérieur de la congrégation de la Mission.

Au bas de le première page : Mgr Ingoli.

 

927. — UN PRÊTRE DE LA MISS0N A SAINT VINCENT

Marseille, 1647..

Nous sortons d’une mission qui nous a tenus, l’espace de cinq semaines, attachés aux confessionnaux, à la chaire et aux accommodements des procès, avec tant de succès et de fruit, que je puis dire sans exagération qu’on n’en peut pas souhaiter davantage. on y a réhabilité neuf ou dix mariages clandestins, fait environ vingt-cinq ou trente accommodements de procès, où il y allait, en quelques-uns, de sommes fort notables, en d’autres de l’honneur, et en d’autres de la vie ils se sont quasi tous faits de gré à gré, sans l’entremise de personne ; quelques-uns même dans l’église publiquement et pendant la prédication, avec tant de sentiments et de larmes que celui qui prêchait en était interrompu. Il arriva aussi qu’un homme de condition médiocre, ayant, par une émotion de colère répondu à quelqu’un des nôtres avec moins de discrétion et ajouté à sa réponse un blasphème publiquement devant la porte de l’église il en conçut un tel regret, quinze jours après, que, de son propre mouvement,

Lettre 927. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 4, 1er éd., p 38

 

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pour satisfaction de ce péché, il s’imposa lui-même de payer cent écus pour la réparation de l’église devant laquelle il avait proféré ce blasphème.

 

928. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 15 mars 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour continuer à me consoler avec vous dans l’entretien de nos lettres. Les vôtres me donnent plus de joie que toute autre chose, parce qu’en elles il me semble que je vois votre cœur, et dans icelui beaucoup de désir et de disposition pour aimer notre bon Seigneur, qui, de son côté, ne manquera à vous donner de plus en plus communication à son amour et à ses vertus pour en remplir votre âme ; et c’est de quoi je le prierai toute ma vie.

Je n’écris point à Messieurs Portail et Alméras, parce que je pense qu’ils sont plus proches de Rome que de Gênes, à l’heure que j’écris. Je ne doute point que vous n’ayez été consolé de les voir. J’attends nouvelles de leur départ et de ce qu’ils ont fait. Ce que vous demandez, d’en faire rester l’un à Gênes, n’est pas maintenant faisable, tant parce qu’ils ont à faire ailleurs, que parce que Dieu vous fera la grâce, et à vous et aux autres, de correspondre aux desseins de Dieu sur notre établissement en ce lieu où vous êtes, comme il a fait jusqu’à présent ; dont je l’en remercie. Ne désirons point que la compagnie ait du bruit et de l’estime pour son extension ; l’humilité et la confusion nous sont plus propres,

Lettre 928. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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et Dieu n’a pas besoin de la faveur des hommes ni de notre crédit pour nous appeler où il lui plaira. Je vous prie de lui recommander mon âme et de croire que la vôtre m’est très chère, et que je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

929 — A UN PRÊTRE DE LA MISSION * A ROME

*1657 (la lettre devrait être reportée au tome VI)

Je ressens beaucoup votre peine, et néanmoins je suis bien aise que vous me l’ayez découverte. La conduite de Dieu est telle sur ceux qu’il destine à quelque chose de grand ou de bien particulier pour son service, qu’il les exerce auparavant par des dégoûts, traverses, aversions *(2) et mouvements d’inconstance, tantôt pour les éprouver, tantôt pour leur faire expérimenter leur faiblesse, tantôt pour les détacher davantage des créatures *(3), d’autres fois pour abattre les fumées de quelque vaine complaisance, et toujours pour les rendre plus agréables à ses yeux. Ne doutez pas, Monsieur, que la tentation que vous souffrez ne contribue à votre avancement spirituel, si vous lui résistez.

Mais peut-être que vous ne pensez pas que ce soit une tentation, se cachant, comme elle fait, sous l’apparence d’un bien, car vous dites que vous ne voulez plus donner scandale à la compagnie. Je vous prie de croire que vous

Lettre 929 — Reg. 2, p. 294. * On trouve dans le dossier de Turin la minute de cette lettre, écrite de la main du frère Ducourneau.

*1) Date écrite par le frère Ducourneau en marge de la minute. La lettre n’est donc pas de 1647, comme l’a cru le copiste du registre 2.

*2) Texte de la minute : par des dégoûts fâcheux.

*3) Texte de la minute : des choses crées.

 

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ne lui en pouvez donner un plus grand que de vous en séparer pour aller faire votre propre volonté.

Vous dites aussi que vous aimez la règle, mais ensuite vous témoignez le contraire, disant que vous ne voulez pas être obligé de l’observer. Il est vrai que la vraie charité fait aimer les bonnes choses, mais il est vrai aussi que la nature rebute celles qui captivent sa liberté ; et il est à craindre que vous adhériez plutôt à ce rebut de la chair qu’à l’attrait de cette vertu, puisque vous dites que vous n’accomplissez plus le règlement par un pur amour de Dieu, et qu’au lieu de vous redresser de ce défaut, vous voulez passer outre et aller même contre cet amour, en secouant tout à fait le joug de Jésus-Christ et vous reprenant vous-même, après vous être quitté pour lui. Je prie sa divine bonté qu’elle ne le permette pas. Vous avez grand besoin de reconnaître l’esprit qui vous pousse, et de considérer en même temps qu’il n’y a homme, pour parfait et pour affermi qu’il puisse être en sa vocation, qui ne souffre parfois de fâcheuses secousses. L’ennemi fut bien si téméraire que d’entreprendre même le Fils de Dieu, pour se faire adorer de lui, qui est la plus horrible tentation que la malice ait pu inventer. Y a-t-il eu quelqu’un entre les apôtres, ni entre tous les saints, qui n’ait eu besoin de se faire violence pour résister aux attaques de la chair et du monde ? Vous nous avez raconté vous-même que pour entrer dans notre congrégation vous fîtes un grand effort sur vous, venant plusieurs fois céans demander d’être reçu, malgré la nature qui désirait un refus de notre part ; vous l’avez dit avec reconnaissance de ce que le mouvement de Dieu avait prévalu, et nous l’avons ouï avec consolation, comme un présage de vos futures victoires sur vos passions. En effet, vous les avez depuis beaucoup mortifiées, par sa grâce ; et si vous comparez votre vie de missionnaire

 

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à celle d’auparavant, vous y trouverez grande différence.

Courage donc, Monsieur ! tenons ferme ; car maintenant que nous sommes prêtres, nous sommes obligés à une plus grande perfection et à secourir davantage les âmes. Serait-il bien possible que, d. ans les belles occasions que Dieu nous en donne, une petite répugnance nous fît tout abandonner ! A Dieu ne plaise, puisque l’Apôtre dit qu’il est impossible que ceux qui ont été éclairés et se sont retirés de la lumière, retournent en l’état duquel ils sont déchus *(4) ! Conformément à cela, nous en voyons plusieurs qui, pour bonne intention qu’ils aient, et pour belles que soient leurs résolutions, se trouvent néanmoins courts quand il faut en venir aux effets, ou qu’il s’agit de vaincre les difficultés, parce qu’ayant manqué à la grâce, la grâce leur manque, et alors les scrupules les rongent, leur amour-propre se forme une conscience qui s’accommode avec la sensualité, et la nature reprend le dessus. Je n’exagère rien ; l’expérience le montre journellement.

Je vous en dis pourtant trop, mon cher Monsieur, parce qu’à l’heure où je vous écris, vous êtes peut-être délivré de la suggestion qui vous travaillait. Si cela est, j’en loue Dieu ; et, si cela n’est pas, je le prie qu’il vous en délivre.

Demandez-lui vous-même cette grâce, c’est le premier moyen que je vous donne ; et le second est qu’en cas que le séjour où vous êtes, ou les personnes qui sont avec vous, vous fassent quelque peine, vous vous en alliez à…. J’écris au supérieur qu’il vous y reçoive avec toute la cordialité possible ; ce qu’il fera volontiers, à cause de l’estime et de l’affection qu’il me témoigne avoir pour vous.

1). Épître aux Hébreux VI, 4-6.

 

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930. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

La mission de Gémozac (1) a donné de très consolants résultats : sept ou huit hérétiques ont abjuré leurs erreurs ; d’autres les auraient imités s’ils n’avaient craint d’être surchargés de tailles par les principaux de la localité, qui sont de la religion réformée. Ceux des habitants qui ne vont pas à la messe par respect humain seraient bien aises que le roi les obligeât à remplir ce devoir. "L’un de ces Convertis est un vieillard, lequel nous avions exhorté plusieurs fois, mais inutilement ; et après avoir fait notre dernier effort, un peu avant notre départ, voyant que nous ne pouvions rien gagner sur lui, nous eûmes la pensée de recourir à la sainte Vierge et la supplier d’employer ses intercessions pour obtenir la conversion de ce pauvre dévoyé. Nous allâmes à cette intention nous prosterner à genoux et réciter les litanies ; et voilà que, les ayant achevées, nous voyons notre vieillard revenir à nous et nous avouer qu’il reconnaissait la vérité et qu’il était en volonté d’abjurer son hérésie ; ce que nous lui fîmes faire, et ensuite sa confession générale ; et puis nous le reçûmes à la sainte communion. Et en nous disant adieu, il nous pria instamment de le recommander aux prières de tous les catholiques."

 

931. — A CLAUDE DUFOUR

Du 31 mars 1647.

Je rends grâces à Dieu, Monsieur, de tant et tant de bénédictions que Dieu donne à vos emplois des missions et des ordinands, et je le prie qu’il bénisse de même le séminaire que vous commencez, et qu’il ne permette pas que la tentation que vous avez contre votre vocation

Lettre 930. — Abelly, op. cil., 1. II, chap. I, sect. II, § 2, 1er éd., p. 28.

1). Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Saintes.

Lettre 931. — Reg. 2, p. 291. Un texte quelque peu différent nous est donné par le registre intitulé : Recueil de pièces ces relatives aux Filles de la Charité, p. 675. (Arch. des Filles de la Charité.)

 

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trouble la paix de votre âme. Je sais bien que l’Ordre des Chartreux est plus parfait en soi ; mais je ne crois pas que Dieu vous demande là, après vous avoir appelé ici, et que vous avez répondu et acquiescé au mouvement de cet appel, que sa bonté vous y a béni d’une bénédiction toute particulière, et telle que, si vous la considérez, elle est pour vous affermir invariablement dans la congrégation, surtout si vous vous mettez en l’état auquel vous voudriez être trouvé au jugement de Dieu. Mettez, s’il vous plaît, dans une balance les biens de la solitude d’un coté, et de l’autre ceux que Notre-Seigneur fait et fera de plus en plus par vous ; vous verrez que ceux-ci l’emporteront. Mettez aussi en considération votre conformité de vie présente avec celle que Notre-Seigneur a menée sur la terre, que c’est là votre vocation et que le plus grand besoin qu’ait aujourd’hui l’Église est d’avoir des ouvriers qui travaillent à retirer la plupart de ses enfants de l’ignorance et des vices où ils sont, et à lui donner de bons prêtres et de bons pasteurs, qui est ce que le Fils de Dieu est venu faire au monde, et vous vous estimerez trop heureux d’être appliqué comme lui et par lui-même à ce saint ouvrage.

Vous savez, Monsieur, que, quoique la vie contemplative soit plus parfaite que l’active, elle ne l’est pas toutefois plus que celle qui embrasse tout ensemble la contemplation et l’action, comme fait la vôtre, par la grâce de Dieu. Mais quand le contraire serait, il est certain que Dieu n’appelle pas tout le monde aux choses plus parfaites. Tous les membres du corps ne sont pas la tête, et tous les anges ne sont pas de la première hiérarchie ; ceux des inférieures ne voudraient pas être des supérieures ; ils sont contents de celle où Dieu les a mis ; et les bienheureux qui ont moins de gloire n’envient pas ceux qui en ont une plus grande. Nous devons de même

 

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nous contenter de l’état où nous sommes par la disposition de la Providence et auquel Dieu nous bénit. Certes, l’enfant d’une pauvre femme laisse là toutes les autres mères pour se tenir collé au sein de la sienne.

De dire que vous avez grand’peine à la Mission ; hélas ! Monsieur, il n’y a point de condition au monde où il n’y ait à souffrir. Qui est l’homme qui ne sent pas des difficultés et des contradictions dans la plupart des choses de son état et qui ne pense qu’il serait plus heureux dans un autre emploi qu’il n’est pas dans le sien ? Assurez-vous, Monsieur, que c’est ici une ruse du diable, pour vous détourner du bien que vous faites pour l’Église. C’est sa finesse de tenter les plus gens de bien d’une plus grande perfection, pour leur faire quitter celle où Dieu les veut. Demeurez donc constamment dans votre état et ambula vocatione qua vocatus es (1) et noli flectere ad dexteram neque ad sinistram (2), et assurez-vous que votre vocation opérera votre justification et enfin votre glorification. Faites-moi savoir ce qu’il faut faire pour vous conforter là dedans ; car si quelqu’un des nôtres trouble votre repos, nous vous enverrons quelqu’autre à sa place. Je vous prie de faire une heure d’oraison sur ce que je vous dis et de me mander les sentiments que Dieu vous donnera là-dessus, et ne m’y oubliez pas, s’il vous plaît, à ce que Dieu daigne faire miséricorde à ma pauvre âme.

Je suis, en l’amour….

1). Épître aux Ephésiens IV, I.

2) Second livre des Paralipomènes XXXIV, 2,

 

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932. — A UN SUPÉRIEUR (1)

Du 9e avril 1647.

Il y a cinq ou six mois que je reçus deux paquets de vos lettres, et depuis peu j’en ai reçu un autre. Je ne fis point réponse aux premiers, pource que je ne savais que vous dire à tant de choses que vous me proposiez. L’état que j’ai toujours fait de votre piété m’a fait avoir du respect pour les choses que vous m’avez dites et écrites, en sorte que je lus ces deux paquets à genoux, en la présence du Saint Sacrement, et priai Dieu qu’il me fît la grâce de reconnaître si les choses que vous me disiez venaient de lui, et, si cela était, de les embrasser. Mais je vous avoue, Monsieur, que, si cela est, mes péchés m’ont rendu indigne de le connaître ; au contraire, il me semble que nous renverserions le peu de bien qu’il plaît à Dieu de faire à l’égard des ecclésiastiques, étant comme évident que là où les choses approchent de la sorte que vous les proposez, il n’y a point de différence de tels ecclésiastiques avec les boursiers des collèges. Nous en avons essayé de plusieurs façons ; mais l’expérience nous a fait voir que la manière dont l’on s’y prend est celle qui réussit le mieux.

Nous avons soixante prêtres au collège des Bons-Enfants, quarante petits séminaristes au séminaire de Saint-Charles, trente ecclésiastiques au séminaire de Cahors, dont Mgr l’évêque me mande qu’il est satisfait, par

Lettre 932. — Reg. 2, p. 293.

1) Le supérieur auquel s’adresse cette lettre était vraisemblablement à la tête d’un séminaire. Or, parmi les supérieurs des six séminaires confiés à la congrégation de la Mission en dehors de Paris nous ne voyons guère que Bernard Codoing, alors à Saint-Méen, qui eût des idées semblables à celles que critique ici saint Vincent.

 

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la grâce de Dieu. Il y en a huit à Annecy, qui commencent bien aussi, et autant au Mans, douze ou quinze à Saint-Méen. Ces petits essais nous font espérer que Notre-Seigneur bénira son ouvrage, s’il plaît à sa miséricorde de n’avoir pas égard à l’abomination de ma vie.

Oserai-je vous dire, Monsieur, que ce qui me fait le plus défier de vos avis est l’esprit de médisance et injurieux qui y paraît et qui me semble tout à fait éloigné de la vraie charité dont nous avons un tableau qui la représente au vif dans le bienheureux évêque de Genève.

Ne croyez pas, Monsieur, que je prenne injure à ce que vous me dites de moi ; ô Jésus ! nenni ; mais seulement ce que vous dites des corps de l’Église en général et de plusieurs en particulier, ce qui est directement opposé à la seconde condition de la charité, qui est la bénignité. Et puis, Monsieur, Notre-Seigneur vous a-t-il révélé ces manières que vous proposez ?

 

933. — A FRANÇOIS ADHEMAR DE MONTEIL, ARCHEVÊQUE D’ARLES

[1647] (1)

Monseigneur,

Comme Dieu m’a donné pour vous une entière et perpétuelle obéissance, je suis obligé à vous en renouveler les offres de temps en temps. Je le fis ces jours passés (2) lorsqu’en réponse de l’honneur de votre lettre, je vous assurai que je m’emploierais volontiers pour avoir un ordre de la reine tendant à la réformation de Saint-Césaire. Et je continue de le faire à présent, Monseigneur,

Lettre 933 — Lettres et Conférences de Saint Vincent de Paul (Supplément), p. 526, 1. 3133.

1) Voir note 2.

2). Par la lettre du 29 février 1647.

 

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avec toute la révérence que je dois, vous suppliant de l’avoir agréable, puisque c’est pour accompagner la lettre que Sa Majesté vous écrit au sujet de ladite réforme. Elle ne peut être que bien, étant du style de M. de Verthamon (3).

Au nom de Dieu, Monseigneur, usez en toutes occasions du pouvoir que vous avez sur moi, qui suis, en son amour sacré, Monseigneur, votre…

 

934. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Vous seriez ravi d’entendre, tous les jours des fêtes et dimanches, chanter en nos églises et chapelles l’Exaudiat et les autres prières pour le roi de France, pour qui les étrangers mêmes témoignent du respect et de l’affection ; comme aussi de voir avec quelle dévotion ces pauvres captifs offrent leurs oraisons pour tous leurs bienfaiteurs, qu’ils reconnaissent pour la plupart être en France, ou venir de France ; et ce n’est pas un petit sujet de consolation de voir ici presque toutes sortes de nations dans les fers et les chaînes prier Dieu pour les Français.

 

935. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1642 et 1649] (1)

Monsieur,

Je vous supplie très humblement prendre la peine me mander

3) Peut-être Antoine de Verthamon, archidiacre de l’Église métropolitaine de Paris, chanoine de l’Église de Cahors, conseiller-clerc du roi en son Parlement.

Lettre 934. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § 7, 1er éd., p. 122.

1). Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

Lettre 935. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) La lettre a été écrite après la fondation des établissements d’Issy et de Fontenay-aux-Roses (1642) et avant la fermeture de l’établissement d’Issy (1649)

 

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si ce sera pour demain mercredi que l’assemble de nos sœurs pourra se faire, à ce que je les fasse avertir, et celles d’Issy et Fontenay (2).

Mademoiselle de Lamoignon me manda hier de savoir de vous quand elle pourra décharger entièrement son cœur, vous venant treuver ; mais elle ne désire pas que l’on le sache chez elle. Je l’en avertirai si vous me faites l’honneur me le mander. Elle voudrait que ce fut au plus tôt. Donnez-moi, s’il vous plaît, votre sainte bénédiction, puisque je suis, Monsieur. votre très humble et très obligée fille et servante.

L. DE M.

Ce mardi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

936. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1642 et 1649] (1)

Vous ferez avertir l’assemblée pour demain l’après-dînée, s’il vous plaît, Mademoiselle, et Mademoiselle de Lamoignon pour ce soir, à six heures ; mais il me serait plus commode que ce fût à une heure après midi aujourd’hui céans.

 

937. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce jour de Pâques [21 avril 1647] (1)

Monsieur,

J’ai pensé qu’il était nécessaire que votre charité prît la peine de voir cette lettre de Monsieur d’Annemont avant que nos sœurs partent pour Nantes. Deux choses me semblent aussi être sues de vous : s’il n’est point nécessaire de comumuniquer

2). Ces deux localités se trouvent dans la banlieue de Paris.

Lettre 936. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle saint Vincent l’a écrite.

Lettre 937. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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notre pensée du changement de la sœur Catherine (2) à Messieurs des Jonchères et d’Annemont, et même à Mlle de la Carisière, ou, si les choses demeuraient dans le calme, il ne serait point à propos de mander ma sœur Élisabeth (3), qui est toujours malade, comme vous verrez ; ou bien, s’il faudra laisser négocier ce changement à ma sœur Jeanne (4), selon l’ordre que votre charité lui en donnera. Une autre chose, que je crois très nécessaire et de grande utilité, c’est que votre charité prenne la peine d écrire une lettre pour toutes nos sœurs, si vous le jugez à propos, pour leur témoigner un peu de mécontentement et pour les encourager.

Aussi vrai, mon très honoré Père, cette pauvre compagnie souffre bien sous ma chétive conduite ; aussi pensé-je que tôt (5) Dieu la délivrera de cette captivité, qui est à si grand empêchement à le perfection de son œuvre ; et moi j’ai grand sujet de craindre de mourir en mon endurcissement, si votre charité ne m’aide.

Ne pouvons-nous point espérer le bien d’une conférence, ces fêtes, pour achever celle de l’instruction des devoirs des sœurs soumises aux sœurs servantes, et de la conduite et support des sœurs servantes aux sœurs soumises (6) ? Il me semble que cela, bien entendu et bien pratique, serait un empêchement à tous les petits désordres de la compagnie, comme aussi que nous eussions nos petits règlements (7) pour en faire lecture de temps en temps à la compagnie. Une dame m’a donné charge de m’informer s’il ne pouvait y avoir cinquante arpents de terre à vendre entre la maison

2) Catherine Bagard.

3) Elisabeth Martin, supérieure à Nantes.

4) Jeanne Lepeintre. Elle fut nommée, quelques jours après, supérieure des sœurs de Nantes.

5). Tôt bientôt.

6). Saint Vincent avait traité ce sujet le 2 février précédent dans une conférence qui nous a été conservée.

7) Les règlements ou statuts de la Compagnie, approuvés le 20 novembre 1646 par Jean-François-Paul de Gondi, coadjuteur, au nom de son oncle l’archevêque de Paris. Saint Vincent les lut à ses filles au cours de la conférence qu’il leur fit le 30 m. ai 1647. A quoi attribuer cette attente de six mois, qui se serait prolongée, semble-t-il, sans les instances de Louise de Marillac ? Ce n’est pas, au moins exclusivement, aux grandes occupations du fondateur, puisqu’il avait trouvé le temps de réunir les sœurs le 2 février. Peut-être a-t-il nourri quelque temps l’espoir d’obtenir certaines modifications de détail ; peut-être aussi le document pontifical lui fut-t-il communiqué plusieurs mois après la date d’approbation.

 

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où logent les petits enfants treuvés (8), et La Chapelle, et je lui ai proposé votre maison vers les Récollets (9), en espérance qu’il s’y pourrait trouver proche les terres qu’elle souhaite y compris la maison. Je vous supplie très humblement, Monsieur, si vous pensez que la chose soit faisable, prendre la peine me le mander par frère Ducournau (10), à cause que cette dame doit envoyer, après ces fêtes, un homme pour visiter la place.

S’il plaît à votre charité se souvenir de Madame la comtesse de Maure pour mon fils, à cause que l’autre affaire s’évente fort ? Il me semble que vous n’entendez parler que de cette affaire. Mon Dieu ! que mon orgueil me fait souffrir en ce sujet, et que ce m’eut été un grand repos d’en être exempte ! La très sainte volonté de Dieu ne l’a pas permis. Il en soit béni à jamais, et de quoi j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

8) L’hospice des Enfants trouvés donnait sur la rue du faubourg Saint-Denis ; il s’élevait vis-à-vis l’enclos de Saint-Lazare, à proximité de l’emplacement occupé par la gare du Nord. Le boulevard de La Chapelle, situé un peu au dessus, suit les limites de ce qui était alors le village de ce nom.

9) Ce couvent a donné son nom à la rue actuelle des Récollets il est devenu l’hôpital militaire Saint-Martin.

10). Bertrand Ducournau, né en 1614 à Amou (Landes), fut reçu dans la congrégation de la Mission le 28 juillet 1644, en qualité de frère coadjuteur, et fit les vœux le 9 octobre 1646. Comme il avait une belle écriture, un esprit judicieux, une intelligente ouverte et une certaine expérience des affaires par les situations diverses qu’il avait occupées dans le monde, saint Vincent le prit pour secrétaire. Parmi les lettres du saint qui nous ont été conservées, la première qu’écrivit le frère Ducournau est adressée à Jacques Chiroye et datée du 3 mai 1645. Par son dévouement, son savoir-faire et son amour du travail, ce bon frère rendit des services inappréciables au saint et à sa congrégation. Nous avons vu plus haut comment il s’y prit pour arracher à l’humilité de saint Vincent les originaux des deux premières lettres. Plus que tout autre à Saint-Lazare peut-être, il comprit ce que le saint serait pour la postérité. Il gardait la minute de ses lettres et prenait ou faisait prendre copie de ses entretiens aux missionnaires. On peut dire que, par la préparation des matériaux et par ses notes personnelles, il a plus contribué qu’Abelly lui-même à la première vie de saint Vincent. Après la mort du saint, il resta secrétaire du supérieur général et archiviste de la maison. Il mourut

 

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938. —- A CLAUDE DUFOUR, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 23 avril 1647.

Je vous remercie très humblement, Monsieur, de la confiance que vous me témoignez, demandant mon avis sur la pensée que vous avez d’entrer aux Chartreux. Je vous dirai tout simplement ce que je voudrais vous avoir conseillé à l’heure de ma mort, qui est que vous marchiez dans la vocation dans laquelle il a plu à Dieu de vous appeler, sans écouter désormais la suggestion de l’esprit ennemi de la persévérance finale au bien commencé, son dessein étant de vous tirer de là où Dieu vous a mis, sous prétexte de la plus grande sûreté de votre salut, afin que vous entriez dans un plus grand danger de le faire, car, s’il vous tire du lieu où vous êtes, il vous empêchera ensuite d’entrer là où vous prétendez, ou bien il vous en fera sortir après que vous y serez. On m’a dit qu’il y a cent Jésuites dans Paris qui sont sortis du sein de leur sainte mère, sous prétexte de faire des merveilles ailleurs, et la plupart sont à scandale et en grand péril de se perdre.

Au nom de Dieu, Monsieur, tenez-vous ferme dans l’état auquel Notre Seigneur vous a mis, et rejetez la pensée contraire comme ennemie des desseins éternels de Dieu sur vous et sur tant d’âmes que sa divine Majesté veut sauver par votre moyen. Que si le séjour de Saintes, ou l’emploi que vous avez, ne vous agréent pas, mandez-le-moi, s’il vous plaît ; nous vous destinerons ailleurs. Je vous dis derechef, Monsieur, que je me donne à

à Paris le 3 janvier 1677. Son aide au secrétariat, le frère Chollier, a écrit sa vie, que l’on trouve au tome premier des Notices, p 377 et suiv

Lettre 938 — reg 2, p 294

 

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Dieu pour répondre à sa divine Majesté, pour vous et pour moi, du conseil que je vous donne. Cependant je prie Notre-Seigneur qu’il vous fasse voir la malignité de cette tentation, comme il me semble que je la vois, qui tend a vous faire perdre le certain pour l’incertain, et qui vous fait prendre l’opinion pour inspiration et la lassitude pour sollicitude.

 

939. — AUX FILLES DE LA CHARITÉ DE L’HÔPITAL DE NANTES

D’Orsigny, à 4 lieues de Paris, ce 24e avril 1647.

Mes chères Sœurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne pense jamais à vous et au bonheur que vous avez d’être Filles de la Charité et d’être employées des premières, au lieu où vous êtes, pour l’assistance des pauvres, qu’avec consolation. Mais quand j’entends dire que vous vivez en vraies filles de Dieu, qui est à dire en vraies Filles de la Charité, c’est ce qui m’augmente la consolation jusqu’à un point qu’il n’y a que Dieu seul qui vous le puisse faire connaître. Continuez, mes chères

Lettre 939. — Dossier des Filles de la Charité, copie prise par sœur Hellot. — Cette lettre, écrite à la demande de Louise de Marillac et à la suite d’observations présentées par M. d’Annemont, bienfaiteur des sœurs (cf. Lettres de Louise de Marillac 1. 173), fut envoyée par la fondatrice, qui voulut, elle aussi, ajouter son mot et donner ses conseils (cf. ibid., 1. 174). "O mes Sœurs, disait-elle, parlant de la lettre du saint, la douceur du style, la remarque des grâces que Dieu vous a faites et à nous, et les instructions que sa charité nous donne si suavement, m’ont donné un tel effroi que je ne le vous puis dire, me souvenant que tant de fois Dieu nous a fait avertir par lui de nos obligations, tant de fois a su et voulu oublier nos fautes et manquements, ne se lassant point de nous exciter et d’encourager, ni d’avoir des soins de nous tout paternels."

 

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Sœurs, et perfectionnez-vous de plus en plus dans votre saint état. Voici les raisons qui vous y doivent porter.

C’est premièrement la sainteté de votre état, qui consiste à être vraies filles de Dieu, épouses de son Fils et vraies mères des pauvres ; et cet état, mes chères Sœurs, est si grand que l’entendement humain ne peut comprendre rien de plus grand en une pure créature sur la terre.

La seconde raison est en ce que, pour vous élever à ce bonheur, Dieu vous a tirées de la masse corrompue du monde.

La troisième est la fidélité que vous avez eue de correspondre à la sainte inspiration que Notre-Seigneur vous a donnée pour vous y appeler, l"ardeur avec laquelle vous avez demandé au commencement d’y être reçues, les résolutions que nous prîtes pour lors d’y vivre et d’y mourir saintement.

En quatrième lieu, mes chères Filles, la bénédiction qu’il a plu à Dieu de donner à vos exercices de dévotion et à l’assistance des pauvres ; tant de bons exemples que vous avez donnés au dedans de la maison ; tant de bonnes filles que vous y avez attirées, qui y vivent saintement ; tant de pauvres malades que vous menez a une bonne vie ; et tant d’autres que vous avez réconcilies a Dieu par vos bons conseils dans leurs maladies ; et encore tant d’autres qui sont maintenant bienheureux au ciel et prient incessamment pour la sanctification de vos chères âmes. Ce sont là, mes chères Sœurs, des raisons entre une infinité d’autres que plusieurs rames de papier ne pourraient contenir, qui vous doivent animer de plus en plus à persévérer et à vous perfectionner en votre sainte vocation.

Il me semble, mes chères Sœurs, que vous me dites toutes que vous le voudriez bien, mais que vous êtes agitées

 

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d’une infinité de tentations qui vous accablent. A quoi je réponds, mes chères Sœurs, que toutes ces tentations vous sont envoyées ou permises de Dieu pour les mêmes raisons qu’il a envoyé et permis à son Fils celles qu’il a souffertes, qui a été pour donner preuves de son amour infini pour la gloire de son Père et pour la sanctification de son Église.

Oui, mais il me semble, direz-vous, que tant d’autres bonnes âmes qui sont dans le monde et dans les religions (1), non pas même dans votre communauté, ne sont peinées intérieurement au point que vous l’êtes. Or je vous réponds qu’il n’y a point d’âmes sur la terre qui fassent profession d’être tout à Dieu et à ses pauvres membres, qui ne souffrent autant de peines intérieures et extérieures comme vous faites, car c’est un arrêt donné de Dieu, non contre, mais en faveur des bonnes et saintes âmes, que toutes, tant qu’elles sont, souffriront tentation et persécution.

Baste ! me direz-vous, mes chères Sœurs, qu’on soit tenté parfois, mais que ce soit toujours, en tous lieux, et par quasi toutes les personnes avec lesquelles je vis, cela m’est insupportable. Le bon plaisir de Dieu est, mes chères Sœurs, que ces bénites âmes d’élite qu’il chérit tant soient tentées et affligées tous les jours ; et c’est ce qui il montre et à quoi il nous exhorte quand il dit en l’Évangile que ceux qui veulent aller après lui, il faut qu’ils renoncent à eux-mêmes, qu’ils portent la croix (2), qui est à dire qu’ils souffrent affliction tous les jours. Pesez ce mot de tous les jours, mes chères Sœurs.

Je supporte cela volontiers des personnes externes, Monsieur, direz-vous ; mais que ce soit de mes propres

1) Religion, communauté religieuse.

2). Évangile de saint Mathieu XVI, 24.

 

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sœurs, qui me devraient être à consolation et qui me sont à peine, à croix et affliction, et cela en tout ce qu’elles disent, en tout ce qu’elles font et ne font pas !

Hélas ! mes chères Sœurs, de qui souffrirons-nous que de ceux avec qui nous sommes ? Sera-ce des personnes qui sont éloignées, de celles que nous n’avons vues et ne verrons jamais ? De qui souffre le membre d’un corps, si ce n’est par le mal que lui fait souffrir un autre membre ? De qui et par qui Notre-Seigneur a-t-il souffert, si ce n’est par ses apôtres, par ses disciples et par ces peuples parmi lesquels il vivait, qui étaient le peuple de Dieu ? Un bon homme, se confessant un jour, disait à son confesseur, qui Lui demandait quel usage il faisait des afflictions qu’il recevait du côté du prochain : "Hélas ! mon Père, je ne souffre rien de ce côté-là. Depuis que ma femme et mes enfants sont morts, je suis tout seul et ne saurais me fâcher contre personne, quand je le voudrais." C’est pour vous dire, mes chères Sœurs, que nos croix de tous les jours du côté du prochain ne nous peuvent arriver que du côté de ceux avec qui nous vivons.

Eh bien ! me direz-vous, je supporte plus volontiers les peines qui m’arrivent de mes sœurs que quand elles viennent de la part de notre sœur servante (3), sa froideur, ses incommodités, sa taciturnité et de ce qu’elle ne me dit jamais une parole gracieuse, et, si elle me parle, c’est toujours avec une parole sèche et fâcheuse ; c’est ce que je ne puis supporter et qui me fait chercher ma consolation parmi quelques-unes de nos sœurs qui ont

3). Elisabeth Martin. Son état maladif était sans doute la principale cause des désordres qui s’étaient glissés dans la petite communauté de Nantes.

 

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la même peine que moi, et qui me fait entretenir le plus que je puis avec mon confesseur et dire mes peines à des externes.

A cela je réponds, ma chère Sœur, que c’est là une marque que nous sommes bien faibles ou malades, puisque nous avons besoin d’être flattés de nos supérieurs dans tout ce qu’ils nous disent et ordonnent, et que, tant s’en faut qu’une Fille de la Charité doive affecter ces caresses comme avantageuses, qu’au contraire elles ont raison de penser, quand la servante les caresse, qu’elle les traite en enfants ou en malades. Notre-Seigneur conduisait les siens d’une manière ferme et sèche et quelque fois avec de grosses paroles et injurieuses en apparence, jusques à en traiter d’hypocrites quelques-uns et d’autres de satans et d’autre fois il prit des cordes et frappa sur ceux qui vendaient à la porte du temple, et, qui plus est, il ne leur prédisait que des maux et des afflictions extrêmes qui leur devaient arriver. Et après cela nous voudrons être flattés de nos supérieurs et nous retirerons d’eux comme fit ce malheureux qui trahit Notre-Seigneur, pour faire bande à part avec quelques mécontents et avec nos confesseurs ! O Jésus ! mes très chères Sœurs, Dieu vous en garde !

Il me semble, mes très chères Sœurs, que vous me dites que vous n’êtes pas tombées dans ce malheureux état, par la grâce de Dieu, ou que vous me demandez quelques avis pour vous en retirer, si vous y êtes tombées, et pour vous réunir à votre chef et à chaque sœur de votre famille et par conséquent à Notre-Seigneur, qui ne souffre point d’union avec lui si l’on n’en a avec celles qui le représentent et avec ses membres. Si vous n’êtes pas tombées en ce misérable état, j’en rends grâces à Dieu et m’en vas célébrer pour cela ; mais, si vous y êtes tombées, voici, mes chères Sœurs, les moyens de vous en retirer,

 

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avec l’aide de Dieu, que je m’en vas lui demander à la sainte messe pour cet effet.

Le premier moyen est de faire votre oraison deux ou trois fois sur ce que je vous écris, dont la première se fera sur la première partie de cette lettre, la deuxième sur la seconde, la troisième sur la troisième.

Le second moyen est de vous confesser toutes à Monsieur des Jonchères de toutes les fautes que vous avez faites en cela, non seulement depuis votre dernière confession, mais aussi depuis que vous êtes à Nantes, et de vous résoudre à bien prendre les bons avis qu’il vous donnera et les accomplir.

Le troisième est de vous embrasser toutes après la sainte communion et vous entredemander pardon les unes aux autres et vous entredonner les cœurs.

Le quatrième, de faire votre oraison tous les mois, un an durant, sur le même sujet.

Le cinquième est de ne pas suivre le mouvement de votre affection au choix des sœurs avec lesquelles vous vous entretiendrez et de plutôt fuir la communication de celles pour qui vous auriez de l’inclination, pour vous lier avec les autres.

Le sixième, de ne point parler à votre confesseur qu’au confessionnal, si ce n’est une parole ou deux, pour des choses nécessaires, et non autrement, faisant en ce cas comme font les sœurs de votre maison de Paris avec leurs confesseurs de Saint-Lazare.

Le septième, de m’écrire chacune les sentiments que Notre-Seigneur lui aura donnés en suite de vos trois oraisons et de la confession et communion que vous ferez à cet effet, comme je vous ai dit.

Le huitième, que la supérieure écrive à Mademoiselle Le Gras tous les mois le progrès de sa famille en ces pratiques.

 

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Et le dernier moyen est que vous fassiez votre communication intérieure à Monsieur des Jonchères tous les mois et notamment touchant les défauts contre les choses ci-dessus.

Voilà, mes chères Sœurs, mes petites pensées sur le sujet que vous avez de louer Dieu de votre vocation, d’y persévérer et de vous y perfectionner, un mémoire des défauts auxquels une famille de la Charité peut tomber en son nouvel établissement, et les moyens d’y remédier. Je vous supplie très humblement, mes chères Sœurs, d’agréer ce que je vous en dis, pour l’amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui suis, en son même amour, mes chères Sœurs, votre très humble serviteur (4)

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A nos très chères sœurs les Filles de la Charité servantes des pauvres malades de l’hôpital de Nantes.

 

940. — JACQUES LESC0T, ÉVÊQUE DE CHARTRES, A SAINT VINCENT

Je ne puis recevoir une nouvelle plus agréable, ni plus avantageuse que celle qu’on me mande, que vous désirez faire continuer les missions en mon diocèse, si je le trouve

4.) Lambert aux Couteaux et la sœur Jeanne Lepeintre allèrent faire la visite à l’hôpital de Nantes ; et cette dernière y resta comme supérieure, à la place de la sœur Elisabeth Martin, qui se rendit à l’hôpital d’Angers.

Lettre 940. — Abelly, op. cit 1 II,., chap.I, sect I, 1er éd., p. 2

 

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bon. Il n’y a point de diocèse en France dont vous puissiez disposer plus absolument ; et je ne sais s’il y en a où les missions puissent être plus utiles et plus nécessaires pour les ignorances étranges que je rencontre en mes visites lesquelles me font horreur. Je ne détermine rien, ni lieu, ni temps ni pouvoir ; tout est à vous ; et pour parler aux termes d’Abraham : ecce universa coram te sunt ; et je suis moi-même en vérité et de cœur votre…

 

841. — A JEAN MARTIN

D’Orsigny, à 4 lieues de Paris, ce 26 avril 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je n’ai que deux mots à vous dire, me trouvant aux champs depuis quatre ou cinq jours ; c’est seulement pour vous assurer qu’en quelle p. art que je me trouve, votre souvenir m’est très cher et très fréquent, et mon cœur toujours et entièrement vôtre. Dieu sait de quelle affection je le prie pour vous et avec quelle consolation je lui offre toute votre personne, sachant combien vous êtes à lui et combien fidèlement vous répondez à ses desseins éternels.

Prenez soin de votre conservation et saluez cordialement de ma part M. Richard et notre f[rère] Sébastien. Je vous ai dit que j’avais fait rendre votre lettre à Mademoiselle votre mère ; si elle a envoyé au logis sa réponse, je la vous enverrai.

On m’a dit que M. votre frère étant allé à Toulouse avec Mgr l’archevêque, demeure encore avec lui.

Lettre 941 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Dieu nous fasse la grâce de demeurer inviolablement en son amour, par lequel je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

942. — A JEAN DEHORGNY, SUPÉRIEUR, A ROME

2e de mai 1647.

Je ne cherche que la volonté de Dieu, comme vous pouvez penser, en l’affaire de Perse. Je vous en ai écrit toutes les particularités. J’ai fait ce que j’ai pu pour avoir quelque externe pour l’évêché de Babylone, qui nous est offert, et nul n’y veut entendre, ou ne le peut, par la disposition de sa personne, ou par sa condition, ou par l’état de ses affaires. Cette œuvre me semble fort importante à la gloire de Dieu. Il nous y appelle par le Pape, qui seul a pouvoir d’envoyer ad gentes, et auquel il y a conscience de ne pas obéir. Je me sens pressé intérieurement de le faire, dans la pensée qu’en vain ce pouvoir que Dieu a donné à son Église d’envoyer annoncer l’Évangile par toute la terre, résiderait en la personne de son chef, si relativement ses sujets n’étaient obligés d’aller aux lieux où il envoie travailler à l’extension de l’empire de Jésus-Christ. De plus (peut-être que je me trompe) je crains bien fort que Dieu permette l’anéantissement de

Lettre 942. — Reg. 2, p. 74

 

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l’Église en Europe, à cause de nos mœurs corrompues, de tant de diverses et étranges opinions que nous voyons s’élever de tous côtés, et du peu de progrès que font ceux qui s’emploient pour tâcher de remédier à tous ces maux-là. Les opinions nouvelles font un tel ravage qu’il semble que la moitié du monde soit là dedans ; et il est à craindre que, s’il s’élevait quelque parti dans le royaume, il n’entreprît la protection de celui-ci. Que ne devons-nous pas craindre en la vue de tout cela, Monsieur, et que ne devons-nous pas faire pour sauver l’épouse de Jésus-Christ de ce naufrage ! Si nous ne pouvons à tout cela autant que fit Noé à la conservation du genre humain dans le déluge universel, nous contribuerons au moins aux moyens dont Dieu se pourra servir pour la conservation de son Église, en mettant, comme la pauvre veuve, un denier dans le tronc. Et quand je me tromperais, comme je le veux espérer de la sagesse de Dieu, qui semble vouloir perdre pour mieux sauver, nous ferons un sacrifice à Dieu, comme Abraham, qui, au lieu d’Isaac, sacrifia un mouton, dans la sainte ignorance de la fin pour laquelle il semblait vouloir le premier pour avoir le dernier.

Ces motifs et plusieurs autres m’ont fait résoudre à cette sainte entreprise et de passer par-dessus la considération du peu d’ouvriers que nous sommes et du besoin que nous avons ici de celui que nous destinons pour ce lieu-là. Et ce qui me détermine dans cette difficulté est la vue du sacrifice qu’Abraham * se proposait de faire de son fils, quoiqu’il n’eût que celui-là et qu’il sût que Dieu l’avait destiné pour être la souche de la bénédiction de son peuple.

J’ai encore passé par-dessus le danger qu’il y a que cet exemple ne donne sujet à quelques personnes de la compagnie d’ambitionner les prélatures, ayant estimé que

* Cf. François de Sales, "Introduction" p. 286 (éd de la Pléiade) N. cl.L

 

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l’éloignement du lieu dont il s’agit, les risques qu’on y court en y allant et en y résidant, et l’humilité apostolique selon laquelle pourra se comporter celui qui est destiné pour cela, qui sera comme celle des évêques d’Irlande, ôteront le sujet d’ambitionner ces emplois, et plu sieurs autres inconvénients.

L’on dira peut-être que, si l’évêque ne marche en ce pays-là in magnis, la cour du prince, les chrétiens et les religieux l’auront à mépris, et qu’il ne s’autorisera pas au point que Sa Sainteté prétend peut-être, pour négocier avec la bienséance requise la liaison entre le roi de France et ce prince-là contre l’ennemi commun des chrétiens. A quoi je réponds que j’espère qu’il suppléera au défaut de ce brillant et de cet état pompeux par la vertu, et que les évêques arméniens qui sont de delà et qui ne paraissent, non plus que leur patriarche, que comme les simples prêtres de deçà, n’auront pas tant d’aversion de notre évêque, comme s’ils le voyaient pompeux, tant pource que Notre-Seigneur et les saints apôtres ont renoncé et fait renoncer tous les chrétiens à la pompe, que pource que quasi naturellement les chrétiens se prennent garde de la différence qu’il y a de cet état pompeux à celui de Jésus-Christ humilié, et s’en scandalisent. De dire si ce sera M. Lambert que je regarde pour cet emploi, il est vrai que j’y ai pensé ; mais je ne m’y suis pas résolu ; et quoique je lui aie parlé du dessein en général et pris son avis pour cela, et que souvent il s’offre d’aller aux extrémités de la terre, si l’on l’y envoie, je ne lui ai jamais dit que j’aie aucune pensée sur lui, et il n’en sait encore rien.

Pour le temporel, cet évêché a neuf cents écus de revenu ; et afin que l’ancien évêque, qui en jouit et ne réside pas, en transporte la moitié à son successeur, on lui donnera d’ailleurs treize ou quatorze cents livres en bénéfice

 

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ou pension viagère, pour le dédommager de cette moitié.

Voilà l’état de l’affaire. Je suspendrai néanmoins la résolution jusqu’à ce que j’aie vu ce que vous me voulez écrire sur cela, à dessein de [donner] (1) les mains à vos raisons, si elles sont meilleures que les miennes.

 

943. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 3e mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je rends grâces à Dieu de la bénédiction qu’il a donnée à la mission de Quarto (1), et à vous de l’assistance que vous avez rendue en icelle au bon M. Blatiron, qui m’en témoigne grande satisfaction et reconnaissance. Le voilà maintenant de retour à Gênes, et vous en état de l’assister d’une autre sorte, prenant soin de le faire reposer autant et si longuement qu’il se pourra. Je ne doute pas qu’il ne vous rende la même charité ; car il me mande la crainte où il est que le travail ne vous accable. Certes, je n’en ai pas moins que lui ; ce qui fait que très souvent je prie et fais prier pour votre conservation, de laquelle je vous conjure de prendre vous-même tous les soins possibles. J’espère que Messieurs Portail et Alméras ayant vu le besoin que vous avez tous d’un peu de support (2), feront hâter le départ de celui que M. Dehorgny vous doit envoyer. Il y a longtemps que

1). Mot oublié dans le reg. 2.

Lettre 943 — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Quarto al Mare, bourg situé à dix kilomètres de Gênes

2) Support, aide.

 

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je l’en ai prié, et je continue encore aujourd’hui, pour contribuer de ce que je puis à votre soulagement. Et plût à Dieu que je le pusse faire en propre personne ! J’irais me joindre volontiers a vous pour participer au bonheur que vous avez d’être continuellement appliqué à l’exercice de l’amour divin (3). Oh ! qu’à jamais votre cœur puisse-t-il goûter les suavités de celui de Notre-Seigneur ! Je le prie qu’il vous en remplisse, pour le communiquer à ceux vers lesquels vous lui rendez service. Pour moi, je suis tout en lui, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

944. — ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GÊNES, A SAINT VINCENT

6 mai 1647.

Nous voici de retour de la mission de… Elle comprenait cinq paroisses, outre le concours du voisinage. Il s’y est fait un très grand nombre de conversions et de confessions générales, nonobstant la dureté du peuple, lequel était très difficile à émouvoir, si rien que nous perdions presque courage au commencement. Mais Notre-Seigneur nous a voulu consoler, sur la fin de la mission, touchant ces cœurs endurcis, et répandant sur eux des grâces si abondantes, que ceux qui, au commencement, ne voulaient point nous écouter, à la fin de la mission ne pouvaient consentir à se séparer de nous. Encore que, le jour de notre départ, étant allés à l’église pour recevoir

3.) Saint Vincent a ajouté ce mot en interligne de sa main.

Lettre 944 Abelly, op. cit, 1 II, chap. I, sect. IV, 1er éd., p. 70.

 

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la bénédiction de M. le curé, tout le peuple vint à l’église et se mit à pleurer et à crier Miséricorde, comme si en nous en allant, nous lui eussions ôté la vie ; tellement que nous eûmes bien de la peine à nous échapper.

Il y a eu quantité de noblesse de la ville de Gênes qui est venue en ce lieu et qui a assisté aux actions de la mission, dont elle a été fort édifiée. M. le cardinal-archevêque de Gênes (1) y est venu donner la confirmation, en suite de quoi, comme il prenait sa réfection avec les missionnaires et quelques gentilshommes qui l’avaient accompagné un seigneur du voisinage lui ayant envoyé un présent, il s’excusa de le prendre, disant que les missionnaires avaient pour règle de ne rien recevoir en mission, et le renvoya.

 

945. — A JEAN DEHORGNY, *PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

9 mai 1647.

J’avoue que les supériorités de nos maisons ne sont pas bien remplies ; mais assurez-vous que c’est ce qui arrive d’ordinaire aux compagnies naissantes et que celle des Jésuites, hors les neuf premiers Pères et quelque petit nombre d’autres, était en pareil état au commencement. la grâce imite la nature en plusieurs choses, laquelle les fait naître brutes et mal agréables ; mais avec le temps elle les perfectionne. Qui aurait dit que le peu de science, la pauvreté de biens et de condition et la sainte rusticité des prélats du premier siècle de l’Église eussent fait ce qu’ils ont fait ? Et qui aurait pensé que notre chétive compagnie, qui n’est qu’un avorton des autres de l’Église, fît ce qu’il plaît à Dieu de faire par elle, non seulement en France, mais aux pays étrangers ? C’est chose admirable de la bénédiction que Notre-Seigneur donne à nos missionnaires d’Hibernie, de Gênes,

1) Le cardinal Durazzo.

Lettre 945. — Reg. 2, p. 27

 

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de Tunis et d’Alger. Or, cela se faisant par la grâce que Dieu a donnée à la même compagnie, nous avons sujet d’espérer que sa divine bonté lui donnera aussi des sujets comme il les faut pour la conduire. Ce qui étant ainsi, nous ne devons pas juger des desseins de Dieu sur elle selon le raisonnement humain ; à quoi néanmoins nos petits esprits s’attachent.

 

946. — A RENÉ ALMERAS

De Paris, ce 10 mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je loue Dieu de ce que vous voilà arrivé en parfaite santé, et le prie qu’il vous donne son esprit de direction pour celle de la compagnie de delà. O Monsieur, que je souhaite qu’elle, soit éloignée des maximes du monde et avec un entier abandon entre les bras de la providence de Dieu ! Quand je pense parfois à la conduite de la petite compagnie, j’ai une consolation toute sensible de ce qu’il me semble que l’on a tâché de suivre la même providence en toute sa petite conduite, en sorte que l’on ne s’appuie non plus sur les moyens humains que sur des roseaux ; et je vous puis dire, Monsieur, que je n’y crois non plus qu’à notre ennemi ; et si la compagnie m’en croit, jamais elle n’en usera autrement. O Monsieur, quel bonheur de ne vouloir rien que ce que Dieu veut, de ne faire rien que selon que la Providence en présente l’occasion, et de n’avoir rien que ce que Dieu nous a donné par sa providence !

Lettre 946. — Recueil du procès de béatification.

 

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L’esprit humain vous dira que ce n’est pas à Rome comme ailleurs, qu’il faut s’insinuer, qu’il se faut rendre considérable, qu’il se faut autoriser, qu’il faut agir humainement avec les humains et se servir avec eux de moyens humains. Mais ne le croyez pas, Monsieur ; toutes ces maximes portent à faux à l’égard d’une compagnie que Notre-Seigneur s’est suscitée, qu’il anime de ses maximes et qui prétend agir selon son esprit. Ce que je vous dis semble paradoxal ; assurez-vous, Monsieur, que l’expérience vous le fera voir.

J’écris à Monsieur Dehorgny et le prie de demeurer cet été auprès de vous, pour vous aider de son assistance. Je vous prie, Monsieur, de lui avoir confiance, comme aussi aux bons avis que Monsieur Portail vous laissera. Mais que dis-je ? Hélas ! Monsieur, j’ai tort de vous faire cette prière, puisque je sais que, par la grâce de Dieu, c’est votre esprit.

J’aurais consolation de vous en pouvoir dire davantage ; mais voilà que Monsieur de Chalcédoine (1) m’attend là-bas, il y a près d’une heure ; c’est ce qui me fait finir, en me recommandant, prosterné à vos pieds en esprit et à ceux de la compagnie, à qui, comme à vous, je suis, du cœur que sa divine bonté sait, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Alméras, supérieur des prêtres de la Mission, à Rome.

1) Richard Smith, évêque in partibus de Chalcédoine, ancien vicaire apostolique en Angleterre, où l’avait envoyé Urbain VIII.

 

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947. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 10e mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Non, je ne puis cesser de vous écrire, encore que je n’aie aucun nouveau sujet pour le faire. Pour le présent, je prends celui de vous recommander le soin de votre conservation et de celle de M. Blatiron ; ce que j’ai encore fait par ma dernière, et continuerai tant que je serai dans la crainte que vos excessifs travaux vous accablent. Et en vérité, Monsieur, vous ne pouvez m’obliger en chose au monde plus qu’en celle-là. Il vous doit suffire que Dieu le veut, puisque de votre bonne disposition dépend l’avancement de plusieurs. Je la demande instamment à Notre-Seigneur, avec la continuation de ses faveurs et consolations pour votre chère âme, que la mienne embrasse tendrement.

Je reçus hier lettres de M. Guérin, de Tunis. Dieu le bénit extraordinairement. Il me mande que ceux d’Alger font aussi fort bien. Je ne puis vous dire combien cela et ce que nous apprenons de votre petite famille console et encourage toute la compagnie.

Nous avons aussi nouvelles de nos Messieurs d’Hibernie. Ils me mandent que la guerre et la pauvreté du pays leur sont de grands empêchements ; néanmoins, ayant fait une mission, le cours du peuple a été si grand qu’ils ne pouvaient suffire pour les confessions, encore qu’ils soient cinq ou six confesseurs, à cause que plusieurs des lieux circonvoisins ont accouru au bruit de la

Lettre 947. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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parole évangélique, et quelques-uns, éloignés d’environ dix lieues, ont attendu les quatre et cinq jours pour se pouvoir confesser. Je les recommande aux prières de toute votre compagnie, et particulièrement ma pauvre âme à vos saints sacrifices. Je suis uniquement, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

948. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MÉEN

11 mai 1647.

Monseigneur l’évêque de Tréguier (1) désire avoir pour un mois ou deux quelqu’un de notre compagnie qui le pousse et l’aide à se mettre dans ses fonctions épiscopales d’abord qu’il entrera dans son évêché, où il doit être huit ou dix jours avant la Pentecôte. Il n’a encore parlé en public que deux ou trois fois, par l’adresse de M. du Chesne, qui l’a mené exprès à une mission et l’a duit (2) dans notre petite méthode, en sorte qu’il ne veut jamais parler autrement. C’est un esprit bon, judicieux et aisé. Il a beaucoup de charité pour la compagnie, qu’il a pensée d’établir en son évêché, s’il en trouve le moyen. Il craint, s’il n’est porté par ce secours à ces exercices spirituels, comme visites, exhortations, prédications, catéchismes, etc., qu’il ne commence ni continue rien. Or

Lettre 948. — Reg. 2, p. 173.

1) Balthazar Grangier de Liverdi (1646 1679).

2) Duit, formé.

 

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je viens à vous pour ce dessein et je vous prie de vous rendre à Tréguier avant la Pentecôte et de prendre pour second le frère… je ne vous parle point de la façon qu’il est expédient d’agir avec ce bon seigneur ; l’humilité, la douceur, le zèle et le respect que Notre-Seigneur vous a donnés, feront en vous ce qu’il faudra.

 

949. — A LA MÈRE CATHERINE DE BEAUMONT (1)

De Paris, ce 19 mai 1647.

Ma très chère Mère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu vos deux chères lettres, avec beaucoup de

Lettre 949. — L. a. — Original au couvent de la Visitation de Toulouse. Mgr Douais en a donné un fac-similé dans son ouvrage La Visitation de Toulouse : Études, souvenirs et documents, Paris, 1905, in-8°.

1). Anne-Catherine de Beaumont-Carra était l’une des colonnes de la Visitation. Du monastère d’Annecy, où elle avait passé les premières années de sa vie religieuse, elle avait accompagné sainte Chantal à Bourges pour la fondation d’un nouvel établissement. Le premier monastère de Paris la mit à sa tête en 1622 et en 1625. Pendant son second triennat, elle fonda dans cette ville le second monastère, dont elle fut élue et réélue supérieure. Elle dirigea ensuite le couvent de Grenoble (1629-1635) et celui de Pignerol (1644), puis alla fonder un établissement à Toulouse (1647). C’est dans cette ville qu’elle mourut le 30 janvier 1656. La Mère Faber a écrit et Mgr Douais publié des mémoires sur le temps que la Mère de Beaumont passa à Toulouse. Nous lisons dans l’Année sainte (t. V, p. 533) : "Saint Vincent de Paul… avait conçu beaucoup de vénération pour son mérite, vénération dont la connaissance parvint jusqu’à la reine Anne d’Autriche. Cette grande princesse, à son tour, favorisa l’humble Mère de ses bontés et ne crut pas indigne de sa Majesté de l’honorer de ses visites." La sainte fondatrice de la Visitation avait souvent recours aux lumières de la Mère de Beaumont, comme le montre sa correspondance. Nous voyons par ses lettres que la Mère de Beaumont était "sèche, trop ferme et sérieuse" et que le besoin d’activité lui faisait parfois négliger ses exercices de piété.

 

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consolation, comme vous pouvez croire, ma chère Mère, et rends grâces à Dieu de ce que sa providence vous a donnée à un prélat des plus excellents de l’Église (2) et ii une ville des plus dévotes que voie le soleil, à ce que j’ai ouï dire à Monseigneur l’évêque de Lisieux (3), qui était évêque de Nantes, quand vous étiez en cette ville (4).

Vous voilà donc en notre pays, ma chère Mère, ou bien proche. Oh ! que j’en loue Dieu de bon cœur, et le prie qu’il y sanctifie de plus en plus votre chère âme et par vous celles de tant de bonnes filles que la même providence vous a destinées.

L’affaire dont votre charité me parle, ma chère Mère, je dis celui du collège de Maguelonne (5), me semble impossible, à cause qu’étant destiné pour élever des ecclésiastiques, l’on ne consentira point qu’il soit appliqué à un autre usage. Et n’importe de dire qu’il y a un grand désordre là-dedans ; l’on vous dira que le temps viendra peut-être auquel l’on le réformera. Et vous pouvez croire, ma chère Mère, que, quoique Monseigneur de Toulouse y ait eu quelque pensée d’autre fois pour nous, et que le principal du collège m’ait vu plusieurs fois pour cela, que très volontiers je m’en déporte, et louerai Dieu, si la chose peut réussir à votre souhait, et vous y offre mes petits services avec l’affection que je le puis,

2) Charles de Montchal.

3) Philippe Cospéan, évêque d’Aire du 18 février 1607 au 18 mars 1622, de Nantes du 18 mars 1622 à 1635, et de Lisieux du 25 juillet 1636 au 8 mai 1646, jour de sa mort. *Il avait administré quelque temps le diocèse de Toulouse.

4) La Mère de Beaumont, du temps où elle était supérieure du monastère de Grenoble, avait dû se rendre à Nantes pour y traiter de la fondation d’un couvent en cette ville, où elle laissa plusieurs de ses filles.

5) Collège fondé à toulouse en 1363 ; comme d’autres collèges de la même ville, il servait de maison d’habitation aux écoliers de l’Université. Sur cet établissement voir Collège de Maguelonne par M. Saint-Charles dans les Mémoires de l’Académie des Sciences inscriptions et Belles-Lettres de Toulouse, 1883, pp. 110-128.

 

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quoique, comme je vous ai dit, la chose me paraisse impossible, selon que je vois la disposition du Conseil du roi et la suite des affaires de pareille condition. Hélas ! ma chère Mère, nous n’avons garde de ne pas vous y servir pour notre intérêt. Savez-vous bien, ma chère Mère, que nous sommes dans la maxime et dans la pratique de ne pas demander aucune fondation et que c’est Notre-Seigneur seul qui nous a établis là où nous sommes ? Et si la compagnie m’en croit, elle en usera toujours de la sorte. Monseigneur l’archevêque vous pourra dire lui-même l’indifférence avec laquelle il m’a vu agir en cet affaire ; et peut-être que nous lui avons donné sujet de penser que nous n’avions pas assez de reconnaissance de la grâce que sa bonté nous offrait, faute de ne lui avoir dit ce que je vous dis, que nous tâchons de suivre l’adorable providence de Dieu en toutes choses et de ne la pas devancer. Aidez-moi, ma chère Mère, je vous en prie, devant Dieu, à nous bien établir dans cette pratique.

Il est vrai, ma chère Mère, que j’ai prié nos chères sœurs (6) de m’excuser si je ne les pouvais plus servir de père spirituel, à cause de l’embarras auquel je suis, qui m’empêche de faire les choses auxquelles je suis obligé ; et de cette prière il y a sept ou huit mois (7) ; et Dieu sait que ce n’est pas faute d’affection, et que je n’ai jamais eu sujet de mécontentement d’elles, ains toute sorte de douceur, de bonté et de charité. Sa divine bonté sait encore que je m’écorche moi-même en faisant cela ; mais quoi ! la conscience me presse à m’arrêter à ce que je puis et à honorer la toute-puissance de Dieu par la reconnaissance de mon impuissance. Elles n’ont point encore

Les filles de la Visitation de Paris.

7). Voir lettres 866 et 873.

 

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pris personne. J’ai tâché jusques à présent de faire le nécessaire sans aller chez elles, en attendant qu’elles prennent quelqu’un. Vous pouvez croire, ma chère Mère, qu’il n’y a personne qui ait plus de pouvoir de me faire passer par-dessus mes difficultés que vous, n’était la raison que je vous ai dite, qui vous fais ici un renouvellement des offres de mes petits services, avec toute l’affection et l’humilité que je le puis, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, ma chère Mère, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A ma Révérende ma Révérende Mère Anne-Catherine de Beaumont, supérieure de la Visitation Sainte-Marie de Toulouse, à Toulouse.

 

950. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 24 mai 1647.

Je ne sais si je vous dois presser pour prendre quelque repos, puisque vous savez que le plus grand contentement que vous me puissiez désirer en ce monde consiste en votre conservation. Ayez-en donc soin, pour l’amour de Notre-Seigneur, et souffrez que je vous invite à la modération du travail, pendant que d’autres vous poussent à l’excès. Parlez hardiment de ma part ; et sans vous plaindre, dites que c’est trop.

Lettre 950. — Reg. 2, p. 218

 

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951. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

On me donna avis, le jour de Pâques, qu’une galère d’Alger était arrivée à Bizerte, et aussitôt je partis pour aller visiter les pauvres chrétiens qui étaient enchaînés. J’en trouvai environ trois cents, et le capitaine me permit de leur faire une petite mission de dix jours. J’avais pris avec moi un prêtre, qui m’aida à catéchiser et à confesser ces pauvres gens, qui firent tous leur devoir, à la réserve de quelques Grecs schismatiques. O grand Dieu, quelle consolation de voir la dévotion de ces pauvres captifs, desquels la plupart n’avaient pu se confesser depuis longtemps ! Et il y en avait qui ne s’étaient point approchés de ce sacrement depuis huit et dix ans, et d’autres même depuis vingt ans. Je les faisais tous les jours déchaîner et sortir de la galère pour venir en terre recevoir la sainte communion dans une maison particulière où je célébrais le sainte messe ; et après que la mission fut achevée, je les régalai et leur donnai pour cinquante-trois écus de vivres.

J’étais logé dans la maison d’un Turc, qui me nourrit pendant le temps que dura la mission ; et néanmoins il ne voulut jamais prendre aucun argent de moi, disant qu’il fallait faire la charité à ceux qui la faisaient aux autres ; qui est une action bien digne de remarque en la personne d’un infidèle. Ce qui vous étonnera encore davantage est que presque tous les Turcs de ce lieu-là furent tellement touchés et édifiés de cette mission, que plusieurs d’entre eux me venaient baiser le visage et les mains, et je ne doute point que votre cher cœur ne se fut pâmé de joie en voyant cela. Que si le fruit de cette petite mission de Bizerte me fut doux, le chemin pour y aller me fut bien rude et épineux ; car n’ayant pas voulu prendre des janissaires pour m’escorter, je fus rencontré par des Arabes, qui me chargèrent de coups ; et un d’entre eux m’ayant pris à la gorge, me serra si fort que je croyais qu’il m’allait étrangler ; et me tenais pour mort ; mais comme je ne suis qu’un misérable pécheur, Notre-Seigneur ne me jugea pas digne de mourir pour son service.

Lettre 951 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII, § 9, 1er éd p 130

 

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952. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce dernier de mai 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Votre lettre a produit en moi deux contraires effets : elle m’a réjoui, parce qu’elle venait de vous, que mon âme chérit tendrement, et m’a contristé de voir qu’on ne laisse sur pied le pauvre M. Blatiron. Je crains avec raison que mal n’en advienne à sa santé, si Dieu ne le conserve, comme j’espère qu’il fera, puisque tant de travail ne se fait que par pure obéissance.

Je n’ai pas moins d’appréhension pour vous, car, au dire même dudit sieur Blatiron, vous êtes accablé de soins et le peine (1) ; mais je prie sans cesse Notre-Seigneur qu’il soit votre force en tant d’embarras et éternellement votre récompense.

Je pensais que déjà vous aviez eu du secours de Rome, en sorte que mon esprit restait soulagé du soulagement dans lequel je vous croyais ; mais pourquoi ne vient-il pas, y ayant si longtemps que j’ai prié ceux de Rome de vous l’envoyer ? Or sus, Monsieur, prions Notre-Seigneur que toutes choses se fassent au gré de sa providence, que nos volontés lui soient tellement soumises qu’entre lui et nous il n’en soit qu’une seule, laquelle nous fasse jouir de son unique amour dans le temps et dans l’éternité.

Lettre 952 — L a — Dossier de Turin, original

1) Peine, travail

 

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Je suis, dans ce désir, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

953. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juin 1647] (1)

Monsieur,

Si votre charité avait agréable de proposer au maître. de la maison proche de Saint-Laurent qu’il se logeât au département qu’il a baillé au brasseur de bière, au cas que les dames le voulussent dédommager, cela accommoderait bien les petits enfants.

Je ne me puis empêcher de vous dire que j’ai eu aujourd’hui grande peine pour la crainte de la prédestination, sur quelque pensée que j’ai eue en l’oraison ; cela a pressé de telle sorte mon esprit qu’il m’a fait faire un acte d’acquiescement au dessein de Dieu pour mon fils et moi être à jamais objet de sa justice.

J’ai oublie de vous demander permission de communier toute la neuvaine que l’on dit la sainte messe au Saint-Esprit. Elle commença vendredi. Et me servant de la permission que votre charité m’a donnée de communier quand ma santé me le permet, j’ai aussi communié depuis ce temps-là de la neuvaine. Je ne l’ose continuer sans votre permission plus particulière, que je vous demande pour l’amour de Dieu, avec le secours dont nous avons besoin, et suis, Monsieur votre très obligée fille et très humble servante

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 953. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre a été écrite entre l’Ascension et la Pentecôte ; elle semble de même année que la lettre 937.

 

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954. A LOUISE DE MARILLAC

Mademoiselle Le Gras est priée d’envoyer ce paquet chez Madame la duchesse d’Aiguillon ; c’est pour ces bonnes religieuses. Si elle n’est en ville, l’on recommandera de ma part au Suisse qu’il l’envoie par le premier qui ira à Rueil, où elle est.

 

955. — A LOUISE DE MARILLAC

[Vers 1647] (1)

Mademoiselle,

Madame la duchesse (2) a obtenu cent écus de M. le surintendant pour ces bonnes religieuses. L’on les leur fera [porter], à la charge qu’elles s’en retournent. Faites-leur faire votre école cependant, s’il vous plaît, et voyez comme elles font. Elles ont grâce de Dieu pour cela. Ne leur dites rien, s’il vous plaît, des cent écus.

 

956. — A LOUISE DE MARILLAC

Mademoiselle,

Je verrai ces bonnes religieuses dans deux ou trois jours, Dieu aidant. Pourriez-vous pas les induire à se retirer dans leur monastère ?

Lettre 954. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

Lettre 955. — Manuscrit Saint-Paul, p. 70.

1) Cette lettre a été écrite vers la fin des troubles qui agitèrent la Lorraine.

2).L.a duchesse d’Aiguillon.

Lettre 956. — Manuscrit Saint-Paul, p. 70

 

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957. — A LOUISE DE MARILLAC

[Vers 1647] (1)

Mademoiselle,

L’intention de Madame la duchesse d’Aiguillon est que ces bonnes religieuses s’en retournent en Lorraine, et leur a fait donner cette somme en [cette] considération, et non autrement. Elle m’a envoyé pareillement deux cents livres à cette même en et trouve bon qu’elles ne portent sur elles que ce qui leur est nécessaire pour leur nourriture, et que nous leur fassions tenir à Toul tant les cent écus qu’elles ont touchés, que les deux cents livres que nous avons. Je vous supplie de leur dire qu’elles me mandent quand elles seront prêtes à s’en retourner, et qu’il n’y en a pas eu une de toutes celles qui sont venues qui en remporte tant que cela de Paris, pour le moins de ma connaissance.

 

958. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 7 juin 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ce n’est que pour me consoler avec vous du secours qui vous est arrivé, ne doutant point que M. Patrice (1)

Lettre 957. — Manuscrit Saint-Paul, p. 71.

1) Cette lettre a suivi de peu de jours la lettre 955.

Lettre 958. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Patrice Valois (nom francisé de Walsh), né à Limerick (Irlande), reçu dans la congrégation de la Mission le 21 décembre 1644 à l’âge de vingt-cinq ans, ordonné prêtre en 1646.

 

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ne soit à présent à Gênes, puisqu’il est parti de Rome il y a plus d’un mois, selon que M. Portail m’écrit. Je vous prie de l’embrasser de ma part, comme je vous embrasse tous en esprit, suppliant Notre-Seigneur de nous lier de son pur amour, afin qu’ensemblement nous l’aimions uniquement, fortement et éternellement. Mon Dieu ! Monsieur, que mon âme désire La perfection de la votre ! Oui, certes, autant que son propre avancement, puisque je ne sais demander l’un sans l’autre. Je ne cesse aussi d’implorer sur vous et en vos travaux les effets d’une spéciale protection de Notre-Seigneur, qui m’a rendu invariablement, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

959. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

14 juin 1647.

Selon votre lettre, nous ne devons plus considérer Messieurs… et… (1) que comme personnes entamées de la tentation et auxquelles il n’y a plus d’assurance, le premier ayant le venin du bien temporel dans le cœur, et l’autre ayant son cœur dans la corruption de la chair et du sang. Donc attendons-en de Dieu la disposition et demeurons en paix.

Lettre 959. — Reg. 2, p. 101

1) Peut-être Pierre de Fondimare et M. de Restal. (Voir la lettre 1068)

 

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960. — A CLAUDE DUFOUR, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 15e de juin 1647.

Je ne puis vous dire la consolation que mon âme a reçue par la dernière lettre que vous m’avez écrite, et de la résolution que Notre-Seigneur vous a donnée. Certes, Monsieur, je pense que le ciel même s’en réjouit ; car, hélas ! l’Église a assez de personnes solitaires, par sa miséricorde, et trop d’inutiles, et plus encore qui la déchirent ; son grand besoin est d’avoir des hommes évangéliques, qui travaillent à la purger, à l’illuminer et à l’unir à son divin époux ; et c’est ce que vous faites, par sa divine bonté. Je fus attendri dernièrement de ce que le R [évérend] prieur de la chartreuse du Mont-Dieu (1) étant venu passer un jour entier céans pendant l’ordination, pour voir les exercices qui s’y font, il s’en trouva si touché qu’il me dit des paroles tellement avantageuses du bonheur de cet emploi, que la modestie ne me permet pas de vous les redire ; et je ne vous puis exprimer les soupirs qu’il faisait pendant le pontifical (2), entendant ce qui se disait du devoir du diacre. Je vous assure, Monsieur, que ce bon Père a plus l’esprit d’un missionnaire que moi, et que, s’il lui était permis, il sortirait de sa celle (3) pour aller annoncer Jésus-Christ au pauvre peuple et pour travailler à l’instruction des prêtres.

Travaillons-y, Monsieur, de toute l’étendue de nos forces, je vous en prie, dans la confiance que Notre-Seigneur, qui nous a appelés à sa manière de vie, nous fera plus participants à son esprit et enfin à sa gloire. Rejetez

Lettre 960. — Reg. 2, p. 292

1) Commune de l’arrondissement de Sedan (Ardennes)

2) Pendant l’explication du pontifical.

3 Celle, cellule.

 

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donc absolument toutes ces pensées ; et quand vous serez las de la résidence au lieu où vous êtes, mandez-le-moi ; je contribuerai à votre consolation en tout Ce qui me sera possible. Vous savez l’estime et l’affection que Notre-Seigneur m’a données pour vous, et que je vous chéris plus que moi-même.

 

961. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

Tunis, juin 1647.

Nous avons tant fait que de l’argent que vous m’avez envoyé, nous avons racheté cette pauvre femme française qui a souffert si longtemps la tyrannie d’un barbare patron ; c’est un vrai miracle de l’avoir tirée des mains de ce tigre, qui ne la voulait donner pour or ni pour argent. Il s’avisa un matin de m’envoyer quérir ; et comme je fus chez lui, nous accordâmes à trois cents écus, que je lui baillai à l’heure même ; et lui fis faire sa carte de franchise ; et je la menai aussitôt en lieu de sûreté. Deux heures après, ce misérable s’en repentit et il pensa enrager de regret ; c’est véritablement un coup de la main de Dieu.

Nous avons pareillement racheté un garçon des Sables-d’Olonne, qui était sur le point de renier sa foi. Je pense vous avoir écrit comment deux ou trois fois nous lavons empêché de le faire. Il écoute cent cinquante écus. J’en ai donné trente-six, pour ma part ; nous avons mendié le reste où nous avons pu.

J’ai aussi retiré cette jeune femme sicilienne qui était esclave à Bizerte, le mari de laquelle s’était fait turc. Elle a enduré trois ans entiers des tourments inexprimables, plutôt que d’imiter l’apostasie de son mari. Je vous écrivis, vers le temps de la fête dernière de Noël, le pitoyable état où je l’avais trouvée, toute couverte de plaies. Elle a coûté deux cent cinquante écus qui ont été donnés par aumônes dont j’ai contribué une partie.

Lettre 961 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII, § 12, 1er éd, p 139

 

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962. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 21 juin 1647.

Oui, oui, Monsieur, nous prierons Dieu pour vous et pour la réconciliation de ces personnes si fort acharnées à la vengeance, et ferons dire des messes pour cela. La mienne, si je puis, se célébrera à Notre-Dame, selon votre intention ; mais, après tout, voulez-vous pas bien agréer que nos soins et nos prières soient sans effet, si tel est le bon plaisir de Dieu ? Car, Monsieur, que serait-ce si tout nous succédait, et quelle raison avons-nous, pauvres gens que nous sommes, de prétendre à réussir toujours ? Nous en avons encore moins de nous troubler quand quelqu’un résiste à nos petites persuasions. Puisque Dieu se contente de notre bonne volonté et de nos justes efforts, contentons-nous aussi des événements qu’il leur donne, et jamais nos actions seront sans fruit. Je vous dis tout ceci sur le déplaisir que vous avez de ce qu’aucuns ne profitent pas de vos missions ; car il ne s’en faut pas étonner ; mais plutôt, Monsieur, estimons que tout va le mieux du monde quand nous n’en sommes pas satisfaits, pourvu que nous sachions nous en humilier et redoubler notre confiance en Dieu Il est pourtant vrai que nous avons sujet de louer Dieu de la continuation de ses grâces sur vous. Je l’en remercie donc et je le prie de vous conserver et dans vos forces ordinaires et dans le désir de l’avancement de sa gloire.

Lettre 962 — Reg 2, p 218

 

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9133. — A JEAN MARTIN

De Paris, ce 21 juin 1617

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous êtes-vous proposé quelque chose de plus exprès que de vouloir invariablement ce que Dieu veut ? Je ne le crois pas. Quel sujet donc, Monsieur, pouvez-vous avoir de perdre courage quand les choses ne vous réussissent pas ? Jusqu’à présent, vous avez grand sujet d’en remercier Dieu ; et certes, de mon côté, je vous aide à le faire de ce que je puis, tant j’ai du ressentiment des grâces qu’il vous a faites. Je sais la fidélité et le soin que vous avez pour l’œuvre de Dieu. Que vous reste-t-il donc qu’à demeurer en paix ? Il ne vous demande que cela, avec un humble acquiescement au succès qu’il y donne, lequel je ne puis douter qu’il ne soit entier en votre âme. A quel propos doncques entrer en défiance ? Vous me représentez vos misères ; hélas ! et qui n’en est plein ? Tout est de les connaître et d’en aimer l’abjection, comme vous faites, sans s’y arrêter que pour y établir le fondement d’une ferme confiance en Dieu ; car alors le bâtiment est fait sur une roche, en sorte que, la tempête venant, il demeure ferme. Ne craignez donc point, Monsieur ; vous êtes fondé là-dessus, je le sais ; car pour ces timidités ou défiances que vous sentez, elles sont de la nature et n’approchent que de loin votre cœur, qui est bien plus généreux que cela. Que Dieu fasse donc de nous et de nos emplois à son gré, que nos peines soient vainement prises à l’égard des hommes, et que les mêmes

Lettre 963 —. L s. — Dossier de Turin, original.

 

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hommes n’aient pour nous que de l’ingratitude et du mépris, nous ne laisserons, pour tout cela, de continuer nos exercices, sachant que par iceux nous accomplissons la loi, qui est d’aimer Dieu de tout son cœur et son prochain comme soi-même.

J’en demande à Dieu la grâce pour vous et pour moi, qui suis, en son amour, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de La Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Martin, prêtre de la Mission, à Gênes.

 

964. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Mon très honoré Père,

J’ai bien été surprise de votre partement avant que nous ayons eu les ordres nécessaires pour le partement de nos sœurs à Montreuil. N’était que les places du coche sont retenues, nous différerions ; mais ce doit être mercredi ; et que feront elles sans la bénédiction et l’instruction de votre charité, dont elles ont si grand besoin ? Si notre bon Dieu ne vous inspire de nous mander toute leur conduite, nous serons bien en peine. Je vous assure, Monsieur, que j’ai l’esprit si accablé que j’avoue que je suis cause que nos pauvres sœurs souffriront ce déplaisir.

Pour le partement de nos sœurs pour Nantes (2), nous ne

Lettre 964. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Les Filles de la Charité étaient appelées à Montreuil-sur-Mer (Pas-de-Calais) par le comte Charles de Lannoy, gouverneur de cette ville. Louise de Marillac y envoya Anne Hardemont et Marie Lullen, du Mans, qui partirent le 26 juin, après avoir reçu les avis de leur fondatrice. (Pensées de Louise de Marillac, p. 211) Saint Vincent leur avait déjà donné les siens au conseil du 19 juin 1647.

2) Des trois sœurs qui devaient partir à Nantes nous n’en connaissons qu’une seule, sœur Jeanne Lepeintre, qui allait faire la visite des hôpitaux de cette ville et d’Angers. Saint Vincent lui avait dit au conseil du 19 juin : "Or ça, pour ma sœur Jeanne, il faudrait bien

 

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saurions du tout le taire que nous n’ayons encore eu l’avis de votre charité sur une nouvelle qui nous donne avis de ne pas changer ma sœur Cathe[rine] Ba[gard] (3), celle qui a commencé le trouble dans l’hôpital, et quelle croit qu’il faut absolument faire revenir ma sœur Elisabeth (4) et envoyer une sœur de conduite (5).

Je crois que vous savez l’arrivée de nos sœurs d’Angers, qui sont de retour, mais l’accusée paraît la plus innocente du monde. Je n’ai osé écrire à son père sans savoir de votre charité ce que nous en ferons ; je crois qu’il ne sera pas longtemps sans venir. le supplie notre bon Dieu que votre charité soit de retour en bonne santé avant ce temps-là. votre sainte bénédiction, mon Père, s’il vous plaît, pour nos sœurs et pour nous ! La sœur Marguerite Tourneton s’en alla dimanche sans dire mot, et la Mère prieure (6) m’a écrit qu’elle était allée ce matin à l’Hôtel-dieu et qu’elle l’avait reçue, demande un autre habit pour nous renvoyer le notre (7). Je n’ai point fait réponse et n’en ferai point qu’à votre retour. Dieu seul sait l’état de mon pauvre esprit sur tous ces désordres, car il semble que notre bon Dieu veut entièrement nous détruire. Je le mérite et m’étonne que sa justice diffère tant à être exécutée. Pourvu que sa miséricorde sauve mon âme, il me suffit. Obtenez-moi cette grâce par votre charité, puisque je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très humble servante.

Ce 24 juin 1647 (8).

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la Mission.

quatre esprits ; si elle pouvait emporter celui de Mademoiselle Le Gras, cela lui ferait bien plaisir ; n’est-il pas vrai, ma fille ?"

3) La sœur Catherine Bagard était à l’hôpital de Nantes depuis la première entrée des Filles de la Charité dans l’établissement. Par sa conduite irrégulière, son mauvais esprit et les imperfections de son caractère elle avait causé bien des ennuis à ses supérieurs et à ses compagnes. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, 1. 173, 181)

4) Elisabeth Martin, supérieure des Filles de la Charité à Nantes

5) Le choix de Louise de Marillac se porta sur Jeanne Lepeinte

6) La prieure des sœurs augustines de l’hôtel-Dieu.

7) Elle se repentit de son acte, rentra et mourut l’année suivante.

8) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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965. — A LOUISE DE MARILLAC

De Fréneville, ce 26 juin 1647.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je partis si inopinément qu’il ne me fut possible de vous dire adieu ; votre bonté m’en excusera bien, comme j’espère. Je serai de retour lundi ou mardi matin, s’il plaît à Dieu. Cependant je vous supplie de me faire savoir de vos nouvelles par un de nos frères, qui partira demain pour venir ici.

Je vous envoie une ou deux lettres que j’ai reçues avant partir, mais que je n’ai pu voir jusqu’à mon arrivée en ce lieu.

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous conserve. Je me porte bien et suis entièrement, en son amour, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

966. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 26 juin [1647] (1)

Monsieur,

Nos pauvres sœurs (2) sont parties ce matin, avec grand déplaisir de n’avoir point votre bénédiction, mais néanmoins avec soumission à ma conduite de la divine Providence. Notre

Lettre 965. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

Lettre 966. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Cette date correspond au contenu de la lettre.

2). Les sœurs destinées à la fondation de Montreuil.

 

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bon Dieu veuille, par sa bonté, que votre retour soit si tôt et en bonne santé !

Toute notre pauvre compagnie est en grande douleur, étonnement et crainte pour la perte de notre sœur (3). Le murmure de chacune est à la sourdine, car personne n’en ose parler, et j’attends le retour de votre charité pour leur faire entendre de quelle sorte elles doivent regarder ce changement.

Il me semble, Monsieur, que je commence à me fortifier un peu, pourvu que rien ne me survienne ! Mais j’ai un étrange soin de moi et n’ai point de plus sérieuse occupation qu’à me faire du bien, il n’en est pas de même pour les intérêts de mon âme, quoique, par la grâce de Dieu, j’aie un peu plus de calme que quand je me donnai l’honneur de vous écrire pour faire voir à votre charité l’état de celle qui n’a autre consolation que celle du bonheur d’être, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Je pense qu’il y a quelque chose à redire à la liberté de nos sœurs de Serqueux (4).

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la Mission.

 

967. — A LOUIS SERRE, PRÊTRE DE LA MISSION, A CRÉCY

Du 2e de juillet 1647.

Lorsque ces Messieurs qui se veulent donner à la compagnie, seront en état de venir ici, nous les recevrons au séminaire, où il est nécessaire qu’ils passent, quelque bonté qu’ils aient, l’expérience nous ayant fait voir que la vertu ne prend que de faibles racines en ceux qui n’y sont que peu de temps. Et plusieurs qui nous ont paru bien réguliers dans le séminaire, pour avoir été employés

3) La sœur Marguerite Tourneton.

4) Commune de l’arrondissement de Neufchâtel (Seine-Inférieure). Les Filles de la Charité y avaient un établissement.

Lettre 967. — Reg. 2, p. 40.

 

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ailleurs trop tôt, en ont perdu leur vocation. Vous voyez donc la nécessité qu’il y a qu’ils passent par cette épreuve.

 

968. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE LA MAISON DE RICHELIEU

7 juillet 1647.

Vous nous avez parlé de trois filles qui postulent pour entrer à la Charité. Si elles sont propres et bien résolues, envoyez-les, s’il vous plaît ; et s’il s’en présente d’autres, écrivez-m’en, car cette petite compagnie est en disette de sujets, tant on en demande de toutes parts.

Faites ressouvenir Monsieur… de ce que vous lui avez mandé touchant les Filles de la Charité, de l’incommodité où elles sont, et combien il est à désirer qu’on assure leur petit fait.

 

969. — A LOUISE DE MARILLAC

[7 juillet 1617] (1)

Mademoiselle Le Gras est priée par les dames de la Charité d’envoyer demain dimanche, à une heure, quatre enfants, deux garçons et deux filles, avec deux Filles de la Charité au château de Bicêtre (2), avec les hardes et

Lettre 968. — Le texte de cette lettre est tiré d’un manuscrit intitulé Lettres choisies du Bienheureux. Vincent de Paul instituteur et premier supérieur général de la congrégation de la Mission. ce recueil, écrit entre 1929 et 1937, se trouve à la maison-mère des Filles de la Charité. Il est de la même famille que le manuscrit d’Avignon, en reproduit toutes les lettres dans le même ordre et ajoute une neuvième partie, qui contient dix-neuf lettres, toutes relatives à la direction des Filles de la Charité. si nous n’avons pas parlé de ce manuscrit dans l’Introduction, non plus que d’un autre recueil semblable en espagnol, possédé par les prêtres de la Mission de Madrid, c’est que nous ignorions leur existence.

Lettre 969. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date du transfert des enfants trouvés à Bicêtre

2) Il semble bien que les quatre enfants dont il est ici question furent les premiers placés à Bicêtre

 

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sans les couches des enfants, et ce qu’il faudra pour vivre le jour et le lendemain. Madame Truluy ira prendre les enfants avec un carrosse, à l’heure ci-dessus marquée, et le linge qu’il faudra, et les amènera chez Madame de Romilly, où Madame la chancelière (3) et les autres dames les iront prendre et les amèneront. Elles ont quelque raison particulière d’en user de la sorte et souhaiteraient bien que Mademoiselle Le Gras fût en état d’être de cette conduite ; mais il n’y faut pas penser, comme je crois.

 

970. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juillet 1617] (1)

Monsieur,

Enfin l’expérience nous fera voir que ce n’était pas sans raison que j’appréhendais le logement de Bicêtre. Ces dames ont dessein de tirer de nos sœurs l’impossible. Elles choisissent pour logement des petites chambres, où l’air sera incontinent corrompu, et laissent les grandes ; mais nos pauvres sœurs n’osent rien dire. Elles ne veulent point que l’on dise la messe mais que nos sœurs l’aillent entendre à Gentilly. Et que feront les enfants en attendant ? et qui fera l’ouvrage ? Voilà ma sœur Geneviève (2) ; je vous supplie prendre la peine lui parler. Elle vous fera entendre toute la peine qu’elles ont et les prétentions des dames. Je crains bien qu’il nous taille quitter le service de ces pauvres petits enfants.

La volonté de Dieu soit faite par laquelle je suis, Monsieur votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

S’il plaît à votre charité se souvenir de nos deux dames, qui seront prêtes à faire leur confession demain matin, si cela se peut ?

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

3) Madame Séguier.

Lettre 970 — L. a.Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) Geneviève Poisson.

 

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971. — LES FILLES DE LA CHARITÉ DE LA MAISON-MÈRE

A SAINT VINCENT

Monsieur,

C’est pour avertir votre charité que deux de nos sœurs s’en sont allées ce matin sans dire mot. L’une est Perrette, revenue d’Angers, et l’autre Marguerite revenue de Fontainebleau. Nous avons envoyé au coche de Sedan, sur la pensée qu’elles y pourraient être ; mais comme notre sœur n’a pas ordre de les arrêter par force, en cas qu’elle les treuve, et Mademoiselle jugeant qu’il est nécessaire, elle supplie votre charité nous prêter un de vos frères, si vous jugez qu’il soit à propos, sinon, prendre la peine, pour l’amour de Dieu, de nous mander ce que nous avons à faire, ce qu’attendant, nous demeurons, Monsieur, vos très humbles et obéissantes servantes.

Les Filles de la Charité

Ce 23e juillet [1647] (1)

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

972. — A LOUISE DE MARILLAC

[Juillet 1647] (1)

Bénissons Dieu, Mademoiselle, de ce qu’il purge la compagnie des sujets faits de la sorte, et honorons la disposition de Notre-Seigneur, quand ses disciples l’abandonnaient. Il disait à ceux qui restaient : voulez-vous pas vous en aller après eux (7) ? Je ne vois pas ce qu’on peut faire à ces filles, quand

Lettre 971. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 972. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Saint Vincent a écrit ces mots sur la lettre même des sœurs de la maison-mère, dont il donnait Communication à Louise de Marillac, alors à Bicêtre.

2) Évangile de saint Jean VI, 68

 

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l’on les trouvera ; nous n’avons point d’autorité de les arrêter ; elles sont libres ; laissez-les aller. Je m’en vas envoyer quelqu’un au coche de Sedan, qui ne part qu’à neuf heures. M. Gallais a n’est pas ici ; il y a dix jours, il est en Picardie. Elles n’iront pas toutes deux de ce côté-là. Il faudra donner avis au père de Perrette de ce qu’elle a fait et à Angers et à Nantes.

Je ne vois pas que vous ayez à dire quelque chose de nouveau à Jeanne Lepeintre (4), ains seulement quelques paroles de plainte de son mal (5), et d’encouragement, et aussi qu’elle fasse son possible de renvoyer C[atherine] Bagard. Et quand il en arriverait [quelque chose] (6) à la bonne heure ! Au nom de Dieu, ne [nous étonnons] de rien. Dieu fera tout pour le mieux.

 

973. — LAMBERT AUX COUTEAUX A SAINT VINCENT

A Nantes, ce 26 juillet 1647.

Monsieur,

Votre bénédiction s’il vous plaît !

Nous voici sur le point de partir de Nantes, après avoir fait les choses desquelles je m’en vais vous rendre compte. Je vous puis assurer que nos sœurs ont été beaucoup agitées ; et certes, si elles ont commis quelques petites fautes, les occasions où la Providence de Dieu les a mises ont été de grands sujets pour éprouver leurs esprits. La sœur servante s’était divisée d’avec le confesseur, et lui pareillement. Cela était ouvertement. Chacun avait son parti et au dedans et au dehors de la maison. C’est assez de vous dire cela pour

3) Guillaume Gallais avait été supérieur à Sedan, d’où était originaire la sœur Perrette ; peut-être même l’avait-il envoyée en communauté

4) Alors supérieure à Nantes.

5) Une fluxion. (Lettres de Louise de Marillac, p.323.)

6) Le mauvais état de l’original ne nous permet pas de donner comme certaine la lecture de ces mots et des mots "nous étonnons"

Lettre 973 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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vous faire connaître tout le reste, et surtout que tout ce qui s’est dit de part et d’autre n’a point été toujours selon la vérité mais bien selon la passion.

Nous avons envoyé trois de nos sœurs : deux à Paris, qui sont les sœurs Catherine Bagard et Antoinette Larcher, l’autre à Richelieu, qui est la sœur Isabelle (1). Nous leurs avons donné jusqu’à Saumur, pour les divertir, nos sœurs Claude et Brigitte et avons mis ordre que la sœur de Turgis se treuve à la fontaine à Saumur, laquelle y sera dimanche prochain au soir pour joindre nos deux sœurs Catherine et Antoinette. Les deux autres s’en reviendront. J’ai reçu la sœur Brigitte à faire vœu. I a été nécessaire de faire ce changement non seulement de nos deux sœurs, mais aussi de notre sœur Isabelle, laquelle est une excellente fille, mais aussi qui a, par imprudence, grandement contribué à tous les petits désordres qui sont arrivés. Il reste ici encore la sœur Henriette (2), laquelle a un engagement horrible avec le bon Monsieur l’aumônier, quoiqu’il soit très innocent et en sa suite et en sa source ; car pour Monsieur l’aumônier, il est très homme de bien, et elle fille très sage. Mais cependant cela trouble cette pauvre fille, dans l’ordre que je laisse, qu’elle se prive de toute communication avec ce bon Monsieur. Il faudra un peu voir comme cela pourra prendre, et en tout cas, si elle ne peut s’en abstenir, on la pourra rappeler, quoiqu’il soit très difficile de l’arracher d’ici. J’espère pourtant que tout s’accommodera et que la sœur Jeanne Lepeintre ménagera tout.

J’ai stipulé avec ces Messieurs les pères des pauvres qu’ils iront treuver Monsieur le grand vicaire pour lui demander ou proposer un confesseur du dehors. Je l’ai fait agréer à Monsieur l’aumônier et à mondit sieur le grand vicaire. Ils m’ont de plus promis de congédier le bon frère que Mademoiselle Le Gras ou vous avez envoyé.

Voilà, Monsieur, à peu près ce que nous avons fait et j’espère de la bonté de Dieu qu’il me pardonnera le mal que j’y ai apporté, et qu’il tirera sa gloire du reste. Au reste, Monsieur, je ne vous saurais dire combien toute la petite compagnie a d’obligation en particulier au bon Monsieur des Jonchères et en général à toute sa famille, soit pour l’affection qu’il porte à nos pauvres sœurs, soit pour la bonté qu’ils ont [eue] pour notre égard pendant que nous avons séjourné ici. Nous avons été logés chez la mère de Monsieur des Jonchères.

1) Elisabeth Martin.

2) Henriette Gesseaume.

 

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Lesquels en outre sont très signalés en piété et bonté.

Ces Messieurs les pères des pauvres sont aussi pleins de bonté à l’égard de nos sœurs ; et certes si Dieu nous faisait la grâce qu’elles pussent vivre en bonne intelligence, ce serait ici un petit établissement qui sanctifierait beaucoup les filles de la Charité ; car je crois que Dieu leur fera encore longtemps la grâce de souffrir pour le dehors. Je recommande, Monsieur, ce bien à vos prières et à celles de Mademoiselle Le Gras.

Si Dieu fait la grâce à nos pauvres sœurs d’aller jusqu’à Paris, oh ! certes, il les faudra bien recevoir, car elles n’ont point fait les maux dont on les a soupçonnées ; et si le tout avait été bien conduit, je crois que la faute ne serait point tombée sur elles.

Je n’écris point à Mademoiselle Le Gras, quoiqu’elle m’ait écrit j’espère que cette lettre servira, si vous le trouvez bon, pour elle.

Je m’en vais dire adieu à nos sœurs, et à vous, Monsieur, je vous demande la continuation de vos prières. J’espère que nous serons, dans le commencement du mois d’août, à Luçon et que de la nous irons à Saintes, où nous espérons recevoir de vos nouvelles. Encore un coup votre bénédiction ; c’est à votre très humble et très obéissant serviteur.

LAMBERT,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation de la Mission au collège des Bons-Enfants, proche la porte Saint-Victor, à Paris.

 

974. — JEAN BARREAU, CONSUL A ALGER, A SAINT VINCENT

En Alger, ce 27 juillet 1647.

Par la dernière que le bon Monsieur Nouelly vous a écrite, par la voie de Gênes et de Livourne, vous avez pu savoir comme, le 26 juin dernier, le bacha (1) nouvellement arrivé m’avait fait mettre en prison pour raison du cautionnement que j’ai été obligé de faire pour les Révérends Pères de la Merci.

Lettre 974. — Ms. de Lyon, f° 208 et suiv

1) On dirait aujourd’hui pacha. Les pachas étaient nommés pour trois ans.

 

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Celle-ci est pour vous le confirmer encore et vous donner avis que j’en suis sorti le 20 du présent, par la grâce de Notre-Seigneur, avec autant de ressentiment (2) que si j’avais fait les exercices ; à quoi n’a pas peu servi l’entretien que me donna alors ledit sieur Nouelly, qui était le traité de la conformité à la volonté de Dieu, lequel il ne m’a sans doute donné que par une inspiration toute particulière, pour me préparer à l’orage qui m’est arrivé du depuis et dont je ne suis pas encore échappé.

Or le moyen dont il a plu à Notre-Seigneur [user] pour me faire sortir est tel que, la maladie contagieuse s’étant augmentée et ayant d’autant plus allumé le désir de mondit sieur à secourir les pauvres chrétiens malades, tant pour l’administration des sacrements qu’autres secours temporels, il en fut enfin frappé le mercredi 19 du présent, sur les 9 à 10 heures du matin, qu’il revint à la maison, saisi d’une grande lassitude et tout trempé de sueur ; ce qui me fut rapporté à la prison, où je fus encore. A laquelle nouvelle je me résolus d’en sortir, à quel prix que ce fut, pour l’aller secourir. Enfin, moyennant 45 piastres qu’il me fallut donner à quelques personnes de crédit auprès du roi et à quelques-uns de ses officiers, il fut ordonné que j’en sortirais, ce qui fut à l’instant exécuté. Et de cette façon je me rendis à la maison le samedi 20, sur les 3 heures après midi, où je trouvai qu’il n’était pas si extravague qu’il avait été la nuit et le matin ; ce qui me consola grandement, parce que chacun me disait que, si je ne faisais diligence pour sortir, je ne le trouverais pas en vie, s’étant fait apporter le matin le sacré viatique et les saintes huiles.

Ma présence lui donna quelque espèce de consolation, et m’embrassa d’abord fort tendrement sens me dire mot, ne me connaissant presque plus néanmoins, quelque temps après, étant revenu à soi, il me dit qu’il croyait que c’était fait de lui et qu’il croyait que Notre-Seigneur en voulait disposer, qu’il n’avait aucun regret de mourir, sinon qu’il prévoyait que les pauvres chrétiens seraient abandonnés et sans secours. Après que je l’eus encouragé le mieux qu’il me fut possible je m’informai de lui-même quel était son mal, et les remèdes qu’on lui avait donnés la nuit et le jour précédents.

Je ne m’informai point de la cause, parce que les pleurs et les gémissements des chrétiens étaient des témoignages assez assurés que le soin qu’il apportait à les secourir, et particulièrement les plus abandonnés, comme étaient ceux qui

2). Ressentiment, sentiment.

 

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étaient touchés de la peste, en était la première cause après Dieu. Et certes, je ferais une signalée injure à sa mémoire si je ne publiais ainsi qu’est la vérité. A quoi n’a pas peu contribue le peu de soin qu’il avait de sa personne, ne se donnant pas le loisir, le matin, avant que de porter le Saint Sacrement aux malades, de prendre un petit doigt de vin, ou autre chose, tant était grand le désir qu’il avait de secourir ses enfants. Et peu de temps avant sa maladie, étant à dîner avec moi dans ma prison, ainsi que c’était sa coutume, m’informant de lui quelle précaution il apportait pour se garantir du mal, qui était si violent que les malades ne duraient pas deux fois vingt-quatre heures, il me répondit qu’il n’en avait point d’autre que celui de la confiance en Dieu. Et comme je lui eus répliqué qu’à la vérité c’était un excellent remède, que toutefois Dieu ne nous défendait pas, avec celui-là, de prendre un petit doigt de vin avant que de sortir, il me répartit que, voyant qu’aussitôt qu’il avait achevé la messe, chacun sortait de la chapelle, il lui semblerait commettre une grande irrévérence s’il le laissait seul ; à quoi nous pouvons ajouter l’appréhension qu’il avait que ce mal ne pressât trop les malades et qu’il n’arrivât trop tard à leur secours. Et quoique je lui représentasse qu’il était ici extrêmement nécessaire et que, s’il ne voulait se conserver pour soi-même, il se conservât au moins pour les autres et pour moi, qui en avais si grand besoin dans l’état où j’étais, jusque-là même que j’eus la témérité de lui dire que c’est tenter Dieu que de se hasarder de la sorte, mais ce fut en vain, parce que le respect qu’il portait au Saint Sacrement et l’amour qu’il avait pour les pauvres était incomparablement plus grand que l’amour qu’il avait pour lui-même. Et tout ce que ses amis lui conseillaient n’était pas capable de diminuer l’un, ni altérer l’autre.

Ce qu’il fit encore paraître avant que de mourir. Le seigneur Ortensio Gaulteri, qui tient ici la place de vicaire général de l’évêque de Carthage, lui dit que, si Dieu lui faisait la grâce de revenir en santé, il lui défendrait, même sous peine d’excommunication, d’avoir tant de fréquentation avec les malades, mais bien de s’informer d’eux et de les assister par un tiers. Il lui répondit avec un grand soupir que cela ne pouvait être, tant était grand en lui le zèle du salut des âmes, dont voyez encore une preuve.

Environ huit jours avant sa maladie, étant venu dîner avec le Père Sébastien, religieux de Notre-Dame de la Merci (3),

3) Le R. P. Sébastien Brugière était venu à Alger en mars 1644, avec les Pères François Faure et François Faisan, ses confrères,

 

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pour lequel j’étais prisonnier, comme nous lavions nos mains, il survint un pauvre Provençal implorer son secours pour un nommé Pierre Boquit, esclave depuis 25 ans et qui aidait à porter les morts en terre, et le pria de le venir confesser. Soudain, quittant la serviette, il le suivit, préférant le bien de l’âme de ce pauvre chrétien à son propre besoin et nécessité.

Je ne vous rapporte pas cet exemple comme le seul, mais comme ordinaire et quotidien. Combien de fois l’avons-nous vu, tout trempé de sueur après avoir été en course toute la matinée, chercher quelque prise, ainsi appelait-il cet exercice, pensant se donner une petite demi-heure de repos, qu’aussitôt il rentrait dans la maison d’un autre chrétien, qui demandait secours pour un autre, et y volait à même temps, sans aucune remise. Je vous puis assurer que ce n’était pas en vain qu’il donnait à cet exercice le nom de course, parce qu’il y allait avec autant d’ardeur, et plus encore, que ne font les corsaires d’Alger pour attraper quelque vaisseau marchand. Et comme ils n’ont exception de personne et qu’ils prennent tout ce qui s’y trouve indifféremment, ainsi le faisait notre bon corsaire, car il n’y avait espagnol, italien et autre nation qu’il ne tâchât de gagner à Notre-Seigneur et mettre en bon état.

Sa maladie commença avec une grande douleur d’estomac et de reins, avec une grande lassitude jusqu’aux extrémités, qui lui causèrent une fièvre si violente que chacun croyait qu’il ne passerait pas le jour. Ensuite il eut quelques vomissements, qui donnèrent aussitôt à connaître la qualité de sa maladie.

pour s’occuper de la rédemption des captifs. Les sommes qu’il avait en mains lui permirent de payer la rançon de deux cents esclaves. Quatre-vingt-seize autres chrétiens furent délivrés, moyennant promesse de 8 990 piastres et l’échange de vingt-deux Turcs. Retenu en otage à Alger, tandis que ses confrères retournaient en France pour s’y procurer les sommes promises, qu’ils ne trouvèrent pas, il dut recourir à des emprunts onéreux, au taux de 50 p. 100, afin de contenter les plus exigeants de ses créanciers. Ses dettes s’accumulèrent. En mai 1645, un renégat français, qui lui réclamait vainement cinquante piastres sur le prix d’un esclave, se précipita sur lui, un couteau à la main, prêt à le tuer. Le Père Sébastien s’enfuit et tomba si malheureusement qu’il se rompit deux côtes et s’écrasa la rate. Les plaintes affluant à la douane de la ville, il fut saisi, condamné, jeté dans une affreuse prison, où il resta deux mois ; puis, comme sa santé donnait des inquiétudes, il reçut l’autorisation d’aller habiter la maison du consul français, à condition de n’en pas sortir. C’est là qu’il se trouvait ! le 25 novembre 1645, quand il fit devant François Constans, chancelier du consul d’Alger, la déclaration dont la Revue africaine a publié le procès-verbal dans son tome XXXV, sous ce titre Certificat des souffrances du Père Sébastien.

 

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Cette fièvre qui dura jusques au dimanche au soir, avec de grandes inquiétudes et rêveries et quelques sueurs extraordinaires, qu’il eut tout le dimanche, qui lui diminuèrent la fièvre. Sur le soir, il revint en son bon sens, en telle sorte que nous le croyions hors du danger de mort. Je le veillai la nuit et comme je fus seul avec lui, j’eus le bonheur de jouir, l’espace de deux ou trois heures, de sa conversation, pendant laquelle il me donna quelques avis pour me gouverner dans ce pays, dans le temps que je serai seul. Là il me fit voir la consolation que reçoit une âme qui meurt dans les fonctions de sa vocation. Il me témoigna une très grande constance à recevoir la mort, à laquelle il s’était attendu dès lors que nous nous embarquâmes à Marseille pour venir en cette ville, et ainsi qu’il me le dit plusieurs fois, d’être brûlé et empalé, avec une parfaite résignation à la volonté de Dieu, mais avec une tendresse si grande que je souhaitais être en sa place.

Enfin, le lundi au matin, la fièvre lui redoubla ; et vous remarquerez que cette journée fut si fâcheuse, à l’occasion d’une petite pluie, qui dura un quart d’heure, après un an de sécheresse, que l’on dit qu’il mourut 8250 personnes. Au commencement donc du mauvais temps, qui commença environ sur les deux heures après midi, il retourna à l’agonie, avec des grands efforts et violences. Il se tenait assis sur son lit et, le crucifix à la main, il se figurait être en chaire pour prêcher. En cet état, il prononçait quelques paroles que nous ne pouvions entendre. De temps en temps je lui faisais baiser le crucifix et dire Sancta Maria, etc., ou Maria mater, etc., mais je ne puis vous exprimer avec quelle ardeur et affection il les exprimait du mieux qu’il savait. Après avoir demeuré en ces efforts environ une heure, les forces lui manquèrent ; sa chaleur le quitta peu après, et après un demi-quart d’heure de tranquillité il expira, ou plutôt s’endormit tant il passa doucement. Voilà à peu près le progrès de sa maladie.

Aussitôt qu’il fut expiré le bruit de sa mort s’épandit si fort par la ville qu’en même temps toute la maison fut remplie de chrétiens tant français, italiens, espagnols, que d’autres nations, qui témoignaient par leurs larmes que la perte qu’ils faisaient leur était bien sensible et, après quelque prière qu’on leur fit de se retirer, à cause du mauvais air, il n’y eut aucun moyen. Enfin nous le portâmes en terre dans un lieu qu’on appelle Bab-Azoun (4), sur le rivage de la mer, où il fut mis auprès du défunt Père Lucien (5). Là assistaient sept à

4) Porte du ruisseau. C’est là qu’était le cimetière des chrétiens.

5) Dans son premier voyage à Alger, en janvier 1643, le Père

 

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huit cents chrétiens de diverses nations, tous les larmes aux yeux, comme aussi plusieurs Turcs, desquels il était encore fort regretté, à cause du secours qu’il donnait à leurs esclaves dans leurs maux, ce qui ne me donnait pas peu de consolation, dans l’état où j’étais. Et certes, ils auraient été bien ingrats s’ils ne lavaient fait. Il s’était acquis du crédit parmi eux par les grâces particulières que Dieu lui avait données pour toucher le cœur de ces barbares à être portés de compassion envers leurs esclaves.

Il entrait aussi librement dans leur maison comme il aurait fait dans la notre ; et la bénédiction que Dieu donnait à ses travaux par la convalescence de quelques-uns, le faisait passer pour médecin ; et sous ce manteau il allait librement visiter, consoler et assister les pauvres chrétiens, pour cachés qu’ils fussent, et leur administrait les sacrements en présence de leurs patrons, à qui il donnait à entendre que c’étaient des remèdes ; en quoi il ne les trompait aucunement, puisqu’ils opèrent plus efficacement que ceux du corps.

Après lui avoir donné les derniers devoirs, nous pensâmes à conserver le reste et à apporter le soin et la diligence qui fût possible. Le R. P. Sébastien Brugière, religieux de Notre-Dame de la Merci, me conseilla de faire des parfums de brûler beaucoup de bois de senteur dans la maison et particulièrement dans la chambre où il était mort.

Le lendemain de sa mort, je me trouvai saisi d’une grande défaillance de cœur, avec des sueurs extraordinaires sans aucun repos ; et l’imagination, qui était encore plus blessée, me figurait déjà que j’étais mort, et, dans cette pensée, je commençai à disposer de toute chose comme si je devais mourir le jour même. Cela fait, je commençai à me détacher de toutes les choses de la terre et me remettre entre les mains de notre bon Dieu. C’est la où je me ressouvins de ce que l’avais lu, dans la prison, du traité de la conformité à la volonté de Dieu. Et quelquefois, faisant réflexion à l’inspiration qu’avait eue feu M. Nouelly de me donner ce traité, je me figurai que c’était un effet de sa divine et singulière prudence, par laquelle il me voulait disposer à recevoir la mort avec patience, quoique destitué de mon principal secours, éloigné de mes plus

Lucien Hérault trinitaire, avait racheté quarante-huit esclaves. De retour dans cette ville en 1645, il fit de nouveaux rachats et se donna comme caution. Comme l’argent promis tardait à venir, il fut mis en prison. Il succomba bientôt après, le 28 janvier 1646. Son corps fut inhumé hors la ville, au cimetière des chrétiens, qui était près de la porte de Bab-el-Oued. (Dan, Histoire de la Barbarie et de ses corsaires, p.136.)

 

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proches ou intimes amis, sans aucune consolation, dans un pays où j’ai été si vivement persécuté. Néanmoins je ressentais en moi-même que toutes ces considérations me donnaient davantage de courage, me croyant d’autant plus conforme a sa volonté, qui l’ordonnait ainsi. Il y a toutefois apparence, depuis un jour, qu’il me veut garder pour une autre occasion.

Le lendemain de sa mort, il fut chanté un service solennel dans le bain (6) du roi, où se trouva quantité de monde, autant que le lieu et le temps le pouvaient permettre Là il fut prononcé une oraison funèbre par le R. P. Pierre, religieux de Notre-Dame-des-Carmes, qui traita fort amplement de la cause de sa maladie ; et puis étant tombé sur le psaume Beatus qui intelligit super egenum et pauperem, il exagéra *tant le secours qu’il avait porté tant aux ecclésiastiques qu’aux séculiers, qu’il le fit passer pour un saint. Deux jours après, il en fut chanté un autre dans le bain de Cheleby (7), où fut aussi prononcé une oraison funèbre par le R. P. Ange, religieux de Saint-François, qui prit pour son sujet le deuil que fit autrefois saint Jérôme sur la mort de sainte Paule et sur ce qu’il est rapporté in morte ejus omnes defecisse virtutes. Il s’est fort étendu sur sa charité envers les pauvres chrétiens ; sa douceur et affabilité, n’étant jamais parti aucun chrétien d’avec lui qu’il n’ait été satisfait ; sa modestie, par laquelle il gagnait les cœurs d’un chacun ; ainsi des autres.

Entre les personnes qui l’ont charitablement et cordialement secouru, je ne puis vous cacher le zèle du R. P. Sébastien et celui du R. P. Corse, directeur dudit défunt, qui l’ont assisté jusqu’au dernier soupir et ne l’ont jamais abandonné, quelque danger qu’il y ait eu. Je serais ingrat envers le nommé Gabriel Mirsane, chirurgien de La Flèche, en Anjou, pour le rachat duquel Madame la duchesse d’Aiguillon m’a donné ordre jusqu’à la somme de 500 livres, le soin et la diligence duquel ne se peuvent dire, ni l’assiduité avec laquelle il l’a gardé ayant toujours couché dans la maison pour être plus prompt à son secours.

C’est dans cette occasion où j’ai éprouvé la fidélité des nommés René Duchesne, pauvre gentilhomme du Poitou (8), qui vogue depuis douze ans à la galère et demeure dans la maison depuis un an à nous servir d’écrivain, et de Jean Benoît, qui

6) Bain, bagne.

7) Patron du bagne.

8) René Duchesne, né à Saint-Juire-Champgillon (Vendée) en août 1607. Il entra dans la congrégation de la Mission le 16 février 1654, comme frère coadjuteur et fit les vœux ; le 1er novembre 1658.

 

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nous sert de cuisinier depuis le même temps. A l’envi l’un de l’autre, c’était à qui témoignerait plus d’affection. Il a aussi été secouru par trois autres chrétiens nommés Jean Petit, de Boulogne, Lépine, de Picardie, et Guillaume Mobavec, de l’évêché de Coutances, lesquels nous ont secourus et continuent encore leurs services.

Voilà à peu près le succès de ce qui est arrivé en Alger en la personne de feu M. Nouelly ; je dis à peu près, parce que j’aurais trop à faire si je voulais spécifier les services qu’il a rendus aux pauvres nécessiteux et malades. Ils étaient trop considérables devant Dieu pour en différer la récompense.

Pour moi, je rends grâces à Dieu de ce qu’il m’a encore donné le temps de faire pénitence. Ceci soit à la plus grande gloire de Dieu, comme je le pense et que la vérité est telle que j’ai l’honneur de me dire, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

BARREAU.

 

975. — JULIEN GUERIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Nous avons ici un petit garçon de Marseille, âgé de treize ans, lequel, depuis qu’il a été pris et vendu par les corsaires a reçu plus de mille coups de bâton pour la foi de Jésus-Christ qu’on voulait lui faire renier par force. On lui a, pour ce même sujet, déchiré la chair d’un bras, comme on ferait une carbonnade pour la mettre dessus le gril ; après quoi, ayant été condamné à quatre cents coups de bâton, c’est-à-dire à mourir ou à se faire turc, j’allai promptement trouver son patron ; je me jetai trois ou quatre fois à genoux devant lui les mains jointes, pour le lui demander. Il me le donna pour deux cents piastres ; et, n’en ayant point, j’empruntai cent écus à intérêt, et un marchand donna le reste.

Lettre 975 — Abelly, op cit, 1 II, chap I, sect VII § 12, p 140

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis

 

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976 A ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS

30 juillet 1647.

Monseigneur,

Voici vos bons religieux de Chancelade qui s’en retournent avec leur arrêt. Ils ont fait des merveilles en la sollicitation de cet affaire et donné grande édification à tous ceux avec lesquels ils ont traité. Il y a une clause dans l’arrêt qui vous donne beau jour pour obtenir l’érection de votre congrégation. Le Conseil ordonne que les religieux de Chancelade, Sablonceaux (1) et Saint-Girard (2) vivront sous la direction du supérieur ou l’abbé dudit Chancelade, qui est, à proprement parler, l’érection d’une congrégation entre ces trois maisons. Et pource que le magistrat temporel ne peut donner la juridiction spirituelle requise à un supérieur de plusieurs maisons, et qu’il faut qu’elle soit donnée par le Pape, en qui réside ce droit, les religieux desdites maisons doivent retourner à Sa Sainteté, pour lui demander, en faveur de l’abbé de Chancelade, l’autorité de diriger spirituellement les trois maisons susdites. Et pource que ledit sieur abbé de Chancelade, évêque de Cahors, a fondé une maison dans le diocèse dudit Cahors, pour vivre sous la direction du supérieur ou abbé de Chancelade (3) et qu’il y a plusieurs autres maisons du même Ordre qui

Lettre 976. — Reg. I, f° 2, copie prise sur la minute, qui était de la main du saint.

1) Petite localité de la Charente-Inférieure. Alain de Solminihac y avait envoyé deux de ses religieux, à la demande de M de Sourdis, archevêque de Bordeaux, abbé commendataire de l’abbaye.

2) A Limoges.

3) L’évêque de Cahors venait d’appeler dans cette ville, le mois précédent, douze chanoines réguliers de la réforme de Chancelade. Trois d’entre eux, parmi lesquels leur supérieur, qui était le R. P. Garat, étaient hospitalisés à l’évêché ; cinq ou six logeaient dans une maison de louage, au faubourg de la Barre ; les autres devaient

 

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demandent à vivre sous la direction dudit supérieur de Chancelade, l’on supplie Sa Sainteté d’ériger en congrégation l’union desdites 3 maisons faite par le Conseil du roi, pour vivre sous la direction dudit supérieur de Chancelade, et d’attribuer à ladite congrégation les droits et privilèges attribués aux autres congrégations religieuses, avec pouvoir de recevoir en ladite congrégation les maisons non réformées, ni d’autre congrégation, de l’Ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin, qui demanderont être unis à icelle, conformément à ce que [dit] le saint concile de Trente, qui ordonne que les maisons religieuses qui ne sont d’aucune congrégation, seront tenues de s’unir en corps de congrégation.

Voilà, Monseigneur, mes petites pensées sur le sujet de cet affaire. Et pource que la présence d’un homme presse le succès d’un affaire et le fait réussir plus tôt et plus assurément, je pense que la chose mérite que vous y envoyiez quelqu’un qui ne paraisse pas là avec l’habit, en sorte que la chose soit plus tôt faite que les explorateurs qu’on tient de delà n’en soient avertis.

L’on dit que Mgr l’évêque du Puy (4) doit aller à Rome pour la béatification du bienheureux évêque de Genève, à cet automne ou au printemps ; si cela est, je le prierai de travailler à cela.

Voilà, Monseigneur, ce que je vous puis offrir, et mon pauvre cœur, que je plie en cette lettre, avec laquelle je le vous envoie, qui suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l. M.

aller en mission toute l’année, sauf à l’époque des moissons. Quelques années après, ils s’établirent aux Cadurques, dans un bâtiment que l’évêque de Cahors avait fait bâtir pour eux.

4). Henri de Maupas du Tour (1641-1661).

 

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977. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION,

[1647] (1)

Nous n’avons rien de nouveau, sinon la mort de Monsieur Aulent, qui était supérieur de notre maison de Toul, où il a fini ses jours avec des marques presque infaillibles de son bonheur éternel. Aussi a-t-il vécu en véritable serviteur de Dieu et aussi saintement qu’un véritable missionnaire puisse faire. Je n’en puis dire le détail ; mais vous pouvez vous le représenter en vous imaginant un homme en qui on ne peut remarquer des défauts et qui est dans la pratique de toutes les vertus. Cela se peut dire de lui sans exagération, et je vous le dis avec grand sentiment de douleur de la perte que la compagnie a faite en lui. Dieu nous fasse la grâce de l’imiter, et à moi celle d’obtenir miséricorde par ses prières et par les vôtres !

 

978. — JULIEN GUÉRIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, entre 1645 et mai 1648] (1)

Je ne puis m’empêcher de vous faire savoir ce qu’un Turc me dit ces jours passés, pour la confusion des mauvais chrétiens. Je m’efforçais de réconcilier deux chrétiens qui se voulaient mal l’un à l’autre ; et comme il voyait que j’avais de la peine à les accorder, il me dit devant eux en sa langue. "Mon Père, entre nous autres Turcs il ne nous est pas permis de demeurer trois jours mal avec notre prochain, encore bien

Lettre 977 — Ms. de Lyon.

1) Année de la mort de M. Aulent.

Lettre 978. — Abelly, op cit, 1. II, chap. I, sect. VII, § 8 1er éd. p 124

1) Durée du séjour de Julien Guérin à Tunis.

 

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qu’il eût tué quelqu’un de nos plus proches parents." Et en effet, j’ai plusieurs fois remarqué cette pratique parmi eux, les voyant s’embrasser incontinent après qu’ils s’étaient battus. Je ne sais pas si l’intérieur répondait à l’extérieur ; mais il n’y a point de doute que ces infidèles condamneront, au jour du jugement, les chrétiens lesquels ne veulent point se réconcilier ni intérieurement, ni extérieurement ; et en retenant leur haine au dedans de leurs cœurs contre leur prochain, la témoignent encore au dehors avec scandale et mémé se glorifient de la vengeance qu’ils ont prise ou qu’ils désirent prendre de leurs ennemis. Et cependant ces gens, que nous estimons des barbares, tiennent à grande honte de retenir dans leurs cœurs aucune haine et de ne vouloir pas se réconcilier avec ceux qui leur ont fait du mal.

 

979. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Bicêtre, août 1647] (1)

Monsieur,

Je m’excusai hier à Monsieur Le Roy de vous faire un message de sa part, et pense vous devoir dire néanmoins tout ce qu’il m’avait dit et que je lui avais réparti ; ce qu’il me serait bien difficile de vous mander. Mais le principal est qu’il fait état que c’est lui qui est le directeur et administrateur de l’hôpital des enfants ; et comme tel, il prétend y aller faire l’instruction quand bon lui semblerait, y mettre un prêtre et en avoir tout le soin spirituel ; que l’on lui ferait plaisir de lui treuver un prêtre et lui présenter [pour] qu’il l’approuve ; et que de cela il était plus jaloux que d’un évêché ou cardinalat ; que si l’on lui déniait, qu’il irait faire ses plaintes à Monsieur le procureur général (2) et se démettrait de l’administration que l’on lui avait donnée.

Je fis l’étonnée de ce qu’il n’avait point parlé de cela plus tôt, lui disant que ces dames (3) avaient toujours eu égal souci jusques à présent du spirituel comme du temporel, comme il parait par les baptêmes, confessions à Pâques et instructions pour la première communion, de leur faire dire la sainte messe, tant pour les enfants que pour les nourrices, et que

Lettre 979. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau

2) Blaise Méliand (1641-1650).

3) Les dames de la Charité.

 

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je croyais que Messieurs du chapitre s’étaient entièrement déchargés de toute la conduite de cette œuvre sur le soin de ces dames, à la réserve des douze cents livres dont elles leur rendaient compte ; et que, depuis plus de cinquante ans que Messieurs du chapitre avaient ce soin, qu’il ne paraissait point autre administration que celle de ladite somme ; que néanmoins je parlais sans avoir entendu parler de tout cela aux dames, que je voyais très peu ; et seulement ce que je lui en disais était dans le sens commun. Il se plaignit de n’avoir été averti de Bicêtre. Je lui représentai que je croyais que les dames n ; en eurent pas seulement la pensée de le devoir faire, et que cela fut extrêmement précipité. Il me dit quantité d’autres choses, et moi à lui, que je ne puis mander ; il ne manqua pas de m’alléguer la réponse de ma sœur Geneviève (4) à ces Messieurs sur leur demande, et lui fis entendre comme quoi elle le disait.

Si quelque bonne personne pouvait obtenir de la reine cette place pour un établissement de la Mission, l’on empêcherait beaucoup de contradictions, et ferait-on un grand bien.

J’oubliais à vous dire que, sur mon refus de vous parler, Monsieur Le Roy se résolut d’aller trouver ces dames et leur parler fortement.

S’il plaît à votre charité prendre la peine de voir la lettre de Mme de Romilly, je l’enverrai, si vous le treuvez bon. Bénissez-nous, s’il vous plaît, et me croyez, Monsieur, votre très obéissante servante et très obligée fille.

L. DE MARILLAC.

Me venant en l’esprit la grande nécessité, je lui dis que je crois que bientôt les dames seraient contraintes de remettre tout l’œuvre à qui le pourrait faire. Nous fûmes toujours bons amis, car je lui parlai comme neutre.

Je pense qu’il serait nécessaire de penser au vin au plus tôt.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

980. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

A Toulouse, ce 20 août 1647.

Monsieur,

J’ai reçu celle que vous avez pris la peine de m’écrire du

4) Geneviève Poisson.

Lettre 980. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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4 courant. Il n’y a rien à dire aux commissaires que vous avez nommés pour l’affaire de mes religieux.

Depuis que Monsieur l’abbé d’Estrades a été nommé à l’évêché de Périgueux, je n’ai cessé de l’exhorter, prier et presser d’apporter toute la diligence qui lui serait possible pour avoir promptement les bulles et s’en aller dans son diocèse. Enfin, voyant par ses lettres qu’il se laissait conduire par le mouvement de son frère, qui était de les obtenir gratis et de n’en presser l’expédition qu’autant qu’il l’espérait obtenir par cette voie, je lui écrivis en ces termes, il peut y avoir deux mois, que je le priais de proposer cette vérité à M. son frère, de laquelle il ne devait pas douter, que, depuis le temps qu’il demande le gratis pour les bulles, il y a plusieurs âmes de ce diocèse qui sont damnées, qui ne le seraient pas s’il y eut été, que jusques au temps qu’il obtiendra ses bulles gratis plusieurs se damneront, qui se sauveraient s’il était dans son diocèse ; s’il en veut répondre à Dieu, que je ne le croyais pas ; et quand M. son frère en voudrait répondre, s’il en serait déchargé devant Dieu ; que je lui écrivais cela avec un ressentiment sensible, etc. Cinq semaines ou environ après, il m’écrivit qu’il était résolu de pourvoir au diocèse de Périgueux d’une fa, con ou d’autre et qu’il en traite avec Monseigneur de Condom (1) pour avoir sa démission. Et peu de jours après, il m’écrivit que ledit traité était conclu, qu’il baillait son abbaye au neveu de mondit seigneur de Condom, lequel lui baillerait la démission de sondit évêché, avec la réserve de douze mille livres de pension, et me priait de vous en écrire pour vous prier de faire accepter ladite démission ; ce que je fais, puisqu’il le désire, quoique je croie qu’il n’en soit besoin, sachant assez l’affection avec laquelle vous souhaitez que ce désolé diocèse de Périgueux soit promptement rempli d’une personne qui ait les qualités requises pour le régir. L’on craint que M. le neveu de Monseigneur de Condom y aspire ; de quoi on a désiré que je vous donnasse avis, afin que, si cela est, vous vous y opposiez autant qu’il vous sera possible. C’est celui qui avait traité avec Monseigneur l’évêque d’Agde (2) pour l’évêché de Bayonne, duquel vous le jugeâtes indigne pour une action qu’il fit sortant de faire les exercices de chez vous, indigne de sa profession.

On a rapporté à Monseigneur l’évêque de Valence (3) que vous vous étiez employé pour lui dans le Conseil de conscience,

1) Antoine de Cous, mort le 15 février 1648.

2) François Fouquet, transféré de Bayonne à Agde en 1643.

3) Charles-Jacques de Gelas de Leberon

 

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de quoi il se sent fort votre obligé. Il vous prie, et moi avec lui, de continuer à lui rendre vos bons offices dans le Conseil près son Éminence (4) afin qu’elle lui donne moyen d’aller faire avec liberté ses fonctions dans son diocèse. Il est bien facile de trouver de bons gouverneurs de villes, mais très difficile de trouver de bons évêques, zélés pour le salut des âmes comme lui. Et puisque ce gouverneur ne peut se contenir de commettre des violences contre lui ou ses officiers, il est bien juste et plus raisonnable qu’on baille quelqu’autre emploi à ce gouverneur que non pas d’obliger mondit seigneur de Valence à quitter son diocèse.

Il y a deux mois que je suis ici à poursuivre ce grand affaire duquel je vous ai parlé, contre Monseigneur le comte de Rastignac, mon hommager (5), sans avoir pu avoir arrêt ; et possible ne l’aurai de ce parlement, tant il y a de chicanes dans la justice Que je l’aie ou non, je me retirerai dans peu de jours dans mon diocèse. Ce qu’attendant, je suis, Monsieur, etc.

ALAIN DE SOLMINIHAC,

év. de Cahors.

 

981. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Bicêtre, 22 août 1647] (1)

Monsieur,

Je pense, si votre charité le treuve bon, qu’il est à propos que je ne m’en retourne point que je ne laisse ici une maîtresse d’école en train d’apprendre à coudre et à lire les enfants, au cas que rien ne me presse d’aller à la maison ; et pour cela, Monsieur, j’ai une très humble supplication à faire à votre charité, pour l’amour de Dieu, qui est de prendre la peine de visiter nos cinq sœurs que j’ai laissées en retraite, sans les avoir beaucoup servies, et je leur avais fait espérer de retourner ce soir ou demain du matin. Il y en a une de St-Germain-en-Laye, une de Nanteuil (2), une du village d’Issy et celle que je crois qu’il nous faudra renvoyer à St-Denis, ne pensant pas qu’elle nous soit propre. Les autres sont extrêmement pressées

4) Le cardinal Mazarin

5) Jean-François Chapt, marquis de Rastignac, maréchal des camps et armées du roi

Lettre 981. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Le frère Ducournau a ajouté au dos de la lettre : août 1647. Le post-scriptum permet de préciser le jour.

2) Nanteuil-le-Haudoin.

 

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de s’en retourner, et il faudrait, au plus tard, que ce fût samedi prochain. La cinquième est celle que je destine pour une des maîtresses de nos petits enfants.

J’ai pensé, Monsieur, qu’il serait bien nécessaire que votre charité nous donnât promptement un ecclésiastique, pour deux raisons : l’une, pour qu’il instruise les garçons ; et l’autre est, Monsieur, qu’il. me semble que le premier qui sera en possession d’y pourvoir y demeurera.

Il nous est mort, ce matin, un enfant. J’ai pris la liberté de faire prier le bon prêtre qui le viendra enterrer, que, si ce n’est sa commodité de venir l’enterrer sur le soir, qu’il nous fasse la charité de nous venir demain dire la sainte messe par même moyen.

Si vous jugiez nécessaire que nos sœurs vous allassent treuver pour vous parler chez vous, plutôt que de ne leur point parler, je supplie très humblement prendre la peine le mander. Ce serait néanmoins une grande consolation à toute la famille que ce fût au logis.

Si votre charité est d’avis que nos sœurs aillent parler à Monsieur le procureur général (3) pour lui ramentevoir (4) les nécessités qu’elle lui a représentées, je crois qu’il faudrait que ce fut ma sœur Geneviève (5), les autres ne font pas si bien. Il serait nécessaire de lui représenter qu’il, faut faire la provision d e bois entièrement.

Nos dames n’ont point pensé de disposer un lieu pour l’école. Nous en avons vu un qui serait bien propre en bas, pour les garçons, qu’il faut séparer des filles ; il n’y parait avoir à faire que la porte et fermer les fenêtres ; et celle des filles, l’on la fera en haut. Je voudrais bien que nous eussions de ces écriteaux alphabétiques ; nous les mettrons contre les murailles ; c’est la méthode des Ursulines de quelque lieu. Je ne dis pas pour l’écriture, car je ne pense pas qu’il soit expédient que les filles apprennent à écrire.

Il est vrai, mon très honoré Père, qu’il y a sujet d’espérer beaucoup de bien de cette œuvre, s’il plaît à notre bon Dieu y continuer ses saintes bénédictions. Je vous demande de tout mon cœur, pour son saint amour, la vôtre, pour l’accomplissement en moi de sa sainte volonté en ce sujet, et suis, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante

LOUISE DE MARILLAC.

J’ai oublié de vous demander permission de faire maigre

3) Blaise Méliand.

4) Ramentevoir, rappeler.

5) Geneviève Poisson.

 

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demain, qui est vendredi, et jeûne, à cause que je pense le pouvoir. Je le ferai, si votre charité ne me le défend.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

982. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Mon cœur, encore tout plein de joie de l’intelligence qu’il me semble que notre bon Dieu lui a donnée de ces mots Dieu est mon Dieu, et du sentiment que j’ai eu de la gloire que tous les bienheureux lui rendent en suite de cette vérité, ne peut s’empêcher de vous parler ce soir et de vous supplier à m’aider à faire usage de ces excès de joie, et de m’enseigner quelque pratique pour demain, jour du saint que j’ai l’honneur de porter le nom (1), jour de la rénovation de mes vœux (2), souhaitant, et pour l’un et pour l’autre, entendre de vous la sainte messe, s’il plaît à votre charité me mander l’heure, comme je l’en supplie très humblement, dans l’espérance, mon très honoré Père, que vous savez que tout ce que je suis est entre vos mains, pour être donné à ce bon Dieu, de qui l’amour m’a, par sa grande miséricorde, fait être votre très humble et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Ce soir saint Barthélémy 3.

Lettre 982. — L. a. — Original au séminaire de Saint-Sulpice à Paris.

1) Saint Louis, roi de France, dont la fête est le 25 août.

2) Le 4 mai 1623, Louise de Marillac avait fait vœu de rester dans l’état de viduité, si elle survivait à son mari. (Cf. Pensées de Louise de Marillac, p. 6) Ce vœu, elle le renouvelait tous les ans à pareil jour (cf. Gobillon, op. cit, p. 27), le premier samedi de chaque mois (cf. Pensées, p. 4) et aux principaux anniversaires. Elle y avait ajouté plus tard celui de se consacrer au service des pauvres.

3) 24 août.

 

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983. — A LOUISE DE MARILLAC

[25 août] (1)

Béni soit Dieu, Mademoiselle, des caresses dont sa divine Majesté vous honore ! Il faut les recevoir avec respect et dévotion, et en la vue de quelque croix qu’il vous va préparant. Sa bonté a accoutumé de prévenir les âmes qu’il aime, de la sorte, quand il désire les crucifier. Oh ! quel bonheur d’avoir une providence si paternelle de Dieu sur soi, et que cela vous doit augmenter la foi, la confiance en Dieu et à l’aimer plus que jamais ! Faites-le donc, Mademoiselle. L’action que vous devez faire aujourd’hui vous en dira beaucoup. Je participerai à votre consolation, comme je me propose de le faire à votre croix par le saint sacrifice que j’espère lui présenter aujourd’hui, entre huit et neuf.

Bon jour, Mademoiselle.

V. s. V. D.

 

984. — A JEAN FRANÇOIS DE GONDI, ARCHEVÊQUE DE PARIS

3 septembre 1647.

Monseigneur,

Voici un renouvellement que je vous fais du vœu de mon obéissance, avec toute l’humilité et l’affection que je le puis. Je vous supplie très humblement, Monseigneur,

Lettre 983. — L. a. — Original au séminaire de Saint-Sulpice, à Paris.

1) Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle elle est écrite.

Lettre 984 — Reg. 1, f° 63 v°, copie prise sur l’original, qui était de la main du saint.

 

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de l’avoir agréable, comme aussi la très humble prière que M. Ribier, présent porteur, vous va faire touchant l’union de son prieuré de *Bruyères-le-Château (1) Il y a trois raisons, Monseigneur, qui semblent demander cela à votre bonté, outre celle de ce que nous sommes vos pauvres petites créatures, dont la première est le long temps qu’il y a que mondit le prieur a cette volonté, car il y a 6 ou 7 ans, outre que M. son feu père lui donna ce conseil en mourant ; la seconde est notre besoin, à cause de la surcharge de nos emplois : d’un séminaire de 40 prêtres externes que nous avons aux Bons-Enfants, qui ne paient qu’environ le tiers de ce qu’ils dépensent, sept sols par jour ; celle des ordinands, qui s’en va redoubler par la réception de tous ceux qui prendront les ordres mineurs de votre diocèse, que vous, Monseigneur, avez trouvé bon que nous prenions ; et la troisième est, Monseigneur, que ce bénéfice est à la collation de l’abbé de Saint-Florent-lez-Saumur (2), et non de vous, Monseigneur ; de sorte que vous n’ôtez pas aucune chose des droits de votre dignité. Ajoutez à cela, Monseigneur, que ce nous sera une station pour ceux de la compagnie qui iront faire la mission en ces quartiers-là. Votre bonté, Monseigneur, nous a donné l’être en nous établissant à Saint-Lazare ; et nous faisant la charité dont il s’agit, elle nous donnera le moyen de mieux être et de plus travailler pour son service.

J’avoue, Monseigneur, que je suis indigne que vous ayez aucun égard à ma prière pour cela ; mais la bonté paternelle que N.-S. vous a donnée pour votre Mission et pour le bien des âmes de votre diocèse suppléera à mon indignité, qui suis, en l’amour de N.-S., Monseigneur, votre…

1) Localité de Seine-et-Oise, arrondissement de Corbeil.

* C’est le mot que porte la copie. S’agirait-il de Bruyères-le-Châtel comme l’a cru Pémartin ? Le prieuré dont parle ici saint Vincent a M. Ribier comme titulaire, il est englobé dans l’archidiocèse de Paris, et l’abbé de Saint-Florent-lez-Saumur en est le collateur. Le prieuré de Brienne le Château ne réalise que la première condition ; celui de Bruyères-le-Châtel les réalise toutes les trois. Il ne saurait donc y avoir de doute.

2) Saint-Florent est aujourd’hui englobé dans la ville de Saumur. *Mazarin était abbé de Saint-Florent.

 

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985. — A MATHURIN GENTIL

De Paris, ce 17 septembre 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’achève de répondre à deux de vos lettres, car par ma dernière je vous ai parlé sur beaucoup de choses qui y sont contenues ; particulièrement pour la décharge de votre maison, je vous ai prié de nous renvoyer nos frères Laisné (1), Dupont (2), Denis (3) et les deux petits écoliers ; ce que je continue de faire, au cas qu’ils ne soient partis.

Je suis certes étonné de la liberté de notre frère Laisné à prendre de l’argent, aussi bien que de l’emploi qu’il en a fait. Nous penserons un peu à ce que nous aurons à faire à son égard.

Nous vous enverrons pour régent notre frère Gurlet (4) après la retraite qu’il va commencer. Il pourra mener les enfants de M. Prudhomme et quelqu’autre avec eux, s’il s’en présente (5).

Je vous ai mandé qu’en nous faisant savoir où demeure M. Gautier, ou celui à qui il nous faut adresser pour le

Lettre 985. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Probablement Nicolas Laisné.

2) Louis Dupont, né à Nemours, entré dans la Congrégation de la Mission le 23 octobre 1641, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux en novembre 1644, supérieur à Toul (1652-1653) Tréguier (1654-1661), Annecy (1662-1663), et Saint-Charles (1664-1671).

3) Peut-être Denis Gigot, né à Donnemarie (Seine-et-Marne), entré dans la congrégation de la Mission le 22 juillet 1647, à l’âge de vingt-deux ans, reçu aux vœux à Troyes le 9 octobre 1649.

4) Claude Gurlet, né à Lyon, reçu dans la congrégation de la Mission le 12 juin 1646, à l’âge de vingt-quatre ans, mort le 2 février 1653

5). Probablement pour le séminaire des Bons-Enfants.

 

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rachat de Valobron, nous tâcherons de vous faire donner du temps pour le payer.

Si M. le prévôt de la Couture (6) est d’avis qu’on laisse le bail à Madame Gremy pour 29 années, moyennant quelque haussement du prix, et que le logis soit rendu à la fin en bon état, j’en suis content et m’en remets à ce que ledit sieur prévôt en ordonnera.

M. Aubert (7) a tort de demander deux pistoles pour le fumier qu’il a mis aux jardins ; M. Gallais assure qu’elles lui ont été déduites dès la première année, s’en étant payé lui-même par ses mains. Et au regard des quatre pistoles que vous dites lui avoir promises pour la non-jouissance desdits jardins, ledit sieur Gallais s’en était défendu, parce que ledit sieur Aubert ne peut prétendre aucune non-jouissance par le contrat de son bail. Pour moi, je [ne] le sais pas ; conférez-en, je vous prie, avec ledit sieur prévôt.

Quant à l’échange qu’on vous demande à faire avec la petite maison et le quartier de vigne de feu M. de Saint-Jacques (8)…

Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Gentil, prêtre de la Mission, au Mans.

6) Paroisse du Mans.

7). Pierre Aubert, marchand au Mans. (Arch. Nat. S 6707)

8) La phrase est telle quelle dans l’original ; par distraction le secrétaire l’a laissée inachevée

 

986. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

Du 20 septembre 1647.

Je vous supplie, Monsieur, de partir de Saint-Sauveur (1) et de n’employer pas à Rome plus de six jours pour achever la visite (2). C’est bien assez, tant pource que plus vous abrégerez, moins vous y aurez de peine, que pour la nécessité que nous avons ici de vous. Je suis seul à soutenir le faix, n’ayant que M. Cuissot qui me puisse aider (3). Je vous supplie aussi de vous contenter d’autres six jours pour revoir nos règles avec Messieurs Dehorgny et Alméras, pour reprendre ensuite le chemin de France. Si, passant à Gênes, vous estimez qu’une seconde visite y soit nécessaire, vous la pourrez faire, s’il vous plaît, pendant huit jours seulement. Celle de Marseille se fera de même dans huit ou dix jours. Et quoique je sache que plusieurs considérations pourront requérir plus de temps, néanmoins j’ai sujet de désirer absolument et de vous conjurer, Monsieur, comme je fais, au nom de Notre-Seigneur, de n’y en pas mettre davantage en aucun de ces lieux-là, non tant pour les raisons que j’ai dites, que parce qu’il réussit plus de bien d’une visite faite promptement, pendant que les esprits sont encore dans la chaleur de l’action, que lorsqu’elle traîne trop. Le temps qui passe celui que j’ai dit, sert plutôt à lasser les personnes

Lettre 986. — Reg. 2, p. 104.

1) Abbaye située à quinze lieues de Rome, dans la Sabine ; Antoine Portail s’y était retiré pour éviter les chaleurs de la capitale dont il avait beaucoup souffert.

2) La visite, commencée le 23 avril, ne se termina que le 16 novembre. Les chaleurs furent cause de plusieurs interruptions. (Voir la notice d’Antoine Portail, pp. 55, 59.)

3). Lambert aux Couteaux était en tournée de visites. (Cf. 1. 987)

 

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visitées et à attiédir la ferveur de l’œuvre, qu’à produire quelque fruit ; nous en avons quelque expérience, et la pratique des autres communautés nous le fait croire ainsi. Je vous supplie derechef d’en user de la sorte ; j’en aurai une singulière consolation (4).

 

987. — CHARLES TESTACY, SUPÉRIEUR, A CAHORS (1)

De Paris, ce 21° septembre 1647.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La présente est seulement pour vous demander nouvelles de trois choses : la première est de l’état de votre santé et de l’opération des remèdes que vous avez pris, la seconde est du succès de votre ordination, et la troisième est de ce qu’est devenu M. Lambert et quelle route il a prise (2). Je croyais avoir de ses lettres par ce dernier courrier et même des vôtres, à l’ordinaire ; mais n’en ayant reçu aucune, je reste en peine de toutes les choses ci-dessus, particulièrement de celle qui vous regarde, ce qui fait que je vous supplie de m’en dire quelque chose. Ce n’est pas que je n’aie grande espérance que tout va bien ; nous l’avons demandé à Dieu par les prières de la compagnie et par celles de celui qui est, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

4) Les circonstances ne favorisèrent pas les désirs du saint, qui ne devait pas revoir Antoine Portail de deux ans.

Lettre 987. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1). C’est par le contenu de la lettre que nous devinons le nom du destinataire.

2). Le 6 août précédent, Lambert aux Couteaux faisait la visite de la maison de Saintes ; il était le 20 septembre à Cahors.

 

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988. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 21 septembre 1647.

Monsieur,

Je vous écrivis hier un mot par le bon M. Lambert, qui a visité notre séminaire avec grand fruit. Il vous en dira les particularités.

Je viens de recevoir celle que vous avez pris la peine de m’écrire, du 7 du courant. Je suis très aise que l’élection de la prieure du Pouget soit agréée. C’est une bonne religieuse qui y remettra et maintiendra la réforme, s’il plaît à la reine de lui accorder le brevet nécessaire pour cela. La religieuse pour laquelle on fait quelque bruit est celle pour laquelle Monseigneur l’évêque d’Utique (1) vous parla en ma présence, laquelle, outre les défauts généraux et communs à toutes les religieuses de cette maison, de ne savoir ni par théorie, ni par pratique encore moins, ce que c’est que la religion, en a d’autres particuliers. Ainsi je vous supplie de vous opposer à ce dessein et de faire ressouvenir à Sa Majesté de ce qu’elle m’a si souvent assuré, qu’elle nommerait un homme apostolique à l’évêché de Périgueux, qui est entièrement abandonné en pillage. Les âmes se damnent à milliers et non est qui recogitet. Oh ! que la foi est rare en ce siècle ! Clama, ne cesses. Et souvenez-vous que tant plus le combat sera rude, d’autant plus glorieuse en sera la victoire, et la récompense plus grande, à laquelle je sais bien que vous ne pensez pas.

J’étais prêt à me mettre à l’autel quand j’ai reçu la vôtre. A l’instant j’ai annoncé à nos ordinands que je voulais que dorénavant ceux qui prendraient les 4 moindres assistassent aux ordinations, étant bien juste que notre séminaire se conforme à sa mère.

Je donnerai avis à Monseigneur de Valence (2) des soins que vous avez pris pour lui faire recevoir quelque satisfaction. Il est fort piqué de ce qu’on a donné, par arrêt du Conseil, au présidial ou sénéchal la place qu’il occupait au sermon dans son église. Il est fort nécessaire qu’il soit dans son évêché ;

Lettre 988. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1) Pierre Bertier, évêque titulaire d’Utique, coadjuteur de l’évêque de Montauban.

2) Charles-Jacques de Gelas de Leberon.

 

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mais je crois aussi qu’on doit tâcher de lui donner quelque satisfaction. Si vous jugez à propos que le roi lui en écrive, en semble qu’il serait expédient que Sa Majesté lui mandat qu’elle avait fait très exprès commandement au gouverneur de Valence de ne le troubler en sa charge et à ce qui est du à sa dignité, etc.

L’on nous a mandé de Sarlat que l’affaire de Monsieur Sevin pour cet évêché était terminé et que les expéditions devraient être délivrées le 20 du courant ; d’où j’en ai reçu grande joie. Je pars demain matin pour aller visiter mon diocèse de ce côté-là et Chancelade pendant les vendanges.

Quand vous verrez la reine, je vous supplie de dire à Sa Majesté que l’évêché de Couserans (3), qui est à présent vacant, est dans une extrême désolation. Je suis, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

 

989. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

27 septembre 1647.

Je ne pense jamais à vous ou à quelqu’un des vôtres qu’avec grande consolation. Vous désirez tous d’être entièrement à Dieu, et Dieu vous désire aussi tous pour lui ; il vous a appelés les premiers à Gênes pour le service qu’il veut de la compagnie en ce lieu ; et pour cela il vous donnera des grâces particulières qui serviront comme de fondement à toutes celles qu’il fera jamais à cette nouvelle maison. Oh ! quel sujet de louange à sa bonté ! Quelle confiance ne devez-vous pas avoir en sa protection ! Mais quelle humilité, quelle union et quel respect les uns pour les autres ! O Dieu, mon Seigneur, soyez, s’il vous plaît, le lien de leurs cœurs ; faites éclore les effets de tant de saintes affections que

3) Pierre de Marca monta sur le siège épiscopal de Couserans en 1648.

Lettre 989. — Reg. 2, p. 198.

 

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vous leur faites concevoir et donnez croissance aux fruits de leurs travaux pour le salut des âmes ; arrosez de vos bénédictions éternelles cet établissement, comme un nouvel arbre planté de votre main ; fortifiez ces pauvres missionnaires dans leurs fatigues ; enfin, mon Dieu, soyez vous-même leur récompense, et par leurs prières étendez sur moi votre immense miséricorde.

Je reviens à vous, Monsieur, seulement pour vous assurer que je suis en Notre-Seigneur…

 

990. — A JEAN BARREAU, CONSUL DE FRANCE, A ALGER

(Fin septembre ou début d’octobre 1647 1)

Je reçus hier au soir la triste quoiqu’heureuse nouvelle de la mort de feu M. Nouelly, laquelle m’a fait épancher bien des larmes à diverses reprises, mais des larmes de reconnaissance envers la bonté de Dieu sur la compagnie, de lui avoir donné un prêtre qui aimait si parfaitement Notre-Seigneur et qui a fait une si heureuse fin.

Oh ! que vous êtes heureux de ce que le bon Dieu vous a choisi pour une si sainte œuvre, à l’exclusion de tant d’autres gens inutiles au monde !

Vous voilà donc quasi prisonnier pour la charité, ou, pour mieux dire, pour Jésus-Christ. Quel bonheur de souffrir pour ce grand monarque, et que de couronnes vous attendent en persévérant jusqu’à la fin !

Lettre 990. — Abelly, op. cit., 1, II, chap. I, sect. VII, § III, p, 102.

1) Cette lettre répond à celle qu’avait écrite Jean Barreau le 27 juillet 1647 et qui était arrivée à Paris pendant la retraite annuelle ou fort peu de jours avant (cf. 1. 991).

 

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991. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[fin septembre ou début d’octobre 1647] (1)

Quoique je sois en retraite, je ne laisse p. as de vous écrire pour recommander à vos prières une personne de la compagnie trépassée : c’est Monsieur Nouelly, prêtre, décédé à Alger, où il avait été envoyé pour assister les pauvres esclaves chrétiens, dont il s’est si dignement acquitté, qu’il a mieux aimé s’exposer au danger d’une maligne contagion qui était parmi les pauvres affligés, que de manquer à les secourir jusqu’à leur dernier soupir, en sorte qu’ayant été saisi du même mal, il en est mort. Notre frère Barreau, son compagnon, m’en a écrit des choses grandement touchantes et de grande édification.

 

992. — A JACQUES DESCLAUX, ÉVÊQUE DE DAX

7 octobre 1647.

Monseigneur,

J’ai reçu avec une grande joie, comme toujours, l’honneur qu’il vous a plu me faire, de me faire part de votre accommodement avec Messieurs de votre chapitre, et prie N.-S. qu’il cimente cette union et celle dont il est et sera éternellement uni à son Père (1), et prie sa divine

Lettre 991. — Ms. de Lyon.

1) Celte lettre à été écrite l’année de la mort de M. Nouelly et pendant les huit jours que saint Vincent employait à sa retraite annuelle.

Lettre 992. — Reg. 1, f° 26, copie prise sur la minute autographe.

1) L’évêque de Dax était en procès avec ses chanoines au sujet du libelle des titres de nomination pour les prébendes du chœur, de la portion congrue à payer au chapelain major et des honneurs auxquels il prétendait avoir droit de leur part pendant les offices pontificaux. Le parlement de Bordeaux, saisi de l’affaire, lui avait donné raison par arrêt du 4 avril 1647. Appel fut interjeté devant le Conseil du roi. Mais les chanoines voyant que là aussi leur cause prenait mauvaise tournure, firent proposer à Jacques Desclaux un

 

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bonté qu’il fasse de même à l’égard de M. de Poyanne (2).

Le bénéfice d’Orthez est toujours là, quoique j’en aie parlé au dernier conseil ; N.-S. en disposera comme et quand il lui plaira. M. de Vignoles, de Béarn, et ses amis font instance pour un sien neveu ; et un autre Béarnais (3) secrétaire du prince Casimir, cardinal de Pologne (4) le demande, et avec grande instance ; et partagent l’esprit de celui qui y peut tout (5)

L’affection que vous, Monseigneur, me témoignez avoir pour l’établissement d’une mission dans votre diocèse, par la plupart de vos lettres, m’y a fait penser plus sérieusement depuis votre dernière, que j’ai reçue dans ma retraite, en laquelle je suis encore, [et] me fait vous proposer, Monseigneur, savoir si un petit prieuré simple que

accommodement dont les évêques d’Aire et de Bazas seraient les arbitres. Les deux prélats rendirent leur sentence le 13 juillet 1647, et l’accord fut scellé par la rédaction de nouveaux statuts. (Cf. Degert, Histoire des évêques de Dax, Paris, 1903, in-8°, p 328 ; et notre Histoire des cathédrales de Dax dans le Bulletin de la Société de Borda, année 1908, p. 275.)

2). Jean-Henri-Gabriel de Baylens, marquis de Poyanne, commandeur des ordres du roi, gouverneur de Dax, Saint-Sever et Navarrenx, lieutenant général du roi dans le Béarn et la Navarre, mort à Saint-Sever *le 3 février 1667, laissant la réputation d’un vaillant capitaine.

3). Isaac Bartet Il devint secrétaire du cabinet, conseiller du roi et résident de Pologne en France. Mademoiselle de Montpensier lui vendit, le 25 novembre 1669, le marquisat de Mézières-en-Brenne, qu’il revendit, le 17 mars 1692, à Louis de Rochechouart, duc de Mortemart. Il mourut en septembre 1707

4). Peu de princes connurent comme le cardinal Casimir les vicissitudes du sort. Né en 1609 il vint en France pendant sa jeunesse, y fut mis en prison par Richelieu, entra chez les Jésuites, reçut le chapeau de cardinal, monta sur le trône de Pologne après la mort de Wladyslaw IV, se fit relever de ses vœux, épousa sa belle-sœur Louise-Marie et gouverna sous le nom de Casimir V. Son règne fut malheureux. La Pologne, attaquée tour à tour par les Cosaques, la Suède, le Brandebourg, la Russie, la Transylvanie et minée par les discordes intestines, dut laisser à ses ennemis une partie importante de son territoire. Veuf en 1667, Casimir V abdiqua et se retira en Flandre, puis dans l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés et de Saint-Martin de Nevers. Il mourut dans cette ville en 1672

5) Le cardinal Mazarin.

 

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nous avons à deux lieues d’Orléans pourrait servir à cet établissement, soit que M. le curé de Poy (6) ou quelqu’autre de delà voulût permuter et s’en pût accommoder. Il consiste en une ferme, où il y a deux fermiers, dont chacun a deux charrues de labour pour environ quatre cents [arpents] (7) de terre, qui sont en une pièce tout à l’entour. Le service que vous en pourrez retirer, ce seront les missions depuis la Toussaint jusques à Pâques, dans les paroisses du diocèse où vous, Monseigneur, les enverrez, [et] les ordinands ; et si vous, Monseigneur, ordonnez que nul sera reçu aux saints ordres qui n’ait passé six mois pour le moins dans votre séminaire, dans quinze ans vous aurez la consolation de voir que votre clergé aura changé de face, s’il plaît à N.-S. de donner sa bénédiction sur son œuvre et le reste, et de n’avoir pas égard à la chétiveté des ouvriers. Monseigneur de Cahors (8) en use de la sorte, sans qu’il lui en coûte rien. Chaque ecclésiastique paye sa pension selon la taxe que mondit seigneur ordonne ; ils ne payent que cent livres ou 40 écus par an. Aussi n’y a-t-il pas province en France où l’on vive à meilleur marché qu’en ce lieu-là, où il est nécessaire d’y consommer tous les vivres ; il n’y a point de transport du tout. Ce qui pourra coûter, ce sont les bâtiments et l’ameublement, s’il n’y en a assez à Burglosse (9), ou là où vous, Monseigneur, les établirez. Quant à l’entretien des

6) Pierre de Larroque (1634-1655). Les curés de Poy ou Pouy étaient aussi directeurs de la chapelle de Buglose.

7). Mot oublié dans l’original

8). Alain de Solminihac.

9) Burglosse ou Buglose était et est encore un quartier de l’ancienne commune de Pouy, aujourd’hui Saint-Vincent-de-Paul. Au temps de l’enfance de saint Vincent, de l’aveu de tous les historiens locaux, il n’y avait à Buglose ni chapelle ni pèlerinage. Jean-Jacques du Sault, évêque de Dax, mû par le bruit des miracles opérés en ce lieu, ordonna une enquête et fit élever, en l’honneur de la sainte Vierge, un modeste sanctuaire, qu’il bénit lui-même solennellement le 16 mai 1622 et qui devint dès lors le centre de sa dévotion à Marie dans la région. Saint Vincent, de passage dans son village

 

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missionnaires, il me semble qu’il ne monte qu’à 16 ou 1.800 livres. L’on m’a dit que la cure de Poy vaut 1.000 livres. Peut-être que les messes qui se diront à Burglosse pourront suffire au surplus (10)

Voilà, Monseigneur, mes petites pensées sur ce sujet, que je vous propose à l’aventure, pource que vous me faites l’honneur de me commander d’y penser.

Je me viens de ressouvenir que M. Sanguinet, le curé d’auprès de Tartas (11) m’a dit qu’il a quelque pensée de s’en venir demeurer à Paris ; et me semble qu’on me le mande de delà ; si la cure vaut celle de Poy et est de votre diocèse, peut-être sera-t-il bien aise d’en traiter. Je vous dis ceci à l’aventure, Monseigneur, et que vous n’avez personne sur la terre à qui Dieu ait donné plus d’estime et plus d’affection qu’à moi, qui suis, en son amour…

 

993. — A ANTOINE PORTAIL, A ROME

Du 4 octobre 1647.

Nous sortons de retraite. Nous étions dix-huit en une bande

natal deux ou trois mois après cette inoubliable manifestation, alla prier devant la madone des landes et célébrer la messe dans sa chapelle. (Cf. Collet, op. cit, t. I, p. 109 note l.) L’histoire de Notre-Dame de Buglose a été écrite en 1726 par Raymond Mauriol, prêtre de la Mission. (Histoire de la sainte chapelle et des miracles de Notre-Dame de Buglose, Bordeaux, in-12), puis par l’abbé Danos (Le pèlerinage de Saint-Vincent-de-Paul et de Notre-Dame de Buglose, suivi de l’art de sanctifier le pèlerinage, Paris, 1844, in-16) et le chanoine Labarrère Histoire de Notre-dame de Buglose et Souvenir du Berceau de St-Vincent-de-Paul, Paris, 1857, in-8°). Pour se faire des idées justes sur l’origine du pèlerinage, il vaut mieux consulter l’abbé Gabarra (Pontonx-sur-l’Adour et le prieuré de S Caprais dans la Revue catholique d’Aire et de Dax, 1874), l’abbé Degert (op. cit., p. 313 et suiv) et Jules Bonhomme (l’origine de Buglose dans la Revue de Gascogne, 1882, t. XXIII, pp. 373-383).

10) Les prêtres de la Mission ne devaient s’établir à Buglose qu’en 1706

11) Joseph Sanguinet, curé de Saint-Yaguen, près Tartas, dans l’arrondissement de Saint-Sever et le diocèse de Dax.

Lettre 993. — Reg. 2, p. 6, copie prise sur l’original autographe

 

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et trente-deux en une autre. Nous venons de faire le renouvellement de nos vœux. Et pource que quelques uns ont dit qu’ils sont nuls, et avaient difficulté de les renouveler (M…. et un clerc étaient les principaux), j’ai empêché que ce dernier les ait renouvelés. Et mondit sieur… m’étant venu trouver pour me dire que toutes ses difficultés étaient tombées en suite de quelque chétif discours que je leur fis hier au soir à tous, il m’a demandé, ce matin, de bonne façon la permission de les renouveler, et effectivement m’a apporté quantité de choses qu’il avait en particulier, pour s’en dépouillez, lesquelles je lui ai néanmoins laissées, et lui ai permis de renouveler ses vœux avec les autres.

La petite exhortation que j’ai faite contenait deux points : le premier était des raisons que nous avions de faire cette rénovation, en sorte qu’il plût à Dieu nous donner la grâce qui accompagne les vœux ; et le second était des moyens, où j’ai dit deux choses : l’une, que je priais ceux qui ne sentaient pas en eux la résolution d’y persévérer, de s’en retirer ; et l’autre, qu’une marque d’avoir cette grâce, c’était d’être résolu de ne jamais parler contre cette sainte action et de la défendre dans les occasions contre ceux qui l’improuveraient, pource que sans doute l’on fera ce qui se pourra pour impugner ces vœux et au dedans et au dehors.

Dieu a béni, ce me semble, cet entretien. Je n’ai jamais vu plus de sentiment de dévotion qu’il en a paru en tous, excepté en moi misérable, le plus grand pécheur du monde. Si donc l’on impugne la chose, ce sera à cause de la réserve de la dispense au Pape ; et néanmoins les docteurs de decà nous disent qu’on l’a pu faire, que chacun peut renoncer à son droit de recourir à l’Ordinaire et se rapporter à Sa Sainteté pour la dispense. Il appartient au Pape primitivement de dispenser des vœux, et

 

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privativement à l’égard de ceux de chasteté et du pèlerinage de Rome.

Jamais je n’ai mieux vu l’importance de nos vœux qu’aujourd’hui. Monseigneur Ingoli (1) nous peut beaucoup aider pour l’approbation, comme il a fait pour notre bulle et pour notre établissement à Rome. Je vous prie que M. Dehorgny, M. Alméras et vous, Monsieur, lui fassiez bien entendre que nous avons été en peine pour l’affermissement de notre Institut, duquel il est assez informé, Messieurs les prélats ne désirant pas que nous soyons religieux, et les religieux nous conseillant le contraire, fondés sur La légèreté humaine et les grands travaux de notre état ; que la providence de Dieu a enfin inspiré à la compagnie cette sainte invention de nous mettre dans un état auquel nous avons le bonheur de l’état religieux par les vœux simples, et de demeurer néanmoins dans le clergé et dans l’obéissance à Nosseigneurs les prélats, comme les moindres prêtres de leurs diocèses, quant à nos emplois. Je tâcherai de vous envoyer aujourd’hui ou vendredi l’avis des docteurs, Messieurs le pénitencier (2), Duval, Pereyret (3), Cornet (4) et Coqueret. J’ai confiance que, si l’on instruit bien ce saint prélat, lui seul pourra informer Sa Sainteté et la Congré

1) Secrétaire de la Propagande.

2) Jacques Charton, docteur en théologie, directeur du séminaire des Trente-Trois et membre du conseil de conscience.

3). Jacques Péreyret, né à Billom (Puy-de-Dôme) *en 1580, fut d’abord théologal de Mende Il professa avec éclat la philosophie et la théologie au collège de Navarre et fut élevé à la dignité de grand maître. Envoyé à Clermont en qualité de vicaire général, il y travailla activement à la réforme des abus jusqu’à sa mort, qui survint le 15 juillet 1658. Il a écrit en 1650 contre les jansénistes un traité latin sur la grâce (Apparatus ad tractatum de gratia).

4) Nicolas Cornet, né à Amiens le 12 octobre 1592, fut, lui aussi, grand maître de la maison et société de Navarre. Il refusa l’archevêché de Bourges et le titre de confesseur de Richelieu. Il mourut au collège de Boncourt le 18 avril 1663. Bossuet a prononcé son oraison funèbre.

 

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gation des Réguliers et faire notre affaire ; car qui pourra impugner raisonnablement une chose qui n’est pas contre les conciles, ni les canons, ni les décrets des Papes, ains conforme à l’usage de l’Église avant les vœux solennels, auquel temps on les faisait simples, et par conséquent dispensables ?

Que si l’on dit que ceux-là étaient censés religieux, la réponse est bonne, disant qu’encore que ces vœux constituassent l’état de religion en ce temps-là, ils ne le peuvent faire maintenant, parce que l’Église défend l’institution de nouvelles religions, si ce n’est qu’elles professent une des quatre règles approuvées de l’Église qui embrassent les vœux solennels, ou que le Pape l’autorise, comme celle des Jésuites (5). Or, nous ne prenons point aucune de ces quatre règles de religion, et le Saint-Père ne nous a point érigés en état religieux, ains de clercs séculiers. Il s’ensuit que nous ne sommes point dans un état de religion, attendu même que nous déclarons qu’encore que nous fassions ces vœux simples, nous n’entendons pas être religieux, mais de demeurer toujours dans le clergé.

Que si l’on objecte que les vœux seuls, de leur nature, constituent une personne en l’état religieux, je réponds que cela est vrai des vœux solennels, mais non pas des simples, une personne particulière, voire plusieurs, pouvant faire les trois vœux simples en particulier, sans

5) L’interdiction de fonder un Ordre religieux quelconque sans l’autorisation du Saint-Siège, portée par les XIIe et XIVe conciles œcuméniques, n’est accompagnée d’aucune restriction. Toutefois beaucoup de canonistes pensent avec Vermeersch (De religiosis institutis et personis, Bruges, 1902, 2 vol. in-8°, t I, p. 45), que cette règle ne s’appliquait pas aux Instituts qui embrassaient la règle de saint Basile, de saint Augustin, de saint Benoît ou de saint François. Telle n’est pas l’opinion de Bouix. (Tractatus de jure regularium, Paris, 1857, 2 vol in-8°, t. I, p. 205.)

 

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pour cela être religieux. Si donc des personnes particulières le peuvent, pourquoi non une compagnie ?

Au nom de Dieu, Monsieur, pesez cette vérité et la faites peser. Priez Dieu pour cet affaire et n’y perdez pas temps. Si Monseigneur Ingoli le goûte et l’entreprend, j’ai une parfaite confiance qu’il en viendra à bout.

 

994. — LE CARDINAL MAZARIN A SAINT VINCENT

Du 10 octobre 1647..

Monsieur,

J’ai vu la lettre que vous avez écrite à de Lionne (1) sur le sujet de la promotion à l’épiscopat de M. l’abbé de Chailli (2) ; et comme la difficulté que vous y trouvez consiste en une question de fait, dont m’étant enquis avec soin, j’ai trouvé que la chose qu’on vous a dite n’avait jamais été, et en suis assuré tous les jours par personnes dignes de foi, je vous prie de faire, de votre coté, sans perte de temps, les diligences que vous croirez nécessaires pour la satisfaction de votre esprit afin que vous vous en éclaircissiez pleinement et que vous m’écriviez ce que vous aurez appris, Sa Majesté désirant, pour plusieurs considérations importantes, que je vous dirai à notre première vue, mettre fin à cette affaire sans plus de délai (3).

Cependant je demeure…

Lettre 994. — Bibl. Maz., ms. 2216, f° 404, copie

1) Hugues de Lionne, confident de Mazarin, qu’il avait connu à Rome. Après avoir été secrétaire des commandements de la reine régente il devint grand maître des cérémonies et commandeur des ordres du roi, fut envoyé en Italie (1654-1656) et en Allemagne (1658) en qualité d’ambassadeur extraordinaire, contribua à l’élection d’Alexandre VII, négocia les préliminaires de la paix des Pyrénées, fut nommé ministre d’État en 1658, poste qu’il continua d’occuper après la mort de Mazarin, et mourut à Paris le 1er septembre 1671, à l’âge de soixante ans.

2) Charles-Louis de Lorraine, abbé de Chailli, célèbre abbaye de l’ordre de Cîteaux, dans le diocèse de Senlis, mort à Paris le 1er juin 1668. Il était proposé pour l’évêché de Condom.

3). Saint Vincent tint bon. L’évêché de Condom fut donné à Jean d’Estrades, évêque de Périgueux, qui céda son siège à Charles-Louis de Lorraine en 1658 en échange de l’abbaye de Chailli, *en un temps où le saint ne faisait plus partie du Conseil de Conscience.

 

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995. — A GUILLAUME DELVILLE

De Paris, ce 11 octobre 1647.

Monsieur

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous vous envoyons six ou sept prêtres, cinq de la compagnie et les deux autres du séminaire des Bons-Enfants. Des cinq il y en a deux de Montmirail, et des trois restants l’un est Monsieur Watebled (1), dont vous connaissez la bonté. Celui-ci pourra servir à l’observance de la régularité sous vous, qui ne manquez pas d’autres occupations. Il importe que l’on observe bien les règles, à cause que plusieurs d’entre eux sont destinés pour d’autres maisons, où il importe qu’ils portent ce qui s’observe de deçà dans les missions. Il sera bon qu’à cet effet aussitôt vous fassiez lire à table les règles qu’on doit lire au commencement des missions. Monsieur le théologal (2) est capable de cela ; il y a été d’autres fois ; mais il le faut prier, lui, de ne pas s’assujettir au temps du coucher, ni aux autres emplois.

Vous me mandez que Monsieur le théologal ne parlera que trois fois par semaine et qu’il faut que vous souteniez le reste pour le soir et la prédication du matin. Cela me paraît difficile. J’espère vous envoyer M. Tholard dans trois ou quatre jours, qui pourra vous soulager et faire le matin. Il a grâce de Dieu pour disposer les peuples

Lettre 995. — Recueil du procès de béatification.

1) Pierre Watebled, frère du célèbre Vatable, né à Tully (Somme), entré dans la congrégation de la Mission le 19 janvier 1641, à l’âge de dix-neuf ans, reçu aux vœux le 14 juin 1643, supérieur du séminaire de Saintes de 1650 à 1651, mort victime de son dévouement à Villeneuve-Saint-Georges (Seine-et-Oise) en octobre 1652.

2). Antoine Caignet.

 

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à recevoir les miséricordes qu’il répand dans les missions bien faites, et qui est autant à dire aux missions où la régularité s’observe. Il ne confessera point (3) ; il pourra servir aux accommodements. Si un rhume qu’il a lui permet et Dieu bénit une saignée qu’on lui a faite aujourd’hui, il pourra partir dans trois jours.

Vous me mandez que Madame de Longueville veut faire les frais. O mon Dieu ! Monsieur, faut-il commencer du temps de Monsieur Delville et du mien et par Monsieur Delville la dissipation et la ruine de l’esprit de la Mission ! O Jésus ! à Dieu ne plaise que vous soyez l’instrument d’un tel malheur ! Nous ne sommes pas moins obligés à faire gratis nos missions, que les Capucins à vivre d’aumônes. Eh ! bon Dieu ! que dirait-on d’un Capucin qui toucherait de l’argent, et que n’a-t-on pas raison de dire des missionnaires qui se laisseront défrayer par quelques-uns dans les missions, et cela par Monsieur Delville et de mon temps ! O Jésus ! absit hoc a nobis !

Voici vingt écus, que j’ai dit qu’on vous délivre, déduits les frais du voyage. Vous fournirez ce qu’il faudra. C’est pour vous donner le temps d’envoyer quérir ce qu’il faudra pour toute la dépense. C’est votre département. Que si l’on vous y fait quelque empêchement, quittez, Monsieur, après que vous en aurez demandé la permission à Monseigneur de Meaux (4). Changez de logis et prenez-en un où vous ayez la liberté de faire votre dépense. Sachez, Monsieur, que je me suis trouvé dans pareil rencontre et que je dis tout franc à la dame qui avait procuré la mission que, si elle ne permettait que nous nous unissions, que nous nous en retournerions ce

3) Pour le motif indiqué dans la lettre 424.

4) Dominique Séguier, évêque de Meaux.

 

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même jour-là ; en effet, nous l’aurions fait, si cette bonne dame ne nous eût dit qu’elle consentait que nous fissions ce que nous voudrions. Et de cela elle resta fort édifiée, et je vous assure de la même chose du côté de Madame de Longueville ; et je vous dis plus : qu’elle et tous ceux qui le sauront resteront édifiés de votre fidélité à l’observance de nos règles, et que vous malédifieriez tout le monde si vous vous laissiez aller à l’effet de sa bonté de vous laisser tenter.

Au nom de Dieu, Monsieur, usez-en comme je vous le dis, maintenant et toujours. Que si vous n’avez pas ce qu’il faut pour cela, mandez-le-moi ; nous y pourvoirons. Je vous dis ceci avec une très grande douleur de voir de mon temps ce malheur arrivé en notre compagnie, et cela par Monsieur Delville, que je chéris plus que moi-même un million de fois, et qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, son très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delville, supérieur des prêtres de la Mission de Crécy, à Coulommiers.

 

996. — A JEAN CHRÉTIEN, SUPÉRIEUR, A MARSEILLE

[Entre septembre et novembre 1647] (1)

Prévenu par Jean Chrétien que Jean Le Vacher (2) malade,

Lettre 996. — Vie manuscrite de Jean Le Vacher, p. 3. Cette vie se trouve aux archives de la Mission.

1). Voir note 2.

2). Jean Le Vacher, né à Ecouen (Seine-et-Oise) le 15 mars 1619, entra dans la congrégation de la Mission, ainsi que son frère Philippe, le 5 octobre 1649, fit les vœux en 1646 et fut ordonné prêtre

 

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n’était pas en état d’aller de Marseille à Tunis, Vincent de Paul répond que le voyage ne doit pas être différé (3).

 

997 — A JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

[Entre septembre et novembre 1647] (1)

Vincent de Paul invite Jean Le Vacher à prendre les précautions que demande son état de santé et à s’embarquer sans crainte.

en 1697. Julien Guérin, missionnaire à Tunis, ayant besoin d’un aide, saint Vincent lui envoya Jean Le Vacher. Le 23 août 1647, comme le fondateur et son jeune disciple quittaient ensemble la maison de Saint-Lazare ils se trouvèrent en présence du nonce Nïcolas Bagni. "Monseigneur, dit le saint, vous venez fort à propos pour donner votre bénédiction à ce bon prêtre, qui part pour la Mission de Tunis. — Quoi ! cet enfant ! s’écria le nonce étonné. — Monseigneur, reprit le saint il a vocation pour cela." Jean Le Vacher arriva à Tunis le 22 novembre 1647. La mort de Julien Guérin, puis, deux mois après, celle de Martin de Lange consul, firent reporter sur lui la double charge de chef de la Mission et de consul. Il ajouta à ces titres, en 1650 celui de vicaire apostolique. Comme le Saint-Siège n’admettait pas que le consulat fût géré par des prêtres, saint Vincent y envoya un laïque, Martin Husson, qui arriva à Tunis en 1653 et en repartit en avril 1657, chassé par le bey. Jean Le Vacher reprit pendant deux ans les fonctions de consul. Il rentra en France en 1666 et fut envoyé à Alger en 1668 comme vicaire général de Carthage et vicaire apostolique d’Alger et de Tunis. Sa vie à Alger fut celle d’un apôtre et sa mort celle d’un martyr. Le 26 juillet 1683, pendant le bombardement de cette ville par Duquesne, les Turcs, après avoir mis tout en œuvre pour obtenir de lui un acte d’apostasie, l’attachèrent à la bouche d’un canon, qui projeta son corps dans la mer. (Cf. Raymond Gleizes, Jean le Vacher, Paris, 1914 in-16.)

3). D’après le premier biographe de Jean Le Vacher, saint Vincent aurait répondu en substance : "Si M. Le Vacher est trop faible pour aller jusqu’au vaisseau, qu’on l’y porte ! Si durant le trajet il ne peut résister à l’air de la mer, qu’on le jette dedans !" Cette façon de parler est tellement étrange sous la plume du saint qu’on est porté à se demander si sa pensée a été bien rendue.

Lettre 997. — Vie manuscrite de Jean Le Vacher, p. 3.

1). Cette lettre est de même date que la précédente.

 

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998. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Ce 19 octobre [1647] (1)

Je fus bien fâchée de n’avoir point su que l’on vous eut été treuver pour vous mander que, par la grâce de Dieu, je n’ai point été plus mal que votre charité me laissa, et toujours mieux ; ce qui fut cause que j’allai à la messe le jour saint Luc.

Mesdames de Herse, Traversay, de St-Mandé (2) et Viole s’assemblèrent encore hier céans, sans que je susse pourquoi, ni qu’elles le dussent, que environ une heure auparavant. Je crois que c’était pour se réjouir que la Providence avait fait paraître le soin qu’elle veut avoir des pauvres petits enfants. Il est venu plusieurs petites aumônes, et le meilleur secours est qu’elles devaient recevoir aujourd’hui cinq mille livres ; je crois que c’est des 8000, car c’est le receveur de l’Hôtel Dieu qui doit recevoir la quittance.

Elles s’attendent bien à la conférence que votre [charité] résolut avant son partement.

Leur cœur s’est tout renouvelé en la vue de ce secours, et se sont résolues de faire continuer leur ouvrage à Bicêtre, et pour cela Madame Traversay et Mademoiselle Viole y doivent aller lundi passer la journée. Elles m’ont chargée de solliciter Monsieur Drouard pour recevoir 500 livres d’une part, et deux cents de l’autre, et cela par l’ordre de Madame la duchesse d’Aiguillon. l’espère que votre retour achèvera de donner trêve aux grands besoins de l’œuvre de Notre-Seigneur, par l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général des prêtres de la congrégation de la Mission.

Lettre 998. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Marie de Fortia, épouse de Jérôme de l’Arche, seigneur de Saint-Mandé, lieutenant général civil et criminel au baillage du palais à Paris

 

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999. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Octobre 1647] (1)

Monsieur,

Une bonne dame, excitée par Mademoiselle de Lamoignon et par la conduite de la divine Providence nous a envoyé cent écus pour ces pauvres petits enfants. Soyez-lui-en reconnaissant pour nous, s’il vous plaît, Monsieur, et me permettez faire souvenir votre charité de notre sœur Jeanne Lepeintre.

Je vous supplie, si vous le jugez à propos, nous laisser les 3 mémoires que nous vous avons envoyés pour l’assemblée des dames, crainte qu’ils ne soient brouillés en votre absence

Mon incommodité me continue, et j’ai pensé que notre bon Dieu, par ces si fréquents changements d’un peu mieux et plus mal, veut que le m’en serve pour faire connaître à votre charité l’inconstance de mes passions, de qui je suis si dépendante que, quelque résolution que je fasse, [elles] ne me donnent point liberté de les assujettir à la raison, étant quelques jours un peu remise, et aussitôt je m’échappe.

Je supplie très humblement votre charité, si elle a, dans quelques-uns de ses livres, quelque image approchante de la ressemblance des images de la Charité (2), me faire le bien m’en donner une, et vous demande pardon de cette liberté. C’est que je n’en puis recouvrer comme je la souhaite, et j’espère que cela m’aiderait beaucoup, aidée aussi des prières de votre charité, de qui je suis, mon très honoré Père, très obéissante servante et tout indigne fille.

Faites-moi, s’il vous plaît la charité de me donner la bénédiction de notre bon Dieu et la votre à la sainte messe.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1000. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Novembre 1647] (1)

Monsieur,

Il m’a semble que Dieu a mis mon âme dans une grande

Lettre 999. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

2) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Voir t. II, p. 10, note 6.

Lettre 1000. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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paix et simplicité à l’oraison, très imparfaite de ma part, que j’ai faite sur le sujet de la nécessité que la compagnie des Filles de la Charité soit toujours successivement sous la conduite que la divine Providence leur a donnée, tant pour le spirituel que temporel, en laquelle je pense avoir vu qu’il serait plus avantageux à sa gloire que la compagnie vint à manquer entièrement, que d’être en une autre conduite, puisqu’il semble que ce serait contre la volonté de Dieu. Les marques sont qu’il y a sujet de croire que Dieu inspire et fait connaître sa volonté pour la perfection des œuvres que sa bonté veut faire, au commencement qu’il fait connaître ses desseins, et vous savez, Monsieur, qu’en ces commencements de celui-ci, qu’il a été proposé que le temporel de ladite compagnie, s’il venait à manquer par malversation, retournerait à la Mission, à ce qu’il fut employé pour l’instruction du peuple des champs.

J’espère que, si votre charité a entendu de Notre-Seigneur ce qu’il me semble vous avoir dit en la personne de saint Pierre, que c’était sur elle qu’il voulait édifier cette compagnie, qu’elle persévérera au service qu’elle lui demande pour l’instruction des petits et le soulagement des malades. Pour ce qui est du parloir je n’ai point vu en mon esprit aucune résolution ; mais pour l’élection des dames, oh ! je vois toujours plus nécessaire celle dont j’ai parlé à votre charité, de qui je suis, Monsieur, votre très obéissante fille et très obligée servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Je supplie très humblement votre charité, s’il y a moyen, nous donner demain la conférence et nous faire le bien de nous en avertir.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1001. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 4 décembre 1647

Monsieur,

Je vous rends grâces de tout mon cœur de tous les soins que vous avez pris de nous donner Monsieur de Sevin pour évêque de Sarlat. C’est un œuvre de si grand mérite qu’il

Lettre 1001. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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ne se peut dire. Dieu soit votre récompense ! J’ai mis dans votre paquet la réponse d’une lettre qu’il m’a écrite, n’ayant point d’adresse ; j’ai cru que vous auriez agréable de prendre la peine de la lui faire tenir.

Monsieur d’Estrades nommé à l’évêché de Condom, m’a écrit depuis peu que vous aviez résisté puissamment au Conseil à ce que l’abbé duquel je vous avais écrit par son avis (1) ne fût nommé évêque de Périgueux. Je ne puis concevoir comment il est possible qu’on pense à donner des évêchés à des personnes de cette sorte, et un évêché de telle importance que celui de Périgueux, et en l’état auquel il est et qu’on sait bien, l’ayant dit et déclaré si souvent, et la nécessité d’y pourvoir d’un homme apostolique ; à quoi je vous conjure de vous employer et ne vous lasser jamais pour une si sainte œuvre.

La Mère de Laroque, élue prieure du monastère du Pouget par les religieuses de cette maison fait bien sa charge. J’ai dit à un sien beau-frère, qu’elle m’avait envoyé pour me visiter de sa part, qu’il fallait avoir le brevet du roi, suivant ce que vous m’aviez écrit. Ils enverront ou donneront ordre à quelqu’un de Paris de le demander. Celui qui aura cette charge s’adressera à vous pour savoir l’ordre qu’il faut qu’il tienne pour le retirer. Je suis toujours, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

 

1002. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 13 décembre 1647.

Je rends grâces à Dieu de l’accroissement de votre santé au milieu de tant de travaux. Vous êtes délicat et faible et sans cesse dans des exercices pénibles ; néanmoins sa divine bonté se plaît à vous conserver. Ce n’est pas sans raison, ni sans m’avoir fait penser qu’il en va presque de vous comme de Mademoiselle Le Gras, laquelle je considère comme morte naturellement depuis dix ans ; et, à la voir, on dirait qu’elle sort du tombeau,

1) Voir la lettre 980.

Lettre 1002. — Reg. 2, p. 218.

 

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tant son corps est faible et son visage pâle ; mais Dieu sait quelle force d’esprit elle n’a pas. Il n’y a pas longtemps qu’elle a fait un voyage de cent lieues (1) ; et sans les maladies fréquentes qu’elle a et le respect qu’elle porte à l’obéissance, elle irait souvent d’un côté et d’autre visiter ses filles et travailler avec elles, quoiqu’elle n’ait de vie que celle qu’elle reçoit de la grâce. C’est la même grâce aussi, Monsieur, qui vous fortifie pour vous sanctifier, et qui vous sanctifie afin que vous confortiez les autres dans les voies du salut.

J’approuve infiniment le petit support que vous vous donnez, vous et M. Martin, dans les prédications et catéchismes que vous et lui faites journellement. O bonté divine, unissez ainsi tous les cœurs de la petite compagnie de la Mission, et puis commandez ce qu’il vous plaira ; la peine leur sera douce et tout emploi facile, le fort soulagera le faible et le faible chérira le fort et lui obtiendra de Dieu accroissement de force ; et ainsi, Seigneur, votre œuvre se fera à votre gré et à l’édification de votre Église, et vos ouvriers se multiplieront, attirés par l’odeur d’une telle charité.

 

1003. — ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GÊNES,

A SAINT VINCENT

16 décembre 1647.

La mission de… a pleinement réussi ; sept bandits se sont convertis et un Turc employé au service d’un gentilhomme a demandé le baptême, qu’on lui a donné, après l’avoir convenablement préparé.

1) Pour conduire les Filles de la Charité à l’hôpital de Nantes.

Lettre 1003. — Abelly, op. Cit, 1. II, chap. I, sect. IV, p. 70.

 

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1004. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

20 décembre 1647.

Que dirons-nous de la maison de Marseille ? Elle a grand besoin de votre secours ; venez-vous-y-en donc s’il vous plaît, au plus tôt ; vous y trouverez indigence d’ouvriers et, comme vous savez, d’un bon supérieur (1) particulièrement à cette heure que l’on projette d’y établir un séminaire, lequel sans doute y sera fort utile. Mais quel remède à ces besoins ? Nous y allons bien envoyer deux ou trois personnes après l’ordination ; et notre frère Get (2), qui fait l’entretien du matin aux ordinands avec grande clarté et beaucoup de témoignages de sa suffisance, sera du nombre, ainsi que, je l’espère, pour aller diriger ledit séminaire ; mais d’y envoyer un chef capable, il nous est impossible. Nous avions pensé à M. [Cuissot], qui a la vigilance aux choses extérieures, mais peu d’onction pour le dedans, bien qu’il soit tout à Dieu ; et voilà que Monseigneur de Cahors nous l’a enlevé, ne pouvant goûter M. [Testacy], qui est maintenant à Saintes. M. du Chesne serait bien propre, s’il était ici, car la diversité des emplois de cette maison-là requiert un esprit agissant ; mais il y a six mois que nous

Lettre 1004 — Reg. 2, p. 102.

1). Le supérieur était Jean Chrétien.

2). Firmin Get, né à Chépy (Somme) le 19 janvier 1621, entré dans la congrégation de la Mission le 6 janvier 1641, reçu aux vœux en janvier 1643. Il fut placé à la maison de Marseille en 1648, en prit la direction en 1654 et la garda jusqu’à 1662, sauf un temps très court passé à Montpellier pour fonder un séminaire qui ne dura que quelques mois (1659-1660). Il devint ensuite supérieur à Sedan (1663-1668, 1673-1681), supérieur au Mans (1670-1673), et visiteur de la province du Poitou, poste qu’il occupa jusqu’au 4 avril 1682.

 

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n’avons reçu de ses lettres (3), ce qui nous met bien en peine. D’un autre côté, la Providence nous ôte les moyens d’y laisser pour un temps M. Dehorgny, comme nous avions projeté ; enfin elle nous contraint d’y laisser encore M. [Chrétien] (4).

Cela étant, je vous supplie de le ménager et de considérer deux choses : l’une, qu’il a auprès de lui une personne qui, par antipathie, fait voir ses fautes plus grandes que peut-être elles ne sont ; et l’autre, qu’il est difficile de se bien posséder et d’être exact à tout parmi la multiplicité des affaires. Vous y aurez égard, s’il vous plaît, et le traiterez le plus doucement qu’il vous sera possible, pour ne le pas décourager. Si néanmoins, vous jugez que M… soit pour mieux réussir en la conduite que l’autre, vous en pourrez faire un essai.

Il sera bon que vous apportiez une grande circonspection, en ce qui regarde l’hôpital, envers Messieurs les administrateurs, et surtout et pour toutes choses envers Monseigneur de Marseille (5). Notre-Seigneur vous inspirera le reste et vous donnera part à son esprit. Je l’espère d’autant plus que cette visite est plus importante que les précédentes, comme cette maison est aussi la plus difficile que nous ayons, à cause de la diversité extraordinaire de ses emplois : de l’hôpital, des missions sur les galères, des missions sur le terroir, des aumôniers, du séminaire, des affaires de Barbarie, des lettres qu’il faut envoyer et recevoir, et de quelques autres circonstances.

3) Vincent de Paul ne tarda pas à recevoir des nouvelles de Pierre du Chesne, qui était malade en Irlande.

4). Il continua jusqu’en 1653.

5). Etienne du Puget (1644-1668).

 

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1005. — A NICOLAS PAVILLON, ÉVÊQUE D’ALET

De Paris, ce [3e] janvier (1) 1648.

Monseigneur,

Agréez, s’il vous plaît, qu’en ce commencement d’année, je vous renouvelle les offres de mon obéissance perpétuelle, et que, prosterné en esprit à vos pieds, Monseigneur, je vous demande votre bénédiction, à ce qu’il plaise à Dieu faire miséricorde à mon âme, maintenant que sa séparation est proche d’avec ce misérable corps. C’est ce que je fais, Monseigneur, avec toute l’humilité et la confiance que le peut un pauvre prêtre vers l’un des plus dignes prélats qu’il connaisse au monde. J’apprends de plus en plus, Monseigneur, la bénédiction que Dieu donne à vos conduites tout apostoliques et qui répandent partout tant de suaves odeurs que mon chétif cœur ne peut contenir la joie qu’il en ressent. Je prie Notre-Seigneur qu’il continue de se glorifier par elles.

J’ai été prié par M. de Benjamin, fils de feu M. de Benjamin, qui tenait de l’Académie du roi, de vous parler de lui et de vous supplier, comme je fais, Monseigneur, de le recevoir pour quelque temps près de votre sacrée personne. Il est ecclésiastique, diacre, âgé de 28 ou 30 ans, pieux, savant, qui a l’esprit bon et qui ne cherche qu’à se perfectionner en sa profession ; ce qu’il témoigne particulièrement par le choix qu’il fait d’une si bonne école. Je ne vous en parle, Monseigneur, qu’à

Lettre 1005. — Gossin, op. Cit., p. 453, d’après l’original communiqué par la marquise de Périer

1) Texte de Gossin : 31. cette date est évidemment fautive, car la réponse est du 29 janvier.

 

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condition que vous le puissiez faire sans vous incommoder. Il ne vous sera nullement à charge pour sa dépense, car il a 5 ou 6.000 livres de rente de son patrimoine. Faites-moi la grâce, s’il vous plaît, Monseigneur, de me mander votre intention et de m’honorer de vos commandements. Vous savez qu’ils me seront très chers et que je suis à la vie et à la mort, en l’amour de Notre-Seigneur et de sa glorieuse Mère, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1006. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1644 et 1649] (1)

Se souvenir d’avertir les dames qu’elles prennent garde, dans les instructions, de ne pas beaucoup parler aux extrêmement malades, quoiqu’ils n’aient pas fait de confession générale, mais seulement les avertir de se confesser des péchés qu’ils auraient oubliés ou retenus autrefois, s’ils s’en souviennent, avec volonté de se confesser de tous ceux qu’ils ont commis contre Dieu et le prochain ; si elles pouvaient leur faire prononcer des actes de foi, espérance et charité nécessaires à salut et employer beaucoup de temps à disposer ceux qui guérissent, à faire des résolutions de vivre en bonnes chrétiennes. et leur enseigner comment il faudra qu’elles fassent. Voilà, Monsieur, l’avis de la Mère dite des Sacrements (2) donné à Mademoiselle de Villenant. Mais je viens de recevoir cette lettre de Mademoiselle de Lamoignon, qui dit que

Lettre 1006. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original Par cette lettre, Louise de Marillac suggère à saint vincent les avis qu’il conviendrait de donner aux dames de la Charité dans la réunion du lendemain

1) L’empreinte apposée sur la cire qui a servi à cacheter cette lettre ne se trouve sur aucune des lettres antérieures à l’année 1644 ; I’expression "Monsieur" indique qu’il faut la placer avant 1650

2.La religieuse augustine de l’Hôtel-Dieu chargée d’avertir l’aumônier quand un malade demandait les sacrements.

 

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Mademoiselle de St-Mandé propose de n’en rien dire à la grande assemblée.

S’il plaît à votre charité, Monsieur, se souvenir de faire entendre le bien que c’est d’aider à la continuation d’un bon œuvre commencé aussi bien après sa mort que durant que l’on y agit en sa vie, quand il est entrepris pour l’amour de Dieu, comme celui des Enfants treuvés, et que pour cela ceux qui, par leur testament, font du bien en ont même mérite quand il est fait en parfaite charité, que de ce qu’ils ont fait en leur vie, ayant eu la volonté de le faire s’ils eussent pu, pourvu que cela soit véritable ? Je pense que cela pourra servir, représentant le danger que tout demeure. S’il plaît aussi à votre charité me mander la demeure de Madame la présidente du Sault pour lui envoyer le billet pour l’avertir de l’assemblée de demain, que vous n’oublierez pas, s’il vous plaît. ?

Les dames se relâchent bien de se treuver à la collation, et quelques-unes méritent louange pour y être bien soigneusement.

Pardonnez, Monsieur, à votre très petite fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1007. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce mercredi matin [15 janvier 1648] (1)

Monsieur,

Nous sommes arrivés à Bicêtre en bonne santé, Dieu merci, mais pour n’y guère être. Je supplie très humblement votre charité nous envoyer dès demain le frère boulanger à qui j’ai parlé, pour nous instruire et aider à faire faire un bon four et nous trouver une personne qui s’y entende bien. Il serait bien nécessaire aussi de commencer à vendre le vin ; il s’en fait un très grand débit en ce quartier, en barils et grosses bouteilles, à cause des soldats (2), Que si l’on attendait

Lettre 1007. — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Les cabaretiers de Paris ne virent pas cette vente de bon œil ; ils firent tomber leur colère sur les sœurs et allèrent jusqu’à les insulter et les maltraiter. Les coupables, déférés à la justice, n’échappèrent au châtiment que sur l’intervention de Vincent de

 

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davantage, il est à craindre que la vente ne soit pas si bonne. Ma sœur Geneviève (3) dit qu’elle croit que ces dames veulent attendre d’avoir du vin de moindre prix pour le mêler.

Je ne pense pas que ce fût un ménage, parce qu’il serait nécessaire d’un garçon pour cela, qui pourrait bien emporter tout le profit, outre que ce serait un grand embarras pour nos sœurs, qui auraient à prendre garde que l’on ne fit point de tort, ce qui serait bien difficile à éviter.

Je supplie très humblement votre charité se souvenir que c’est d’aujourd’hui en huit jours qu’elle nous a promis la conférence (4).

Je vis hier la sœur de Monsieur Vacherot bien fort malade. Elle me dit de la recommander en vos saintes prières et que, si elle osait, elle vous supplierait de lui faire la charité de prendre la peine de l’aller voir. Si elle empirait, je vous en supplierais volontiers. Je prie notre sœur Julienne (5) de vous en avertir si vous le jugez à propos.

Je pense que cela ferait beaucoup de bien à nos sœurs que vous prissiez aussi la peine de donner une visite à nos sœurs

Paul. (Déposition de sœur Geneviève Doinel, dix-septième témoin au procès de béatification de saint Vincent.)

3). Geneviève Poisson.

4). Saint Vincent donna sa conférence le 22 janvier.

5). Julienne Loret était née à Paris. Orpheline de bonne heure, elle fut recueillie par les parents de Jacques de la Fosse, prêtre de la Mission. "C’était un petit corps qui renfermait une grande âme", est-il dit dans la conférence qui fut faite après son décès. (Recueil des principales circulaires des s. upérieurs générauX de la Mission, Paris, 1877-1880, 3 vol. in-4, t. II, p. 524) Elle entra en communauté le 9 juin 1644 et fit les premiers vœux le 25 décembre 1649. Son mérite et sa vertu étaient si remarquables que, trois ans à peine après son admission, le 30 octobre 1647, elle était chargée de la formation des nouvelles sœurs. Louise de Marillac la prit en même temps pour son assistante. "C’était elle qui conduisait toute la communauté, dira plus tard Mathurine Guérin, parce que Mademoiselle n’était point en état d’assister à aucun exercice."(Recueil des principales circulaires, t. II, p.530) Julienne Loret faisait en même temps les fonctions de secrétaire A ce titre, elle était chargée de prendre les entretiens de saint Vincent, qu’elle écoutait, la plume en main. En 1651, elle fut envoyée à Chars (Seine-et-Oise) pour mettre ordre à une situation particulièrement délicate. Quand elle revint à Paris en 1653, après deux ans de dures épreuves, ce fut pour recevoir sa nomination de supérieure à Fontenay-aux-Roses (Seine), où elle était encore en 1655. Rappelée à la maison-mère, elle y remplit de nouveau les fonctions d’assistante,

 

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du logis, pour faire entendre à ma sœur Hellot le bien qui peut arriver à la compagnie que les sœurs s’habituent à la soumission les unes aux autres, et que celles qui paraissent avoir quelqu’autorité servent d’exemple.

Le travail de nos pauvres sœurs de céans n’est presque pas croyable, non tant pour la grande peine comme pour les répugnances que naturellement l’on a à cet exercice. C’est pourquoi il est très juste de leur aider à les encourager et faire connaître ce qu’elles font et ce que c’est de leur exercice devant Dieu, comme aussi de les aider de prières. J’en ai plus de besoin que pas une, étant la plus infirme de corps et de courage, quoique j’aie le bonheur d’être, Monsieur, votre très humble servante et très obligée fille.

Suscription : A Monsieur, Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission.

 

1008. — A PLUSIEURS PRÊTRES (1)

De Paris, ce 17 janvier 1618.

Messieurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Ayant su les travaux que vous avez pris en la mission sur les galères et la bonne part que vous avez à la bénédiction qu’il a plu à Dieu d’y donner, je n’ai pu dénier à mon cœur le témoignage de reconnaissance que j’en dois à votre zèle. Quel bonheur, Messieurs, d’imiter de si près Notre-Seigneur, qui est venu en ce monde pour

qu’elle conserva après la mort de la fondatrice, sous la Mère Chétif, et qu’elle reprit plus tard sous la Mère Nicole Haran. Elle mourut à Fontainebleau le 9 août 1699. Sa vie manuscrite, œuvre d’Antoine Durand, prêtre de la Mission, se trouve à la maison mère des Filles de la Charité.

Lettre 1008. — L. s. — Original à l’hôpital Saint-Eloi de Montpellier

1) Peut-être des prêtres de la congrégation fondée par Christophe d’Authier.

 

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les mêmes fins pour lesquelles vous vous êtes donnés à lui dans l’emploi que vous avez, d’autant plus grand que les besoins sont extrêmes parmi ces pauvres âmes ! Certes, votre couronne sera grande, et plus grande si vous l’acquérez par la. persévérance. Je prie Notre-Seigneur qu’il vous anime de plus en plus de son esprit, et qu’il me donne les occasions de vous rendre mes services, désirant de tout mon cœur de vous témoigner que je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Messieurs, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1009. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 23 janvier [1648] (1)

Monsieur,

Voilà la lettre de Mademoiselle Poulaillon qui donne témoignage de la fidélité de cet homme qui se présente pour Bicêtre (2), Il dit, outre cela, qu’il sait bien faire le pain, travailler au jardin, labourer et charrier. Tout cela est à faire en ce lieu-là, et le tout fort cher, quand il faut faire travailler à journée. Si votre charité le treuve à propos, elle parlera de l’impossibilité de faire la porte pour vendre Le vin au lieu où Madame la présidente de Herse l’avait marqué, à cause qu’il faudrait des degrés au moins de deux toises, ou à peu près.

Il est mort 52 enfants dans Bicêtre depuis que l’on y est, et bien encore 15 ou 16 qui ne valent guère mieux. J’espère

Lettre 1009. — L. a. — Dossier des Fille, de la Charité, original.

1) La lettre de Mademoiselle de Pollalion, à la suite de laquelle Louise de Marillac a écrit la sienne, porte la date du 22 janvier 1648.

2). La lettre de Mademoiselle de Pollalion a été publiée par la sœur de Geoffre dans le volume autographié des Lettres de Louise de Marillac p. 350

 

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que, quand tout sera bien accommodé selon le désir de ces bonnes dames, ils n’iront pas si vite. Peut-être qu’elles diront que j’ai parlé du besoin qu’il y a que le Saint Sacrement y soit, non seulement pour la nécessité, mais pour que Notre-Seigneur prenne possession de cette maison, à la vue du peuple, qui a intérêt à l’œuvre en quelque manière. Ce qui me fait prendre la liberté de vous dire qu’il m’est venu en la pensée que non seulement les dames devaient être averties du jour mais aussi de faire dire efficacement aux prônes des paroisses, pour obliger le monde à y faire du bien. Car comme l’on voit ce magnifique lieu, que l’on croit être aux petits enfants, que toutes les personnes qui le gouvernent sont de grande condition, la plupart croient qu’il y a de grands biens, et il nous faut emprunter ce que l’on achète pour les provisions, outre toutes les autres nécessités que vous savez.

S’il plaît à votre charité se souvenir de nous demander des filles nous en sommes dans une nécessité bien pressante, car l’ouvrage de la maison et d’ailleurs augmente tous les jours.

Faites-moi toujours l’honneur de me croire, Monsieur, votre très obéissante servante et très obligée fille.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1010. — A LA DUCHESSE D’AIGUILLON

24 janvier 1648.

Madame,

Il n’y a que Notre-Seigneur seul qui vous puisse faire comprendre la consolation que j’ai reçue de la bénédiction qu’il a donnée aux armes de Mgr le duc de Richelieu (1), ni la tendresse avec laquelle je lui demande sa

Lettre 1010. -- Reg I, f° 67, copie prise sur la minute autographe.

1) Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, né le 2 octobre 1631, avait succédé à son père François de Vignerod, frère de la duchesse d’Aiguillon, dans la charge de général des galères. Dans ! a bataille dont parle ici saint Vincent, le duc avait sous ses ordres une trentaine de vaisseaux français, trois vaisseaux portugais et quatre brûlots. Il mit le feu à cinq vaisseaux espagnols, qui avaient jeté l’ancre sous Castellamare ; et comme le gros de la flotte

 

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conservation et la sanctification à l’infini de votre chère âme.

Voici des lettres de Marseille. J’ai grande peine d’envoyer là (2) M. Lambert, pour beaucoup de raisons. M. Codoing est dangereusement malade et peut-être devant Dieu. C’est à Saint-Méen où il est tombé malade. Nous avons céans un homme qui a quelques qualités plus accommodantes pour le dehors que M. Delattre ; c’est le supérieur de La Rose ; je dis M. Delattre ; il est vrai que M. Delattre est plus intérieur et régulier. Nous verrons en suite de la visite de M. Portail, dont il me doit envoyer le résultat par le premier courrier.

Je lui dis hier, par ma lettre que j’écrivis au soir, qu’il partît pour Annecy aussitôt qu’il aurait achevé la visite à Marseille ; mais ayant relu sa lettre, que je vous envoie ce matin, j’ai pensé qu’il est à propos qu’il demeure jusques à ce que les affaires de la maison et du séminaire soient éclaircis (3), et je lui mande qu’il demeure.

Madame la princesse (4) doit assister, à 3 heures précisément aujourd’hui, chez Madame de Lamoignon, à l’assemblée. Y serez-vous, Madame ? Si cela est, nous aurons

ennemie approchait, il la canonna, la repoussa sur Baia et sur le château de l’Œuf et coula trois ou quatre navires. Cette victoire fut sans lendemain, à cause du manque de vivres, qui obligea la flotte à revenir sur les côtes de France. Le duc de Richelieu mourut le 10 mai 1715.

2) A Marseille comme supérieur.

3). Le séminaire de Marseille s’ouvrit dans le courant de l’année 1648. Ce fut un des motifs qui retinrent si longtemps Antoine Portail dans cette ville, où il dut encore s’occuper de procurer un logement convenable aux missionnaires, qui étaient à l’étroit dans une maison louée au voisinage de l’arsenal. Il acheta pour eux un vaste terrain, situé aujourd’hui au centre de la ville, entre la rue du Tapis-Vert la rue Thubaneau, le boulevard Dugommier et la rue Longue-des-Capucines, et fit commencer les constructions, qui devaient durer une dizaine d’années. (Cf. Simard, op. cit, p. 95.)

4). Charlotte de Montmorency, princesse douairière de Condé.

 

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le bonheur de vous parler de toutes ces choses. Vous verrez ici une lettre de M. Barreau.

 

1011. — NICOLAS PAVILLON A SAINT VINCENT

D’Alet, ce 29 janvier 1648.

Monsieur mon très cher et très honoré Père,

Je chéris et respecte d’autant plus les lettres qui me viennent maintenant de votre part, que je sais qu’elles sont comme tirées de la presse de vos saintes et très importantes occupations pour le service de Dieu et de l’Église, qui vont, comme j’apprends, croissant de jour en jour. Aussi, quand ce bonheur m’arrive, je le reçois comme un effet de votre charité paternelle vers moi, qui me sens obligé par conséquent de vous en faire un remerciement très particulier avec toute l’humilité affection et révérence qui m’est possible.

Si la disposition de notre pauvre et chétive famille et la condition de nos divers petits emplois souffraient que je reçusse des ecclésiastiques parmi nous pour y faire servir, autres que ceux qui nous sont nécessaires pour l’administration du diocèse et des affaires qui en dépendent, j’agréerais de bien bon cœur une telle occasion qu’il vous plaît me proposer et qui, à mon avis, ne pourrait réussir qu’à la commune édification de tous nos domestiques et de notre clergé. Mais me trouvant ci-devant obligé de m’excuser, pour ces mêmes raisons, envers plusieurs, des principales et des plus remarquables familles de ce pays, qui s’étaient présentés pour cette même fin, je devrais, ce me semble, appréhender de leur donner quelque sujet de mécontentement, en recevant quelques autres d’ailleurs, et de faire encore un préjugé pour l’avenir en semblables rencontres. Examinez, Monsieur, vous-même, s’il vous plaît, le fondement de cette difficulté.

Cependant mon très cher et très honoré Père, je ne vous puis dissimuler qu’un des plus grands désirs qui me pourraient rester en cette vie serait d’avoir l’honneur de vous revoir encore et de jouir, au moins pour quelque peu de temps, de votre santé et amiable conversation, ce qui serait sans doute d’une singulière consolation et très grande utilité spirituelle pour moi. Mais si la divine Providence en dispose autrement, comme il y a de l’apparence, au moins la suppliai-je

Lettre 1011. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

 

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très humblement de n’avoir pas égard à mon extrême indignité pour me priver de cette grâce dedans l’éternité. Vous me pouvez, mon très cher Père, par vos saintes prières et sacrifices, obtenir cette miséricorde, et c’est de quoi je vous conjure très instamment comme aussi de me croire plus que jamais, en l’amour de notre cher Sauveur et de sa sainte Mère, Monsieur mon très cher et très honore Père, votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur et fils.

NICOLAS,

indigne évêque d’Alet.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission, à Saint-Lazare-lez-Paris.

 

1012. — UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Les habitants de Saché (1), commune de 600 communiants, ont suivi avec édification les exercices de la mission : 1200 fidèles se sont trouvés à la communion générale ; nombreuses ont été les réconciliations, restitutions et conversions ; le curé, son vicaire et cinq autres ecclésiastiques ont fait leur confession générale ; un des plus riches du lieu, dont le cœur était resté jusqu’alors fermé à la compassion, a fait annoncer au prône qu’il donnerait du pain, trois fois la semaine, aux pauvres qui se présenteraient à sa porte.

 

1013. — BALTHAZAR GRANGIER, ÉVÊQUE DE TRÉGUIER,

A SAINT VINCENT

Guingamp, 1648.

Votre lettre nous a trouvés tous occupés dans notre mission, de laquelle j’espère beaucoup. L’un de vos prêtres y prêche le soir admirablement et dévotement ; un autre fait le principal

Lettre 1012. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 8, 1er éd., P 53

1) Commune de l’arrondissement de Chinon (I-et-L.).

Lettre 1013. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. II, § 6, 1er éd., p 44

 

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catéchisme à une heure après-midi, où il se fait admirer et aimer des petits et des grands ; un autre fait le petit catéchisme, et mon théologal prêche le matin en bas breton enfin tout le monde travaille et on n’a pas même voulu me laisser oisif, car je prêche deux jours la semaine. Nous commencerons tous à confesser demain, Dieu aidant. Les gens de ce pays sont fort étonnés, n’étant pas accoutumés aux missions, chacun en dit son avis diversement mais avec respect. J’espère qu’avec la grâce de Dieu tout ira bien.

 

1014. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[1648] (1)

Voilà que nous allons enterrer le corps de notre bon Monsieur du Chastel, qui décéda hier, à une heure après midi, après avoir si longtemps édifié de sa patience dans une aussi fâcheuse maladie que la sienne. Je vous prie de lui rendre les assistances des saints sacrifices et des prières de votre famille.

 

1015. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

De Paris, ce 7 février 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Mon Dieu ! Monsieur, que je suis consolé de la conférence que vous avez faite sur les défauts des missions des galères ! Le fruit qui en a réussi (1) est une marque que Dieu a eu bien agréable cette action. Je l’en remercie de

Lettre 1014. — Ms. de Lyon.

1) Année de la mort de Pierre Duchastel.

Lettre 1015. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Qui en a réussi, qui s’en est ensuivi.

 

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tout mon cœur, et vous, Monsieur, de ce que vous avez : assisté à l’assemblée de Messieurs les administrateurs (2). Je n’ai pu achever de lire les articles qu’ils vous ont proposés ; je les verrai, Dieu aidant, ensemble la fondation de Madame la duchesse (3). Afin que sur les obligations d’icelle je vous puisse dire mes pensées avant que vous dressiez aucun règlement touchant l’hôpital, je vous prie de nous envoyer une copie de la patente de sa fondation, laquelle nous servira à bonne fin ; je dis la fondation ou déclaration du roi à l’égard de l’hôpital (4). Il sera bon que vous fassiez entendre auxdits sieurs administrateurs que la compagnie n’a point de visiteur général, mais seulement un en chaque province.

Je ne suis pas marri que M. Tyrry n’aille à Alger et serais bien aise de savoir si M. Lesage y est allé et quel temps il a eu.

Dans cinq ou six jours, Dieu aidant, nous vous allons envoyer une belle carrossée de monde, la plus grande partie pour Rome et l’autre pour Marseille. Je vous prie de les attendre et de me recommander à Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Monseigneur de Marseille (5) est-il de retour ? Lui avez-vous rendu ma lettre et fait la proposition du séminaire ? En ce cas, quel accueil et quelle disposition avez-vous remarqués ?

Au bas de la première page. M. Portail.

2) Les administrateurs de l’hôpital des galériens.

3) La duchesse d’Aiguillon.

4) Ce membre de phrase est de la main du saint.

5) Etienne de Puget.

 

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1016. — A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce 14 février [1618] (1)

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais

Je ne doute point que Messieurs les administrateurs (2) n’aient dessein de prédominer en tout. Quand ils vous reparleront des règles de l’hôpital, dites-leur, s’il vous plaît, comme de vous-même, qu’une bonne maxime de ceux que Dieu emploie à l’établissement des œuvres saintes et nouvelles est de différer autant qu’ils peuvent le règlement qu’ils font, à cause que l’expérience montre que ce qui est faisable au commencement est parfois nuisible dans le progrès, ou sujet à des inconvénients fâcheux ; que pour cela quelques communautés n’ont fait leurs constitutions que cent ans après, comme les Chartreux. Saint Ignace ne fit qu’un petit projet des siennes ; mais sa compagnie les a mises depuis en l’état qu’elles sont, selon les lumières que le temps leur a découvertes. M. de Genève, pour s’être trop hâté à faire le règlement des filles de Sainte-Marie, a été obligé de faire un directoire (3).

Si, après cette raison générale, lesdits sieurs administrateurs

Lettre 1016. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) La lettre est de 1648, bien que le secrétaire l’ait, par distraction, datée de 1647. Trois raisons plus particulièrement nous portent à faire cette modification au texte : 1° Les missionnaires d’Hibernie n’ont pu écrire au saint en septembre 1646, vu qu’ils n’ont quitté la France que deux mois après, en novembre (cf. 1 902) ; 2° Firmin Get n’était pas prêtre le 20 décembre 1647 (cf 1 1004) ; 3° Louis Callon vivait encore le 14 février 1647. Il faut donc abandonner l’année 1647, et seule l’année 1648 peut convenir.

2). Les administrateurs de l’hôpital des galériens.

3) Le directoire de la Visitation fut préparé dans une assemblée plénière tenue à Annecy en mai 1623, sous la présidence de sainte Chantal, la vénérable fondatrice s’inspira surtout de notes laissées

 

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vous pressent, venez au particulier et leur dites, s’il vous plaît, que nous ne pouvons nous obliger d’entretenir deux prêtres de la compagnie (4) dans l’hôpital : 1° parce que la fondation de Madame la duchesse (5) ne le détermine pas ; 2° que le revenu n’est suffisant pour cela et pour les autres charges ; 3° que notre institut n’a que deux fins principales, savoir est l’instruction du pauvre peuple de la campagne et les séminaires ; qu’en cela git notre devoir, et non en la direction des hôpitaux qui n’est qu’un accessoire ; que néanmoins nous avons entrepris celle dont est question, dans la pensée d’y employer des prêtres externes, quand les nôtres ne pourraient suffire, ainsi que nous faisons dans les missions. Je vous envoie un extrait de ce à quoi la fondation nous oblige. Certes, l’entretien de deux prêtres à l’hôpital nous serait une grande charge, puisque, si l’un d’eux tombait malade, comme il arriverait souvent, il en faudrait un troisième. Dieu vous inspirera le reste.

Notre monde partira, Dieu aidant, au premier voyage du coche de Lyon. M. Gallais sera de la partie, comme j’espère. M. Get est assez bon et sage pour servir d’assistant. Ce n’était pas mon intention qu’on nourrît si longtemps le prêtre arménien ; mais, puisque c’est faire une charité, in nomine Domini ! 2 ou 3 séminaristes du collège (6) étaient tout disposés d’aller sur les galères ; mais sur ce que M. Chrétien nous manda qu’il ne les fallait envoyer et qu’il trouve

par saint François de Sales, mort le 28 décembre 1622. ce directoire a été édité en 1850 sous le litre Coutumier et directoire pour les sœurs religieuses de la Visitation Sainte-Marie.

4) Les mots "de la compagnie" sont en interligne et de la main du saint

5.) La duchesse d’Aiguillon

6) Le collège des Bons-Enfants

 

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rait suffisamment des prêtres du pays pour cela, nous les avons découragés et divertis de leur résolution ; si bien que je crains qu’il ne s’en trouvera point à présent qui veuillent y aller. J’ai néanmoins fait prier M. Berthe 7 d’en sonder quelques-uns.

J’ai reçu les papiers de M. de Trébizonde (8) et l’indulgence demandée par feu M. Callon (9).

Nous n’avons rien de nouveau, sinon de vieilles nouvelles d’Hibernie, arrivées depuis deux jours et datées des mois de septembre et de novembre.

M. du Chesne est incommodé d’un flux de sang depuis un mois avant sa dernière lettre, et notre frère Le Vacher (10) depuis qu’il est en Hibernie. Les autres sont bien disposés, grâces à Dieu. Les misères du pays sont grandes en toute façon et les ennemis environnent le lieu où nos gens résident, en sorte que, quand ils vont en mission, ils sont en danger (11) Je les recommande à vos prières, et en particulier mon âme.

Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

7) Supérieur du collège des Bons-Enfants.

8) L’évêque in paribus de Trébizonde

9) Il était mort à Aumale le 26 août 1647

10) Philippe Le Vacher

11) Les troupes confédérées étaient entrées, en septembre 1647, à Tipperary et à Caher, puis, se portant sur Cashel, avaient pris la ville et massacré une partie de ses habitants. Le 13 novembre, elles infligèrent une sanglante défaite à l’armée irlandaise massée à Kanturk. Les catholiques irlandais qui échappèrent aux combats ou aux massacres ne pouvaient échapper à la misère. Les prêtres étaient plus exposés ; ils devaient se cacher pour pratiquer leur religion, sous peine de prison et de mort.

 

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1017. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 14 février 1648.

Les grâces que Dieu verse sur vos travaux sont des effets de sa pure miséricorde et non de nos chétives prières ; nous sommes de pauvres gens, plus capables de détourner ses bénédictions que de les attirer. Je remercie sa divine bonté du zèle et de la fidélité qu’elle donne à votre cœur et à ceux qui sont avec vous. Certes, Monsieur, je suis si touché de l’usage que vous faites de ces vertus et de beaucoup d’autres, que, quand l’occasion se présente d’exciter la communauté de Saint-Lazare à sa propre perfection, je lui rapporte les exemples que la vôtre nous en donne ; je lui raconte vos longs travaux, nonobstant les infirmités d’aucuns, votre patience dans les difficultés, la charité et le support que vous avez les uns pour les autres, le gracieux accueil, la prévention d’honneur et les services que les externes trouvent en chacun de vous. D’où vous voyez, Monsieur, que le miel de votre ruche s’écoule jusques dans cette maison et sert à la nourriture de ses enfants. O Dieu ! quel sujet de consolation pour toute la compagnie ! mais quel motif à notre petite famille de s’humilier devant Dieu et de faire toujours de mieux en mieux, puisqu’il se plaît à étendre et à multiplier ainsi les biens qu’elle fait, aux lieux mêmes où elle n’est point !

Les présents que l’on vous apportera dans Gênes, vous les pourrez recevoir, quoiqu’ils viennent des lieux où vous avez fait la mission ; mais ceux que l’on vous pourrait offrir en faisant lesdites missions, refusez-les honnêtement.

Lettre 1017. — Reg. 2, p. 199.

 

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1018. — A LA MARQUISE DE MAIGNELAY

De Saint-Lazare, ce samedi matin [1647 ou 1648] (1).

Madame,

C’est avec toute l’humilité et le respect qui m’est possible, que je vous supplie, prosterné en esprit à vos pieds, de me pardonner si je ne me rends aujourd’hui chez Monsieur du Fresne, selon votre commandement, pour ce que, ne pouvant faire ce qu’il a proposé, de suite, pour les raisons de conscience que je vous ai dites, Madame, j’aurais trop d’affliction de refuser en présence la personne du monde à laquelle j’ai plus d’obligation et d’affection d’obéir, du fait dont il s’agit, vous protestant, Madame, que j’aimerais mieux mourir que de vous désobéir, s’il y allait de moins que de mon salut, et que, tant s’en faut que ce soit manquer d’affection pour ces bonnes filles (2), que, si je me Laissais aller aux mouvements de ma nature, je m’en irais les trouver à l’heure que je vous parle.

Et pour ce qui regarde Mademoiselle d’Anse (3), je ne

Lettre 1018. — L. a. — Original au British Museum, Egleton ms 1609, f° 35. Cette lettre a été tirée en fac-similé à un grand nombre d’exemplaires

1) Voir note 2.

2) Les filles de la Visitation, que saint Vincent cessa de visiter pendant dix-huit mois, à la suite d’une résolution prise pendant sa retraite de 1646. Nous savons, par la conférence du 13 novembre 1654 aux missionnaires, que ces religieuses eurent recours à la marquise de Maignelay pour faire fléchir le saint et que ce moyen leur réussit.

3). Marie Lambert, demoiselle d’Anse, fille d’honneur de la reine Anne d’Autriche et dame de la Charité. Disgraciée et renvoyée de la cour à l’époque de la Fronde, pour avoir laissé paraître ses sentiments vis-à-vis de Mazarin, elle sut si bien regagner la faveur de la reine que celle-ci lui donna dix mille livres par testament. Louise de Marillac et saint Vincent eurent plus d’une fois recours à ses bons offices.

 

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manquerai, Madame, d’aller recevoir vos commandements demain ou après, Dieu aidant, en l’amour duquel je suis, Madame, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Madame Madame la marquise de Maignelay.

 

1019. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Il y a plus d’un mois que nous sommes averties que Monsieur l’abbé de Vaux doit venir en cette ville au commencement du mois de mai, et qu’il est nécessaire qu’il ordonne d’un directeur pour nos sœurs, ce qui ne fait (1) avant que je vous aie fait toutes ses propositions, avant qu’il parte et que le changement des sœurs soit fait.

Mon peu d’expérience et capacité empêchent que je ne puis donner sujet à votre charité de prévoir (2) aux dangers où je vois souvent toute la compagnie dépérir petit à petit plutôt que s’établir ; ce qui me donne souvent les pensées d’Agar sur la crainte de la mort de son fils pour ne le voir périr ; mais plus justement qu’elle, puisque ce sont mes péchés qui sont cause de tous les désordres.

Je vous demande très humblement pardon de la surcharge de peine que je vous donne. Si je ne pensais que c’est la volonté de Dieu, j’essaierais de voir en paix tous ces dangers. Je supplie sa bonté y remédier et votre charité croire toujours que je suis, Monsieur, votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 1019 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Probablement pour "ce qu’il ne fera"

 

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1020. — A CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A RICHELIEU (1)

De Paris, ce 22 mars 1648 (2)

Monsieur,

Il y a longtemps, Monsieur, que Notre-Seigneur a donné à votre cœur les sentiments pour lui rendre quelque signalé service ; et quand on fit à Richelieu l’ouverture des missions parmi les gentils et idolâtres (3), il me semble que Notre-Seigneur fit sentir à votre âme qu’il vous y appelait, comme pour lors vous me l’écrivîtes, ensemble avec quelqu’autre de la famille de Richelieu. Il est temps que cette semence de la divine vocation sur vous ait son effet. Et voilà que M. le nonce, de l’autorité de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi, de laquelle notre Saint-Père le Pape est chef, a choisi la compagnie pour aller servir Dieu dans l’île Saint-Laurent,

Lettre 1020. — Arch. de la Mission, dossier de Madagascar, copie ancienne.

1) Charles Nacquart, né à Treslon (Marne) était entré dans la congrégation de la Mission le 6 avril 1640, à l’âge de vingt-trois ans. Arrivé à Madagascar le 4 décembre 1648, il étudia si bien la langue du pays, avec laquelle il avait déjà fait connaissance sur le bateau qu’en peu de temps il fut capable de rédiger un court abrégé de la doctrine chrétienne. Il convertit plusieurs protestants, baptisa soixante-dix-sept malgaches et régularisa la situation de Français qui vivaient en concubinage avec des femmes indigènes. Il évangélisa non seulement Fort-Dauphin, mais tout le pays d’alentour, dans un rayon de plus de dix lieues. Tant de travaux l’épuisèrent. Il mourut le 29 mai 1650. Les Mémoires de la Congrégation de la Miss : on (Paris, 1863-1899, II vol. in-8°) ont publié (t. IX) ses lettres, son journal et son testament, sur d’anciennes copies conservées aux archives de la Mission

2). Abelly, qui reproduit cette lettre en entier (op. cit., t. II, chap. I, sect. IX, § I, p. 156), non sans la retoucher sur plusieurs points, la date d’avril 1648.

3). Le sens est : quand on annonça à la maison de Richelieu qu’on allait commencer la Mission de Madagascar.

 

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autrement dite Madagascar (4) ; et la compagnie a jeté les yeux sur vous, comme sur la meilleure hostie qu’elle ait, pour en faire hommage à notre souverain Créateur, pour lui rendre ce service, avec un autre bon prêtre de la compagnie.

O mon plus que très cher Monsieur, que dit votre cœur à cette nouvelle ? A-t-il la honte et la confusion convenables pour recevoir une telle grâce du ciel ? vocation aussi grande et aussi adorable que celle des plus grands apôtres et des plus grands saints de l’Église de Dieu ; desseins éternels accomplis dans le temps sur vous ! L’humilité, Monsieur, est seule capable de porter cette grâce ; le parfait abandon de tout ce que vous êtes et pouvez être, dans l’exubérante confiance en votre souverain Créateur doit suivre. La générosité et grandeur de courage vous est nécessaire. Il vous faut une foi aussi grande que celle d’Abraham ; la charité de saint Paul vous fait grand besoin ; le zèle, la patience, la déférence, la pauvreté, la sollicitude, la discrétion, l’intégrité des mœurs et le grand désir de vous consommer tout pour Dieu vous sont aussi convenables qu’au grand saint François Xavier.

Cette île [est] (5) sous le Capricorne. Elle a 400 lieues

4) Le départ des missionnaires fut si précipité que saint Vincent n’ayant pas le temps de recourir à Rome, se contenta de demander les pouvoirs à Nicolas Bagni, nonce en France. Le nonce ignorait que la Propagande réservait la Mission de Madagascar aux Carmes déchaussés et leur avait déjà accordé toutes les facultés nécessaires. Par décret du 20 juillet 1648, la Propagande suspendit les pouvoirs donnés par le nonce à Charles Nacquart et à Nicolas Gondrée. Toutefois, pour ne pas les condamner à une oisiveté forcée, elle leur permit d’exercer toutes les fonctions curiales, pour les catholiques de l’île seulement, jusqu’à ce que les Carmes eussent renoncé à leurs droits. La situation fut régularisée par le désistement de ces religieux et un nouveau décret de la Propagande.

5). Mot oublié dans la copie.

 

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de long et environ cent soixante de large (6). Il y a des pauvres gens dans l’ignorance d’un Dieu, que l’on trouve pourtant fort simples, bons esprits et fort adroits. Pour y aller, on passe la ligne de l’équateur. Ceux qui ont la direction de cette île sont des marchands de Paris, qui sont comme les rois du pays (7).

La première chose que vous aurez à faire, ce sera de vous mouler sur le voyage que fit le grand saint François Xavier, de servir et édifier ceux des vaisseaux qui vous conduiront ; y établir les prières publiques, si faire se peut ; avoir grand soin des incommodés et s’incommoder toujours pour accommoder les autres ; porter le bonheur de la navigation, qui dure quatre ou cinq mois (8), autant par vos prières et la pratique de toutes les vertus, que les mariniers feront par leurs travaux et leur adresse ; et à l’égard de ces messieurs (9) leur garder toujours grand respect ; être pourtant fidèle à Dieu pour ne pas manquer à ses intérêts, et jamais ne trahir sa conscience par aucune considération, mais se prendre soigneusement garde de ne pas gâter les affaires du bon Dieu, pour les trop précipiter ; prendre bien son temps et le savoir attendre.

Quand vous serez arrivé en cette île (10) vous aurez

6) L’île mesure exactement 1 515 kilomètres du nord au sud et 470 de largeur moyenne.

7). Une société de capitalistes, la Société de l’Orient composée de vingt-quatre membres, avait obtenu de Richelieu, le 22 janvier 1642, le droit exclusif de faire le commerce à Madagascar et aux îles adjacentes pendant dix ans. Ils avaient envoyé des colons dans l’île, sous l’autorité de M. de Pronis, qui d’abus en abus avait obligé la Compagnie à lui chercher un successeur. M. De Flacourt fut choisi. Il alla prendre possession de son poste par le bateau qui conduisit MM. Nacquart et Gondrée. (Cf. Mémoire sur la Compagnie des Indes Orientales, 1642-1720, Bibl. nat. f.f. 6231).

8). Elle dura plus de six mois.

9). MM. de Flacourt, de Bloye, Galiot, Ruffin et autres compagnons de voyage.

10) Le copiste a écrit ville, par distraction sans doute.

 

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1° à vous régler selon que vous pourrez. Il faudra peut-être vous diviser, pour servir en diverses habitations ; il faudra vous voir l’un et l’autre le plus souvent que vous pourrez, pour vous consoler et vous fortifier. Vous ferez toutes les fonctions curiales à l’égard des Français et des idolâtres convertis. Vous suivrez en tout l’usage du concile de Trente et vous servirez du rituel romain. Vous ne permettrez qu’on n’introduise aucun usage ; et si déjà il y en avait, vous tâcherez doucement à ramener les choses à ce point. Pour cela, il sera bon que vous emportiez au moins deux rituels de Rome. Le capital de votre étude, après avoir travaillé à vivre parmi ceux que (11) vous devrez converser en odeur de suavité et de bon exemple, sera de faire concevoir à ces pauvres gens, nés dans les ténèbres de l’ignorance de leur Créateur, les vérités de notre foi, non pas par des raisons subtiles de la théologie, mais par des raisonnements pris de la nature ; car il faut commencer par là, tâchant de leur faire connaître que vous ne faites que développer en eux les marques que Dieu leur a laissées de soi-même, que la corruption de la nature, depuis longtemps habituée au mal, leur avait effacées. Pour cela, Monsieur, il faudra souvent vous adresser au Père des lumières et lui répéter ce que vous lui dites tous les jours : Da mihi intellectum ut sciam testimonia tua (12), Vous rangerez par la méditation les lumières qu’il vous donnera, et pour montrer la vérité du premier et souverain Être et les convenances pour le mystère de la Trinité, la nécessité du mystère de l’Incarnation, qui nous fait naître un second homme parfait, après la corruption du premier, pour nous réformer et redresser sur lui. Je voudrais leur faire voir les

11) Que, avec qui

12) Psaume CXVIII, 125

 

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infirmités de la nature humaine par les désordres qu’eux-mêmes condamnent ; car ils ont des lois, des rois et des châtiments.

Quoiqu’il y ait quelques livres qui traitent ces matières, comme le catéchisme de Grenade (13) ou autre, que nous tâcherons de vous envoyer, je ne puis que je ne vous répète, Monsieur, que le meilleur sera l’oraison : Accedite ad eum et illuminamini (14) ; s’abandonner à l’esprit de Dieu, qui parle en ces rencontres. S’il plaît à sa divine bonté vous donner grâce pour cultiver la semence des chrétiens qui y sont déjà et qui y vivent avec ces bonnes gens dans la charité chrétienne, je ne doute nullement, Monsieur, que Notre-Seigneur ne se serve de vous de delà pour préparer à la compagnie une ample moisson. Allez donc, Monsieur, et, ayant mission de Dieu par ceux qui vous le représentent sur la terre, jetez hardiment les rets.

Je sais combien votre cœur aime la pureté. Il vous en faudra faire de delà un grand usage, [attendu que ces peuples (15) viciés en beaucoup de choses, le sont particulièrement de ce côté-là, jusque-là que l’on dit que les maris mènent leurs propres femmes aux Européens, pour avoir des enfants d’eux. La grâce infaillible de votre vocation vous garantira de tous ces dangers.

Nous aurons tous les ans de vos nouvelles, et nous vous en donnerons des nôtres.

Encore qu’il ne faille point d’argent en ces pays pour y vivre, néanmoins, Monsieur, la compagnie a ordonné qu’on vous envoyât cent écus en or pour les nécessités

13). Catéchisme ou instruction du symbole de la foy, traduction par le chanoine Nicole Colin, Paris, Chaudières, 1587, in-f°

14) Livre des Psaumes XXXIII, 6.

15) Ces mots, nécessaires au sens de la phrase, ne sont pas dans la copie ; nous les empruntons aux texte d’Abelly.

 

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qui peuvent survenir. Nous vous enverrons aussi une chapelle complète, deux rituels romains, deux petites Bibles, deux conciles de Trente (16) deux Binsfeld (17) des images de tous nos mystères, qui servent merveilleusement à faire comprendre à ces bonnes gens ce qu’on leur veut apprendre, et qui se plaisent à en voir.

Nous avons ici un jeune homme de ce pays-là, d’environ vingt ans, que Monseigneur le nonce doit baptiser aujourd’hui. Je me sers d’images pour l’instruire, et il me semble que cela lui sert pour lui lier l’imagination.

Je ne sais s’il ne serait pas nécessaire de porter des fers pour faire des pains à dire la sainte messe, des épingles, des étuis de poche, chacun trois ou quatre, des huiles saintes pour le baptême et l’extrême-onction, chacun un Busée (18) quelques Introduction à la vie dévote (19) des abrégés des vies des saints.

Vous avez une obédience (20) de nous, un plein pouvoir de Monsieur le nonce, lequel a grandement cette œuvre à cœur.

Avec cela je me donne absolument à vous, sinon pour vous suivre en effet, d’autant que j’en suis indigne, au moins pour prier Dieu, tous les jours qu’il plaira à Dieu de me laisser sur la terre, pour vous, et, s’il plaît à Dieu me faire miséricorde, pour vous revoir dans l’éternité et

16) Les premières éditions des canons et décrets du concile de Trente avaient paru à Rome en 1564. Les plus récentes étaient celles d’Anvers (1640) et de Cologne (1644).

17) Auteur d’un enchiridion theologiae pastoralis, Trèves, 1591, in-8°, réédité à Paris en 1646

18) Manuel des Méditations dévotes sur tous les évangiles des dimanches et fêtes de l’année. Cet ouvrage, composé en latin par le P. Busée, avait été traduit et augmenté par Antoine Portail en 1644.

19). Une belle édition de Introduction à la vie dévote venait de paraître à Paris en 1641

20.) La lettre d’obédience fut envoyée le 28 mars à MM Nacquart et Gondrée. Elle a été publiée dans les Mémoires, t. IX, p. 42, note l.

 

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vous y honorer comme une personne qui sera placée par la dignité de sa vocation au nombre des personnes apostoliques.

Je finis, prosterné en esprit à vos pieds, demandant qu’il vous plaise aussi m’offrir à notre commun Seigneur, afin que je lui sois fidèle et que j’achève en son amour le chemin de l’éternité, qui suis dans le temps et serai à jamais, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Celui que nous vous destinons est M. Gondrée, lequel vous avez peut-être vu à Saintes, où il a demeuré, étant encore clerc ; c’est un des meilleurs sujets de la compagnie, en qui la dévotion qu’il avait, entrant en icelle, se conserve toujours ; il est humble, charitable, cordial et zélé ; bref il est tel que je ne puis vous en dire le bien que j’en pense.

Quelques marchands partiront d’ici mercredi ou jeudi pour aller à La Rochelle, où l’embarquement se doit faire. S’ils désirent passer à Richelieu, Monsieur Gondrée pourra aller avec eux pour vous y aller joindre, et eux s’en iront devant disposer leur vaisseau et vous attendre vers le (15) ou le 20 du mois prochain, auquel temps ils doivent faire voile (21). Je vous supplie, Monsieur, de vous tenir prêt.

Nous ajouterons aux livres jà nommés la vie et les épîtres de l’Apôtre des Indes (22),

21) Le vaisseau ne leva l’ancre que le 21 mai, jour de l’Ascension

22) Parmi les vies françaises de saint François Xavier, saint Vincent pouvait connaître celles de Martin Christophe (1608), Michel Coissard (1612), Etienne Binet (1622), du P. de Balinghem et une vie anonyme publiée à Mons en 1619. La première édition française de ses lettres avait paru à Paris en 1628.

 

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Ne divulguez ceci, s’il vous plaît, non plus que nous ne l’avons encore divulgué de deçà.

L’un des messieurs à qui cette île est donnée par le roi s’en va au voyage (23) ; il fera votre dépense sur mer et sur les lieux. Vous verrez sur les lieux si, avec le temps, vous y pourrez avoir du bien, pour vous y entretenir en votre particulier. Il y fait si bon vivre que cinq sols de riz, qui tient lieu de pain, suffisent pour nourrir cent hommes par jour.

Que vous dirai-je davantage, Monsieur, sinon que je prie Notre-Seigneur, qui vous a donné part à sa charité, qu’il vous la donne de même à sa patience, et qu’il n’y a condition que je souhaitasse plus sur la terre, s’il m’était loisible, que celle de vous aller servir de compagnon à la place de M. Gondrée.

 

1021. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 29 de mars 1648.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’écris à M. Nacquart par M. Gondrée, qui part aujourd’hui dans un coche pour Richelieu, afin de se rendre ensemblement à La Rochelle avec ces messieurs qui les doivent mener aux Indes, environ le 20e du mois prochain.

Monseigneur l’archevêque de Reims (1) est dans votre voisinage ; il m’a écrit que vous ne l’avez point visité.

23) M. de Flacourt. La Société de l’Orient avait promis de procurer aux missionnaires le logement, des vivres et des vêtements. Le nouveau gouverneur ne tint pas ces engagements.

Lettre 1021. — L s. — Dossier de Turin, original.

1) Léonord d’Estampes de Valençay

 

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Je vous supplie, Monsieur, de l’aller voir, et, vous prosternant à ses, pieds, de lui demander pardon de ne lui avoir rendu plus tôt vos devoirs ; que vous venez lui offrir votre obéissance et celle de votre compagnie, comme à celui qui vous a établis à Richelieu (2) et à qui, pour cette raison, vous devez toute sorte de respect et de soumission. Vous lui ferez aussi de ma part, s’il vous plaît, un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle.

Je vous ai recommandé M. du Coudray et je le vous recommande encore ; je ne le puis faire assez selon l’étendue de l’affection que Dieu me donne pour lui (3). Je vous prie de lui en donner témoignage et de me mander en quel état il est. Nous avons demandé à Notre-Seigneur sa conservation et sa santé.

Je ne sais si M. Chiroye (4) a recouvré la sienne ; je lui ai demandé des nouvelles il y a huit jours. Je vous prie de m’en écrire, au cas qu’il ne le fasse, et de saluer de ma part toute la famille, de laquelle et de vous en particulier je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. Gondrée est parti sans la lettre de M. Nacquart ; je la vous envoie (5). Voyez La lettre du frère Cruoly (6) et la lui rendez, si vous le jugez à propos.

Au bas de la première page : M. Gautier.

2) Voir t. I, pp. 430 et 447.

3) On sait que François du Coudray avait sur certains points dogmatiques des idées singulières.

4). Supérieur à Luçon.

5). Voir lettre 1020

6). Donat Cruoly, né à Cork (Irlande) le 24 juillet 1623, entré dans la congrégation de la Mission le 9 mai 1643, reçu aux vœux

 

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1022. CHARLES NACQUART A SAINT VINCENT

Du 1er avril 1648.

Monsieur

Votre sainte bénédiction, s’il vous plaît !

Il me semble en lisant et relisant la vôtre que les termes d’icelle n’étaient point d’un homme mais des paroles de l’esprit de Dieu, qui me communiquent, à la vérité, que c’est son bon plaisir de se servir de moi en une si noble et relevée vocation dont à la vérité, je me reconnais très indigne, et n’y ai pas senti de répugnance de la part de la chose, sinon que j’aurais bien désiré et souhaiterais bien encore d’être sous la conduite de quelqu’un et n’avoir point de direction, dont je me vois totalement incapable, faute de vertu et de prudence et de science, ce qui me donne très grande appréhension de gâter. l’œuvre de Dieu et d’empêcher beaucoup sa gloire, qu’un autre procurerait bien plus avantageusement, et serais en grand repos de n’avoir qu’à obéir. Hélas ! j’ai bien de la peine de me persuader que ce soit à moi, pauvre Charles Nacquart, que s’adresse cette signification du dessein de Dieu. Oh bien ! pourtant, puisque vous me tenez lieu de père sur terre, après celui que j’ai au ciel, je n’en doute pas Que M. Gondrée vienne quand il lui plaira ; j’irai avec lui comme un enfant perdu, à l’aveugle pour découvrir si cette terre est de promission. Et quoique j’aie vu ma main toute lépreuse, je me confie que Dieu nous donnera sa verge toute puissante pour opérer ce qu’il lui plaira. Mais au moins, si vous n’envoyez un supérieur, ajoutez, s’il vous plaît, un troisième compagnon, afin que ce triple cordon soit plus fort et indissoluble. Vous n’en avez peut-être pas à nous donner, dites-vous. Vous n’avez qu’à mettre (1) une lettre ici à M. Maillard (2) qui, s’il

en novembre 1645, ordonné prêtre en 1650. Il fut du nombre des missionnaires envoyés en Picardie en 1651 pour porter secours aux populations réduites à la misère. Saint Vincent le nomma ensuite directeur des étudiants et professeur de théologie à Saint-Lazare (1653-1654), puis l’envoya comme supérieur au Mans, d’où il revint à Saint-Lazare en 1657 pour professer la morale. Donat Cruoly fut à la tête de la maison de Saint-Brieuc de 1667 à 1670.

Lettre 1022 —. Arch. de la Mission, dossier de Madagascar, copie.

1). Mettre, envoyer.

2). Antoine Maillard, né à Veney (Meurthe), entré dans la congrégation de la Mission le 21 mai 1644, à l’âge de vingt-six ans, reçu aux vœux en 1646, longtemps procureur de la maison de Saint-Lazare, procureur général de 1679 à 1686.

 

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vous en souvient, il y a deux ans, vous le demanda aussi instamment que pas un et qui tout présentement, comme j’avais la main à la plume, ayant, par quelque conjecture soupçonné, par quelque chose qu’il a reconnu de M. Gautier, n’a prié instamment de vous dire qu’il y a encore son cœur plus porté que jamais, si vous le trouvez bon. En vérité aussi je crois qu’il aurait beaucoup de grâces, à raison de sa vertu et douceur et autres qualités, par lesquelles nous ne serions qu’un cœur. Si vous dites qu’il est trop nécessaire pour procureur à Richelieu, il a mis tout en si bon ordre qu’un autre n’aurait pas peine de lui succéder ; ce frère Vageot qui a l’estomac dévoyé pour l’étude (3), peut-être s’en acquittera bien. Donnez-le-nous (4) et pour supérieur ; il n’est point capable de vanité. Il y a des hommes qui s’enivrent d’un verre de vin et qui se noient dans 4 doigts d’eau. La moindre fumée d’honneur est capable de m’étourdir. Je puis dire : qui datus est mihi stimulus carnis (5), en entendant l’autre sexe ; ce qui me fait appréhender d’être quelquefois seul. Comme vous dites, il ne coûtera pas plus 3 que 2 ; mais fiat voluntas Domini ! Mais voici des demandes, au cas que vous confirmiez en moi votre première proposition.

Faudra-t-il choisir un lieu de résidence duquel, comme d’un centre, nous allions à la circonférence de l’île faire des missions, comme en ce pays, pour y revenir ? Y a-t-il là des villes, des paroisses, des églises, d’autres prêtres que nous (6) d’autre religion de controverse ? Y a-t-il d’autres seigneurs que les Français, dont il faille dépendre ? Comment faut-il faire les fonctions curiales ? De même qu’en ce pays ? Faut-il observer nos mêmes cérémonies entièrement, et il n’y a pas (7) de livre de plain-chant ? Dirons-nous la messe tous les jours dans le vaisseau ? Aurons-nous partout de la matière de consécration ? Si nous n’avons qu’une chapelle, comment faire, quand nous serons divisés ? N’y a-t-il point d’obstacles à notre religion pour toutes nos fonctions, nos habits de prêtres ? Faut-il avoir

3) Philippe Vageot, clerc, né à Bellegarde (Ain), entré dans la congrégation de la Mission le 3 mai 1645, à l’âge de vingt et un ans, reçu aux vœux le 12 octobre 1647, ordonné prêtre en septembre 1648, placé à la maison de Saintes peu après son ordination, supérieur de cet établissement de 1651 à 1655, année de sa sortie de la compagnie.

4) Antoine Maillard.

5). Seconde épître aux Corinthiens XII, 7.

6). Il n’y avait à Madagascar, dans la région qu’allaient habiter les missionnaires, qu’un seul prêtre, M. de Bellebarbe.

7). Il n’y a pas, n’y a-t-il pas ?

 

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des bonnets carrés, des surplis ? Pourrons-nous établir des confréries de la Charité, recevoir des exercitants ? Comment réglerons-nous notre temps sans horloge ou montres ? Pourriez-vous nous envoyer le règlement de la Mission comme on y a mis la dernière main (8) ? Pourrons-nous admettre des compagnons de ce pays, ou pour être prêtres et instruire ? Y a-t-il des évêques, ou aurons-nous quelques coadjuteurs d’ici ou de là ? Le frère J. Bance (9) s’était offert, comme vous savez. Faut-il accepter quelque fondation pour notre subsistance en particulier et faire bâtir sans vous en avoir écrit ? Cela serait bien long.

Il y aurait possible (10) d’autre chose à vous proposer, auxquelles vous suppléerez en nous donnant de nouveaux avis, si vous n’y avez déjà pourvu par M. Gondrée. Vous aurez encore assez de temps pour répondre à la présente, avant que nous partions, si vous en prenez la peine, par la première poste, à quoi nous nous attendrons. Aurons-nous un encensoir, de l’encens, un soleil pour honorer N.-S. au Saint Sacrement de l’autel ? L’aurons-nous toujours consacré dans le vaisseau ? Tâcherons-nous de faire faire des confessions générales à tous ceux du vaisseau ? Ferons-nous lecture de table sur le chemin et là. ? Pourrons-nous avoir sur le chemin et au pays la liberté de garder l’ordre de la journée d’un missionnaire, faire des conférences entre nous et en faire avec ces messieurs du vaisseau, s’ils y sont disposés, et aussi, dans le pays, aux enfants, aux hommes (11) ? Si nous avions des indulgences beaucoup à distribuer et des messes privilégiées, des prières de 40 h., etc., cela exercerait la dévotion.

J’attendrai la vôtre pour vous dire adieu et faire mon testament (12) avant que mourir moralement à tout le pays. Offrez-nous derechef aux prières de la compagnie, sans lesquelles j’aurais bien moins de confiance pour une telle entreprise, à laquelle ces marchands qui y vont pour le temporel me serviront d’aiguillon ou de confusion, si je ne fais pour la gloire de Dieu et le salut des âmes autant comme eux pour

8) Avec les dernières modifications.

9). Jean Bance, né à Ménonval (Seine-Inférieure) en 1611, reçu dans la congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, le 9 novembre 1637.

10) Possible, peut-être.

11) La réponse de saint Vincent fut affirmative, et Charles Nacquart eut la joie de voir matelots et passagers répondre à son appel.

12) Le seul testament que nous ayons de Charles Nacquart est du 24 juin 1649. Il a été publié dans les Mémoires, t. IX, p. 137.

 

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leur trafic, quoique je craigne extrêmement de me perdre, sachant mes infirmités et l’incapacité à la conduite des âmes. N.-S. me veuille tenir la main et me donner ce que vous m’avez déjà souhaité et que vous lui demanderez avec tant d’autres bonnes âmes, dont par vous je mendie le secours.

Je suis, en son amour, inviolablement et de tout mon cœur, en celui de sa sainte Mère et de saint Joseph, Monsieur et très honoré Père, votre très humble et très obéissant et très affectionné fils.

CHARLES NACQUART,

très indigne prêtre de la Mission.

Y a-t-il danger d’écrire un petit mot à mon père pour lui demander sa bénédiction et qu’il fasse prier Dieu pour moi

 

1023. — NICOLAS GONDRÉE, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

De Tours, ce 3 avril 1648.

Monsieur,

Votre bénédiction !

Je suis arrivé à Tours heureusement, en la compagnie de Monsieur de Bloye, qui nous conduit, par l’ordre de M. de Flacourt (1) II ne pouvait nous donner un homme de meilleure conduite, non seulement pour le temporel, mais aussi pour le spirituel. Je vous puis assurer que j’ai reçu de lui autant d’édification comme jamais j’ai reçu de personnes de sa condition, chantant et excitant les autres soir et matin et à toute heure à la dévotion. J’espère que Dieu se veut servir de lui en Madagascar ; car il m’a fait paraître autant d’ardeur comme je pourrais espérer, et autant de désir d’amplifier la gloire de Dieu en ces peuples, non seulement par les autres les défendant par sont autorité, mais aussi par les instructions familières qu’il a dessein de leur faire. II commence déjà sa mission,

Lettre 1023. — Arch. de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1). Etienne de Flacourt, né à Orléans en 1607, gouverna la colonie de Madagascar, au nom de la Compagnie des Indes, de 1648 à 1655, au milieu de mille difficultés, suscitées surtout par les colons, qui attentèrent plus d’une fois à sa vie. Après son retour en France, il fut employé dans l’administration de la Compagnie. Il a laissé une Histoire de la grande îsle de Madagascar (Paris, 1654, in-4) et un Dictionnaire de la langue de Madagascar (Paris, 1658, in-8), qu’il a dédié à Saint Vincent.

 

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enseignant à communier, le Pater et le Credo ; en un mot, c’est un soleil au milieu de plusieurs étoiles ; et moi ne suis que ténèbres, à cause de mes imperfections, au milieu de ces lumières. Il voudrait que plusieurs ecclésiastiques voulussent se donner à Dieu pour la conversion de l’île ; ce qu’il m’a manifesté ; car ayant fait rencontre d’un honnête prêtre qui cherchait condition, il fut ravi de connaître la bonne volonté qu’il avait de servir à Dieu en ce pays, et après avoir sondé son intérieur, qui est très bon car il nous proteste que ce n’est point son intérêt propre qui le fait aller en ce quartier, mais la pure gloire de Dieu. avec désir de souffrir, d’obéir, de travailler et d’endurer le martyre s’il en est de besoin. Béni soit Dieu de lui avoir communiqué cet esprit ! Il espère de vos nouvelles le plus tôt que vous pourrez car il pourra acheter quelque rafraîchissement pour cela, pourvu que vous le fassiez trouver bon à Monseigneur le nonce (2), à qui, comme à vous, Monsieur, [je suis] votre très humble serviteur.

N. GONDRÉE,

prêtre indigne de la Mission.

Monsieur de Bloye, M. Galiot, M. Rufin et le reste de notre bande se recommandent à vos saintes prières et à celles de toute la compagnie. Vous pensez que nous allions seulement deux missionnaires, mais ils m’ont assuré que nous ne serions point seuls ; et en quoi ils nous pourront assister, ils feront de bon cœur, et que, pour couronner leur travail, ils vous iront saluer, comme quelqu’uns m’ont promis, afin de remercier Dieu de leur voyage faisant une bonne retraite, comme quelqu’uns ont déjà fait. Plaise à Dieu qu’ils puissent exécuter ces desseins. !

Monsieur de Bloye vous prie de prendre la peine d’adresser les vôtres à M. Henry, dans La Rochelle, où il a mené ce bon prêtre, qui m’a montré toutes ses lettres en bonne forme. Ce bon prêtre m’a fait vous dire qu’il attend avec impatience vos réponses ; et nous sommes dans les mêmes désirs de savoir les succès de cette affaire. Le nom de ce bon prêtre est Abraham Louvel, de l’évêché du Mans.

Monsieur, je ne vous envoie la présente que pour satisfaire à la volonté de M. de Bloye, qui l’a ainsi désiré pour savoir votre volonté touchant ce bon prêtre, qui a été vicaire en quantité de villes, parait trop fin un peu ignorant, a été refusé à Orléans ; bref, je ne pense point que nous nous puissions accommoder avec lui. Nous attendons vos réponses.

2). Nicolas Bagni.

 

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1024. — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1645 et 16491]

Mademoiselle,

Je trouve bon et vous promets de faire tout ce que vous me mandez.

Je m’en vas dire à cette fille que je pense qu’il est bon qu’elle demeure ici ; et cela est conforme à l’Évangile.

Puisque celle de cette paroisse (2) s’en veut aller, à la bonne heure, mettez sœur Jeanne de la Croix (3) à sa place et parlez-lui en la manière que vous dites.

J’ai soin de ma santé et en aurez encore davantage ; je le vous promets, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, v. s.

V. D.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1025. — JEAN-JACQUES OLIER A SAINT VINCENT

[Avril 1648] (1)

Qui a Dieu a tout.

Monsieur,

J’ai à vous donner avis que le Père Maurice (2) a été visité

Lettre 1024 — L. a — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Voir note 3.

2). La paroisse Saint-Laurent.

3). Sœur Jeanne de la Croix, née au Mans, était entrée chez les Filles de la Charité en 1645 ou 1646. Elle fut placée à Serqueux au plus tard en 1649, devint assistante de Louise de Marillac en 1651 puis dirigea l’établissement de Châteaudun et fut encore une fois nommée assistante.

Lettre 1025. — L. a. — Arch. du séminaire de Saint-Sulpice original.

1). Date ajoutée au dos de l’original.

2) Carme déchaussé de la maison de Paris, sur la paroisse Saint-Sulpice.

 

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par M. du Bosquet (3) et, que M. l’abbé de Cérisy (4) conserve avec lui grande intelligence, par le moyen de Madame Seguin, qui est la pénitente affidée dudit Père Maurice, qui ne souffrira qu’avec violence que le bon Père lui soit ôté, et fera ce qu’elle pourra sur l’esprit de M. le chancelier (5) par ces messieurs et par elle-même, pour se le conserver Cette bonne dame est affectionnée au parti nouveau, autant qu’on le peut être et comme, ces jours passés, je faisais avertir, par un de nos messieurs, Madame la chancelière de donner avis à M. son mari qu’on voulait faire venir en cette ville le Père Séguenot (6), qui serait une chose périlleuse, la bonne Madame Seguin se déclara porter avec peine qu’on s’opposât à ce parti et ses suppôts. Et peut-être, Monsieur, serait-il important que vous vissiez M. le chancelier pour le prévenir sur ceci, selon que la divine sagesse vous en pourrait ouvrir les voies.

Je suis libre à vous faire savoir ces choses comme des intrigues nécessaires à découvrir dedans l’œuvre de Dieu, que vous aimez et qu’il vous charge de maintenir

OLIER.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission.

 

1026. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

Au mois d’avril 1648.

Monsieur,

J’écris à Madame la marquise de Senecey (1) et la supplie de

3) Le futur évêque de Lodève.

4). Germain Habert, abbé de Cérisy (Manche), membre de l’Académie française, auteur d’une vie du cardinal de Bérulle, mort en 1655.

5). Pierre Séguier.

6). Claude Séguenot, né à Avallon le 6 mai 1596, quitta le barreau pour entrer à l’Oratoire en 1624. Il se lia de bonne heure avec l’abbé de Saint-Cyran. Sa traduction française du livre de saint Augustin sur la virginité lui valut quatre ans d’emprisonnement à la Bastille (1638-1643) et la censure de la Sorbonne. Il fut supérieur à Nancy, Dijon, Rouen, Saumur, Tours, fut nommé assistant du général en 1661, 1666 et 1669 et gouverna l’Oratoire de Paris de 1667 à 1673. Il mourut dans cette ville le 7 mars 1676. Plusieurs de ses ouvrages sont restés manuscrits

Lettre 1026. — Arch. de l’évêché de Cahors, copie prise sur l’original.

1) Marie-Catherine de la Rochefoucauld, comtesse, puis duchesse

 

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représenter à la reine l’état déplorable du diocèse de Rodez, qui est quasi aussi ruiné que celui de Périgueux, excepté que les églises n’y sont pas si ruinées et qu’il y a plus d’ecclésiastiques, les mœurs desquels sont si dépravées que dès lors que Mgr de Rodez (2) fut mort, ils quittèrent l’habit clérical. Les uns pendaient leurs soutanes aux fenêtres des cabarets, les autres buvaient à sa santé, et ceux qui avaient quitté leurs concubines les reprirent La première action que firent les vicaires généraux fut de casser toutes les ordonnances que ce prélat avait faites pour la réforme de son diocèse ; ce qui a rempli d’un si grand scandale toute cette province, que je ne saurais l’exprimer, que c’est un des plus grands diocèses de ce royaume et de la plus difficile conduite qui se puisse voir à cause des esprits des personnes de ce pays-là, qui sont très, fâcheux, et qu’il (est) tout à fait nécessaire que Sa Majesté y pourvoie d’un homme apostolique, et que je la supplie de dire à Sa Majesté, ou comme venant d’elle-même, ou comme l’en ayant suppliée. Je vous ai voulu mettre ici ce que je lui ai écrit, afin que vous vous en serviez dans l’occasion. Je vous supplie, au non de Dieu, d’apporter tout le soin qui vous sera possible afin que ce diocèse soit pourvu d’un pasteur tel que l’état auquel il est réduit le requiert. Il n’est pas seulement nécessaire que ce soit une personne apostolique, mais encore qu’il soit doué d’une grande force d’esprit et d’un grand cœur. Serait-il possible que la reine, par quelque considération d’État, voulut mettre là une personne qui n’eut pas les qualités requises pour réformer ce diocèse ? Je ne le puis croire de cette bonne princesse, et en aurais grande douleur, si cela arrivait. Si vous voulez lui dire ce que je vous ai écrit, vous pouvez bien assurer Sa Majesté que cela est très véritable. Il y a bien peu de personnes qui sachent mieux l’état de ce diocèse que moi. Il entoure le mien plus de vingt lieues de France et il cause des maux que je ne saurais vous dire. Quelque diligence que j’y apporte de mettre sur les frontières de bons vicaires forains d’y faire de fréquentes visites et y envoyer souvent nos missionnaires, néanmoins cela n’empêche pas qu’il n’en reçoive de grands dommages tant les mœurs des ecclésiastiques de ce pays sont scandaleuses et dépravées.

de Rendan, première dame d’honneur de la reine Anne d’Autriche, gouvernante de Louis XIV durant son bas âge, mariée à Henri de Bauffremont, baron de Senecey, qu’elle perdit en 1622, morte le 10 avril 1677 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.

2). Charles de Noailles, mort le 27 mars 1648. On lui donna pour successeur, le 10 juin 1648, Hardouin de Péréfixce, le futur archevêque de Paris.

 

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Le bon Monsieur Ferrier (3) s’est retiré, qui avait, dans le peu de temps qu’il y a demeuré, travaillé beaucoup pour la réforme de ce clergé, et s’était acquis une grande réputation et créance dans tout ce pays, etc.

Laissera-t-on toujours le pauvre diocèse de Périgueux dans la misère ? J’avais envie d’écrire à Madame la Marquise de Senecey ; et si voulez le dire à la reine, que je vous l’ai mandé et qu’il n’y a rien de quoi Dieu lui fasse tant rendre compte que de ne pourvoir les évêchés de pasteurs qui aient les qualités requises et de n’y avoir assez tôt pourvu. Dieu inspire Sa Majesté de faire choix de personnes qui soient selon son cœur. !

Je suis cependant, Monsieur, etc.

ALAIN,

év de Cahors.

 

1027. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

Du 24 avril 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! (a)

Je vous prie de terminer toutes choses avec Messieurs les administrateurs de l’hôpital avant votre retour. A ce que je vois, il n’y aura pas de grandes difficultés. Ils approuvent déjà que la direction spirituelle nous demeure tout entière ; et en cela ils se conforment à ceux de l’Hôtel-Dieu de Paris, qui ne prennent aucune connaissance que du temporel, laissant le reste aux

3) Disciple du Père de Condren et collaborateur de Jean-Jacques Olier, un des fondateurs du séminaire de Saint-Sulpice. Venu à Rodez à la demande de l’évêque, Charles de Noailles, qui lui conféra les titres de grand vicaire et d’official. *Il fit reconnaître comme séminaire diocésain le séminaire à Villefranche, fondé par Raymond Bonal. et travailla à la réforme du diocèse avec tant de succès, qu’après six mois de séjour il jugea son œuvre accomplie et retourna à Paris.

Lettre 1027.Recueil des exhortations et lettres de saint Vincent, première partie, p. 286.

*Reg.2, p. 103.

a) Coste demande de supprimer les lignes 19 à 21…. ??? VIII, 627.

 

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soins de Messieurs de Notre-Dame (1), et ceux-ci ne servent pas ledit Hôtel-Dieu par eux-mêmes, mais ils le font desservir par d’autres ; ils se contentent d’en députer un d’entre eux pour voir en général si tout va bien. Nous ferons volontiers de même, et j’assure Monsieur de la Coste que je n’ai jamais entendu faire autrement, à cause que le service des hôpitaux ne s’accorde pas avec nos fonctions. Nous mettrons dans celui des forçats des prêtres externes, que nous choisirons dans les séminaires, et un des nôtres veillera sur eux et travaillera avec eux.

 

1028. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 26 avril 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Oui, Monsieur, allez remercier, s’il vous plaît, Monseigneur l’archevêque de Tours ; sa charité et sa courtoisie exercée vers les vôtres méritent bien ce voyage. En lui témoignant votre reconnaissance, faites-lui connaître la mienne et le suppliez d’agréer le renouvellement des offres de mon obéissance, que je lui fais par vous avec toute l’humilité qu’il m’est possible.

Je rends grâces à Dieu de la nouvelle dignité de Messieurs Constantin (1) et Manceau (2) ; saluez-les de ma part

1) Les chanoines de Notre-Dame de Paris.

Lettre 1028. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) François Constantin, né à Limoges, entré dans la congrégation de la Mission le 19 décembre 1643, à l’âge de vingt. ans, reçu aux vœux le 25 décembre 1645, ordonné prêtre le 31 mars 1648.

2). Simon Manceau, né à Kalembourg hameau de la commune de Laumesfeld (Moselle), reçu dans la congrégation de la Mission le 17 janvier 1645 à l’âge de vingt-quatre ans, ordonné prêtre le 31 mars 1648. Il était encore à Richelieu en 1651.

 

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et leur dites, s’il vous plaît, que j’ai prié et prierai encore Notre-Seigneur qu’il leur donne toujours de nouvelles dispositions pour le Sacrifice, et la grâce de ne l’offrir jamais par coutume ; que je les supplie de se souvenir de moi, quand ils prononceront Nobis quoque peccatoribus, comme du plus grand pécheur qui soit sur la terre. C’est en cette vue, Monsieur, que je me recommande pareillement à vos prières et à celles de votre communauté, à laquelle et à vous en particulier je fais don de mon cœur et de tout ce que je suis, quoique tel que je viens de dire.

Je suis bien aise que M. du Coudray se porte mieux, et de la liberté que vous lui donnez de demeurer à Bois-Bouchard (3). Je vous conjure, Monsieur, de le supporter en cela et au reste (4) autant que vous le pourrez, et moi particulièrement, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. Lambert ne vous fait point de réponse, parce qu’au sortir de sa retraite, où il honorait celle de Notre-Seigneur au ventre de son incomparable Mère, il a voulu encore honorer son enfance, en demeurant au séminaire, où il est rentré depuis 4 ou 5 jours, Dieu sait avec quelle humilité et avec quelle édification pour la compagnie.

Au bas de la première page : M. Gautier.

3) Le fief de Bois-Bouchard, situé dans le voisinage de Marie-de-l’Etoile, appartenait aux missionnaires de Richelieu, qui y avaient établi leur maison de campagne.

4). Voir p. 286, note 3.

 

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1029. — LOUISE DE. MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce jour sainte Monique [4 mai 1648] (1).

Monsieur,

Je crois que Mlle Viole proposera un boulanger pour cuire à Bicêtre ; si votre charité treuve bon de dire que déjà y en a eu un qui boulange fort bien, et que l’on s’est bien treuvé de sa façon ? car j’appréhenderais bien que l’on en introduisit un autre qui ne serait pas si propre tant pour le bien des enfants que pour nos sœurs.

Monsieur le curé de St-Laurent (2) se plaint toujours de n’avoir pas ce qui lui appartient pour les baptêmes. Les dames veulent qu’il intente un procès contre Monsieur le curé de St-Christophe (3) ; mais, comme il n’a aucune copie du contrat de fondation, il ne le peut pas, outre que mondit sieur de St-Christophe se plaignait de n’en pouvoir rien tirer. Je crois Monsieur, qu’il serait nécessaire que ces dames prissent la peine d’en savoir la raison, et serait aussi bien aisé de faire donner les papiers nécessaires à Monsieur de St-Laurent.

Il m’est venu en pensée depuis hier de proposer à votre charité si elle treuverait bon pour ne pas tant choquer Monsieur le curé de Chars (4), d’envoyer ma sœur Jeanne-Christine à la place de ma sœur Turgis et de réserver la sœur Jacquette pour Chantilly (5), car je prévois qu’il nous faudra encore ôter de Chars celle qui y est demeurée pour ne pas négliger l’avertissement de la personne inconnue mais l’une et l’autre demandent à faire les vœux y a longtemps, et je crois que ce serait trop les affliger de les remettre ; il y a grande apparence que ce sera utilement, étant l’une et l’autre d’esprit assez mûr et d’âge assez avancé.

Lettre 1029. — L. a. — Original chez les sœurs de la Miséricorde de Montpellier

1) Date ajoutée au dos de la lettre par le frère Ducoumau.

2). Guillaume de Lestocq.

3). Paroisse de Paris. Elle comprenait dans son enceinte, près de l’Hôtel-Dieu, la maison dans laquelle étaient portés les enfants nouvellement trouvés. Il y avait une autre maison d’enfants trouvés sur la paroisse Saint-Laurent.

4). Commune de l’arrondissement de Pontoise. Les Filles de la Charité, établies dans la localité depuis 1647, avaient beaucoup à souffrir des tendances jansénistes de M. Pouvot, curé de la paroisse.

5) Les Filles de la Charité y avaient un établissement depuis l’année précédente. (Cf. Chantilly par le chanoine Eugène Muller Senlis, 1913, in-8°)

 

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S’il vous plaît prendre la peine nous donner réponse en ce sujet au plus tôt à cause que le temps presse pour Chars et moi de me dire, Monsieur, votre très obéissante servante et indigne fille.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1030. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

Du 8e mai 1648.

C’est bien dit, Monsieur, qu’il ne faut pas que le supérieur de la maison de Marseille demande avis à Messieurs les administrateurs, quand il sera question de mettre ou de changer des prêtres externes dans l’hôpital : je veux dire qu’il ne faut pas que cela lui soit une obligation. Il aura droit de les établir et de les destituer par lui-même, comme un curé son vicaire. Vous ajusterez donc toutes choses conformément au mémoire que je vous ai envoyé, et en conviendrez par écrit, si ces messieurs le désirent, particulièrement au cas que les patentes de la fondation, ou les règlements qu’ils ont faits, nous obligeassent ou à d’autres choses, ou à faire autrement que ledit mémoire ne porte, lequel écrit se pourra insérer à la suite de leur règlement, si vous le jugez à propos. Vous pourrez aussi convenir des autres circonstances, comme du temps et des occupations, non toutefois pour nous obliger à faire aucun service solennel dans la chapelle, bon pour y prêcher une fois le mois et y faire le catéchisme parfois. Notre maison est trop pauvre pour entretenir les prêtres qu’il faudrait, s’il fallait chanter et faire tout ce que ces messieurs demandent.

Lettre 1030. — Reg. 2, p. 104

 

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Dites-leur que nous ferons le mieux que nous pourrons, et avec le plus d’ajustement à ce qu’ils désireront. Après cela ne nous amusons point à vouloir pénétrer dans leurs intentions pour l’avenir ; car pour voir en eux tant de circonspection en ce commencement, il ne faut pas s’imaginer qu’ils aient dessein d’empiéter sur le spirituel, mais seulement de bien faire les choses, selon leurs lumières présentes.

 

1031. — JULIEN GUÉRIN, PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

Tunis, mai 1648.

Il m’est impossible de vous exprimer combien grands ont été les gémissements et les pleurs des pauvres esclaves, de tous les marchands et de M. le consul (1) et combien de consolation nous recevons de leur part. Les Turcs mêmes nous viennent visiter dans notre affliction, et les plus grands de la ville de Tunis m’ont envoyé offrir de leur part secours et service. Enfin, Monsieur, je vois évidemment qu’il fait bon servir fidèlement Dieu, puisque dans la tribulation il suscite ses ennemis mêmes pour secourir et assister ses pauvres serviteurs. Nous sommes affligés de la guerre, de la peste et de la famine, même excessivement, et avec cela nous sommes sans argent ; mais pour ce qui regarde notre courage il est très bon, Dieu merci ; nous ne craignons non plus la peste que s’il n’y en avait point. La joie que nous avons, notre frère et moi, de la santé de notre bon M. Le Vacher, nous a rendus forts comme les lions de nos montagnes.

 

1032. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

13 mai 1648

Monsieur,

Nous sommes pressées d’envoyer deux de nos sœurs, l’une

Lettre 1031. — Abelly, op cit., 1. II, chap. I, sect. VII, § I,

1er éd., p. 94

1) Martin de Lange. Ces gémissements avaient eu pour cause la crainte de perdre Jean Le Vacher, que la peste avait failli emporter.

Lettre 1032. — Hospice de Dourdan, copie.

 

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à Crespières (1) et l’autre à Maule ; et ce sont de celles qui ont demandé, il y a bien longtemps, à votre charité de se donner à Dieu par les vœux. Il y a bien six à sept ans qu’elles sont dans la compagnie, sans avoir jamais témoigné aucun dégoût, mais, au contraire, elles ont toujours été de très bon exemple S’il plaît à votre charité leur permettre demain matin, avant de partir entendre la messe et faire cette sainte action ? Elles ne partiront que sur les midi. Vous nous ferez, s‘s’il vous plaît, la charité de nous faire avertir, si vous l’agréez, et si nous aurons le bien d’entendre de vous la sainte messe pour ce sujet.

J’ai bien grand besoin que Dieu me fasse la grâce de vous parler et que votre charité me croie toujours, Monsieur, votre très obéissante fille et très humble servante.

LOUISE DE MARILLAC.

L’une de nos sœurs s’appelle Andrée, qui est près de Tours, et l’autre Catherine de Gesse, qui servait les pauvres à Saint-Gervais.

 

1033. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 15 mai 15 1648.

Je ne puis cesser, Monsieur, de vous recommander votre santé ; elle m’est si chère et si utile aux âmes, que je vous supplie derechef de faire votre possible pour la recouvrer, suspendant toute sorte de travail et suivant exactement les avis des médecins. Souvenez-vous, Monsieur, que saint Augustin dit que qui n’obéit aux médecins fait ce qui est en lui pour se donner la mort ; nous lirons cela un de ces jours à l’office. J’espère donc que vous serez fidèle à leurs ordonnances et que vous donnerez cette consolation à la compagnie, après tant d’autres qu’elle en a reçues de vous, à qui je suis, en l’amour de

1) Commune de l’arrondissement de Versailles. Les sœurs venaient d’y fonder un établissement.

Lettre 1033. — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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Notre-Seigneur, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

M. le premier président de la cour des Aides m’a dit beaucoup de bien de M. votre frère.

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1034. — DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR A RICHELIEU,

A SAINT VINCENT

1648.

Pendant deux missions données dans le Bas-Poitou trois missionnaires ont eu le bonheur de convertir douze hérétiques notables

 

1035. — JEAN BARREAU, CONSUL A ALGER, A SAINT VINCENT

[Alger, mai 1648] (1)

Voici une histoire qui ne vous semblera pas moins belle que celle de l’année passée, par l’issue de laquelle vous pourrez reconnaître le secours que j’ai reçu de la main toute puissante de notre bon Dieu, qui m’a guéri encore à cette fois du mal contagieux, qui va tous les jours en augmentant Je ne puis pénétrer dans les délibérations de ses conseils mais j’appréhende avec juste raison qu’il ne jette la paille dans le feu, après en avoir cueilli le froment

Il semblait que les grands et importants services que feu monsieur Lesage, mon très cher et bien-aimé père et maître rendait à notre bon Dieu, dans la personne des pauvres chrétiens esclaves, dans cette ville d’Alger, lui devaient donner un

Lettre 1034 — Abelly, op. cit., 1, II, chap. I, sect. Il, § 8,1er éd p 53

Lettre 1035. — Ms. de Lyon, f° 203 et suiv.

1) Jean Barreau écrit cette lettre après le 12 mai 1648, jour de la mort de Jacques Lesage, dans le courant de ce même mois.

 

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siècle de vie, et que les lâchetés devaient bientôt trouver leur fin dans la fin de la mienne. Je vois tout le contraire, à ma confusion.

Il n’a paru en cette ville que comme un éclair, mais qui a laissé des marques très sensibles de ses effets et qui l’ont d’autant plus fait considérer qu’il sont plus considérables. Sa mission na pas été si longue que celle de feu Monsieur Nouelly ; mais son travail a bien été aussi grand, à cause de la grande quantité d’occasions que Notre-Seigneur lui a présentées depuis le jour des Cendres dernier, qu’il est entré en cette ville, jusques au 12 du présent mois, qu’il est allé à la gloire, tout ce temps n’ayant été qu’une suite continuelle de soins et de sollicitudes pour le secours tant spirituel que temporel des pauvres malades tant de la peste que d’autre maladie.

Son premier soin après son arrivée fut de s’informer exactement de la manière avec laquelle mondit sieur Nouelly se comportait à l’égard des pauvres chrétiens esclaves et sa méthode pour les secourir, et après, pour les porter à faire des fruits dignes de pénitence par de salutaires exhortations qu’il faisait dans les bains de Cheleby et du Collorgli, qui sont deux personnes puissantes dans la ville, tant à la fin de la messe que des vêpres, à la fin desquelles il leur faisait faire quelquefois les prières du soir, ainsi qu’il avait fait, au commencement de sa messe, celles du matin ; ce qui ne s’était encore pratiqué dans cette ville ; et pour obliger un chacun à entrer en cette sainte coutume, il avait fait traduire les prières en langue espagnole, comme étant la plus vulgaire en cette ville, à quoi nous travaillions à l’heure même que la violence de son mal l’obligea à se mettre au lit.

A la fin de ses exhortations, il suppliait tous les assistants de le faire avertir quand quelqu’un d’entre eux ou de leur connaissance serait tombé malade, soit de peste, ou d’autre mal, et qu’il les assisterait même au péril de sa vie. Cette supplication était faite avec un si grand sentiment d’amour qu’il tirait les larmes des yeux d’un chacun. Mais ce n’était encore rien au regard du zèle avec lequel il exécutait ce qu’il leur avait promis ; ce qui lui donna un tel crédit parmi les pauvres chrétiens qu’ils accouraient à lui de tous cotés pour être secourus ou spirituellement ou corporellement, selon leurs nécessites et comme il appréhendait que ses paroles n’eussent pas assez d’efficace sur leurs esprits, il leur promettait de récompenser de quelque somme d’argent ceux qui lui feraient la faveur dont il était si fort altéré, qu’il avait toujours des chrétiens à sa solde, qui ne faisaient autre chose que d’aller par la ville s’informer où il y avait des malades,

 

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tellement que ce que sa faiblesse ne lui permettait pas de faire par lui-même, il le faisait par l’entremise d’autrui ; et pour ce qui dépendait de son ministère il le faisait avec une ardeur très grande, tant en l’ad ministration des sacrements qu’autres secours

/I savait accompagner son zèle avec une telle discrétion et prudence qu’il envoyait premièrement le sieur Claude Didier, apothicaire, qu’il avait amené avec lui de France, pour trouver quelques moyens de parler aux malades. Que si en effet, il y avait de la peine d’entrer, il faisait entendre au patron qu’il ne pouvait donner remède à son esclave que le médecin ne l’eut visité, et qu’à cet effet il lui en amènerait un. Et de cette manière, il avait entrée où il y avait péril de la vie.

A la faveur donc de cette invention ils entrèrent tous deux dans la maison d’un Turc, lequel d’abord les repoussa rudement ; mais lui ayant dit qu’ils étaient l’un médecin, l’autre chirurgien, qu’ils venaient visiter son chrétien malade, il leur permit et voulut entrer avec eux. Le sieur Didier, voyant que sa présence les pouvait empêcher, se mit à discourir avec lui, et insensiblement le fit sortir du trou où gisait ce pauvre malade, cependant que notre médecin faisait son pieux office. Le Turc croyait bonnement tout ce qu’on lui disait touchant la personne qui était avec son esclave. Mais les femmes étant survenues sur ces entrefaites reconnurent que c’était un papas ; c’est ainsi qu’ils appellent les prêtres. Notre bon Dieu toutefois, qui voyait de bon œil tout cet artifice, leur donna assez de retenue pour ne le point déceler, à moins de quoi il y avait grand danger pour l’un et pour l’autre. Ainsi leur invention réussit, à l’avantage du pauvre chrétien, à la plus grande gloire de Dieu

Une autrefois, il se servit du même artifice pour entrer dans la maison d’un Turc puissant, où il y avait un pauvre chrétien et un renégat espagnol, tous deux frappés de peste, et, nonobstant les deux dangers apparents, l’un de la peste, l’autre du feu, il se résolut d’y entrer, à quelque prix que ce fut. En effet, il lui réussit en telle façon que le renégat, qui était couché à coté du chrétien, entendant les exhortations qu’il lui faisait et les regrets qu’il témoigna alors, il fut touché d’un très sensible déplaisir d’avoir quitté notre sainte foi, et demanda instamment le sacrement de pénitence ; ce que notre bon médecin jugea bon de différer jusqu’au soir pour prendre ce petit avis et conseil sur ce qu’il avait à faire en telle occurrence. Il lui fit faire cependant quelques actes de contrition, dans l’espérance qu’il avait de retourner sur le soir ; à quoi il ne manqua pas, quoique je lui eusse repré

 

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senté qu’il n’y allait pas moins que du feu et que, si le renégat, en mourant, refusait de dire certaines paroles qu’ils ont entre eux, on attribuerait cela à sa visite ; ou qu’il revint en convalescence, toujours il y avait du péril. Tout cela n’empêcha pas qu’il ne retournât le soir même. Mais, hélas. ! que les jugements de Dieu sont équitables ! il trouva que Notre-Seigneur en avait déjà disposé et qu’il était mort.

De la part du chrétien, il n’y avait pas moins de danger, à cause que le patron avait dessein de le rendre turc Ledit sieur Didier y est retourné plusieurs fois, sans que jamais on lui ait voulu permettre de le revoir. Notre bon médecin voulut tenter encore une fois pour exhorter ce pauvre chrétien à tenir ferme en la foi. Mais le jour même qu’il devait exécuter son dessein, il tomba malade ; et ainsi du depuis nous n’en avons pas ouï parler du tout Ce qui nous donne sujet d’appréhension est que certaines femmes avaient grand soin de lui pendant sa maladie et que, se faisant fortes de sa faiblesse, elles ne le pervertissent.

Il me semble, Monsieur, qu’en voilà assez pour faire un martyr desiderio. Ce n’est pas la seule occasion où il s’est offert à la mort. Il y en a quantité d’autres, que son humilité nous a cachées. Peu de temps avant que de tomber malade, son zèle le porta à entrer dans une maison où étaient des personnes frappées de peste, pour aller secourir un pauvre chrétien mourant. Et ce même zèle le fit entrer dans une autre maison d’où tout le monde avait fui ; et trouvant tout raide mort celui qu’il cherchait, sans s’effrayer aucunement, se mit à genoux à ses pieds, et ayant dit un De profundis pour son âme s’en alla chercher son aventure ailleurs. O Monsieur, que je la trouve heureuse !

Si ses forces avaient été égales à son courage, il nous aurait bien donné de la matière pour nous entretenir, encore que je n’en manque pas, par la grâce de Dieu. Si je voulais spécifier en détail toutes ses actions héroïques y ayant eu peu de jours auxquels il ne lui soit arrivé quelque chose digne de remarque, si je pouvais ressusciter les chrétiens qui sont morts de peste dans l’hôpital de Cheleby ou dans le bain de la Douane, ils nous découvriraient bien des choses qu’il nous a tenues cachées. Enfin, je pense tout dire en disant qu’il n’y a aucun chrétien, de quelque nation qu’il soit qui ait imploré son secours dans sa maladie, telle qu’elle fût qui n’ait été assisté par lui avec une charité incroyable.

Parmi ses hautes occupations, il se ressouvenait toujours de ses bains, dans lesquels il prêchait avec tant de bénédiction que nous avons vu des esclaves qui ne s’étaient confessés de 10, 12 et 14 années, se venir jeter à ses pieds à Pâques

 

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et faire leurs devoirs avec des généreuses résolutions de se défaire de leurs mauvaises habitudes.

La semaine sainte arrivant il redoubla ses exhortations qu’il faisait après les ténèbres, que nous chantâmes ces trois jours accoutumés. Le jeudi saint, il fit la cérémonie du lavement des pieds avec une telle dévotion qu’il tirait les larmes des yeux d’un chacun. Et comme j’étais là présent, j’en versai aussi une petite part.

Le lendemain, il prêcha la passion, tenant le crucifix à la main, à la fin de laquelle il demanda justice, à l’encontre de ceux qui négligeraient leur devoir. Ensuite il fit faire une protestation générale à tous ses auditeurs de se mettre en état de bons chrétiens ; à quoi la plupart ont été fidèles. Et pour en faciliter les moyens, comme ils n’étaient que deux prêtres, il résolut de. coucher la nuit dans le bain pour entendre les confessions de ceux qui se présenteraient. Le jour suivant, il célébra l’office avec toutes les cérémonies et dévotion que le temps et le lieu pouvaient permettre.

Après avoir parlé au mieux qu’il m’a été possible, mais non pas comme l’importance du sujet le mérite, de la manière qu’il a traité avec les étrangers il me semble qu’il ne sera pas hors de propos de dire trois mots de sa douceur à régler les choses domestiques, par le moyen de laquelle il a su me réduire peu à peu à ce que bon lui a semblé, comme aussi tous ceux de la maison.

Je me suis donné l’honneur de vous écrire ci-devant les dispositions que j’avais apportées à le recevoir, et la grande tranquillité qu’elle m’avait causée. C’est pourquoi je n’en parlerai point ici. jamais qu’il ne l’a oui contredire à quoi que ce soit. Il approuvait avec flatterie tout ce qui s’y faisait ; et la sympathie qui était entre nous était si grande que, quand il était dehors, j’étais en peine, et, lorsqu’il ne me voyait point, il n’était point en repos. Nos affections étaient si unies que nous n’avions tous deux qu’un cœur, avec cette différence toutefois que le mien était bien éloigné de la l’affection du sien. Mais, hélas ! que ce bonheur n’a pas duré ! Il me semble que ce n’est qu’un songe.

Par tout ce que dessus il est aisé à juger que son mal n’est provenu que de son assiduité à secourir les pauvres malades de peste et autres maladies qui l’obligèrent, le vendredi cinq du présent mois à se mettre au lit. La nuit précédente, il avait ressenti quelque douleur en l’aine droite, qui l’avait obligé d’appeler ledit sieur Didier pour le visiter, qui lui conseilla de se remettre dans le lit ; mais comme il préféra le salut des âmes à celui de son corps, il n’eut pas assez de force sur son esprit pour l’empêcher d’aller dire

 

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la messe au bain de la Douane, et qu’il ne repassât, au retour, au bain de Cheleby, où Le R. P. préfet des capucins s’était rendu pour chanter une grand’messe de saint Roch, à l’instance des majordomes dudit bain, à laquelle il devait faire L’office de diacre. La sainte messe achevée, avec beaucoup de fatigue pour lui, nous retournâmes à la maison où il me déclara son mal ; et après avoir travaillé avec lui fort longtemps à la traduction des prières dont j’ai parlé ci-dessus, il fut contraint de se mettre au lit, sur les deux heures après midi, avec une certaine joie et allégresse de se voir arrêté pour un si beau sujet ; ce qui me fit répandre des larmes d’une douce consolation, faisant réflexion que M. Nouelly était tombé malade un pareil jour de vendredi.

Après quoi nous le visitâmes et trouvâmes que la peste était déjà toute grosse. Environ une heure après, le charbon parut au dessus, à la distance d’un travers de doigt, ce qui nous donna d’abord bonne opinion.

Aussitôt ledit sieur Didier lui appliqua les remèdes, pour aider à la nature, qui semblait vouloir faire son effet d’elle-même. Nous lui fîmes prendre cependant des potions cordiales avec des bouillons ; mais la faiblesse de son estomac les lui fit vomir ; ce qui obligea ledit sieur Didier de lui appliquer un épithème sur l’estomac de thériaque, etc. Il avait fort peu de fièvre sans mal de cœur, ni de tête ; ce qui nous laissait espérer que ce ne serait rien, ou au plus qu’il en serait quitte pour le mal. Nous ne laissâmes pas que de le faire confesser sur le soir et, le lendemain, lui donner le sacré viatique. Néanmoins, comme il dormait peu et avec de grandes inquiétudes, on jugea que son mal s’était déjà emparé du cœur. C’est pourquoi on jugea à propos de lui donner dimanche matin, l’extrême-onction, pendant qu’il avait encore le jugement bon, après laquelle il me demanda la formule des vœux que ceux de la compagnie font entre vos mains, qu’il me pria de lire mot à mot et qu’il répéta avec une très grande ardeur, et de vous assurer qu’il mourait avec tous les sentiments que la compagnie demande de ses sujets ; et quand il plairait à notre bon Dieu de lui renvoyer la santé, il protestait de l’employer au salut des âmes jusqu’au dernier soupir de sa vie. le vous assure que cela me tira les larmes des yeux. Après lui avoir demandé à genoux sa bénédiction et me l’avoir donnée, je lui répétai mot à mot la même formule des vœux et le priai qu’arrivant devant Dieu au ciel il portât pareil témoignage devant sa divine Majesté qu’il me commandait de porter devant les hommes. Je l’embrassai, à l’heure même, avec toute la cordialité qu’il me fut possible, protestant de mourir plutôt à ses

 

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pieds que de l’abandonner. Et s’étant ressouvenu d’une certaine croix d’argent qu’il portait à son col, dans laquelle il y avait des reliques, il se l’arracha lui-même, disant qu’il faisait scrupule de mourir avec ce trésor et me le remit entre mes mains pour en disposer ainsi qu’il vous plairait. Et lui ayant demandé s’il ne la portait pas avec permission il me dit qu’à la vérité vous la lui aviez bien donnée, mais que vous ne pensiez pas qu’elle fut de telle conséquence. Voilà, Monsieur, jusqu’où a été son détachement.

Cependant la faiblesse de son estomac lui ayant fait rejeter jusqu’aux restaurants que nous lui avions faits, voyant qu’il ne pouvait supporter les bouillons, enfin le mardi 12 du présent mois, il lui survint une petite sueur, qui lui dura environ un quart d’heure, et que nous pensions être une crise, après laquelle il demeura froid par les extrémités. Puis nous lui demandâmes comment il se trouvait, et nous dit qu’il lui semblait être en repos Et lorsque nous le croyions ainsi un quart d’heure après il se trouva à l’agonie. Aussitôt je me saisis de son crucifix et le lui fis baiser en faisant un acte de contrition, qu’il répéta mot à mot. Puis je lui fis dire Maria mater gratiae et dix ou douze fois le sacré nom de Jésus et de Marie. En suite de quoi le R. P. Sébastien (2) religieux de Notre-Dame de la Merci, lui donna indulgence plénière, en vertu de son Ordre, avec absolution générale ; et un moment après il mourut, les mains jointes, sans aucune violence, ni perte de jugement.

Voilà, Monsieur, une mort autant à souhaiter que la vie a été exemplaire et à imiter, et qui nous fait bien reconnaître que in brevi explevit tempora multa, étant mort à l’âge de 36 ans, ainsi que, peu de temps auparavant, il m’avait dit son âge.

Si feu Monsieur Nouelly a été regretté, il ne l’a pas moins été ; les pleurs des pauvres chrétiens en sont de véritables témoins, qui disent tout haut avoir perdu leur père.

Le lendemain, nous le portâmes à Bab-Azoun, auprès de feu M. Nouelly, en compagnie de quatre ou cinq cents chrétiens, pleurant de se voir abandonnés dans le danger qu’ils courent d’autant que les autres prêtres ne se veulent pas tant hasarder ; et à moins que des cœurs pareils à ces deux Messieurs, à peine seront-ils secourus.

Le jour même fut dite sur son corps la première messe dans notre chapelle, que j’avais fait mettre dans un autre lieu,

2) Sébastien Brugière.

 

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à cause qu’elle était trop petite. La messe fut dite par un religieux bénédictin qui est le seul prêtre que nous ayons de ces trois que l’on disait être observantins, pris depuis peu. Notre défunt a eu un avantage par dessus les autres, parce qu’aussitôt qu’un chrétien meurt, il est portée en terre.

Ce matin a été chanté un service solennel au bain du roi où a assisté un bon nombre de chrétiens, autant que le loisir leur a pu permettre. Le R. P. capucin a parcouru en trois mots quelqu’une de ses actions les plus principales ; mais, comme il y a peu de temps qu’il est en cette ville, il ne pouvait pas avoir la connaissance de tout ce qui lui est arrivé. Voici à peu près ce que j’ai pu retenir de son langage : que plus les choses sont parfaites, plus elles doivent être regrettées, quand nous les perdons. Il prouva sa perfection par sa mortification, étant mort à lui-même, puisque, sans considérer les intérêts de sa santé, il s’est exposé pour le salut de ses frères ; et a allégué Le passage de l’Apocalypse Beati mortui et avec l’application de saint Ambroise. Il la prouva aussi par sa simplicité et sa douceur, en le comparant à cet enfant de l’Évangile auquel Notre-Seigneur disant les commandements de Dieu, il lui fit réponse : hac hora, etc. ; et quand ce viendrait au jugement notre défunt pourrait bien dire la même chose. Il la prouva aussi par sa charité, s’étant exposé si généreusement à venir en cette ville, sachant bien que le mal était si grand, Majorem caritatem, etc. Et enfin il conclut qu’il y en avait assez pour faire un martyr. Mais qu’eut-il dit s’il eut su ce qui est ci-dessus !

Le R. P. Sébastien lui a donné tout le secours qui lui a été possible. Je puis dire que sa charité est grande, puisqu’aussitôt qu’il apprit sa maladie, il se vint offrir à lui et ne l’abandonna qu’en le mettant en terre.

Ledit sieur Didier, qui avait une inclination particulière pour ses vertus, a fait humainement tout ce qui lui a été possible pour contribuer à sa santé ayant toujours couché en sa chambre pour être plus prompt à le secourir,, quelque danger qu’il y eut eu.

Les pauvres René Duchesne et Jean Benoît, qui n’espèrent point de liberté que de votre secours, se sont employés de toute leur affection.

Enfin, Monsieur, tous y ont fait leur devoir. Il n’y a que moi qui m’en suis très mal acquitté dont je vous demande très humblement pardon. Ce sont les sentiments avec lesquels je suis obligé de fermer la présente, qui va par voie du bastion, en vous assurant que je m’estimerai bienheureux si, après une si belle vie, je pouvais avoir une si belle mort, que le vous prie d’obtenir pour moi de notre bon Dieu, en

 

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l’amour duquel je suis, de tout mon cœur, Monsieur votre très humble et très obéissant serviteur.

BARREAU.

Je vous demande pardon de la précipitation avec laquelle la présente est achevée. Nous pensions que la galère ne dût partir que demain. Il vient de venir un ordre de la faire partir tout à l’heure Le R. P. capucin est fort malade ; on ne sait ce que c’est. L’autre prêtre est en galère où sont allés René Duchesne et Jean Benoît. Je suis à présent seul.

 

1036. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Monsieur,

Il est vrai que j’ai une affection toute particulière pour la fête de la Pentecôte et que ce temps-ci de son attente m’est très cher. Je me souviens d’avoir eu, y a quelque temps, une grande consolation, Oyant un prédicateur dire que ce fut en ce jour-là que Dieu donna sa loi écrite à Moïse, et qu’en la loi de grâce il avait donné, en ce même jour, à son Église la loi de son amour, qui portait puissance de l’effectuer. Et parce que, en ce même jour, il a plu à Dieu mettre en mon cœur une loi qui n’en est jamais sortie, nonobstant toutes mes méchancetés (2), je souhaiterais volontiers, s’il m’était permis, qu’en ce même jour sa bonté fit entendre les moyens d’observer cette loi selon sa sainte volonté. Je ne sais si ce n’a point été pour cela que j’ai eu pensée de vous demander permission de nous disposer à cette fête par la privation de la sainte communion ces onze jours que la sainte Vierge, les apôtres et saintes femmes ont été séparés de leur cher Maître nous servant aussi de cette occasion pour penser au mauvais usage que nous avons fait toute l’année de nos communions, afin d’exciter en nous un nouveau désir de communier avec plus de ferveur et d’utilité pour la gloire de Dieu, et afin aussi de participer avec les apôtres au baptême qu’ils reçurent d’amour et de ferveur pour le service

Lettre 1036. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Après 1649, Louise de Marillac emploie toujours en tête de ses lettres l’expression : "Mon très honoré Père."

2), Voir lettre 753, note l.

 

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du prochain. Je vous supplie très humblement, Monsieur, que les faiblesses de mon esprit que je vous ai fait paraître, n’exigent point de votre charité la condescendance qui vous pourrait donner pensée que je voudrais que vous déférassiez à mes pensées ; car cela est tout à fait extorqué de mon désir, et n’ai point plus grand plaisir que quand je suis raisonnablement contrariée, Dieu me faisant la grâce presque toujours de connaître et estimer les avis d’autrui tout autres que les miens, et particulièrement quand c’est une charité. Je suis assurée de voir évidemment cette vérité, quoique ce soit en des sujets qui me soient cachés pour un temps.

 

1037. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 22 mai 1648.

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre, écrite en l’absence de M. Blatiron ; elle m’a donné une joie particulière, m’apprenant votre meilleure disposition ; mais je demeure contristé de vous voir délibéré (1) à retourner déjà au travail, où je crains que vous retombiez en pire état. Je vous supplie d’avoir patience, et de vous fortifier tant que vous pourrez, par le repos et les remèdes ; vous ne me pouvez donner une plus grande consolation, ni rendre plus de service au prochain, qu’en vous mettant en état de lui en rendre longuement. Ces Messieurs, à qui vous pensez donner scandale, seront, au contraire, édifiés de vous savoir bien obéissant en ceci, comme vous l’êtes aux grandes et difficiles occasions.

J’ai écrit à M. Blatiron qu’il retienne pour encore M. Brunet, bien que nous en ayons grand besoin ailleurs

Lettre 1037. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Délibéré décidé.

 

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Je vous supplie de recommander mon âme à Notre-Seigneur, puisque je suis, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1038. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 12e juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous remercie du soin que vous prenez de m’écrire, en l’absence de M. Blatiron.

Je suis après pour trouver le moyen de vous faire tenir nos lettres, sans qu’il vous en coûte rien. Il n’est pas raisonnable que le port se paye 2 fois.

J’écris à M. Alméras qu’il vous donne, s’il peut, un de ses frères, en échange d’un autre que vous lui enverrez.

Vous savez que la famille de Gênes m’est très chère et que je suis très consolé quand les sujets d’icelle sont contents et qu’en général tout y va bien. Je la recommande pour cet effet très souvent à Notre-Seigneur, et en particulier votre chère âme, Monsieur, à laquelle la mienne est collée fort intimement.

Je songe tout de bon à vous envoyer un homme d’âge, tel que vous et M. Blatiron m’avez écrit qu’il le faut, afin que ceux qui viendront à la maison aient confiance en lui.

Vous ne me dites rien de votre santé ; plaise à Dieu

Lettre 1033 — L. s. — Dossier de Turin, original.

 

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qu’il la perfectionne de plus en plus pour sa gloire et pour ma consolation, qui suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

Au bas de la première page : M. Martin.

 

1039. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 14 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Puisque M. Lucas (1) est allé en mission, je vous supplie d’envoyer par un exprès la lettre ci-incluse à Monsieur de Saint-Aignan, qui la lui rende en main propre. Vous donnerez aussi à M. Charpentier celle que je lui écris ; peut-être se pourra-t-il rendre le porteur de la première.

Nous n’avons personne à vous donner pour les orgues, notre frère Dufresne (2) étant nécessaire de deçà.

Puisque c’est une coutume de donner à déjeuner à M. le lieutenant général, officiers et autres qui se trouvent avec lui au jour du Saint-Sacrement, cette coutume-là acquiert droit, et partant il le faut payer ; il serait difficile de s’en dispenser.

Je vous écris à la hâte, mais non sans consolation de

Lettre 1039. — L. s. — Dossier de Turin, original

1) Antoine Lucas, supérieur de la maison.

2). Peut-être Denis Dufresne, coadjuteur, né à Argenteuil (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 1er novembre 1642, à l’âge de quarante et un ans

 

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vous assurer que votre cœur m’est cher et que je suis de tout le mien, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Gentil.

 

1040. — THOMAS TURCHI, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES DOMINICAINS, A SAINT VINCENT

Reverendissime Pater et Domine

Tot vestrae in me meumque OrdineM pietatis titulis Vestrae Reverendissimae Paternitatis debitor factus, saepius cogor mea gratitudine vestras curas publicas sanctioresque interpellare vestramque gravare modestiam dum beneficia vestra gratus recolo. Inter haec urgent me maxime ad referendas vobis gratias quae non ita pridem effecistis pro fundatione cathedrae theologicae in studio generali Casseliensi Ordinis nostri, in Hibernia ad usum publicum tam regularium quam saecularium, id que ad instantiam Reverendi Patris Fratris Fabiani Ryan, Hiberni, Ordinis nostri, pro illo negotio a provinciali suo deputati. Et vestrum in Ordinem beneficium eo magis sensi quo publicum quoque ad Dei cognitionem et gloriam multorumque eruditionem et salutem tam proficuum quam Ordini nostro utile erit et honorificum… est quod orem et sperem ut tam pio operi ab ea manu imponatur… a qua meruit fundari, totisque profusae charitatis incentivis caeptum… urgentibus flammis consummetur. In utriusque gratiae factae et speratae vicem, mea meique Ordinis hic et ubique, maxime vero in Hibernia, offero et spondeo vota pro Vestrae Reverendissimae Paternitatis totiusque vestrae sacrae societatis conservatione et prosperitate, ut habeat ubique gratum quem sibi ubique fecit esse debitorem dum majora possim et plura quam vota quibus vobis efficaciter probem quod vere et sincere sim Vestrae Reverendissimae Paternitatis humillimus et devotissimus servus in Domino.

Romae, in conventu Sanctae-Mariae super Minervam, 15a junii 1648.

Lettre 1040 — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi, IV p. 91.

 

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TRADUCTION

Très Révérend Père et Monsieur,

Le pieux dévouement de votre Paternité Révérendissime envers ma personne et mon Ordre vous donne tant de droits à ma gratitude que je suis souvent pressé, quand je me rémémore vos bienfaits, de venir vous distraire, par mes remerciements, de vos saintes et publiques occupations et blesser votre modestie.

Ce qui me presse surtout de vous témoigner ma reconnaissance, c’est la fondation d’une chaire de théologie, pour l’usage public tant des réguliers que des séculiers à l’université que notre Ordre dirige à Cashel, en Hibernie, et cela sur les instances du R. P. frère Fabien Ryan, Irlandais, de notre Ordre député à cet effet par son provincial. J’ai senti d’autant plus fortement ce bienfait envers notre Ordre que, public de sa nature, il est aussi profitable à la connaissance et à la gloire de Dieu, à l’érudition et au salut de beaucoup qu’utile et honorable à notre Institut. Je demande, et c’est la mon espoir, que ce pieux ouvrage soit soutenu par la main qui l’a fondé, et que, commencé sous l’inspiration d’une abondante charité, il soit consommé par les flammes ardentes de la même vertu.

En retour des services rendus et de celui que j’espère, j’offre à Votre Paternité Révérendissime les vœux que je forme, ainsi que mon Ordre, ici et partout, en Irlande surtout, pour la conservation de votre personne et de votre pieuse compagnie. Elle aura partout la reconnaissance de celui qu’elle fait partout son obligé, en attendant que je puisse vous présenter plus que des vœux et vous prouver efficacement que je suis vraiment et sincèrement de Votre Paternité Révérendissime le serviteur très humble et très dévoué en Notre-Seigneur.

A Rome, au couvent Sainte-Marie de la Minerve, le juin 1648.

 

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1041. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Juin 1648] (1)

Monsieur,

Monsieur Lambert vous dira l’extrémité de notre chère sœur Louise, de Saint-jacques (2). Je supplie très humblement votre charité lui faire entendre ce que c’est que la bénédiction que notre Saint-Père nous a accordée, et la manière de l’appliquer, afin que notre pauvre sœur ait part à ce grand bien.

Je vous supplie très humblement me permettre de l’aller demain voir, si je puis avoir commodité, et Madame de Marillac (3), et, par même moyen, faire les trois saintes stations dans la rue Saint-Denis, tout proche l’une de l’autre ; et si votre charité se voulait donner la peine de me parler samedi, j’en serais bien aise, pour communier dimanche, à l’intention du jubilé.

Je vous supplie très humblement prendre la peine me mander s’il est nécessaire que j’écrive à ma sœur Barbe (4) au sujet de la petite qu’elle nous à envoyée, vu ce qu’elle m’en mande (5), comme aussi ce que je lui manderai de cette femme

Lettre 1041. — Ms. Saint-Paul, p. 24.

1). La présence à Paris de Lambert aux Couteaux et de Louis Thibault et la mention du jubilé ne laissent aucun doute sur l’année. D’autre part, la lettre précède de fort peu de jours le 24 juin, date de celle qui porte le n° 181 bis dans la correspondance de Louise de Marillac.

2). Saint-Jacques de la Boucherie. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, 1. 181 bis.)

3). Jeanne Potier, épouse de Michel de Marillac, petit-fils du garde des sceaux de même nom.

4). Barbe Angiboust, qui était alors à Fontainebleau.

5). Cette "bonne petite fille", comme l’appelle la fondatrice (Lettres de Louise de Marillac, 1. 181 bis), Vint. à Paris, et Mademoiselle, la trouvant trop jeune, la renvoya à Barbe Angiboust "Je crois que vous ferez… bien, lui écrivait-elle le 24 juin 1648, de la mettre en quelque condition, pourvu que ce soit chez des gens de bien, comme chez quelque laboureur, quand elle ne serait du commencement qu’à garder les vaches ; et puis, à mesure qu’elle croîtra, on lui pourra faire faire quelque chose de plus ; et quand elle aura servi trois ou quatre ans, si Dieu lui donne la volonté de le servir parmi nous, nous la pourrons prendre ; et il sera bien mieux que ce soit elle qui le désire, quand elle sera en âge capable, que d’y venir à présent qu’elle ne sait encore ce qu’elle veut."

 

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et 2 filles dont elle nous parle dans sa lettre que j’ai reçue hier, que je vous envoie.

Si Monsieur Lambert me fait la charité vous dire toutes les plaintes que l’on lui a faites de moi, vous verrez bien le besoin que j’ai que vous m’accordiez la demande que je vous fais pour samedi.

Monsieur l’aumônier de Mademoiselle (6) me vient de mander de bouche qu’il se donnerait la peine de venir en ce quartier pour vous communiquer la lettre de ma sœur Barbe, et qu’il me la ferait voir aussi. Je ne lui avais rien mandé de votre part.

 

1042. — A LOUISE DE MARILLAC

[Juin 1648] (1)

Monsieur Lambert fut voir hier notre bonne sœur de Saint-Jacques, qu’il trouva en très grand danger, mais disposée à l’égal au bon plaisir de Dieu.

Je ne sais pas [encore] (1) ce qui se pratique en cette nature d’indulgence que notre Saint-Père vous a donnée ; je m’en informerai. Aussi bien cette bonne fille a-t-elle gagné le jubilé, pendant lequel toutes autres indulgences cessent. Si votre santé le vous permet et vous aviez un carrosse, vous la pourriez aller voir et faire vos stations en deux ou trois lieux au plus.

Il sera bon de mander à ma sœur Barbe qu’elle vous envoie ces deux filles, si M. Thibault les juge propres, et ne lui rien dire de la fille qui a accompagné cette sœur.

6) La duchesse de Montpensier, fille de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII.

Lettre 1042 — Ms. Saint-Paul, p. 24. Cette lettre répond à la précédente, à la suite de laquelle saint Vincent l’a écrite.

1). Le manuscrit porte : avoir ; c’est évidemment une faute de copiste.

 

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1043. — A JEAN DEHORGNY *

De Paris, ce 25 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Votre dernière lettre dit deux choses : l’une, que nous donnons des emplois trop considérables à nos frères coadjuteurs, et l’autre, que nousavons mal fait de nous déclarer contre les opinions du temps.

Je vous dirai pour le premier, Monsieur, que je remercie très humblement Notre-Seigneur de ce qu’il vous fait faire attention à la conduite de la compagnie, et vous prie de continuer, quoiqu’il me semble que nous ayons raison d’en user comme nous faisons à l’égard des deux points ci-dessus.

Il n’y a en toute la compagnie que notre frère Alexandre (1) qui ait la recette et la mise entre les mains, que nous lui donnâmes quand (2) nous envoyâmes M. Gentil au Mans (3), et cela faute d’un prêtre qu’on pût appliquer à cela ; et il s’est appliqué à cet emploi en sorte qu’il y a sujet d’en (4) louer Dieu.

Ce bon frère Nicolas (5) que vous me marquez, de la maison de Crécy, n’avait pas l’argent entre ses mains, quoiqu’on vous ait dit. L’argent se garde là dans un coffre à deux serrures, dont M. Tournisson (6) avait l’une

Lettre 1043 — Arch. dép. de Vaucluse, D 296, copie ancienne prise sur l’original. Nous signalerons en note les variantes du texte publié par les Mémoires de Trévoux en avril 1726 (p. 742 et suiv.).

* Voir le texte de cette lettre et son commentaire par Bernard KOCH à la fin du volume XIII. pp. 863 & sq.

1). Alexandre Véronne.

2) Mémoires de Trévoux : lorsque.

3) Mémoires : Maine.

4) Mémoires : : de.

5). Plusieurs frères coadjuteurs portaient ce petit nom.

6) Ce nom ne se trouve pas dans le catalogue du personnel.

 

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et son assistant avait l’autre ; et il en va de même partout, notamment où M. Portail a fait sa visite. Cela n’empêche pas que nous ne mettions cet emploi entre les mains d’un prêtre dans quelque temps et que nous ne fassions attention à ce que vous me dites.

Je pense que ce qui trouble les ordres par les frères vient de ce qu’on les tient trop bas. Saint François ordonne que les frères lais auraient voix à l’élection des gardiens ; mais les Capucins et les Récollets ont ôté cela, et c’est ce qui désespère ces pauvres frères et qui les a obligés de s’en plaindre au Pape. Le Fils de Dieu traitait ses apôtres d’amis, quoiqu’ils ne fussent pas encore prêtres ; et nous voulons traiter les nôtres de serviteurs, quoiqu’il soit vrai de dire que la plupart aient plus de vertu que la plupart d’entre nous, pour le moins plus que moi (7) !

Quant au 2° point (8) qui concerne la faute que nous avons faite de nous déclarer contre les opinions du temps, voici, Monsieur, les raisons qui m’y ont porté.

La première est celle de mon emploi au Conseil des choses ecclésiastiques, dans lequel chacun s’est déclaré contre : la reine, Mgr le cardinal (9), M. le chancelier (10) et M. le pénitencier (11). Jugez de là si j’ai pu demeurer neutre. Le succès a fait voir qu’il était expédient d’en user de la sorte.

La seconde raison est celle de la connaissance que j’ai du dessein de l’auteur de ces opinions nouvelles (12), d’anéantir l’état présent de l’Église et de la remettre en son pouvoir. Il me dit un jour que le dessein de Dieu

7) Tout cet alinéa manque dans les Mémoires de Trévoux.

8) Mémoires : second point.

9) Le cardinal Mazarin.

10) Pierre Séguier.

11) Jacques Charton.

12) Jean du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran.

 

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était de ruiner l’Église présente et que ceux qui s’employaient pour La soutenir faisaient contre son dessein ; et, comme je lui dis que c’était Le prétexte que prenaient pour l’ordinaire la les hérésiarques, comme Calvin, il me répartit que Calvin n’avait pas mal fait en tout ce qu’il avait entrepris, mais qu’il s’était mal défendu (14)

Le troisième a été que j’ai vu que trois ou quatre Papes (15) avaient condamné les opinions de Baïus (16), que Jansénius soutient, comme avait fait aussi la Sorbonne en l’année 1560, et que la plus sainte partie de la même faculté, qui sont tous les anciens, se déclarent contre ces opinions nouvelles (17), et que notre Saint-Père a condamné celle des deux chefs, qu’on voulait établir avec mauvais dessein (18). Et la quatrième, que je mets ici La dernière, outre plusieurs autres, est ce que dit Célestin, pape (Epistola 2 ad Episcopos Galliae), contre quelques prêtres qui

13) Mémoires : c’étaient pour l’ordinaire les prétextes que prenaient les.

14) Abelly nous a conservé le récit de cet entretien, op. cit., t. II, chap. XII, p. 410

15) Pie V, Grégoire XIII et Urbain VIII.

16). Michel Baïus était né à Melin (Belgique) en 1513. Nommé professeur d’Écriture Sainte à l’Université de Louvain, puis chancelier de ce corps, il sut si bien se faire apprécier de ses collègues que ceux-ci le députèrent au concile de Trente. C’est encore sur lui qu’on jeta les yeux pour remplir les fonctions d’inquisiteur général. Ses opinions étranges sur l’état de la nature réparée, la justification, l’efficacité des sacrements et le mérite des bonnes œuvres, opinions qu’il répandait par ses enseignements et ses écrits, émurent plusieurs docteurs de Louvain et lui suscitèrent des attaques. Dix-huit de ses propositions furent condamnées par la Faculté de Paris (27 juin 1560), soixante-seize par Pie V (1er octobre 1567, 13 mai 1569). Grégoire XIII dut intervenir de nouveau le 29 janvier 1579. Baïus mourut le 19 septembre 1589, après avoir rétracté ses erreurs de vive voix et par écrit. Ses Œuvres, imprimées à Cologne en 1696 par les jansénistes Quesnel et Gerberon, furent mises à l’index le 8 mai 1697

17). Le jansénisme avait des adhérents en Sorbonne, surtout parmi les jeunes docteurs. (Voir Rapin, Mémoires, t. I, p. 43-46.)

18). La condamnation d’Innocent X est du 24 janvier 1647.

 

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avançaient quelques erreurs contre la grâce et lesquelles ces évêques avaient condamnées. Ce bon Pape, après les avoir loués de s’être opposés à la doctrine de ces prêtres, il (19) dit ces mêmes paroles : "Timeo ne connivere sit hoc tacere, timeo ne illi magis loquantur qui permittunt illis taliter loqui, in lalibus causis non caret suspicione taciturnitas, quia occurreret veritas, si falsitas displiceret ; merito namque causa nos respicit, si silentio faveamus errori (20)." Que si l’on me dit que cela est vrai à l’égard des évêques, et non pas à celui d’un particulier, je réponds que, vraisemblablement, cela s’entend non seulement des évêques, mais aussi de ceux qui voient le mal et qui, en tant qu’en eux est, ne l’empêchent pas.

Voyons maintenant de quoi il s’agit. Vous me dites que c’est du livre De la fréquente communion de Jansénius (21) ; que, pour le premier (22), qui l’avez lu par deux fois et que peut-être le mésusage qu’on fait de ce divin sacrement a donné lieu à cela.

Il est vrai, Monsieur, qu’il n’y a que trop de gens qui abusent de ce divin sacrement, et moi misérable plus que tous les hommes du monde, et je vous prie de m’aider à en demander pardon à Dieu ; mais La lecture de ce livre, au lieu d’affectionner les hommes à la fréquente

19) Ce mot ne se trouve pas dans le texte de Trévoux.

20) Patrologiae Cursus completus, éd. Migne, Paris, 1857-1864, 221 vol. in-4°, t. IV, col. 529. Migne a préféré la variante foveamus errorem

21). Rarement livre fit plus de bruit et eut plus de succès que le livre De la fréquente communion, composé par Antoine Arnauld selon l’esprit de Jansénius, publié à Paris en 1643 et déjà parvenu à sa sixième édition en 1648. M. Dehorony l’avait reçu des mains de son ami le janséniste Bourgeois, docteur en théologie, qui était venu à Rome pour en pêcher une condamnation. Il l’avait lu, s’en était pénétré et en trouvait les principes excellents. (Hermant, Mémoires… sur l’histoire ecclésiastique du XVIIe siècle, 1630-1663, éd. Gazier, Paris, 1905-1908, 6 vol. in-8°, t. I, p. 389.)

22). Mémoires : la première.

 

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communion, elle (23) en retire plutôt. L’on ne voit plus cette hantise des sacrements qu’on voyait d’autres fois, non pas même à Pâques. Plusieurs curés de Paris se plaignent de ce qu’ils ont beaucoup moins de communiants que les années passées. Saint-Sulpice en a 3.000 de (24) moins ; Monsieur le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet (25) ayant visité les familles de la paroisse après Pâques, en personne et par d’autres, nous dit dernièrement qu’il a trouvé 1.500 de ses paroissiens qui n’ont point communié ; et ainsi des autres. L’on ne voit quasi plus personne qui s’en approche les premiers dimanches du mois et les bonnes fêtes, ou très peu, et guère plus aux religions (26), si ce n’est encore un peu aux Jésuites. Aussi est-ce ce qu’a prétendu feu M. de Saint-Cyran pour desaccréditer (27) les Jésuites. M. de Chavigny disait, ces jours passés, à un intime ami que ce bon Monsieur lui avait dit que lui et Jansénius avaient entrepris leur dessein pour désaccréditer ce saint Ordre-là à l’égard de la doctrine et de l’administration des sacrements. Et moi je lui ai ouï tenir quasi tous les jours quantité de discours conformes à cela.

Dès que M. Arnauld (28), qui a donné son nom à ce

23) Ce mot ne se trouve pas dans les Mémoires de Trévoux.

24). Ce mot manque également dans les Mémoires de Trévoux.

25). Hippolyte Féret.

26). Religions, communautés religieuses.

27). Désaccréditer, discréditer.

28). Antoine Arnauld, né à Paris le 6 février 1612, ordonné prêtre en 1641, admis dans la société de Sorbonne en 1643, devint, à la mort de Saint-Cyran, le clef du parti janséniste, dont il était déjà l’apôtre et le théologien. Son premier ouvrage de controverse fit beaucoup parler de lui ; c’était le livre de la fréquente communion. Il a écrit, depuis, la Grammaire générale, la Logique ou l’Art de penser et un si grand nombre d’autres traités que, joints à ses lettres, ils forment une collection de quarante-cinq volumes in-4°. Il mourut en exil à Bruxelles le 8 août 1694. Ses frères et ses sœurs furent tous d’ardents jansénistes ; quelques-uns même, comme *Arnauld d’Andilly, Henri Arnauld, évêque d’Angers, Catherine Arnauld,

 

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livre, vit l’opposition qu’il rencontra de divers côtés sur le sujet de la pénitence publique et sur celle qu’il voulait introduire avant la communion, il s’expliqua à l’égard de cela de l’absolution simplement déclaratoire ; mais, quoi qu’il en soit, il y reste encore des erreurs, à ce que nous dit dernièrement Monsieur le grand maître de Navarre (29), qui est un des plus savants du siècle, comme aussi M. le pénitencier (30), Messieurs Cornet et Coqueret, qui étaient assemblés céans pour ces sortes d’affaires et que cette déclaration est captieuse et contient quantité de choses qui ne valent guère mieux que ce qu’il dit (31) dans le premier livre. Ce qu’il dit : que l’Église, ayant, au commencement, pratiqué la pénitence publique avant l’absolution, avait toujours affection de rétablir cet usage, et qu’autrement elle ne serait pas la colonne de vérité, toujours semblable à elle-même, ains une synagogue d’erreurs, cela, Monsieur, ne porte-t-il pas à faux ? L’Église, qui ne change jamais dans les (32) choses de la foi, ne le peut-elle pas faire à l’égard de la discipline ; et Dieu, qui est immuable en lui-même, n’a-t-il pas changé ses conduites à l’égard des hommes ? Notre-Seigneur, son Fils, n’a-t-il pas changé quelquefois les siennes, et les apôtres les leurs ? A quel propos cet homme dit-il donc que l’Église serait en erreur, si elle ne retenait l’affection de rétablir ces sortes de pénitences qu’elle pratiquait au passé ? Cela est-il orthodoxe ?

Quant à Jansénius, il le faut considérer ou comme soutenant les opinions de Baïus, tant de fois condamnées

mère de Le Maistre de Sacy, la Mère Angélique et la Mère Agnès ont joué un rôle important dans le parti. (Cf. Pierre Varin, La vérité sur les Arnauld Paris, 1847, 2 vol. in-8°.)

29). Jacques Péreyret.

30) Jacques Charton

31) Mémoires : a dit.

32) Mémoires : Quant aux.

 

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par les Papes et par la Sorbonne, comme je l’ai (33) dit, ou comme soutenant d’autres doctrines qu’il traite là dedans. Quant au premier, n’avons-nous pas obligation de nous tenir à la censure que les Papes et ce docte corps ont faite de ces opinions-là et de nous déclarer contre ? Quant au reste du livre, le Pape défendant de le lire, le Conseil des choses ecclésiastiques n’a-t-il pas dû conseiller à la reine de tenir la main à ce que [ce que] (34) le Pape Urbain huitième a ordonné s’exécute, et faire profession ouverte de se déclarer contre les opinions de Baïus censurées et ces sortes de nouvelles opinions de ce docteur, qui soutient hardiment celles que l’Église n’a point (35) encore déterminées touchant la grâce ?

Vous me dites par la vôtre que Jansénius a lu dix fois toutes les œuvres de saint Augustin et trente fois les traités de la grâce, et qu’il n’y a pas d’apparence que les missionnaires se mêlent de juger des opinions de ce grand homme.

Je vous réponds à cela, Monsieur, que d’ordinaire ceux qui veulent établir de nouvelles doctrines sont hommes fort savants et qu’ils étudient avec grande assiduité et application les auteurs desquels ils se veulent servir ; qu’il faut avouer que ce prélat était fort savant, et qu’ayant le dessein que j’ai dit de désaccréditer les Jésuites, il a pu lire saint Augustin le nombre de fois que vous me dites ; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit pu tomber dans l’erreur et que nous ne serions pas excusables d’adhérer à ses opinions, qui sont contraires aux censures qui ont été faites contre sa doctrine. Les prêtres ont obligation de ne pas adhérer et de contredire la doctrine de Calvin et des autres

33) Mémoires : j’ai.

34) Mots oubliés dans la copie.

35) Mémoires : pas.

 

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hérésiarques, quoiqu’ils n’aient jamais lu les auteurs sur lesquels ils se sont fondés, non pas même ses livres.

Vous me dites de plus que les opinions que nous disons anciennes sont modernes, qu’il y a environ 70 ans que Molina (36) a inventé les opinions qu’on dit anciennes, touchant le différend. Je vous avoue, Monsieur, que Molina est auteur de la science qu’on dit médienne (37), qui n’est, à proprement parler, que le moyen par lequel on fait voir comme cela se fait et d’où vient que deux hommes qui ont pareil esprit, mêmes dispositions et pareil degré de grâce pour faire les œuvres de leur salut, et que néanmoins l’un le fait et que (38) l’autre ne le fait pas, l’un est sauvé et l’autre se perd. Mais quoi ! Monsieur, il ne s’agit pas de cela, qui n’est pas article de foi. La doctrine qu’il combat, que J.- C. est mort pour tout le monde, est-elle nouvelle ? N’est-elle pas de saint Paul et de saint Jean ? L’opinion contraire n’a-t-elle pas été condamnée au concile de Mayence (39) et en plusieurs autres (40) contre Godeschalcus (41) ? Saint Léon ne

36). Louis Molina, célèbre jésuite espagnol né en 1533, mort à Madrid en 1600, connu surtout par son livre De concordia gratiae et liberii arbitrii, qui développe sa théorie de la science moyenne. Cet ouvrage, attaqué dès son apparition, donna lieu à de violentes polémiques entre Jésuites et Dominicains. L’affaire fut portée devant le tribunal de Clément VIII, qui institua, pour la juger, la congrégation de Auxiliis. Après bien des discussions sans résultat, Paul V laissa libre l’enseignement des doctrines contestées et interdit aux deux écoles, sous menace de graves peines, de se censurer mutuellement

37). La science moyenne, ainsi appelée, parce qu’elle tient en quelque sorte le milieu entre la science divine du possible et celle des faits qui doivent absolument arriver, est la Connaissance par laquelle Dieu sait infailliblement, avant tout décret absolu de sa volonté, ce que l’homme fera sous quelque condition et avec quelque secours de la grâce que ce soit.

38). Mot omis dans les Mémoires de Trévoux.

39). En 848

40). Par exemple au concile de Quiercy-sur-Oise, en 849.

41). Godescale, Gotescale ou Fulgence, savant Bénédictin, né en Allemagne en 806, enseigne des doctrines hétérodoxes sur la prédestination.

 

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dit-il pas dans les leçons de Noël, que Notre-Seigneur est né pro liberandis hominibus (42) ? et la plupart des saints Pères tiennent-ils pas ce langage-là ? Le concile de Trente, en la session 6e, De Justificatione, chapitre 2e, n’apporte-t-il pas les paroles de saint Jean sur ce sujet : Hunc proposuit Deus propitiationem per fidem in sanguine ipsius pro peccatis nostris, non solum autem pro nostris, sed etiam pro totius mundi (43) ? Et au troisième : Verum etsi ille pro omnibus mortuus est ; il dit ensuite qu’encore que cela soit ainsi, non omnes tamen mortis ejus beneficium recipiunt, sed ii dumtaxat quibus meritum passionis ejus communicatur. Après cela, Monsieur, dirons-nous cette doctrine nouvelle ?

Dirons-nous encore nouvelle celle qu’il combat, contre la possibilité de l’observance des commandements de Dieu, contre le canon 18 du même concile (44) et de la même session, qui dit que, si quis dixerit Dei praecepta homini etiam justificato et sub gratia constituto esse ad observandum impossibilie, anathema sit.

Et celle que vous dites, Monsieur, qu’il nous importe peu de savoir s’il y a des grâces suffisantes, ou si elles sont toutes efficaces, est-elle nouvelle ? N’est-elle pas contenue dans le second concile d’Orange, chapitre 25 ? Voici, Monsieur, les paroles de ce concile, par lequel vous verrez, sinon les mots propres de grâce suffisante, pour le moins l’équivalence du sens. Hoc etiam secundun fidem catholicam credimus quod, accepta per baptismum gratio, omnes baptizati, Christo auxiliante et cooperante, quae

Condamné par plusieurs conciles il fut dégradé, fouetté publiquement et enfermé dans l’abbaye *d’Hautvilliers. Il mourut dans sa prison en 868, sans avoir renoncé à ses idées.

42). Mémoires : omnibus.

43). Première épître de saint Jean, II, 2.

44). Mémoires. : les canons saints du même concile.

 

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ad salutem pertinent, possint et debeant, si fideliter laborare voluerint, adimplere.

Et quant à ce que vous dites, qu’il nous importe peu de savoir cela, je vous supplie (45), Monsieur, de souffrir que je vous dise qu’il me semble qu’il est de grande importance que tous les chrétiens sachent et croient que Dieu est si bon que tous les chrétiens peuvent, avec la grâce de Jésus-Christ, opérer leur salut, qu’il leur donne les moyens par Jésus-Christ et que cela manifeste et magnifie beaucoup l’infinie bonté de Dieu.

L’on ne peut non plus dire nouvelle l’opinion de l’Église qui croit que toutes les grâces ne sont pas efficaces, puisque l’homme les peut refuser, chap. 4, De Justificatione.

Vous dites que Clément VIII et Paul V ont défendu que l’on dispute des choses de la grâce (46). Je vous répondrai (47), Monsieur, que cela s’entend des choses qui ne sont pas déterminées, comme le sont celles que je viens de dire ; et pour les autres qui ne sont pas déterminées par l’Église, pourquoi Jansénius l’attaque-t-il ? Et en ce cas, n’est-il pas du droit naturel de défendre l’Église et de soutenir les censures fulminées contre ?

Vous dites que ce sont des matières d’école. Il est vrai de quelques-unes ; et quoique d’autres soient telles, faut-il pour cela s’en taire et laisser altérer le fond des vérités par ces subtilités ? Le pauvre peuple n’est-il pas obligé de croire et par conséquent d’être instruit des

45) Mémoires : prie.

46). Pour mettre fin aux discussions, qui troublaient deux Ordres célèbres de l’Église après l’apparition du livre de Molina, Clément VIII évoqua l’affaire et interdit aux deux parties la discussion des questions controversées, jusqu’à ce qu’il eût fait connaître sa décision.

47). Mémoires : dirai.

 

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choses de la Trinité et du Saint Sacrement, qui sont si subtiles ?

Voilà, Monsieur, ce qui me vient en l’esprit pour vous faire voir la raison que nous avons de nous être déclarés en ce rencontre contre ces opinions nouvelles, contre lesquelles je n’en vois point, sinon deux, dont l’une est le sujet de craindre qu’en pensant arrêter ce torrent des nouvelles opinions, l’on enflamme davantage les esprits. A quoi je réponds que, si cela était, il ne faudrait point s’opposer aux hérésies, à ceux qui nous veulent ravir la vie ou le bien, et que le berger ferait mal de crier au loup, lorsqu’il voit qu’il est prêt (48) d’entrer dans la bergerie. L’autre est celle de la prudence, qui est purement humaine, étant fondée sur le que dira-t-on ? L’on se fera des ennemis. O Jésus ! Monsieur, jà (49) n’advienne que les missionnaires ne défendent pas les intérêts de Dieu et de l’Église pour ces chétifs et misérables motifs, qui ruinent] es intérêts de Dieu et de son Église et remplissent d’âmes les enfers (50).

Oui, mais, me direz-vous, faut-il que les missionnaires prêchent contre les opinions du temps et le monde, qu’ils s’en entretiennent, qu’ils disputent, attaquent et défendent à cor et à cri les anciennes opinions ? O (51) Jésus, nenni ! Voici comme nous en usons : jamais nous ne disputons de ces matières, jamais nous n’en prêchons, ni jamais nous n’en parlons dans les compagnies, si l’on ne nous en parle ; mais si l’on le fait, l’on tâche d’en parler avec le plus de retenue que l’on peut, M. G[illes] excepté, qui se laisse un peu emporter par son zèle ; à quoi je tâcherai de remédier, Dieu aidant (52).

48) Mémoire : au loup, quand il est prêt.

49). Mémoires : ah !

50). Mémoires : et qui remplissent les enfers.

51). Mémoires : Ah !

52).M. Gilles professait la théologie à Saint-Lazare et donnait des entretiens

 

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Quoi donc ! me direz-vous, défendez-vous qu’on dispute sur ces matières ? Je réponds que oui et qu’on en (53) dispute point céans pour tout.

Mais quoi ! désirez-vous qu’on n’en parle point à la Mission de Rome ni ailleurs ? C’est à quoi je prie les officiers de tenir la main et de donner pénitence à ceux qui le feront, si ce n’est au cas que j’ai dit.

Et pource que vous me dites, Monsieur, qu’il faut laisser chacun de la compagnie croire de ces matières ce qu’il lui plaira (54), ô Jésus ! Monsieur, il n’est pas expédient qu’on soutienne diverses opinions dans la compagnie ; il faut que nous soyons toujours unius labii, autrement nous nous déchirerions tous les uns les autres dans la même compagnie.

Et le moyen de s’assujettir à l’opinion d’un supérieur ? Je réponds que ce n’est pas au supérieur qu’il se soumet, ains à Dieu et au sentiment des Papes, des conciles, des saints. Et si quelqu’un ne voulait pas déférer, il ferait mieux (55) de se retirer, et la compagnie de l’en prier. Beaucoup de compagnies de l’Église de Dieu nous donnent l’exemple de cela. Les Carmes déchaussés, en (56) leur chapitre qu’ils tinrent l’année passée, ordonnèrent que leurs professeurs en théologie enseigneraient les opinions anciennes de l’Église et agiraient contre les nouvelles. Chacun sait que les Révérends Pères jésuites en usent de la sorte, comme, au contraire, la congrégation de Sainte-Geneviève ordonne

aux ordinands. Après plusieurs avertissements, saint Vincent, voyant qu’il ne pouvaient le corriger de son zèle immodéré contre les opinions nouvelles, l’éloigna de Saint-Lazare.

53). Mémoires : qu’on n’en.

54) Mémoires : libre de croire de ces matières ce qu’il lui semblera.

55). Mémoires : bien.

56). Mémoires : dans.

 

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à leurs docteurs de soutenir les opinions de saint Augustin, ce que nous prétendons faire aussi en expliquant saint Augustin par le concile de Trente, et non le concile par saint Augustin, pource que le premier est infaillible et le second ne l’est pas. Que si l’on dit que quelques Papes ont ordonné que l’on croie (57) saint Augustin à l’égard des choses de la grâce, cela s’entend au plus des matières disputées et résolues alors (58) ; mais, comme il s’en fait de temps en temps des nouvelles, il faut s’en tenir pour celles-là à la détermination d’un concile (59), qui a déterminé toutes choses selon le vrai sens de saint Augustin, qu’il l’entendait mieux que Jansénius et ses sectaires (60).

Voilà, Monsieur, la réponse à votre lettre, laquelle je n’ai point communiquée à qui que ce soit, ni (61) la communiquerai jamais ; je vous dis de plus que je n’en ai parlé à qui que ce soit et que je ne me suis fait aider par qui que ce soit au monde en ce que je vous dis, et que vous le jugerez bien par mon chétif style et par mon ignorance, qui ne paraît que trop. Que s’il y a quelque chose qui semble (62) au-dessus de cela, je vous avoue, Monsieur, que j’ai fait quelque petite étude touchant ces

57). Mémoires : croira.

58). Dans une lettre à saint Césaire, évêque d’Arles, le pape Boniface II, met saint Augustin au nombre des Pères qui ont exposé la vraie doctrine de la grâce : "Cum de hac re multii Patres et prae caeteris beatae reordationis Augustinus, episcopus, sed et majores nostri apostolicae sedis antistites ita ratione probentur disseruisse latissima ut nulli ulterius deberet esse ambiguum, fidem quoque nobis ipsam venire de gratia supersedendum duximus responsione multiiplici" (Migne, Patrologiae cursus completus, t. LXV, col. 31).

59) Le concile de Trente.

60). Parmi les propositions condamnées par le Saint-Office le 7 décembre 1690 nous trouvons celle-ci (prop. 30) : Ubi quis invenerit doctrinam in Augustinus clare fundatam illam absolute potest tenere et docere, non respiciendo ad ullam Pontificis bullam.

61). Mémoires ; et ne.

62). Les mots qui semble sont omis dans les Mémoires de Trévoux.

 

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questions et que c’est le sujet ordinaire de mes chétives oraisons (63).

Je vous supplie, Monsieur, de la communiquer à M. Alméras (64) ; et à ceux que vous jugerez à propos de la compagnie, à ce qu’on voie les raisons que j’ai eues d’entrer dans les sentiments anciens de l’Église et de me déclarer contre les nouvelles (65) et que nous demandions à Dieu et fassions (66) tout ce qui sera en nous pour être cor unum et anima una (67) en ce fait comme en tout le reste. Je vivrai dans cette espérance et aurais une affliction que je ne vous puis exprimer, si quelqu’un, quittant les vives sources des vérités de l’Église, se fabriquait des citernes des opinions nouvelles, du danger desquelles il n’y a guère personne qui ait mieux été informé par l’auteur que moi, qui suis, Monsieur, en l’amour de Notre-Seigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’ose vous dire, Monsieur, que M. Féret (68) s’étant embarrassé dans ces opinions nouvelles, il a dit à Monsieur le curé de Saint-Josse (69) que ce qui l’en a retiré, c’est la fermeté qu’il a vue en (70) ce misérable pécheur contre cela,

63) Saint Vincent a écrit sur la grâce un travail très substantiel, que nous publierons en son lieu.

64). D’après ce que nous verrons plus loin (I 1068), il est fort probable que Jean Dehorgny préféra ne pas communiquer à son supérieur.

65). Contre les nouvelles opinions.

66). Mémoires : et que nous fassions.

67) Livre des Actes IV, 32.

68) Collet écrit à tort : Froger (op cit., t I, p 539, note) était mort en septembre 1646.

69) Louis Abelly, le biographe de saint Vincent

70) Mémoires : dans.

 

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dans deux ou trois conférences que nous avons eues sur ce sujet ; c’est M. le curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, qui fut reconnu, d’abord qu’il revint d’Alet, par un chacun qu’il était dans ces opinions, desquelles il est à tel point hors de ces sentiments qu’il a proposé à M. de Saint-Josse qu’il faut que nous fassions quelque manière de congrégation secrète pour défendre les vérités anciennes. Je vous supplie de tenir ceci secret. Je n’ai point eu le loisir de lire ma lettre, et je ne l’ai osé faire transcrire ; vous aurez peine à la lire ; excusez-moi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, prêtre de la Mission, à Rome.

 

1044. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

De l’île Saint-Vincent du Cap-Vert (1) [25 juin 1648] (2)

Monsieur,

Votre sainte bénédiction s’il vous plaît !

Nous voici pour quatre ou cinq jours en terre pour prendre des eaux. Notre départ de La Rochelle fut le jour de l’Ascension, auquel l’ancre fut levée. Nous sommes en bonne santé, Dieu merci, après quelque peu de mal de mer ou vomissement dès le commencement. Nous avons eu la consolation de voir la piété de ceux de notre vaisseau, qui ont fait leur devoir pour gagner le jubilé que j’avais appris avoir été concédé par Sa Sainteté, dont nous fîmes ouverture depuis la Pentecôte jusqu’à la Fête-Dieu. Nous arrivâmes en cette île la veille de saint Jean, où nous avons célébré la messe tous

Lettre 1044. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1) Île de l’archipel portugais du Cap-Vert, dans la partie occidentale du groupe.

2). La lettre a été certainement écrite entre le 23 et le 29 juin 1648. La date du 25 semble résulter de la comparaison de ce qui est dit ici avec le contenu de la lettre 1179.

 

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les jours comme aussi avons-nous fait dans le vaisseau tant que le temps nous l’a permis. Nous avons ici rencontré des Portugais fort bon chrétiens, quoiqu’esclaves, qui sont ici envoyés pour la chasse des cabris. Nous espérons les confesser par interprète et les communier demain pour leur faire part du jubilé comme nous avons fait hier et aujourd’hui environ à une douzaine d’un vaisseau qui est de Dieppe, venu à même île pour des eaux. Ce que nous avons admiré en ces Portugais est qu’ils sont bons musiciens, et chantèrent des psaumes avec bonne harmonie.

Mais nous voilà prêts de remettre en mer pour encore quatre mois environ. Priez Notre-Seigneur qu’il nous fasse arriver au but qu’il prétend, comme des sagesses élues. Nous espérons beaucoup de fruit en ce pays, avec la grâce de Dieu, vu nommément que Monsieur notre commandeur (3) (qui vous présente ici ses très humbles recommandations) nous témoigne un grand désir d’y contribuer. Nous vous écrirons de ce pays, et si vous nous voulez écrire et envoyer quelque chose quand il partira quelque vaisseau pour ces Messieurs…

Nous célébrons la messe ordinairement en particulier pour vous et pour la compagnie en général et pour Monsieur Lambert et autres particuliers de notre connaissance, sans oublier le séminaire afin qu’il l’augmente en nombre et en vertu et qu’il fasse croître des plantes, pour venir peupler l’île Saint-Laurent (4) et autres lieux qui ont si grand besoin d’ouvriers.

Entre autres, je vous prie de vous enquérir, s’il y a moyen, d’un nommé Monsieur Rozée, marchand de Rouen, demeurant rue aux Ours, qui a la direction, pour les Français, des îles de Sénégal, où l’on dit qu’il y a quantité d’âmes à gagner à J.- C., et aussi aux Iles de Cap-de-Vert et de Gambie, où il n’y a point de prêtres, sinon peut-être un aumônier pour le vaisseau qu’on y envoie. Tout cela dépend de ce M. Rozée, qu’on dit être homme vertueux et bon chrétien. Notre capitaine de navire dit qu’il y a autant d’assurance et de liberté d’y prêcher l’Évangile comme dans Paris. Tous ces pauvres gens sont mahométans et bons, fort dociles. Dieu y veuille pourvoir !

Adieu, Monsieur. Nous apprenons la langue de Madagascar. Recommandez-nous derechef aux prières de toute la Compagnie et spécialement à Monsieur Lambert et à Monsieur Gautier, auxquels j’écrirais si le loisir me le permettait. Le porteur de la présente est un capitaine de Dieppe.

3) M de Flacourt.

4.) Ancien nom de l’île de Madagascar.

 

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le suis de tout mon cœur, en l’amour sacré de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère, Monsieur et très honoré Père votre très humble et très obéissant fils.

C. JACQUART,

indigne prêtre de la Mission de l’île Saint-Laurent.

 

1045. — A JEAN MARTIN, PRÊTRE DE LA MISSION, A GÊNES

De Paris, ce 26 juin 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre lettre du 1er de ce mois avec celles de M. Blatiron. Nous avons aujourd’hui recommandé fort expressément aux prières de la compagnie Mgr le cardinal (1), à ce qu’il plaise à Dieu lui donner la paix en son diocèse et, pour le bien de ce même diocèse, le conserver longuement. Dieu sait si nous vous avons oublié, vous ni nos chers confrères, et si nous continuerons fidèlement à lui demander l’abondance de ses bénédictions sur un chacun de vous en particulier.

Je crois, comme vous, Monsieur, qu’il sera utile d’aller aux lieux où l’on a fait la mission, faire de temps en temps une prédication en passant et rétablir la confrérie de la Charité, au cas qu’elle soit déchue ; mais il faut concerter cela auparavant et ne pas quitter quelque chose de meilleur.

Je rends grâces à Dieu de ce qu’il a redonné la santé au signor Baliano (2) ; je m’en suis beaucoup réjoui et je

Lettre 1045. — L s Dossier de Turin, original.

1) Le cardinal Durazzo, archevêque de Gênes.

2). Pierre-Paul Baliano, né à Gênes le 3 février 1628, entra dans la congrégation de la Mission à Gênes le ler novembre 1649 et fut reçu aux vœux le 8 septembre 1652. Peut-être est-il question ici de son père ou d’un parent.

 

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prie Notre-Seigneur qu’il le conserve et pour sa gloire et pour notre consolation. La mienne sera toujours de vous témoigner que je suis, en l’amour de ce même Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page. M. Martin.

 

1046. — A LA PROPAGANDE

[1648] (1)

Eminentissimi e Reverendissimi Signori,

Non essendo per ancora date ad alcuna religione o Preti secolari le tre Arabie Felice, Petrea e Deserta da coltivarsi e ridursi alla fede cristiana, Vincenzo a Paolo, superiore della Congregazione della Missione, offerisce di mandare dei suoi a dette Arabie quando l’Eminenze Vostre restino servite d’affidargliele a coltivare a lui, la Missione sub noimine propri0, accio la possa andar provvedendo di tempo in tempo delle cose necessarie, e concedergli le facoltà solite, con potestà ancora di fare un vice-Ejrefetto, che abbia da risiedere in bocca di un porto confine all’Arabia Felice, ove colle navigazioni degl’Olandesi ed Inglesi si potranno mandar i Missionari, i quali, per ora supplico, siano al numero di sei sacerdoti della sua Congregazione da proporsi ed approvarsi da Monsignore Nunzio di Francia, il quale dara la nota dei soggetti scelti, accio la Sacra Congregazione

Lettre 1046. — Supplique non signée. — Arch. de la Propagande, original.

1) Voir lettre 1068, p. 380.

 

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li possa dichiarare Missionari, ed approvare per vice prefetto quello che sarà più idoneo (2).

Che e Quas Deus, etc.

TRADUCTION

Eminentissimes et Révérendissimes Seigneurs,

Les trois parties de l’Arabie connues sous le nom d’Arabie Heureuse, Arabie Pétrée et Arabie Déserte n’ayant encore été confiées à aucun Ordre religieux ni à aucun prêtre séculier, pour être évangélisées et ramenées à la foi chrétienne, Vincent de Paul, supérieur de la congrégation de la Mission, offre d’y envoyer plusieurs de ses prêtres. A cet effet, il supplie Vos Éminences de vouloir bien lui donner cette Mission, qu’il dirigerait en son nom propre et qu’il pourvoirait de temps en temps des choses nécessaires, de lui accorder les facultés habituelles et aussi le pouvoir d’établir un vice-préfet, qui aurait sa résidence à l’entrée d’un port, sur les confins de l’Arabie Heureuse, où les missionnaires pourraient débarquer, amenés par des vaisseaux hollandais ou anglais. Ils seraient, pour commencer, au nombre de six. Leur liste, dressée par le suppliant, serait remise au nonce de France, qui témoignerait dé l’aptitude des sujets proposés et la présenterait à la Sacrée Congrégation, pour qu’elle donnât aux missionnaires les pouvoirs nécessaires et choisît parmi eux le plus digne de remplir les fonctions de vice-préfet.

 

1047. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 3 juillet 1648.

Notre pauvre nature n’est-elle pas misérable ? Tout le monde est content à Gênes de notre frère [Sébastien] (1). Il n’y a que lui seul qui ne se peut supporter ; il en veut sortir pour se satisfaire, quoiqu’il voie bien qu’il ne le peut sans déplaire et sans incommoder ceux envers

2) Le projet n’aboutit pas.

Lettre 1047. — Reg. 2. p. 199.

1). Le frère Sébastien Nodo.

 

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lesquels il pourrait exercer une continuelle charité, comme il a fait jusqu’à maintenant. Il se pourra faire néanmoins que Dieu tirera sa gloire d’une telle faute ; je l’en prie de tout mon cœur, etc.

C’est la vérité, Monsieur, que ceux-là feront bien aux pays étrangers à l’égard des pauvres et des captifs s’ils se plaisent à faire ici les mêmes choses auprès des malades et des affligés. Je loue Dieu de ce que vous éprouvez le frère Sébastien dans le mouvement qu’il a d’aller en Barbarie.

 

1048. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Tunis, 1648.

Parmi les esclaves capturés par les corsaires et emmenés à Tunis se trouvent deux jeunes garçons, de quinze ans environ l’un Français, l’autre Anglais ; les maisons de leurs maîtres étant assez proches, ils avaient la facilité de se voir souvent Ils s’aimaient comme deux frères. L’Anglais, converti du luthéranisme par le Français, avait été instruit par Jean Le Vacher. Il s’attacha si fortement à sa nouvelle foi qu’à des marchands anglais hérétiques venus pour racheter des esclaves de leur pays et de leur religion, il déclara préférer l’esclavage à l’apostasie.

Les deux amis continuèrent de se fréquenter et de s’encourager l’un l’autre dans leurs bonnes dispositions. Il arriva plus d’une fois que leurs patrons, après avoir vainement tenté de les entraîner dans le mahométisme, les brutalisèrent au point de les faire tomber évanouis à terre.

L’Anglais vint un jour chez le Français, au moment où celui-ci gisait inanimé. Il l’appela. "Je suis chrétien pour la vie", répondit le Français, qui reprenait ses sens. Le jeune visiteur se pencha pour baiser les pieds ensanglantés de son ami. Sur ces entrefaites, des Turcs entrèrent. A leurs questions, il répondit : "J’honore les membres qui viennent de souffrir pour Jesus-Christ, mon Sauveur et mon Dieu." Les infidèles furieux le chassèrent en l’injuriant.

Lettre 1048. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. II, sect. VII § XI, 1er éd., p. 135

 

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Quelque temps après, le Français trouva, à son tour, l’Anglais étendu sur une natte de jonc, le corps meurtri des coups que venait de lui donner son patron. A côté, devisaient des Turcs et le patron lui-même. Le Français s’approcha. "Qui aimes-tu davantage, demanda-t-il à son ami, Jésus-Christ ou Mahomet ?" L’Anglais répondit : "Jésus-Christ. Je suis chrétien et je veux mourir chrétien." A ces mots, les Turcs entrèrent dans une violente colère. L’un d’eux, qui portait deux couteaux à ses côtes, fit mine de vouloir couper les oreilles du Français. L’enfant prit lui-même un des couteaux et, sans hésiter, se trancha une oreille. Pour l’empêcher d’aller plus loin, on s ! empressa de le désarmer.

Dès ce jour, les Turcs cessèrent leurs sollicitations ; ils jugeaient toute tentative vouée à l’insuccès.

Les deux jeunes martyrs moururent l’année suivante, emportés par une maladie contagieuse.

 

1049. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A SAINT-MÉEN

11 juillet 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici dans un billet la réponse de Mademoiselle Le Gras et la mienne touchant les filles de Moncontour (1) et celles de Saint-Méen qui se veulent donner à Dieu dans la compagnie des Filles de la Charité.

Il ne se peut dire la bonne édification que les trois défuntes ont donnée pendant le peu de temps qu’elles ont vécu depuis leur arrivée ; nous en avons fait des conférences où il fut rapporté des choses admirables de ces bonnes filles, en sorte que leur vie et leur mort nous ont laissé des marques et des sentiments de leur sanctification.

Lettre 1049. — Recueil de lettres choisies, exemplaire de la maison. mère des Filles de la Charité

1) Aujourd’hui chef-lieu de canton dans les Côtes-du-Nord. Mathurine Guérin était du nombre de ces filles ; elle seule persévéra.

 

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1050. — AU *BUREAU DES FINANCES DE LA VILLE DE PARIS

[Vers le 14 juillet 1648] (1)

Lesdits suppliants vous remontrent que ledit chemin de Saint-Maur (2) n’étant que chemin de chasse, qui ne doit avoir que trente pieds de largeur, conformément à vos ordonnances, et même que ledit chemin, en plusieurs endroits de son étendue, il n’y ait que quatre toises au plus de large et même en son embouchure, vers la vallée de Fécamp (3), là où il se perd pour entrer dans le grand chemin de la porte Saint-Antoine (4), allant audit Saint-Maur, à l’endroit de laquelle vallée de Fécamp jusques à l’entrée de Picpus icelui chemin de Saint-Maur n’a qu’une charrière de largeur, qui n’est pas seulement un chemin carrière, qui doit avoir quinze pieds ; ce qui vous aurait été fait rapport par Jacques Bouzauct, commis à l’exercice de ladite voirie de la ville et faubourg de Paris, suivant votre ordonnance du huitième novembre mil six cent quarante-cinq.

Ce considéré, mesdits sieurs, il vous plaise permettre auxdits suppliants de faire assigner par devant vous ledit Vincent Thibaut, pour voir dire et ordonner qu’attendu qu’il s’est reculé dudit chemin de Saint-Maur de quatre toises par haut vers son embouchure, vers la chaussée du Bourget (5), et de quatre toises deux pieds

Lettre 1050. — Requête signée. L’original appartient aux Filles de la Charité de la rue Oudinot, 3, Paris.

1). Voir note 6.

2). Aujourd’hui rue Saint-Maur.

3) Il y avait autrefois à Paris une rue de la Vallée-de-Fécamp. C’est aujourd’hui la partie de la rue de Charenton qui va de la rue de Montgallet à la barrière.

4). La porte Saint-Antoine se trouvait près de la Bastille.

5). Ce nom était porté autrefois par la partie de la rue du faubourg

 

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par en bas, et avoir par ce moyen entrepris sur les terres desdits suppliants jusques à la quantité de quatre-vingt-treize toises et demie de terre en superficie, que lesdits suppliants reprendront pareille quantité de terre, qui est entre ledit chemin de Saint-Maur et la maison de clôture dudit Thibaut, pour en faire et disposer comme du propre et de l’ancien domaine dudit Saint-Lazare, et ordonner que ledit chemin de Saint-Maur aura en son embouchure, vers ladite chaussée du Bourget, telle largeur qu’il est porté par vos ordonnances, qui est de trente pieds de large, et ordonner que ci-après aucun alignement ne soit donné aux particuliers qui voudront bâtir de l’autre côté dudit chemin de Saint-Maur, vis-à-vis des terres desdits suppliants, sans qu’iceux y soient appelés, à ce que à l’avenir aucun ne fasse entreprise sur leurs terres et que les chemins aient leurs largeurs conformes à vos ordonnances ; et vous ferez justice (6).

VINCENT DEPAUL,

 

1051. — A UN CLERC DE LA MISSION

15 juillet 1648.

Je veux suspendre mon jugement au sujet de votre lettre,

Saint-Martin qui va de l’église Saint-Laurent à la rue de Flandre.

6) On lit à la suite de la requête : "La présente requête sera communiquée audit Thibaut, et lui assigné au premier jour par devant nous, pour être ouï et répondre sur icelle ; auquel jour ledit Thibaut rapportera l’alignement qui lui a été donné pour sa clôture et bâtiment. — Fait au bureau des finances à Paris, le quatorzième jour de juillet mil six cent quarante-huit et défenses à tous autres de faire aucun bâtiment sans notre permission. — Devavoquier, Hard, Longuer. — Par mesdits sieurs.. Sensier. — L’an mil six cent quarante-huit, le sixième jour d’août, à la requête des vénérables prêtres de la Congrégation de la Mission."

Lettre 1051. — Reg. 2, p. 296.

 

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tandis que M…. ne m’en dira mot. J’ai peine à croire que son procédé soit tel que vous le décrivez, ou que la parole qui vous est si sensible soit sortie de lui sans beaucoup de sujet. Je sais que sa conduite est assez douce, grâces à Dieu ; personne que vous ne m’en a encore fait plainte ; et je trouve la vôtre d’autant plus étrange que sa douceur a été considérable en votre endroit, non seulement pour supporter vos fautes, mais pour les cacher aux autres, comme il voulut faire à moi-même, lorsque vous m’écrivîtes une lettre moins digérée qu’il ne fallait ; car il m’en fit une pour votre justification.

Mais supposons qu’il se soit échappé, comme il vous semble ; faut-il s’alarmer de si peu de chose ? De qui supporterez-vous les imperfections et quelle injure êtes-vous capable de souffrir, si, de votre propre supérieur, une parole inconsidérée vous est insupportable ? Peut-être l’a-t-il dite exprès pour vous éprouver ; et en ce cas cette épreuve ne lui a pas mal réussi, puisque votre indisposition a paru aussitôt en plusieurs manières : 1° vous excusez votre faute par la comparaison de celle de votre frère ; 2° vous vous plaignez que la leçon des enfants vous est une pesante surcharge ; 3° vous demandez à changer de maison ; 4° vous vous montrez plein de propre estime, et vous présumez que toute la communauté rendre témoignage de n’avoir jamais rien remarqué en vous qui mérite la correction qui vous a été faite. Toutes ces choses sont bien éloignées des sentiments du pauvre publicain et de ceux que doit avoir un bon missionnaire, et néanmoins vous me les écrivez, dites-vous, pour conserver votre vocation. Dieu veuille, mon cher frère, que vous en ayez le dessein ! mais ce n’en est guère le chemin. La pratique de la patience, de l’humilité et de l’exactitude au règlement est la bonne marque de notre persévérance.

 

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Nous verrons si désormais vous travaillerez à l’acquisition de ces vertus et si vous donnerez à votre supérieur plus de satisfaction que par le passé. Je vous assure, mon cher Frère, que ce serait là une de mes plus sensibles consolations. Je demanderai à Dieu qu’il vous fasse cette grâce ; car votre âme m’est plus chère que je ne vous puis exprimer.

 

1052. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 15 juillet 1648.

Monsieur,

A près vous avoir rendu de très humbles grâces, comme je fais par celle-ci, de l’affection avec laquelle vous nous donnez vos assistances en l’affaire que nos religieux de Chancelade et nous avons contre ceux de Ste-Geneviève, laquelle je vous supplie de nous continuer, agréez que je vous die que tant s’en faut que j’aie jamais eu la pensée de ne vouloir pas que vous receviez en votre congrégation des ecclésiastiques de mon diocèse, qu’au contraire j’ai toujours cru qu’il était juste et nécessaire que vous en reçussiez : juste, parce que votre congrégation le sert bien ; nécessaire, parce que les vôtres qui conduisent notre séminaire ne pourront pas faire les missions utilement s’il n’y a aucun de mon diocèse avec eux à cause du langage du pays, auquel il est nécessaire qu’elles se fassent, pour être utiles, lequel ils ne savent pas. Et vous pourrez vous ressouvenir qu’entre les raisons que je vous ai dites, pour lesquelles vous deviez faire état de notre séminaire, c’est que vous en pouviez retirer, comme il est véritable, beaucoup de sujets pour faire faire des missions dans tout ce pays et le Languedoc, que c’est presque la même langue. Il est vrai que j’estimai qu’il était nécessaire que ce fut avec certaines conditions : l’une à cause de la fondation de huit cents livres que mon clergé donne annuellement pour l’entretènement de six séminaristes destinés au service de notre diocèse par notre emploi ; j’ai cru qu’il était nécessaire que ce nombre fut rempli avant que vous en pensussiez prendre d’autres ; et vous en êtes demeuré d’accord avec moi, et.M. Lambert aussi,

Lettre 1052. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

 

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quand il fut ici. L’autre, qui est plutôt un avis que non pas une condition, que vous ayez égard à la nécessité que ce diocèse avait de prêtres ; car vous ne sauriez croire combien elle était grande lorsque j’y vins. A présent il est presque pourvu de ceux qui lui sont nécessaires, ou le sera dans peu de temps ; et il y en aurait de reste si les autres diocèses ne les prenaient.

Vous seriez ravi de voir mon clergé, et béniriez Dieu mille fois si vous saviez le bien que les vôtres ont fait dans notre séminaire, qui s’est répandu par toute la province. Je vous prie donc d’examiner encore si cette condition est juste, de n’en prendre point jusques à ce que ce nombre de six soit complet. Il n’y en a que deux ; encore sont-ils étrangers, convertis à notre religion, lesquels veulent embrasser l’état ecclésiastique. Je n’ai pas voulu que les vôtres se missent jusques à présent en peine de procurer que ce nombre fût rempli, mais bien tout au contraire, au moins du temps du gouvernement de M. Delattre et de M. Testacy.

Après tout, je n’ai qu’à vous dire deux choses : l’une que l’affection que j’ai pour votre congrégation, qui ne cédera jamais à celle d’aucun des vôtres, me fait vous supplier de considérer très mûrement si vous ne devez point mettre quelque condition dans le pouvoir que vous donnerez aux vôtres de recevoir des ecclésiastiques des diocèses dans lesquels vous serez établi s ; car j’ai toujours cru, et ce que les vôtres ont fait en mon endroit me le fait croire davantage, que c’est absolument nécessaire, afin de vivre en bonne intelligence avec les évêques qui vous appelleront dans leurs diocèses. Ne mesurez pas, je vous prie, les autres à votre aune ; vous vous y tromperiez assurément. Plût à Dieu qu’il en eût coûté une partie de mon sang, que je baillerais volontiers pour votre compagnie, qu’ils eussent votre esprit ! et Dieu veuille par sa grâce, qu’ils en aient une partie, sinon le tout ! Il me semble bien que le bon M. Lambert tâche de le prendre, je souhaiterais bien que les autres en fissent de même.

L’autre chose que j’ai à vous dire est qu’il n’y aura point de condition pour vous ; vous aurez toujours tout pouvoir sur ce qui dépendra de moi ; mais je vous supplie, que cela soit dit entre vous et moi seulement, et de me croire, Monsieur, etc.

ALAIN

év. de Cahors.

 

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1053. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 22 juillet 1648.

Monsieur,

Je vous rends mille grâces des continuels soins qu’il vous plaît prendre pour nos religieux et pour moi en l’affaire que nous avons avec ceux de. Sainte-Geneviève.

Puisque vous n’avez pu obtenir la confirmation perpétuelle de la Mère de Laroque (1), nous tâcherons de la faire continuer par le moyen des supérieurs de l’Ordre.

Je vous ai écrit au long touchant la réception des ecclésiastiques de mon diocèse en votre congrégation. Vous verrez comme je n’ai pas entendu que vous n’en receviez absolument ni eu la pensée. Néanmoins permettez-moi de vous dire qu’il me semble que vous ne pourvoirez pas assez aux inconvénients qui arriveront, si vous n’ajoutez quelque condition à ce règlement que vous trouvez juste, qu’il n’en sera pas reçu de ceux qui sont dans le séminaire, pendant qu’ils y seront, ce que m’a fait M. Delattre, qui était engagé pendant qu’il y était, et les a remis à être reçus jusqu’à ce qu’ils en fussent dehors. Pourvoyez, je vous prie, à cet inconvénient ; car pour ceux qui sont aux études chez vous ou ailleurs, ou qui sont hors le séminaire et n’y ont pas demeuré, je n’en ai jamais fait de difficulté, mais seulement dit, par forme d’avis, qu’ils doivent être retenus à en recevoir jusques à ce que le diocèse fut pourvu de ceux qui lui sont nécessaires. Voilà mes petits sentiments, que je soumets aux vôtres.

Cependant je vous rends mille millions de grâces de tant de soin que vous avez pris pour nous donner M. Brandon pour Périgueux, lequel enfin Dieu a béni. J’espère qu’il en sera glorifié et vous récompensé. Et parce que mon diocèse prend part au bien à cause du voisinage, je vous supplie, quand vous verrez la reine, si vous le jugez à propos, de dire à Sa Majesté que je lui en rends de très humbles grâces. Je prie Dieu de lui faire la grâce de pourvoir toujours de bons pasteurs aux évêchés de ce royaume.

Je suis toujours, Monsieur, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

Lettre 1053. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1). Comme prieure du monastère du Pouget.

 

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1054. - — A CLAUDE DUFOUR, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

24 juillet 1648.

J’ai reçu votre lettre avec joie, voyant la fidélité que vous avez eue à me découvrir les pensées qui agitent votre cœur. Ce n’est pas merveille que vous soyez tenté ; au contraire, ce serait chose nouvelle si vous ne l’étiez point, pource que la vie des hommes n’est autre chose que tentation, et nul n’en est exempt, particulièrement de ceux qui se sont donnés à Dieu ; son propre Fils même a passé par cette épreuve. Mais si c’est une nécessité pour tous, c’est aussi un sujet de mérite pour les personnes à qui Dieu fait la grâce de réduire tout en bien, comme vous faites. Vous savez assez, Monsieur, que sans les désordres il n’y aurait point de règlements ; mais nos inclinations se portent au mal en tant de manières qu’il a été de la prudence divine et humaine de leur opposer des remèdes spécifiques. C’est pour cela que l’Ancien et le Nouveau Testament sont pleins de commandements, de conseils et de règles de salut, que l’Église a tant fait d’ordonnances et de décrets, et que les jurisconsultes ont établi des lois pour les choses civiles. Les règles que vous avez sont maximes évangéliques et moyens pour les garder, à peu près les mêmes que nous pratiquons de deçà, où personne, grâces à Dieu, ne s’en est encore plaint. Que si le nombre vous en semble excessif, je vous supplie de considérer combien grand est celui des préceptes divins, des canons, décrets, lois et admonitions dont je viens de parler ; plusieurs gros volumes ne les peuvent contenir. Il se peut faire néanmoins que

Lettre 1054 — Reg 2, p 31

 

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vous ayez peine de la diversité des choses qui vous sont recommandées et de ce que peut-être on vous presse trop pour les observer. Je suis bien aise que vous m’en ayez écrit, parce que je prierai les visiteurs de faire attention ci-après à ne rien ordonner que fort à propos ; comme je prie votre supérieur (1) de vous faire traiter doucement, en cas que par le passé on ait manqué à le faire, même de vous faire changer de lieu, si vous le désirez.

La compagnie a toujours été bien satisfaite de votre exactitude ; ceux qui vous ont vu ici en ont été fort édifiés, et, à ce que j’apprends, ceux qui habitent maintenant avec vous ne le sont pas moins ; ce qui me fait juger que la petite répugnance que vous avez est une production du mauvais esprit, qui veut vous ennuyer dans un si beau chemin. Je vous prie, Monsieur, ne l’écoutez point ; car si deux ou trois règles vous déplaisent pour être superflues à votre égard, un autre les affectionne parce qu’elles lui conviennent. Les enfants de Notre-Seigneur marchent bonnement dans ses voies ; ils ont confiance en lui ; aussi quand ils tombent, il les relève ; et si, au lieu de s’arrêter à maugréer la pierre où ils ont bronché, ils s’humilient dans leur chute, il les fait avancer à grands pas en son amour. C’est ce que j’espère de vous, Monsieur, qui êtes tout à lui, par sa miséricorde, et qui ne respirez que sa sainte volonté.

Il y a grande différence entre la vie apostolique et la solitude des Chartreux. Celle-ci, à la vérité, est très sainte, mais elle n’est pas convenable à ceux que Dieu a appelés à la première, qui en soi est plus excellente ; autrement saint Jean-Baptiste et Jésus-Christ même ne l’auraient pas préférée à l’autre, comme

1) Louis Rivet

 

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ils ont fait, en quittant le désert pour prêcher aux peuples ; outre que la vie apostolique n’exclut pas la contemplation, mais l’embrasse et s’en prévaut pour mieux connaître les vérités éternelles qu’elle doit annoncer ; et d’ailleurs elle est plus utile au prochain, lequel nous avons obligation d’aimer comme nous-mêmes, et par conséquent de l’aider d’une autre manière que ne font pas les solitaires. Et quoiqu’il vous semble que vous vous acquitteriez plus volontiers des devoirs de cette sainte religion que de ceux de notre petit institut, vous y seriez sans doute trompé, comme beaucoup d’autres qui ont quitté leur véritable vocation pour entrer dans une manière de vie différente, en laquelle ils ont trouvé moins de satisfaction. Pourquoi ? parce que les difficultés qu’ils ont pensé fuir n’étaient pas en la chose qu’ils ont délaissée, mais dans leur propre imagination, la qualité de l’esprit se trouvant la même partout, faute de la corriger par une continuelle mortification. Au reste, Monsieur, vous savez que nous ne sommes pas religieux et n’avons pas intention de l’être ; Dieu ne nous a pas jugés propres pour cet état. Prions-le qu’il nous rende dignes de celui où il nous a mis.

 

1055. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION, A ROME

Du 24 juillet 1648.

Vos incommodités m’affligent à bon escient ; je pense que le changement d’air vous sera bon ; mais avant de reprendre celui de France, je vous prie d’essayer celui de la campagne de Rome par le moyen des missions qu’on y fera cet hiver. Si ce remède est sans effet, je

Lettre 1055. — Reg. 2, p. 297.

 

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vous assure, Monsieur, que nous vous prierons de vous en revenir, et dès maintenant je le ferais, sans que je crains de contrevenir au dessein de Dieu sur vous, en vous rappelant ici, avant que d’avoir tenté de delà les moyens possibles pour vous bien porter.

Quant à la seconde raison que vous avez de repasser en France, croyez, Monsieur, que les chaleurs du climat ne contribuent guère aux mouvements déshonnêtes, la chair traîne partout ses infinités. Quand vous seriez ici, vous en ressentiriez les misères de même qu’en Italie ; c’est un exercice que Dieu permet en vous, comme il l’a permis en saint Paul, et peut-être pour la même fin, ou au moins pour vous donner sujet de mérite.

 

1056. — ALAIN DE SOLMINHIAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 28 juillet 1648.

Monsieur,

Le soin que j’avais apporté qu’on ne parlât point de ces nouvelles opinions dans cette ville de Cahors ni dans tout le reste de mon diocèse, a été cause que nous avons vécu en grand repos jusques à présent. Mais comme l’ennemi commun de la paix ne cesse jamais de travailler à semer des troubles il est arrivé depuis peu qu’un des professeurs en théologie de notre université (1) a enseigné la doctrine et les opinions de Jansenius. En ayant eu avis pendant la retraite de mes exercices, le mandai au grand archidiacre de mon Église cathédrale (2), qui a de grandes qualités et est grand ennemi de toutes ces nouveautés, de lui aller dire de ma part que je m’étonnais fort qu’il enseignât cette doctrine et lui faire commandement de cesser ; ce qu’il fit incontinent. Mais ce docteur au lieu d’obéir, lui répondit avec arrogance qu’il avait déjà

Lettre 1056. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

1). Le Père Louis Mesplède, dominicain. On garde aux archives de l’évêché de Cahors le procès-verbal dressé sur les opinions de ce religieux

2) Claude-Antoine Hébrard de Saint-Sulpice.

 

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baillé ce traité, et lui dit beaucoup de choses là-dessus pour soutenir ces opinions.

Le grand archidiacre m’ayant rapporte cela, je mandai incontinent à mon promoteur de faire commandement de ma part à tous les écoliers de m’apporter leurs écrits et leur faire défense, à peine de désobéissance, d’en aller plus prendre sous ce professeur, qui est un religieux de l’Ordre de St-Dominique ; à quoi ils obéirent incontinent ; et fallut qu’il cessât faute d’écoliers.

Le théologal de mon Église, qui ne l’aime pas, ayant appris cela, prêcha contre ces opinions ; ce qui le mit aux champs. En ayant eu avis, je donnai charge à mon promoteur de faire défense audit théologal de prêcher plus de la sorte, désirant assoupir cela, comme c’est le mieux, et d’aller dire à ce professeur que je n’approuvais pas ce que le théologal avait fait, et que, s’il n’en parlait pas de son coté et qu’il se reconnut, je tâcherais d’assoupir cela et lui conserver son honneur. Il me remercia fort par mon promoteur ; mais en même temps, ayant appris que l’université était assemblée, part de son couvent et s’en va dans la salle où ils étaient et leur représenta que j’avais fait enlever ses écrits, fait faire défense à ses écoliers de l’aller plus ouïr et que bien que je lui eusse envoyé faire faire des excuses par mon promoteur, néanmoins il ne se sentait pas satisfait et qu’il les priait de se joindre à lui pour plaider contre moi, offrant de fournir tout l’argent nécessaire.

L’université l’ayant fait sortir pour opiner, il fut résolu d’une commune voix de ne souffrir jamais que cette doctrine fut enseignée dans l’université, et se joignirent tous à moi, et, l’ayant fait rentrer, il fut fort rabroué. J’en envoyai donner avis à tous les couvents, lesquels se joignirent aussi tous à moi ; et toutes les personnes de condition qui surent son procédé, le blâmèrent fort de sorte qu’il s’est trouvé tout seul ; et à peine s’est-il trouvé quelques esprits qui se soient seulement voulu informer dans le particulier que c’était.

Il ne s’est pas néanmoins arrêté là, car il a crié hautement qu’il ferait imprimer ces opinions pour les défendre.

Sur ce temps Messeigneurs les évêques de Bazas (3) et de Condom (4) m’ayant fait l’honneur de me venir voir, je mandai le grand archidiacre et le chancelier (5) de se rendre ici ; ce qu’ayant fait, ils rapportèrent devant eux les opinions des autres professeurs ; et ayant vu que c’étaient les mêmes opinions

3) Samuel Martineau

4) Jean d’Estrades.

5) Pierre Parriel, chancelier de l’université de Cahors

 

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de Jansénius, il fut résolu que je lui manderais de me venir trouver, et, s’il venait, je lui ferais une bonne réprimande de ce qu’il avait enseigné cette doctrine, et lui ferais très expresses inhibitions et défenses de l’enseigner jamais plus et lui ordonnerais de témoigner à ceux à qui il en avait parlé, qu’il en était bien marri ; que s’il n obéissait pas, je ferais un décret portant inhibitions et défenses de ne l’enseigner plus, à peine d’être procédé contre lui par toutes voies de droit, et aux écoliers de ne l’écouter plus, à peine d’excommunication ni de retenir ses écrits ; et l’université ferait un autre décret, par lequel elle le priverait de voix active et passive et lui défendrait de plus enseigner.

Ayant eu connaissance de cette résolution il est revenu à soi, et hier il vint céans avec le chancelier et me témoigna le déplaisir qu’il avait d’avoir enseigné cette doctrine et de m’avoir déplu. Je lui fis une bonne réprimande et lui fis connaître sa faute, de façon que, par la grâce de Dieu, ce feu qui s’allait allumer dans notre ville s’est éteint, et j’espère que dans peu de jours il ne s’en parlera pas.

Cet affaire m’a donné grande douleur au commencement ; mais, grâces à Dieu, il a été étouffé dans sa naissance. Je vous l’ai voulu mander, parce que je serai bien aise que vous sachiez les affaires de cette nature qui se passeront dans mon diocèse, et afin que vous vous ressouveniez de ce que je vous ai dit si souvent, que ma présence était si nécessaire dans mon diocèse que je n’en devais jan sais sortir que pour de très grandes et urgentes affaires, et pour vous dire aussi que Messeigneurs de Bazas et de Condom m’ont extraordinairement pressé de m’en aller à la cour pour les défendre contre les violences qu’ils souffrent de Monsieur d’Epernon (6), particulièrement Monseigneur de Bazas et plusieurs autres de la province ; que les prélats qui sont là-bas leur écrivent qu’il faut que tous ceux de la province y aillent en foule et me nomment en particulier. Je leur ai répondu que je serai toujours à eux inséparablement pour la défense de leur dignité et de leurs personnes, mais que, pour aller à Paris, je ne croyais pas que je le pusse, à cause de la nécessité que mon diocèse a de ma présence ; que j’y avais quatre grandes affaires, la moindre desquelles requérait ma présence, sans que je m’y sois pu résoudre, quoique peut-être j’y serai contraint. Je leur ai remontré beaucoup de choses là-dessus et leur ai dit que je vous en écrirais. Ils m’ont dit de recommander l’affaire à Notre-Seigneur et qu’ils s’en remettaient à moi. Je vous dirai doncques que

6) Le duc d’Epernon, gouverneur de Guyenne.

 

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je n’ai jamais pu connaître que ce fût la volonté de Dieu que j’y allasse pour ce sujet. Au contraire il me semble que ce serait contre sa volonté ; car je ne me souviens point d’avoir vu d exemple dans l’histoire ecclésiastique que tous les évêques d’une province l’aient quittée pour aller porter, leurs plaintes aux princes des persécutions des gouverneurs, non pas même de celles des tyrans, mais bien de députer quelqu’un ; et les autres demeuraient dans leurs diocèses ou, s’ils ne pouvaient y être en sûreté, se retiraient dans les voisins, et de là donnaient leurs assistances à leurs peuples. Je ne vois pas aussi que cela fût approuvé à la cour, particulièrement au temps où nous sommes, qui nous obligerait, si nous y étions, d’en partir pour revenir en nos diocèses ; et moi particulièrement je ne voudrais pas pour de mon sang en avoir été absent pendant que ce docteur y enseignait cette mauvaise doctrine, que peut-être je n’eusse jamais pu extirper, et d’autant plus que tout Toulouse est en feu.

Je vous prie me mander là-dessus vos sentiments. Cependant je vous dirai que mondit seigneur de Bazas, voyant que les violences de d’Epernon s’augmentent de jour à autre et qu’il se prévaut du temps, s’est résolu de se retirer à Paris pour quelque temps, mais avec intention de ne se plaindre point pendant ces troubles. C’est un grand prélat et qui mérite bien d’être assisté et que la reine l’appuie. C’est pourquoi je vous supplie de disposer l’esprit de Sa Majesté pour cela, afin que, quand il sera temps, elle prenne la cause. Au nom de Dieu, employez tout ce que vous avez de pouvoir et crédit pour empêcher que Monsieur de Laverdin ne soit évêque du Mans (7), pour les raisons que Monseigneur de Bazas vous dira. Cependant croyez-moi, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

7) Philibert-Emmanuel de Beaumanoir de Lavardin avait une assez mauvaise réputation, il fut toutefois nommé évêque du Mans le 20 février 1649, malgré les résistances de saint Vincent

 

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1057. — A DENIS GAUTIER, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

[Juillet 1648] (1)

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Voici une nouvelle bien affligeante, mais qui est mêlée d’une grande consolation. Dieu a disposé du bon M. Guérin à Tunis et peut-être de M. Lesage en Alger (2), l’un et l’autre frappés de peste, laquelle depuis longtemps est fort échauffée en ces lieux-là ; M. Le Vacher et notre frère François (3) en ont aussi ressenti le venin ; mais il a plu à sa divine bonté de les conserver quasi par miracle.

Nous attendions la nouvelle de la mort dudit sieur Le Vacher, lorsque lui-même nous a mandé celle dudit sieur Guérin, qui arriva le mois de mai dernier (4). Sa fin, comme sa vie, a rendu de véritables témoignages de son zèle et de sa charité, qui nous donnent une assurance moralement infaillible de la réception de son âme dans

Lettre 1057. — L. s. — Dossier de Turin, original. Cette lettre a été envoyée aux diverses maisons de la congrégation de la Mission.

1). L’année ne fait aucun doute, car Julien Guérin est mort le 25 mai 1648. Il n’y a pas la même certitude pour le mois. Si nous donnons la préférence au mois de juillet, c’est que le saint n’a pu recevoir avant juillet la lettre écrite le 20 juin par Jean Le Vacher et eut vraisemblablement avant le mois d’août celle que le frère Barreau lui adressa le 12 mai ou dans les huit jours qui suivirent.

2). Il était mort, en effet, le 12 mai précédent, victime de son dévouement pour les pestiférés, qu’il visitait et consolait, sans se soucier de sa propre santé.

3). François Francillon, né à Céaux (Vienne) en janvier 1621, reçu dans la congrégation de la Mission, comme frère coadjuteur, en avril 1645. Il accompagna Julien Guérin à Tunis, revint en France, fut envoyé à Alger et s’y dévoua jusqu’au 6 juillet 1688, jour où les Turcs l’attachèrent à la bouche d’un canon.

4). Le 25 mai, date donnée par Jean Le Vacher lui-même dans une lettre qu’il adressa de Tunis à René Alméras le 22 juin 1648.

 

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l’éternité bienheureuse. Je vous prie néanmoins de lui rendre le secours accoutumé.

Ce que nous savons de M. Lesage est que notre frère Barreau, son compagnon, nous a mandé, par lettres du quatrième de mai, qu’il était tombé malade de la contagion deux jours auparavant ; et Monsieur Le Vacher, par une lettre du vingtième de juin, en parle en ces termes : "J’estime, dit-il, que vous avez à présent reçu des lettres d’Alger sur la mort de M. Lesage." Or, bien que nous n’en ayons reçu d’autre que celles de sa maladie, nous craignons pourtant que le trépas s’en soit ensuivi, et qu’étant venu à la connaissance dudit sieur Le Vacher, l’avis qu’il nous en donne en si peu de mots ne soit que trop véritable. Il se peut faire aussi que ce n’est qu’un faux bruit ; car il est éloigné d’Alger de cent lieues.

Tandis, Monsieur, que nous en attendons la dernière nouvelle, M. Le Vacher est donc en bonne disposition, grâces à Dieu. Il a été pourtant à telle extrémité qu’on l’a tenu pour mort, en sorte que le bon M. Guérin, qui n’était encore malade, avait déjà donné ordre à sa sépulture, et chacun s’était retiré de sa chambre, à la réserve de notre frère Franc, ois, lequel, le regardant de fois à autre, aperçut en lui, deux heures après, quelques signes de vie ; et à l’instant il sortit dehors pour en avertir ceux qui l’avaient abandonné comme mort, lesquels accoururent pour s’assurer de la vérité, et l’ayant reconnue, ils en restèrent également étonnés et consoles.

Peu de jours après, ce bon frère fut attaqué de deux pestes et de la fièvre continue. M. Guérin ensuite tomba malade ; si bien que les voilà tous trois dans le lit ; ce qu’étant rapporté audit frère François, sa charité le pressa si fort qu’au même temps il se leva pour assister les autres ; et comme on le voulut empêcher, à cause

 

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qu’il était bien mal, il répondit : "Dieu fera de moi ce qu’il lui plaira ; mais il faut qu’en l’état où ils sont, je leur fasse le bien que je pourrai." En effet, il les a toujours servis jusqu’au décès de l’un et jusqu’à la bonne disposition de l’autre, leur donnant des bouillons et des remèdes, allant tantôt en ville, tantôt ailleurs ; il a fait enfin pour leur soulagement comme s’il n’eut eu aucun m. al.

Quelques jours après, pour récompense de sa charité, Dieu permit qu’il se trouvât guéri d’une de ses pestes. L’appétit lui revint, et peu à peu l’autre peste se dissipa aussi, sans qu’il ait pris aucun remède qu’après que ledit sieur Le Vacher s’est bien porté, lequel le fit saigner et purger. Il parle de ce frère comme d’une merveille, et le bon M. Guérin ne m’en a jamais parlé qu’avec louanges.

Voilà, Monsieur, de grands sujets de louer Dieu et pour la santé des uns et pour le décès des autres : de celle-là, pource qu’elle donne moyen à ces deux bons serviteurs de Dieu de lui continuer leurs services en la personne des esclaves malades et abandonnés, qui est un degré de charité le plus élevé qui se puisse exercer en ce monde ; et de celui-ci, pour ce qu’une telle mort est précieuse au ciel et à la terre, et qui sera, Dieu aidant, la semence des missionnaires, comme le sang des martyrs a été celle des chrétiens ; aussi est-ce un martyre d’amour de mourir pour l’assistance corporelle et spirituelle des membres vivants de J.- C.

Nous nous sommes entretenus vendredi au soir des vertus de feu M. Guérin et continuerons à la prochaine conférence ; nous faisons recueillir ce qui s’en dit pour en faire part à toutes nos maisons. Le sujet le mérite bien ; c’était une âme des plus pures, des plus détachées et des plus à Dieu et au prochain que j’aie jamais reconnue.

 

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O Monsieur, quelle perte pour les pauvres, mais quelle perte pour nous de n’avoir plus cet exemple de zèle et de charité ! Souvent je m’en suis servi comme du plus efficace pour animer la compagnie à la pratique de ces vertus. Nous ne l’avons plus ; Dieu nous l’a ôté ; peut-être que c’est pour nous punir du mésusage que nous en avons fait ; mais, comme il est vrai que la plupart en ont profité, Dieu veut nous exciter à une plus grande émulation pour aller établir partout l’empire de son Fils Notre-Seigneur, ainsi qu’a fait notre bon M. Guérin, qui jouit maintenant de la récompense due à ses travaux et qui nous obtiendra la grâce de l’imiter, si, en effet, nous commençons dès à présent dans les occasions journalières que nous en avons. Ce bon serviteur de Dieu n’a pas attendu qu’il fût en Barbarie pour aimer et consoler les pauvres ; il l’a toujours fait en France et en Lorraine, autant qu’il l’a pu ; et c’est ce qui lui a mérité le bonheur d’aller mourir au service des pauvres esclaves, ainsi que plusieurs ont remarqué en notre conférence.

Je prie N.-S. qu’il soit la vie de nos cœurs et qu’il me fasse digne de la grâce que j’ai reçue de sa divine miséricorde, d’être, en elle, comme je suis, et de vous et de votre petite compagnie, que j’embrasse tendrement en esprit, Monsieur, très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de le première page. M. Gautier.

 

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1058. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

15 août 1648.

Je loue Dieu de votre vigilance et bonne conduite à procurer que ces Messieurs les ecclésiastiques de Gênes qu’on appelle missionnaires ne soient plus appelés ainsi, pour empêcher la confusion des mêmes noms et prévenir les inconvénients qui arrivent de la multiplicité de ceux qui les portent. Vous ferez bien d’insister aussi à ce qu’il plaise à Monseigneur le cardinal de changer le nom aux exercices qu’ils font, de crainte que, les appelant missions, on ne vienne encore avec le temps à nommer ceux qui les feront, missionnaires, parce que souvent les ouvriers tirent leur nom de celui de leurs ouvrages, et l’on passe facilement de l’un à l’autre ; outre que c’est l’usage de l’Église d’assigner à toutes les compagnies et à leurs fonctions divers noms, pour les distinguer les uns des autres.

 

1059. — EDMOND DWYER, ÉVÊQUE DE LIMERICK, A SAINT VINCENT

Vers août 1648] (1)

Il est juste, Monsieur, que je vous rende des actions de grâces, de tout mon cœur, du bienfait que j’ai reçu de vous par vos prêtres, et que je vous dise le très grand besoin que l’on a de les avoir en ce pays. Je puis vous assurer confidemment que leurs travaux y ont fait plus de fruit et qu’ils ont converti plus d’âmes que tout le reste des ecclésiastiques ;

Lettre 1058 — Reg. 2, p. 85.

Lettre 1059. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. I, sect. VIII, 1er éd., p. 149

1) Abelly dit que cette lettre est du même temps que la lettre 1060.

 

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et de plus, que, par leur exemple et leur bonne conduite, la plupart de la noblesse de l’un et l’autre sexe est devenue un modèle de vertu et de dévotion, qui ne paraissait point parmi nous devant l’arrivée de vos missionnaires en ces quartiers. Il est vrai que les troubles et les armées de ce royaume ont été un grand empêchement à leurs fonctions ; et néanmoins la mémoire des choses qui regardent Dieu et le salut est tellement gravée, par leur moyen dans les esprits des habitants des villes et des gens de la campagne, qu’ils bénissent Dieu également dans leurs adversités aussi bien que dans leurs prospérités. J’espère de me sauver moi-même par leur assistance.

 

1000. — THOMAS WALSCH, ARCHEVÊQUE DE CASHEL (1)

A SAINT VINCENT

16 août [1648] (1)

Le départ de vos missionnaires me donne occasion de vous témoigner mes humbles reconnaissances accompagnées d’actions de grâce, de ce que, par votre grande charité, vous avez daigné secourir par vos prêtres missionnaires le petit troupeau que Dieu m’a commis ; ce qui s’est fait, non seulement dans un temps très propre pour nos besoins, mais aussi dans une occurrence entièrement nécessaire. Aussi est-il véritable que par leurs travaux et emplois les peuples ont été excités à la dévotion, qui s’augmente tous les jours. Et quoique ces bons prêtres aient souffert beaucoup d’incommodités depuis leur arrivée en ce pays, ils n’ont pas laissé pour cela de s’appliquer continuellement aux travaux de leur Mission, comme des ouvriers infatigables, lesquels aidés de la grâce, ont glorieusement étendu et augmenté le culte et la gloire de Dieu.

J’espère que ce même Dieu, qui est bon et tout-puissant, sera lui-même votre ample récompense et la leur. Et de mon coté je le prierai qu’il vous conserve longuement, vous ayant choisi pour le bien et utilité de son Église.

Lettre 1060. — Abelly, op. cit, 1. II, chap,. I, sect. VIII. 1er éd., p. 148. Cet écrivain note que la lettre fut écrite en latin

1). Né dans le diocèse de Waterford en 1580, nommé à l’archevêché de Cashel en 1626, emprisonné pour la foi à la fin de l’année 1652 et, après neuf mois de captivité, exilé en Espagne, où il mourut le 5 mai 1654.

2) Texte d’Abelly : 1658. La rectification s’impose.

 

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1061. — JEAN LE VACHER, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT VINCENT

[Tunis, 1648] (1)

Moyennant quelque argent que j’ai donné aux patrons ou gardiens de ces pauvres esclaves je les ai assemblés en chaque lieu ; et là, je les ai instruits, consolés, confessés et confirmés en la foi, par la grâce de Dieu. Et ayant accommodé les lieux le plus décemment que j’ai pu, j’y ai célébré la sainte messe, où ils ont tous communié ; et nous sommes demeurés les uns et les autres pleins de consolation, qu’il a plu à Dieu départir à ces pauvres esclaves au milieu des misères de leur captivité, qui sont fâcheuses et pesantes au delà de ce que des personnes libres peuvent se représenter ; et par conséquent les joies et consolations qu’ils ont goûtées parmi leurs peines ne peuvent être que des fruits de la grâce de Dieu. Je les ai tous embrassés ; et pour les remettre un peu de leurs fatigues, je les ai régalés autant que notre pauvreté l’a pu permettre, et outre cela j’ai donné aux plus pauvres, à chacun, un quart de piastre.

 

1062. — A LA SŒUR MADELEINE-ELISABETH DE MAUPEOU

RELIGIEUSE DE LA VISITATION

Ma chère sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit à jamais avec vous ! Vous êtes souhaitée ici ; on vous demande de là, et vous êtes indifférente, comme le doit être une bonne

Lettre 1061. — Abelly, op. cit., 1 II, chap. I, sect., VIII, § 9, 1er éd., p. 131.

1). Jean Le Vacher écrivit cette lettre au retour de son premier voyage aux maceries de la campagne, c’est-à-dire, sans aucun doute, dans l’année de son arrivée à Tunis.

Lettre 1062 — Année sainte, t. VII, p. 253.

1). Madeleine-Elisabeth de Maupeou, fille de Gilles de Maupeou, intendant et contrôleur général des finances sous Henri IV, quitta le monde en janvier 1628, à l’âge de trente-deux ans, pour entrer au premier monastère de la Visitation à Paris. Les religieuses du couvent de Caen l’élurent pour leur supérieure le 24 mai 1635 et la réélurent le 20 mai 1638. En 1641, elle alla fonder un monastère

 

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servante de Dieu et une bonne fille de Sainte-Marie. Votre monastère d’ici vous demande pour la fondation de Compiègne (6) ; vos chères filles de Bayonne pensent que vous leur êtes nécessaire et font instance a ce que vous demeuriez avec elles. Vous ferez ce que vous jugerez devant Dieu être pour le mieux ; vous vous en viendrez, ou vous demeurerez.

La pensée que j’ai, que vous cherchez Dieu et sa sainte volonté uniquement, fait que j’estime la faire moi-même, en vous remettant le discernement d’icelle. Si vous venez, ce qui est à souhaiter, je vous prie de m’en donner avis, la présente reçue, et que vous veniez au plus tôt, si quelque chose d’importance ne vous arrête, pour que l’on dispose selon cela les choses de la fondation. Oh ! ma chère sœur, que vous serez reçue cordialement, si vous venez ! Que si vous ne venez pas, ne le pouvant, on s’en remettra au bon plaisir de Dieu, qui nous sera connu par le choix que vous ferez. Dieu vous remplisse de plus en plus de son esprit, ma très chère sœur !

Je suis, en son amour, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

De Paris, ce 3e septembre 1648.

de son Ordre à Bayonne, où l’appelait son neveu François Fouquet, évêque de cette ville. Son second triennat avait pris fin depuis un an, quand saint Vincent lui écrivait cette lettre. Elle resta à Bayonne, et les sœurs la mirent de nouveau à leur tête le 2 juin 1650. De retour à Paris, elle dirigea le premier monastère de 1655 à 1658 et y termina ses jours, à l’âge de soixante-dix-huit ans, le 3 juillet 1674. (Cf. Année sainte, t. VII, pp. 249-254)

2) Le monastère de Compiègne s’était ouvert le 13 juin 1648.

 

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1063. — A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 5 septembre 1648.

Béni soit Dieu, Mademoiselle, de la sollicitude que Notre-Seigneur vous donne pour vos chères filles et pour moi, dans ces émotions populaires (1) ! Nous voilà tous, par la grâce de Dieu, sans que Notre-Seigneur nous ait faits dignes de souffrir quelque chose pour lui en ce rencontre.

Assurez-vous au reste qu’il n’y a rien que j’aie pensé devoir dire que je n’aie dit, par la grâce de Dieu ; je dis à l’égard de toutes choses. Le mal, c’est que Dieu n’a pas béni mes paroles, quoique je croie fausses celles qu’on dit de la personne dont vous entendez me parler (2), Il est vrai que je tâche de les dire à la manière que font

Lettre 1063. — L. a. — Original au Berceau de saint Vincent de Paul

1) Saint Vincent fait ici allusion aux journées des 26, 27 et 28 août. La nouvelle de l’arrestation de Broussel, conseiller à la Grand’Chambre, avait soulevé le peuple contre la cour. Dans les rues, des barricades s’étaient élevées. La milice bourgeoise, appelée aux armes pour rétablir l’ordre, sympathisait avec les insurgés. Il fallut que la reine cédât et fit revenir Broussel, alors en route vers Sedan

2). Il serait difficile de dire au juste à quoi saint Vincent fait ici allusion Serait-ce aux relations de Mazarin et d’Anne d’Autriche ? Le bruit courut, répandu par les frondeurs, que la reine et son ministre étaient liés par un mariage de conscience ; et certains ajoutaient que saint Vincent lui-même avait béni leur union. On en causa à Saint-Lazare, et le frère Robineau n’hésita pas à interroger le saint, qui lui répondit : "Cela est faux comme le diable." (Cahier ms. du frère Robineau, p. 10, arch. de la Mission.) La question de ce mariage secret a été étudiée par Jules Loiseleur (Problèmes hitoriques. Mazarin a-t-il épousé Anne d’Autricha ? Gabrielle d’Estrées est-elle morte empoisonnée ? 1867, in-l2) et par Victor Molinier (Notice sur cette question historique : Anne d’Autriche et Mazarin étaient~ils secrètement mariés ? Paris, 1887 in-8°) Il semble établi que Mazarin n’était pas dans les ordres sacrés. (Cf. Chéruel Adolphe, Lettres du Cardinal Mazarin, 9 vol. in-4°, Paris, 1872-1906, t. I, p. XVI, note 2.)

 

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les bons anges, qui proposent, sans se troubler, lorsqu’on ne fait pas usage de leurs lumières.

C’est La leçon que m’a apprise le bienheureux cardinal de Bérulle, et l’expérience que j’ai, que je n’ai pas grâce, ains que je gâte tout, quand j’en use autrement.

Si vous désirez passer chez Madame de Saint-Simon (3) pourquoi non ?

Les choses vont ici tout doucement. Vos malades commencent à se mieux porter partout.

Je tâcherai de dire un mot à M. le comte de Maure (4). J’ai peur pourtant de gâter la chose par ma misère. Je ne descendrai point au particulier néanmoins. Notre-Seigneur suppléera à ce qui me défaudra, s’il lui plaît.

Je loue Dieu de ce que vous me dites des visites de Charités. Oh ! que je suis mortifié de ne les pouvoir faire ! Notre-Seigneur y pourvoira par ailleurs, s’il lui plaît.

Je suis en son amour, Mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

De Paris, cette…

3) Louise de Crussol, mariée en secondes noces au marquis de Saint-Simon, qui devint lieutenant général des armées du roi, gouverneur et bailli de Senlis et capitaine du château de Chantilly.

4) Parent par alliance de Louise de Marillac. Il prit une part active aux troubles de la Fronde. Saint Vincent voulait-il lui donner des conseils de sagesse politique ?

 

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1064. — A JEAN DEHORGNY

D’Orsigny, ce 10e septembre 1648.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 17e août (1), qui est pour achever de répondre aux miennes touchant les diversités d’opinions, celle-ci étant à l’égard du livre de Le communion (2), pour réponse à laquelle je vous dirai, Monsieur, qu’il peut être, ce que vous dites, que quelques personnes ont pu profiter de ce livre en France et en Italie ; mais que d’une centaine qu’il y en a peut-être qui en ont profité à Paris, en les rendant plus respectueux en l’usage de ce sacrement, qu’il y en a pour le moins dix mille auxquels il a nui en les en retirant tout à fait ; que je loue Dieu de ce que vous en usez comme je fais, qui est de ne point parler de ces choses en la famille et de ce qu’elle va son train à Rome comme ici.

Il est vrai, ce que vous dites, que saint Charles Borromée a suscité l’esprit de pénitence dans son diocèse, de

Lettre 1064. — Arch. dép. de Vaucluse, D 296, copie du XVIIe ou du XVIIIe siècle. On trouvera en note les variantes du texte publié en mars 1726 par les Mémoires de Trévoux (p. 448). Ni le manuscrit des archives départementales, ni les Mémoires de Trévoux ne donnent le post-scriptum, que nous avons emprunté au supplément des Lettres et conférences de St Vincent de Paul (p. 70). L’éditeur de ce supplément a eu en main l’original de la lettre, que lui avait communiqué Mademoiselle d’Haussonville et que l’on n’a pu retrouver.

* Voir le texte de cette lettre et son commentaire par Bernard KOCH à la fin du volume XIII. pp. 863 & sq.

1). Mémoires : du 7 août.

2). L’ouvrage avait pour titre : De la fréquente communion, où les sentimens des Pères des Papes et des Conciles touchant l’usage des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie sont fidèlement exposez, pour servir d’adresse aux personnes qui pensent sérieusement à se convertir à Dieu et aux pasteurs et confesseurs zélés pour le bien des âmes, par M. Antoine Arnauld, docteur en théologie, de la maison de Sorbonne. — Sancta Sanctis. — A Paris, chez Antoine Vitré, 1643

 

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son temps, et l’observance des canons d’icelle, et que c’est ce qui mutina le monde contre lui et même des bons religieux, à cause de la nouveauté ; mais il n’a pas constitué la pénitence ou, quoi que ce soit, la satisfaction, à se retirer de la sainte confession et de l’adorable communion, si ce n’est aux cas portés par les canons, que nous tâchons d’observer (3) en cas des occasions prochaines, des inimitiés, des péchés publics ; mais il est (4) bien éloigné de ce qu’on dit, qu’il ordonnait des pénitences publiques pour des péchés secrets et à faire la satisfaction avant l’absolution, comme le livre dont est question (5) prétend faire.

Venons au particulier. Il est vrai, Monsieur, quoi que vous me disiez du livre de La fréquente communion, qu’il a été fait principalement pour renouveler la pénitence ancienne comme nécessaire pour rentrer en grâces (6) avec Dieu ; car, quoique l’auteur fasse quelquefois semblant de proposer cette pratique ancienne seulement comme plus utile, il est certain néanmoins qu’il la veut pour nécessaire, puisque par tout son (7) livre il la représente comme une des grandes vérités de notre religion, comme la pratique des apôtres et de toute l’Église durant douze siècles, comme une tradition immuable, comme une institution de Jésus-Christ, et qu’il ne cesse de faire entendre qu’il est obligé de la garder et d’invectiver continuellement contre ceux qui s’opposent au rétablissement de cette pénitence. D’ailleurs, il enseigne manifestement qu’anciennement il n’y avait point d’autre pénitence pour toute sorte de péchés mortels que la

3) Mémoires. : de pratiquer.

4) Mémoires : était.

5) Mémoires : dont il est question.

6) Mémoires : pour entrer en grâce

7) Mémoires : le.

 

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publique, comme on voit par le 3e chapitre de la seconde partie, où il prend pour une vérité l’opinion qui porte qu’on ne trouve dans les anciens Pères, et principalement dans Tertullien, que la pénitence publique en laquelle l’Église exerçât la puissance de ses clefs ; d’où il s’ensuit par une conséquence très claire, que M. Arnauld a dessein d’établir la pénitence publique pour toutes sortes de péchés mortels et que ce n’est pas une calomnie de l’accuser de cela, mais une vérité que l’on tire aisément de son livre, pourvu qu’on le lise sans préoccupation d’esprit.

Et vous, Monsieur, me dites que cela est faux. Vous êtes à excuser, parce que vous ne saviez (8) pas le fond des maximes de l’auteur et de toutes ces doctrines, qui était de réduire l’Église en ses premiers usages, disant que l’Église a cessé d’être depuis ces temps-là. Deux des coryphées (9) de ces opinions ont dit à la Mère de Sainte-Marie de Paris (10), laquelle on leur avait fait espérer qu’ils pourraient attirer ii leurs opinions, qu’il y a cinq cents ans qu’il n’y a point d’Église ; elle me l’a dit et écrit.

Vous me dites, en second lieu, qu’il est faux que M. Arnauld ait voulu introduire l’usage de faire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs. Je réponds que M. Arnauld ne veut pas seulement introduire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs, mais il en fait une loi générale pour tous ceux qui sont coupables d’un péché mortel, ce qui se voit par ces paroles tirées de la 2e partie, chapitre 8 : "Qui ne voit combien ce Pape juge nécessaire que le pécheur fasse pénitence de ses péchés, non seulement avant que de communier, mais

8.) Mémoires : savez.

9) M. de Saint-Cyran ne serait-il pas un de ces coryphées ?

10). Hélène-Angélique Lhuillier.

 

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même avant que de recevoir l’absolution ?" Et un peu plus bas, il ajoute : "Ces paroles ne nous montrent-elles pas clairement que, selon les règles saintes que ce grand Pape a données à toute l’Église, après les avoir apprises dans la perpétuelle tradition de la même Église, l’ordre que les prêtres doivent garder dans l’exécution de la puissance que le Sauveur (11) leur a donnée de lier et de délier les âmes, c’est de n’absoudre les pécheurs qu’après les avoir laissés dans les gémissements et dans les larmes, et leur avoir fait accomplir une pénitence proportionnée à la qualité de leurs péchés." Il faut être aveugle pour ne pas connaître, par ces paroles et par beaucoup d’autres qui suivent, que M. Arnauld croit qu’il est nécessaire de différer l’absolution pour tous les péchés mortels jusqu’à l’accomplissement de la pénitence ; et en effet, n’ai-je pas vu faire pratiquer cela par M. de Saint-Cyran, et le fait-on pas encore à l’égard de ceux qui se livrent entièrement à leur conduite ? Cependant cette opinion est une hérésie manifeste.

Pour ce qui est de l’absolution déclaratoire, vous me dites qu’il n’a point besoin que de son premier livre pour faire voir le contraire, et m’alléguez trois ou quatre autorités pour cela. Je réponds que ce n’est pas de merveille que M. Arnauld parle quelques fois comme les autres catholiques ; il ne fait en cela qu’imiter Calvin, qui nie trente fois qu’il fasse Dieu auteur du péché, quoiqu’il fasse ailleurs tous ses efforts pour établir cette maxime détestable, que tous les catholiques lui attribuent.

Tous les novateurs (12) font de même ; ils sèment des contradictions dans leurs livres, afin que, si on les reprend

11) Mémoires : le Seigneur.

12). Les Mémoires de Trévoux ajoutent ici le mot en.

 

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sur quelque point, ils puissent s’échapper, en disant qu’ils ont ailleurs le contraire. J’ai ouï dire à feu M. de Saint-Cyran que, s’il avait dit des vérités dans une chambre à des personnes qui en seraient capables, que, passant en une autre où il en trouverait d’autres qui ne le seraient pas, qu’il leur dirait le contraire ; que Notre-Seigneur en usait de la sorte et recommandait qu’on fît de même (13).

Comment est-ce que M. Arnauld peut soutenir sérieusement que l’absolution efface véritablement les péchés, puisqu’il enseigne, comme je viens de montrer, que le prêtre ne doit point donner l’absolution au pécheur qu’après l’accomplissement de la pénitence, et que la raison principale pour laquelle il veut qu’on observe cet ordre est afin de donner temps au pécheur d’expier ses crimes par une satisfaction salutaire, comme il le prouve amplement dans le chapitre 2e de la seconde partie ? Un homme judicieux qui veut qu’on expie des péchés par une satisfaction salutaire, avant que de recevoir l’absolution, peut-il croire sérieusement que les péchés soient expiés par l’absolution ?

Vous me dites que M. Arnauld dit que l’Église retient dans le cœur le désir que les pécheurs fassent pénitence selon les règles anciennes, et que M. Arnauld dit que la

13) Raoul Allier (La cabale des dévots, Paris, 1902, in-16, p. 165) a peine à croire que Saint-Cyran ait pu tenir pareil propos. Il préfère admettre que saint Vincent l’a mal compris. "Saint-Cyran sentait si bien, écrit-il, que sa pensée allait contre les doctrines courantes, que pour éviter les condamnations sommaires et les scandales inutiles, il ne s’en ouvrait qu’à des amis sûrs et en état de le comprendre." Voilà à quoi se réduirait ce que Saint-Cyran aurait dit à saint Vincent. Saint Vincent était là, présent devant l’abbé quand celui-ci parlait ; tel que nous le connaissons, nous savons qu’il était plutôt porté à excuser qu’à accuser, à atténuer la gravité d’actes ou de paroles répréhensibles qu’à l’exagérer. Son autorité est, semble-t-il, d’un autre poids que celle de Raoul Allier.

 

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pratique ancienne et nouvelle de l’Église sont toutes deux bonnes, mais que l’ancienne est meilleure (14), et qu’elle, étant une bonne mère, qui ne respire que le plus grand bien de ses enfants, leur désire toujours le meilleur, au moins dans son cœur.

Je réponds qu’il ne faut point confondre la discipline ecclésiastique avec les désordres qui se peuvent rencontrer. Tout le monde blâme ces désordres ; les casuistes ne cessent de s’en plaindre et de les remarquer, afin qu’on les connaisse ; mais c’est un abus de dire que ne point pratiquer la pénitence de M. Ar [nauld], ce soit un relâchement que l’Église tolère avec regret. Nous n’avons pas grande assurance de la pratique d’Orient dont vous parlez ; mais nous savons que, par toute l’Europe, on pratique les sacrements de la manière que M. Arnauld condamne, et que le Pape et tous les évêques approuvent la coutume de donner l’absolution après la confession et de ne point faire pénitence publique que pour des péchés publics. N’est-ce pas un aveuglement insupportable de préférer, en une chose de telle conséquence, les pensées d’un jeune homme, qui n’avait aucune expérience dans la conduite des âmes lorsqu’il a écrit, à la pratique universelle de toute la chrétienté ?

Si la pratique de la pénitence publique a duré en Allemagne jusques au temps de Luther, comme vous dites, ce n’a été que pour les péchés publics ; et personne ne trouve mauvais que cette pénitence soit rétablie partout, puisque le concile de Trente l’ordonne expressément (15). Et quel rapport a l’ordonnance de saint Ignace, que vous m’alléguez aussi, avec la conduite de ceux qui éloignent tout le monde de la communion,

14) Mémoires : est la meilleure

15) Ses. XXIV, chap. VIII.

 

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non pour huit ou dix jours, mais pour cinq ou six mois, non seulement les grands pécheurs, mais de bonnes religieuses qui vivent en une grande pureté, comme nous avons appris (16) de l’épître de M. de Langres à M. de Saint-Malo (17). Ce n’est pas s’arrêter à des pointilles que de remarquer des désordres si notables et qui ne tendent qu’à la ruine entière de la sainte communion ; et tant s’en faut que des gens de bien doivent mettre en pratique ces (18) maximes pernicieuses, qu’ils ont juste sujet de les mépriser et de concevoir mauvaise opinion de ceux qui les autorisent.

Saint Charles n’avait garde de les approuver, puisqu’il ne recommande rien tant, dans ses conciles et dans ses actes, que la fréquente communion, et qu’il ordonne plusieurs fois de grièves peines contre tous les prédicateurs qui détournent les fidèles directement ou indirectement de la fréquente communion. Et jamais l’on ne trouvera qu’il ait établi la pénitence publique ou l’éloignement de la communion pour toutes sortes de péchés mortels, ni qu’il ait voulu qu’on mît trois ou quatre mois entre la confession et l’absolution, comme il se pratique très souvent et pour des péchés ordinaires par ces nouveaux réformateurs ; de sorte qu’encore qu’il y puisse avoir de l’excès à donner facilement l’absolution à toutes sortes de pécheurs, qui est ce que saint Charles déplore, il ne faut pas conclure de là que ce grand saint approuvât les extrémités dans lesquelles M. Ar [nauld] s’est jeté,

16) Mémoires : comme nous l’avons appris.

17). Le mémoire envoyé par Sébastien Zamet, évêque de Langres, à Achille de Harlay de Sancy, évêque de Saint-Malo, était, croit l’abbé Prunel (Sébastien Zamet, p. 264, note 2), la réponse à un questionnaire préparé par M. de Harlay, sur l’ordre de Richelieu, au sujet de Saint-Cyran. On le trouve en entier dans cet ouvrage pp. 265-268.

18) Mémoires : des.

 

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puisqu’elles sont entièrement opposées à quantité d’ordonnances qu’il a faites.

Quant à ce qu’on attribue au livre de La fréquente communion, de retirer le monde de la fréquente hantise des saints sacrements, je vous réponds qu’il est véritable que ce livre détourne tout le monde puissamment de la hantise de la sainte communion et de la sainte confession, quoiqu’il fasse semblant, pour mieux couvrir son jeu, d’être fort éloigné de ce dessein. En effet, ne loue-t-il pas hautement dans sa préface, page 36, la piété de ceux qui voudraient différer la communion jusques à la fin de leur vie, comme s’estimant indignes de s’approcher (19) du corps de Jésus-Christ, et n’assure-t-il pas qu’on satisfait plus à Dieu par cette humilité que toutes (20) sortes de bonnes œuvres ? Ne dit-il pas, au contraire, dans le chapitre 2e de la 3" partie, que c’est parler indignement du Roi du ciel que de dire qu’il soit honoré par nos communions et que Jésus-Christ ne peut recevoir que de la honte et de l’outrage par nos fréquentes communions qui se font selon les maximes du Père Molina, chartreux (21), qu’il combat par tout son livre, sous l’apparence d’un écrit fait à plaisir ? De plus, ayant prouvé par saint Denis, dans le chapitre 4 de la première partie, que ceux qui communient doivent être entièrement purifiés des images qui leur restent de leur vie passée par un amour divin pur et sans aucun mélange, qu’ils doivent être parfaitement unis (22) à Dieu seul, entièrement parfaits et entièrement irréprochables, tant s’en faut qu’il ait aucunement adouci les paroles si hautes

9). Mémoires d’approcher.

20) Mémoires : que par toutes.

21). Antoine Molina, auteur d’un traité de l’Instruction des prêtres, qui fut traduit en plusieurs langues, mort en 1612.

22). Mémoires : unis parfaitement.

 

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et si éloignées de notre faiblesse, que, les ayant données toutes crues, il a toujours soutenu dans son livre de La fréquente communion qu'elles contiennent les dispositions qui sont nécessaires pour communier dignement. Cela étant, comment se peut-il faire qu'un homme qui considère ces maximes et ce procédé de M. Arnauld, puisse s'imaginer qu'il souhaite avec vérité que tous les fidèles communient fort souvent ? Il est certain, au contraire, qu'on ne saurait tenir ces maximes pour véritables, qu'en même temps l'on ne se trouve très éloigné de fréquenter les sacrements. Et pour moi, j'avoue (23) franchement que, si je faisais autant d'état du livre de M. Arnauld que vous en faites, non seulement je renoncerais pour toujours à la sainte messe (24) et à la communion, par esprit d'humilité, mais même j'aurais de l'horreur du sacrement, étant véritable qu'il le représente, à l'égard de ceux qui communient avec les dispositions ordinaires que l'Eglise approuve, comme un piège de Satan et comme un venin qui empoisonne les âmes, et qu'il ne traite tous ceux qui en approchent en cet état de rien moins que de chiens, de pourceaux et d'antechrists (25).

Et quand on fermerait les yeux à toute autre considération pour remarquer seulement ce qu'il dit en plusieurs endroits des dispositions admirables sans lesquelles il ne veut pas qu'on communie, se trouvera-t-il homme sur la terre qui eût si bonne opinion de sa vertu qu'il se croie (26) en état de pouvoir communier dignement ? Cela n'appartient qu'à M. Arnauld, qui, après

23) Mémoires : je vous avoue.

24).Mémoires : à la messe.

25).Mémoires: et qu'il ne traite rien moins tous ceux qui en approchent en cet état que de chiens, de pourceaux et d'antéchrists

26).Mémoires : crût.

 

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avoir mis ces dispositions à un si haut point qu'un saint Paul eût appréhendé de communier, ne laisse pas de se vanter par plusieurs fois dans son apologie qu'il dit la messe tous les jours ; en quoi son humilité est autant admirable qu'on doit estimer sa charité et la bonne opinion qu'il a de tant de sages directeurs, tant séculiers que réguliers, et de tant de vertueux pénitents, qui pratiquent la dévotion, dont les uns et les autres servent de sujet à ses invectives ordinaires.

Au reste, j'estime que c'est une hérésie de dire que ce soit un grand acte de vertu de vouloir différer la communion jusques à la mort, puisque l'Eglise nous commande de communier tous les ans. C'est aussi une hérésie de préférer cette humilité prétendue à toutes sortes de bonnes œuvres, étant visible que pour le moins le martyre est beaucoup plus excellent; comme aussi de dire absolument que Dieu n'est point honoré par nos communions et qu'il n'en reçoit que de la honte et de l'outrage.

Comme cet auteur éloigne tout le monde de la communion, il ne tiendra pas à lui que toutes les églises ne demeurent sans messes, pource qu'ayant vu ce que dit le vénérable Bède, que ceux qui laissent de célébrer ce saint sacrifice sans quelque légitime empêchement, privent la Sainte Trinité de louange et de gloire, les anges de réjouissance, les pécheurs de pardon, les justes de secours et de grâces, les âmes qui sont en purgatoire de rafraîchissement, l'Eglise des faveurs spirituelles de Jésus-Christ, et eux-mêmes de médecine et de remède, il ne fait point de scrupules d'appliquer tous ces effets admirables aux mérites d'un prêtre qui se retire de l'autel par esprit de pénitence, comme on le voit dans le chapitre 40 de la première partie ; il parle même plus avantageusement de cette pénitence que du sacrifice de la messe. Or, qui ne voit que ce discours est très puissant

 

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pour persuader à tous les prêtres de négliger de dire la messe, puisqu'on gagne autant sans la dire qu'en la disant, et qu'on peut dire même, selon les maximes de M. Arnauld, qu'on gagne davantage ? Car, comme il relève l'éloignement de la communion beaucoup au-dessus de la communion, il faut aussi qu'il estime beaucoup plus excellent l'éloignement de la messe que la messe même.

Et la morale de tout ceci est que ce nouveau réformateur n'éloigne les prêtres et les laïques de l'autel sinon sous ce beau prétexte de faire pénitence ; mais pour savoir en quoi il met cette grande pénitence, qu'il estime si avantageuse aux âmes, il paraît en paroles expresses dans la préface, page 18, que, de toutes les rigueurs de l'ancienne discipline, il n'en garde quasi autre chose que la séparation du corps du Fils de Dieu, qui est la partie la plus importante, selon les Pères, parce qu'elle représente la privation de la béatitude, et la plus aisée, selon les hommes, parce que tout le monde en est susceptible.

M. Ar[nauld] pourrait-il montrer plus manifestement que son livre n'a été fait qu'à dessein de ruiner la messe et la communion, puisqu'il emploie toute l'antiquité pour nous prêcher la pénitence (dont jamais je n'ai vu faire un seul acte à l'auteur de cette doctrine, ni à ceux qui l'assistaient à l'introduire), et qu'après toutes ces fanfares il se contente qu'on ne communie point ? Certes, ceux qui lisent son livre et qui n'y remarquent pas ce dessein sont du nombre de ceux dont parle le prophète : Oculos habent et non videbunt ; et je ne comprends pas comment vous, Monsieur, pouvez accuser les adversaires de M. Ar[nauld] de ruiner la pénitence, puisqu'on se plaint, au contraire, avec raison, de ce que cet auteur a fait des efforts extraordinaires pour prouver qu'il était nécessaire de faire de longues et rigoureuses

 

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pénitences avant que de communier et de recevoir l'absolution, et qu'en même temps il a déclaré en paroles expresses (afin que personne n'en prétende cause d'ignorance), qu'il ne réserve autre chose de l'ancienne pénitence que l'éloignement de l'autel.

Voilà, Monsieur, la réponse que je fais à votre lettre, avec tant d'empressement que je n'ai pas le loisir de la relire.

Je m'en vas en ce moment célébrer la sainte messe, afin qu'il plaise à Dieu de vous faire connaître les vérités que je vous dis, pour lesquelles je suis prêt de donner ma vie.

J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire sur ce sujet, si j'en avais le loisir. Je prie Notre-Seigneur (27) qu'il vous les dise lui-même. Je vous prie de ne me pas faire réponse sur ce sujet, si vous persévérez dans de telles opinions (28), qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Vous ne serez plus maître et administrateur du Saint-Esprit de Toul, si ce parlement ne reçoit l'évocation au Conseil du roi de votre procès contre MM. Thierry et.... dont le dernier a obtenu permission de prendre possession (29). Or, qu'il admette votre évocation, celui qui fait

27) Mémoires : je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ.

28).Mémoires : dans ces opinions.

29).Le bénéfice du Saint-Esprit échappa, en effet, à M Dehorgny. Saint Vincent le fit demander plus tard à Rome pour M. Jolly, qui avait l'intention de le résigner en faveur de la congrégation de la Mission. (Cf. 1. du 10 octobre 1653.) L'affaire traîna. Saint Vincent écrivait à M des Jardins le 29 décembre 1657 : " Nous ne sommes pas encore à bout des lettres de l'union, mais nous sommes toujours après et dans l'espérance de les avoir."

 

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la charge de premier président mande que le parlement ne le veut point faire, l'ayant refusé pour la deuxième fois et déchiré ladite évocation ; pour le moins, l'avocat général a fait cela ; de sorte que, s'ils ne renoncent à ce dernier arrêt fait, je m'en vais mander que l'on sauve ce que l'on pourra des meubles. Ils ont pris le temps de la révolte quasi générale de nos parlements. Enfin, si nous ne sommes condamnés avant que ma lettre arrive, cela ne saurait tarder huit jours après. In nomine Domini !

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, prêtre de la Mission, à Rome.

 

1065. —A ETIENNE BLATIRON

De Paris, le 25 septembre 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous m'excuserez bien si je vous écris par une autre main que la mienne, d'autant que je suis fort pressé.

Je loue Dieu des sentiments de Monseigneur le cardinal (1), pour lequel j'ai de très grands sentiments de respect et de révérence, et désirerais volontiers qu'il puisse voir d'où ils procèdent ; il connaîtrait que jamais personne n'en a eu pour un autre de plus grands, comme aussi je bénis Dieu de la charité de ces Messieurs nos cofondateurs et le prie de bénir la chapelle de la maison.

Lettre 1065. — L. s. — Dossier de Turin, original. La fin, à partir des mots: Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur du cœur, est de la main du saint.

1). Le cardinal Durazzo.

 

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Je suis fort consolé du bon ordre que Monseigneur a résolu de mettre au séminaire en leur faisant faire des exercices spirituels. Je prie Notre-Seigneur de les sanctifier par sa sainte miséricorde.

Vous avez raison de faire quelque difficulté de recevoir ce bon religieux. Je vous prie de côtoyer cet affaire et de laisser agir la providence divine. Si pourtant vous connaissez que cela doive réussir à bien et qu'il fasse beaucoup d'instance, vous en pourrez essayer, s'il vous plaît.

Nous vous enverrons le frère Claude le plus tôt que faire se pourra; il est allé aux eaux à Moulins ; s'il eût été ici, nous vous l'eussions renvoyé. Il désire apprendre à faire du pain et à saigner. Il lui faudra viron (2) quinze jours pour apprendre cela. Cependant nous vous en enverrons deux, afin que vous n'en manquiez pas ; si vous en avez trop, vous les enverrez à Rome.

Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur, du cœur que vous savez, qui est plus attendri pour vous que je ne vous puis expliquer, qui salue votre famille, prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J'oubliais à vous dire que j'ai été fort attendri sur ce que vous me dites de cet accident qui est arrivé à G[ênes] (3), que je l'ai dit à la compagnie, que les prêtres ont célébré chacun pour rendre grâces à Dieu de ce que le mal n'a pas été si grand qu'on le nous a fait [craindre] d'abord, et à ce qu'il plaise à la bonté de Dieu de con

2) Viron, environ.

3).On lit en marge tourbillon de vent arrivé le jour de la fête saint Augustin.

 

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server cette ville sans danger ; et nos frères communieront à cette même intention, Dieu aidant.

Je suis, en l'amour de Notre-Seigneur.

Suscription : A Monsieur Monsieur Blatiron, supérieur de la Mission de Gênes, à Gênes.

 

1066.—A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Lazare, [Octobre 1648] (1)

Mademoiselle Le Gras est très humblement remerciée par son serviteur Vincent du remède qu'elle lui envoie, duquel il propose de faire usage, Dieu aidant.

Nous travaillerons à l'affaire du Monstrel (2) et de la foire (3).

Je ne me ressouviens point du sujet de la lettre de M. le curé de Serqueux (4) ; si vous le savez, je lui ferai réponse dès aujourd'hui.

Je pense que l'air me pourra profiter ; si peu que je fus dernièrement en notre voyage de Saint-Germain (5), je m'en trouvai mieux. Si je ne vas demain à Saint-Germain, je pourrai partir pour aller voir nos chères sœurs de Fréneville (6) ; c'est un grand cas que cet air m'a toujours [profité (7)] en nos petites infirmités.

Lettre 1066. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date de la réponse à cette lettre.

2).Peut-être Montreuil. Au XIIIe siècle on disait Monsteriolum ou Monsterolum, de Monasteriolum, petit monastère; d’où le mot Monsterel ou Monstrel, encore usité au XVIIe siècle.

3).La célèbre foire de Saint-Laurent dépendait de la maison de Saint-Lazare.

4).En Seine-Inférieure. Deux Filles de la Charité y furent établies par Mgr de Saint-Luc, châtelain de Taillefontaine, par contrat du 13 novembre 1645.

5).Saint-Germain-en-Laye, où était la cour.

6).Les Filles de la Charité s'étaient établies à Fréneville en 1647.

7).Mot oublié dans l’original.

 

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Feriez-vous pas bien, Mademoiselle, de vous en aller prendre l'air en quelque lieu de ces quartiers, Liancourt, Saint-Denis ou ailleurs ? Je vous prie d'y penser et de me mander quelle est la racine que vous m'envoyez et comme il en faut user.

 

1067. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Octobre 1648] (1)

Monsieur,

Il ne me souvient pas bien de l'affaire dont M. le curé de Serqueux (2) vous a écrit, mais il m est resté en l'esprit que c'était des religieuses d'auprès de Forges (3), qui sont accusées de quelque grande faute, pour laquelle je crois que ~on veut ôter l'abbaye à celle qui la possède, qu'il tient très innocente de ce dont on l'accuse.

C'est de la réglisse dont l'on fait de la tisane, dont je vous ai envoyé petits morceaux pour en rendre l'usage plus facile mais il faut qu'elle soit nouvelle et n'en couper qu'à mesure que l'on en use, à cause qu'elle noircit. Je n'oserais me vanter que nous en avons dans notre jardin, à cause que nous n'en avons vu encore que la fleur et les feuilles.

J'avais oublié de vous mander que la prieure de Montmartre, qui est sœur de Mlle Channelain et toute proche de mourir du poumon, se recommande à vos saintes prières et vous supplie lui faire la charité la faire recommander aussi à celles de Messieurs de votre compagnie, pour qu'il plaise à Dieu lui faire miséricorde.

Je vous renvoie cette lettre crainte que vous croyiez qu'elle ait été portée à qui elle est.

Je supplie Dieu que votre voyage ne soit pas long et que votre retour soit en parfaite santé.

Nos soeurs nous demandent quelque sirop dont nous n'avons pas de provision ; j'enverrai savoir si le frère Alexandre (4) en pourrait donner.

Lettre 1067. — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de Châteaudun.

1) Date marquée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) François du Marche.

3).Aujourd'hui chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Neufchâtel-en-Bray ( S. -I .) .

4).Alexandre Véronne.

 

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Puisque votre charité me le permet, je pourrai aller à St-Denis et peut-être à Bicêtre , je n'ai plus que faire cette année à Liancourt; je crois aussi que Monsieur et Madame s'en vont à la Roche-Guyon pour un mois.

Si vous partez demain, je n'aurai point l'honneur de vous voir avant. Que deviendra ma pauvre conscience en attendant, et l'état auquel mes relâchements, paresses et infidélités ont réduit mon âme, qui ferait peur à sainte Catherine, si elle était sur terre, puisqu'elle lui paraîtrait sans amour, sans cet amour que je devrais tant avoir, et qui, par sa grâce, m'a fait être Monsieur, votre très obéissante servante et très humble.

LOUISE DE MARILLAC.

Ce vendredi.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1068. — A RENÉ ALMÉRAS

23 octobre 1648.

Monsieur,

J'ai reçu deux de vos lettres à la fois, l'une concernant la sortie de M. de Fondimare (1), la réponse du frère Doutrelet (2), le sentiment de M. de Restal sur nos règles et notamment le jugement qu'on fait des vœux ; et l'autre regarde la décharge de l'emploi que vous avez.

Je commence à vous répondre qu'il faut se soumettre à la disposition de la Providence à l'égard des entrées et des sorties de la compagnie et imiter l'acquiescement au bon plaisir de Dieu qu'on voit en Notre-Seigneur au bon plaisir de son Père, dans la désolation de sa divine compagnie ; et que selon ce bon plaisir, il fait et pour

Lettre 1068 — Pémartin, op cit.,t II, p. 121, 1. 612

1) Pierre Fondimare, né au Havre, reçu dans la congrégation de la Mission le 18 octobre 1644, à l'âge de vingt-trois ans.

2).Michel Doutrelet, né à Rouen, reçu dans la congrégation de ia Mission le 14 mai 1644, à l’âge de dix-huit ans, admis aux voeux le 14 mai 1646.

 

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voit toutes les choses toujours pour sa gloire et pour le bien des personnes que cela regarde. Selon cela, nous devons regarder la sortie de ces personnes comme un bien pour la compagnie et peut-être le leur.

Quant à Doutrelet, vous savez de lui la raison pourquoi il ne veut pas renouveler ses vœux; et s'il est ferme en cela, vous le renverrez au plus tôt, supposé que Sa Sainteté l'approuve. Du reste il faut se soumettre au bon plaisir de Dieu, qui n'aura fait vouloir ce moyen que pour faire subsister la compagnie, et je pense que cela, et tous les divers jugements qu'on a portés de delà sur cet affaire, vous doit faire admettre cet affaire le plus que l'on pourra.

Le Pape (3), dit-on, n'aime pas l'état religieux. A la bonne heure ; mais peut-être que, considérant que nos vœux ne nous font pas religieux, il les approuvera, surtout la chose dépendant de lui (je dis, de sa disposition) ; et il sera bon de lui faire entendre qu'il sera difficile de faire subsister la compagnie, eu égard aux divers, importants, rudes et éloignés emplois qu'elle a. La diversité paraît en ce qu'on se donne au service du pauvre peuple et à celui des ecclésiastiques, et à ceux-ci par les retraites à ceux qui sont en état d'entrer dans les ordres, et d'autres pour les jeunes enfants qui aspirent à l'état ecclésiastique, comme est celui du petit Saint-Lazare, celui de Saint-Méen et du Mans, et les deux ensemble qu'on va commencer à Agen (4), et enfin par les ordinands. Quant aux missions des champs, vous en connaissez la diversité, la rudesse et l'importance des unes et des autres. Le moyen de conserver des hommes

3) Innocent X

4).Le séminaire d’Agen s’ouvrit, en effet, quelques jours après, sous la direction de Guillaume Delattre ; mais il ne fut fondé qu’en 1650.

 

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libres au milieu de tant de si rudes et si importants emplois ! Ajoutez celui de Barbarie, de Perse et de l’Arabie Heureuse, où la Propagande nous envoie, et celui de Madagascar. Notez, Monsieur, qu’il est bien difficile de la pouvoir faire subsister en sûreté dans des emplois si difficiles. Que si Sa Sainteté, ou la Congrégation à laquelle elle enverra la connaissance de cet affaire, improuve ces vœux simples, qu’elle nous fasse] a charité de nous donner un moyen pour cela. La congrégation est régie par Sa Sainteté ; c’est à elle de nous donner les moyens de subsister, si elle ne trouve pas bon celui que nous proposons. Que si, après tout, elle ne l’agrée pas, nous devons nous soumettre à demeurer en simple congrégation sous ses lois. Nous nous y soumettrons, et peut-être que l’expérience leur fera reconnaître le besoin qu’elle en a. Que si Sa Sainteté pourvoit là-dessus et approuve ce que nous avons fait, cela fera cesser toutes ces petites émotions et ces prétextes d’abandonner la vocation.

J’oubliais de vous dire, à l’égard de Doutrelet, que je ne me ressouviens pas si on lui a donné son titre de la maison, parce que, si cela est, il faut aviser au moyen qu’on prendra pour en être déchargé. M. [Carcireux] (5) nous a fait assigner à ce que nous ayons a lui payer le sien, ensemble les arrérages… (6), sous le prétexte de l’obligation que nous lui avons faite de l’en tenir quitte (c’est-à-dire de lui en conserver la possession). Voyez cette noire ingratitude et ce qu’il y aura à faire à l’égard dudit Doutrelet.

5) M. Pémartina a lu : Curtivaux ; mais ce nom n’a été porté par aucun missionnaire.

6). Ces points remplacent un passage que n’a pas su lire M Pémartin, ou plutôt qu’il a mal lu. Voici son texte : "..les arrérages depuis que nous avions fait, ou quoi que ce soit M. Chomel à notre prioré, et sous le prétexte de l’obligation…"

 

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Au reste je trouve que vous avez surexcédé en ce que vous avez donné au sieur de Fondimare. A quel propos donner des largesses à ceux qui désertent la compagnie ? Baste pour ceux que l’on renvoie ; encore ne suffit-il pas qu’on leur donne huit ou dix écus au plus ? Il sera bon que vous fassiez entendre cela à la famille, afin qu’on le sache et qu’on s’y attende. Les Pères jésuites ne donnent rien à ceux qui sortent, non plus que les Pères de l’Oratoire, ni pas un Ordre que je sache.

Quant à nos règles, je pense, Monsieur, qu’il est nécessaire que vous commenciez à les faire approuver, ou, pour le moins, celle des vœux et celle de la perpétuité du généralat, à l’égard de ceux qui viendront à l’avenir. Que s’il y a tant de difficulté à faire recevoir toutes les règles, il faudrait les faire réduire en ces abrégés que vous m’avez envoyés, y ajoutant les deux points ci-dessus. Au nom de Dieu, Monsieur, ne perdez pas le temps en cela.

Venons à votre petite lettre. Je vous promets qu’elle m’a bien fait faire des examens sur ce qui vous peut avoir mû à demander votre décharge de votre emploi. Quelquefois le cœur m’a dit que vous aviez voulu imiter MM. Dehorgny et Codoing, qui ont demandé, comme vous, d’être déchargés de leur supériorité ; d’autres, que vous pensiez que votre conduite est la cause de la sortie de ces messieurs, et d’autres, que ce n’est point tout cela, mais que la cause véritable est quelque intelligence particulière que j’ai avec M. Dehorgny, dont je ne vous donne pas connaissance ; que les paquets de lettres que j’ai écrites audit sieur Dehorgny (7) vous font penser que je traite quelque chose avec M. Dehorgny, de laquelle

7) Les lettres du 25 juin et du 10 septembre et peut-être d’autres que nous n’avons plus

 

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lui ni moi ne vous donnons point de connaissance de cet affaire, faute de confiance en vous.

Mais je vous dirai, quant au premier point, que, s’il n’y a que cette raison que je vous allègue, je n’ai pas raison de me mettre en peine, mais de louer Dieu de ce que je ne sache pas un supérieur qui ne demande d’être déchargé de la supériorité ; quant au second, que jamais cette pensée ne s’est présentée à mon esprit, et que tant s’en faut, que je rends grâces à Dieu de votre bonne conduite et le prie qu’il vous la continue ; et pour la troisième, que l’affaire dont je lui écrivais est de telle nature, qu’il n’y a personne sur la terre avec laquelle je puisse traiter de cet affaire, non pas même avec M. Lambert, qui me tient lieu d’assistant, et auquel j’ai une parfaite confiance, comme j’en ai, de raison, à ceux à qui je me communique. Mais je n’ai point parlé à qui que ce soit de la compagnie, et l’ai prié, lui, de n’en parler à qui que ce soit. Il s’agit du salut et de la réputation d’une personne qui ne veut pas que j’en parle à autre que lui. Voilà, Monsieur, la nature de l’affaire que je traite avec lui. Au nom de Dieu, Monsieur, assurez-vous qu’il n’y a personne au monde en laquelle Dieu me donne plus de confiance qu’à vous, ni pour qui j’ai plus d’estime. Après cela, je vous supplie de ranger cette icelle pensée à celle que l’esprit malin vous donna lorsque vous étiez malade ; je vous assure qu’elles viennent toutes deux de la même source et tendent à la même fin ; et de cela je vous en assure en la présence de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis…

M. Brisacier a aversion aux vœux ; il m’en a parlé autrefois de la sorte. Il fut pourtant satisfait quand je lui dis que nous ne prétendions pas entrer en l’état religieux. Il m’a dit qu’il pourrait être employé dans les

 

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affaires du roi, de delà ; si cela a lieu, il faudra procéder avec précaution avec lui. Vous pourrez lui en dire quelque chose, comme votre pensée ; tout l’effort doit être à l’égard de ceux de la Congrégation. Il suffit que vous dressiez vos principales forces de ce côté-là et que vous fassiez agir par Monsieur l’ambassadeur (8) vers Sa Sainteté. Il y a déjà quelque factum nouveau d’autre côté à notre égard. Que si Monsieur l’ambassadeur n’est pas si goûté de Sa Sainteté, il suffira qu’il lui en parle une fois d’abord et que vous fassiez vos sollicitations particulières, pas tant par raisons que par recommandations auprès de Nosseigneurs, le plus que vous pourrez à l’égard de nos Français. Mitte sapientiam et nihil deerit.

 

1069. — A ANTOINE PORTAIL, PRÊTRE DE LA MISSION, A MARSEILLE

30 octobre 1648.

La pratique de porter le chapelet à la ceinture s’observe toujours en cette maison ; je vous prie que cela s’observe de delà. Nos autres maisons y sont fidèles ; c’est un usage saint et d’édification.

 

1070. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 30 octobre 1648.

Je prie Dieu qu’il vous inspire la manière d’agir utilement avec M.… ; il me semble que la meilleure sera celle qui aura plus de douceur et de support, comme

8) Le marquis de Fontenay-Mareuil.

Lettre 1069. — Reg. 2, p. 104.

Lettre 1070. — Reg. 2, p. 200

 

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plus conforme à l’esprit de Notre-Seigneur et plus propre à gagner les cœurs. Si vous gagnez le sien, vous aurez de lui toute satisfaction. L’état où il est n’est qu’une tentation qui passe, pour laquelle il faut prier Dieu pour lui.

Je vous prie de suspendre les retraites d’un jour par mois auxquelles vous désirez que votre famille s’adonne. Nous sommes après pour examiner s’il est convenable, ou non, de continuer celles qui se font ici, à cause de quelques inconvénients qui en sont arrivés.

 

1071. — A UN ÉVÊQUE NOUVELLEMENT ÉLU (1)

Non parum aegre tuli quod me invaletudo corporis et negotiorum multiplic[ium] ingruentium accumulata turba prohibuerit, ne ei quo me praevenire dignata est Dominatio Sua Ill[ustrissi] ma honori meis utcumque satisfacerem litteris. Huic gratiae impares in me gratias agnosco, ut et iis quibus nostros antehac Romae in dies prosecuta est beneficiis. Sed D[omi]nus retribuet pro me ; imo jam pauperum fidejussor Christus exuberantissime respondit ad votum et ad m[eritum], eum eligens in episcopum, qui prodesse velit et praeesse sciat, qui, prudent[ia et] moribus praeeminens, cathedram sanctorum implere sufi~ciat. Laetat[us sum] in his et superabundo gaudio quod sic magnifice exaltaverit Deus [provi]dentiam suam, ut eum qui de virtute profecerat in virtutem, de [honore] etiam promoveret in honorem.

Lettre 1071 — L. s. — Bibl. Vaticane, fonds Barberini, Latinorum 2172, original. A l’orthographe de certains mots, on devine que la lettre a été écrite par un secrétaire italien.

1). Probablement Jean-Baptiste Spinola, élu évêque de Matera le 14 mai 1648, transféré à Gênes en 1664, puis promu au cardinalat, mort le 4 janvier 1704.

 

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Confidimus autem in D[omi]no et speramus [ut qui] vos ad magna in bonum Ecclesiae provexit, etiam in idipsum sublim [et] ad majora. Cum multa gratiarum actione preces affectuosas offerim [us pro h]is. Qui segregavit vos ad dandam scientiam salutis plebi suae, ipse in b[onum] v[est]ros continuet Ecclesiamque v[est]ram sine maculis et rugis sub v[est]ra prov[identia] conservet. Hacc eo vel maxime speramus quo Deus tumultuantes ibi [discordiarum] et belli nascentis fluctus tranquillavit ad pacem, pro qua eum incessanter [deprecari] non desinimus. Quod autem nostros suis continuo juvat consiliis et specia[li prose] quitur benevolentia, his ego non quales volo sed quales valeo, refero grati [as] ; precibus respondebo et votis ; et quod meae exiguitatis impotentia non prae[bet], exuberans munificentia illius exolvet qui de thesauris suae gratiae multi[plicis] erogat universis. Interim, si quando me jussis suis cohonestare dignetur, [me] semper in obsequio suae Dominationis Ill [ustrissi] mae experietur promptissimum.

V[est] rae Ill[ustrissi]mae et R[everendissi] mae Dominationis humillimus necnon devotissimus in D[omi]no.

VINCENTIUS A PAULO,

indignus superior generalis congregationis Missionis

Parisiis, nonis novembris (1) 1648.

 

TRADUCTION

Grande a été ma peine de ne pouvoir, à cause de ma maladie et de la multiplicité des affaires, répondre plus tôt, par lettre, à l’honneur dont Votre Grandeur a daigné me prévenir. Je me reconnais incapable de vous remercier dignement, tant de cette faveur, que des bienfaits dont jusqu’à présent vous avez comblé nos confrères de Rome. Mais Dieu acquittera

1) 5 novembre

 

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pour moi cette dette de reconnaissance ; et Notre-Seigneur, qui s’est fait caution pour les pauvres, répond déjà surabondamment à mes vœux en choisissant pour l’épiscopat un prélat qui veut se rendre utile, sait gouverner, est remarquable par sa prudence et l’intégrité de ses mœurs et promet d’être un digne successeur des saints. Quel n’est pas mon bonheur et ma joie de voir que Dieu a si bien dirigé le cours des événements qu’après vous avoir fait croître de vertu en vertu, il vous mène d’honneur en honneur ! Confiant dans le Seigneur, nous espérons qu’après vous avoir conduit à de hautes destinées, pour le bien de son Église, il vous élèvera plus haut encore. Avec nos actions de grâces, nous lui offrons aussi nos affectueuses prières. Puisse Celui qui vous a choisi pour donner la science à son peuple, maintenir vos ouailles dans le bien et conserver votre Église sans tache ni ride sous votre conduite pastorale ! Nous l’espérons d’autant plus que Dieu a apaisé les troubles qui s’élevaient ici comme des flots tumultueux et fait cesser la guerre qui commençait. Nous jouissons maintenant de la paix, dont nous lui demandons avec instance le maintien.

Quant aux conseils et à la bienveillance dont vous daignez favoriser nos confrères, je vous en remercie, non dans la mesure de mon devoir, mais dans celle de mes forces ; j’y répondrai par mes vœux et mes prières. Ce que l’impuissance de ma petitesse ne peut vous offrir, vous le recevrez de la libéralité surabondante de Celui qui fait participer tous les hommes au trésor de ses grâces.

Si cependant Votre Grandeur veut m’honorer de ses commandements, elle me trouvera toujours dans la disposition de la plus prompte obéissance.

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime le très humble et très dévoué serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne supérieur général de la congrégation de la Mission.

De Paris, ce jour des nones de novembre 1648.

 

1072. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 6 novembre [1648] (1)

Monsieur,

Une personne de Fontainebleau nous manda, y a quelques

Lettre 1072. — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de la maison centrale d’Ans, près Liége

1) Voir Lettres de Louise de Marillac, 1. 223.

 

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jours, que notre sœur Barbe Angiboust avait la fièvre depuis la Notre-Dame de septembre, et hier l’on nous dit de Saint-Germain-de-l’Auxerrois que son confesseur avait mandé à une dame de la paroisse qu’elle se mourait et que l’on lui allait donner l’extrême-onction. Treuvez-vous bon Monsieur, que, sur ces nouvelles, nous y envoyions aujourd’hui une sœur ? car nous avons écrit, et une de nos sœurs partit, y a huit jours, pour y être sa compagne, et nous n’en avons eu aucune nouvelle.

S’il plaît à votre charité nous donner promptement réponse ? Je vous demande aussi, pour l’amour de Dieu, votre bénédiction, étant, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE M.

Sil vous plaît vous souvenir de la réponse de Monsieur de Beauvais (2).

 

1073. — A LOUISE DE MARILLAC

[6 ou 7 novembre 1648] (1)

PREMIÈRE RÉDACTION

Mademoiselle,

Il y aurait charité et encouragement pour les autres sœurs si vous envoyiez visiter notre pauvre malade par une fille (2), par le coche, s’il y en a, sinon par eau (3) jusques à Melun et de là à pied trois lieues jusques à Fontainebleau, avec quelqu’un qui l’accompagne.

2) Augustin Potier.

Lettre 1073. — L. a. —- Original chez les Filles de la Charité

d’Ans près Liège.

1) Cette lettre répond à la précédente. Saint Vincent avait d’abord écrit sa réponse autour du texte même de Louise de Marillac ; mais soit que ce ne fût pas assez lisible, soit qu’il n’eût pas assez bien exprimé sa pensée, il la recommença sur la feuille restée en blanc.

2). Louise de Marillac fit choix d’Anne Hardemont.

3). Par la Seine.

 

- 388 -

DEUXIÈME RÉDACTION

Je suis bien touché de la maladie extrême de notre pauvre sœur Barbe. Il y aura piété de lui envoyer une fille et encouragement pour les autres. Vous pourrez donc l’envoyer, s’il vous plaît, Mademoiselle, par le coche, s’il y en a, ou par eau jusques à Melun, d’où une commodité s’y trouve le lundi ou le mardi au port Saint-Paul (4), et de là il faudra qu’elle aille à pied dans les bois jusques à Fontainebleau, où il n’y a point de danger à présent que la cour n’y est pas. Et le coche est à la rue de la Cossonneries (5).

 

1074. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 7 novembre 1648.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais ! Je réponds à la vôtre très chère du 26 du mois passé, pressé de sortir pour aller à Saint-Denis, où je fais la visite chez les filles de la Visitation. Nous n’avons rien reçu de la partie due à feu M. Le Bourgais (1) que 100 livres, lesquelles lui furent envoyées, comme vous savez. Il y a peu de sujet d’espérer le reste,

4) Sur le quai des Célestins, en face de 11 rue Saint-Paul. C’est là qu’étaient débarqués les vins, les fers, le charbon de terre et les denrées d’épicerie.

5). Cette rue existe encore sous le même nom ; elle aboutit, du côté du boulevard Sébastopol, de l’autre aux Halles centrales.

Lettre 1074. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Jacques Le Bourgais, né à Coutances, reçu prêtre dans la congrégation de la Mission le 17 septembre 1645, à l’âge de trente-huit ans.

 

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vu que nous n’avons point l’obligation et qu’il est juste que cela revienne aux parents du défunt. Son père vit, ce me semble.

Vous ferez bien de sortir d’affaires avec M. Voseillan, pour les rachats des viviers. S’il ne veut relâcher jusqu’aux 125 livres, il faudra lui donner quelque chose de plus plutôt que de plaider.

Il est vrai que nos affaires sont comme faites avec M. Rivière, et vous devez agir en ce qui regarde ses chapelles ainsi que vous faites au reste, sauf que vous devez paraître agissant comme procureur dudit sieur Rivière, attendant que nous ayons tout à fait conclu et arrêté avec lui.

Nous faisons notre possible pour vous envoyer des prêtres et des frères.

Notre intention n’est pas que nul de votre maison offre le sacrifice pour nos défunts au préjudice des obligations que vous avez, auxquelles il faut satisfaire préalablement ; et au lieu des messes, on pourra faire des prières pour nos défunts.

M. Bajoue envoie à M. Cornaire (2) trois livres et à M. Roujon un règlement de la Charité, le tout empaqueté et couvert de papier, dont l’adresse vous en est faite par le messager ; faites-le retirer, s’il vous plaît, et continuez à prier pour moi, qui suis, du cœur que Dieu sait, en son amour, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au bas de la première page : M. Gentil.

1) Guillaume Cornaire, né le 4 juin 1614 à Tincey (Haute-Saône), ordonné prêtre au carême de l’année 1639, entré dans la congrégation de la Mission le 2 décembre 1647, reçu aux vœux au Mans le 23 novembre 1653, placé à Fontainebleau en novembre 1661. Le frère Chollier a écrit sa notice, qui ne nous a pas été conservée.

 

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1075. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 15 novembre 1648.

Il se faut garder de donner aucun sujet de mécontentement à Messieurs les grands vicaires ; ils sont nos maîtres ; nous devons nous ajuster à leurs volontés, autant qu’il nous est possible. Lors donc qu’ils vous enverront des ecclésiastiques, la compagnie les doit recevoir volontiers et les tenir le temps qu’ils ordonneront, et même les prêtres qu’ils y enverront pour recevoir correction, sauf à leur représenter humblement que vous êtes surchargés, s’il en est ainsi, ou les autres inconvénients qui peuvent survenir. Il est aussi fort convenable que la compagnie suive leurs intentions touchant les missions, pour n’en entreprendre aucune sans leur consentement, ni sans leur demander les lieux. Nous devons avoir pour maxime de ne jamais nous étonner des difficultés présentes, non plus que d’un vent qui passe, pource qu’avec un peu de patience on les verra dissiper. Le temps change tout. J’ai lu dans l’histoire des Jésuites que le Pape qui succéda à celui qui érigea leur compagnie en religion (1), les obligea à porter un chaperon ; cela leur était un peu dur, et pourtant il fallut passer par là durant sa vie ; mais après sa mort ils quittèrent aussitôt le chaperon (2). De même, si maintenant on exige de vous quelque chose qui ne vous revienne pas, coulez doucement un peu de jours ; la vicissitude des choses vous délivrera bientôt de cette sujétion. Dieu nous élève et nous abaisse, il nous console et nous afflige, selon qu’il nous voit disposés à profiter de ces états.

Lettre 1075. — Reg. 2, p. 107.

1) Religion Ordre religieux.

2). L’habit de chœur. Paul IV avait quatre-vingt-trois ans, quand il prit cette mesure. Il mourut l’année suivante.

 

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1076 - HENRI DE MAUPAS DE TOURS, ÉVÊQUE DU PUY,

A SAINT VINCENT

Monsieur,

Deux affaires très importantes a la gloire de Dieu m’obligent de vous faire ces lignes.

Les désordres de l’abbaye de Monestier (1), Ordre de St-Benoît, dans ce diocèse, à 4 lieues du Puy. Elle dépend de Messieurs de Sansterre. Les Pères de la réforme de St-Maur qui demeurent à l’abbaye de St-Germain-des-Prés, vous en diront toutes nouvelles. J’en revins hier où j’ai fait sommation au prieur de châtier un religieux… (2) qui avait sa concubine dans sa chambre quand j’arrivai, laquelle doit accoucher dans huit jours.

Les violences et les sacrilèges que les soldats du régiment du Languedoc, commandés par le sieur de Valon ont commis dans une église de mon diocèse depuis trois jours en çà. Je vous supplie très humblement d’en informer la reine au plus tôt. J’en écris à Monsieur l’argentier plus au long. Je crois qu’il vous montrera ma lettre. Il y va de la gloire de Dieu. Les autels ont été profanés, le saint ciboire dérobé, et le calice dans lequel on consacrait tous les jours. J’appréhende que Dieu ne fasse sentir sa colère à ceux qui ont l’autorité en main, s’ils n’arrangent sa querelle. J’enverrai homme exprès dans huit jours à la cour pour porter les informations et les plaintes.

C’est, Monsieur votre très humble serviteur.

HENRY,

évêque du Puy.

Du Puy, ce 18 novembre 1648.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, supérieur général de la Mission à Paris.

Lettre 1076. — L. a — Dossier de la Mission. original.

1). Commune de l’arrondissement d’Ambert (Puy-de-Dôme).

*Aujourd’hui Le Monastier, chef-lieu de canton de la Haute-Loire.

2) Ce mauvais religieux avait donné un tel scandale que, par respect pour le lecteur nous sommes obligés d’arrêter ici la phrase de l’évêque du Puy. Suite ajouteé à sa place, Cl. L.

 

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1077. — THOMAS TURCHI, SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DES DOMINICAINS, A SAINT VINCENT

26 novembre [1648] (1)

Rmus D. Vincent de Paul, Congregationis Missionis superior generalis. Monet ut audivit P. Labat, Biarrotte et fratrem Bernardum, consuluisse, imo remisisse in suam provinciam, ut reconciliarentur et colloquerentur ; exspectare se definitionem colloquii, ut, negotium si illi placet, definiat unionem et pacem illorum, rem sane gratissimam Regi, Reginae et D. Cardinali.

TRADUCTION

26 novembre 1648.

Thomas Turchi prévient Vincent de Paul qu’après avoir entendu les Pères Labat, Biarrotte et le frère Bernard, il leur a conseillé de retourner dans leur province, ou mieux les y a renvoyés, les engageant à négocier en vue de la réconciliation. Il attend le résultat des pourparlers pour décréter l’union et la paix, si les conditions proposées lui plaisent, mesure qui sera très agréable au roi, à la reine et à Monsieur le cardinal.

 

1078. — A JEAN BARREAU, CONSUL DE FRANCE, A ALGER

4 décembre 1648.

Nous ne pouvons mieux assurer notre bonheur éternel qu’en vivant et mourant au service des pauvres, entre les bras de la Providence et dans un actuel renoncement de nous-mêmes, pour suivre Jésus-Christ.

Lettre 1077. — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi, IV, 88, p. 20.

1). Date imposée par la place du document dans le registre.

Lettre 1078. — Reg. 2, p. 34.

 

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1079.— LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1648] (1)

Monsieur,

Nous sommes bien empêchées de donner une personne pour aller à l’assemblée chez Madame la duchesse d’Aiguillon, ne lui pouvant donner autre instruction que lui mettre nos papiers entre les mains. Et comme je crois que l’intérêt de tous les autres est semblable au nôtre, j’ai pensé que peut-être mon fils pourrait s’y trouver et faire comme les autres, si ce n’était Monsieur, que votre charité treuvât bon que nous baillassions nos papiers à celui qui s’y treuvera pour votre maison.

Nous attendrons l’ordre qu’il vous plaira nous donner, priant Dieu qu’il vous donne parfaite santé pour sa gloire, étant Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

LOUISE DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1080. — ÉTIENNE BLATIRON A SAINT VINCENT

Gênes, 10 décembre 1648.

Pendant une mission donnée à Lavagna (1), plusieurs bandits se sont convertis.

 

1081. — A RENÉ ALMÉRAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 11e décembre 1648.

Dieu soit béni, Monsieur, de ce que votre famille marche présentement de bon pas ! Il plaît à Dieu que quelquefois les communautés tombent en telle désolation qu’il semble que tout est perdu ; mais après il les

Lettre 1079. — L. a. — Origina ! communiqué par la supérieure des Filles de la Charité de la rue Oudinot, 3, Paris.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

Lettre 1080. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. I, sect. IV, 1er éd., p. 71

1). Petite ville de la province de Gênes et patrie d’Innocent IV.

Lettre 1081. — Reg. 2, p. 229.

 

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élève en meilleur état qu’elles n’étaient. Les touches d’en haut sont toujours salutaires. Je vous prie de demander à Dieu pour moi, comme je ferai pour vous, que jamais notre esprit s’étonne de voir de la décadence en nos maisons. Il abat et redresse quand bon lui semble ; et l’abaissement qu’il fait de quelque [personne] dont il prétend se servir, est un présage de sa future élévation. La défiance de votre conduite est bonne ; mais ne faut-il pas se confier en Notre-Seigneur et ne faut-il pas le laisser faire, puisque c’est lui qui conduit, et non pas nous ?

 

1082 — THOMAS TURCHI A SAINT VINCENT

Rome, ce 21 décembre 1648.

Monsieur et Révérendissime Père Vincent,

Je me sens très obligé à votre zèle pour le bien des affaires de mon Ordre, et au soin que vous avez pris de remettre les Pères anciens de la province toulousaine dans les voies de leur devoir, dont la vanité et le libertinage les a détraqués et leur a fait inventer des griefs où ils auraient eux-mêmes mis leur bien et leur repos. le n’ai fait, Monsieur, l’union dont ils se plaignent qu’à leur instance et par leur consentement pour accorder leurs querelles et différends particuliers, où ils étaient depuis deux ans, sans provincial, dans la confusion et dans les factions et partialités où les prétentions de quelques-uns et entre autres des Pères Biarrotte et Marrin (1) les avaient jetés. Le piteux état où je trouvais les couvents de cette province, y faisant ma visite, tant pour le temporel que pour le spirituel, les débris des maisons qui tombaient en ruines à Marciac (2) La Réole, le Port Sainte-Marie (3), etc., par la mauvaise économie

Lettre 1082. — Arch. de la Mission, copie prise à la maison généralice des Pères dominicains, Epistolae R. P. Turchi IV, 88, p. 118.

1) Peut-être Martin.

2). Chef-lieu de canton dans l’arrondissement de Mirande (Gers).

3). Chef-lieu de canton dans l’arrondissement d’Agen (Lot-et-Garonne).

 

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et le peu de zèle du bien commun et de l’observance des officiers, les scandales arrivés de tous côtés, comme à Bergerac, Agen, Marciac, La Réole, le Port Sainte-Marie, etc., les plaintes générales des séculiers, qui n’étaient ni servis ni édifiés, enfin les prières communes de tous et eux-mêmes se voyant sans novices, sans études et sans moyens ni espérance d’en pouvoir avoir, à cause de la petitesse et pauvreté de leurs couvents, m’obligèrent à apporter ce remède efficace et unique à tant de maux présents et à venir par ladite union de cette province si misérable et au reste la deuxième de l’Ordre, à la congrégation de Saint-Louis de decà la Loire, dont les couvents sont en bonne odeur et pour le spirituel et pour le temporel et ont moyen d’élever dans l’observance et la science nombre de novices et écoliers, pour réparer les brèches de cette province autrement irréparables, et y insinuer insensiblement et amoureusement les principes et pratiques de la vie régulière, qui est le fondement et l’unique arc-boutant des maisons religieuses. Ces considérations, Monsieur, qui avaient cimenté cette union, les eussent portés à l’entretenir et chérir si l’ambition et vanité de quelques messieurs ou docteurs ne les eût changés, se voyant privés de la charge de provincial [tant] pour n’avoir rien (?) qui tendît à l’observance régulière qui était l’unique chemin pour le bien et conservation de l’observance dans les couvents où elle était déjà que pour obliger les autres à la recevoir et embrasser et ce conformément aux ordres et volontés des rois très chrétiens d’heureuse mémoire Henry IV et Louis XIII, qui ont toujours fait instance aux chapitres généraux et aux généraux de l’Ordre que les provinciaux de France fussent de l’observance et les novices élevés dans les maisons de l’étroite observance, qui est un de leurs autres griefs, pour lesquels ils ont bien osé ici par les artifices du P. Labat, lors leur procureur en cette cour, extorquer sous faux exposés et subrepticement, des bulles de Committimus in partibus contre le bref du Pape Urbain VIII, d’heureuse mémoire, les ordres des chapitres généraux et le décret de la Congrégation des Réguliers tout fraîchement donné qui les condamne de m’obéir, sur et après avoir vu tous leursdits griefs. Si bien, Monsieur, qu’en cette affaire portée avec tant de violence et de hardiesse contre l’honneur de cette cour, fort indignée d’avoir été surprise, contre l’autorité de la Congrégation des cardinaux, contre les ordres du Roi, qui a bien daigné, par ses patentes, confirmer ledit décret d’union, et contre la disposition des parlements de Toulouse et Bordeaux, qui l’ont homologué, enfin contre les bonnes intentions de M. le cardinal, par l’avis duquel j’ai noué toute cette affaire, je ne puis me relâcher en chose quelconque qu’ils

 

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n’aient auparavant obéi et réparé, par leur obéissance et leurs soumissions, les mauvaises semences de rébellion et irrévérence que leurs violences et surprises ont jeté dans les esprits des religieux, de très dangereuse suite et exemple si j’y déférais le moins du monde, quand bien mon devoir et ma conscience me le permettraient. Et partant, Monsieur, je vous prie trouver bon qu’ils m’obéissent, et après je leur ferai connaître que je suis leur père et toujours en état de leur faire grâce, quand ils seront dans les termes de la recevoir, c’est-à-dire dans leur devoir.

Je ne puis à présent autre chose, étant obligé aux intérêts de cette cour et de mon Ordre, vous étant beaucoup obligé d’avoir voulu les porter à leur devoir. Dieu veuille qu’ils vous croient ! Et de ces difficultés vous voyez Monsieur, combien il y a de peine de contenter tout le monde et que, lorsque Messeigneurs les évêques font instance pour la réforme des couvents, a combien d’affres et de difficultés il faut se résoudre, et qu’il est beaucoup plus aisé de souhaiter ce bien que de l’exécuter, et que, si je ne réponds pas… de leurs bons désirs sitôt que comme ils le souhaitent, que c’est plus faute de moyen que de bonne volonté, puisque ce m’est une de mes plus grandes consolations de voir mon Ordre dans l’observance et dans l’état de sa vocation.

Je prie Dieu qu’il vous continue ses grâces et bénisse vos saintes intentions, pour lesquelles si je puis ici quelque chose, je vous prie m’employer ici avec autant de liberté que j’ai de confiance en votre piété. je [me] suis déjà offert ici pour tout ce que je puis à vos bons Pères et enfants qui sont ici.

Je vous prie me croire….

 

1083. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

De Paris, ce jour de [Noël 1648] (1).

M [onsieur,]

[La grâce de] Not[re-Seigneur soit avec vous pour j[amais].

[Puisqu’]il a p[lu à Dieu bénir les travaux] q[ue vous avez]

Lettre 1083. — L. s. — Dossier de la Mission, original. Ce document est en très mauvais état

1) La date se trouvait sur la partie de l’original rongée par l’humidité ; elle a été reproduite au dos de la lettre.

 

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faits [et leur donner bon succès], je le prie qu’il soit lui-même votre récompense] et que toutes ses créatures l’en g[lorifient]. Il voit la reconnaissance que j’en ai, et cela me console, dans l’impuissance ou je suis de l’exprimer par paroles. Plaise à sa divine bonté que les âmes que vous avez secourues fassent un saint usage des lumières qu’elles ont reçues, et que celles que vous allez secourir ressentent les effets de sa miséricorde !

Je n’ai pas regret de Ce que vous êtes passé de l’une mission à l’autre sans retourner au logis, sinon pource que vous vous privez d’un peu de repos, craignant fort que l’excès du travail vous accable. Au nom de N.-S., Monsieur, ménagez-vous.

Mardi dernier partirent d’ici notre frère Ennery (2), notre fr[ère] Claude et un autre bon frère coadjuteur, tous bien aises de vous aller rendre leurs services et soumissions. Ils se mirent dans le coche de Lyon avec un prêtre et un clerc de [notre compagnie] qui s’en vont en Barbarie. [Le premier, qui se nomme M.] Dieppe (3) [va à A]lger à la place [de M. Lesage,] et l’a[utre à] Tunis pour [faire l’office de] cons[ul de la nat]ion française ; [en cette qualité, il est char]gé de [fa]ciliter [le rachat des esc]laves. [Il se nom] me Huguier (4), [à la] connaissance des affaires dans le monde et est bien craignant Dieu.

2) Jean Ennery, né en décembre 1616, à Castle Mak Ennery (diocèse de Limerick, Irlande), entré dans la congrégation de la Mission le 23 septembre 1642, reçu aux vœux le 11 octobre 1645. C’était ; au dire de saint Vincent (Abelly, op. cit., 1. III, p. 48) un "homme sage, pieux et exemplaire" Il professa la théologie à Saint-Lazare (1652), secourut les malheureux habitants de la Champagne éprouvés par la guerre (1653) et assista ceux de ses compatriotes qui s’étaient réfugiés à Troyes (1654). Envoyé à Gênes, il y mourut de la peste en 1657

3). Jean Dieppe, né à Cancale (Ille-et-Vilaine), reçu dans la congrégation de la Mission le 5 août 1647, à l’âge de trente ans, mort de la peste à Alger le 2 mai 1649. Il avait quitté Paris le 22 décembre.

4). Benjamin-Joseph Huguier, né à Sézanne (Marne) le 10 mars 1613,

 

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Il a plu à Dieu de disposer du bon M. de Fargis (5), qui était parmi nous depuis un an et qui nous consolait beaucoup, étant fort pieux et de bon exemple. Nous nous entretiendrons de lui un de ces jours. Je vous prie de prier et de faire prier Dieu pour son âme, sans oublier la mienne, qui chérit tendrement la vôtre et votre petite famille, que je salue en esprit d’humilité et d’affection.

Si notre frère Robert se veut faire religieux, à la

procureur au Châtelet de Paris avant son admission dans la congrégation de la Mission, où il entra le 15 septembre 1647, reçu aux vœux en 1651 après son retour en France, ordonné prêtre en février 1655. Après son ordination, il devint aumônier des galériens de Toulon. Cependant la Barbarie l’attirait. Il fut envoyé à Alger le 19 septembre 1662, avec le titre de vicaire apostolique. La peste y exerçait alors de terribles ravages. Il contracta la maladie au chevet des mourants qu’il allait assister et succomba lui-même en avril 1663. (Mémoires de la congrégation de la Mission, t. II, p. 221-230.)

5). La famille de Charles d’Angennes, seigneur de Fargis, s’était fait un nom dans les armes et la diplomatie. Par son mariage avec Madeleine de Silly, sœur de Madame de Gondi (vers 1610), il devint comte de la Rochepot. Il est probable que saint Vincent le vit plus d’une fois chez le général des galères, quand il y était aumônier. M. de Fargis fut ambassadeur en Espagne de 1620 à 1626. Le 1er janvier 1626, il signa le traité de Monçon, qui fut désavoué par Richelieu et conclu sur de nouvelles bases le 6 mars. On sait que la reine-mère, mécontente de la politique et de l’influence de Richelieu, avait groupé autour d’elle un certain nombre de personnages disposés à renverser le puissant ministre. Madame de Fargis, sa dame d’honneur, qui était de l’opposition, prit part aux intrigues. Condamnée à mort en 1631, elle s’enfuit à l’étranger et mourut à Louvain en 1639. Son mari fut enfermé pour le même motif à la Bastille le 14 février 1633. Peu d’années après, il eut la douleur de perdre son fils, tué au siège d’Arras, le 2 juin 1640, à l’âge de vingt-sept ans. Il lui restait une fille Henriette, alors au Port-Royal. Malgré les pressantes démarches de son père, elle refusa de se marier, préférant passer sa vie dans cette abbaye, où elle mourut le 3 juin 1691, après en avoir été longtemps abbesse. M. de Fargis quitta le monde et entra dans la congrégation de la Mission le 31 décembre 1647. Il mena au séminaire une conduite si exemplaire que saint Vincent avoue "ne lui avoir jamais vu commettre un seul péché véniel". Il mourut le 20 décembre 1648 (Notices, t. II, pp. 425-430)

 

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bonne heure, laissez-le faire, attendu que depuis si longtemps on n’a pu lui ôter la fantaisie d’étudier. Notre-Seigneur nous fasse part de son humilité, de sa patience et de sa charité, en l’amour de laquelle je suis, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : [A Mo] nsieur [Monsieur] Blatiron, supérieur [des prêtres] de la Mission, à Gênes.

 

1084. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Décembre 1648 ou janvier 1649] (1)

Monsieur,

Il a plu à Dieu nous ôter le bon frère de Fargis un an après que sa bonté nous l’avait donné. Il était comte de Rochepot et seigneur de Fargis ; il avait épousé la sœur de Madame la Générale des galères, notre première fondatrice ; il avait été ambassadeur du roi en Espagne. Il décéda le 20e du mois de décembre. En sa mort comme en sa vie, il a paru fort détaché et tout plein de Dieu. Certes, Monsieur, il nous a été un grand exemple pendant que nous avons eu le bonheur de le posséder, en sorte que je ne lui ai jamais vu commettre un seul péché véniel. Je recommande son âme à vos prières et je prie Notre-Seigneur qu’il sanctifie la vôtre de plus en plus. Je ne doute point de votre courage pour l’imiter.

Lettre 1084. — Manuscrit de Lyon.

 

- 400 -

1085. — AU MARQUIS DESPORTES

Ce dernier jour de l’an 1648.

Monsieur,

La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire est digne d’une âme vraiment chrétienne comme la vôtre. Je ne puis vous exprimer, Monsieur, combien je reste édifié de vos sentiments pour la prélature et de vos dispositions touchant la pension, pour laquelle je vous rendrai tous les services qui me seront possibles. Le bon usage que vous en voulez faire m’y oblige doublement ; à quoi néanmoins je prévois deux difficultés : la première est que l’on ne donne point de pensions ecclésiastiques qu’à ceux qui le sont, qui en portent l’habit et qui en effet vivent conformément à cela. Je sais, Monsieur, que vous avez l’esprit ecclésiastique et que cette difficulté n’a point de lieu à votre égard. Mais en voici une seconde qui est fort à craindre ; c’est que la reine et Mgr le cardinal (1) se trouvent si fort accablés de demandeurs de toute sorte qu’ils n’ont aucune liberté de considérer ceux qui le méritent le plus. On leur arrache les pensions comme les bénéfices, et on les empêche de disposer à leur gré des uns et des autres. Je ne laisserai pas, Monsieur, de leur parler de vous aux occasions et en la manière que Dieu sait. Il est vrai que votre nom est trop illustre et votre mérite trop connu pour avoir besoin d’être préconisés, et peut-être que l’estime que Sa Majesté et S [on] E [minence] en font les obligera de vous donner contentement plus tôt que je n’ose espérer. Je prie N.-S. que cela soit.

Lettre 1085. — Reg I, f° 30. Le copiste note que la lettre a été écrite par le secrétaire et signée par le saint.

1). Le cardinal Mazarin.

 

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Il a plu à sa divine bonté nous ôter le bon M. de Fargis, un an après qu’elle nous l’avait donné ; il décéda le 19 de ce mois (2). En sa mort comme en sa vie, il nous a paru fort détaché et tout plein de Dieu. Certes, Monsieur, il nous a été à grand exemple pendant que nous avons eu le bonheur de le posséder, en sorte que je ne lui ai jamais vu commettre un simple péché véniel. Je recommande son âme à vos prières et je prie N.-S. qu’il sanctifie la vôtre de plus en plus. Je ne doute point, Monsieur, de votre courage pour l’imiter en sa retraite, s’il vous était possible ; ains je crois que vous vivez chez vous aussi pieusement et religieusement que vous feriez dans un cloître. O Dieu ! Monsieur, qu’il fait bon se disposer ainsi à l’éternité bienheureuse, en l’amour de laquelle je suis, Monsieur, votre…

VINCENT DEPAUL.

 

1086. — A LAMBERT AUX COUTEAUX, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT-LAZARE

De Fréneville, ce 18 janvier (1) 1649.

Vincent de Paul écrit qu’il n’est pas expédient de mettre en vente le blé conservé dans les greniers de Saint-Lazare. Mieux vaut le prêter à usure au bon Dieu en faisant l’aumône aux pauvres. Si l’aumône d’un setier de blé par jour ne suffit pas, qu’on en donne deux.

2) Nous lisons dans la lettre précédente que M. de Fargis est mort le 20. La contradiction serait-elle due à une erreur de copiste ou a un oubli du saint ?

Lettre 1086. — Lettre signalée par le frère Pierre Chollier dans sa déposition au procès de béatification de saint Vincent

1) Le 18 janvier, saint Vincent était encore à Villepreux ; par suite il y a ici erreur ou sur la localité ou sur la date. La lettre pourrait bien être du 28.

 

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1087. — A ANTOINE PORTAIL

De Villepreux, ce 22 janvier 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je ne sais si vous m’avez écrit par l’ordinaire qui arriva la semaine passée ; je n’ai point reçu lettre de votre part, mais oui bien de M. Chrétien et de Tunis. Je ne vous écrivis point la semaine passée ; vous en savez la cause, comme je crois. Je partis de Paris le 14e de ce mois pour aller à Saint-Germain, à dessein d’y rendre quelque petit service à Dieu ; mais mes péchés m’en ont rendu indigne ; et après 3 ou 4 jours de séjour, je me suis rendu en ce lieu, d’où je partirai après demain pour aller visiter nos maisons (1) Il plaît à Dieu que je sois maintenant inutile à toute autre chose. J’irai

Lettre 1087. _ L s — Dossier de Turin, original.

1) Se sentant peu en sûreté dans Paris, la reine s’était retirée à Saint-Germain-en-Laye, suivie de la plus grande partie de la cour. Le parlement, les grands et le peuple étaient prêts à tout pour obtenir le renvoi de Mazarin. Tout Paris était sous les armes. Saint Vincent, ému des malheurs qui se préparaient et de ceux qui désolaient déjà la capitale, résolut une démarche auprès d’Anne d’Autriche, qui l’écoutait volontiers. Il partit le 14, avant le jour, accompagné de son fidèle secrétaire, le frère Ducournau, qui a laissé de ce voyage un récit utilisé par Collet. A Clichy, des gens armés de piques et de fusils se précipitèrent sur les deux voyageurs. Le saint n’aurait peut-être pas échappé au danger si l’un des assaillants n’eût reconnu en lui son ancien curé et calmé ses compagnons. A Neuilly, la Seine était débordée ; Vincent de Paul la traversa courageusement sur son cheval. Il arriva à Saint-Germain entre neuf et dix heures, vit la reine et lui dit nettement que son devoir était de renvoyer son ministre. Introduit devant Mazarin, il lui parla avec la même franchise. Mazarin, un moment étonné, lui répondit il se sacrifierait volontiers si tel était l’avis de Le Tellier. L’avis de Le Tellier, on le devine, fut négatif. Trois jours après, le saint, muni d’un passeport et protégé par une escorte, prenait le chemin

 

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droit au Mans, et puis en Bretagne. Je vous ai mandé que M. du Chesne irait à Marseille ; mais, certes, il est trop nécessaire à Saint-Lazare. Je vous prie, Monsieur, d’avoir patience et de faire comme vous pourrez et pour les sujets et pour la subsistance ; nous sommes dans l’impossibilité de vous rien fournir, non plus qu’aux autres maisons qui ont leur revenu sur les coches, lesquels ne vont plus ; et, selon les apparences, nous n’en retirerons de longtemps aucune chose, non pas même de ce que les fermiers nous doivent. Ceux des aides ne nous payeront non plus, tandis que ces troubles dureront. Tout cela ne vous exprime pas encore assez l’extrémité où se trouve le pauvre Saint-Lazare (2), Dieu soit loué ! Quel moyen donc, me direz-vous, que la maison de Marseille s’entretienne ? Il faut premièrement et sans barguigner renvoyer tous vos séminaristes qui ne payent une pension suffisance ; 2° dire à Mgr de Marseille (3) ce qui se passe, afin de l’exciter à vous subvenir de quelque chose ; et en troisième lieu, tâcher de trouver des messes. J’ai regret de vous dire ceci ; mais la

de Villepreux Il ne pouvait retourner à Paris, où la nouvelle de sa visite à la cour risquait de soulever contre lui la colère du peuple, déjà excité par le bruit du mariage secret de la reine et de Mazarin béni, disait-on, par Vincent lui-même. (Cf. Collet, op. cit., t. I, p. 468) La démarche du saint supposait beaucoup de courage, car la reine s’irritait contre tous ceux qui lui parlaient de s’adoucir. (Cf. la France au milieu du XVIIe siècle, d’après la correspondance de Guy Patin, Paris, 1901, in-l6, p. 11)

2). Quand il écrivait ces lignes, saint Vincent ignorait encore que six cents soldats, logés à Saint-Lazare, avaient pillé et saccagé la maison, enlevé les portes, vendu une partie du blé et mis le feu aux provisions de bois. (Cf. Abelly, op. cit., 1. I, chap. XXXIX, p. 1182) Collet, op. cit. t. I, p. 471) A cette nouvelle, la ville avait ordonné au colonel de Lamoignon d’envoyer chaque jour des soldats, jusqu’à nouvel ordre, à la maison de Saint-Lazare pour sa "sûreté et conservation" (Cf. Registres de l’hôtel de ville de *Paris pendant la Fronde, éd. par MM. Le Roux de Lincy et Douet d’Arcq, Paris, 1847, 3 vol. in-8°, t. I, p. 204.)

3). Etienne de Puget (1644-1668).

 

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nécessité prévaut à toute autre considération. Enfin faites votre possible pour ne pas nous engager.

Ceux de Barbarie doivent être avertis de ce qui se passe, afin qu’ils ménagent leur dépense. J’en écris à M. Le Vacher (4). Et pource qu’il me mande que le frère qui va pour proconsul (5) a besoin de faire plusieurs présents en entrant en charge, et que nous ne pouvons lui rien envoyer pour cela, j’estime qu’il fera bien de différer son passage, et je vous prie de le retenir pour encore.

Je suis en peine de la faute qu’a faite M. Le Vacher, permettant l’imposition sur les barques de France, pour payer les dettes d’un particulier. Les marchands de Marseille ont raison de s’en plaindre. Je vous prie de les voir de ma part, et, après leur avoir demandé pardon, savoir d’eux quel moyen il y a de remédier à cette faute ; à quoi je m’emploierai volontiers ; et dès maintenant je m’en vais écrire en cour pour avoir une lettre du roi au day, à ce qu’il ne souffre point aucune levée sur les vaisseaux français, pour laisser le commerce libre. Je prierai aussi Madame la duchesse d’Aiguillon de presser les expéditions et pour la survivance et pour la commission du consulat de Tunis (6).

Le doute que les postes aillent et que la présente vous soit rendue, m’oblige à finir pour vous assurer que je suis, en N.-S., Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

4) Jean Le Vacher.

5) Benjamin Huguier, clerc de la Mission.

6). Martin de Lanne, consul à Tunis, était mort sur la fin de

 

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1088. — A LOUISE DE MARILLAC

De Fréneville, ce 4 février 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Me voici encore à Fréneville (1) où ce temps si froid m’a surpris, à l’occasion de la fête que j’y ai voulu passer, pour aider à disposer ces bonnes gens pour se donner à Dieu, afin qu’il lui plaise leur faire la grâce de faire bon usage des afflictions qu’ils attendent.

Nos chères sœurs (2) me paraissent de plus en plus unies et aimant leur vocation, et s’en acquittent bien, Dieu merci ; elles nous donnent de leur pain bis, où le fermier mêle de l’orge dans le sien ; cela est venu de leur charité ; nous leur donnerons du blé en récompense. Elles nous ont aussi envoyé des pommes, que les bonnes gens leur ont données. Elles se confessent à M. Le Gros (3), depuis le temps qu’elles avaient été à quelqu’un de

juillet 1648. La duchesse d’Aiguillon, qui avait déjà acheté le consulat d’Alger, fit, pour les mêmes motifs, l’acquisition du consulat de Tunis, qu’elle offrit, avec la permission du roi, à la congrégation de la Mission.

Lettre 1088. — Cette lettre a été publiée, d’après l’original, dans la Notice sur la conservation et la translation des reliques de saint Vincent de Paul p 9.

1). Forcé par le froid et les neiges de séjourner à Fréneville, saint Vincent n’y resta pas inoccupé. A la suite d’un sermon sur les moyens de calmer la colère de Dieu et sur l’attitude à garder au milieu des ruines que menaçait de causer la guerre civile, les habitants de Valpuiseaux firent presque tous leur confession. (Cf. Collet, op. cit., t. I, p. 472-473.)

2). La sœur Toussainte et la sœur Jeanne Fouré, de Loudun.

3). Jean-Baptiste Le Gros, né en 1614 au diocèse de Coutances, entré prêtre à Saint-Lazare le 24 juin 1644, reçu aux vœux le 29 juin 1646, procureur de la maison-mère de 1648 à 1651, supérieur au séminaire Saint-Charles en 1651, à Richelieu de 1651-1655, mort le 5 novembre 1655 à Montech (T.-et-G.) (Cf. Notices, t. III, pp. 146-148 ; ms. de Lyon, f° 226-230)

 

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nous, et ont fait de même à nous, depuis qu’elles ont été à M. Le Gros. Cette pratique me paraît bonne.

Je vous trouve bien courageuse de tenir ainsi bon dans votre maison. L’on parlait du fou (4) d’autrefois, et c’est ce qui me fit vous écrire ce que je vous ai écrit. L’on n’en viendra pas à cet excès, comme je crois.

Notre-Seigneur vous donne de la santé parmi tout cela ; je l’en remercie de tout mon cœur et le prie à la sainte messe, où je vous vois devant Dieu tous les jours, qu’il vous conserve.

Dès que le beau temps sera venu, j’espère partir et d’aller droit à Angers, Dieu aidant, où Dieu sait de quel cœur j’y verrai vos filles.

M. Escart m’a parlé d’une, qui est à Bicêtre, qui gêne bien les autres ; il sera bon que vous voyiez ce qu’il y aura à faire.

Voilà, Mademoiselle, ce que je vous dirai pour le présent, sinon que je me recommande à vos prières et à celles de nos chères sœurs, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1089. — A JACQUES NORAIS (1)

[De Fréneville, ce] 5 février 1649.

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Mon Dieu ! Monsieur, que j’ai senti et sens, au moment

4). C’est le mot que porte le texte. La lecture est sans doute fautive

Lettre 1089. — Reg. I, f° 15, copie prise sur la minute autographe.

1) Coseigneur d’Orsigny, secrétaire honoraire du roi.

 

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que je vous parle, de la douleur de La perte que vous avez faite au pillage qui a été fait en votre maison d’Orsigny ! Je vous avoue, Monsieur, que le dommage que nous avons reçu et que nous pouvons encore recevoir ne m’est rien en comparaison. Nos péchés nous ont rendus coupables de toutes ces pertes. Mais vous, Monsieur, qu’avez-vous fait et qu’a fait notre bonne Mademoiselle, que N.-S. a chargée d’une si pesante croix que celle de sa longue et douloureuse maladie ! Il vous a visités tous deux par vos propres entrailles, par une longue et fâcheuse maladie, et en vos biens ; quel nom donnerons [-nous] (3) à cette conduite de Dieu sur vous ? Certes, Monsieur, je n’en vois point de plus rapportante en quelque façon que celle qu’il a tenue sur Job, qu’il a affligé en ces trois manières. O Monsieur, quel bonheur d’être traité en ce monde comme ce grand saint, que Dieu montrait comme le parangon des justes, qui ne dit ni ne fit jamais rien qui déplût à sa divine Majesté ! Ajoutez à cela, Monsieur, que c’est un Dieu qui l’a fait, sans l’ordre duquel rien ne se fait, et que sa divine bonté, qui vous chérit plus tendrement que jamais père n’aima son enfant, l’a fait pour se glorifier en vous deux, pour sanctifier vos chères âmes de plus en plus et pour faire voir au ciel et à la terre l’amour qu’il a pour vous, et l’estime qu’il fait de votre vertu, puisqu’il la met à une telle épreuve. Un païen nous apprend qu’en ces occasions il se faut soumettre à la Providence ; et le Fils de Dieu, qui l’entendait mieux que lui, nous dit que c’est être bien heureux que de souffrir en pareils rencontres, et que sa gloire est la récompense de ceux qui le font avec patience pour l’amour de lui. Il le faut bien dire : un esprit moins bien appris en l’école de Jésus-Christ que

2) Elisabeth Merault, épouse de Jacques Norais

3) Mot oublié par le copiste.

 

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Monsieur et Mademoiselle Norais [l’accepterait] (4) puisque c’est une nécessité et qu’il n’y a point de remède ; mais je m’assure que votre piété, qui sait bien que la charité convertit la nécessité en vertu, par l’agrément du bon plaisir de Dieu, dans toutes les afflictions que nécessairement nous souffrons, saura bien entrer en cette béatitude et en rapporter le mérite de la gloire. Selon cela, Monsieur, il est vrai de dire que ce qui paraît une perte pour vous selon la chair, est un grand avantage selon l’esprit et un sujet grand de rendre grâces à Dieu.

 

1090. — AUX DAMES DE LA CHARITÉ

[De Fréneville, ce] 11 février 1649.

Mesdames,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

La providence de Dieu m’ayant éloigné de vous, je ne laisse pas de vous voir souvent au saint autel et de vous offrir, vous et vos familles, à N.-S., dans la confiance que j’ai que votre charité demande à Dieu miséricorde pour moi. Je vous supplie très humblement, Mesdames, de me faire cette grâce et de vous assurer que, s’il plaît à Dieu d’avoir égard aux prières que je lui offre et continuerai de lui offrir incessamment pour vous, que vous serez consolées et protégées de sa spéciale protection, dans les communes afflictions dont il plaît à sa divine Majesté de nous éprouver.

Vous aurez pu savoir, Mesdames, comme Dieu m’a donné l’occasion d’aller visiter les maisons de notre petite compagnie, où je m’en vas, avec dessein de revenir, lorsque l’état des choses] le permettra. Que ferons

4) Mot oublié par le copiste.

Lettre 1090. — Reg. I, f° 27 v°.

 

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nous cependant, Mesdames, des œuvres que le bon Dieu vous a commises, particulièrement de la Charité de l’Hôtel-Dieu et des pauvres enfants trouvés ? De vérité, il semble que les misères particulières nous dispensent du soin des publiques, et que nous aurions un bon prétexte devant les hommes pour nous retirer de ce soin ; mais certes, Mesdames, je ne sais pas comme il en irait devant Dieu, lequel nous pourrait dire ce que saint Paul disait aux Corinthiens, qui se trouvaient en pareil accessoire (1) : "Avez-vous encore résisté jusques au sang (2) ?" ou pour le moins, avez-vous encore vendu une partie des joyaux que vous avez ? Que dis-je, Mesdames ? Je sais qu’il y en a plusieurs entre vous, et je crois le même de tant. que vous êtes, qui avez fait des charités, lesquelles seraient trouvées très grandes, non seulement en des personnes de votre condition, mais aussi en des reines ; les pierres le diraient si je m’en taisais ; et c’est pour l’excellence de vos cœurs incomparablement charitables que je vous parle de la sorte. Je me garderais bien d’en user ainsi à l’endroit d’autres personnes moins animées de l’esprit de Dieu que vous êtes.

Mais que ferons-nous donc ? Il semble qu’il est à propos de mettre en question, Mesdames ! s’il est expédient que vous fassiez la grande assemblée qu’on avait proposée. Quand, où et comment ? Il y a des raisons pour et contre.

Il semble premièrement qu’elle se doit faire, à cause que c’est l’usage d’en faire une environ ce temps-ci ; et en second lieu, les besoins étant extraordinaires, il semble que les moyens d’y remédier doivent être aussi extraordinaires, comme ceux d’une assemblée générale.

1) Accessoire, circonstance

2) Épître aux Hébreux XII, 4

 

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Contre cela, il semble qu’elle ne soit pas de saison présentement, à cause du trouble dans lequel l’on est, qui inquiète les esprits et refroidit la charité ; peut-être que plusieurs dames appréhendent de s’y rendre et que celles qui s’y trouveront, si elles n’ont une charité qui passe le commun, s’entrefroidiront les unes les autres ; et puis, Madame la princesse (3) n’y étant pas, ni Mesdames d’Aiguillon et de Brienne (4), il semble qu’il y aurait quelque chose à souhaiter, surtout si l’on pensait à faire quelque changement en la substance de l’œuvre.

Voilà, Mesdames, le pour et le contre qui me tombe dans l’esprit présentement. Vous examinerez cela, s’il vous plaît, à la pluralité des voix. Madame la duchesse d’Aiguillon me dit, lorsque je partis de Saint-Germain, ou m’a écrit depuis, que la reine lui avait dit qu’elle enverrait quelque chose pour les pauvres enfants trouvés. Je ne sais si elle l’a fait. J’ai prié M. Lambert de leur envoyer un peu de blé, et ai écrit à Madame la présidente de Lamoignon, afin qu’elle ait agréable de s’employer vers Messieurs de la ville pour donner escorte au blé, au dedans et au dehors de la ville ; je ne sais, non plus, ce qui en a été fait ; si cela n’est exécuté, je prie l’un et l’autre par celle-ci de faire ce qu’il faudra pour cet effet.

Et pource que cela ne suffit pas, voyez, Mesdames, s’il est à propos d’emprunter, comme officières de la Charité, quelque somme de deux ou trois mille livres, pour subvenir aux besoins plus pressants. J’écris à

3) Charlotte de Montmorency, princesse de Condé.

4). Louise de Béon, femme d’Henri-Auguste de Loménie, comte de Brienne, seigneur de Bassy, secrétaire d’État aux affaires étrangères. Madame de Brienne prit une part active, comme dame de la Charité, aux bonnes œuvres de saint Vincent et de Louise de Marillac. L’œuvre des Filles de la Providence lui doit aussi beaucoup. Elle mourut le 2 septembre 1665.

 

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M. Lambert qu’il s’oblige aussi à notre nom ; que si l’on a peine de s’obliger, il est expédient de faire un effort chacun de nous à cet effet ; en ce cas, je prie M. Lambert de faire ce qu’il faudra de notre part. J’avoue, Mesdames, que ce que je dis est un peu chargeant ; mais cela serait encore plus vrai si je le disais à des personnes moins charitables que vous. Après tout, je prie N.-S., qui préside ès assemblées qui se font en son nom, comme la vôtre, qu’il vous fasse connaître ce qu’il désire de vous en cette occasion et vous fasse la grâce de l’accomplir.

Ces grandes froidures m’ont retenu en ce lieu (5) et le feront encore jusqu’à ce que le temps soit adouci ; alors j’espère partir pour Le Mans ou pour Angers ou pour tous les deux ; j’espère recevoir là le résultat de votre assemblée, si M. Lambert ne me l’envoie ici par un exprès.

Je prie Dieu cependant qu’il bénisse et sanctifie de plus en plus votre même assemblée et vos chères personnes.

Je suis, en l’amour de N.-S., Mesdames, votre….

VINCENT DEPAUL.

 

1091. — A DENIS GAUTIER

D’Orléans, ce 25 février 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

La providence de Dieu vous a rendu le refuge de la

5). Fréneville.

Lettre 1091. — Recueil du procès de béatification.

 

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pauvre Mission de Paris. Voici Monsieur Escart et nos frères Jean Geneset (1) et Ambroise (2) qui vont pour jouir de la charité que vous faites au séminaire. Tous connaissent l’esprit de piété et de l’exacte régularité dudit sieur Escart, et serez édifié, comme j’espère, de nos frères.

Monsieur Lambert m’a écrit que vous avez dessein de faire valoir par vos mains le bois de Bouchard et que vous lui avez demandé ci-devant des frères pour cela. L’un de ceux-ci gouvernait le manège d’Orsigny, d’où vous avez retiré les chevaux que Monsieur Testacy vous amène ; et l’autre est vigneron, qui pourra faire vos vignes.

Et moi j’espère partir demain pour aller commencer la visite par Le Mans. La miséricorde de Dieu m’a donné le temps pour cela. Je suis parti de Paris, il y a plus de six semaines, pour Saint-Germain-en-Laye, où j’ai passé trois ou quatre jours ; et m’étant mis en chemin pour Le Mans, l’on me manda que l’on attendait le pillage d’Orsigny, à ce que je mandasse à nos frères ce qu’ils feraient. Cela m’obligea de prendre le chemin de Fréneville, où, la rigueur de l’hiver m’ayant surpris, j’ai été contraint de passer un mois ; et voici le troisième jour que j’en suis parti, avec un troupeau de deux cent quarante moutons, que je vous envoyais ; mais le mauvais temps nous a contraints de les laisser par les chemins, chez une dame de connaissance. C’est le troupeau que nous avons sauvé du pillage d’Orsigny (3).

1) Jean Geneset, frère coadjuteur, né à Saint-Mihiel, reçu dans la congrégation de la Mission vers 1643, à l’âge d’environ vingt ans, mort en septembre 1652.

2). Ambroise Tumy, frère coadjuteur, né à Argenteuil (Seine-et-Oise), entré dans la congrégation de la Mission le 10 août 1644 à l’âge de vingt ans, reçu aux vœux en décembre 1652.

3) La ferme d’Orsigny était la principale ressource de la maison

 

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Me voici donc sur le point d’aller commencer ma visite au Mans. De là j’espère passer à Angers pour tâcher de retirer ce qui nous est dû par le fermier des aides et vous envoyer ce qu’on vous a destiné. Et de là je pourrai tirer sur Saint-Méen et à Tréguier et revenir de là chez vous ou à Luçon et tâcher de continuer, Dieu aidant, la visite par Tours, si mes forces me le permettent.

O Monsieur, que je me suis affligé de la mort de feu Monsieur du Coudray ! J’avais pensée de le prendre en passant et de l’amener quand et moi, et voilà que Notre-Seigneur en a disposé autrement. Je vous prie, Monsieur, de m’écrire à Angers le détail comme Dieu en a disposé, et d’adresser votre lettre aux filles de Sainte-Marie, si vous trouvez occasion, et non autrement. Je vous prierais de vous y rendre, si j’étais assuré du temps que j’y pourrais être.

Je ne vous dis point des nouvelles de Saint-Lazare, ni de nos petits collèges de Paris (4) ; M. Escart vous les pourra dire ; il en est parti depuis moi. Ce qui est arrivé depuis son départ, c’est que l’on a déchargé cette maison de tout le monde qu’on a pu, pour avoir moyen de continuer l’aumône plus longtemps à deux mille tant de pauvres, auxquels l’on la fait tous les jours, par la grâce de Dieu, en sorte qu’il faut chaque jour quatre setiers de blé, mesure de Paris, pour le moins. Crécy, Troyes et Montmirail secourent leurs pauvres, mûs en cette occasion par l’exemple que vous leur avez donné. Plaise à Notre-Seigneur Jésus-Christ conserver ce support

de Saint-Lazare. Des soldats de l’armée royale l’avaient mise au pillage. "Le bétail, le froment, les meubles de quelques frères qui la faisaient valoir, ceux même d’un riche particulier, qui y étaient en dépôt, tout fut enlevé." (Collet, op. cil., t. I, p. 471.

4) Le collège des Bons-Enfants et Saint-Charles.

 

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à la compagnie, tant qu’elle durera, et faire la grâce aux maisons de pouvoir subsister ! J’embrasse votre communauté prosterné en esprit à ses pieds et aux vôtres, et vous prie, et elle aussi, de me donner à sa divine bonté, laquelle me fasse miséricorde et la grâce de le mieux servir que j’en ai fait par le passé. Je suis, en son amour et celui de sa sainte Mère, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Gautier, supérieur des prêtres de la Mission, à Richelieu.

 

1092. — LA DUCHESSE D’AIGUILLON A SAINT VINCENT

De Saint-Germain (1) ce 2 de mars 1649.

J’étais extrêmement en peine de n’avoir de vos nouvelles et de ne pouvoir vous en mander des nôtres ; mais le bon frère Mathieu (2) vient d’arriver pour avoir du blé pour les pauvres enfants trouvés, qui m’a donné cet avis, dont je me sers pour vous dire qu’il semble que Dieu nous donne quelque lieu d’espérer qu’il veut, par sa miséricorde, nous donner l’accommodement, les choses semblant s’y disposer MM. du Parlement ayant envoyé des députés à la reine qui a eu la bonté de leur accorder qu’on leur donnerait du blé pour chaque jour que la conférence durerait, s’ils voulaient envoyer des personnes à qui ils donnassent pouvoir absolu de terminer les affaires sans plus redélibérer ni retourner au Parlement après le retour et la relation de cette proposition. Ils ont enfin donné pouvoir comme on le désirait, à Messieurs le premier président (3) de Mesmes (4), de Nesmond (9) et le Coigneux (6),

Lettre 1092. — L. a. — Dossier de Turin, original

1) Saint-Germain-en-Laye.

2). Mathieu Régnard.

3). Mathieu Molé.

4). Henri de Mesmes, comte d’Avaux, président à mortier au parlement, mort en 1650.

5). François-Théodore de Nesmond, président à mortier au parlement.

 

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président Viole (7), Longueil (8), Menardeau (9), Le Cocq (10), Bitault (11), Lefebvre (12). Cette conférence se doit tenir à Rueil jeudi où Monsieur (13), M. le Prince (14), M. le cardinal (15), M. le chancelier (16) et M. de la Rivière (17) doivent aller. Il faut prier Dieu qu’il y préside pour y faire la paix (18). On a chanté ici aujourd’hui le Te Deum de celle d’Allemagne, dont la ratification est arrivée.

Je pense qu’il serait bon que vous attendissiez à Orléans ou au Mans l’effet de cette conférence afin que si elle réussit, comme nous désirons, vous n’alliez pas plus loin. Je prendrai soin de vous avertir de ce qui arrivera.

Je vous envoie une lettre du gardien des Capucins de Chinon, où vous verrez comme il se plaint de l’aumônier de Champigny (19). M. du Rivau (20) m’a mandé la même chose. Faites-moi savoir, s’il vous plaît, ce que je dois faire, car ils craignent qu’il n’emporte l’argent des pauvres. Priez, s’il vous plaît, pour moi et me croyez toujours votre très humble servante.

6). Jacques le Coigneux, président à mortier au parlement, mort le 21 août 1651.

7) Président de la quatrième chambre des enquêtes au parlement.

8). René de Longueil, marquis de Maisons, second président au parlement, plus tard surintendant des finances, ministre d’État et chancelier de la reine-mère, mort le 1er septembre 1677.

9). Claude Menardeau, conseiller au parlement.

10) Jean Le Cocq, seigneur de Courbeville, conseiller au parlement

11) Conseiller au parlement

12) Louis Lefebvre de Caumartin, conseiller au parlement.

13) Gaston, duc d’Orléans.

14) Le prince de Condé

15) Le cardinal Mazarin.

16) Pierre Séguier.

17) Louis Barbier, abbé de la Rivière, né en 1593, régent au collège du Plessis, puis favori du duc d’Orléans, ministre d’État en 1646, évêque de Langres en 1665, mort en 1670.

18). L’accord entre la cour et les délégués du parlement fut conclu le 11 mars ; il ne fut scellé que le 1er avril, après avoir été modifié par le parlement.

19) Champigny-sur-Veude, près de Richelieu. L’hôpital avait pour aumônier M. Romillon.

20) Le chevalier Jacques de Beauvat, sieur du Rivau

 

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4093. — A ANTOINE PORTAIL

Du Mans, ce 4e de mars 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous connais trop attaché au bon plaisir de Dieu pour vous étonner de n’avoir reçu de mes lettres depuis un ou deux mois ; c’est bien malgré moi, car je n’eusse point discontinué de vous écrire si les postes n’avaient cessé d’aller.

Vous avez su mon départ de Paris et l’une des causes d’icelui, laquelle n’ayant pas réussi à cause de mes péchés, je tâche de mettre la seconde en exécution, qui est de visiter nos maisons. Je suis venu commencer par celle-ci, après un mois de séjour à Fréneville, où les grands froids et les neiges m’ont assiégé. Je n’avais dessein d’y être que deux ou trois jours, pour y loger un troupeau de moutons et deux chevaux sauvés du pillage d’Orsigny ; mais je crois que la Providence m’y a retenu si longtemps pour me faire connaître qu’ils n’y étaient pas en assurance ; car les gens de guerre sont venus à un quart de lieue enlever les chevaux d’une ferme ; ce qui m’a obligé d’en partir, en un temps fort rude, et de faire mener les moutons en un village fermé, au deçà d’Etampes, à 4 ou 5 lieues. Pour les chevaux, je les ai menés ici, où j’arrivai le second de ce mois, en bonne santé, grâces à Dieu, nonobstant les difficultés du temps et des chemins. Le lendemain au soir, j’y ai

Lettre 1093. — L. s. — Dossier de Turin, original. Le post-scriptum et les mots M. le consul d’Alger ait de quoi soutenir la dépense et je ne sais pas ce qui s’est passé à celle de M. du Coudray, sont de la main du saint.

 

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fait l’ouverture de la visite. Celles que j’ai reçues de la ville m’ont empêché de la continuer sans intermission. Je ne sais encore comme il en va ; mais à l’aspect tout me semble bien. J’espère en partir dans 10 ou 12 jours pour Bretagne, et de là à Richelieu, et ensuite aux autres maisons ; et s’il plaît à Dieu de me continuer la santé, j’espère avoir le bonheur de vous voir à Marseille. Ce me serait une grande consolation, après les travaux (1) d’un si long voyage et les sujets d’affliction que nous voyons.

Vous savez, comme je crois, les pertes que nous souffrons, non seulement des blés que nous avions à Orsigny et à Saint-Lazare (2), mais par la privation de toutes nos rentes, ce qui nous a obligés de décharger Saint-Lazare et les Bons-Enfants, où il n’y a plus que 7 ou 8 prêtres, 18 ou 19 écoliers et quelques frères ; le reste a été envoyé à Richelieu, ici et ailleurs ; et encore ceux-là seront-ils obligés de sortir, quand il n’y aura plus rien. De si peu qu’il y a de blé, l’on en distribue tous les jours 3 ou 4 setiers à deux ou trois mille pauvres ; ce qui nous est une très sensible consolation et un grand bonheur dans l’extrémité où nous sommes, et qui nous donne espérance que Dieu ne nous abandonnera pas, surtout la maison de Marseille, quoique nous soyons hors d’état de la secourir. Oui, Monsieur, à mon grand regret, je vous l’ai déjà mandé et vous le voyez. Faites-le savoir à Mgr l’évêque, afin qu’il vous subvienne pour le séminaire. Il vous en faut décharger ; sinon, de ceux qui payeront pension suffisante. La chose parle d’elle-même, et je ne sais s’il ne faudra pas que quelques-uns de la compagnie aillent exercer sur les galères les offices d’aumôniers,

1) Rédaction primitive : tracas.

2) Mots raturés en cet endroit : qui nous eussent presque duré toute l’année.

 

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pour jouir des gages et, par ce moyen, faire subsister cette maison. Enfin, Monsieur, je prie Notre-Seigneur qu’il vous en découvre les moyens et que de plus en plus il vous donne participation à sa patience et à sa conduite, pour continuer d’assister cette pauvre famille en cette fâcheuse occurrence, pendant laquelle il semble expédient que notre frère Huguier n’aille point à Tunis, ni M. Dieppe en Alger, sinon que M. le consul d’Alger ait de quoi soutenir la dépense (3), ne leur pouvant rien envoyer de deçà. Retenez-les donc, si vous le jugez à propos.

Il a plu au bon Dieu disposer de M. du Coudray à Richelieu et de notre frère Dumesnil (4) à Saint-Lazare. J’ai grand regret du premier, pour ne l’avoir pu voir auparavant. Vous savez les obligations que lui a la compagnie. Je le recommande particulièrement à vos prières et à celles de la famille, et de rendre à l’un et à l’autre les devoirs accoutumés. Le dernier est mort comme il a vécu. Je ne sais pas ce qui s’est passé à celle de M. du Coudray.

Je suis pressé de finir en me recommandant moi-même à vos saints sacrifices. J’embrasse tendrement M. Chrétien et toute sa famille, de laquelle et de vous particulièrement je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je suis en quelque pensée, si les choses se pacifient, de faire une assemblée de tous ou de partie des supérieurs.

3) Rédaction primitive : sinon que ceux qui y sont les puissent entretenir et eux aussi, des revenus du consulat.

4). Jacques Dumesnil, clerc, né à Nibas (Somme), reçu dans la congrégation de la Mission le 6 janvier 1641 à l’âge de dix-neuf ans.

 

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Dites-m’en votre pensée, s’il vous plaît, et adressez vos lettres à Madame la duchesse d’Aiguillon en cour. Poisez (5) s’il est à propos que vous importuniez Monseigneur de vos besoins, et s’il est expédient que vous employiez quelques-uns sur les galères en attendant, ou d’en envoyer quelques-uns à Gênes, si M. le cardinal l’agrée.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

 

1094. — A LOUISE DE MARILLAC

Du Mans, ce 14e de mars 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

C’est pour vous donner de mes nouvelles et pour vous en demander des vôtres. Les miennes sont que je me porte bien, grâces à Dieu, et que dans trois ou quatre jours j’espère partir pour aller à Angers, où je verrai vos filles.

Monsieur Gautier est venu de Richelieu ici, qui m’a dit la disposition que Dieu a faite de la pauvre sœur Elisabeth (1), dont j’ai été fort touché. Il juge expédient de rappeler l’autre et d’en envoyer deux de Paris, mais j’estime que cela est fort difficile à faire en cette mauvaise saison, de laquelle je ne doute point que vous ne receviez beaucoup de peine et que votre famille n’en souffre avec vous.

Lettre 1094. — L. s. — L’original appartenait en 1881 à M. le comte Yvert, de Saint-Germain-en-Laye. Le post-scriptum est de la main du saint.

1). Elisabeth Martin, décédée à Richelieu.

 

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Je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ que lui-même soit votre force et votre consolation et qu’il tire sa gloire des afflictions publiques et particulières. J’ai toujours confiance aux prières de votre communauté et spécialement aux vôtres. Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. L M.

Monsieur Gautier m’a dit qu’il a vu vos bonnes sœurs en passant à Angers, que cela va assez bien, que ma sœur Cécile (2) fait toujours des merveilles et qu’il y en a deux qui exercent le reste (3), dont l’une est à l’excès de la scrupulosité ; j’espère les voir dans quatre ou cinq jours, Dieu aidant.

 

1095.— EDMOND DWYER, ÉVÊQUE DE LIMERICK, A SAINT VINCENT

[1649 ou 1650] (1)

J’ai souvent écrit à Votre Révérence l’état de vos missionnaires en ce royaume. Il est tel (à dire la vérité comme elle est devant Dieu) que jamais, de mémoire d’homme, nous n’avons ouï dire qu’il se soit fait un si grand progrès et avancement en la foi catholique, que celui que nous remarquons avoir été fait ces dernières années par leur industrie, par leur piété et par leur assiduité ; et surtout au commencement

2) Cécile Angiboust, supérieure des sœurs de l’hôpital d’Angers (1647-1657)

3) Sœur Jeanne, de Loudun, et sœur Barbe, de Troyes.

Lettre 1095 — Abelly, op, cit., 1. Il, chap. I, sect. VIII, 1er éd., p. 151. La lettre a été écrite en latin ; nous donnons ici la traduction d’Abelly.

1) Dans son récit, Abelly laisse clairement entendre que la mission de Limerick dont parle cette lettre, s’est donnée au commencement d’une année, entre le 16 août 1648 et avril 1650.

 

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de la présente année, que nous avons ouvert la mission en cette ville, où il n’y a pas moins de vingt mille communiants, et cela avec tant de fruit et d’applaudissement de tous les habitants, que je ne doute point que, grâces à Dieu, la plupart n’aient été délivrés des griffes de Satan par le remède qu’on a apporté à tant dé confessions invalides, ivrogneries, jurements, adultères et autres désordres, qui ont été entièrement abolis ; en telle sorte que toute la ville a changé de face, étant obligée de recourir à la pénitence par la peste, famine, guerre et dangers qui nous serrent de tous côtés, et que nous recevrons comme des signes manifestes de la colère de Dieu. Sa bonté néanmoins a voulu nous faire cette faveur, quoique serviteurs inutiles, de nous employer à cet ouvrage qui, à la vérité, a été difficile à son commencement, et quelques-uns même ont cru que nous n’en pourrions venir à bout ; mais Dieu s’est servi des faibles pour confondre les forts de ce monde. Les premiers de cette ville se rendent si assidus aux prédications, aux catéchismes et à tous les autres exercices de la mission, qu’à peine l’église cathédrale est-elle assez grande. Nous ne saurions mieux apaiser la colère de Dieu qu’en extirpant les péchés qui sont le fondement et la cause de tous les maux. Et certes, c’est fait de nous si Dieu ne nous tend la main. C’est à lui à qui il appartient de faire miséricorde et de pardonner.

Mon Père, j’avoue que je suis redevable à vos enfants du salut de mon âme. Écrivez-leur quelques paroles de consolation. Je ne sache sous le ciel Mission plus utile que celle-ci d’Ibernie ; car, quand il y en aurait cent, la Mission serait toujours grande pour si peu d’ouvriers. Nos péchés sont très griefs. Qui sait si Dieu ne nous veut pas arracher de ce royaume et donner le pain des anges aux chiens, à notre blâme et confusion !

 

1096. — A LOUISE DE MARILLAC

D’Angers, ce 23 mars 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu ici une de vos lettres, du 3 de mars, par l’adresse

Lettre 1096. L. a. — L’original appartient aux Filles de la Charité de la rue Mage, 20, à Toulouse.

 

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de la Mère de Sainte-Marie (1), qui m’a beaucoup consolé, voyant la santé que Notre-Seigneur vous donne, la bénédiction qu’il donne à vos travaux, à ceux de Madame et Mademoiselle de Lamoignon et généralement à toutes les dames des Charités des paroisses de Paris.

Vous pouvez croire, Mademoiselle, que j’en rends bien volontiers grâces à Dieu et que je le prie qu’il leur fasse celle de continuer. Mais j’ai été bien affligé, ayant appris comment vos pauvres filles et vos pauvres enfants trouvés à Bicêtre sont encore assiégés de tous côtés d’une grosse armée (2). Je me console en l’espérance que Notre-Seigneur, qui les a reçus en sa protection spéciale, n’aura pas permis qu’il leur soit mésarrivé.

Il y a trois ou quatre jours que je travaille ici à la visite de nos chères sœurs de l’Hôtel-Dieu, et fis hier au soir la dernière action, qui est de conclure la visite ; et voilà que j’en fais transcrire les avis que je leur laisse. Au reste, je vous puis dire que cela va bien, par la grâce de Dieu. Vous le jugerez bien en vous disant qu’elles observent exactement leur emploi de la journée et qu’il ne s’est trouvé qu’une seule faute qu’elles y ont faite, qui est de manquer au silence depuis les huit heures du soir jusques aux prières. Enfin cela va si bien que j’en ai

1) La Mère Marie-Augustine Bouvard, supérieure de la Visitation d’Angers. Elle avait été professe au. second monastère de Paris.

2). Les soldats de Condé, au nombre de douze à quinze mille, étaient dispersés autour de la capitale. Il y en avait à Saint-Denis, tout près de la maison-mère, et à Bourg-la-Reine, près de Bicêtre. Plusieurs tentèrent de pénétrer à diverses reprises dans la maison des enfants trouvés, où les sœurs vivaient dans des alarmes continuelles. Louise de Marillac recommanda à Geneviève Poisson et à ses compagnes de prendre les précautions les plus rigoureuses contre les excès de la soldatesque. "Faites bien tenir toutes nos sœurs ensemble, disait-elle dans une de ses lettres (1. 234), et ayez grand soin des grandes filles, que vous devez tenir toujours devant vos yeux ou enfermées à l’école."

 

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mon cœur plein de consolation. Il y en a pourtant une ou deux que je pense qu’il faudra changer ; nous verrons. Je ne vous dis point le détail de la conduite de Notre-Seigneur sur elles, dans le doute que j’ai que ce billet vienne jusques à vous.

J’espère partir demain pour Saint-Méen et de passer à Nantes et de voir là nos chères sœurs, que je souhaite qu’il plaise à Dieu que je trouve en aussi bon état que sont celles-ci.

Je salue cependant nos bonnes dames de la Charité et me recommande aux prières de nos chères sœurs, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, supérieure des Filles de la Charité, à Paris.

 

1097. — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Méen, ce lundi de Pâques (1) 1699.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

L’occupation de la visite que je fais ici m’empêche de vous écrire de ma main.

Je loue Dieu de la conservation de nos sœurs de Bicêtre et de Saint-Denis (2) et du bon état où les autres se

Lettre 1097. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) 5 avril

2). La fondation de Saint-Denis était due à Mademoiselle de Lamoignon et à Madame de Nesmond. MadameTurgis, Françoise

 

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trouvent ; surtout je remercie sa divine bonté de votre bonne disposition, et vous des prières que vous faites pour la mienne (3).

Je suis grandement touché de la charité et de la persévérance du bon M. Alain, aussi bien que des dégâts de Bicêtre et de la pauvreté des enfants. Dieu soit la récompense du premier et veuille pourvoir au reste ! Puisque ce lieu est inhabitable, il serait à souhaiter qu’il plût au Parlement ou à la ville d’en donner un autre ; mais vraisemblablement ils ne le feront pas. Il ne faut néanmoins laisser de le demander, si tel est l’avis des dames, lequel il faut prendre en cette occasion ; ce que vous ferez, s’il vous plaît, par Madame de Lamoignon, qui leur en parlera. Si Madame la princesse (4), Madame la duchesse d’Aiguillon et Madame de Brienne peuvent être consultées pour cela, on fera bien de savoir leurs sentiments ; le mien est qu’elles s’en rapporteront à ce que les autres dames résoudront.

Je n’ai reçu qu’une de vos lettres à Angers, à laquelle je fis réponse du même lieu ; si je me souvenais des points, je vous répéterais ici ce que je vous ai écrit.

Sur le désir que vous avez de vous décharger des filles inutiles, je n’entends pas bien de quelle inutilité vous vous plaignez ; si c’est de celles qui ne valent ou ne savent agir après avoir été exercées quelque temps,

Noret, de Liancourt, et Marguerite Le Joint, d’Arras, Filles de la Charité, avaient pris possession de l’hôpital le 22 août 1645.

3). Sont raturées en cet endroit les cinq lignes qui suivent : "laquelle a été altérée de quelque fièvre pendant la nuit, en suite d’une chute que je fis dans l’eau le cheval s’y étant couché, et d’où je n’eusse pu me retirer, si je n’eusse été reconnu. Je me porte maintenant assez bien, grâces à Dieu." C’était à une demi lieu de Durtal, dit Collet (op. Cit., t. I, p. 474), ou plutôt le frère Ducournau, dont il suit le récit. Le saint fut sauvé par un de ses prêtres qui l’accompagnait. Il remonta à cheval tout trempé et alla st sécher dans une petite chaumière.

4). Charlotte de Montmorency.

 

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et qui, en effet, n’ont aucune qualité qui donne espérance d’amendement, vous ferez bien de les renvoyer ; mais si c’est de celles qui ne sont encore assez bien dressées aux emplois de la charité, et pour cela n’y peuvent vaquer, ou qui en sont empêchées par quelque infirmité dont elles peuvent guérir, je crois, Mademoiselle, qu’il faut patienter à leur égard autant qu’il se pourra.

La revue (5) se fera avec la retraite, à la Pentecôte, Dieu aidant.

Je suis bien aise du séjour que vous avez fait à Paris ; ce n’a pas été sans sujet, je le sais bien.

Entre nos sœurs d’Angers, il n’y en a que deux qui aient des peines d’esprit ; et encore est-ce peu de chose, et j’espère que ce ne sera rien ; les autres sont contentes et toutes fort exactes à leur petit fait. La sœur Cécile (6) ne se peut estimer, ni la consolation qu’elles m’ont donnée comprendre ; je vous l’ai déjà mandé. S’il fallait en séparer la sœur Jeanne, il ne la faudrait pas renvoyer tout d’un coup en son pays (7), mais en essayer encore à Richelieu, d’où elle en serait proche.

Quand je serai à Nantes, je verrai ce que c’est de la sœur Marie, de Tours, et vous en écrirai.

Si vous jugez expédient de renvoyer ici celle dont vous me parlez, faites-le ; et pour la sœur Mathurine (8), je la prie de ne se donner aucune peine de ses parents.

5). La confession de l’année ou du moins des mois écoulés depuis la retraite précédente.

6). Cécile-Agnès Angihoust.

7). Elle était de Loudun.

8). Mathurine Guérin, qui fut secrétaire de Louise de Marillac et quatre fois supérieure générale. Elle était entrée chez les Filles de la Charité le 4 septembre 1648, malgré la résistance opiniâtre de ses parents. Sa notice a été publiée dans les Circulaires des supérieurs généraux et des sœurs supérieures aux Filles de la Charité et remarques ou notices sur les sœurs défuntes de la Communauté, Paris, 1847, in-4°, pp- 556-568.

 

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M. Thibault les doit voir (9), pour leur ôter celle qu’ils peuvent avoir pour elle. J’ai grande confiance en vos prières et en celles de toutes nos sœurs ; je leur eh demande la continuation et à vous particulièrement, à qui je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1098. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 6 avril 1649.

Mon très honoré Père,

Nous sommes en très grande peine du lieu et de l’état où vous êtes. Je supplie la bonté de Dieu que votre disposition et vos affaires de votre communauté vous permettent de venir bientôt. Vous êtes bien désiré à Paris pour les œuvres de charité. Madame la présidente de Lamoignon particulièrement vous prie de revenir promptement.

Je laisse aux autres à vous dire les nouvelles de la paix n’en sachant autre chose que ce qui nous en fait louer Dieu avec le peuple.

Le bon Monsieur Alain est trépassé, et nos sœurs se disposent [à] retourner un de ces jours à Bicêtre pour y toujours occuper la place et semer la terre. Dieu veuille qu’elles y puissent demeurer le temps que la Providence l’a ordonné ! Madame la présidente du Sault vous salue très humblement ; elle vous souhaite bien fort ici avant qu’elle parte pour s’en retourner chez elle. Je vous supplie très humblement, mon très honoré Père, si vous approcher de Nantes, ne pas oublier nos pauvres sœurs ; et s’il y a moyen qu’elles se passent de changer de

9) M Thibault était supérieur de l’établissement de Saint-Méen.

Lettre 1098. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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sœurs, et, comme je vous avais mandé par deux précédentes lettres, que, au moins, si votre charité trouvait nécessaire que la sœur Marie, de Tours, fut changée, qu’elle fut renvoyée à Tours plutôt que de revenir à Paris. Nous en avons essayé en plusieurs endroits, et, l’envoyant à Nantes, je lui dis que c’était le dernier essai. Vous en ordonnerez ainsi que votre charité le treuvera à propos, selon que Notre-Seigneur vous l’inspirera.

Au nom de Dieu, mon cher Père, priez pour nous. Je vous avais écrit et fait connaître nos besoins et les miens particuliers ; mais je crains bien que nos lettres ne vous aient pas été rendues. Pourvu qu’il plaise à Dieu nous faire miséricorde et nous redonner ce que, par sa justice, il nous a ôté ! et suis, en son très saint amour, mon très honoré Père, votre très obéissante et très obligée fille et servante

LOUISE DE MARILLAC

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, général des prêtres de la Mission.

 

1099. — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Méen, ce 9 avril 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’espère partir dans trois ou quatre jours pour Nantes et de vous écrire de là de l’état auquel je trouverai nos chères sœurs. Monsieur des Jonchères (1) a écrit à Monseigneur de Saint-Malo (2) qu’il m’offrait logement chez lui et que je lui donne avis du jour que je pense arriver là. Mondit seigneur pense que c’est à cause de l’émotion. Notre-Seigneur sera notre conduite, s’il lui plaît.

J’ai appris ici avec douleur la mort du bon M. Alain.

Lettre 1099.Études religieuses, t VIII, p. 1875, pl 284, d’après l’original.

1). Aumônier de l’hôpital de Nantes et directeur des sœurs.

2). Ferdinand de Neufville (1646-1657).

 

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O Mademoiselle, que cela m’a touché ! Il faut prier Dieu qu’il nous en envoie quelqu’autre qui lui [ressemble (3)].

L’on m’a écrit comme l’on a tiré les pauvres enfants de Bicêtre (4). Je suis en peine de savoir où l’on les a transportés. Mon Dieu ! que d’embarras que ce changement vous aura donnés !

Je ne puis que je ne vous répète par celle-ci la consolation que j’ai reçue dans la visite de nos chères sœurs d’Angers. O Mademoiselle, qu’il y a grand sujet de louer Dieu de son adorable conduite sur ces bonnes filles !

Notre sœur Jeanne, de Loudun, et notre sœur Barbe, qui est de Troyes, si me semble, étaient un peu remises, et la dernière quasi tout à fait ; il faut attendre l’événement.

Je continue à me porter bien, Dieu merci. J’ai pris l’occasion ici de me faire purger et saigner. Je ne doute pas que vous ne me recommandiez à Notre-Seigneur, et nos chères sœurs aussi. Je vous vois [toutes] devant Dieu (5) au saint sacrifice de la messe.

Si vous voyez la bonne Madame de Lamoignon et nos bonnes dames de la Charité, vous les assurerez, s’il vous plaît, que je ne les oublie point devant Dieu, en l’amour duquel je suis votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

3) Texte des Études : reporte.

4) Les enfants trouvés furent transférés provisoirement à la maison mère des Filles de la Charité, à cause du siège de Paris.

5) Celui qui a publié cette lettre dans les Études religieuses a lu je vous vois vous êtes devant Dieu. Nous croyons que le vrai texte est celui que nous donnons.

 

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1100 — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Méen, ce 15 avril 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

C’est pour vous donner encore de mes nouvelles et vous en demander des vôtres. Je continue à me bien porter, grâces à Dieu. Je suis assiégé ici par le mauvais temps et le débordement des eaux ; sans cela je serais parti pour Nantes mardi passé, et en partirai si tôt que ce petit déluge sera écoulé, pour aller visiter nos sœurs, comme celles d’Angers, qui m’ont donné plus de consolation que je n’en ai reçu longtemps il y a. Je vous l’ai mandé et ne puis cesser de vous le dire. Elles ont besoin d’une sœur propre pour enseigner les mystères aux pauvres, si tôt qu’ils sont arrivés, ainsi que font les dames de l’Hôtel-Dieu ; nous en reparlerons, Dieu aidant.

Je continuerai cependant à demander à Dieu votre conservation et ses bénédictions sur vous et vos filles, lesquelles je salue, et suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, supérieure des Filles de la Charité, à Paris.

Lettre 1100. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

 

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1101. — A LOUISE DE MARILLAC

De Nantes, ce 28 avril 1649.

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici le dixième jour que je suis arrivé en cette ville, et j’en espère partir demain, Dieu aidant, pour Luçon. J’ai trouvé les pauvres Filles de la Charité à la sortie d’une grande persécution qu’on leur a faite. L’on les accuse d’une infinité de choses ; la principale est qu’elles s’approprient le bien des pauvres. Les 3 prêtres qui sont dans la maison et M. Valton de Lafosse (c’est le mari de cette femme à qui la sœur Jeanne Saint-Albin (1) avait dit quelque chose qui l’offensait), qui était père des pauvres (2) l’année passée, leur ont suscité cette pièce (3) par le moyen de celui-ci, lequel, sortant de charge et allant remercier Messieurs de la maison de ville (4), leur dit que tout irait bien à l’hôpital sans les Filles de la Charité, qui faisaient fort mal leur devoir, et, qui pis est, qu’elles ruinaient l’hôpital et faisaient leur main (5), et s’offrit à donner l’argent pour les renvoyer. La maison de ville députa vers Messieurs du chapitre et vers le présidial, pour faire une assemblée, à ce que les trois corps députassent pour vérifier cette accusation et déterminer du

Lettre 1101. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) La sœur Jeanne Saint-Albin fut rappelée à Paris en décembre 1650. Peu s’en fallut qu’elle ne quittât la Communauté en octobre 1655. (Cf. Lettres de Louise de Marillac, 1. 457.) Nous retrouvons encore son nom sur la liste des Filles de la Charité après 1660.

2). Administrateur de l’hospice.

3). Pièce, persécution.

4). Les échevins.

5). C’est-à-dire, dérobaient ce qui ne leur appartenait pas.

 

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renvoi ou de la rétention des filles ; ce qui fut fait. Mais, par la grâce de Dieu, Messieurs les pères d’à présent firent voir clairement que l’accusation était fausse, et députèrent M. le doyen (6) pour le dire aux filles et les encourager.

Mais tout cela n’a pas [fait] (7) perdre cœur aux accusateurs, lesquels ont vu Monseigneur de Nantes (8) depuis deux jours, à son retour, et lui ont dit des merveilles contre ces pauvres filles. Or, l’on m’a dit aujourd’hui que mondit seigneur de Nantes, qui a eu toujours à peine cet établissement, veut prendre derechef connaissance de toutes les plaintes qu’on fait contre elles. Je me suis donné l’honneur de le voir avant cette dernière plainte, et lui dis que j’avais vu ces bonnes filles de l’hôpital, que j’avais trouvé quantité de choses à souhaiter en elles, mais que, par la grâce de Dieu, elles étaient innocentes des choses dont on les accusait ; à quoi il me répondit qu’elles sont bonnes filles, et cela d’assez bonne grâce. Je suis présentement dans le doute si je le dois retourner voir pour lui parler plus au long de cet affaire ; mais parce que, l’un côté, je vois que, quoi que je lui die, il ne se déprendra pas de la résolution qu’il a prise de prendre connaissance de ces accusations, quoi que je lui die, et que je ne pourrai pas lui lever l’aversion qu’il a de cet œuvre, et quelques autres raisons particulières, que je vous dirai, c’est ce qui fit, je pense, qu’il n’est pas expédient que je le voie ; je le ferai néanmoins, si Messieurs des Jonchères (9) en sont d’avis. Voilà pour la persécution de ces pauvres filles.

6). Le doyen du chapitre.

7). Mot oublié dans l’original.

8) Gabriel de Beauvau de Rivarennes.

9).M. des Jonchères, directeur des filles de la Charité de Nantes avait un frère président au présidial de cette ville.

 

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J’ai fait la visite et les ai vues tous les jours, un ou deux exceptés. Il faut avouer qu’elles ne sont pas dans l’état qu’il serait à désirer : 1° elles se sont oubliées de l’observance de la régularité ; 2° elles n’ont point été exactes à l’oraison, a la lecture, aux examens, ni au silence ; il n’y avait point ou peu de charité entre elles, d’obéissance ni de support, ni, à vrai dire, l’application qu’il fallait à l’assistance des malades (10).

Jeanne, la servante (11), est une fort bonne fille, judicieuse et douce ; quelques-unes d’entre elles estiment qu’elle n’a pas été assez fort prévoyante.

Henriette (12) est une fille pleine d’ardeur et de charité, mais peu respectueuse, peu soumise à la servante, ou point du tout, et fâcheuse au médecin et à quantité de personnes, et peu régulière ; et, comme je le pense, elle est la cause de la plupart du dérèglement des filles.

Je ne puis continuer à vous dire l’état de chacune des autres ; je le ferai de vive voix, Dieu aidant. Je suis pressé. Elles sont maintenant en meilleur état, par la grâce de Dieu, et résolues de bien faire.

Il est absolument nécessaire de rappeler Henriette et d’envoyer quelqu’une à sa place, qui sache faire l’apothicairerie. Il est nécessaire d’envoyer Marie (13) à Richelieu ; et y étant, nous penserons à la manière de la renvoyer chez elle ; les choses ne sont point en état de le faire d’ici, non pas même de l’en retirer, que lorsque celle que vous destinez à sa place sera arrivée. Il en faut une huitième. S’il y a moyen, je vous prie d’en envoyer deux comme il les faut ; et étant à Paris, nous aviserons au reste des choses.

10) Nous avons encore la minute autographe des avis que le saint laissa aux sœurs de Nantes à la fin de cette visite.

11). Jeanne Lepeintre, supérieure à l’hôpital de Nantes.

12) Elle était à Nantes depuis 1646, chargée de la pharmacie.

13). Marie, de Tours.

 

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L’on m’a parlé d’un autre établissement dans le diocèse de Vannes ; j’ai dit à M. des Jonchères qu’il n’y faut pas penser, au moins si tôt.

J’espère partir demain pour Luçon et ensuite revenir à Richelieu, Dieu aidant, et de là à Paris, si quelque chose pressante ne requiert que je passe outre ; auquel cas ce n’est que le voyage d’un mois pour aller et revenir à Richelieu. Lorsque nous serons à Paris, nous parlerons de toutes les choses qu’il faudra pour ici.

Je vous prie cependant, Mademoiselle, d’avoir soin de votre santé, pour l’amour de Notre-Seigneur, en l’amour duquel je suis, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras, à Paris.

 

1102. — A ANTOINE PORTAIL

De Richelieu, ce 11° mai 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai trouvé en cette maison deux de vos lettres. Je ne me souviens pas que vous m’ayez fait aucune proposition sur laquelle vous ayez à prendre le conseil d’autrui, si vous n’avez le mien, comme vous dites être obligé de le faire dans le 20e de ce mois ; et je viens de lire les points de 4 ou 5 lettres de votre part qui ont précédé

Lettre 1102. — L. s. — Dossier de Turin, original. Le post-scriptum est de la main du saint.

 

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les dernières, où je n’ai rien trouvé de cela. Si la chose est telle qu’elle ne se puisse écrire, ou qu’elle soit si pressée que vous ne m’en puissiez donner avis et en attendre ma réponse auparavant que de la résoudre, prenez le sentiment des consulteurs de la maison et celui de M. de la Coste, et moi je prierai Dieu qu’il vous fasse la grâce de suivre en toutes choses ses desseins éternels.

Dieu sait quel est mon souhait pour les visites des maisons de delà et que le regret que j’ai de ne les pouvoir faire me touche sensiblement, la reine m’ayant fait commander diverses fois de retourner à Paris. Or, je ne vois pas comment je puis faire la volonté de Dieu, en n’obéissant pas, moi qui ai toujours cru et enseigné que l’on doit obéir aux princes, même aux méchants, comme dit l’Écriture. Tout ce que je puis faire est de faire prier Sa Majesté, comme je fais, de me permettre de continuer mon voyage, non pas jusqu’à Marseille, mais seulement jusqu’à Cahors. J’en attendrai ici la réponse.

Quand je serai à Paris, nous tâcherons de vous envoyer M. du Chesne ou quelqu’autre, accompagné d’un frère. Je ne sais si ce pourra être le frère Jean Parre (1)

A propos de frère, on me mande de Gênes que vous avez retenu le frère Claude, qui s’y en retournait. Je m’en étonne, puisque vous savez le besoin qu’ils en ont ; ils me le demandent avec grande instance ; je vous prie de leur envoyer

1) Né à Chatillon-en-Dunois (Eure-et-Loir), entré dans la congrégation de la Mission le 16 avril 1638, à l’âge de vingt-sept ans reçu aux vœux en 1643, mort après 1660. Il est, parmi les frères coadjuteurs, avec le frère Mathieu Régnard, l’un des plus intelligents et des plus actifs instruments que la divine providence ait mis dans les mains de saint Vincent. Il parcourut en tous sens la Picardie et la Champagne, se rendant compte des besoins et y portant remède.

 

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Tout le reste de vos lettres, jusqu’à 6 ou 7, ne désirent autre chose de moi que mille louanges à Dieu de tout ce que vous me mandez, particulièrement du succès de l’ordination, de la mission de Fréjus, des conférences avec les ecclésiastiques externes, du zèle de M. Brunet, de la satisfaction de M. de la Coste, de sa charité pour la famille et enfin des bénédictions que Dieu répand sur icelle. Je prie donc son infinie miséricorde qu’elle soit elle-même son action de grâces et qu’elle sanctifie de plus en plus vos âmes, singulièrement la vôtre, de laquelle je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p.d. l. M.

Puisque voici la paix (2), par la grâce de Dieu, il me semble qu’il n’y a rien qui nous doive empêcher de faire la congrégation des supérieurs de la compagnie à Paris.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, prêtre de la Mission, à Marseille.

 

1103. — A LOUISE DE MARILLAC

De Richelieu, ce lendemain de l’Ascension [1649] (1).

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

M. Lambert vous aura pu dire mon arrivée en ce lieu.

2) La paix de Rueil conclue, dans les premiers jours de mars, entre la cour et le parlement.

Lettre 1103. — L. a. — L’original est exposé dans la salle des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul à Metz.

1). Le contenu de la lettre et le lieu d’où elle est écrite ne permettent

 

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Je fus pressé de visites le lendemain au matin que le courrier partait pour vous écrire, et l’ai été en sorte depuis et appliqué au fait de notre visite que je n’ai pu encore entretenir notre bonne sœur (2) ; je le ferai, Dieu aidant, au premier jour.

J’écris à M. Lambert et un mot à Madame la duchesse pour la remercier de ses chevaux (3) et leur dis les raisons que j’ai de souhaiter de pouvoir aller jusques à Notre-Dame de la Rose et en trois ou quatre maisons que nous avons de delà, et me soumets pourtant à leur avis, qui voient, comme vous, les besoins de delà. Le sujet de crainte d’aller à cheval et au soleil en seront ôtés par l’usage du carrosse qu’on m’a envoyé.

Ce qui presse le plus, c’est loger les enfants trouvés. J’ai dit à madite dame les raisons que je ne vous redis pas ; elle les vous aura pu dire, ou M. Lambert. Il n’y va que d’un mois, ou environ. En un mot, je lui propose une assemblée générale des dames, pour résoudre si l’on fera instance vers la reine, si l’on demandera une quête générale, ou si l’on présentera requête au parlement pour pourvoir aux besoins, au nom des officières ; ce qui rendra la chose plus considérable que votre nom seul ; et je dis que M. Lambert pourra faire cela, s’il y a inconvénient à m’attendre, et qu’après tout je ferai ce qu’on me mandera.

aucun doute sur sa date. En 1649, le lendemain de l’Ascension était le 14 mai.

2). Les deux Filles de la Charité de Richelieu étaient sœur Françoise Carcireux, de Beauvais, et sœur Charlotte Royer, de Liancourt.

3). La duchesse d’Aiguillon avait eu la délicate attention d’envoyer au saint pour son retour deux chevaux, attelés au carrosse qu’elle lui avait précédemment donné. Quand Vincent de Paul voulut rendre les chevaux, la duchesse d’Aiguillon le pria de les garder. Le saint ne put refuser et il dut s’en servir, par ordre de la reine. (Cf. Abelly, op. cit, 1. I, chap. XXXIX, p. 186.)

 

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Je vous ai écrit l’état de nos sœurs de Nantes. M. l’abbé de Vaux m’écrit que celles d’Angers font bien, dont je rends grâces à Dieu.

M. Gautier m’a dit qu’il y a ici quantité de filles qui demandent d’être reçues à la Charité. Plaise à Notre-Seigneur nous recevoir en la sienne et vous conserver en bonne santé !

Je suis, en son amour, Mademoiselle, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

ind. p. d. l. M.

Au nom de Dieu, Mademoiselle, ne soyez pas en peine de M. le bailli (4). Voyez-vous pas la conduite extraordinaire que Notre-Seigneur a prise de lui quasi sans vous ? Laissez faire à sa divine Majesté ; il saura bien faire voir à la mère, qui a soin de tant d’enfants, la satisfaction qu’il en a, par celui qu’il prendra du sien, et qu’elle ne le pourra prévenir ni surpasser en bonté. Ressouvenez-vous de ce que je vous ai dit d’autrefois de la bonne et bienheureuse Madame de Chantal sur le sujet de feu M. son fils.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras à Paris.

4) Pour donner une situation au fils de Louise de Marillac, saint Vincent l’avait nommé bailli de Saint-Lazare. Michel Le Gras était chargé, à ce titre, de rendre la justice dans les dépendances de ce fief. Il garda cet office jusqu’en 1656. Sa mère, préoccupée avant tout du salut de son âme, songeait à le marier et n’aboutissait pas assez vite, au gré de ses désirs.

 

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1104. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

[Du fort Dauphin, 27 Mai 1649] (1)

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction, s’il vous plaît !

La mémoire du juste devant être éternelle c’est bien le moindre devoir que je suis obligé de rendre à la mémoire de mon cher frère et compagnon Monsieur Gondrée, défunt que de vous envoyer l’extrémité de sa vie et les vertus qu’il a pratiquées dans la maladie qui me l’a ravi dans le printemps de son âge et dans l’espérance que j’avais de voir travailler ce bon ouvrier.

Ce sera donc ici un échantillon pour joindre à la conférence qui se fera à son sujet, afin que vous ne manquiez pas des dernières actions, qui sont la couronne de toutes les précédentes.

Je ne répéterai point ici les vertus qu’il a pratiquées sur le chemin, étant à La Rochelle et dans le voyage de notre navigation de six mois et demi sur mer ; car il y a pratiqué les vertus d’un bon missionnaire l’humilité, la mortification, la charité, la douceur, la simplicité et le zèle, sans en laisser passer d’occasion ; et de tout ce qui s’est fait ici dans les six mois qu’il y a vécus selon que vous avez vu dans le journal que j’en ai fait la meilleure partie lui est due.

Mais laissant à part la piété, la modestie, la douce conversation, l’exactitude et le soin tant des Français que des nègres en toutes les rencontres de les servir et instruire, je viens au premier voyage qu’il fit à Fanshère avec Monsieur de Flacourt vers Andian Ramach, qui est le roi de cette contrée où est notre habitation. Ce fut le vendredi avant les Rogations. Je lui laissai aller, parce que j’y avais déjà été deux fois. Étant là, n’ayant pu dire la messe le dimanche, il fit la prière publique avec les Français qui avaient accompagné Monsieur de Flacourt. C’était devant la maison de ce roi, qui y assista avec plusieurs nègres en grand silence et réitéra la promesse qu’il m’avait faite de se remettre dans le devoir

Lettre 1104. — L. a. — Dossier de la Mission, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original. Fort-Dauphin (on disait alors le fort Dauphin) est situé au sud de Madagascar, sur la côte orientale.

 

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d’un bon chrétien quand il y aurait des prêtres avec lui et une église bâtie en ce lieu. Mais comme ce voyage se fit dans un temps d’abstinence de viande et qu’il ne se trouve pas de poisson et des légumes comme l’on veut en ce pays, ainsi qu’en France, quoiqu’il eut donné dispense aux Français, il voulut garder l’abstinence et ne mangea qu’un peu de riz cuit à l’eau ; ce qui, joint à la chaleur du chemin, lui causa la maladie de laquelle il n’est pas relevé.

Regardons comme Notre-Seigneur a affiné cet or dans le creuset et comme il a fait paraître la patience dans son infirmité.

Le mercredi, qui était la veille de l’Ascension de Notre-Seigneur, quoiqu’il se trouvât fort indisposé il voulut célébrer la messe qu’il eut peine d’achever ; et ce nonobstant il ne laissa pas d’aller encore confesser un Français moribond qui l’avait prié de cela, d’où il revint en grand frisson et se mit sur le lit, me disant qu’il avait été fort inquiet de rêveries la nuit, et entre autres qu’il s’était imaginé faire quantité de croix ; sur quoi il dit que c’était un présage qu’il lui en faudrait bientôt une.

Je lui demandai la cause de son mal. Il me dit que c’était en partie ce voyage, qui l’avait constipé, et que, en rentrant chez nous, qu’il avait senti la puanteur d’un malade que nous avions retiré, faute qu’il n’y avait point d’autre lieu pour le mettre, dont il avait eu grand mal au cœur.

Le voilà donc attaqué d’une fièvre si violente que l’après-midi il perdit le jugement en vint en frénésie, qui le fit lever, voulant sortir tout effaré, ayant perdu la parole. Je courus à lui et, l’ayant embrassé, je le remis sur son lit, où il fut encore un quart d’heure sans pouvoir parler, quoiqu’il y fit son effort ; et de sa bouche sortait comme de l’écume rouge marque qu’il était pulmonique ; aussi avait-il la courte haleine et peine à chanter à l’église.

La parole lui étant revenue, il n’avait point de mémoire de ce qu’il venait de faire. La première chose qu’il demande fut de se confesser.

Le vendredi, la fièvre ne fut pas si violente. Mais ce fut pour reprendre de nouvelles forces pour le battre en ruine, car elle redoubla le soir ; et lui ayant donné un grand cours de ventre, après avoir été retenu, il fut tellement affaibli tout à coup qu’il ne se pouvait plus soutenir ; et il avait une douleur si cuisante en toutes les jointures qu’il disait être impossible de souffrir davantage ; et cependant ses plus hauts cris étaient de "que béni soit Dieu ! glorifié soit Dieu ! Si vous prenez plaisir à me voir tant souffrir, c’est aussi mon contentement ; si vous augmentez la douleur, augmentez aussi la patience."

 

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Et comme je lui disais : "Courage, mon cher frère ! notre bon Dieu regarde comme vous combattez. Il vous éprouve dans le feu de cette fièvre. Ne vaut-il pas mieux, comme il est dit en une oraison du carême (2), ut temporaliter maceremur in corpore quam suppliciis deputemur aeternis ?" — Vous avez bien raison ; ah ! que Dieu est bon ! disait-il, et qu’il m’aime ! Je ne suis pas digne de son amour."

Ces douleurs qu’il souffrait m’obligèrent à y chercher remède, et par bonheur je rencontrai une huile de fruit de sang-de-dragon, que les nègres font, et bien chaude. L’on oignait le lieu de sa douleur, dont il recevait soulagement. Après quoi il ne cessait de remercier le Créateur. Mais ce relâche n’était pas pour longtemps ; car cette même douleur commençait et l’empêchait de prendre aucun repos. Sur quoi je lui dis qu’il pouvait dire : Deus meus, ad te de luce vigilo (3). Il me dit : "Je puis bien dire aussi : De nocte vigilo."

Le lendemain de l’Ascension je lui dis qu’il se fallait mettre in manu Domini et recevoir les sacrements, qui sont les remèdes divins lorsque les humains ne peuvent rien. Très volontiers, dit-il ; je remets cela à votre volonté." Tant il avait l’obéissance en recommandation.

Et aimant mieux prévenir que de différer trop tard, je lui apportai Notre-Seigneur ; et en présence de la plupart de nos Français, qui eurent dévotion d’accompagner le Saint Sacrement, je lui dis, ayant le cour attendri et la parole entrecoupée de tendresse : "Eh bien ! mon cher frère, voici ce grand médecin de l’âme et du corps qui vous vient visiter. C’est à présent qu’il faut pratiquer ce que vous avez si souvent enseigné aux malades, à savoir des actes de foi, d’humilité, de contrition, de charité." — " Je le désire ainsi", dit-il. Et comme je lui dis que, dans l’incertitude du succès de sa maladie, je lui donnais pour viatique et qu’il se donnât tout à celui qui se donnait tout à lui, "je ne suis point à moi, dit-il généreusement ; qu’il fasse de moi tout ce qui lui plaira ; je suis totalement à lui" ; et ainsi le reçut avec grande dévotion.

De là en avant ses forces diminuant, son esprit n’était pas moins fort pour s’occuper en Dieu par des aspirations qui seraient trop longues à déduire. On n’épargnait rien qui put contribuer à sa santé, et lui, de son coté, ne refusait rien de tout ce qu’on le priait de prendre pour l’amour de notre bon Dieu.

2) Le vendredi après le dimanche de la Passion.

3). Psaume LXII, 2.

 

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La fête de la Pentecôte étant arrivée, j’exposai le Saint Sacrement pour les prières de quarante-heures et priai un chacun, par l’intérêt qu’ils avaient à sa santé, de solliciter le cœur de Notre-Seigneur pour l’obtenir, si elle lui était nécessaire. Et de ma part, je faisais la prière des Apôtres : "Ne derelinquas nos orphanos (l)", à double intention, tant pour n’être point privé des grâces du Saint-Esprit, que pour n’être orphelin de mon Père spirituel. N’avez-vous pas dit, Seigneur, que c’était un malheur à celui qui demeurait seul, sans compagnon pour l’échauffer dans sa froideur ou le relever dans sa chute ? Mais après avoir laisse sortir les gémissements de mon cœur et que j’avais demandé la conservation d’un ouvrier si nécessaire en un pays où il n’y en avait que trop de besoin, lorsque j’étais retourné au logis, je n’avais aucune réponse que de mort voyant que la maladie augmentait, avec une si grande débilité que ce n’était plus que rêveries, qui pourtant étaient toutes pieuses comme de dire la messe, d’instruire quelqu’un. Sur quoi, je prenais occasion de l’aider à élever son cœur à Dieu par quelque verset des psaumes ou autres ; et en moi-même je faisais réflexion que c’est bien vrai que le moulin rend la farine du blé qu’on y a mise, et que l’esprit s’occupe naturellement aux choses et aux pensées qu’on y a souvent admises. Mais ce n’était pas une rêverie lorsqu’il me disait, et à ceux qui le venaient voir : "Oh ! qu’il fait bon servir Dieu, quand on est en santé ; car croyez. moi qu’on a bien de la peine dans la maladie, qui abat le pauvre esprit." Et d’autres fois il disait avec sentiment : "Il semble qu’on soit misérable quand le corps souffre ; mais pourtant c’est un bonheur, qui est grand, de souffrir le mal pour l’amour de Dieu. On achète l’éternité de gloire par un moment de tribulation." Il faisait bien paraître qu’il était dans cette pratique de souffrir avec plaisir ; car encore que ses douleurs, dont j’ai parlé ci-dessus, dans toutes les jointures, qui lui avaient fait dire au commencement qu’on ne pouvait pas souffrir davantage quoique, dis-je ces douleurs augmentassent, il disait : "Je ne souffre pas tant, car je sens une force au dedans de moi et une grâce qui fait que tout ce mal n’est presque comme rien." —"Eh bien ! c’est pour vérifier ce qui est dit : Juxta est Dominus iis qui tribulato sunt corde (5) ; cum ipso sum in tribulatione (6)". Et lui disais-je. Et lui d’une douceur répondait presque toujours à tous ces versets :

4) Saint Jean XIV, 18.

5) Psaume XXXIII, 9.

6). Psaume XC, 15.

 

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"Eh ! vous avez bien raison, mon cher Monsieur, il est bien vrai."

Et après avoir rentré en rêverie, il parlait tout bas et disait : Comment pourra-t-on convertir ces huguenots ?" Et je lui répondais : "Ce sera par une douce conversation." Et ce qui est digne de remarque, c’est qu’en effet peu de temps après sa mort, de dix qu’il y avait ici, il s’en est converti cinq, qui successivement sont revenus en suite d’avoir conversé doucement et humblement avec eux. Possible aussi ai-je tort d’avoir cru que c’était en rêvant qu’il parlait de la conversion de ces huguenots, car peut-être c’était une prière qu’il faisait exprès, qui dès lors fut exaucée dans son affection, quoique depuis exécutée.

Il y avait dix jours qu’il avait communié, et je lui ai demandé s’il ne voulait pas réitérer la communion, pour recevoir Celui qui avait envoyé le Saint-Esprit sur les Apôtres. "Oh ! que très volontiers !" dit-il. Mais ayant été occupé, le jour de Pentecôte, à chanter matines et la messe solennelle et à la réconciliation de ceux qui firent leurs dévotions, et l’après-dînée, après vêpres, à l’exhortation des Français et à l’instruction des nègres, ce fut le lendemain que je lui apportai Notre-Seigneur, qu’il reçut avec pareille dévotion que la première fois. Et comme presque tous les Français y étaient présents, il leur recommanda avec affection de cœur la dévotion envers la sainte Vierge, encore qu’il ne parlât qu’avec peine et me pria de leur recommander.

Je ne puis passer sans dire ici ce que je crois qu’on remarquera dans la conférence de sa vie que cette dévotion envers la bonne sainte Vierge était si fervente qu’il en a laissé ici par écrit quantité de pratiques, que je crois qu’il avait prises dans la retraite ; et il me semble qu’il s’était associé avec trois ou quatre des séminaristes de St-Lazare pour s’y encourager les uns les autres et en parler dans les récréations et colloques spirituels.

Après qu’il eut communié, je le trouvai si exténué que je lui parlai de recevoir l’extrême-onction, espérant plutôt la santé par la vertu des sacrements que par les remèdes, et aussitôt je lui apportai, et l’a reçue avec telle dévotion, en présentant ce qu’il fallait oindre et en répondant aux paroles, que j’étais attendri, la larme à l’œil, et toute la compagnie aussi. Ce qu’ayant achevé, je fus célébrer la sainte messe, à la fin de laquelle je reçus au baptême une fille adulte, pour être donnée en mariage à un nègre baptisé en France, à Nantes, qui était le compagnon de celui qui fut baptisé à Paris, qui depuis s’est aussi marié peu après à une négresse d’ici, que j’ai baptisée.

 

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Étant de retour de l’église et n’ayant rien de quoi consoler ce pauvre ami languissant, dont l’infirmité était à la mort, je lui dis ce que je venais de faire à l’église : "Eh bien ! mon cher ami, voilà que nous venons de commencer l’œuvre de Notre-Seigneur en baptisant une adulte, et nous en recevrons bientôt une autre, quand j’aurai achevé de l’instruire ; n’en êtes-vous pas bien aise. ?" Il renforça sa parole : "O mon Dieu, qui n’en serait joyeux ? N’est-ce pas pour cela que nous avons été envoyés ici ? Mais mon plus grand regret à présent est s’il me faut quitter ces pauvres gens, dans lesquels il y a si grande disposition. O bon Dieu, que c’est un grand honneur ! Eh ! ne me ferez-vous point la grâce de vous servir en cela !"

Ces sentiments et ce zèle du salut des habitants de ce pays se peuvent mieux penser qu’exprimer ; car c’est de quoi il m’entretenait souvent dans sa santé, et ne me parlait de notre Mission en ce pays qu’avec des termes de gratitude envers Dieu, du grand honneur qu’il nous avait fait ; et le seul ressouvenir de la dévotion avec laquelle il en parlait, me tire à présent que j’écris, les larmes des yeux ; et je ressens bien de la confusion de m’en acquitter si mal.

Je reviens à notre malade, qui, après avoir dit de si belles paroles dans un petit intervalle, en forçant beaucoup sa voix, retombait aussitôt dans l’assoupissement, pendant lequel se vérifiait encore davantage l’affection de la conversion de ces pauvres infidèles. Et comme il s’était adonné à apprendre la langue du pays, il disait en rêvant : "Oui, c’est un bon mot, Aka alino", qui signifie : n’oubliez pas. N’était-ce pas en ce seul mot donner à connaître l’affection qu’il avait eue dans l’instruction à bien inculquer la doctrine chrétienne ? Et incontinent il disait en sursaut : "Oui-da, Messieurs, je vous en appelle à témoins, si j’ai tout quitté en France et fait six mille lieues sur mer avant que d’arriver ici avec tant de peine, si ce n’est pour la conversion de ces pauvres gens !" Je lui disais que nous avions commencé à cultiver la terre, et qu’ayant semé, la moisson viendrait quand il plairait à Notre-Seigneur. "Oui, mais cela est bien long", disait-il. "Quoi ! disais-je, pensez-vous que ceux qui se disposent selon leur possible et qui disposent aussi les choses pour l’avenir, comme nous tâchons de faire fassent moins que ceux qui avanceront davantage, à cause qu’ils trouveront le chemin frayé ?"

La dernière des fêtes, je vis bien qu’il ne pouvait pas résister davantage à la violence d’une fièvre si maligne dont il était presque consommé depuis quatorze jours, que la chaleur, la douleur excessive de tête et de tous les membres de son pauvre corps l’avaient exténué. Après être revenu du

 

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service de l’église, je lui demandai : "En cas qu’il plaise à Notre-Seigneur vous retirer de cet exil, que désirez-vous dire à notre bon Père Monsieur Vincent ?" — "Mandez-lui que je le remercie très humblement de ce qu’il m’a admis et souffert au nombre des missionnaires, et particulièrement de ce qu’il m’a choisi pour m’envoyer en ce pays, au lieu de tant d’autres qui s’en fussent mieux acquittés que je n’ai fait."—" Que dites-vous à Monsieur Lambert et à tout le séminaire ?" — "Dites-leur qu’ils remercient Dieu pour le même sujet." —"Et à Madame votre mère et à vos parents ?" — "Je les prie de faire célébrer un bon nombre de messes pour moi à même intention." — "Et si vous me laissez ici seul, quel testament me laissez-vous ?" Il me demanda si je ne dirais pas très bien des messes pour lui. "Oui-da, cela vous est acquis ; vous prierez pour moi là-haut, et moi pour vous ici-bas ; et quand la mort séparera nos corps, elle ne divisera pas nos cœurs, qui étaient si bien unis pour un même dessein de servir Dieu et de le faire servir. Mais n’avez-vous que cela à me dire ?" Et après avoir un peu ruminé, il me dit en présence de deux ou trois Français : "Je vous dis pour vrai testament que je vous avertis qu’il vous faudra beaucoup souffrir ici (et le réitéra : oui, bien souffrir), non pas pour un peu, mais je vous dis encore une fois très bien."

Je ne lui en demandai pas la raison et je fus content de conserver dans mon cœur ce cher testament suppliant Notre-Seigneur que sa volonté se fit en moi de moi et par moi, et que ce fut tout pour la gloire du même Dieu.

Je ne dis mot si ce testament s’est trouvé véritable car pour les peines du corps qu’il faut ici souffrir pour la chaleur et pour la disette de beaucoup de choses dont on abonde en France, cela est toujours fort peu. Mais je bénis Dieu de la grâce qu’il m’a faite d’avoir surmonté beaucoup de peines d’esprit, de me voir seul in terra aliéna et être privé de la bonne compagnie du défunt et de l’espérance d en avoir d’autres de longtemps après, pour recevoir les sacrements, et de ne pouvoir pas beaucoup avancer (étant seul et engagé avec des Français) dans un ouvrage qui demande des ouvriers sans délai.

Enfin sur le soir, après le salut, où chacun se trouva pour le dernier effort de presser Notre-Seigneur d’ôter l’infirmité de celui qu’il aillait et que nous aimions tous, je revins [le] lui dire. Comme il semblait perdre connaissance, je lui demandais s’il me connaissait bien. "Oui-da, vous vous appelez Nacquart" Et comme je tâchais de l’exciter à la gaieté, je lui demandais s’il savait bien son nom. Il me fit, en souriant un peu une réponse qui fait connaître l’habitude qu’il avait de l’humilité :

 

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"Pour moi dit-il, je m’appelle une personne qui ne vaut pas grand chose."—"Dieu soit béni, qui vous donne ces sentiments-là disais-je ; vous n’en serez pas moins devant lui." Et quoique son esprit fût dans l’extravagance pour les choses temporelles, il s’occupait sans relâche d’autant plus aux spirituelles et du profond centre de son humilité il s’élevait à la confiance de la miséricorde divine, et, serrant le crucifix, disait en balbutiant : "Oui, Dieu me pardonnera, car sans cela je serais perdu." Et parce que je touchais seulement à son crucifix, il le serrait davantage, comme s’il eut dit intérieurement : inveni quem diligit anima mea ; teneo et non dimittam (7). Et prévoyant qu’il ne la ferait pas longue et que je n’aurais de longtemps occasion de me réconcilier à Notre-Seigneur, je lui demandai s’il pourrait m’administrer le sacrement de pénitence et s’il pourrait bien diriger son intention et m’entendre et prononcer l’absolution. "Oui-da, oui da." Et aussitôt se découvrit et je reçus le sacrement de lui, sans qu’il hésitat ; et m’ayant aussi exhorté au regret de mes péchés, je reçus sa dernière bénédiction.

Je demeurais auprès de lui pour l’encourager à cette extrémité, et lui-même s’occupait assez, car il retournait à son crucifix ; et après l’avoir regardé il ôtait son bonnet avec peine, tant il était faible ; et les mains tremblantes en tenant l’image de son Maître, il voulait s’efforcer de réciter les litanies de son saint nom ; mais, la mémoire lui manquant je prononçais, et il répondait avec dévotion. Mais je tâchais de le modérer et le faire un peu prendre du repos, car il s’était un peu tourmenté. Et sur les dix heures du soir, je lui fis quelque reste d’espérance, quoique d’ailleurs je craignais pour cette nuit ; ce qui fit que je mis deux gardes pour le veiller. Et comme je me sentais un peu abattu, pour avoir été sur pied presque nuit et jour, tant à l’église durant les fêtes, outre la tristesse qui m’avait empêché de prendre de la nourriture à l’ordinaire, on me dit que j’allasse reposer et que je me conservasse pour le public. A quoi je me laissai aller ayant prié les gardes d’y bien prendre du soin et qu’on m’avertit à la moindre apparence, et me suis jeté sur le lit, ayant donné le bonsoir au malade et prié qu’il fit son possible de reposer.

Cependant il survint un grand vent, qui faisait du bruit en soufflant sur les feuilles dont la case était couverte, ainsi que sont les maisons de ce pays. Les Français qui le veillaient s’étant un peu retirés, l’on l’entendait souvent répéter ces paroles

7) Livre des Cantiques III, 4.

 

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qu’il avait mises en son esprit dès le commencement de sa maladie : Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo ! (8) Et son crucifix étant attaché à la natte à coté de lui, il y portait la main, à la faveur d’une corde qui était suspendue pour l’aider à se remuer, et disait beaucoup de paroles qu’on ne pouvait distinguer.

Oh ! paresseux que je suis de m’être lâchement laisse persuader d’aller reposer, cependant que mon frère réitérait si souvent qu’il veillait à Notre-Seigneur pendant la nuit aussi bien que le jour ! Et qui doute que cette main faible qu’il portait avec artifice sur l’image du crucifix, ne cherchât ce que l’apôtre saint Thomas voulut toucher et qu’il ne dit avec lui : Deus meus et Deus meus, et que le cœur qui avait si tendrement aimé et si fidèlement servi le Seigneur et si courageusement combattu se voyant à la fin de sa carrière dans le temps qu’il espérait la commencer dans ce pays, ne s’écriât : Cupio dissolvi et esse cum Christo (9) !

Mais il vaut mieux que je laisse à penser ce qu’il a pu dire et penser dans ce dernier intervalle où, étant plus prêt de son centre, sans doute ces mouvements étaient bien plus violents, lorsque tout à coup les gardes l’ayant interrogé s’il désirait quelque chose, ils ne reçurent aucune réponse. Sur quoi m’ayant éveillé environ une heure après minuit, je ne trouvai plus que le corps de celui dont l’âme était allée recevoir la récompense non seulement des services qu’il avait rendus et des vertus qu’il avait pratiquées envers Dieu, son prochain et envers soi-même. Je vous laisse à penser en quel état se trouva mon pauvre cœur qui frémit encore à présent que j’écris, et quel surcroît d’affliction ce me fut d’ensevelir ce béni corps, qui avait servi non seulement à confesser Notre-Seigneur devant les hommes, mais qui avait aussi souffert le martyre de tant de mortifications que volontairement il avait choisies et qu’il avait aussi endurées avec une patience admirable, spécialement en cette dernière épreuve où il avait été affiné et achevé d’être purifié comme l’or dans le creuset.

Mais je sais bien que je ne puis exprimer la peine que je ressentis par tendresses et regrets, lorsque je faisais les funérailles, tant en chantant l’office des morts, que célébrant la messe, et encore plus lorsqu’il fallut donner à la terre celui que j’eusse voulu racheter par ma vie. Oh ! combien de sanglots interrompirent le chant de l’office et enfin m’obligèrent sur la fin de prier les assistants, qui ne pouvaient contenir

8) Psaume LXII, 2.

9). Épître de saint Paul aus Philippiens I, 23

 

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leurs larmes, de m’excuser dans mon infirmité, sur ce que Notre-Seigneur même avait été excusé, lorsqu’on lui dit à la résurrection de son ami le Lazare : Ecce quomodo amabas eum (10) !

Ce n’étaient pas seulement les Français qui avaient la face couverte de deuil, mais aussi les nègres, qui ne commençaient qu’à le connaître qui se trouvèrent en bon nombre sans pouvoir s’empêcher de pleurer à la mort de celui pendant la vie duquel ils disaient qu’on n’avait point encore vu de semblables hommes qui ne fussent point colères et fâcheux et qui leur parlassent avec affection des choses de leur salut, comme nous tâchions de faire en les instruisant.

Je sais bien que ma mort, arrivée quand il plaira à Dieu, ne me sera pas si sensible qu’a été la sienne, et que les causes de tristesse ont entré si avant dans mon âme qu’elles m’eussent submergé si je n’avais pensé qu’il n’était pas mort, mais qu’il dormait et qu’il fallait fermer la bouche, puisque c’était Dieu qui l’avait fait pour le mieux, quoique j’eusse la pensée que ce fut un châtiment rigoureux qu’il me donnât, pour n’avoir pas bien profité de son bon exemple pendant sa vie. Mais peu à peu j’ai absorbé ma tristesse dans la résignation au bon plaisir de Dieu et dans l’abandon à sa sainte providence, en demandant la portion des grâces qu’il avait préparées à un si fidèle serviteur, duquel je ne parle plus sinon pour achever de me consoler, et toute la compagnie, par les paroles qui serviront de canonisation au défunt : Beatus ille servus quem, cum venerit dominus ejus, invenerit vigilantem, etc.

Je crois que chacun de ceux qui l’ont connu à Paris et ailleurs rendront témoignage qu’il a toujours veillé in prima vigilia de son séminaire ; in secunda vigilia, quand il était à Saintes ; in tertia vigilia, quand il retourna depuis encore à Paris, où il a reçu la prêtrise ; et vous verrez que, pendant que j’ai eu le bonheur d’être en sa compagnie, j’ai remarqué le soin qu’il a eu de tenir son corps et son âme dans une pureté incomparable et angélique, et son cœur dans la pratique de toutes les vertus d’un bon missionnaire. Et enfin après avoir fait beaucoup de bien, point de mal que j’aie pu connaître, après avoir été droit à Dieu dans ses actions et y en avoir tant conduit d’autres, finissant ses jours dans le regret de ne pas souffrir pour s’employer en la conversion de ce nouveau royaume à gagner si facilement pour Notre-Seigneur, et après avoir souffert Ce qu’un corps peut souffrir dans sa

10) Saint Jean XI, 36.

 

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maladie, et avec une joie comme il témoignait, en quoi il est plus louable de ce qu’il était d’un naturel prompt, qu’il avait parfaitement dompté et réduit à une douceur cordiale, enfin après avoir veillé nuit et jour, comme il répétait souvent pendant sa maladie et jusqu’à la fin, qui peut douter qu’il n’ait été trouvé veillant pour ce Seigneur qui, au chant du coq où il mourut, après la minuit, sans doute l’a fait incontinent entrer dans la lumière de sa gloire et dans la possession de tous ses biens ? Et si je ne puis pas dire qu’il est saint, supposé ce que dessus, je puis assurer qu’il est Beatus selon l’Écriture.

Je n’oublierai pas une remarque, qui est qu’incontinent après sa mort, l’astre qui préside à la nuit s’éclipsa bien l’espace de trois heures ; ce qui me donna à penser que le ciel, aussi bien que nous, contribuait au deuil de celui qui était si nécessaire pour contribuer à dissiper la nuit et les ténèbres de l’ignorance de cette terre. Et de là je finis et conclus que, s’il n’y a si bel astre qui ne s’éclipse, il n’y a si juste qui ne pèche et qui n’ait besoin après sa mort des prières et suffrages de l’Église ; ce que je suis assuré qu’il ne lui sera pas retardé de toute la compagnie, en toutes nos maisons, de lui rendre les devoirs et les prières ordinaires, incontinent qu’on en sera averti, comme je crois que vous ferez, par une lettre circulaire, de laquelle j’ai sujet de désirer le commencement et tout le progrès qu’on aura remarqué, pour joindre le tout à cette fin que j’envoie, souhaitant que ce béni testament de souffrances qui m’a été laissé, soit exécuté en moi pour marque assurée d’élection faite de moi pour porter en ce pays ou ailleurs le nom de celui en l’amour duquel je désire finir ma vie comme a fait le défunt, et demeurer à jamais, Monsieur et très honoré Père, votre très humble et très obéissant serviteur.

NACQUART,

indigne prêtre de la Mission.

 

1105. — A LOUISE DE MARILLAC

Richelieu, 29 mai 1649.

Mademoiselle,

J’ai reçu la vôtre, qui m’a affligé et consolé en même temps, apprenant votre indisposition et votre guérison

Lettre 1105 — Pémartin, op cit, t II, p 162, I 648

 

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au même moment ; j’en rends grâces à Dieu et le prie qu’il vous fortifie de plus en plus.

Ma petite fiévrotte m’a quitté, Dieu merci. J’achève ma visite et espère partir dans quatre ou cinq jours, Dieu aidant. Je ne suis pas encore sorti de céans pour faire mes visites et n’ai point vu notre sœur ; ce sera demain ou après, Dieu aidant.

Je loue Dieu de la charité que vous a faite Madame la chancelière (1).

J’ai grande douleur de la perte de notre bonne sœur qui est revenue malade de Saint-Denis, et bénis Dieu de la retraite (2) de celles qu’il n’a pas appelées.

Si l’affaire de Saint-Germain n’est point faite, nous en parlerons au retour, Dieu aidant.

Il me semble d’abord qu’il vaut mieux que M. le bailli coule tout doucement, que d’employer tout ce qu’il a en cet office (3) ; peut-être le vendra-t-on plus cher.

Je verrai avec plus d’application les filles d’ici qui se présentent. Je me recommande cependant à vos prières, qui suis en l’amour de Notre-Seigneur…

 

1106. — UN PRÊTRE DE LA MISSION DE BARBARIE A SAINT VINCENT

[Entre 1645 (1) et 1660]

Notre-Seigneur nous a fait la grâce de retrouver deux de nos pierres précieuses qui s’étaient perdues ; elles sont de grand prix et l’éclat en est tout céleste. J’en ai reçu un très grand contentement.

1) Madame Séguier.

2). Retraite, départ.

3). Des démarches furent faites en 1649 pour procurer à Michel Le Gras, bailli de Saint-Lazare, un office à la cour des monnaies. Mais celui-ci n’avait pas encore l’argent suffisant pour cet achat

Lettre 1106. — Abelly, op. cit, 1. II, chap. I sect VII, § 10 1er éd., p 135.

1) Commencement de la Mission de Barbarie.

 

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1107. — BENJAMIN HUGUIER, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

A Tunis, ce 5 juin 1649.

Monsieur,

Votre bénédiction !

Monsieur Le Vacher (1) m’ayant aujourd’hui fait lecture d’une lettre qu’il venait de recevoir de Monsieur Barreau, par laquelle il lui donne part de la mort du bon M. Dieppe, qui fut le 2 mai dernier, j’ai pensé qu’ayant eu le bien de vivre longtemps avec lui au séminaire et d’avoir été envoyé le même jour pour la Barbarie, il était de mon devoir de vous écrire les vertus qu’il a pratiquées, dont j’ai eu connaissance et que son humilité n’a pu cacher.

Son zèle premièrement à se sanctifier pour Dieu et pour le soulagement des pauvres chrétiens me parut lorsque deux jours avant que nous partissions de Paris, il me témoigna la joie d’être choisi, prévoyant, ce que Dieu a permis, que, dans son emploi parmi les esclaves malades ou dans la difficulté d’exercer ses fonctions chez les Turcs, il serait en peu de temps consommé comme un holocauste.

Cela lui fit supporter généreusement les peines du voyage jusqu’à Marseille où il fut la plupart du temps incommodé en sa santé, sans néanmoins manquer à célébrer la sainte messe et réciter son office, bien que, pour son indisposition dans le coche, il fût obligé d’y donner le temps que nous donnions au repos employant le temps où il semblait se récréer, à nous faire entretenir par chants spirituels et à s’instruire de la langue espagnole, travaillant toujours et se reposant ainsi.

Monsieur Portail l’ayant prié d’instruire un pauvre hérétique, qui disait se vouloir convertir et que Monseigneur de Marseille (2) avait envoyé, on ne peut voir plus de douceur et de charité que celle que tous ceux de la maison lui virent exercer ; comme aussi lorsque l’occasion se présenta heureusement de pouvoir être employé, sur la fin d’une mission qui se faisait dans une galère à entendre les confessions générales, où il prit tout ce qu’il y a de fatigue dans les exercices comme grand sujet de joie.

Lettre 1107. — Ms. de Lyon, f° 212 et suiv.

1). Jean Le Vacher.

2). Etienne de Puget (1644, 11 janvier 1668).

 

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Il était dévôt à la très sainte Vierge, en sorte qu’ayant ordre de se préparer pour le voyage, il ne fit point de visite qu’une, où je lui fus donné pour compagnon, à Notre-Dame des Vertus (3), où il célébra après cela. Il témoigna, par une certaine allégresse extérieure, procédant, comme je crois, d’une intérieure, que, dans toutes les tempêtes futures, cette Mère-Vierge lui donnerait, en son Fils, un port de salut.

M. barreau l’appelle homme paisible, sans dol et vrai israélite. C’est ce que j’ai vu dans le séminaire, tout le voyage et depuis.

Vous l’avez très justement nommé pour notre supérieur dans le voyage ; mais il n’en sembla jamais user, quoiqu’il gardât et fit garder ce que nous avions prescrit, ce qui se faisait avec tant de suavité et de condescendance qu’il se quittait, et ses commodités, où il trouvait que nous suivions vos ordres, et qu’il nous contentait d’une douceur, accompagnée de ce sel que demande N.-S., comme nous le remarquâmes à Lyon, où, soupant par occasion imprévue avec trois ou quatre externes, après avoir gardé ce qui se pouvait d’honneur et de civilité, il quitta la table avant la fin du souper, parce qu’un capitaine allemand huguenot, inconnu jusqu’alors entreprit de faire un conte au désavantage d’un religieux. En quoi nous accompagnâmes M. Dieppe, à la confusion de l’hérétique qui pourra une autre fois être plus discret.

Il savait que la convoitise est la reine des vices, et embrassait son contraire, pratiquant la pauvreté en ce qu’il pouvait. Sans parler de ce que j’ai vu de lui au séminaire, puisque mes frères l’ont aussi vu, je l’en vis sortir, avec cette confusion pour moi, qu’étant bien fourni et tout de neuf, un de nos Messieurs me mit devant les yeux qu’il n’avait que son vieux chapeau, son habit et chaussure ordinaires, pour me faire connaître que je devais avoir soin de lui. Tout ce qu’il emporta, après trois petits livres que nous avons au séminaire, fut un vieux bréviaire et une discipline, dont je m’aperçus en chemin, se confirmant dans ce même esprit durant le voyage, où il ne voulut pas se servir de sa supériorité pour acheter ce que l’on trouve en quelques villes où nous passions, mais bien pour faire le chemin à pied depuis Avignon jusqu’à Marseille, non pas que l’argent nous manquât, mais pour imiter, en quelqu’une de ces choses, les voyages de N-S.

J’ai loué Dieu et l’ai remercié, dans le service solennel que nous avons aussitôt fait, de ce qu’il a voulu ainsi dans une carrière commençante, retirer à lui le bon Monsieur Dieppe.

3) A Anbervilliers, près Paris.

 

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Cette mort m est un puissant sermon Dieu veuille que j’en fasse mon profit et que, non content de mourir dans la Barbarie, je meure en vrai missionnaire, serviteur de Dieu et imitateur de N.S..J. C.

Je le demande à Dieu par vos saintes prières étant, Monsieur, en N.-S. J.- C., votre obéissant.

HUGUIER,

f. i. d. l M

 

1108. — A MICHEL THÉPAULT DE RUMELIN (1)

De Paris, ce 7 juin 1649 (2).

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Voici un petit mot de remercîment pour un grand nombre de biens que nos missionnaires de Tréguier (3) reçoivent continuellement de vous, Monsieur, par le logement, les aumônes, les conseils et la protection que vous leur donnez, mais remercîment poussé d’un cœur plein de reconnaissance et de respect pour le vôtre, comme l’image vivante de la charité de Dieu. M. Tholard (4) ne pouvant contenir le ressentiment qu’il en a, l’a

Lettre 1108. — L. s. — Dossier de la Mission, décalque de l’original.

1). Messire Michel Thépault, sieur de Rumelin, licencié en droit civil et canonique, d’abord recteur de Pleumeur-Bodou et de Plougasnou, puis chanoine de la cathédrale de Tréguier et pénitencier du diocèse, fut un grand bienfaiteur des missionnaires et le fondateur du séminaire de Tréguier. Il mourut le 30 août 1677. (Voir le discours du chanoine Daniel dans les Annales de la Congrégation de la Mission, t. LXIII, 1908, p. 191-201)

2). Saint Vincent ne fut de retour à Paris que le 13 juin. (Cf. I, 1110) Ou la lettre est mal datée, ou elle n’est pas partie de Paris. La première hypothèse nous semble la plus probable.

3). Bien qu’il n’y eût pas encore de maison fondée à Tréguier, les missionnaires s’y étaient établis en fait, pour répondre à l’appel de l’évêque, Grangier de Liverdi.

4). Supérieur de la maison de Tréguier.

 

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répandu jusqu’à nous, afin que nos actions de grâces accompagnent les siennes, et nos prières celles qu’il fait pour votre plus grande sanctification. Nous prierons donc Dieu, Monsieur, comme je fais, qu’il soit lui-même votre remercîment et votre récompense et qu’il nous fasse dignes de vous rendre service. Sa divine bonté sait de quelle affection nous le ferons. Pour mon particulier, Monsieur, je vous offre mon obéissance, avec toute l’humilité que je le puis, vous suppliant très humblement d’en user aux occasions et de continuer votre paternelle protection audit sieur Tholard et à son confrère, à ce qu’ils correspondent aux saintes instructions de Monseigneur l’évêque et ne soient inutiles aux âmes, dont le zèle vous fait tant contribuer à leur salut

Notre-Seigneur me fasse part à vos vertus et à vos prières, et me rende digne de l’honneur que j’ai d’être, en son amour, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur !

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur de Rumelin, chanoine en l’église cathédrale de Tréguier, à Tréguier.

 

1109. — A RENÉ ALMÉRAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 18 juin 1649.

J’ai vu par deux de vos lettres l’état des choses de delà. Il ne se faut nullement rebuter pour le peu d’apparence qu’il y a d’y réussir ; c’est un nuage qui passe ; le jour viendra auquel la compagnie aura plus de créance et plus d’appui, et que ceux qui pourront lui faire du

Lettre 1109 — Reg 2, p 230

 

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bien auront plus de charité pour elle qu’ils n’en ont présentement. Les Jésuites furent assez traversés en leur commencement pendant le pontificat de [Paul IV] (1) qui les obligea de porter un capuchon ; et ils le portèrent, en effet, pendant sa vie ; mais après sa mort ils le laissèrent, le nouveau Pape leur ayant été plus favorable. Soumettons-nous à la Providence ; elle fera nos affaires en son temps et en sa manière.

 

1110. — A GABRIEL DELESPINEY (1)

De Paris, ce 19 juin 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Me voici de retour depuis dimanche, en bonne santé, grâces à Dieu. Je viens de recevoir vos lettres avec consolation et grande reconnaissance vers la bonté divine de la bonne conduite qu’elle vous donne et du soin et diligence avec lesquels vous agissez. Je prie Notre-Seigneur qu’il en tire sa gloire, et vous la sanctification de votre chère âme.

M. le gouverneur de Toul n’est pas encore arrivé ; quand il le sera, je lui ferai les remerciements que nous lui devons ; je verrai quel est son sentiment touchant l’évocation. J’attends la dernière résolution que doivent prendre sur ce sujet Messieurs Trélon et Midot. Je me donne l’honneur d’écrire au premier pour réponse à sa lettre. Il faudra bien suivre leurs avis. Comment ferions

1) Nom omis dans la copie.

Lettre 1110. — L. s. — Dossier de Turin, original

1). Né à Grandchamp (Calvados), reçu dans la congrégation de la Mission le 5 août 1645, supérieur à Toul de 1648 à 1652 et à Marseille de 1659 à 1660.

 

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nous donc ? Ne vaut-il pas mieux faillir avec conseil que de hasarder de notre tête ? On m’a dit que Plenevaux est ici ; j’ai chargé quelqu’un de prendre garde qu’il ne nous surprenne au Conseil, y faisant quelque poursuite. J’estime comme inutile d’écrire à M. Midot ; sa charité le pousse assez à nous bien faire, et il sait que la reconnaissance que nous en avons sera éternelle. Donnez-lui tous les témoignages possibles de la mienne et de mon obéissance, et dites à votre chère famille que, prosterné à ses pieds en esprit, je l’embrasse avec toute la tendresse de mon cœur et que je prie instamment Notre-Seigneur qu’il la comble de plus en plus de ses consolations et de ses lumières.

Je me recommande aussi à ses prières et aux vôtres. Je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

J’écris néanmoins à M. Midot.

Suscription : A Monsieur Monsieur Delespiney, supérieur de la Mission de Toul, à Toul.

 

1111. — AU FRÈRE JACQUES RIVET (1)

Du 19 juin 1649.

Dieu sait que la consolation que j’ai reçue de votre lettre surpasse ce que j’en puis dire. Vous ne doutez pas

Lettre 1111. — Reg. 2, p. 297.

1). Saint Vincent l’avait prêté à "l’évêque de Condom pour lui servir de maître d’hôtel pendant l’absence" de celui qui remplissait d’ordinaire cet office ; et ce prélat en était si satisfait "qu’il le voulait retenir pour toujours ; et à la fin on le pressa pour le marier" (Note du Reg. 2)

 

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que toutes celles qui me viennent de votre part ne me soient très chères, puisque vous savez la singulière affection que Dieu m’a donnée pour vous, laquelle eût reçu un notable accroissement, si déjà elle n’eût été entière, comme elle est, en voyant par votre lettre la sincérité de votre cœur et sa fidélité à Dieu, dont je remercie sa divine bonté.

Oh ! je le crois bien, mon cher frère, que vous aimeriez mieux mourir que de quitter Dieu pour les hommes ; car enfin les hommes passent et Dieu demeure. C’est un essai que Notre-Seigneur fait de votre fermeté, pour vous donner une plus grande participation à son amour. La connaissance qu’on m’a donnée, que vous êtes nécessaire à La Rose, fait que je vous prie de vous y en retourner, la présente reçue, et, quand vous y serez arrivé, de me le faire savoir.

Vous avez appris, comme je pense, le voyage que j’ai fait en Bretagne et en Poitou. J’espérais de vous aller voir ; mais la Providence en a disposé autrement et m’a ramené à Paris depuis quelques jours en bonne disposition, par sa divine bonté. Nos maisons où j’ai passé m’ont donné sujet de louer Dieu de la régularité qui s’y observe et de l’union qui y paraît.

Celles de Paris vont toujours bien, grâces à Dieu, et en général toute la compagnie, selon qu’on me le mande. Ce n’est pas qu’il n’y en ait quelqu’un par-ci par-là en qui il y a à redire ; et de cela il ne s’en faut pas étonner, puisqu’entre les disciples de Notre-Seigneur il s’y est trouvé des défauts.

La tendresse de mon cœur m’a fait ainsi parler au vôtre, quoique je n’eusse pas dessein de vous en dire tant.

J’ai toujours confiance en vos prières. Adieu, mon cher frère, tenons-nous bien à lui.

 

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1112. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

Vers juin (1649) (1)

J’ai tressailli d’aise en la ressouvenance du bon Monsieur Dieppe, qui est mort à Alger (2). Je n’y pense jamais que je ne reste embaumé de l’odeur de sa vertu. Le frère Barreau m’en parle par sa dernière lettre, avec de nouveaux sentiments d’estime et de regret, tant il l’a reconnu plein de bonnes intentions et propre à l’emploi qu’il avait entrepris. Plaise à Dieu donner à la compagnie des sujets aussi enflammés dans notre chère vocation !

Je prie Notre-Seigneur qu’il soit votre force pour continuer jusqu’à l’accomplissement de son dessein éternel sur vous.

 

1113. — AU FRÈRE JACQUES RIVET

Du 27 juin 1649.

A Dieu soit la gloire, mon cher frère, et à vous mille bénédictions du ciel pour la fermeté que vous avez à votre vocation, en laquelle sa bonté infinie veut sans doute sanctifier votre chère âme ! Hélas ! que votre consolation sera grande à l’heure de la mort, d’avoir ainsi surmonté les difficultés ! Je prie Notre-Seigneur qu’il vous fortifie de plus en plus de son esprit, pour lui être toujours fidèle.

Je vous ai déjà prié de vous en retourner à La Rose, et peut-être que la présente vous y trouvera ; en ce cas, j’en loue Dieu par avance ; mais si vous êtes encore à

Lettre 1112. — Manuscrit de Lyon.

1) Voir note 2.

2) Le 2 mai 1649.

Lettre 1113. — Reg. 2, p. 298.

 

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Condom, prenez honnêtement congé de Monseigneur l’évêque (I) au plus tôt, et quoi qu’il vous dise ; il vous estimera toujours de vous voir résolu à suivre la voix de Dieu, qui vous appelle à La Rose.

Je vous assure, mon cher frère, que M. votre frère (3) est à Saintes et qu’il y vit content et en très bon missionnaire. Il a auprès de lui votre petit frère (3), où nous l’avons envoyé pour changer d’air, parce qu’il ne se portait pas bien ici.

Adieu, mon cher frère. Priez Dieu pour moi, s’il vous plaît.

 

1114. — A LA MERE JEANNE-MARGUERITE CHAHU (1)

(Vers juin 1649 (2).

Je pensais, ma chère sœur, avoir la consolation de

1) Jean d’Estrades,

2). Louis Rivet. prêtre de la Mission.

3). François Rivet, né à Houdan (Seine-et-Oise) le 28 juillet 1628, entré dans la congrégation de la Mission le 12 octobre 1647, reçu aux vœux le 6 novembre 1650, ordonné prêtre le 1er avril 1656.

Lettre 1114. — Reg. 1, f° 6, copie prise sur la minute autographe.

1). Le nom du destinataire se laisse deviner par le contenu. La lettre a été écrite, après la mort de sainte Chantal, à une religieuse de la Visitation professe d’un des monastères de Paris. Or, des quatre sœurs qui furent placées à la tête de la Visitation de Meaux de 1641 à 1660, et c’est parmi elles que nous devons choisir, toutes ayant été élues aux dates régulières, la Mère Jeanne-Marguerite Chahu est la seule que Paris ait prêtée à Meaux. Reçue au premier monastère de la Visitation en 1621, elle l’avait quitté en 1627 pour aller fonder à Dol, en Bretagne, un établissement, qui fut transféré à Caen en 1631. Les suffrages des sœurs de Riom l’enlevèrent au monastère de Caen un an après la fin de son second triennat. Elle fut supérieure à Riom de 1636 à 1642, à Dijon de 1642 à 1648, à Meaux de 1649 à 1652, à Caen de 1653 à 1659 et mourut le 27 janvier 1660, à l’âge de soixante-trois ans. Après son départ de Dijon, elle passa six mois au couvent de la Conception, rue Saint-Honoré, à Paris, avec mission d’y établir la réforme. (Année sainte, pp. 785-802)

2). La Mère Chahu fut élue supérieure du monastère de Meaux le 20 mai 1649

 

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voir votre chère personne tant désirée, au lieu des lettres que vous m’avez envoyées, lesquelles j’avoue à votre cher cœur qu’elles m’ont beaucoup contristé, voyant la personne du monde que j’ai toujours regardée des plus soumises à la providence de Dieu mettre en difficulté si elle doit consentir au choix que N.-S. a fait d’elle pour la direction de ses chères épouses et vos filles de Meaux ; car il paraît, ma chère sœur, que cette élection est une vraie vocation de Dieu : 1° parce qu’elle est canoniquement faite, à cause que toutes les conditions nécessaires à cela s’y rencontrent. Elle a été faite en la présence du supérieur, du mutuel consentement de la communauté, de celui de votre supérieur, de celui de la supérieure de votre chère maison d’ici, à laquelle l’on a fait plusieurs instances pour vous obtenir, avant qu’elle ait consenti ; que vous êtes libre, et non nécessaire, au lieu où vous êtes, ainsi que vous nous avez mandé par plusieurs fois ; et que tout cela est conforme à votre saint coutumier, au saint concile de Trente, aux avis de notre bienheureuse Mère de Chantal et à l’usage, sans que j’aie jamais ouï dire qu’aucune de votre saint Ordre ait refusé d’obéir à Dieu en pareils rencontres, quoiqu’il y en ait quelques-unes qui y aient fait difficulté d’abord ; et c’est ce qui a donné sujet à notre bienheureuse Mère de dire, en ses réponses à celles qui en feraient de pareilles, ce qu’elle dit sur la constitution 47, Des élections des supérieures, feuillet 647, tout au bas. Et certes, ma chère sœur, ce n’est pas tant notre bienheureuse Mère qui dit cela, comme le Saint-Esprit, qui dit en la session 9e, canon 7, que, si on ne trouve point au même monastère des filles qui aient les qualités qu’il marque qu’il faut à une élection canonique, qu’on en puisse élire une autre du même Ordre.

 

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Au nom de Dieu, ma chère [Mère 3] souffrez que je vous demande ce que vous répondrez à Dieu au moment que vous lui irez rendre compte, à la mort, s'il vous demande pourquoi vous n'avez pas obéi à votre saint coutumier, aux avis de notre bienheureuse Mère, à l'usage invariable de l'Ordre et, qui plus est, au Saint-Esprit même, qui vous parle par la bouche du saint concile. Que si vous dites qu'on n'a pas demandé votre avis avant que de consentir à ce que vous ayez été mise sur le catalogue, il s'en faut prendre à moi, qui n'y ai pas fait attention, pour n'avoir jamais vu l'usage de demander telles permissions aux sœurs dont il s'agit. Mais mon incivilité, s'il y en a, ma chère sœur, ne vous excusera pas devant Dieu. Si vous me dites que votre cher monastère a besoin de vous, je vous réponds, ma chère sœur, qu'il est vrai que notre bienheureuse Mère veut, en ses réponses, que les supérieures des filles aient égard à cela, mais que j'ai vu, par les lettres que vous m'écrivîtes l'année passée, que vos chères sœurs se pouvaient passer de vous ; et queIques-unes que vous avez écrites depuis peu disent la même chose.

Toutes ces raisons font, ma chère Mère, que je vous prie de faire vos exercices spirituels sur cela, pour impétrer de sa divine Majesté la force de lui obéir en cette occasion, ou pour le moins une heure d'oraison mentale, que je vous prie de faire sur ce sujet, que vous pourrez faire une heure durant sur les points suivants : 1° les raisons que vous avez de faire en cette occasion ce que vous voudriez avoir fait à l'heure de la mort ; 2° savoir s'il y a raison de douter que la volonté de Dieu soit en ce qui vous est ordonné par votre saint coutumier,

3) Mot oublié par le copiste.

 

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conseillé par notre bienheureuse Mère, confirmé par l'usage de votre saint Ordre et par le saint-concile de Trente ; 3° de regarder au fond de votre âme et devant Dieu si vous n'avez pas quelque autre dessein que celui [d'obéir 4] plutôt à vos sentiments qu'à Dieu ; auquel cas je vous conjure, ma chère sœur, de passer par-dessus vos sentiments et de donner la gloire à Dieu que lui doit rendre une vraie fille de Sainte-Marie en cette occasion. Je suis dans l'espérance que vous le ferez, et aurai la constante résolution d'être toute ma vie, en l'amour de Notre-Seigneur...

Que si vous dites, ma chère sœur, par votre dernière que vous êtes prête à partir, mais que les paysans de delà vous en empêchent ; au nom de Dieu, ma chère Mère, faites vos efforts et ne laissez pas ce prétexte de désobéissance à votre saint Ordre. Monseigneur l'évêque est trop bon pour vous en empêcher, M. Duvergier trop raisonnable pour n'y pas consentir; et enfin, quand l'on vous fermerait les portes de la ville, M. le gouverneur et Madame la gouvernante auront assez de discrétion pour vous les faire ouvrir. Notre bienheureuse Mère blâmait ces prétextes et se proposait pour exemple que, quand les supérieurs des maisons où l'on l'aurait envoyée l'enfermeraient dans une tour, qu'elle trouverait, avec l'aide de Dieu, moyen d'en sortir pour obéir à son supérieur.

 

1115. —A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

Dernier juin 1619.

J'ai oublié, étant à Richelieu, de vous laisser par écrit

4) Mot oublié par le copiste.

Lettre 1115. — Reg. 2, p. 263.

 

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les matières sur lesquelles se doivent faire vos récréations ; je viens de m'en souvenir, et en voici la liste. Le moyen de s'en bien servir est que le supérieur ou celui qui le représente en son absence, comme l'assistant ou le plus ancien, propose une difficulté et que chacun rapporte bonnement et simplement son opinion sur le sujet, sans répliquer à ce que les autres auront dit, et qu'ensuite celui qui a proposé la question dise son avis et donne conclusion à la pluralité des voix ; ce que nous avons autrefois pratiqué ici fort utilement et de bonne grâce.

Je ne sais si je vous ai prié de destiner quelqu'un qui fasse compagnie à M. ..., quand il va aux religieuses. En cas que vous ne l'ayez pas fait, je vous prie de le faire et de ne permettre pas que qui que ce soit sorte de la maison sans un compagnon qui soit de la compagnie, non tant pour le danger que pour l'exemple.

 

1116. —- A LOUIS THIBAULT, SUPÉRIEUR, A SAINT-MÉEN

Paris, 3 juillet 1649.

Monsieur,

Il y a tantôt quinze ou vingt jours que je suis de retour; mais encore suis-je à peine en état de me reconnaître et de prendre le loisir de vous écrire. Je le fais néanmoins, pour répondre à celle que vous avez écrite à M. Lambert.

Nous allons disposer un prêtre et un clerc, sinon tels que vous les désirez, du moins des plus propres que nous avons. Ils partiront dans huit ou quinze jours. Quand ils seront arrivés chez vous, vous nous renverrez, s'il

Lettre 1116. — Pémartin, op. cit., t. II, p.167 1. 654.

 

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vous plaît, MM. Bureau (1) et Le Blanc (2), et avec eux frère Joseph, en cas que vous ayez assez de frères sans lui. Quant au frère Pascal (3) je souhaite fort qu'il vous donne satisfaction, ou que vous le supportiez quelque temps, en essayant de le ranger à son devoir ; car, s'il est incorrigible, il le faudra enfin renvoyer.

J'ai dit à Mademoiselle Le Gras la peine où vous êtes pour cette fille qu'elle a renvoyée ; elle fera désormais usage de votre avertissement et écrira aux parents de celles qui ne lui seront pas propres, auparavant leur sortie. Si elle ne l'a fait pour celle-ci, elle espère que vous réparerez la faute et que peu à peu vous apaiserez son frère. C'est une bonne fille, à la vérité, mais elle n'a pas le sens commun en certaines choses, qui est une grande infirmité à des filles qui conversent avec le prochain, et pour laquelle cette bonne demoiselle a été obligée de la faire retirer. Cela n'empêchera pas, Monsieur, que celles qui postulent n'y soient reçues, quand vous jugerez qu'il est temps, et que vous nous assurerez de leurs bonnes qualités.

Je suis plein de reconnaissance vers la bonté de Dieu des forces qu'il vous donne après tant de travaux, des grâces qu'il fait à votre famille et des bénédictions qu'il a données à vos missions; et je l'en remercie de tout mon cœur, le suppliant qu'il vous les continue et vous sanctifie tous de plus en plus.

Je salue et embrasse très affectueusement MM. Serre (4)

1) Jean Bureau, né au mois d'août 1609 à Englesqueville (Calvados), entré prêtre dans la congrégation de la Mission le 7 octobre 1639

2) Georges Le Blanc.

3) Jean-pascal Goret.

4) Louis Serre, né à Epinal, ordonné prêtre en septembre 1643, entré dans la congrégation de la Mission le 23 mars 1644, à l'âge de vingt-six ans, reçu aux vœux en juillet 1646. Son premier poste fut Crécy, où il fut supérieur de 1646 à 1648. Envoyé de là à

 

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de Beaumont, Le Blanc, Turbot (5) et autres, particulièrement et plus tendrement vous, Monsieur, à qui je suis, en l'amour de N.-S...

Il nous sera difficile de vous envoyer un prêtre, à ce que je viens de penser, et en ce cas, nous vous enverrons deux frères. Je serai consolé de savoir de combien de personnes vos deux séminaires sont composés.

 

1117. — A HUGUES PERRAUD, PRÊTRE DE LA MISSION, A RICHELIEU

Du 4 juillet 1649

Je suis bien aise de savoir que vous vous disposez au voyage des eaux ; plaise à Dieu qu'elles vous soient salutaires et que lui-même soit votre force pour aller, pour venir et pour bien user des difficultés que sa providence vous fera rencontrer ! Allez donc, Monsieur, allez à la bonne heure, non pour chercher la santé, mais pour accomplir le bon plaisir de Dieu, et revenez aussi content d'être toujours incommodé que si vous étiez guéri, dans l'espérance que Notre-Seigneur n'en sera pas moins glorifié.

Je ne sais pourquoi vous craignez que le supérieur ne vous donne raisonnablement ce qu'il faudra ; il ne voudrait pas vous faire demander l'aumône, quoiqu'il ne veuille pas aussi vous refuser l'occasion d'honorer la pauvreté de Notre-Seigneur en votre dépense. Soyons

Saint-Méen, il y passa presque toute sa vie de missionnaire. Il dirigea cette maison de 1655 à 1665, de 1671 à 1675 et de 1676 à 1681.

5).Jean Turbot, né à Beaumesnil (Eure), entré dans la congrégation de la Mission le 8 mars l694, à l'âge de vingt-trois ans, reçu aux vœux en juillet 1646, ordonné prêtre en mars 1648.

Lettre 1117. — Reg. 2, p. 298.

 

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bien à Dieu, Monsieur, il sera tout à nous, et avec lui nous aurons toutes choses.

 

1118. —A UN PRÊTRE DE LA MISSION, DE LA MAISON DE GENES (1)

Vous êtes bien heureux, Monsieur, d'être si fort occupé en votre office et par conséquent à faire la volonté de Dieu, que vous n'avez pas le loisir de penser à vous. Lui-même y pense assez, et il fait les affaires de votre âme, pendant que vous faites celles de votre vocation, en laquelle je le prie qu'il vous bénisse de plus en plus

 

1119. —A RENÉ ALMERAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 9 juillet 1649.

Je vous prie, Monsieur, comptons pour rien les difficultés présentes de votre établissement. Ce qui ne se fait dans un temps se fait dans un autre, particulièrement à Rome. Vous pouvez relâcher les poursuites, mais ne vous en désistez pas.

Je vois bien qu'il ne faut plus s'attendre à la maison dont vous pensiez traiter ; mais voyez ailleurs, et ne perdez pas quelqu'autre occasion, si elle se présente, sans pourtant la chercher pour encore avec trop d'empressement. Ce qui m'étonne plus, Monsieur, est que ces bons Pères (I) qui autrefois ont souhaité de s'incorporer à nous,

Lettre 1118. — Reg. 2, p. 350.

1).La date du 5 février 1649 que donne le Recueil des Exhortations et Lettres de Saint Vincent, deuxième partie, p. 132, n'offre aucune garantie ; elle semble même tout à fait improbable.

Lettre 1119. —Reg. 2, p. 230.

1) Les prêtres de la congrégation fondée par d'Authier de Sisgau.

 

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aient traversé votre dessein. J'ai peine à le croire ; mais quand il serait vrai, nous ne devons rien ôter du respect et du service que nous devons aux grands serviteurs de Dieu, tels qu'ils sont ; et autant que vous pourrez leur témoigner estime et affection, je vous prie de le faire.

 

1120.—A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GENES

Du 9e juillet 1649.

Il n'y a remède, Monsieur ; vous voilà donc malade, et malade hors de Gênes, éloigné de secours, dans un lieu où les maladies sont grandes et périlleuses par l'intempérie de l'air, a;ainsi que vous-même m'avez écrit. Dieu en soit béni ! Vous me cachez pourtant votre mal ; et si M. Manin ne me l'avait fait savoir, je n'aurais que la crainte de vous savoir dans le danger ; mais Dieu n'a pas voulu me voir sans affliction, pendant qu'il vous tient dans la souffrance ; et la sainte union de nos cœurs ne le permettait pas.

Ce que j'ai fait après cette nouvelle est de présenter à Dieu vos douleurs et les miennes, de lui demander pour vous et pour moi l'acquiescement à son bon plaisir et enfin votre santé, si elle est pour sa plus grande gloire, ou bien un parfait usage de sa visite. Je vous ai aussi recommandé pour tout cela aux prières de la compagnie le plus tendrement que j'ai pu, et je crois qu'un chacun a bien fait son devoir devant Notre-Seigneur, qui sait combien vous nous êtes cher à tous et combien nous serons consolés, s'il a agréable de vous conserver.

Lettre 1120. — Reg. 2, p. 219.

 

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1121. - ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 9 juilIet 1649.

Monsieur

Ayant appris par Monsieur Cuissot que vous étiez à présent à Paris, je n'ai pas voulu différer à vous écrire comme j'eusse fait il y a longtemps, si les occasions se fussent offertes, desquelles les troubles qui ont agité l'État depuis quelque temps, m'ont privé. J'ose bien vous dire que, si je n'ai pas eu le bonheur de communiquer avec vous par lettres, je n'ai pas laissé de le faire en esprit. Il est vrai qu'ayant appris que vous avez pris la campagne pour visiter nos maisons, j'avais eu de l'appréhension que le peu de santé que vous avez, ne fut altéré en une saison et un temps si rude comme il a fait cet hiver. Dieu soit béni de ce qu'il vous a conservé pour son service!

Nos deux députés de Chancelade (1) m'avaient rempli de joie et de consolation, à leur arrivée en ce lieu, en m'ayant rapporté que vous leur aviez dit à Richelieu que vous nous feriez la faveur de visiter votre maison de Cahors. Je ne saurais dire la joie et la consolation que cette nouvelle me causa. Je me proposais de vous garder quelque temps en ce lieu, qui est des meilleurs airs du royaume, pour y recouvrer une parfaite santé, et de vous entretenir de beaucoup de choses. Béni soit notre bon Maître, qui nous a privés de cette consolation Je croyais encore que vous eussiez reçu de la consolation de voir notre séminaire, où vous eussiez trouvé trente-cinq séminaristes, qui vous eussent donné de la satisfaction. Ceux des vôtres qui l'ont vu disent que c'est le plus beau du royaume ; et depuis peu on m'a dit que l'ordre y est mieux observé même qu'en ceux de Paris. M. Cuissot s'acquitte bien de sa charge ; il est important que vous l'y laissiez.

Je crois qu'il vous aura fait savoir comme quoi le grand archidiacre de mon Eglise donna par son testament une sienne métairie à notre séminaire, à une lieue de Cahors, un des plus beaux lieux du voisinage et où il y a un corps de logis bien logeable et assorti de tout ce qu'il faut (2). Ce bien

Lettre 1121. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier copie prise sur l’original.

1) Les Pères Vilet et Parrot.

2) Par testament du 1er février 1649, Claude-Antoine Hébrard de Saint-Sulpice, grand archidiacre de Cahors, avait donné au séminaire sa métairie de Cayran, près de Cieurac.

 

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vaut richement huit mille livres, dans .la jouissance duquel ils sont dès à présent. Il est vrai qu'ils sont obligés d'entretenir un jeune homme pour être d'Eglise, etc.

ALAIN,

év. de Cahors.

 

1122. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

Du 25 juillet 1649.

Je persévère en ce que je vous ai dit touchant ceux qui vont et viennent hors de la maison, qu'il est bon de se tenir à la pratique de Notre-Seigneur, lorsqu'il envoyait ses disciples deux à deux. Il vous est aisé, pendant que vous avez le séminaire interne, de donner un compagnon à ceux qui sortent pour aller à la ville ou aux environs; et ce sera autant de divertissement pour les séminaristes, qui parfois en ont besoin. Et quand même vous n'auriez pas le séminaire, la chose mérite bien que l'on vous donne une personne exprès pour servir de second, autant que se pourra, ou pour faire au logis ce qu'un autre y ferait pendant qu'il en accompagnera quelques-uns deçà et delà. Je dis ceci pour ceux qui sortent à pied ; car, quant à ceux qui vont plus loin à cheval, il suffira qu'un domestique les accompagne.

Il ne se faut nullement étonner des petites mésintelligences qui arrivent ; les anges et les apôtres sont tombés en différend ; et Notre-Seigneur le permet dedans et dehors les communautés pour un plus grand bien ; mais c'est à nous d'en éviter les suites fâcheuses et à nous rallier le plus tôt et le plus intimement qu'il est possible. Que serait-ce, Monsieur, si tout le monde approuvait notre procédé en toutes choses et si jamais nous ne

Lettre 1122. — Reg. 2, p. 177.

 

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trouvions à redire aux déportements des autres ? Il faudrait que Dieu changeât la nature humaine. Je sais que ces deux messieurs ont bonne intention et que l'union se conservera entière entre eux, s'ils veulent donner, comme je n'en doute pas, quelque chose à la douceur et au support tant recommandés par Notre-Seigneur.

 

1123.—ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 28 juillet 1649.

Monsieur,

Je vous écrivis par le dernier courrier une longue lettre. Celle-ci sera seulement pour vous dire que, n'ayant pu trouver en ce pays un ecclésiastique qui eut les qualités requises pour être directeur du monastère des Ursulines de Cahors, et sachant que vous ne vous lassez jamais de travailler pour la gloire de Dieu, je m'adresse à vous pour vous supplier, comme je fais par celle-ci, de m’en procurer un qui ait tout ce qui est nécessaire pour la direction de ce monastère. J'ai tant de confiance en vous que je crois que vous ne m'en adresserez pas d'autre. Je vous prie d'y travailler le plus tôt que vous pourrez, et, en ayant fait rencontre, me donner avis des qualités que vous remarquerez en lui ... Je souhaiterais bien qu'il fût âgé pour le moins de 40 ans, qu'il eut l'expérience de la conduite des religieuses et qu'il fut homme d'oraison.

ALAIN,

év. de Cahors.

1123 bis Présentation à la cure de Romagné

(près de Fougères, Ille-et-Vilaine)

28 juillet 1649

voir le texte à la fin du volume

 

Lettre 1123. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l'original.

 

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1124. — AU FRERE FRANCOIS FOURNIER, CLERC DE LA MISSION,

A AGEN (1)

1er août 1649.

Mon cher frère,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je me réjouis d'apprendre que vous êtes ailé visiter le séminaire de Cahors, et que, ayant été édifié du bon ordre que vous y avez remarqué, vous avez résolu de le faire établir au séminaire d'Agen, où vous êtes directeur. Pour cela et pour la sanctification de toutes vos actions, je supplie Notre-Seigneur qu'il vous anime de son esprit. Voyant votre cœur si empressé et si plein de bonnes intentions, j'ai conçu dans le mien une estime de votre personne bien au-dessus de celle que j'avais déjà. Continuez donc, mon cher frère, à vous donner tout à Dieu, à procurer sa gloire et le salut du prochain et à travailler pour le pauvre peuple, en formant de bons ecclésiastiques, qui soient la lumière du monde et les dispensateurs des trésors du ciel et de la terre. De grâce, considérez les obligations que vous avez à Dieu, qui

Lettre 1124. — Notice manuscrite italienne de François Fournier (Arch. de l'établissement principal des prêtres de la Mission à Rome.) Le texte que nous donnons ici est une traduction de l'italien.

1).François Fournier, né à Laval le 2 février 1625, entré dans la congrégation de la Mission le 12 août 1644, reçu aux vœux le 24 septembre 1646, ordonné prêtre le 25 septembre 1650, professeur de théologie au séminaire d'Agen de 1649 à 1658, puis à celui de Cahors de 1658 à 1663, secrétaire général de sa congrégation de 1663 à 1677, assistant général de 1667 au 4 avril 1677, jour de sa mort. On en a fait à tort l'auteur de la vie de saint Vincent communément et justement attribuée à Abelly. Qu'il ait eu, comme secrétaire général, ulle certaine part dans la préparation des matériaux, c'est fort possible, probable même ; mais là se borna son rôle ; et encore y a-t-il des raisons de croire que, sur ce point, le frère Ducournau fit beaucoup plus que lui. (Noliees, t. I, p 247-267. )

 

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vous a élevé à un emploi si sublime. Souvenez-vous que les moyens de vous comporter utilement dans votre office sont la défiance de vous-même et la confiance dans le Seigneur, qui, s'il avait besoin de l'aide des hommes pour faire réussir ses desseins, aurait mis en votre place un docteur et un saint.

 

1125. —A ANTOINE PORTAIL

De Paris, ce août 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous écris dans une affliction aussi sensible que j'en ai eue longtemps y a. Je viens d'apprendre la perte que nous avons faite du bon M. Brunet (1) ce bon ouvrier du Seigneur, ce grand ami des pauvres et cette lumière de la compagnie. Oh bien ! puisque c'est Dieu qui nous l'a ôté, il faut adorer sa conduite et demeurer en paix. Ce qui augmente ma peine est la crainte que la compagnie de delà soit en danger de la maladie ou dans le mal même ; ce qu'à Dieu ne plaise (2)! Le secours que nous vous pouvons donner, Monsieur, en cette fâcheuse conjoncture, est de prier sa divine bonté, comme je fais et comme nous ferons tous, qu'elle soit votre lumière et votre force ; car de vous donner des avis, nous ne le pouvons pas, ne sachant l'état présent où vous êtes, ni l'événement du mal commencé ; et puis auparavant que

Lettre 1125. — L. s. -- Dossier de Turin, original

1) Sur les détails de cette mort voir la lettre suivante.

2).La peste de 1649, portée à Marseille par des vaisseaux venus d’Alger et du Levant, fit plus de 8 000 victimes, une seule parmi les prêtres de la Mission. Elle dura jusqu'aux premiers jours de l'année 1650.

 

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vous receviez la présente, j'espère que vous aurez donné ordre à tout, non seulement à la conservation de la compagnie, mais encore à l'hôpital et au reste de ses emplois. Si les galères sont sorties du port de Marseille, comme on nous a dit, il est aisé de pourvoir et de satisfaire au surplus, avec la grâce de Dieu, à qui je vous recommande derechef, pour que lui-même soit votre consolation et celle de toute la famille.

Madame la duchesse d'Aiguillon vous doit envoyer 500 livres, savoir 400 livres pour des messes célébrées ou à célébrer, selon l'ordre que vous en avez déjà reçu, et cent livres pour d'autres messes qu'elle vous demande pour l'âme de feu M. de la Coste (3). Si vous avez besoin davantage d'argent, mandez-le-moi, nous vous en enverrons incontinent, et, si besoin est, nous vendrons nos croix et nos calices pour vous secourir.

J'estime que vous êtes déjà parti pour Annecy, et avec vous M. Chrétien, conformément à ce que je vous ai mandé, et que vous aurez laissé la conduite à M. Le Soudier (4) si quelque raison particulière ne vous en a fait user autrement. Et au cas que vous soyez encore à Marseille et que vous puissiez vous dégager, je vous

3) Mort le 24 juillet. Dès les premières atteintes du mal, M. de la Coste avait mis ordre à sa conscience et à ses affaire Il eut la force de dicter son testament, dans lequel nous lisons ces mots : " Je donne à la maison des prêtres de la Mission de France... la somme de seize mille livres..., pour la rente en provenant être employée annuellement et perpétuellement par lesdits prêtres de la Mission de France à l'entretènement du séminaire qu'ils désirent établir pour instruire les ecclésiastiques de toutes les choses qui regardent le perfectionnement de leur état... Si ledit séminaire n'était pas encore pleinement établi .au temps de mon décès, ils emploieront... le revenu desdites 16.000 livres, partie pour faire des missions et remédier aux plus urgentes nécessités qu'ils trouveront en icelles, partie pour l'entretien des ecclésiastiques qui se feront promouvoir aux ordres à chaque ordination " (Vie de M le Chevalier de la Coste, pp. 198-199 )

4). Jacques Le Soudier.

 

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prie de le faire et d'accomplir ce dessus. Je vous écris à Annecy par ce même ordinaire, afin que, de quel côté que ce soit, vous ayez de mes nouvelles. Dieu nous en donne bientôt des vôtres, aussi bonnes que je les souhaite !

J'allais finir sans la pensée qui me vient du bon M. de la Coste, dont Dieu a disposé et dont je ne puis parler qu'avec des sentiments d'estime et de révérence inexprimables, à raison de sa piété, de son zèle et de tant de grâces célestes dont il était rempli. Oh ! qu'il est bienheureux et que j'ai sujet de m'étonner de voir la perte que nous faisons de ces deux grands serviteurs de Dieu, et que je sois encore au monde, inutile que je suis ! Voire même, j'ai raison de craindre que mes péchés ne soient la cause de cette affliction. Je vous prie, Monsieur, de demander miséricorde pour moi, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL,

i.p.d.l.M.

Priez M. Le Soudier qu'il nous envoie une procuration par devant notaire, conforme au mémoire que je vous envoie.

Le frère Alexandre (5) vous prie de lui porter une ou deux livres d'huile de scorpion, et le frère Jean Besson vous demande autre chose. Si vous pouvez faire l'un et l'autre, faites-le, s’il vous plaît, ou celui qui verra la présente en votre absence.

Suscription : A Monsieur Monsieur Portail, ou, en son absence, au supérieur de la Mission de Marseille, à Marseille.

5) Alexandre Véronne.

 

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1126.—A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GENES (1)

[vers le 6 août 1649] (1)

Nous sommes dans une très sensible affliction pour une perte notable que la compagnie vient de faire en la personne du bon Monsieur Brunet, de qui vous m'avez écrit tant de bien et de qui, certes, il ne s'en peut dire assez. Dieu en a disposé le 24 de juillet, et avec lui d'un grand serviteur de Dieu, qui avait le principal soin de l'hôpital des forçats de Marseille et qui en était comme l'auteur et le protecteur. C'est Monsieur le chevalier de la Coste. Voyez comment. Une barque étant venue d'Alger avec la peste, on lui a fait faire la quarantaine à la rade. Pendant ce temps, tous les matelots sont morts, et les hardes et les cordages ont été jetés dans la mer. Quelques pécheurs ayant rencontré un matelas qui surnageait, ils l'ont pris, l'ont fait sécher, s'en sont servis et sont morts de la peste. De là leurs voisins la prirent. Monsieur Brunet les étant allé confesser, ils moururent en sa présence, dès qu'il les eut absous. Lui s'en étant allé à l'hôpital, dîna avec Monsieur de la Coste, lui racontant ce qu'il venait de faire; et incontinent la maladie les prit tous deux. C'était le jour de sainte Madeleine ; et tous deux moururent deux ou trois jours après, quasi à la même heure (3). 0 Monsieur, quelle

Lettre1126. — Manuscrit de Lyon.

1).Le manuscrit de Lyon ne donne pas le nom du destinataire. Les mots " Monsieur Brunet, de qui vous m'avez tant écrit de bien " désignent clairement Etienne Blatiron, que Jean Brunet venait de quitter pour aller à Marseille.

2).Cette lettre, si elle n'est du même jour que la lettre 1125 l'a suivie de très près.

3).Il y a quelques divergences de détails entre ce récit et celui de Ruffi dans la Vie de le chevalier de la Coste (PP. 185-186). Ruffi écrit que le 19 juillet on fit " prier M. Brunet,... qui demeurait

 

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perte pour nous, pour l'hôpital et pour toute la ville ! Mais aussi c'est Dieu qui les a appelés ; son saint nom soit béni !

 

1127.—A UN PRÊTRE DE LA MISSION

[Vers le 6 août 1649] (1)

Avant que de répondre à vos lettres, permettez-moi que je communique à votre cœur l'amertume du mien. Nous venons de perdre à Marseille le bon Monsieur Brunet, qui, après avoir assisté au trépas de quelques pestiférés le jour de sainte Madeleine, s'est trouvé atteint de cette maladie et en est mort deux jours après. C'est à Madame la duchesse d'Aiguillon que l'on a mandé cette triste nouvelle par un courrier exprès. Ce qui augmente notre peine, c'est l'incertitude de l'état de cette pauvre famille, qui souffre dans l'affliction commune et qui est plus exposée au danger que le reste du peuple, lequel se sauve et se cache le mieux qu'il peut.

 

1128.—LOUISE DE MARLLAC A SAINT VINCENT~

Ce samedi. [Août 1649] (1).

Monsieur,

L'ouverture que Madame la duchesse fit de faire nourrir les enfants de lait de chèvre m’a fait penser à un autre expédient,

dans l'hôpital... d'aller aux îles confesser quelques personnes qui y faisaient quarantaine. " Il " y alla,... et à son retour... confessa aussi une pauvre femme, qui mourut dès qu'elle eut reçu l'absolution Il ne se fut pas plus tôt acquitté de cet office qu'il se trouva saisi d'une fièvre si violente qu'il eut peine de pouvoir gagner l'hôpital. M. de la Coste le conduisit lui-même dans sa chambre." Et Ruffi ajoute que, sans regarder au danger qui le menaçait, M. de la Coste soigna Jean Brunet et contracta la maladie à son chevet.

Lettre 1127. — Manuscrit de Lyon.

1) Même remarque qu’à la lettre 1126, note 2.

Lettre 1128. — L a. — Original à l'hôpital d'Evreux.

1) Date ajoutée au dos de l'original par le frère Ducournau.

 

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que, s'il réussissait, l'on les pourrait faire nourrir pour un écu; mais il en faudrait faire un essai avant de proposer et les bailler quand il plaira à votre charité, je vous dirai comment, à cause que cela serait long à vous le mander.

Je vous supplie très humblement, mon très honoré Père, vous souvenir de la supplication que je vous fis hier, et prendre la peine me mander si votre charité accorde à notre sœur Françoise la jardinière ce qu'elle lui demanda hier, et offrir à Dieu au saint autel le renouvellement de quelques autres, nous donner votre sainte bénédiction, comme étant, mon très honoré Père, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE M.

 

1129. —LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Août 1649] (1)

Monsieur,

Depuis cette lettre écrite (2), j'ai pensé qu'il valait mieux l’adresser à votre charité, pour le besoin que cette affaire a d'être vidée promptement; et pour cela je vous envoie celle de ma sœur Julienne (3), qui vous fera connaître le tout. Monsieur Lambert sait ce que c'est ; et tout le mal n'est arrivé que par attache aux confesseurs. Il est bien nécessaire de penser ce que l'on pourra faire pour éviter ces fâcheux rencontres. J'ai grand déplaisir de vous causer tant d’ennui par mes mauvaises conduites. Votre charité se souviendra, s'il lui plaît, que je lui ai déjà parlé de cette pauvre jeune sœur (4) et que vous proposez de la renvoyer Mais elle est très résolue de ne s'en point retourner, et le conseil que la Renée lui a donné est de se lasser mettre dans le coche et en descendre un peu après que l'on l'aura quittée. Ce sont des esprits hardis capables de beaucoup de mal ; c’est pourquoi il en faut avoir pitié Ma pensée est que ce malheur leur arrive pour la hardiesse.

Lettre 1129. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l'original par le frère Ducournau.

2) Une lettre à Julienne Loret.

3).Julienne Loret.

4) La sœur Anne-Marie. La lettre de Louise de Marillac àJulienne Loret (Lettres de Louise de Marillac, 1. 256) précise ce qu'on lui reprochait.

 

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qu'elles ont de recevoir les sacrements dans toutes ces mauvaises dispositions. Dieu nous fasse miséricorde, et à moi la grâce d'être toujours, mon très cher Père, votre très obéissante servante et très obligée fille.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1130. —LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Ce 30 août [1649] (1).

Monsieur et très honoré Père,

Je me doutais bien du besoin que j'avais de venir en ce lieu, duquel je ne vous saurai rendre compte que quand j'aurai l'honneur de vous voir. Monsieur Delahodde, chapelain de Chantilly (2), m'est venu trouver pour me donner quelques avis. Il semble que toute la famille de part et d'autre soit attaquée. Je ne sais ce que notre bon Dieu nous veut dire par ce moyen. Je supplie très humblement votre charité prendre la peine me mander si je passerai à Chantilly pour ce sujet; je crois qu'il serait nécessaire.

J'ai su que Madame de Romilly a appris que la famille de Monsieur Portier qui demeure devant Saint-Paul, est toute telle que nous la saurions désirer (3). Elle vous doit parler de leur part. Je vous supplie très humblement, mon très cher Père, ne lui point parler du bien, si elle ne vous en parle, à cause que ceux qui ont parlé à mon fils de cette affaire lui ont dit que les parents étaient contents du bien, et l'on observe en toutes ces occasions de ne pas dire si clairement ce que l'on a, à cause que cela préjudicie quand les affaires ne se font pas. Les espérances de l'avenir, tant en biens qu'emplois, sont considérables. Ce n'est pas que j'aie intention ni volonté de tromper personne ; Dieu m'en garde ! mais il me semble que la dépense du passé qui a servi à rendre un homme capable d'être employé, est considérable, comme aussi ses dispositions

Lettre 1130. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date marquée au dos de l'original par le frère Ducournau.

2) Les Filles de la Charité y étaient établies depuis deux ou trois ans.

3) Il s'agit d'un projet de mariage. Les pourparlers n'aboutirent pas .

 

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à ne pas dissiper ce que l'on a mais à travailler pour en acquérir ; et c'est ce que j'espère qu'il fera fortement, quand il sera établi. Je supplie très humblement votre charité recommander cette affaire à notre bon Dieu et tous les besoins de notre compagnie, pour y attirer ses grâces et bénédictions et me donner la votre pour son amour par lequel je suis, mon très honoré Père, votre très obéissante servante et très obligée fille

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1131. — A N ***

31 août 1649.

Vincent de Paul parle dans cette lettre de réparations faire a l'occasion d'hosties odieusement profanées par les troupes aux environs de Paris (l).

Lettre 1131. — Collet, op. cit., t. I, p. 479.

1) Les sacrilèges et les profanations s'étaient multipliés aux environs de la capitale durant le blocus de Paris. Des soldats indisciplines étaient entrés dans les églises, avaient volé les ornements brisée les tabernacles, emporté les vases sacrés, avec les hosties Limeil, Croissy, Férolles, Villabé, Antony et Chatillon-sur-Marne furent particulièrement éprouvés. La Compagnie du Saint-Sacrement ému, ordonna une enquête et convia ses membres et même le public à faire amende honorable à Notre-Seigneur. Des missionnaires furent envoyés, par ses soins, dans les localités qui avaient eu le plus à souffrir de la soldatesque. (Cf. d'Argenson, op. cit, p. 106 et suiv.)

 

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1132. —A LOUISE DE MARILLAC

De Paris, ce 2 de septembre [1649] (1).

Mademoiselle,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous êtes un peu trop sensible à la sortie de vos filles. Au nom de Dieu, Mademoiselle, travaillez à acquérir la grâce de l'agrément de pareils rencontres. C'est une miséricorde que Notre-Seigneur fait à la compagnie de la purger de la sorte, et ce sera une des premières choses que Notre-Seigneur vous fera voir au ciel. Vous êtes assurée cependant que nulle de celles que Notre-Seigneur a appelées dans la compagnie abandonnera sa vocation; qu'avez-vous à faire des autres ? Il est vrai que Renée et Mathurine sont sorties et que Anne-Marie ne la fera pas longue, comme il y a apparence ; laissons-la aller; vous ne manquerez pas de filles. M. Thibault me mande qu'il en a trois ou quatre en main, si l'on veut qu'il les envoie. Je lui ai fait réponse que nous résoudrons cela à votre retour, auquel vous pourrez passer à Chantilly ; faites-le donc, s'il vous plaît.

Nous fîmes hier la grande assemblée ; jamais je n'ai vu les dames si animées à ce bon œuvre.

Madame de Romilly m'a parlé de l'affaire que vous savez. Elle dit qu'on donnera quinze mille livres à cette bonne fille et qu'elle en peut espérer encore autant après la mort de ses père et mère. Je lui dis le détail du bien de M. le bailli (2) en la présence de Madame d'Aiguillon,

Lettre 1132 — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de Toulouse, 20, rue Mage.

1) Saint Vincent répond aux lettres 1129 et 1130.

2). Michel Le Gras, bailli de Saint.Lazare.

 

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qui fut d’avis qu’on ne dît pas les choses qu’en gros, comme vous. Cette bonne dame avait charge, du côté de la fille, de s’informer et de la personne et du bien. J’ai vu ensuite le Père Delahaie et lui ai confié cet affaire il m’en doit informer de son côté.

Voilà, Mademoiselle, ce que je vous puis dire pour le présent, si me semble, sinon que je vous prie derechef de remercier Dieu de ce qu’il purge ainsi votre petite compagnie, que je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse, qui suis, en son amour, Mademoiselle, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras à Liancourt.

 

1133. — A MONSIEUR DES VERGNES

De Paris, ce 4 septembre 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu votre paquet (1) avec le respect et la joie que je dois et à votre personne et aux sujets de consolation qu’il contient. Vous pouvez penser, Monsieur, si c’est de bon cœur que j’ai rendu grâces à Dieu de celles qu’il fait à Mgr de Périgueux (2) et des services signalés que réciproquement il rend à sa divine Majesté. Vous m’avez fort obligé, Monsieur, de m’envoyer ses ordonnances

Lettre 1133. — L. s. — Original à l’asile Saint-Vincent à Montpellier.

1) Première rédaction : lettre.

2) Philibert de Brandon (1648-1652).

 

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synodales. Je les ai trouvées dignes de leur auteur et d’un grand présage de bénédiction sur son diocèse. Sa piété et son zèle incomparables ont toujours fait espérer des actions semblables. Dieu le conserve à l’Église un siècle tout entier !

Je ne réponds rien, Monsieur, à la congratulation que vous me faites à son occasion, sinon que je ne la mérite aucunement. Il paraît assez que sa vocation est purement de Dieu et non de l’ouvrage des hommes.

Je n’ai guère tardé d’envoyer au gazetier votre billet sur la conversion du seigneur que vous savez. Plaise à Dieu bénir de plus en plus les travaux de ce grand prélat, afin qu’ils portent de tels fruits !

Vous savez, Monsieur, que nous sommes tous dédiés au service de Nosseigneurs les évêques. Si Monseigneur de Périgueux nous commande de prendre soin de son séminaire, nous lui enverrons des meilleurs sujets que nous aurons, et cela quand il lui plaira. Si vous jugez qu’il soit à propos de l’en assurer, je vous prie de le faire ; je veux dire, au cas qu’il le souhaite, et non autrement. Il est à souhaiter que tels affaires se fassent par le seul mouvement de Dieu, plutôt que par la persuasion de quelqu’un.

Je prie Notre-Seigneur qu’il nous rende dignes de l’honneur de votre bienveillance, et moi de celui que j’ai d’être, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Au cas que mondit seigneur ait agréable de se servir de nous, il nous obligerait de nous le faire savoir deux mois auparavant l’établissement, afin que nous disposions autant d’ouvriers qu’il en désirera.

 

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Suscription : A Monsieur Monsieur des Vergnes, official de Cahors, étant de présent à Périgueux chez Mgr l’évêque, à Périgueux.

 

1134. — AU FRÈRE JACQUES RIVET

Du 5 septembre 1649.

J’ai reçu votre lettre avec consolation d’un côté, pource que c’était votre lettre, et d’un autre avec affliction, pour le sujet qu’il y a de craindre que vous succombiez aux attraits qui vous invitent à quitter votre vocation. Vous voyant dans ce danger, j’ai obligation de vous prêter la main pour vous en tirer, comme je fais par mes prières et par mes lettres. Je vous ai déjà écrit deux fois (1), et voici la troisième, à ce que vous retourniez à La Rose ou à Agen. J’ai prié Monseigneur de Condom (2) de l’avoir agréable, et il y a consenti, après que son maître d’hôtel serait de retour. Or, je sais qu’il est maintenant chez lui ; et vous, mon frère, vous n’êtes pas chez vous. A quoi tient-il ? Vous souvenez-vous point des lumières que Dieu vous a données tant de fois dans vos oraisons, qui vous ont fait résoudre devant sa divine Majesté et témoigner publiquement à toute la compagnie que vous mourriez plutôt que d’en sortir ? Et voilà qu’à la moindre occasion, où il ne s’agit ni de mort, ni de sang, ni de menaces, vous vous rendez sans une résistance telle que le mérite une promesse faite à Dieu, qui est un Dieu ferme, jaloux de son honneur et qui veut être servi à son gré. Il vous a appelé en la compagnie ; vous n’en doutez pas ; il vous y a même conservé contre

Lettre 1134. — Reg, 2, p. 298.

1) Lettres 1111 et 1113.

2) Jean d’Estrades (1647-1660).

 

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les efforts de votre propre père, qui a voulu vous avoir auprès de lui ; et vous avez mieux aimé suivre l’Évangile que de le contenter.

Vous avez vécu parmi nous avec édification, en sorte que Notre-Seigneur a toujours été honoré en votre personne. Voulez-vous maintenant vous en dédire, abuser de ses grâces, vous jouer de sa bonté et tomber dans les repentirs où d’autres sont tombés par le désordre ? Je n’en ai point vu sortir d’aucune communauté à qui Dieu ait fait les grâces que vous avez reçues de sa bonté, qu’un mois après il n’ait ressenti en sa conscience les reproches de Dieu, et en sa vie mille déplaisirs.

Mais j’ai intention de toujours plaire à Dieu, me direz-vous. Hélas ! on ne manque jamais de bons prétextes ; et si vous vous examinez bien, vous trouverez que ce n’est pas pour vous rendre meilleur, plus soumis, plus détaché du monde et de vos aises, plus humble, plus mortifié et plus uni au prochain par charité, ainsi qu’il le faut être pour devenir plus agréable à Dieu. Vous pensez néanmoins, mon cher frère, lui faire service et faire votre salut en vous éloignant de la voie de perfection ; c’est un abus. Si déjà vous n’étiez pas entré dans cette voie des parfaits, à la bonne heure ; mais saint Paul dit que ceux qui ont été une fois illuminés et ont goûté la parole de Dieu, s’ils retombent, ne peuvent que très difficilement être renouvelés à pénitence (3). Comment vous persuadez-vous de vous pouvoir conserver en retournant au monde, puisque, n’y étant pas, vous avez tant de peine à vous surmonter ? Je n’appelle pas monde la maison de Monseigneur de Condom ; mais vous n’en seriez pas loin et peut-être que vous n’y seriez pas longtemps.

3) Épître aux hébreux VI, 4-6

 

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Dieu nous laisse aller de mal en pis, quand nous sortons de l’état où il nous a mis. La défunte reine mère (4) fit un jour commandement à Monseigneur le cardinal de Bérulle de lui renvoyer un page qui s’était retiré à l’Oratoire. Ce saint personnage lui fit réponse qu’il ne pouvait pas ôter à Dieu un jeune homme qui s’était donné à lui, et qu’il ne voulait pas être responsable de son salut. Je me suis servi de cet exemple envers Monseigneur de Condom, afin qu’il m’excuse si je ne puis consentir à votre retraite. Non, mon cher frère, je ne puis y consentir, pour cette raison que ce n’est pas la volonté de Dieu et qu’il y aurait du risque pour votre chère âme. Si vous croyez le contraire, au moins ne sortez point que par la même porte que vous êtes entré en la compagnie. Cette porte sont les exercices spirituels, lesquels je vous prie de faire auparavant que de vous résoudre à une séparation de cette importance. Si la maison de La Rose ne vous revient pas, ni celle d’Agen aussi, venez-vous-en à Richelieu ; vous serez bien reçu partout. La bonté de votre cœur a gagné toutes les affections du mien, et ces affections n’ont autre but que la gloire de Dieu et votre sanctification. Vous le croyez ainsi, je le sais bien, et vous savez aussi que je suis en Notre-Seigneur…

 

1135. — A LA SUPÉRIEURE DU SECOND MONASTÈRE

DE LA VISITATION DE PARIS

De Saint-Lazare, ce jour de la Nativité de la Sainte Vierge.

Je prie notre chère Mère la supérieure de la Visitation Sainte-Marie du faubourg Saint-Jacques de permettre

4) Marie de Médicis, mère de Louis XIII.

Lettre 1135. — L. a — Original chez les Filles de la Charité de la rue des Bourdonnais, à Versailles.

 

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l’entrée de son monastère une fois aux Révérendes Mères de Saint-Jean et de Saint-Joseph, de l’abbaye de Montmartre.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1436. — A RENÉ ALMÉRAS

De Paris, ce 11e septembre 1649.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous avez juste sujet de vous exclamer, comme vous faites, de voir les services de M. Ferentilli (1) si peu reconnus de la France ; mais aussi y a-t-il de quoi excuser M. le C [ardinal] (2), soit à cause des empêchements que les troubles lui ont donnés, que de ceux qui lui restent, pour les raisons que je vous ai écrites. Certes, ce n’est pas faute de bonne volonté ; je lui en ai toujours trouvé beaucoup pour ce bon prélat ; mais par impuissance, il ne lui témoigne pas.

La dispense de M. de La Haye-Aubert, touchant le vicariat d’Aumale, sera scellée au premier jour de sceau, comme j’espère ; je vous ferai savoir ce qu’elle coûtera.

Nous attendons avec patience cette bénite réponse du Pape et croyons avec foi que la volonté de Dieu nous sera connue par icelle ; et partant nous nous y conformerons

Lettre 1136. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Prélat romain très dévoué à saint vincent et à sa congrégation

2) Le cardinal Mazarin.

 

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sans réplique, moyennant sa sainte grâce. Je suis ravi que votre sentiment soit contraire à celui de donner de l’argent pour réussir en cet affaire (3), et que vous veuillez en attendre le succès de la seule Providence. Mon Dieu ! Monsieur, que je souhaite fort que la compagnie soit fortement établie sur cette maxime, qui a la foi pour fondement ! Je ne vous ai écrit cette proposition tortue que pour vous dire qu’elle m’avait été suggérée par M. le C [ardinal] Gr [imaldi], et derechef je vous assure que je suis fort édifié de ce que vous la rejetez.

Je le suis encore beaucoup des stations que vous avez faites aux sept églises en considération du déshonneur rendu ici au Saint Sacrement, dont je vous remercie (4).

M. Duiguin, qui était en Hibernie, est ici depuis quelques jours ; il a laissé à Saint-Méen le frère Patriarche, non encore remis de l’altération de son esprit, pour laquelle M. Brin nous les a renvoyés, bien qu’il s’en trouve mieux notablement. On me mande que ce bon frère, tel qu’il est, est à grande édification à la compagnie, tant il est cordial, gracieux, agissant et tout à Dieu. Nous venons d’en perdre un quasi semblable ; il est mort céans, il n’y a que 3 ou 4 jours, et au bout de 18 ou 20 mois qu’il y a été reçu. Toute la communauté le regrette, et moi j’en suis encore affligé, bien qu’en cela et en toute autre chose j’adore de tout mon cœur la conduite de Dieu. Ce bon enfant s’appelait Simon, venu

3) Probablement l’affaire des vœux. Les vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et stabilité étaient facultatifs parmi les membres de la congrégation de la Mission. Saint Vincent travaillait à les rendre obligatoires pour tous ceux qui entreraient dorénavant dans la compagnie. Six ans devaient s’écouler avant qu’il eût complète satisfaction.

4). Voir lettre 1131 note l.

 

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du Mans (5). Je vous prie de prier et de faire prier pour son âme et pour la mienne aussi, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Alméras, supérieur des prêtres de la Mission de Rome, à Rome.

 

1137. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE LA MAISON, DE ROME

[1649] (1)

La congrégation s’augmente en nombre et en vertu, par la miséricorde de Dieu, ainsi qu’il m’a paru dans les visites et que chacun le reconnaît. Il n’y a que moi, misérable, qui vais toujours me chargeant de nouvelles iniquités et abominations. O Monsieur, que Dieu est miséricordieux de me supporter avec tant de patience et de longanimité, et que je suis chétif et misérable d’abuser si fort de sa miséricorde ! Je vous supplie, Monsieur, de m’offrir souvent à sa divine Majesté.

5) Ce frère Simon ne peut être, si nous consultons le catalogue du personnel, que "Simon Busson, né en la ville et diocèse du Mans, âgé d’environ 22 ans…, reçu à Paris vers le carême 1648" Il n’y avait pas d’autre frère Simon. La notice du frère Busson (Notioes, t. II, pp. 431-438) est erronée sur deux points : il n’est pas mort le 12 septembre et n’est pas resté trois ans dans la congrégation de la Mission.

Lettre 1137. — Abelly, op. cit., 2e édition, 2e partie, p. 146.

1). Date imposée par le mot du saint sur les visites qu’il vient de faire.

 

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1138. — A ÉTIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du 17 septembre 1649.

Si vous êtes enfin logés autrement qu’à louage, il y aura grand sujet de croire que c’est par la puissante main de Dieu et par sa spéciale bonté ; car qui pourrait vaincre sans lui tant et de si grandes difficultés ? Et qui pourrait, sans une grâce particulière du ciel, persévérer constamment en cette entreprise, comme font vos incomparables fondateurs ? Si aussi la chose ne réussit pas après tant d’efforts et de prières, ce sera une évidente marque que Dieu ne le veut pas ; et partant, Monsieur, attendons-en l’issue avec grande indifférence

J’avoue qu’il est difficile que nos frères se contiennent dans l’accablement du travail ; nous en avons ailleurs qui ne font que peu et qui se plaignent beaucoup, qui exercent la patience de leurs supérieurs. Je loue Dieu de celle que vous avez pratiquée envers les vôtres, et en particulier envers le frère…, lorsque vous avez laissé passer le soulèvement de sa bile. Je m’assure qu’il aura reconnu sa faute ; car le support gagne cela, plutôt que les répréhensions, lesquelles néanmoins se doivent faire en leur saison et avec la prudence que Dieu vous a donnée. O Dieu ! Monsieur, que le support nous est nécessaire généralement pour tous et en toutes choses, et que de bon cœur je rends grâces à Dieu de celui qu’il vous a donné ! Demandez-lui-en pour moi, s’il vous plaît, autant qu’il en faut, pour mériter celui que je lui fais exercer depuis 69 ans qu’il me souffre sur la terre.

Lettre 1138 — Reg 2, p 200

 

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1139. — A CLAUDE DUFOUR, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

Du 18 septembre 1649.

Les lettres que je reçois de vous me donnent une très grande consolation, Dieu le sait, à cause de la disposition qu’il vous donne pour les esclaves et les forçats, qui est une grâce si précieuse qu’il ne s’en voit point de plus grande sur la terre ; et ce qui m’en fait remercier Dieu avec un double sentiment de reconnaissance est la fidélité de votre cœur, qui plie et se raidit selon le bon plaisir divin. Or, le service de ces pauvres gens étant d’une vocation extraordinaire, il la faut bien examiner et prier Dieu qu’il nous fasse connaître si vous y êtes appelé ; c’est ce que je vous prie de faire de votre côté et ce que je me propose de faire du mien, non que je doute aucunement de votre résolution, mais pour plus d’assurance de la volonté de Dieu. Aussi n’est-il pas temps d’y aller : la peste de Marseille a fait enfuir les galères et a rendu l’hôpital sans malades ; et la peste qui est en Barbarie nous fera différer d’y envoyer. Voilà donc un peu de patience à prendre en cette attente et une occasion de mieux mériter le bonheur d’un si saint emploi par le bon usage des moindres où vous êtes appliqué, qui sont néanmoins très grands, puisqu’en la maison de Dieu tout y est suprême et royal.

Lettre 1139. — Reg. 2, p. 300.

 

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1140. — AU R. P. FRANÇOIS BLANCHART (1).

De Saint-Lazare, ce jour saint Jérôme (2) 1649.

Mon Révérend Père,

Voici Monsieur de Saint-Paul, religieux de votre saint Ordre et frère de M. de La Bourlerie, sous-gouverneur du roi, qui a désir de passer un mois chez vous, pour voir vos saintes observances et pratiquer celles qui seront conformes au dessein qu’il a de vivre et de faire vivre une petite communauté dans l’observance des règles de saint Augustin, non pas dans l’exactitude de votre sainte congrégation, mais le mieux qui se pourra sans cela. Je lui ai donné la confiance que votre bonté lui fera cette grâce. Je vous supplie très humblement, mon R[évérend] Père, de l’avoir agréable ; en quoi faisant, vous contribuerez à la sanctification de son âme, au salut de celles qui lui seront commises, obligerez une personne qui le mérite et mondit sieur de La Bourlerie, son frère ; et je vous assure, mon R [évérend] Père, que je m’en sentirai aussi fort votre obligé que si vous m’aviez fait cette grâce à moi-même, qui suis, mon

Lettre 1140. — L. a. — Original chez les Filles de la Charité de Mill-Hill, Londres.

1). François Blanchart était d’Amiens, où il naquit en 1606. Après un séjour de courte durée au couvent de Saint-Acheul (1624), puis à l’abbaye Saint-Vincent de Senlis, il vint à l’abbaye Sainte-Geneviève, qu’il quitta pour introduire la réforme et remplir l’office de supérieur au couvent de Sainte-Catherine de Paris, puis à celui de Saint-Denis de Reims. Son mérite le fit choisir pour de plus hautes charges ; il devint assistant, visiteur, général coadjuteur (18 décembre 1644) et enfin abbé de Sainte-Geneviève et supérieur de tout l’Ordre (février 1645). La congrégation des chanoines réguliers de Sainte-Geneviève l’eut à sa tête de 1645 à 1650, de 1653 à 1665 et de 1667 à 1675.

2).30 septembre.

 

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R[évérend] Père, votre très humble et obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne supérieur de la congrégation de la Mission.

Suscription : A mon Révérend Père le Révérend Père abbé de la congrégation de Sainte-Geneviève.

 

1141. — A PHILIBERT DE BEAUMANOIR DE LAVARDIN,

ÉVÊQUE DU MANS

Octobre 1649

Monseigneur,

Je me donne la confiance de vous écrire la présente pour vous faire offre, avec toute l’humilité et le respect que je le puis, de mon obéissance perpétuelle. Je vous supplie très humblement, Monseigneur, de l’avoir agréable et que je vous donne avis qu’il y a ici quantité d’ecclésiastiques, même de quelque condition, qui demandent les bénéfices qui ont vaqué et que vous avez donnés depuis votre sacre, et entre les autres l’archidiaconé et la chanoinie que vous avez donnés, faute par vous, Monseigneur,

Lettre 1141. — Reg. 1, f° 10 copie prise sur l’original autographe.

1) Ce prélat avait encore sur le cœur l’attitude de saint Vincent, qui n’avait pas cru devoir le recommander pour l’épiscopat. Il était venu s’établir au Mans, avant même d’avoir reçu ses bulles. Aussi grand fut l’étonnement de Vincent de Paul quand, arrivant dans cette ville le 2 mars 1649, il sut que l’évêque était là. Il lui fit demander, par deux de ses prêtres, la permission de rester sept ou huit jours au séminaire. Philibert de Lavardin, flatté de cette démarche, acquiesça volontiers et ajouta même qu’il aurait été très heureux de recevoir saint Vincent chez lui. Celui-ci se disposait à aller remercier le prélat quand il apprit son départ. Philibert de Lavardin ne fut pas un évêque modèle. Aussi, le bruit ayant couru après sa mort que, de son propre aveu, il n’avait jamais eu l’intention d’ordonner qui que ce soit, beaucoup se laissèrent convaincre et se firent réordonner.

1) Le bruit était faux. (Cf. Collel, op cit., t. I P 473)

 

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d’avoir manqué de faire enregistrer à la Chambre des Comptes votre serment de fidélité ; faute de quoi, l’on prétend que vous, Monseigneur, n’avez pu disposer de ces bénéfices. Le dernier qui m’a pressé pour cela, c’est un aumônier du roi, qui le demande pour un sien frère, et m’amena un docteur de Sorbonne fort intelligent en ces matières bénéficiales, pour me persuader que c’est au roi à donner ces bénéfices ; mais, par la grâce de Dieu, je tins ferme, et, comme je le pense, avec raison. Néanmoins, pource que les gens qui les demandent sont en grand nombre [et] pourraient obtenir ces bénéfices par quelqu’autre moyen, j’ai pensé, Monseigneur, que, faisant profession particulière de servitude à l’égard de Nosseigneurs les évêques et particulièrement vers ceux qui nous font la grâce de nous supporter dans leurs diocèses, comme vous faites avec beaucoup de bonté dans le vôtre, Monseigneur, que je vous en dois donner avis, à l’effet qu’il vous plaise, Monseigneur, de faire enregistrer votre serment de fidélité, pour ôter le prétexte de ces gens ici et des autres qui se pourront remuer pour cela.

J’ai fait difficulté de me donner la hardiesse que je prends de vous écrire, Monseigneur, dans le doute si vous, Monseigneur, l’auriez agréable ; mais l’importance de la chose et la crainte de manquer à ce que je vous dois, m’ont fait aimer mieux tomber dans la témérité que dans le défaut de fidélité au service que je vous dois, Monseigneur, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. P. d l. M.

 

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1142. — A JACQUES CHIROYE

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien aise que vous ayez reçu payement de la lettre de change que je vous ai envoyée de 1.500 livres et que de cela vous ayez remboursé les sommes que vous aviez auparavant prises, pensant que nous les acquitterions de deçà.

Mais je suis certes plus étonné d’apprendre que Monseigneur (1) ne se lasse jamais de vous donner. Seigneur Dieu, quelle charité ! J’ai eu le bonheur de communiquer avec feu Mgr de Genève (2) plusieurs fois pendant sa vie. Il avait une si grande bonté que celle de Dieu se voyait sensiblement au travers de la sienne ; mais avant ni depuis lui, je n’ai jamais vu personne en qui cette même bonté divine ait mieux paru qu’elle paraît en Monseigneur de Luçon. Je lui fais un mot de remerciement a l’occasion de ses dernières libéralités, plutôt pour éviter l’ingratitude, que pour lui témoigner ma reconnaissance, puisqu’elle est telle que je ne la puis exprimer. Dieu nous fasse la grâce de rendre au diocèse de Luçon les services que cet insigne prélat s’attend de nous et que nous lui devons par tant et tant de raisons ! Je suis consolé de savoir que vous vous étudiez à lui rendre toute la révérence, la soumission et l’obéissance possibles ; aussi ne seriez-vous point excusable, si vous manquiez à un si juste devoir.

Lettre 1142. — L. s. Dossier de Turin, original.

1) Pierre Nivelle, évêque de Luçon.

2) Saint François de Sales

 

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J’écris à Richelieu que l’on vous envoie en diligence un prêtre pour la mission de M. Thouvant (3) ; j’espère qu’il sera chez vous deux ou trois jours après que la présente vous sera rendue. Avant la fin de cette mission, nous penserons à la proposition que vous nous faites touchant M. L., et je vous en écrirai. Plaise à Dieu bénir vos travaux et votre conduite et me faire participant au mérite de vos prières et saints sacrifices ! Je salue cordialement votre petite famille, de laquelle et de vous en particulier je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A Monsieur Monsieur Chiroye, supérieur des prêtres de la Mission, à Luçon.

 

1143. — A RENÉ ALMERAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 8 octobre 1649.

M. Férentilli vous a parlé en Romain quand il vous a conseillé d’avoir des hommes de mise, et certes en ami. Mais quoi ! que feraient à Rome M…. et semblables de cette sorte ? Il ne vous est pas loisible d’y prêcher, ni de confesser dans la maison, ni d’enseigner les ordinands en public ; cui ergo fini ? Pour avoir seulement des gens de bonne mine à l’autel et au réfectoire, et les tirer des emplois qu’ils ont de deçà ! Certes, Monsieur, cette montre d’hommes serait cher vendue à la compagnie, et je ne sais s’il n’y aurait pas quelque chose à

3) Claude Thouvant, chanoine et archidiacre d’Aizenay. (Voir lettre 907, note 6.)

Lettre 1143. — Reg. 2, p. 230.

 

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souhaiter devant Dieu. De dire qu’ils paraîtront dans la paroisse, si une fois vous en avez une, cui fini encore cela ? Et puis, si je ne me trompe, l’on fait peu d’offices et de prédications dans les paroisses de la ville. Que si tant est que la Providence nous donne de l’emploi dans Rome, vous verrez bientôt à vous, non pas de nos anciens, mais ce que nous avons de personnes plus rapportantes au bien de la Mère des Églises. O Jésus ! Monsieur, il faudrait bien vous assortir.

 

1144. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 12e octobre 1619.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Nous avions déjà la parole de Mgr le chancelier (1) et un arrêt signé du rapporteur, pour arrêter les poursuites de Hossard jusqu’à la vérification de notre établissement au parlement (2) ; mais en ayant parlé à M. le premier président (3), il m’a dit que le même parlement casserait tout ce qui pourrait venir du Conseil ; que dans 15 jours il ferait prier M. le procureur général (4) de le venir voir et qu’il tâcherait de le résoudre à donner ses conclusions, lesquelles il nous refuse depuis 2 ou 3 ans. Vous

Lettre 1144. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1). Pierre Séguier.

2). Le parlement enregistra, le 15 janvier 1650, les lettres patentes par lesquelles le roi avait uni à la congrégation de la Mission, au mois d’août 1645, la maîtrise ou prévôté de l’église collégiale et royale de Notre-Dame de Coëffort au Mans et les bénéfices en dépendants.

3). Mathieu Molé.

4). Blaise Méliand.

 

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voyez, Monsieur, que cela requiert que vous tiriez de longue avec M. Hossard.

Comment pourrais-je faire payer à M. Aubert les 20 livres que le fermier a, s’il lui doit, puisque nous ne pouvons nous-mêmes rien avoir de ce qu’il est obligé de nous délivrer ? Il nous excusera, s’il lui plaît.

Je suis bien en peine de ce qu’on a détourné l’ordination, et prie Dieu qu’il vous fasse la grâce de réparer cette faute à la prochaine occasion. J’en écrirai, afin qu’on voie les moyens de la faire, et me ! semble l’avoir déjà fait, comme aussi qu’on contribue de ce qu’on pourra (5) la multiplication du petit et du grand séminaire. Je ne lui écris pas maintenant, ne le croyant pas de retour de son voyage.

Je salue et embrasse cordialement votre chère âme et toute la famille, de laquelle et de vous en particulier je suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Je viens d’apprendre votre indisposition ; j’en ai certes grand déplaisir et l’aurais encore plus grand si je n’espérais qu’à présent vous vous portez mieux. J’en prie Notre-Seigneur de toute mon affection ; et vous, Monsieur, je vous conjure de vous bien aider à vous guérir, n’épargnant rien de ce qui pourra contribuer à cela. J’attends nouvelles plus récentes de l’état de votre santé.

Aurez-vous place et trouverez-vous cent lits à emprunter

5) Première rédaction : "Dieu pardonne à M. L., s’il a détourné l’ordination, et lui fasse la grâce de réparer cette faute à la prochaine occasion ! Je lui écrirai qu’il s’y dispose, et me semble l’avoir déjà fait, comme aussi qu’il contribue à ce qu’il pourra." La correction est de la main du saint.

 

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pour une partie des ordinands ? Je vous prie de m’en écrire ; ils sont obligés de payer leur dépense (6).

Au bas de la première page. M. Gentil.

 

1145. — MAZARIN A SAINT VINCENT

Du 13 octobre 1649.

Monsieur,

Je vous suis bien obligé de vos bons avis et de tout ce que vous m’avez écrit par votre lettre du quatrième de ce mois. Je les ai reçus avec la confiance et l’estime qu’ils méritent ; et véritablement il ne se peut voir un raisonnement plus judicieux, ni plus rempli d’affection pour moi. Je vous en rends mille grâces, vous priant de me continuer dans les rencontres les effets d’un soin si officieux, cependant que pour m’en revancher je chercherai les occasions de vous témoigner, mieux que par ces lignes, que je suis…

 

1146. — ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR A GÊNES, A SAINT VINCENT

19 octobre 1649.

Monsieur,

Il y a quelque temps que je vous écrivis quelque chose touchant la vertu que j’avais reconnue en Monsieur Brunet pendant sa vie, et voudrais à présent me pouvoir ressouvenir de cela même et d’une grande multitude [d’actes de vertu] que je lui ai vus faire et que j’aurais notés et tâché d’imiter si j’eusse été assez soigneux de mon bien. Nous avons fait une conférence sur ce sujet, et mon dessein était de vous en envoyer un recueil au net, mais les continuelles occupations que nous avons ne nous permettent pas de faire aucune chose

6) Ces derniers mots, depuis Auriez-vous place, sont de la main du saint

Lettre 1145 — Arch des Aff Étrang., Mémoires et Documents, France, ms 264, f° 487, copie

Lettre 1146 — Ms de Lyon, f° 223 et suiv

 

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avec loisir, mais tout à la hâte, ainsi que je fais la présente, vous suppliant d’agréer plus ma bonne volonté que mon travail, et tout ce que je vous saurais dire de ce bon serviteur de Dieu n’est rien qu’une ombre en comparaison de la vérité. J’avais prie Monsieur Alméras de faire le recueil des actes principaux de ses vertus ; mais il m’a répondu que c’était une demande trop difficile et que ses actes de vertu étaient en si grand nombre et si excellents qu’on ne pouvait les coucher en une main de papier, que ses vertus se peuvent mieux admirer qu’écrire, parce qu’elles étaient solides et cachées et que sa vie n’était pas tant apparente et pompeuse que solide et intérieure.

Entre autres choses, dit-il, j’admirais sa grande humilité, sa douceur admirable, sa résignation et conformité à la volonté de Dieu très parfait e ; mais ce qui a été plus considérable, c’est sa continuelle et uniforme persévérance en ces vertus-là, de façon qu’étant vieux et ancien il ne le faisait pas connaître et ne faisait l’emeritus miles mais il paraissait un enfant et un séminariste en la pratique de l’humilité, de l’obéissance et en tout le reste. Jusqu’ici ce sont les paroles de Monsieur Alméras.

Voici quelque chose de ce que les Messieurs qui sont à Gênes ont remarqué en ce bon serviteur de Dieu :

1° Une très profonde humilité, s’estimant toujours le moindre. Il prenait un plaisir singulier d être employé aux offices les plus bas et cherchait toutes les occasions de les pratiquer. Quand il fallait balayer, il était le premier pour l’ordinaire et retranchait souvent de sa récréation pour aller à la cuisine laver la vaisselle. Il s’estimait heureux quand il ne se trouvait personne pour servir aux messes, afin de les servir lui-même ; et, si parfois il faisait quelque petite faute en les servant, il s’humiliait au plus tôt et se jetait au pied du prêtre pour lui demander pardon. S’il s’apercevait que quelqu’un eût les pieds crottés, il prenait le temps que personne ne s’en apercevait et nettoyait les souliers en cachette. Il recevait avec grande humilité les habits qu’on lui portait, et rapportait lui-même ceux qu’il laissait, sans en vouloir donner la peine aux frères qui avaient soin de les venir prendre. Il ne se plaignait jamais, qu’une soutane fut longue ou courte ou mal faite. Allant dehors se promener avec quelqu’un de la compagnie, quoique plus jeune, il tâchait toujours de donner la main droite à son compagnon et s’il ne pouvait obtenir le plus bas lieu, il se confondait et rougissait, faisant bien voir par là que ce qu’il en faisait n’était pas par compliment, mais par un vrai sentiment d’humilité. Cette même vertu faisait qu’on ne l’entendait

 

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jamais disputer avec personne. Que si parfois en la conversation il se rencontrait quelqu’un qui eût une opinion contraire à la sienne, il condescendait incontinent avec un souris gracieux, soumettant son jugement à celui d’autrui. Faisant voyage d’Alet à Marseille un jour à pied, il se fit mal à une jambe auprès de Narbonne, et, ayant séjourné huit jours avec son compagnon, avec l’espérance de s’embarquer, ils furent contraints d’aller par terre, et ne pouvant aller tous deux à cheval, pour être courts d’argent, et, d’autre part, le bon Monsieur Brunet ne pouvant plus marcher à pied, ils achetèrent un âne pour le porter avec leurs manteaux, sans selle ni étrier. En cette façon il alla six-vingts lieues. Or je ne saurai jamais vous exprimer la joie qu’il avait en son cœur et qu’il témoignait au dehors de se voir sur cet animal quoiqu’il fut souvent moqué et suivi des enfants, qui le montraient au doigt et criaient après lui. Dans les missions, encore qu’il fut incommodé d’une jambe, comme l’on sait, il ne voulait pas aller à cheval que tous les autres n’y allassent ; et, en tel cas, il choisissait le pire cheval, et le plus mal accommodé et prenait plaisir d’aller à cheval sans selle et sans bride, par les lieux où il était le plus connu, non sans admiration et étonnement de ceux qui le voyaient et le connaissaient.

On peut connaître sa grande obéissance de la parfaite résignation qu’il avait pour demeurer en quelque lieu qui lut fut assigné et à faire quelqu’office ou exercice qu’on eût voulu. Il fut envoyé de Notre-Dame de La Rose à Alet, où il jouissait d’un contentement indicible pour la conversation de Monseigneur d’Alet (1) et pour le grand fruit qu’il pouvait faire pour les âmes. Il y fut trois mois seulement ; et, ayant reçu ordre d’en partir, il ne se troubla aucunement. Étant après envoyé de Rome à Gênes, il n’y fut pas plus tôt arrivé qu’on parla de le rappeler à Rome. Il se montra toujours indifférent et prêt d’aller où l’obéissance l’appellerait. Il fut un jour assigné pour compagnon à un prêtre qui allait dehors. Il se mit aussitôt en devoir de l’accompagner nonobstant qu’il eût une diarrhée, qui le travaillait depuis trois jours ; de quoi son compagnon s’étant aperçu, il lui demanda pourquoi il ne l’avait pas averti de son incommodité. Il lui répondit qu’il n’avait pas estimé se devoir excuser lorsque l’obéissance l’appelait montrant en ceci combien était grande son obéissance et sa mortification. Il était grandement mortifié en tout, et, ce qui était le plus admirable, c’est qu’il s’étudiait tellement à cacher sa vertu que nous n’en savons que la moindre partie.

1) Nicolas Pavillon.

 

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Sa mortification le rendait si ponctuel et obéissant à tous les ordres de la maison qu’il semblait n’avoir point de sentiment, sinon pour obéir, de façon qu’il semble que ce texte de l’Écriture ne se peut pas vérifier en lui : proni sunt sensus hominis ad malum ab adolescentia. Il était si mortifié en la langue qu’on ne le trouvait jamais parler hors le temps, et suivait fort bien le conseil du sage : os sapientis in corde suo. Que si la nécessité l’obligeait à parler, c’était bas et en peu de mots. Il était fort sobre au manger ; et, quand on servait des fruits nouveaux ou quelque portion un peu meilleure qu’à l’ordinaire, il n’y touchait pas de sorte que les frères s’entredisaient en tel cas : la portion de Monsieur Brunet demeurera entière ; ce qu’ils ont vu arriver souvent ainsi qu’ils avaient pensé. Il portait une petite chaîne de fer sur la chair et disait qu’il était esclave de Jésus-Christ. Il portait un crucifix au col d’un demi-pied, sans croix et qui avait trois clous pointus assez longs, lesquels souvent il mettait contre la chair nue pour ressentir et honorer les souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mortificationem Jesu Christi in corpore circumferens, selon le conseil de saint Paul (2). Il ne se plaignait jamais ni de froid, ni de chaud, ni de lassitude ni du manger, ni du boire, ni du coucher, ni de l’incommodité de la chambre, étant loge dans un petit recoin, au-dessous d’un degré où il n’y avait qu’une petite fenêtre et pas une chaise pour s’asseoir ; et personne ne s’en apercevait. Il n’en disait mot et n’en voulait prendre lui-même jusqu’à ce qu’un de la maison l’ayant trouvé qu’il écrivait à genoux, lui en apporta une.

Si le paradis est la récompense des pauvres d’esprit, Monsieur Brunet y aura bonne part, puisqu’il n’avait aucune affection aux choses de la terre ; ce qui se voyait assez. Lorsqu’il recevait quelque médaille livret ou chapelet et chose semblable pour son usage, il ne l’acceptait point qu’à condition de le pouvoir donner, lorsque la charité le requerrait. Et, en effet, il donnait tout ce qu’il avait au premier qui le lui demandait, et lui ayant été demandé pourquoi il donnait si facilement ces choses il répondit qu’un acte de charité vaut plus que tous les biens du monde. Si, par aventure, il oubliait ou perdait quelque chose il ne s’en affligeait nullement, mais disait que, si quelqu’un l’avait trouvé, il en ferait meilleur usage que lui. Quant à la manière des habits il était dans cette pratique de ne rien demander, ni refuser, et montrait plus grande allégresse lorsqu’on lui donnait de vieux habits. Il était extrêmement ponctuel et exact en l’observance des

2) Seconde épître de saint Paul aux Corinthiens IV, 10.

 

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règles, et encore bien qu’il fût logé dans les chambres les plus éloignées, il se trouvait toujours des premiers à l’office divin et aux autres actions de la communauté. Il ne laissait jamais passer le mois, non plus aux champs qu’à la maison, sans se présenter au supérieur pour faire la communication intérieure, quoique bien souvent il ne savait que dire tant il avait sa vie et son âme bien règlées, et, aussitôt qu’il entendait sonner la cloche, il se mettait à genoux et laissait une chose commencée pour courir l’obéissance l’appelait.

Sa simplicité était extraordinaire, non feinte ni dissimulée de façon que qui le voyait ou l’entendait pénétrait jusque dans son coeur. Il ne savait ce que c’était qu’équivoque, et fuyait l’exagération aux choses qu’il avait vues et entendues.

Mais qui pourrait expliquer sa douceur, sa bénignité et cordialité ? Si quelqu’un étant en colère voyait ce bon serviteur de Dieu, il fallait qu’il s’apaisât, et se vérifiaient en lui ces paroles de Jésus-Christ : Beati mites quoniam ipsi possidebunt terram (3), c’est-à-dire, selon saint Augustin possidebunt corda hominum vel subjugabunt. Il aimait fort la solitude ce qui faisait qu’il avait l’oraison et méditation fort familières. On ne le voyait jamais courir d’une part ni d’autre par la maison ; et qui avait besoin de lui n’avait pas grande peine à le trouver, étant d’ordinaire à sa chambre et quasi toujours à genoux ou debout, lisant et faisant oraison en cette solitude et retraite. Il avait acquis une grande union avec Dieu, avec lequel il s’entretenait si souvent et si amoureusement qu’on lui voyait les yeux tout baignés de larmes et une face toute lumineuse qui émouvait à dévotion. Jamais on ne le vit triste ou mélancolique, quoiqu’il se présentât souvent des occasions de l’être, suivant l’ordre de la nature corrompue, mais bien avec la grâce de Dieu en la pratique continuelle des vertus. Il ne se troublait point et conservait sa gaieté, se conformant en tout à la volonté de Dieu et recevant de sa main les choses contraires comme les favorables.

Je finis, parce que l’on me lève la plume de la main, et je suis certain que ce que j’ai dit est fort peu de chose eu égard à ce qui pourrait se dire. Je prie ce bon serviteur de Dieu de vouloir prier pour nous au ciel, où je crois qu’il jouit de la gloire qui ne finira jamais, en l’amour de laquelle je suis Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

ETIENNE BLATIRON,

indigne prêtre de la Mission.

3) Évangile de saint Mathieu V 4

 

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1147. — A GUILLAUME DELATTRE, SUPÉRIEUR, A AGEN

Du 23 octobre 1649.

Je ne vois pas que le mal soit si grand à La Rose qu’on le fait ; il est vrai qu’il s’est passé quelque chose dans l’esprit de M…. ; mais il en est délivré. A ce propos, je vous dirai, non tant pour cela que pour toutes les autres brouilleries, que je crains que quelque mauvais esprit, pour insinuer divorce dans nos maisons et entre nos frères, vous donne des avis peu charitables. Si cela est, Monsieur, donnez-vous à Dieu pour ne le point écouter ; vous en ressentirez une pareille consolation à celle que j’ai eue d’avoir un jour défendu à un serviteur que j’avais avant la naissance de la compagnie, de me faire aucun rapport qui fût préjudiciable à personne, à cause que je reconnus en lui cette pente et que déjà il m’avait voulu donner de mauvaises impressions contre un honnête homme avec lequel je vivais ; il n’osa plus m’apporter de telles nouvelles. Toutes les fois que j’y pense, j’ai le cœur attendri de reconnaissance vers Dieu de cette grâce-là. Les médisances nuisent souvent autant à ceux qui les écoutent qu’à ceux qui les inventent, quand elles ne feraient autre mal qu’inquiéter l’esprit, comme elles font, et donner sujet de tentation d’en parler ou d’en écrire à d’autres.

Je pense bien que l’épargne vous a fait subsister. Je sais que vous avez peu de revenu, que les pensions ne vous aident que petitement et que, la cherté étant grande cette année, il vous sera difficile de vous en tirer ; mais je sais bien aussi que, si vous connaissiez notre impuissance à vous secourir, vous en auriez compassion et ne

Lettre 1147. — Reg. 2, p. 300.

 

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songeriez à rien moins qu’à nous demander. Les guerres passées et la disette présente de quasi tout le royaume empêchent que nous soyons payés et fassions notre petite provision. Je serais certes plus étonné que je ne fus jamais, si Dieu ne m’avait donné un peu de confiance et de soumission à sa providence, voyant d’une part notre pauvreté et d’une autre la grande dépense que nous avons à soutenir. Vous devez régler la vôtre à vos forces et n’en entreprendre qu’autant que vous en pouvez faire. Je dis cela au sujet des pauvres prêtres passants que vous voudriez assister. A la vérité, ce serait très bien fait si vous le pouviez faire ; mais vous devez plutôt satisfaire à la nécessité. De demander à Monseigneur permission d’exercer cette hospitalité, il n’est pas expédient ; il approuvera volontiers les propositions que vous lui ferez pour le bien de son séminaire, mais il n’est pas d’humeur à se contenter des autres qui ne le touchent pas ; si néanmoins vous estimez qu’il lui faille écrire votre besoin, je m’en remets à votre prudence.

 

1148 — A MONSEIGNEUR DENIS MASSARI (1)

De Paris, ce 5e novembre 1649.

Monseigneur,

Je ne saurais vous exprimer avec quelle joie et respect tout ensemble j’ai reçu la lettre qu’il vous a plu me faire l’honneur de m’écrire, venant d’une personne qui m’est si chère et que j’honore tant. Si auparavant j’avais de l’estime pour Votre Seigneurie Illustrissime, sur la relation

Lettre 1148. — L. s. — Arch. de la Propagande, II Africa, n° 248, f° 120, original.

1). Il venait de succéder à Monseigneur Ingoli comme secrétaire de la propagande.

 

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qui m’était faite de ses vertus, maintenant je suis obligé d’avoir de l’amour pour elle et de la reconnaissance, à laquelle j’ajoute ici un renouvellement des offres de mon obéissance perpétuelle, que je vous supplie très humblement, Monseigneur, d’avoir pour agréable, avec celle de notre petite congrégation, qui est toute vôtre J’ai prié Dieu de tout mon cœur, conformément à votre désir, qu’il bénisse l’emploi si important dans lequel sa providence vous a mis. Et parce que j’ai appris des nôtres de delà que Votre Seigneurie Illustrissime, en son entrée dans le collège de Propaganda Fide, avait eu la dévotion de faire faire une communion générale pour cette fin, afin d’y correspondre de notre côté, j’en ai fait faire aussi une céans ; et tous les prêtres de la maison ont célébré pareillement à votre intention. Et s’il plaît à Dieu, nous renouvellerons de temps en temps les mêmes prières, ne pouvant être employées, ce me semble, pour un meilleur sujet.

Permettez-moi, s’il vous plaît, Monseigneur, que je vous demande pour moi l’assistance de vos prières et que je vous assure que je suis et serai toujours, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne supérieur de la congrégation de la Mission.

 

1140. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

Du 9 novembre 1649.

J’ai nouvelles d’une de nos maisons (1) que la mauvaise

Lettre 1149. Reg. 2, p. 131.

1). Cette maison semble bien être le séminaire du Mans, dont Mathurin Gentil était économe.

 

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nourriture qu’on y donne fait de mauvais effets dans les corps et dans les esprits, en sorte que, si la personne qui a le soin de la dépense et qui, pensant épargner, se porte a cet excès de ménagerie (3), ne fait un meilleur ordinaire, après l’avertissement que je lui en fais et la lettre que je lui en écris, je serai contraint d’en mettre un autre à sa place, qui donne raisonnablement de quoi sustenter la famille, comme l’on fait à Saint-Lazare et ailleurs ; car, faute de cela, plusieurs en sont indisposés. Je vous dis ceci, Monsieur, à cause que vous êtes en pareil office, et afin que vous ayez soin, s’il vous plaît, d’éviter semblables inconvénients, tâchant de donner de bon pain, bonne viande et de ne pas vendre le meilleur vin pour en donner de pire, ni exposer la communauté aux plaintes d’un avare traitement. J’ai été si touché de celles qu’on m’a faites de la maison dont je parle, que j’appréhende grandement que d’autres me donnent un même sujet d’affliction ; j’espère que ce ne sera pas de votre côté ; je vous prie d’y faire attention.

 

1150. — ETIENNE BLATIR0N, SUPÉRIEUR A GÊNES, A SAINT VINCENT

Gênes, novembre 1649.

L’Eminentissime Cardinal (1) a été huit jours avec nous et a fait les exercices spirituels avec les missionnaires, au nombre de dix. Oh ! que c’est un grand serviteur de Dieu ! On ne saurait croire avec quelle exactitude et ponctualité il a observé l’ordre des exercices, quoiqu’il soit d’une complexion fort faible et âgé de 56 ans, mais qui montre en avoir davantage par ses continuels travaux, tant spirituels que corporels. Il faisait oraison le matin en commun avec les autres, et à genoux,

2.) Ménagerie, économie.

Lettre 1150. — Abelly, op. cit., 1. II, chap. IV, 1er éd., p. 291

1) Le cardinal Durazzo.

 

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sans se mouvoir depuis le commencement jusqu’à la fin bien que quelques-uns se levassent. Et quant aux autres méditations, que chacun faisait dans sa chambre il les faisait à genoux ou, si parfois il se trouvait un peu fatigué, il me demandait s’il pourrait se lever ; je lui avais déjà dit qu’il le pouvait et que même il était a propos qu’il s’assit quelque peu de temps pour ne se pas trop incommoder ; et il ne laissait pas à chaque fois de me le demander, pour avoir le mérite de l’obéissance. Lorsqu’il communiquait les pensées et les bons sentiments de ses oraisons il le faisait avec autant de simplicité, d’humilité et de dévotion qu’aucun de nous. Sitôt qu’il entendait la cloche pour l’office ou pour les autres exercices de la communauté, il laissait tout et se trouvait des premiers à la chapelle. A table, il voulait être traité comme les autres ; je le suppliai de permettre que nous le traitassions différemment ; à quoi enfin il condescendit. Il montrait avoir peine qu’on lui donnât à laver à part, se voulant conformer aux autres.

Sur la fin des exercices, je le priai de nous donner à tous sa bénédiction, pour impétrer de Dieu la persévérance ; ce qu’il ne voulait pas faire ; mais, au contraire, il voulait absolument que je la donnasse moi-même. Toutefois, après beaucoup d’importunités, il nous la donna. Oh ! mon cher Père, quel exemple de vertu avons-nous devant les yeux !

 

1151. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Entre 1647 et 1649] (1)

Mon très honoré Père,

Pardonnez à ma trop violente appréhension de la chose que j’ai toujours le plus crainte en la personne de qui je vous ai parlé. Les réflexions que je fais en ce sujet (qui augmentent ma douleur) ont été cause que la consolation que Dieu me donne par votre charité ne vous a pas paru. Si vous croyez qu’il y a eu de la conduite de la divine Providence en ma vie, au

Lettre 1151. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Avant 1647, Louise. de Marillac écrit toujours "Monsieur", en tête de ses lettres à saint Vincent ; après 1649, elle ne l’appelle plus que "Monsieur et très honoré Père", ou "mon très honoré Père", ou "mon très Révérend Père". Ici nous trouvons "Mon très honoré Père" au début, "Monsieur" à la fin ; ce qui indique la période 1647-1649

 

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nom de Dieu, mon très cher Père, ne m’abandonnez pas en ce besoin, sinon faites-moi la charité de me faire connaître ma tromperie, pour que je ne meure pas impénitente.

J’ai oublié de vous très humblement supplier pour l’amour de Dieu de dire demain la sainte messe pour mon fils et de faire ce qu’il plaira à Dieu vous inspirer pour lui aider à sortir de la grande peine en laquelle je crois qu’il est, et qui vous ferait grande compassion, si vous la voyiez comme moi.

Je fais tout ce que je puis pour entrer dans les pensées que vous m’avez fait l’honneur de me donner. J’ai soupé mieux que je ne pensais, et veux essayer de donner à Dieu ce qu’il me demande par ce rencontre-ci, que j’espère connaître par les avertissements que votre charité me donnera dont j’ai grand besoin, et d’être autant que Dieu le veut, Monsieur, votre très obligée fille et humble servante.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1152. — AU FRÈRE JACQUES RIVET, FRÈRE COADJUTEUR A LA ROSE

13 novembre 1649.

J’ai reçu vos lettres et par elles une consolation que je ne puis vous exprimer, de vous savoir de retour à La Rose, où je vous adresse la présente, pour vous dire que vous y soyez le bien revenu. Certes, quoi que l’on m’ait écrit de vous, j’ai toujours cru que vous feriez ce que vous avez fait. A la vérité, le pas a été dangereux ; mais la grâce de Dieu a été forte, et vous fidèle à la vocation, dont je bénis mille et mille fois sa miséricorde. Vous eussiez fait du bien auprès de ce bon prélat (1), mais vous en ferez incomparablement davantage, demeurant dans le premier état où vous savez que Dieu vous a mis ; et bien que ce seigneur-là soit grandement vertueux, vous eussiez néanmoins été obligé à converser avec des gens

Lettre 1152. — Reg. 2, p. 301.

1) Jean d’Estrades, évêque de Condom.

 

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qui ne le sont pas tant que lui, dont l’exemple et la conversation vous eussent peut-être trop endommagé. Notre affaire va à gagner le ciel ; le reste n’est qu’un pur amusement ; allons-y donc par les voies plus courtes et plus sûres, comme sont celles d’une vie retirée, de l’acquisition des vertus chrétiennes et évangéliques, et enfin de l’observance de notre petit règlement. Or sus, mon cher frère, je prie Notre-Seigneur, qui vous a conservé dans un tel péril, qu’il accomplisse en vous ses desseins éternels ; sans doute qu’il vous veut élever en sa maison et vous rendre tout sien dans le temps et dans l’éternité. Amen.

 

1153. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

15 novembre [1649] (1).

Quant à l’alliance éternelle que vous désirez contracter avec Notre-Seigneur dans la compagnie, ô Jésus ! Monsieur, je le veux bien, et de tout mon cœur, qui chérit le vôtre plus que je ne vous puis exprimer.

 

1154. —- LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Novembre 1649 (1)

Mon très honoré Père,

Je suis extrêmement fâchée de vous être tant importune, mais l’impossibilité de continuer à recevoir ; les petits enfants

Lettre 1153. — Reg. 2, p. 18.

1). Le manuscrit date la lettre de 1645. Il est fort probable que le copiste a pris un 9 pour un 5. Le 15 novembre 1645, en effet, Marc Coglée était à Marseille, non à Sedan. De plus, il n’a fait les vœux que le 13 décembre 1649.

Lettre 1154 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

 

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nous presse trop. Il y en a présentement sept, à nos deux nourrices, qui ne veulent point boire au biberon, et l’on n’a pas un double (2) pour les mettre en nourrice, ni aucune provision de drap ni linge, et nous n avons aucune espérance d’en pouvoir plus emprunter. Faites-nous la charité, mon très honoré Père, de nous mander si nous pouvons en conscience les voir mettre en état de mourir, car les dames ne font aucun cas de nous donner secours, et je m’assure qu’elles croient que nous faisons nos affaires à leurs dépens, ce qui est bien contraire à la vérité, car de l’argent qu’il fut résolu que nous recevrions pour la nourriture des nourrices, nous n’en avons retenu que cent livres. Je ne sache qu’un seul moyen pour le soulagement de tous ceux qui souffrent en cette œuvre, qui est que nous, au nom de notre compagnie, présentions requête à Monsieur le premier président (3) pour nous faire décharger de recevoir les enfants et en charger qui il lui plaira. Mais il faudrait que les dames agréassent cette action, pour ne choquer personne : sans cela, il me semble que nous sommes en continuel péché mortel.

Il fut hier apporté 4 enfants, et, outre les 7 à la mamelle, y en a trois sevrés, tout nouveau treuvés dont y en a un en chartre (4), et les faut remettre en nourrice s’il se peut. Si nous pouvions porter cette peine sans vous en faire part, je le ferais très volontiers, mais notre impuissance ne le permet pas. Ces bonnes dames ne font pas ce qu’elles peuvent ; pas une n’a rien envoyé, ni il ne se reçoit rien de celles de la compagnie, à cause que la plupart ont avancé leur année. Je supplie Dieu nous faire miséricorde ; je commence à craindre que toute cette misère vienne à cause de moi, qui suis toute telle que je suis, mon très honoré Père, votre très obéissante et très obligée fille.

L. DE MARILLAC.

Je pense qu’il faudrait faire une grande assemblée. La collation de l’Hôtel-Dieu s’en va aussi périr.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

2) Petite pièce de cuivre de la valeur de deux deniers.

3) Mathieu Molé.

4) Maladie du carreau ou de l’atrophie mésentérique.

 

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1155. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

Novembre 1649 (1)

Mon très honoré Père,

Je supplie très humblement votre charité de me donner demain quelque quart d’heure, pour que je puisse regagner ce qu’il m’a semblé que j’avais perdu hier par l’occasion que la divine Providence m’en donnait. Je ne sais si je dois en accuser la crainte ou mon orgueil, qui me fait toujours reculer à parler de moi.

Voilà la réponse de Madame de Romilly. Je vous supplie prendre la peine me mander si je ne laisserai pas d’envoyer votre lettre à Madame la présidente de Lamoignon encore que Madame la princesse (2) ne vienne pas, et s’il est expédient de prier Madame de Brienne, qui est de retour en cette ville. Voilà un petit mémoire que j’ai fait à ce que vous preniez la peine, si vous le jugez à propos, d’en parler à l’assemblée et nous avertir où elle se fera pour le mander à Mademoiselle de Lamoignon.

S’il plaît à votre charité nous mander si nous avertirons nos sœurs de Serqueux de nous envoyer la fille dont elles nous parlent ? Voilà aussi une lettre de Messieurs de Gien. Que leur dirons-nous ? Madame la duchesse de Ventadour (3) ne presse-t-elle point davantage ?

Il s’en alla encore hier une de nos sœurs, avec son habit,

Lettre 1155. — L a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Charlotte de Montmorency, princesse de Condé.

3). La duchesse de Ventadour, née Marie de la Guiche de Saint-Gérand, avait épousé, le 8 février 1645, Charles de Lévis, duc de Ventadour, veuf de Suzanne de Thémines de Montluc, qui avait légué par testament 40.000 livres à saint Vincent pour la fondation d’une mission à Cauna (Landes). Après la mort de son mari (19 mai 1649) Marie de la Guiche chercha sa consolation dans les œuvres de charité. Ce fut une des principales auxiliaires et des meilleures amies de Louise de Marillac. La veille du jour où celle-ci allait rendre son âme à Dieu, la duchesse de Ventadour accourut. Elle soigna la mourante avec tout le dévouement d’une Fille de la Charité, passa une partie de la nuit auprès d’elle, puis, après un court repos revint et resta au chevet de la vénérée malade jusqu’à la dernière minute. Elle voulut tenir elle-même le cierge béni. (Cf. Gobillon, op cit, pp. 178 et 180) La duchesse de Ventadour fut élue en 1683 présidente

 

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sans dire mot, c’est celle de St-Cloud. Que veut dire cela ? Ne faudrait point de nécessité faire quelque répréhension sensible à quelques-unes pour que cela fît perdre cette coutume ? car celle-ci une fois nous a demandé de s’en aller ; nous lui accordâmes et demeura de sa libre volonté. Il me semble que Dieu nous parle par ces rencontres, ou pour détruire l’œuvre, ou pour l’affermir. S’il plaît à votre charité y penser et me dire en toute liberté si je suis le Jonas qu’il faille en tirer ?

Je suis à Dieu pour tout ce qui lui plaira et, Monsieur, votre très obéissante servante et très obligée fille.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1156. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Novembre 1649] (1).

Mon très honoré Père,

Je suis trop importune mais nous sommes tout à fait au point qu’il faut avoir du secours sans retarder, ou tout quitter. Il fut nécessaire hier de bailler tout l’argent de la dépense de céans, à 15 ou 20 livres près, pour avoir du blé pour le, enfants de Bicêtre, et d’en emprunter pour avoir jusques a 4 setiers ; et l’on ne saurait recevoir quoi que ce soit d’un mois d’ici. Il y a céans 12 ou 13 enfants, et l’on n’a point de langes pour les changer. Il faut, s’il vous plaît, que l’assemblée des dames de demain fasse quelque chose, soit la résolution de quêter aux paroisses tous les dimanches, y poser de petits troncs en quelque lieu éminent, les faire recommander par Messieurs les curés et prédicateurs et faire cette quête à la

des dames de la Charité. Elle mourut en son château de Sainte-Marie-du-Mont en Normandie, dans la nuit du 22 au 23 juillet 1701, âgée de soixante-dix-huit ans. Grâce à ses libéralités, cette localité eut dès 1655 son établissement de Filles de la Charité.

Lettre 1156. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). Charlottte de Montmorency, princesse de Condé.

3) Marie de Hautefort, femme remarquable par sa grande beauté, qui lui avait valu dans sa jeunesse les adulations de la cour et les faveurs de Louis XIII, mariée au duc de Schomberg, pair et maréchal de France, comte de Nanteuil, morte le 1er août 1691. (Madame de Hautefort par Victor Cousin, Paris, 1868, in-8°)

 

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cour qui fut proposée. Je crois que si l’on allait parler à Madame la princesse (2) sur ces extrêmes besoins, qu’elle donnerait quelque chose. Cela est pitoyable que les dames se mettent si peu en peine ; il faut qu’elles croient que nous avons bien de quoi faire subsister, ou quelles nous veuillent contraindre à tout quitter ; et pour ces raisons je pense qu’elles ont résolu de ne rien faire du tout.

S’il plaît à votre charité nous faire avertir si nous enverrons des billets pour l’Assemblée et si vous treuvez bon que l’on y mande Madame de Schomberg (3) et Madame de Verthamon (7) ?

Pour le reste que j’avais à vous dire, cela serait trop long ; ce sera plus tôt fait demain de vous en dire un mot, si j’ai l’honneur de vous voir. J’ai grand besoin de très particulière assistance de Dieu, ne voyant, en tout ce qui me touche, que misère et affliction. Dieu en soit béni ! C’est assez vous faire connaître le besoin que j’ai, qui n’a autre espérance de secours et consolation que de votre charité, de qui la Providence a voulu que je sois, mon très honoré Père très obéissante fille et très obligée servante.

L. DE MARILLAC.

S’il plaît à votre charité nous mander si le billet pour la conférence est bien le sujet qu’elle m’a donné, sur la plainte que je vous faisais des sœurs qui demandent d’être changées (7) Je crains que vous alliez aux champs.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1157. — A JEAN GICQUEL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS (1)

Du 5 décembre 1649.

La difficulté que vous avez à faire le débit de la dépense des missions m’oblige à vous prier de vous bien donner à Dieu pour agréer toute sorte d’emplois. Vous

Lettre 1157. — Reg. 2, p. 301.

1) Jean Gicquel, né à Miniac (Ille-et-Vilaine) le 24 décembre 1617, ordonné prêtre au carême de l’année 1642, entré dans la congrégation de la Mission le 5 août 1647, reçu aux vœux le 6 mai 1651, supérieur au séminaire du Mans de 1651 à 1657, directeur de la compagnie des Filles de la Charité de 1668 à 1672. On lui attribue un journal très intéressant des derniers jours de saint Vincent, journal conservé à la maison-mère de la Mission.

 

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devez estimer, Monsieur, que vous faites sa volonté quand vous accomplissez les ordres qu’on vous donne, et vous persuader qu’on s’éloigne de cette divine volonté, quand on suit son propre choix. Ce serait assez de vous dire cela même, au regard des cérémonies ; mais il y a plus, c’est qu’elles sont grandement recommandées dans les Saintes Écritures, où elles vont quasi de pair avec les divins commandements ; ce qui a fait penser que Dieu est autant honoré par les cérémonies, quand elles sont faites dans son esprit, comme il l’est par l’observance de sa loi. Et de là vous pouvez juger de quelle importance est cet exercice et s’il n’y a pas de la tentation à s’en faire exempter. Au nom de Dieu, Monsieur, tenons-nous dans l’indifférence ; appliquons-nous d’une égale affection à tout ce que l’obéissance nous marquera, soit agréable ou désagréable. Nous sommes à Dieu, par sa grâce ; que désirons-nous autre chose que de lui plaire ? Si l’on nous contredit, ce n’est pas merveille ; quel mérite y a-t-il de ne l’être pas ? Et qui est celui qui s’en peut garantir ? Faut-il, pour quelque petite contradiction, désister de faire le bien, et un bien tel qu’est celui de glorifier Dieu ? La personne dont vous m’écrivez, qui trouve à redire à vos cérémonies, a grand tort d’agir comme il agit ; mais j’espère qu’il ne le fera plus. Je lui en ai touché un mot, et peut-être que je lui ferai encore mieux connaître sa faute à la première occasion.

Nous vous enverrons quelqu’un bientôt, Dieu aidant, pour convenir des mêmes cérémonies que nous faisons ici, afin qu’en cela, comme au reste, nous tâchions d’être uni formes.

Je loue Dieu du bien que l’on me mande de vous, qui êtes à exemple de delà. J’en ai le cœur plein de consolation.

 

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1158. — A LOUIS RIVET, SUPÉRIEUR, A SAINTES

Du 8 décembre 1649.

Si M…. m’écrit, je prendrai sujet, en lui faisant réponse, de lui faire sentir qu’il ne nous donne pas la satisfaction qu’il nous a fait espérer, et je tâcherai de lui insinuer un peu plus de soumission et d’indifférence qu’il n’en témoigne ; mais, comme c’est plutôt l’office du Saint-Esprit que celui des hommes, qui peuvent dire, mais non pas toucher, nous prierons Dieu pour cela ; et c’est ce que je vous prie de faire, Monsieur, à ce qu’il l’attire fortement à la pratique des vertus, surtout de l’humilité et de la condescendance ; à quoi vos bons exemples contribueront aussi. Sa correction sera peut-être de longue venue, à cause de son âge bouillant et de la vivacité de son esprit ; mais patience ! cela même nous le doit faire doucement supporter, dans l’espérance qu’un âge plus avancé rabattra les fumées de la présomption et la vigueur de l’appétit, qui, d’ordinaire, se trouve dans les jeunes gens.

Je sais assez, Monsieur, combien il y a à souffrir dans l’office où vous êtes, et je prie Notre-Seigneur qu’il vous fortifie dans les difficultés ; c’est dans ces occasions ou nous acquérons les vertus ; et là où il n’y a point de peine, il y a peu de mérite. Je voudrais qu’il plût à Dieu nous donner une grande indifférence pour les emplois. O Monsieur, que nous serions pour lors assuré de faire sa sainte volonté, qui est notre unique prétention, et que nous aurions de paix et de contentement, ce me semble ! Je vous supplie de lui demander instamment cette grâce pour moi et pour toute la compagnie. Je lui

Lettre 1158 — Reg 2, p 108

 

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lui offre souvent votre âme, qui m’est très chère, pource qu’elle est bien bonne et bien précieuse à Notre-Seigneur, en qui je suis votre…

 

1159. — A RENÉ ALMERAS, SUPÉRIEUR, A ROME

10 décembre 1649.

Je ne puis pas bien vous répondre, au sujet du frère [Doutrelet] (1), que je ne sache à quoi il s’est déterminé et jusques où peuvent aller ses bonnes intentions pour la compagnie, si tant est qu’il soit résolu d’y demeurer. Je vous dirai néanmoins, Monsieur, que, si sa conversion est véritable et si étendue qu’elle embrasse un dessein arrêté de mourir en sa vocation et d’y vivre selon nos usages, une soumission entière aux supérieurs, et l’indifférence aux lieux et aux emplois, et enfin le désir de travailler incessamment à l’acquisition des vertus, si, dis-je, tout cela vous paraît dans la solidité qu’il faut, je consens que vous le reteniez et en essayiez quelque temps. Que s’il se résout à sortir, je n’ai rien à dire, sinon in nomine Domini, et qu’il faut, en même temps qu’il sortira, lui faire signifier la révocation de son titre. Mais s’il veut encore côtoyer ces deux extrémités, marchander avec Dieu et avec la compagnie, n’aller que d’un pied, vouloir faire une chose et non pas une autre, bref, nous être à peine, comme il est depuis quelque temps, je crois qu’il n’en faut pas faire à deux fois et que vous devez tâcher à le résoudre doucement à la retraite et à tirer de lui, si vous pouvez, une déclaration par écrit que, le titre ne lui ayant été fait que pour lui donner moyen de travailler dans la compagnie, il n’entend point

Lettre 1159. — Reg 2, p. 268

1) Voir la lettre 1068

 

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s’en servir, ni en rien demander, attendu sa sortie. Et s’il ne le veut pas faire, ne laissez pas de le mettre dehors, s’il vous plaît ; et dans cet instant, faites-lui notifier la révocation que nous faisons dudit titre et en faites avertir ceux auxquels il se pourrait adresser pour se faire donner les saints ordres, afin d’empêcher qu’il y soit admis. Il est aussi à propos qu’en même temps vous fassiez un procès-verbal de sa mauvaise conduite, marquant les actions plus scandaleuses qu’il a faites, et l’état présent où il se trouve. Vous le ferez signer par quelques-uns de vos prêtres qui ont remarqué ses dérèglements. Vous verrez comment il faudra faire cet acte ; prenez-en avis. Si je ne puis aujourd’hui, je vous enverrai au premier jour la procuration de la compagnie pour faire ladite révocation.

 

1160. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1649] (1)

Monsieur,

Voilà une lettre de Mademoiselle de Villenant par laquelle vous verrez ce que j’ai appris de l’affaire (2). Ce qui m’inquiète est la difficulté que les veuves ont à se défaire de leur office après la mort de leur mari ; l’argent qu’il nous faut treuver pour se faire recevoir et pour la taxe aux parties casuelles ou la peine à en obtenir le don que l’on m’a dit se pouvoir faire ; et de plus la bonne demoiselle qui négocie cette affaire, m’a dit aujourd’hui que ce qui pressait d’avoir résolution est que la personne qui avait été en pourparler de cette affaire devant nous était allée en son pays, et que l’on

Lettre 1160. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2). A la veille du jour où, devait se faire le mariage de Michel Le Gras, sa mère cherchait. à lui assurer une situation honorable. Le projet dont elle parle dans cette lettre n’aboutit pas. Il fallut chercher autre chose. René-Michel de la Rochemaillet, oncle de celle que Michel devait épouser, consentit à céder au jeune homme l’office de conseiller à la cour des Monnaies.

 

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serait bien aise que, à son retour, il treuvat l’affaire faite à un autre. Cela me donne un peu de crainte que l’on ne pense à rompre avec nous. Si cela est, je ne saurai plus que dire.

Toutes les difficultés ci-dessus ne sont qu’en vue du peu d’expérience de mon fils ; mais il a besoin d’éperon pour travailler à bon escient et de quelque moyen de s’occuper par lui-même. Il a, comme moi, l’esprit paresseux ; et pour agir il faut que nous soyons pressés, soit par les affaires nécessaires, soit par nos inclinations, qui, par saillies, nous font entreprendre de faire même des choses assez difficiles.

Monsieur de Marillac (3) voyant les articles (4), a bien vu y avoir quelque chose à désirer, mais néanmoins ne m’a pas conseillé de rompre, encore que l’on ne m’accordât pas ce qu’il m’a conseillé de demander voyant en cette affaire de grands avantages pour nous. Si votre charité venait samedi matin en ce quartier, je la supplie très humblement m’en faire avertir ; ce doit être ce jour-là que l’oncle (5) et la fille (6) doivent venir, et je pense qu’il faudra convenir de tout. Votre cher et bon avis m’aidera beaucoup à prendre résolution. Je vous supplie très humblement me le donner de la part de Notre-Seigneur, par lequel je suis, Monsieur, votre très humble fille et très obligée servante.

L. DE M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1161. — A SIMON LE GRAS, ÉVÊQUE DE SOISSONS

De Paris, ce 15e décembre 1649.

Monseigneur,

J’ai reçu votre lettre et vos commandements comme s’ils me fussent venus de la part de Notre-Seigneur.

3) Michel de Marillac, conseiller au parlement.

4) Les articles du contrat de mariage.

5) René-Michel de la Rochemaillet.

6) Demoiselle Gabrielle Le Clerc, fille du seigneur de Chennevières et de feu dame Musset de la Rochemaillet.

Lettre 1161. — Bibl. de Sainte-Geneviève, ms. 3251, f° 323, copie. L’orthographe de la copie montre que l’original était en entier de la main du saint.

 

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J’étais entré dans vos sentiments, Monseigneur, touchant Madame l’abbesse de Biaches (1), auparavant que je les connusse, et je m’étais servi à peu près des mêmes raisons que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, vers ceux qui m’ont parlé pour elle, et vers elle-même, pour la faire désister de Saint-Jean-des-Bois (2) et résoudre d’accepter Argensolles (3) ; à quoi, Monseigneur, elle s’est enfin déterminée, pourvu que Madame d’Argensolles et ses religieuses y donnent consentement. Je lui dis que j’y travaillerais, et, en effet, j’en fis la proposition bientôt après à M. de Montmaur, beau-frère de ladite dame d’Argensolles (4), lequel j’ai instruit à plein fond du mérite de l’affaire, à ce qu’il s’entremette vers elle, comme volontiers il m’a fait espérer. Du depuis il m’a dit qu’il en a conféré avec une religieuse de l’Ordre, qui fait les affaires de ladite dame, et qu’il l’a priée d’aller à Saint-Germain et de lui en parler, dont nous attendons la réponse.

Entre les difficultés que mondit sieur de Montmaur a prévu que lesdites religieuses d’Argensolles nous feront, la principale est le. sujet qu’elles ont de craindre que, livrant leur maison à des religieuses de pareil Ordre, elles ne veuillent quelque jour passer du positoire au possessoire, et qu’ainsi la propriété leur soit contestée par celles qui n’y ont aucun droit. A cela, Monseigneur, j’ai répondu qu’il en sera fait un traité si authentique que jamais cette prétention n’aura lieu, lequel sera homologué

1) Blanche d’Estourmel. Elle gouverna le monastère de Biaches, au diocèse de Noyon, de 1614 à 1664.

2). Dans l’Oise, près Compiègne. Saint-Jean-des-Bois et Argensolles étaient du diocèse de Soissons.

3). Argensolles est à une lieue d’Epernay. Le monastère avait alors à sa tête Claude de Buade (1630-1681). Il était, comme celui de Biaches, de l’Ordre de Cîteaux.

4). Maître des requêtes

 

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en parlement et ailleurs où besoin sera, et où elles déclareront qu’elles n’entrent dans ce monastère que par simple hospitalité, et s’obligeront de sortir lorsqu’il plaira à Dieu nous donner la paix.

Je me donnerai l’honneur, Monseigneur, de vous faire savoir la suite de cette négociation, qui m’est à bénédiction particulière, puisqu’elle me donne sujet de vous demander la vôtre, comme je fais, Monseigneur, très humblement prosterné en esprit à vos pieds, vous suppliant de croire qu’il n’y a prêtre en votre diocèse qui vous rende obéissance avec plus de soumission et de joie que je ferai, quand vous aurez agréable de m’en donner les occasions ; et c’est ce que j’attends, qui suis, en l’amour de Notre-Seigneur, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

 

1162. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

15 décembre 1649.

Ayant vu la lettre que vous avez écrite à M. Lambert, je prends sujet de vous dire que nous ne devons point nous entremettre pour les affaires de M. le duc (1) : 1° pource que cela donne jalousie à ses officiers de delà ; 2° que ce serait nous rendre importuns envers Madame (2), qui sera fort édifiée, si nous la laissons ; 3° votre prédécesseur (3) ayant donné sujet de penser qu’il s’autorisait

Lettre 1162. — Reg. 2, p. 178.

1) Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu, neveu de la duchesse d’Aiguillon.

2). La duchesse d’Aiguillon.

3). Denis Gautier.

 

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un peu trop de la faveur de madite dame, il a attiré sur lui et sur la compagnie la malveillance du peuple et l’envie des principaux de la ville ; 4° notre profession nous doit faire abstenir de négocier aucune affaire séculière. Et puis, si je ne me trompe, le procureur dont vous parlez me vint trouver quand j’étais à Richelieu et désira de moi la même assistance ; mais j’appris qu’il y avait des raisons particulières pour lesquelles on ne lui doit pas accorder sa demande. Vous n’en parlez aussi, Monsieur, que par simple proposition, et seulement pour ne le pas désobliger par un refus d’écrire pour lui ; ni moi je ne vous dis pas tout ceci tant pour son sujet que pour d’autres occasions qui se présenteront. Dans la nouveauté d’un séjour et d’un emploi, nous avons toujours besoin de quelques avertissements.

Je vous dirai encore, Monsieur, touchant la nourriture du prédicateur, qu’il n’est pas temps de s’en plaindre et encore moins de la rejeter sur les habitants, de crainte qu’ils se confirment dans l’opinion qu’ils ont, que nous sommes des gens avares, et qu’ils nous reprochent que la maison est bien rentée, et que, recevant d’autres personnes en retraite gratis, nous pouvons bien faire la charité à un pauvre Capucin. On verra avec le temps si l’on pourra procurer quelque fonds à la fabrique pour cela et pour le reste. Cependant je vous prie derechef de laisser les choses comme elles sont, sans rien changer ni innover, et cela pour cause.

Ceci vous servira de réponse à la pensée que vous avez eue de faire un papier terrier, un arpentement des terres, etc. Ce n’est pas qu’il n’en faille venir là, mais non de quelque temps ; il nous faut auparavant obtenir l’amortissement du seigneur.

 

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1163. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, le 15 décembre 1649.

Après vous avoir rendu mille grâces du soin qu’il vous a plu prendre de parler à Monsieur le chancelier et lui avoir si bien exposé les raisons qui le peuvent mouvoir à m’accorder la grâce que je lui demande, et vous avoir supplié de me vouloir continuer les mêmes soins près la reine je vous dirai que je tiens mon évocation aussi assurée que si je l’avais entre les mains, parce qu’il ne faut pour cela qu’un commandement de Sa Majesté à Monsieur le chancelier, car, ne m’ayant jamais refusé aucune chose que je lui aie demandée, ce qui a été toujours pour les autres comment pourrais-je douter quelle me refuse cette grâce que je lui demande pour ma chère Épouse, après avoir fait et souffert, comme j’ai fait, pour le service du roi et de Sa Majesté pouvant dire avec vérité que, depuis le commencement de ce trouble jusqu’à présent, je n’ai laissé passer aucune occasion que je n’aie ménagée et employée pour cela. Je n’ai pas même attendu qu’elles se présentassent mais les ai recherchées et me suis opposé fortement et constamment à tout ce que j’ai connu contraire au service de Leurs Majestés, et qu’après cela, me trouvant dans l’extrémité dans laquelle je me vois, elle me refuse sa protection, je ne le saurais croire.

Vous recevrez par les mains des députés une copie de notre conférence, que je n’ai encore envoyée à aucun de Messeigneurs les prélats qui y ont assisté, qu’à Monseigneur de Périgueux, n’ayant pas eu le temps de la revoir et l’examiner ; ce que je ferai après être sorti de mes exercices, que je fais présentement. J’ai ajouté, après vous l‘avoir envoyée, au commencement de l’article de la visite, les mots que vous verrez dans le billet ci-inclus, que j’ai jugé à propos d’insérer comme étant conformes aux conciles et aux saints décrets. Vous verrez comme quoi il a été résolu d’établir des séminaires et que ceux qui ne le pourront enverront les ecclésiastiques de leur diocèse dans le plus prochain Et pour ce qui est de la conduite, nous avons toujours entendu qu’elle fût donnée aux vôtres. Nous demeurâmes aussi d’accord qu’il fallait établir un collège ou maison pour y recevoir les personnes

Lettre 1163 — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original

 

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qui se dédieront au service de Dieu, pour être élevées à la piété et dans l’esprit de l’Église pendant leurs études ; et ce fut pour lors que je dis qu’il en fallait donner la conduite aux vôtres, et apportai plusieurs raisons pour cela. Aussi fut-ce une proposition agréée de toute la compagnie, etc.

ALAIN DE SOLMINHIAC,

évêque de Cahors.

 

1164. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1649] (1)

Monsieur,

Je crois que votre charité se souviendra que je lui ai parlé de cette bonne file de St-Cloud, pour laquelle est cette lettre, que vous prendrez la peine de voir, s’il vous plaît. La divine Providence n’a pas permis qu’elle ait trouvé à vendre ses héritages ; mais elle les donne à loyer à sa sœur, qui est bien solvable et qui lui en doit rendre par an trente écus. Nos sœurs l’affectionnent et ne treuvent pas d’inconvénient de la recevoir, pourvu que votre charité l’agrée.

Nous désirerions bien savoir si les pauvres nourriciers auront quelqu’argent ces fêtes et si les enfants qu’ils rapportent encore à la mamelle, faute de payement, ne seront pas mis en nourrice sur l’argent donné pour y mettre les nouveaux trouvés. L’on fera tout ce que l’on pourra pour leur faire remporter si l’on a quelque chose ; mais déjà il nous en est demeuré.

Nous avons grand besoin de la conduite de Dieu pour l’affaire de mon fils (2) qui, je crois, se donnera l’honneur de vous en parler ayant pris la liberté de demeurer ce soir chez vous, crainte de mauvais rencontre. Il vous dira les incidents fâcheux de cette affaire, qu’il me semble avoir toujours soumise à la volonté de Dieu, en laquelle j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

Lettre 1164. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) Voir lettre 1160 note 2

 

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1165 — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Décembre 1649] (1)

Monsieur,

Je supplie très humblement votre charité bien recommander à Dieu notre affaire (2). J’ai treuvé Mesdames de Marillac (3) bien disposées à nous faire plaisir ; mais la religieuse treuve à propos que je voie Mlle d’Atri (4), pour la faire souvenir des services que feu M. Le Gras a rendus à feu Mme sa mère, et essayer qu’elle fasse pour mon fils quelque disposition, comme M. le comte de. Maure (5) ; et pour cela, je vous prie me permettre d’aller à Port-Royal avec Madame sa femme, qui m’y veut bien mener demain ou après.

Je crains bien que Madame de Herse ait éloigné les dames de se trouver à l’assemblée, par la proposition qu’elle a faite d’y apporter de l’argent. Je pense, Monsieur, qu’il serait nécessaire qu’elle fît entendre que sa pensée n’est pas que ce soit de leur bourse, ni que l’on y voulut obliger personne.

Plus je pense à ce que l’on doit, et plus je crains que l’affaire nous demeure sur les bras. Les nourrices commencent à nous fort menacer et à rapporter les enfants, et les dettes se multiplieront à tel point qu’il n’y aura pas d’espérance de les payer ; et puis la compagnie sera décriée par la campagne plus que la fausse monnaie.

Je pense à cette bonne pauvre femme grosse. Je crois qu’elle pourrait être reçue présentement ; s’il vous plaît que j’en parle, de votre part, à la Révérende. Mère prieure (6) et à Madame Le Vacher, je le ferai très volontiers.

Je n’ai pas eu le temps de voir M. Desbordes (7) comme je

Lettre 1165. — Dossier de la Mission, copie prise chez M. Julien Durand, 263 boulevard Saint-Germain, Paris.

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) L’emploi que Louise de Marillac désirait pour son fils.

3). Jeanne Potier, épouse de Michel de Marillac, et Marie de Creil, veuve de René de Marillac, alors religieuse au Carmel.

4). Marie-Angélique d’Atri, fille de Geneviève d’Attichy. Le mari de Louise de Marillac avait beaucoup fait pour les d’Attichy, après la mort de leurs parents. Il "avait tout consommé, écrit la fondatrice son temps et sa vie, au soin des affaires de" leur "maison, négligeant entièrement les siennes propres".

5). Époux d’Anne d’Attichy, tante de Mademoiselle d’Atri.

6). La prieure des Augustines de l’Hôtel-Dieu.

7) Vicomte de Soudé et auditeur des comptes

 

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m’étais proposé. M..de Marillac m’a donné éclaircissement du plus pressé. N’était que cette affaire est de la conduite de la divine Providence, je l’appréhenderais grandement

Vous savez mes besoins pour obtenir de notre bon Dieu les moyens d’attirer la grâce pour l’exécution, et qu’il veut toujours, ce me semble, que je remette ma volonté et mon petit pouvoir d’agir entre les mains de votre charité pour lui tout offrir ; ce que je fais très particulièrement en ce sujet et tout autre, pour l’accomplissement de ses saints desseins sur celle qui est par sa grâce, Monsieur votre très obéissante servante et très obligée fille.

LOUISE DE MARILLAC.

 

1166 — A LOUISE DE MARILLAC

De Saint-Lazare, ce jeudi, à onze heures. [Décembre 1649 (1)]

Mademoiselle,

Vous avez raison de craindre quelque chose en la nature du dot qui est cet office. Ce qui me fait vous dire ceci, c’est à cause qu’il y a longtemps qu’il est vacant, que cela procède peut-être de ce qu’ils n’ont trouvé de marchand qui le voulût acheter. Vraisemblablement ils le devaient vendre, puisqu’il appartient à plusieurs ; je ne sais point s’il ne serait pas de ceux de nouvelle création, desquels peu de gens veulent acheter ; il est à propos que vous vous en informiez. Mademoiselle Lunis a un neveu de feu M. son mari, qui est de la cour des Monnaies, qui se nomme M. Cocquerel. Celui-ci, par l’adresse de madite demoiselle Lunis, vous pourra dire de quelle nature il est, ce qu’ils valent de prix, combien de gages ils ont, s’ils en sont payés, s’il n’y a point de saisie pour dette, ou d’opposition au sceau.

L’œuvre des enfants est entre les mains de Notre

Lettre 1166 — L a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Cette lettre répond à la précédente

 

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Seigneur. Nous verrons vendredi l’effet de la proposition de Madame de Herse (2) Pour les injures que la compagnie aura à souffrir, puisque c’est en bien faisant, elle sera bien heureuse

Vous me ferez plaisir de parler à ces bonnes religieuses de l’Hôtel-Dieu pour cette pauvre créature, qui n’est pas encore en cette ville et n’y sera de dix ou douze jours.

Vous ferez bien de voir Mademoiselle d’Atri.

Je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse vos travaux et votre affaire, qui suis v. s.

V. D.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1167. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

Du 18 décembre 649.

Je pensais que notre frère Admirault (1) s’en tiendrait à ce que j’ai déjà mandé à M. Benoît (2) pour lui dire, qui

2) D’après Mgr Baunard (op. cit., p. 399), ce serait au discours tenu dans cette assemblée que se rapporterait l’émouvante péroraison si souvent et si justement citée comme un modèle d’éloquence "Or sus, Mesdames, la compassion et la charité, etc.", et ce discours ne serait autre que celui dont le canevas nous a été conservé dans le recueil des Lettres de Louise de Marillac, p. 449 et suiv Cette double affirmation est gratuite et même erronée. (Cf. Saint Vincent de Paul et les Dames de la Charité par P. Coste, Paris, 1917, in-8, p. 32, note 2.)

Lettre 1167. — Reg. 2, pp. 302, 178 Le second fragment commence aux mots : N’y a-t-il pas moyen, Monsieur, de renvoyer à M. Cuissot. Précédait-il ou suivait-il dans l’original le fragment que nous mettons ici en premier lieu ? Nous ne saurions le dire.

1) Claude Admirault, né à Chinon, entré dans la congrégation de la Mission le 20 septembre 1648, à l’âge de seize ans, reçu aux vœux en 1651, ordonné prêtre en décembre 1656, placé au séminaire d’Agen, supérieur du séminaire de Montauban de 1665 à 1675 et de 1686 à 1690, du séminaire d’Agen de 1690 à 1694.

2). Benoît Bécu.

 

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est que nous avons en pratique le conseil de l’Évangile, de ne retourner chez nos parents, après les avoir quittés pour suivre Notre-Seigneur. Vous savez ce qu’il a dit sur ce sujet et comme il détournait ses disciples d’aller en leur pays ; il y voyait de l’inconvénient pour eux, et nous en avons toujours trouvé pour les nôtres en telles occasions. Si vous me dites, Monsieur, pourquoi donc nous vous avons envoyé chez vous, je vous répondrai que c’est parce que vous ne le demandiez pas, comme en effet vous n’y êtes allé que par obéissance. Et puis il y a grande différence de vous à un jeune homme ; vous êtes ancien et, par manière de dire, confirmé dans la compagnie ; et lui au contraire est frêle et commençant. Je vous prie donc de le détourner de cette visite et d’en ôter l’espérance à ses parents.

N’y a-t-il pas moyen, Monsieur, de renvoyer à M. Cuissot (3) le frère qu’il vous a prêté ? Ce mot de prêter n’oblige-t-il pas à rendre ? Et si vous le lui avez promis, n’êtes-vous pas doublement obligé à vous en acquitter ? Il ne sert de dire que vous lui avez laissé Robin (4) puisqu’il ne cesse de réclamer Bernard (5). La bonne foi doit être gardée parmi nous. Quelque besoin que la maison de Richelieu ait de ce frère, il est toujours vrai qu’il appartient à celle de Cahors, qui d’ailleurs en a grandement à faire. Vous savez qu’il y a environ 40 personnes et qu’il n’y a que trois ou quatre frères, au lieu que vous en avez pour le moins cinq. S’il vous en faut davantage, prenez un domestique et renvoyez ce frère ; je vous

3) Supérieur du séminaire de Cahors.

4). Jacques Robin, né à Mortiers (Charente-Inférieure), entré dans la congrégation de la Mission le 8 mars 1644, reçu aux vœux le 7 septembre 1648.

5). Bernard Gazet, né à Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), reçu dans la congrégation de la Mission à La Rose le 26 février 1647, à l’âge de vingt-deux ans.

 

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supplie que ce soit au plus tôt. L’ordre veut que les frères ne puissent, non plus que les prêtres, quitter une maison pour aller dans une autre, ni demeurer dans cette autre par leur choix ni par celui des supérieurs particuliers, si le général ne l’a ainsi déterminé ; c’est ce que j’écrivis dernièrement à Cahors, à Agen et à La Rose, où il est arrivé des noises par le changement des frères.

 

1168. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT.

Ce 20 décembre 1649.

Monsieur,

J’ai eu assurance que la charge est à ceux qui en disposent, et que personne ne la saurait acquérir sans leur démission.

Notre affaire continue. J’ai trouvé la personne dont je vous parlai hier, hors de passion, et a bien fait ce matin ce qu’il devait faire. Je supplie très humblement votre charité continuer de la recommander à Dieu.

Mademoiselle de Villenant vous supplie très humblement qu’elle vous puisse parler avant jeudi ; et pour cela, Monsieur, s’il vous plaît lui dire le lieu auquel elle se donnera l’honneur de vous aller trouver, vous prendrez la peine me le mander s’il y a moyen par notre sœur qui porte la présente. C’est une affaire d’importance, pour la gloire de Dieu et pressée.

J’ai été bien fâchée de n’avoir point passé chez Monsieur Desbordes le cocher s’est mépris, ne sachant pas le chemin.

Voilà l’éclaircissement du doute que nous avions, s’il plaît à votre charité qu’il ne soit pas égaré et me faire toujours l’honneur de me croire, Monsieur, votre très obéissante et très obligée fille et servante.

L. DE MARILLAC.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent, général des vénérables prêtres de la Mission.

Lettre 1168. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1) Date ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau

 

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1169. — A ETIENNE BLATIRON, SUPÉRIEUR, A GÊNES

Du dernier de l’an 1649.

J’avais bien prévu que votre voyage de Rome se ferait à contretemps si vous l’entrepreniez dans la conjoncture présente de vos affaires ; et je vous ai mandé de le différer, si vous le jugiez convenable Votre compagnie a eu raison aussi de le désirer, mais elle a mal procédé dans la manière de vous retenir : 1° parce qu’elle doit déférer à la conduite du supérieur et aux ordres du général ; 2° qu’elle ne s’est pas adressée à moi pour me représenter les inconvénients de votre éloignement ; 3° de ce que pour l’empêcher elle a eu recours à des moyens extérieurs, ayant imploré l’aide de ceux qui ne sont pas de la congrégation ; car encore que nous devions obéissance aux prélats quant à nos emplois envers le prochain, la direction intérieure appartient néanmoins au supérieur et aux officiers de la compagnie ; 4° dans une famille, on ne voit que les raisons particulières qui la regardent ; et nous voyons non seulement celles-là, mais les raisons générales pour lesquelles on doit ordonner les choses, lesquelles étant inconnues aux particuliers, ils ne doivent pas aussi mettre empêchement à ce qui n’est pas de leur ressort. Enfin, Monsieur, la compagnie est tombée en sa naissance dans le désordre où d’autres ne se trouvent qu’après plusieurs siècles ; et le chemin à la division demeure ouvert, quand les sujets improuvent ce que font les supérieurs. Je veux croire que les vôtres n’ont pas fait réflexion à cela, et partant je les excuse ; mais ne laissez pas de faire entendre au visiteur, qui sera bientôt chez vous, ce que je viens de

Lettre 1169. — Reg 2,. p 264

 

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vous écrire, afin qu’il leur en parle de si bonne façon qu’ils ne tombent plus dans une telle faute.

Vous me dites qu’il y a un surveillant chez vous qui remarque et qui rapporte ce qui se passe ; je vous prie de me dire si c’est un Français, et son nom en termes couverts. Je sais que vous menez tous une vie où non seulement il n’y a rien à reprendre, mais qui est pleine d’édification ; néanmoins je confesse qu’il est bien fâcheux d’être ainsi syndiqués (1), pource que les esprits adonnés à cela ne jugent jamais des choses selon qu’elles sont, mais selon qu’ils sont eux-mêmes.

 

1170. — ALAIN DE SOLMINIHAC A SAINT VINCENT

De Mercuès, 5 janvier 1650.

Monsieur,

Je vous rends très humblement grâces des offres que vous me faites de vos assistances tant pour l’affaire de Chancelade que pour notre évocation. La croyance que j’ai eue que vous auriez cette bonté pour moi, m’a fait en user comme je fais en votre endroit ; et comme je n’ai pas moins d’affection pour votre service et dévote congrégation que pour mes propres affaires, je ne fais pas difficulté de vous employer, comme je fais, dans les occasions. Si Monsieur le chancelier refuse de m’accorder ce que je lui demande, et que la reine ne lui commende pas de me le donner, cela refroidira bien en ce pays les esprits au service du roi, quand on le saura ; car si, après m’être exposé comme j’ai fait, on m’abandonne, que croiront les autres qu’on fera d’eux ? Nous en attendrons l’événement.

L’approbation que vous donnez à notre conférence fera que je l’en estimerai davantage. Il s’y est bien résolu beaucoup d’autres choses qui n’y sont pas couchées par écrit entre autres une qui vous regarde et que peut-être j’ajouterai, si vous le jugez à propos c’est de faire instance à notre Saint-Père à ce qu’il ne donne plus de rescrits de promovendo a quocumque

1) Syndiqués, censurés.

Lettre 1170. —- Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original

 

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episcopo, sur les Vertus de l’Ordinaire ni d’extra tempora. Monseigneur de Périgueux s’est chargé d’en écrire, de ma part de l’assemblée, à Monseigneur le cardinal Dataire, auquel j’en ai écrit par avance et lui mande les grands maux que cela cause dans nos diocèses, que c’est la ruine de nos séminaires, qui sont établis principalement pour éprouver la vocation des ecclésiastiques ; ce qui est tant recommandé par les saints canons. Tous les prélats du royaume se devraient joindre à nous pour cela.

L’on se bat tous les jours à Bordeaux (1), et la désolation est si grande en ce pays-là que cela n’est pas croyable.

Je ne me suis jamais plaint du Père Faure, jacobin, de ce qu’il refusa de prêcher dans notre chaire, ne le pouvant pas faire, parce que je ne lui avais jamais parlé, ni vu, ni écrit ; c’est de son provincial, auquel j’avais promis notre chaire, et qui m’avait assuré que le P. Faure viendrai prêcher.

Ce n’est pas le vicaire de Puy-l’Evêque (2) qui demande d’entrer dans votre compagnie ; c’est un autre qui sert une des annexes de cette paroisse, natif de ce lieu, les esprits duquel sont bien différents de ceux de Gourdon. Celui-ci est doux et vertueux et a étudié en théologie. Il a ce défaut de n’y voir que d’un œil sans difformité. Néanmoins il a eu un rescrit de Rome pour avoir la dispense, parce que c’est celui du canon et je lui ai baillé les ordres. Monsieur Cuissot m’a dit qu’il ne s’était pas adressé à lui pour lui découvrir son dessein, que c’était à M. Water. Je lui dirai ou ferai savoir de lui mander de l’aller trouver, afin qu’il examine sa vocation et qu’il vous mande ce qu’il jugera, pour savoir si vous désirez qu’on vous l’envoie ; ce que nous ferons de bon cœur, désirant vous témoigner, en cette occasion et les autres qui s’offriront pour votre service, que je suis, etc.

ALAIN

év. de Cahors.

 

1171. — A MARC COGLÉE, SUPÉRIEUR, A SEDAN

Du 7 janvier 1650.

Pour le rencontre arrivé avec Messieurs du bureau

1) Voir Bordeaux sous la Fronde (1650), d’après les Mémoires de Lenet, par Antoine Saintmarc, Bordeaux, 1856, in-18.

2). Chef-lieu de canton de l’arrondissement de Cahors.

Lettre 1171. — Reg. 2, p. 144.

 

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de Sedan, qui veulent la disposition de la recette de la confrérie du Rosaire, il sera bon qu’en pareilles émulations publiques qui regarderont la compagnie, vous nous en donniez avis aussitôt. Cependant vous ferez bien de vous ajuster au désir de ces Messieurs touchant cette recette, pour les adoucir et vous conserver en bonne intelligence avec eux, puisque vous les voyez résolus à ne pas souffrir que cette direction demeure au curé si absolue qu’ils n’en prennent connaissance, et que d’ailleurs ce qu’ils demandent est juste, supposé le règlement. Le public même, qui contribue à ces aumônes, le doit désirer. Le religieux qui a fait l’établissement n’a pu déroger par ses ordonnances, ni par l’usage des autres lieux où cette confrérie est établie, aux règles de la paroisse, si ce n’est que les marguilliers d’alors y aient consenti.

 

1172. — A JACQUES CHIROYE, SUPÉRIEUR, A LUÇON

9 janvier 1650.

On m’a dit ici qu’il s’en faut bien que la Motte vaille cinquante écus de rente, comme vous m’avez écrit ; et quand elle vaudrait davantage, cela mérite-t-il que vous fassiez un double ménage, ni la dépense qu’il faut pour les achats et les agencements qu’il convient faire ? Je vous en ai déjà écrit ma pensée. Je crains fort que ce que Monseigneur (1) en fait, à ce que vous dites, que ce soit par votre induction, ouverte ou tacite, plutôt que par son mouvement propre. Cela étant, je vous prie de détourner l’exécution de ce projet, qui pourrait être plus onéreux qu’avantageux ; et, au nom de

Lettre 1172. — Reg. 2, p. 160.

1) Pierre Nivelle, évêque de Luçon.

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Dieu, Monsieur, ayons plus de soin d’étendre l’empire de Jésus-Christ que nos possessions. Faisons ses affaires ; il fera les nôtres ; et honorons sa pauvreté, au moins par notre modération, si nous ne le faisons pas par une entière imitation.

 

1173. — A LOUIS SERRE, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINT-MEEN

Du 1er janvier 1650.

Vous m’avez sensiblement consolé de me mander l’état de votre maison ; mais ce que vous me dites de M. Thibault m’afflige : il expose trop sa santé ; il ne se portait pas bien, et néanmoins il est allé au travail ; je crains qu’enfin il n’y succombe. Au nom de Dieu, Monsieur, prenez soin de lui et faites qu’il se repose et se ménage mieux ; vous ferez service à la compagnie et à grand nombre de personnes qui en doivent recevoir de lui pour leur salut. Je vous fais la même prière à l’égard des autres qui ont besoin de se modérer.

 

1174. — A UN ÉVÊQUE (1)

[Entre 1643 et 1652] (2)

Qui est-ce qui ne reconnaîtra que c’est une bénédiction de Dieu bien manifeste sur le diocèse de… de lui avoir

Lettre 1173. — Reg. 2, p. 173.

Lettre 1174. — Abelly, op. cit., 1. III, chap. XI, sect. IV, p. 138.

1). Abelly dit que la lettre est adressée à un prélat de grand mérite nommé par l’influence de saint Vincent, auquel il avait fait connaître les premiers fruits de ses travaux.

2) Temps pendant lequel saint vincent fut membre du Conseil de conscience

 

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donné un évêque qui porte la paix aux âmes en des lieux où, depuis cent ans, on n’avait point ouï parler ni d’évêques, ni de visites. Et après cela, Monseigneur, puis-je concevoir une estime assez grande de votre personne, ni vous rendre des respects assez profonds ? Mais ne dois-je pas dire que vous êtes vraiment un évêque Dieu-donné, un prélat de grâce, un homme tout apostolique, qui par Jésus-Christ s’est fait connaître aux peuples les plus désolés ? Que son saint nom en soit à jamais béni et vous conserve une longue suite d’années, pour être enfin récompensé d’une éternité de gloire et reconnu dans le ciel parmi un très grand nombre d’âmes bienheureuses qui auront eu entrée en ce séjour de gloire par votre moyen et qui vous y reconnaîtront pour leur second sauveur après Jésus-Christ !

 

1175. — A LA MÈRE ANNE-MARIE BOLLAINI,

SUPÉRIEURE, AU COUVENT DE LA MADELEINE

Ma chère Mère,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

Ce que vous me demandez touchant ce bon ecclésias

Lettre 1175. — Reg. 1, fo 62 V° copie prise sur l’original autographe.

1). Anne-Marie Bollain était née le 30 septembre 1599 Quand elle se présenta à saint François de Sales, alors à Paris, pour se faire recevoir au premier monastère de la Visitation, celui-ci lui demanda son nom. "Bollain" répondit-elle. "ma fille lui dit le saint, le lin est une petite graine qui multiplie extrêmement ; vous devez être ainsi dans la terre de la sainte religion, où je promets place." son esprit était si mûr dès le noviciat que Sainte Chantal régla d’après ses avis divers articles du coutumier. En 1629, elle alla, en qualité de supérieure, au couvent de Sainte-Madeleine, qu’elle quitta en 1633, appelée au premier monastère par les suffrages des sœurs qui la voulaient à leur tête. Trois ans après, elle reprit sa place au

 

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tique pour la direction de la maison (2) souffre deux difficultés : l’une, du côté de l’autorité, qu’il voudra prendre plus grande qu’il n’est pas expédient, à cause qu’il se tiendra supérieur-né ; et peut-être que ses successeurs prétendront la même chose de droit ; la seconde, et que je mets la dernière, est sa personne qui, étant un peu délicate et infirme, fera difficulté de se charger d’abord de votre maison. Il vaut mieux observer comme la chose ira en ce commencement.

J’ai dit à notre frère qui fait les affaires, qu’il vous rapporte aujourd’hui les papiers que vous m’avez envoyés, qui ne sont que des copies. Vous m’avez fait proposer de nous rapporter à des arbitres, et que vous preniez M. Deffita (3) pour vous. Je vous ai mandé que très volontiers nous nous tiendrons à son jugement. Je n’ai trouvé que M. Pepin qui estime que nous n’avons pu faire le bail de Verneuil ; M. Blavet dit en sa présence que nous le pouvions ; et tous ceux à qui j’en ai parlé depuis, qui sont entendus au fait des coches, estiment qu’il n’est pas juste que vos coches de Dreux empêchent l’établissement de celles de Verneuil, ni de Lisieux, Bayeux, Coutances et Valognes, qui sont au delà, où les propriétaires des coches de Rouen auxquelles vous avez part, ont droit d’en mettre, et par toute la Normandie. Jugez vous-même, ma chère Mère, quelle raison a Dreux d’exclure toutes ces autres villes, qui n’en ont point, d’en avoir pour leur commodité, quand

couvent de Sainte-Madeleine, dont elle s’éloigna de nouveau en 1664 pour gouverner la communauté de Chaillot pendant six ans. Le premier monastère la redemanda en 1673. Elle y mourut le 15 janvier 1683, après avoir servi Dieu dans le cloître durant soixante-trois ans. Sainte Chantal disait d’elle que c’était "une âme très fervente et vertueuse qui allait droit à Dieu" (Année Sainte, t. I, pp. 360-375.)

2). Le couvent de la Madeleine.

3) Avocat de Paris et ami du saint.

 

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ils voudront Et puis, il y a quantité d’exemples de cela : les coches d’Abbeville et de Calais ne laissent pas de passer sur La route de Beauvais, où il y en a d’établies. Oui, dit-on, mais les propriétaires auront moins de leur ferme. Et quand cela serait, votre intérêt particulier doit-il porter préjudice aux autres villes qui sont au delà, puisque l’établissement des coches regarde la commodité publique ? Il y a une chose qui n’est pas juste, c’est que les autres coches prennent des personnes à Dreux ; et pour cela, il doit être permis au coche de Dreux de saisir les autres coches, s’ils le faisaient.

Voilà, ma chère Mère, mes petites pensées, que je vous écris tout simplement. L’on m’ôte la plume de la main et me contraint à finir. Que si M. Deffita juge autrement, je m’y soumets, qui suis, en l’amour de N.-S., votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. Mission.

 

1176. — AUX SUPÉRIEURS DES MAISONS DE LA COMPAGNIE (1)

Du 15 janvier 1650.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Vous savez que toutes les choses de ce monde sont sujettes à quelque altération, que l’homme même n’est

Lettre 1176. — Reg. 2, p. 302. Il existe d’autres copies anciennes concordantes, dont une aux archives départementales de Vaucluse, D 296.

1) D’après Collet, op. cit, t. II, p. 295.

 

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jamais en même état et que Dieu permet souvent du déchet dans les compagnies les plus saintes ; il en est arrivé ainsi en quelques-unes de nos maisons, dont nous nous sommes aperçus depuis certain temps, par les visites qui ont été faites, sans que d’abord nous en ayons connu la source. Il a fallu, pour la découvrir, un peu de patience et d’attention de notre part ; mais enfin Dieu nous a fait voir que la liberté de quelques uns à reposer davantage que la règle ne porte, a produit ce mauvais effet ; d’autant que, ne se trouvant pas à l’oraison avec les autres, ils étaient privés des avantages qu’il y a de la faire en commun, et souvent ils n’en faisaient que peu ou point en particulier. De là venait que, telles personnes étant moins attentives sur elles, leurs actions en étaient plus languissantes et la communauté inégale en ses pratiques. Pour remédier à ce désordre, il en faut ôter la cause, et, à cet effet, recommander l’exactitude du lever et y faire tenir la main, en sorte que peu à peu chaque maison change de face, se rendant plus affectionnée au règlement, et que chacun en particulier soit plus soigneux de son bien spirituel ; ce qui nous a donné sujet de faire notre première conférence en cette nouvelle année sur cette première action de la journée, pour nous confirmer davantage dans la résolution de nous lever tous indispensablement dès les quatre heures et ainsi entrer plus avant dans les heureuses suites de cette fidélité, lesquelles, avec les inconvénients qui arrivent du contraire, nous ayant servi de motifs en notre entretien, j’ai pensé, Monsieur, vous en devoir faire part, ensemble des objections et des réponses qu’on peut faire là-dessus et des moyens dont on se peut servir, à ce que vous en donniez connaissance à votre famille, pour la maintenir dans le même usage,

 

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ou pour y entrer, si elle n’y était pas, afin qu’elle participe au même bonheur.

Le premier avantage qui revient de se lever au moment où l’on entend le réveil, est que l’on accomplit la règle et par conséquent la volonté de Dieu.

2° L’obéissance rendue à cette heure-là étant d’autant plus agréable à Dieu qu’elle est prompte, elle attire aussi bénédiction sur les autres actions du jour, comme il paraît en la promptitude de Samuel, qui s’étant levé trois fois en une nuit, il en a été loué du ciel et de la terre et grandement favorisé de Dieu.

3° La prémice des bonnes œuvres est la plus honorable. Or, tout honneur étant dû à Dieu, il est raisonnable de lui donner celui-là ; si nous le lui refusons, nous faisons la première part au diable et le préférons à Dieu. De là vient que ce lion rôde le matin autour du lit pour attraper cette action, afin que, s’il ne peut avoir autre chose de nous pendant le jour, il se puisse pour le moins vanter d’avoir eu la première de nos actions.

4° On contracte habitude quand on s’accoutume à l’heure. Elle fait que par après on est prompt au réveil, et elle sert même d’horloge aux lieux où il n’y en a point, et on n’a pas de peine à sauter du lit. Et au contraire, la nature se prévaut des avantages qu’on lui donne : reposant un jour, elle demande le lendemain la même satisfaction et la demandera tandis qu’on ne lui en ôtera pas tout à fait l’espérance.

5° Si Notre-Seigneur a quitté le paradis pour nous et s’est réduit en cette vie à une telle pauvreté qu’il n’avait pas où reposer sa tête, combien davantage devons-nous quitter un lit pour aller à lui !

6° Un sommeil réglé sert à la bonne disposition du corps et de l’esprit ; et qui dort longtemps se rend

 

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efféminé ; aussi les tentations arrivent-elles en ce temps-là.

7° Si la vie de l’homme est trop courte pour servir Dieu dignement et pour réparer les mauvais usages qu’il a faits de la nuit, c’est chose déplorable de vouloir encore retrancher du peu de temps que nous avons pour cela. Un marchand se lève de bon matin pour devenir riche ; tous les instants lui sont chers ; les voleurs en font bien autant et passent les nuits pour surprendre le passant ; faut-il que nous ayons moins de diligence pour le bien qu’ils en ont pour le mal ? Les mondains font leurs visites dès le matin et se trouvent au lever d’un grand avec grand soin. Mon Dieu ! quelle honte si la paresse nous fit perdre l’heure assignée pour converser avec le Seigneur des seigneurs, notre appui et notre tout !

8° Quand on assiste à l’oraison et aux répétitions, on participe aux bénédictions de Notre-Seigneur, qui s’y communique abondamment, se trouvant, comme il dit, au milieu de ceux qui sont assemblés en son nom. Le matin est le temps le plus propre pour cette action et le plus tranquille de la journée ; aussi les anciens ermites et les saints, à l’exemple de David, l’ont employé à prier et à méditer. L’Israélite se devait lever matin pour cueillir la manne ; et nous qui sommes sans grâce et sans vertu, pourquoi ne ferons-nous pas de même pour en avoir ? Dieu ne départ pas en tout temps également ses faveurs.

Certes, depuis qu’il nous a fait la grâce de nous lever tous ensemble, nous voyons céans plus de ponctualité, de recueillement et de modestie ; ce qui nous fait espérer que, tant que ce bel accord durera, la vertu ira toujours augmentant et que chacun s’affermira davantage en sa vocation. La nonchalance en a fait

 

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sortir plusieurs, qui, ne se pouvant dorloter à souhait, ne pouvaient s’affectionner à leur état. Quel moyen d’aller volontiers à l’oraison, si l’on ne se lève qu’à regret ; de méditer utilement, quand on n’est à l’église qu’à demi et seulement par bienséance ! Au contraire, ceux qui ont affection au lever persévèrent d’ordinaire, ne se relâchent guère et font d’heureux progrès. La grâce de la vocation tient à l’oraison, et la grâce de l’oraison à celle du lever. Si donc nous sommes fidèles à cette première action, si nous nous trouvons ensemble devant Notre-Seigneur et nous présentons tous ensemblement à lui, ainsi que faisaient les premiers chrétiens, il se donnera réciproquement à nous, il nous illustrera de ses lumières et fera lui-même en nous et par nous les biens que nous avons obligation de faire en son Église ; enfin il nous fera la grâce de parvenir au degré de perfection qu’il désire de nous, pour le pouvoir un jour pleinement posséder dans l’éternité des siècles.

Voilà, Monsieur, combien il est important que toute la compagnie se lève exactement à quatre heures, puisque l’oraison tire sa valeur de cette première action et que les autres actions ne valent que ce que l’oraison les fait valoir. Celui-là le savait bien qui disait que de son oraison il jugeait quel serait le reste de sa journée.

Mais d’autant que la délicatesse d’aucuns ne se rendra pas sans réplique, pource qu’elle n’est sans prétexte, je prévois qu’elle me dira que la règle du lever ne doit pas obliger également les personnes de faible complexion comme les plus robustes, et que celles-là ont besoin d’un plus long repos que les autres. A quoi j’oppose l’avis des médecins, qui tous conviennent que sept heures suffisent à toute sorte de personnes, et

 

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l’exemple de tous les Ordres de l’Église, qui ont leur repos limité à sept heures ; aucun n’en prend pas davantage, et il y en a qui n’en ont pas tant, et la plupart ne les ont qu’interrompues ; car ils se lèvent une ou deux fois dans la nuit pour aller au chœur. Et ce qui condamne notre lâcheté, c’est que les filles n’ont pas un plus grand privilège, bien qu’elles soient plus faibles et aient été élevées plus délicatement. Mais ne reposent elles pas quelquefois plus qu’à l’ordinaire ? Non, jamais je ne l’ai ouï dire, et je le puis assurer des filles de Sainte-Marie ; j’excepte les malades qui sont aux infirmeries.

Un autre me dira : quoi ! Monsieur, faut-il se lever quand on se sent incommodé ? J’ai un grand mal de tête, une douleur de dents, un accès de fièvre qui m’ont empêché de dormir presque toute la nuit..- Oui, mon frère, mon ami, il se faut lever, si vous n’êtes dans l’infirmerie, ou n’avez ordre de demeurer plus longtemps en votre lit ; car, si sept heures de repos ne vous ont pas soulagé, une ni deux heures davantage, prises de votre propre mouvement, ne vous guériront pas. Mais quand, en effet, vous en seriez soulagé, il est expédient que vous donniez gloire à Dieu, comme les autres, vous trouvant au lieu destiné pour l’oraison, et que là vous représentiez votre besoin au supérieur ; autrement, nous serions toujours à recommencer, pource que souvent plusieurs sentent quelque incommodité et que d’autres pourraient feindre d’en avoir, pour se délicater, et ainsi ce serait une occasion continuelle de désordre. Si l’on manque à dormir une nuit, la nature se saura bien réparer une autre nuit.

Entendez-vous aussi, Monsieur, répliquera quelqu’un, retrancher toute sorte de repos extraordinaire à ceux qui arrivent de voyage, ou qui sortent de quelque long

 

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travail ? — Oui, pour le matin ; que si le supérieur juge que la lassitude soit telle qu’elle requière plus de sept heures de repos, il les fera coucher dès le soir plus tôt que les autres.

Mais ils arrivent fort tard et fort harassés. en ce cas, il y aura pas de mal de les faire reposer le matin, car la nécessité sert de règle.

Quoi ! toujours se lever à quatre heures, et la coutume est de reposer jusqu’à six une fois la semaine, ou tout au moins en quinze jours, afin de se refaire un peu ; cela est bien fâcheux et capable de nous faire malades ! — Voilà le langage de l’amour-propre et voici ma réponse. Notre règlement et la coutume même veulent que nous nous levions tous en même temps ; s’il y a eu du relâchement, ce n’est que depuis quelque temps et seulement dans quelques maisons, par l’abus des particuliers et la tolérance des supérieurs ; car en d’autres la pratique du lever a été toujours fidèlement observée ; aussi sont-elles en bénédiction. De penser que l’on soit malade pour ne donner pas quelque intervalle à cette exactitude, c’est une Imagination ; l’expérience fait voir le contraire. Depuis que tous se lèvent, nous n’avons aucun malade céans qui ne le fût auparavant, et n’en savons point ailleurs ; mais nous savons, et les médecins le disent, que le trop dormir nuit aux pituiteux et cacochymes.

Finalement, si on m’objecte qu’il peut arriver quelque affaire qui empêchera quelqu’un de se coucher à neuf et voire à dix heures, et qu’il est raisonnable qu’il prenne le matin le repos qu’il a perdu le soir, je réponds qu’il faut éviter, s’il est possible, ces empêchements-là, pour se retirer à l’heure ; et si on ne le peut pas, c’est si rarement, que la privation d’une, ni deux heures de sommeil n’est pas considérable, en comparaison du scandale

 

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qu’on donne, demeurant au lit, lorsque les autres font l’oraison.

N’ai-je pas tort, Monsieur, de n’être tant étendu en votre endroit pour montrer l’utilité et l’importance du lever, puisque votre famille est peut-être des plus ferventes et plus régulières de la compagnie ? Cela étant, mon dessein n’est pas aussi de lui persuader autre chose qu’une tendre et humble reconnaissance envers Dieu de la fidélité qu’il lui donne ; mais si elle est tombée dans le défaut que nous combattons, j’ai raison, si me semble, de l’inviter à s’en relever, et de vous prier, comme je fais, d’y tenir la main.

En voici brièvement les moyens pour vous et pour elle. Les siens sont :

1° De se convaincre que l’exactitude du lever est une pratique des plus importantes de la compagnie, et que tel qu’est le commencement, tel est le reste de la journée ; 2° de se bien donner à Dieu le soir, en se couchant, lui demandant la force de se vaincre le matin et d’obéir à sa voix sans aucun retardement, invoquant à cet effet la protection de la sainte Vierge par un Ave Maria, dit à genoux, et se recommandant à son ange gardien ; plusieurs se sont bien trouvés d’en user ainsi ; 3° se représenter que la cloche est la voix de Dieu, et, au moment que l’on l’entend, se jeter au bas du lit, en faisant le signe de la croix, se prosterner à terre, et, en la baisant, adorer Dieu unanimement avec le reste de la communauté, qui, en ce même instant, l’adore, et, quand on y manque, s’imposer quelque pénitence. Il y en a qui se sont disciplinés autant de temps qu’ils en avaient perdu à disputer avec le chevet. Le dernier moyen pour chaque particulier est de ne jamais démordre de cette exactitude ; car plus on diffère, plus on se rend inhabile.

 

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Les moyens généraux qui dépendent de vos soins, Monsieur, et des officiers de la maison sont : en premier lieu, qu’il y ait toujours un excitateur qui aille de chambre en chambre porter de la lumière, quand il en faut, et dire hautement : Benedicamus Domino, et le répéter jusqu’à ce qu’on réponde ; qu’après cela un autre fasse la visite, voire une double visite, quand la communauté est grande, et que ceux qui seront nommés pour cela le fassent exactement ; secondement et enfin, que ceux qui ont la conduite tiennent ferme et ne permettent à personne de reposer jamais après les quatre heures du matin, sous quelque prétexte que ce soit, hors l’infirmerie, s’il y en a, sinon, en cas de grande nécessité.

Et à propos de conduite, l’exactitude au lever a été trouvée si belle et tant utile qu’on a jugé que ceux qui n’y étaient pas fidèles ne devaient jamais être employés aux charges de la compagnie, pource que leur exemple serait bientôt suivi en ce relâchement et qu’ils auraient mauvaise grâce de prendre pour eux ce qu’ils seraient obligés de refuser aux autres. Plaise à Dieu, Monsieur, de, nous pardonner les manquements passés et de nous faire la grâce de nous en corriger, en sorte que nous soyons comme ces bienheureux serviteurs que le maître trouvera veillant, quand il viendra ! "Je vous dis en vérité, dit Notre-Seigneur (2) qu’il les fera seoir à table, et, s’avançant, les servira ; et s’il vient en la seconde veille et pareillement en la troisième, et qu’il les trouve ainsi, bienheureux seront ces serviteurs-là ; en vérité je vous dis qu’il les commettra sur tout ce qu’il a"

En voilà assez, Monsieur, pour une lettre. Offrez-moi, s’il vous plaît, à Dieu et aux prières de votre petite

2) Evangile de saint Luc XII, 37-38.

 

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compagnie, de laquelle et de vous en particulier je suis Monsieur, très humble et affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

 

1177. — A LOUISE DE MARILLAC

[Janvier 1650] (1)

Je n’entends non plus rien dans ces sortes de choses que vous me proposez, Mademoiselle, qu’aux articles que vous m’avez fait voir. Que si vous jugez qu’il faut que M. le prieur (2) et moi soyons nommés dans le contrat, il le faut nommer avant moi. Je prie Notre-Seigneur qu’il bénisse les mariés (3) et qu’il vous donne les dispositions qu’il donna à la sainte Vierge, lorsqu’elle assista avec son fils au mariage de Cana.

Votre bonne fille de Vienne m’est venue presser ce matin pour les nourriciers. Je lui ai dit que nous faisons tout ce que nous pouvons, et qu’il faut avoir patience pour quelque temps et faire le moins mal qu’on pourra ;

Lettre 1177. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original

1). Voir note 3.

2). Adrien Le Bon, ancien prieur de Saint-Lazare.

3). Louise de Marillac voyait enfin la réalisation de ses vœux les plus chers. Le 13 janvier 1650 elle écrivait à Jeanne Lepeintre, supérieure à Nantes : "Je vous supplie faire la sainte communion toutes nos sœurs à l’intention de mon fils, qui je crois, recevra le sacrement de mariage un de ces jours. Dieu lui a choisi, ce semble, une jeune demoiselle bien vertueuse, qui n’est pas de Paris." En effet, le 18, Michel Le Gras épousait, dans l’église Saint-Sauveur, Gabrielle Le Clerc, fille du seigneur de Chennevières et de feu dame Musset de la Rochemaillet. René-Michel de la Rochemaillet, oncle de sa femme, lui cédait en même temps l’office de conseiller à la cour des Monnaies. L’année suivante, naissait une petite fille, qu’on appela Renée Louise en famille, et chez les Filles de la Charité la petite sœur. Renée-Louise deviendra plus tard Mlle d’Ormilly ; elle vivait encore en 1696, année du décès de son père.

 

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mais, comme ce n’est pas de l’argent comptant, je pense qu’elle est restée un peu mortifiée.

 

1178. — A RENÉ ALMÉRAS, SUPÉRIEUR, A ROME

4 février 1650.

J’ai envoyé votre lettre à M…. Ce que vous lui écrivez au sujet de Florence est bien à propos. Dieu nous a fait La grâce de ne rechercher jusqu’à cette heure aucun établissement directement, ni indirectement ; et si la compagnie m’en croit, elle se conservera inviolablement dans cette maxime ; car, si nous sommes bons, nous n’en manquerons pas ; et si nous ne sommes pas tels, nous n’en avons déjà que trop ; et à peine pouvons-nous remplir le peu de maisons que nous avons. On m’a dit que Monseigneur l’archevêque de Toulouse (1) attend il y a longtemps que je lui témoigne quelque souhait que la compagnie travaille en son diocèse, pour nous y établir et nous donner la conduite de son séminaire mais je n’ai garde d’en donner le moindre signe Monsieur son frère était céans il y a peu de jours, qui me côtoya longtemps sur ce sujet, et je m’empêchai exprès de parler. Il faut que la Providence nous appelle et que nous la suivions, pour aller sûrement.

 

1179. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Monsieur et très honoré Père,

Votre bénédiction !

Puisqu’uns si long espace de mer qui nous sépare ne permet

Lettre 1178. — Reg. 2, p. 60

1) Charles de Montchal.

Lettre 1179. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle. Saint

 

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pas que je puisse de bouche vous rendre compte de ma mission j’ai recours à la présente, laquelle fera à votre charité et, par mette moyen, à la Sacrée Congrégation de Propaganda fide, le récit qu’elle attend d’un explorateur envoyé en cette terre pour savoir si elle est de promission et capable d’encourager les hommes évangéliques à la conquérir à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je sais bien que l’humilité devrait couvrir la face de confusion et fermer la bouche à un si chétif instrument comme je suis, me voyant employé à un œuvre de si grande conséquence et dont je me reconnais autant indigne qu’incapable. Mais mon devoir et la charité, joints à l’attente de Sacrée Congrégation, m’obligent d’imiter la simplicité de ceux qui ont écrit ce que Dieu avait fait en eux et par eux en de semblables emplois, comme je remarque qu’a fait le grand saint François Xavier par ses admirables apôtres, me reconnaissant d’ailleurs obligé de marcher sur ses pas en considération de ce qu’il a été mon prédécesseur, non d’effet, mais de volonté car il avait un extrême désir de venir en cette île ; mais il en fut poussé et conduit ailleurs par des vents contraires ou plutôt par l’Esprit de Dieu.

Je vous déduirai tout simplement et sans ornement quelles furent nos occupations auparavant notre embarquement, et sur terre et sur mer, avec une briève description du pays, des habitants et de leurs mœurs et superstitieuses cérémonies, et de ce que la bonté de Dieu a fait par notre moyen en ce pays. La gloire du bien en soit à Dieu, et à moi pardon et miséricorde du mal commis et du bien omis !

1. De ce qui se passa avant notre embarquement.

Monsieur Gondrée, mon compagnon, et moi nous partîmes de Richelieu lieu de notre habitation, le 18 avril 1648 pour La Rochelle et sur les chemins nous fîmes, selon la coutume de notre congrégation, la doctrine chrétienne devant la porte des hôtelleries et ailleurs, quand l’occasion s’en présenta.

Nous arrivâmes à La Rochelle le vendredi saint où n’ayant pas trouvé le vaisseau prêt, nous y séjournâmes près d’un mois, non toutefois sans exercice, car, nous étant présentés à. Mgr l’évêque dudit lieu (1), il nous donna permission de nous occuper dans la ville ou à la campagne à ce que nous penserions être le plus expédient pour la gloire de Dieu. Ce qu’ayant accepté avec remerciement, à l’imitation de saint François Xavier, que

Vincent fit prendre plusieurs copies de cette lettre pour la communiquer aux maisons de sa compagnie et même à des personnes du dehors.

1). Jacques-Raoul de la Guibourgère (1646, 15 mai 1661).

 

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vous nous avez donné pour modèle en notre voyage, nous choisîmes les hôpitaux, dans lesquels, quoique nous n’y fussions pas logés, nous passions une bonne partie de la matinée à la visite et service des malades, avec la permission des pères de la Charité, qui nous faisaient la faveur de nous y employer avec eux.

Les prisonniers furent nos paroissiens dans le temps pascal auxquels, après avoir administré les sacrements, nous servions de pieds, pour aller visiter, de leur part, ceux dont ils leur délivrance.

2 Des choses plus remarquables de notre navigation.

Le 21 mai, jour de l’Ascension de N.-S., dès le matin, on leva l’ancre, et à la messe, qui fut aussitôt célébrée j’exhortai la compagnie de confier notre voyage à la providence de Dieu, qui rendrait la mer et les vents favorables à notre vaisseau à proportion du soin que nous aurions de posséder nos cœurs dans la pureté de la grâce et fidélité à son service.

La fête de Pentecôte s’approchant, je disposai notre troupeau, composé de cent vingt personnes, à recevoir le Saint-Esprit par la pénitence, et fis l’ouverture du jubilé que Sa Sainteté avait pour lors concédé aux fidèles pour la paix. Chacun fît son devoir par des confessions générales ; en quoi nous nous occupâmes jusques à la fête du Saint-Sacrement, aimant mieux prévenir, à cause des périls de la mer, que d’attendre avec incertitude que nous fussions arrivés où on prétendait aller

Un petit vaisseau de Dieppe qui allait à Saint-Christophe (2) mouilla l’ancre à Saint-Vincent (3) au Cap-Vert, la veille de saint Jean-Baptiste, où nous nous étions arrêtés pour prendre des eaux. Une bonne partie des passagers gagnèrent le jubilé à terre où nous célébrions la messe.

Le lendemain, jour de saint Jean-Baptiste, douze Portugais noirs, bons chrétiens, vinrent entendre la messe, à la fin de laquelle ils chantèrent en musique le Te Deum laudamus et demandèrent les sacrements que nous ne pûmes leur administrer, à cause que nous n’entendions pas leur langage. De cette île, je vous écrivis, Monsieur, et vous représentai la nécessité de prêtres qu’il y avait au pays de Sénégal proche du Cap-Vert, où les habitants, qui sont nègres, montrent beaucoup de disposition à recevoir l’Évangile Il a aucun danger sinon qu’en une

2).Île des petites Antilles anglaises.

3) Île de l’archipel du Cap-Vert.

 

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saison l’air y est un peu malsain. Si on désirait savoir les voies et les moyens de s’établir en ce pays, il faudrait s’adresser à M. Rozée, demeurant à Rouen, qui est un des directeurs et seigneurs qui ont la concession de ce pays et qui y envoient les navires.

Après avoir demeuré six jours pour prendre des rafraîchissements, nous entrâmes en mer, et, ayant eu le vent contraire depuis le commencement de juillet jusqu’au 16 d’août, nous nous vîmes presque dans la nécessité de relâcher et quoique proche de la ligne ; mais nous eûmes recours à Celui qui tire les vents de ses trésors et à l’Étoile de la mer, la sainte Vierge, en l’honneur de laquelle nous fîmes vœu public à Dieu de nous confesser et communier dans la semaine précédant sa glorieuse Assomption et de bâtir une église à Madagascar sous l’invocation de cette reine du ciel ; à quoi on ajouta une aumône, à la volonté de chaque particulier. Aussitôt que chacun eut jeté le Jonas dans la mer de pénitence la tempête cessa et le vent se tourna à notre faveur, de sorte que, la veille de Notre-Dame nous nous trouvâmes sous la ligne.

Nous expérimentâmes le même secours du ciel vers la Notre-Dame de septembre : le vent, qui nous était contraire devint favorable incontinent après les prières publiques que nous fîmes à l’honneur de la sainte Vierge, l’assistance de laquelle nous avons expérimentée en plusieurs autres occasions

Étant à la vue du cap de Bonne-Espérance, Dieu nous préserva du danger d’être brisés contre un rocher, qui était à deux lieues de terre caché ; un matelot le découvrit, et on l’évita promptement ; et en abordant pour mouiller l’ancre, notre vaisseau s’échoua sur un autre rocher, où nous demeurâmes six ou sept heures dans la crainte de demeurer dans un pays stérile et inconnu ; mais enfin la marée le releva, sans être endommagé, pour aller jeter l’ancre au port qu’on appelle la baie de Saldanha (4).

3. De la baie de Saldanha et de ses habitants

Plusieurs, par la longueur du voyage et l’usage des viandes salées et des eaux, qui se corrompent à la longue, avaient contracté un mal dans les nerfs et jointures, qu’on appelle scorbut. La terre guérit cette maladie. Dans ce lieu, allant prendre des eaux, nous vîmes certains nègres habitants du pays, vêtus de peaux d’animaux, armés d’arcs et de flèches dont ils se servent pour la chasse, fort maigres et si affamés qu’ils se ruaient

4) Baie de la côte sud-ouest de l’Afrique dans la colonie du Cap. Le copiste écrit : baie de Sardaigne.

 

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comme des chiens sur la viande qu’on leur jetait. Je fus sensiblement touché de compassion, voyant ces pauvres gens dans l’ignorance de leur Créateur ; et prosterné a terre, je priai Celui qui veut que tout le monde soit éclairé et sauvé de leur pourvoir des moyens nécessaires à salut. Ils remarquèrent cette action et dirent entre eux. "Voilà des saterons" c’est-à-dire des grands prêtres, ce qui me fit croire qu’il y a entre eux des personnes destinées à quelque espèce de culte, quoique je n’y aie pas remarqué aucun signe, sinon que les hommes sont circoncis et les femmes se coupent une jointure d’un doigt quand le premier et second enfants viennent au monde ; mais je crois que ces choses s’observent plutôt par coutume que par motif de religion Je remarquai entre eux quelqu’ordre, car, en leur repas, les hommes, les femmes et petits enfants étaient tous séparés chacun mangeant avec son semblable. Le moyen d‘aider ces pauvres barbares serait, ce me semble, de tâcher en passant, d’avoir par amitié un ou deux garçons de douze ou quinze ans et leur apprendre notre langue. On se pourrait ainsi peu à peu informer de leurs mœurs et des moyens de les instruire. Si quelques-uns des nôtres passent par là, je les supplie de tenter cette voie ou quelqu’autre meilleure.

Après avoir demeuré huit jours au cap de Bonne-Espérance, nous en sortîmes et nous mêmes en pleine mer, mais tout à coup le vent contraire nous contraignit de jeter l’ancre Dieu peut-être punissant notre négligence ou froideur à le remercier des commodités que nous venions de prendre à terre ; car, ayant célébré la sainte messe en cette intention, nous eûmes si bon vent qu’en peu de temps nous passâmes le cap des Aiguilles (5) qui d’ordinaire est très difficile et dangereux.

Ce en quoi j’ai beaucoup admiré la sagesse de Dieu pendant notre navigation est la multitude innombrable de divers poissons, fort semblables aux animaux de la terre entre lesquels nous en avons vu à qui elle a donné des ailes, par le moyen desquelles, étant poursuivis presque de tous les autres poissons, ils se sauvent Il en est venu même dans notre vaisseau.

Enfin après six mois de navigation nous découvrîmes la terre de Madagascar. j’exhortai pour lors tous ceux du vaisseau d’oublier réciproquement toutes les petites offenses survenues dans un si long et si ennuyeux voyage ; ce qu’un chacun promit de faire ; et le quatrième de décembre, nous jetâmes l’ancre au port si ardemment et si longtemps désiré.

Étant arrivés au port, je mis pied à terre des premiers ; et

5) Pointe extrême du sud de l’Afrique

 

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au premier pas, je fléchis le genou en terre pour m’offrir à Dieu dans l’exécution de ses desseins et prendre possession spirituelle de cette île et de toutes les autres, en son nom, par l’autorité de notre Saint-Père le Pape, afin d’y établir l’empire de J.-C. en détruisant celui du prince des ténèbres. J’allai tout droit à la chapelle du fort pour y célébrer la messe qui n’y avait point été dite depuis cinq mois, faute de matière de consécration. Le lendemain, cinquième de décembre M. de Flacourt, notre conducteur et envoyé gouverneur du pays, avec M. Gondrée, mon compagnon et tous ceux du vaisseau étant venus au fort, je célébrai la messe haute en actions de grâces ; et le Te Deum laudamus fut chanté, comme nous en avions fait vœu sur mer à Dieu. Les Français que nous trouvâmes, nous reçurent avec grande joie ; et chacun s’étant logé nous primes quartier dans une petite case qui restait.

4. De notre emploi dans le vaisseau.

Je ne doute pas, Monsieur, que vous ne désiriez savoir par quels exercices, pendant six mois et demi que nous avons demeure sur mer nous avons taché de procurer la gloire de Dieu. C’est pourquoi je vous les déduirai ici tout simplement. Depuis notre embarquement jusqu’à notre abord à Madagascar, lorsque le temps n’était douteux, nous disions la sainte messe et faisions, le matin et soir, les prières publiques en la manière que notre congrégation observe dans les missions. J’avais fait imprimer des petits livrets à cet effet, que je distribuai à ceux du vaisseau.

Nous les disposâmes à gagner le jubilé et procurâmes qu’ils fissent leur confession générale à cet effet. Depuis notre départ du Cap-Vert, qui fut quelques jours après la saint Jean-Baptiste, considérant qu’en notre compagnie il y avait des gens ramassés tant matelots que passagers, qui avaient besoin d’instruction, nous faisions trois ou quatre fois la semaine des exhortations touchant les principaux mystères de la foi et autres matières plus nécessaires, en la manière que nous observons en nos missions en Europe, interrogeant après l’exorde la jeunesse des choses principales qui avaient été traitées dans l’instruction précédente puis finissant par un discours continu sur quelqu’autre point important à salut ; ce qu’ayant continué par l’espace de six semaines avec un notable profit, nous cessâmes, crainte d’être ennuyeux et pour donner quelque relâche. Notre emploi de la journée était à peu près réglé comme dans nos maisons, excepté qu’il fallait quelquefois nous accommoder au temps, au lieu et aux personnes.

Après l’oraison mentale et l’office divin, nous faisions lecture d’un chapitre de la Sainte Écriture et nous nous communiquions

 

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les moralités qui nous étaient venues, pour les appliquer tant à notre profit qu’à celui du prochain. Et comme dans un vaisseau où l’on est fort pressé, il ne manque pas de malades, un de nous les visitait le matin, et l’autre l’après-dînée.

Sur les neuf heures et demie, nous faisions ensemble lecture des épîtres de saint François Xavier et nous remarquions ce qui était à notre usage. Nos conférences se faisaient sur nos besoins et sur ceux du vaisseau, pour y remédier.

Afin de passer utilement le temps qui est ennuyeux dans l’oisiveté, nous avions disposé notre peuple à s’assembler trois ou quatre ensemble, dont l’un faisait lecture aux autres de l’Introduction à la vie dévote du serviteur de Dieu Monseigneur François de Sales et de l’Imitation de N.-S., ce qui se faisait avec édification. Nous fîmes en sorte de persuader à une bonne partie de notre monde de faire des conférences spirituelles, deux ou trois fois la semaine, sur divers sujets, particulièrement touchant les occasions d’offenser Dieu et les moyens particuliers d’y résister. Nous y remarquions sensiblement par les réponses des passagers et matelots, que N.-S. était au milieu de nous ; et à la fin, reprenant les paroles qui avaient été dites, nous y ajoutions les nôtres familièrement et concluions par une histoire de la Sainte Écriture ou quelque exemple de la vie des saints.

Après souper, sur le tillac, l’un se joignait à une troupe et l’autre à une autre, pour coopérer aux bons discours en faisant cesser les mauvais et inutiles. A cette même fin, la pratique était commune que, quand quelqu’un avait juré ou dit quelque parole moins honnête, de tendre la main et recevoir une férule sur les doigts, après avoir promis de s’en amender. Cela se faisait sans sévérité et du consentement d’un chacun. Ayant donné le temps suffisant à la conversation, nous nous retirions dans nos petites cabines, où cinq ou six petits garçons nous venaient trouver souvent pour faire des colloques spirituels d’histoires que nous leur disions les leur appliquant à leur profit, après quoi nous récitions ensemble alternativement le chapelet. Voilà, Monsieur, comme nous avons employé le temps durant notre voyage ; mais vous pouvez bien penser que, si Dieu nous a fait la grâce de coopérer ainsi à ce petit ordre pendant notre navigation, le zèle de M. de Flacourt notre très sage gouverneur et commandeur, y a beaucoup contribué, puisque le tout n’aurait pu aller de la sorte si nous n’eussions été appuyés de son autorité ; et certes nous devons à sa piété la meilleure part du bonheur de notre voyage.

 

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5. Brève description de l’île de Madagascar et de ses habitants.

Auparavant que de dire ce que nous avons fait en ce pays je crois qu’il est nécessaire de faire une petite description de l’île, de ses habitants, de leurs mœurs et coutumes, afin que vous voyiez en quel état nous avons trouvé les choses de la religion.

Cette île de Madagascar est autrement appelée de Saint-Laurent, à cause qu’à tel jour elle fut découverte. Sa longueur est de six cents milles italiens ; sa largeur, en des endroits, de deux cents en d’autres, de quatre cents ; son circuit est de quatorze cents milles. La chaleur y est fort grande, mais non pas intolérable.

Elle est divisée en plusieurs contrées, dont des montagnes fort hautes font les séparations. Ceux qui ont plus vu le pays tiennent qu’il y a plus de quatre cent mille âmes. Notre habitation est en un bout de l’île nommée Tholanghare. Nous sommes proche le Tropique par les 25 degrés de latitude ; ce qui fait que nous avons les saisons opposées à celles de France.

Dans chaque contrée, il y a un grand, que l’on reconnaît pour maître et en est comme petit roi. Les vassaux de ces roitelets sont trois ou quatre mille hommes. Leur richesse consiste en trois ou quatre mille bœufs, qu’ils ont en propre, et dans le tribut que leur rendent leurs sujets, à savoir la cinquième partie de leurs victuailles de rie et de racines. Le nom de roi ne leur convient pas, tant à cause qu’ils ne sont pas bien absolus, que parce qu’ils vivent si pauvrement qu’il n’y a si petit seigneur en France qui ne vive plus honorablement que le plus grand de Madagascar. La royauté n’est pas héréditaire aux enfants, s’ils ne sont bien âgés quand leur père meurt. Sous ces roitelets il y a d’autres grands quasi aussi puissants et riches qu’eux. Tous ces grands sont menuisiers.

Il y a deux sortes d’habitants. Les uns sont noirs les cheveux frisés, comme celui qui fut baptisé à Paris, qui est au service des Français et continue dans le christianisme, et ceux-ci sont les originaires du pays. Il y en a d’autres qui sont blancs les cheveux longs, comme les Français ; et ceux-là sont venus du coté de Perse environ depuis cinq cents ans. En des contrées, ils se sont rendus maîtres des noirs, comme ici où nous sommes ; en d’autres, ils sont au-dessous des noirs, comme aux Matatanes et ailleurs. Ils disent que leur généalogie vient d’un certain Ramini, qui avait été engendré de l’écume de la mer et que ce grand personnage était ami de Mahomet.

Par toute l’île, la plupart habitent dans les villages, aux pieds des montagnes, desquelles tombent des eaux en telle quantité qu’il s’en forme des rivières, qui se vont dégorger

 

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dans la mer voisine. Il y a quelques hommes errants qu’on appelle Ombilambo, qui sont un peu sauvages et habitent dans les bois pour dérober ce qu’ils peuvent ; ils fuient dès qu’ils voient une personne inconnue. Il n’y a point de villes, une de forteresses, ni d’hôtelleries. Toutes les maisons sont faites de bois et couvertes de feuilles et fort basses. A peine peut-on entrer et sortir par les portes tant elles sont petites. Le feu et la cuisine se font dans la maison sans cheminée. Ils n’ont point d’autres lits, ni sièges que le plancher de bois, où ils couchent ; boivent et mangent sur une nappe de jonc.

Les victuailles du pays sont le riz, les bœufs, moutons, cabris en assez petite quantité. Au pays où nous sommes, il y en a en abondance. Plus loin, où l’on va négocier, les volailles y sont communes. Il n’y a point de blé, ni de vin ; mais ils font une certaine boisson avec du miel. Les racines, les fèves, melons d’eau, citrons et oranges y sont en quantité. Il n’y a point d’animaux pour la chasse, sinon quelques sangliers et bœufs sauvages et fort peu d’oiseaux aquatiques.

Les rivières sont poissonneuses ; mais il y a du péril presque partout à les passer, à cause des crocodiles, qui y sont fréquents et dangereux.

Tous les habitants vont tête nue et pieds nus. Ils ne portent point de linge. Leurs vêtements sont différents des nôtres ; car ils se couvrent de pagnes, qui est une robe longue environ d’une aune et demie et trois quartiers de large. Les femmes semblablement se vêtent de pagnes cousus, pendants depuis les épaules jusqu’aux talons. Quoique la forme des vêtements soit semblable, toutefois la qualité en est diverse ; car chacun s’habille selon sa condition. Les grands se vêtent de soie, les autres de coton. Les enfants vont tout nus jusques à l’âge de sept ou huit ans. Ils ont tous les oreilles percées d’un trou fort large, qu’ils remplissent d’un bois fait exprès, qu’ils enrichissent selon leur qualité qui d’une plaque d’or qui d’une coquille orientale. Ils se parent aussi avec du harais, dont ils font des bracelets.

Ils vivent longtemps. On y voit quantité de vieillards, qui disent qu’ils ont tant d’années qu’on ne les peut compter.

6. Quelle est la secte ou religion du pays et leurs observances superstitieuses ?

Quoiqu’il n’y ait parmi ce peuple aucune religion stable et déterminée puisqu’on ne voit dans toute l’île ni temple ni prêtre, il y a toutefois quelques cérémonies et observances superstitieuses qui y ont été introduites depuis cinq cents ans lorsque les blancs, qui sont proprement cafres, vinrent des côtes de Perse séduire les originaires du pays ; car les trouvant

 

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simples de leur nature, sans loi et sans religion, ils les tirèrent facilement aux superstitions du mahométisme, dont les uns et les autres en observent encore quelques-unes comme de ne point manger de porc, de sacrifier les bœufs avant que d’en manger, et d’autres, dont je parlerai ci-après. Il y a encore une certaine sorte d’idolâtrie.

Premièrement, ils disent que Zanahary, c’est-à-dire Dieu, est maître de tout le monde ; mais ils le resserrent dans le ciel, où il est, disent-ils, comme un roi dans son royaume. Toutefois en plusieurs endroits, comme ils ne connaissent ni Dieu, ni le diable, que de nom, ils donnent la préférence au diable dans les sacrifices, lui donnant la première part. "Voilà disent-ils, voilà pour Andian Rabilo, c’est-à-dire pour Monseigneur le diable ; et cette autre part est pour Kanahary, c’est-à-dire Dieu." Je n’en sais pas la raison, sinon qu’ils craignent plus l’un que l’autre, à cause qu’il se trouve parmi eux des possédés, ou au moins battus, se disent-ils, par Zachare et Drimi, qui sont en ce pays des noms de diables.

Les grands se laissent appeler dieux ; et quand ils veulent louer les Français, ils les appellent Kanahary ; mais on ne le souffre pas. Les plus intelligents d’entre les blancs ont quelque connaissance imparfaite des choses qui regardent la création du monde, du péché de nos premiers parents et de quelques autres choses semblables. Ils disent que les méchants généralement pariant, iront dans le feu, sans savoir où, ni pour combien de temps.

II y a des Ombiasses. Cette parole signifie écrivains ; et ils sont ainsi appelés parce qu’ils savent lire et écrire en arabe. Ils sont respectés comme parmi nous les prêtres Ils sont les maîtres des cérémonies, coutumes et superstitions du pays. La populace les craint à cause de leur écriture et de leurs livres, dans lesquels il n’y a pas grande suite, ni raison ni doctrine, mais seulement par-ci par-là que Dieu est grand, et quelque chose de l’Alcoran, qu’ils appellent Ala Koran. Le reste du contenu de ces livres ne consiste qu’en certaines figures mal tracées, que ces écrivains font croire être propres à guérir les maladies, deviner les choses futures et trouver celles qui sont perdues.

La coutume de circoncire les enfants est générale par toute l’île, non par principe de religion, mais par un motif purement humain ; et ils ne la font pas au bout de huit jours, mais en quelques endroits ils attendent un an, en d’autres deux, trois quatre, cinq, six et sept ans après leur naissance.

Cette cérémonie se fait par les Ombiasses en des assemblées. Les pères et mères portent leurs enfants avec des provisions de bouche pour donner à ces écrivains, comme bœufs, chapons.

 

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Sitôt que l’enfant est circoncis…, on met du sang de bœuf et chapon égorgés sur la plaie du circoncis. La grande et générale circoncision se fait l’année du vendredi ; car ils distinguent les années comme nous faisons les jours de la semaine, et nous sommes à présent en l’année du vendredi.

Les blancs observent une espèce de jeûne en deux mois différents, lequel consiste à ne point manger entre deux soleils ; mais toute la nuit ils en prennent pour tout le jour. Ils s’abstiennent de manger du bœuf et de boire du vin ; mais les chapons et l’eau-de-vie ne leur sont pas défendus ; et s’il y a quelqu’un qui ne veuille pas jeûner, il en est quitte pour faire jeûner quelqu’autre à sa place. Ils ne donnent aucune origine, ni raison de cette superstition, sinon que c’est une coutume de leurs ancêtres et qu’il est porté dans leurs livres que ceux qui manqueront à cela iront dans le feu.

Ils observent une autre superstition qu’ils appellent Missanath, c’est-à-dire assemblée de banquets, qui se fait lorsqu’un grand fait bâtir une maison neuve, ou restaurer une vieille, et c’est l’une de leurs principales fêtes, dont je ferai ici le récit, pour plus grande intelligence des choses suivantes. Voici comme se passe cette cérémonie. Le temps destiné à faire l’entrée de cette maison neuve ou restaurée étant venu, les sujets de ce grand s’assemblent et se présentent devant lui avec des présents, les uns avec des bœufs, les autres avec du vin de miel, des pots de terre et autres ustensiles de ménage, à la mode du pays Le grand reçoit ces donatifs par un de ses fidèles, qui lui montre au doigt pièce à pièce ce que celui-ci et celui-là ont apporté ; puis, étant à sa porte, il leur fait un discours de souhaits de bonheur temporel qu’ils puissent prospérer et vivre, et longtemps, puis les encourage à vivre et continuer leurs services et présents. Les autres Roandries ou grands, qui sont au-dessous du roi, ou premiers grands de la contrée, viennent aussi en ce rencontre, avec une partie de leurs sujets, faire leurs présents. A l’arrivée, ils font leurs exercices avec les armes du pays, qui sont les pertuisanes et javelots ferrés ; puis le maître de la maison va au-devant, et, leur ayant porté un javelot vers le cœur, les embrasse avec des cris réciproques d’allégresse.

Deux ou trois jours s’étant passés à recevoir le peuple et les présents, et le jour destiné à faire l’entrée à la maison étant venu, l’on amène quinze ou seize bœufs, que l’on saisit à force d’hommes, en quelque furie qu’ils puissent être ; on les abat et lie par les pieds, et, leur ayant planté les cornes en terre, on les tient tout prêts à être égorgés, en les flattant de la main sur le col. Cependant les Ontbiasses, au nombre de trois ou quatre, revêtus de belles robes avec une riche ceinture, dont

 

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ils mettent les bouts sur les épaules marchent gravement, un grand couteau à la main vers le lieu où l’ou tient Ces bœufs, à l’entour desquels ils font trois tours. Au premier ils leur jettent du sable de la mer ; au second, de l’herbe prise au rivage de la mer ; et au troisième, de l’eau de mer, puis ils les égorgent promptement et font recevoir le sang dans des plats de bois, que l’on va présenter aux grands, qui s’en marquent le front et la poitrine, priant que cela leur apporte bonheur et longue vie. Cela fait, le maître du logis marche le premier, un grand couteau à la main, suivi des principaux en forme de procession, puis font trois tours en passant dessus le sang des animaux et entrent tous dans la maison, où ils font trois autres tours, avec des cris d’allégresse, frappant des pieds avec grand bruit sur le plancher pour montrer que la maison est solide et bien faite et qu’on y peut demeurer avec assurance.

Après cela viennent les Ombiasses, faisant porter devant eux des flambeaux en façon de torches de cire et portant avec gravité leurs soratra, c’est-à-dire leurs livres desquels j’ai déjà parlé. En passant, ils donnent de l’épouvante au peuple et se font faire place, menaçant de quoique sinistre accident ceux qui ne se retirent pas assez tôt. J’étais présent à cette folie, dont je souriais. On me voulut faire retirer comme les autres. "Mon, dis-je, je ne crains point vos livres qui ne sont que d’encre et de papier ; ils ne peuvent faire mal à personne non plus que la poussière qui est à vos pieds." Ils étaient étonnés de mon discours et mépris de leur cérémonie, sans toutefois me rien expliquer, comme il est arrivé en beaucoup d’autres rencontres, où j’ai blâmé leurs tromperies par lesquelles ils attrapent le bien du peuple, et les assistants disaient que l’Ombiasse des Vazaha, c’est-à-dire le prêtre des Français, surpasse autant en science et doctrine leurs écrivains, que le commun des Français surpasse les nègres en capacité. Ces porteurs de livres étant arrivés à la maison font trois tours à l’entour et l’aspergent cependant avec du sang, afin qu’elle dure plus longtemps et que rien ne nuise à ceux qui l’habiteront. Ensuite le Raoandrie se vient présenter à la porte et, assis sur le plancher, fait une harangue au peuple pour l’encourager à son service, et leur va distribuer environ quatre ou cinq cents bœufs, pour repaître quatre ou cinq mille personnes. Le cuir de la bête se mange avec la viande, comme celui du porc en Europe. Et ainsi la matinée se passe, et chacun va faire bouillir ou rôtir sa portion.

Les femmes des Roandries préparent cependant le festin pour la maison du grand et font porter par des esclaves trois ou quatre cents portions de riz et de viandes dans des feuilles,

 

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qu’ils tiennent sur la main ; et d’autres plus grands services sont portés par des hommes dans de grandes feuilles de diverses formes ; ces feuilles sont faites d’écorce rouge.

Enfin sur les deux heures après midi, le monde s’assemble derechef devant la porte du grand, où, au son d’un tambour fait du tronc d’un arbre creusé, couvert d’une peau, que l’on frappe d’un bâton par un bout et de la main par l’autre, ils font des danses, avec des postures grotesques, chantant ce qui s’est passé dans le pays. Cependant on apporte grande quantité de vin de miel, que l’on distribue à la populace ; et dans cette confusion d’ivrognerie se termine la journée et la cérémonie ; et le lendemain chacun s’en retourne chez soi.

Je m’enquis d’un Ombiasse des raisons de chaque particularité et n’eus autre réponse sinon que c’était la coutume de leurs ancêtres. Il y a entre eux quelques autres fêtes ou assemblées, pendant lesquelles on fait festin, comme avant et après la récolte de leur riz.

J’ajouterai à la cérémonie précédente la forme qu’ils observent à délivrer les énergumènes. J’allai, il y a quelque temps, à 30 ou 32 milles d’ici pour instruire à la campagne ; on me vint avertir qu’il y avait deux femmes possédées. Je n’y vis aucun signe de possession, mais seulement un visage mélancolique. On disait aussi qu’elles ne pouvaient parler. Je voulus voir en quelle façon ils se comportent en ce rencontre, qui fut telle. On courut à un Ombiasse qui fît aussitôt prendre à ceux qui étaient présents et à ces deux femmes chacun un javelot en main puis cet exorciste se mit en train de mener le branle d’une danse qui se faisait avec une telle posture qu’il semblait qu’ils voulussent chasser des pieds et des mains quelque chose qu’on a en horreur. S’étant tous bien échauffés à la danse, le vieil trompeur d’Ombiasse fît semblant de lancer sa pertuisane dans un vaisseau plein d’eau de laquelle ayant donné à boire à ces femmes, il leur donna un coup de genou pour chasser le diable qui n’y avait point été ; car, à mon avis ce n’était qu’une humeur mélancolique, que ce gaillard fît dissiper par la chaleur de sa danse.

C’est ainsi qu’ils font leurs miracles pour se faire respecter et n’oubliant pas de se faire bien payer, particulièrement lorsqu’il y a des malades riches. Voici comme ils les guérissent. Premièrement, ils font les pensifs et les empêchés, et, prenant un ais, ils y répandent du sable, sur lequel ils font quantité de points comptés ; ce qu’ils appellent Sakilo ; et les réitèrent souvent pour savoir l’événement de la maladie. Ils vendent une partie de ce sable dans un morceau de cire, qu’ils font porter au col pour obtenir la santé ; et ayant fait venir bon nombre de bœufs et de chapons, ils disent qu’il faut plutôt

 

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tirer celui-ci que celui-là. L’important est qu’ils choisissent toujours les meilleurs, dans le désir d’en manger leur part. Après cela, ils font des écritures sur des feuilles, enlacent les lettres et font boire l’eau au malade. Et si le malade revient naturellement en santé, on attribue sa guérison à ces sottises Qui ne porterait compassion à la simplicité de ces peuples qui se laissent ainsi tromper à leurs dépens et qui pourrait contenir une juste indignation contre ces fourbes qui connaissent fort bien que ces choses sont frivoles et impertinentes ?

Ce qui est plus directement contre l’honneur de Dieu et qui nous donnera bien de la peine à ôter, c’est une espèce de culte également ridicule et damnable que les grands du pays et leurs sujets rendent à certaines idoles lesquelles ils appellent olis, comme qui dirait onguents. Les Ombiasses les font et les vendent. La matière de ces petites idoles est un morceau de bois ou racine creusé qu’ils attachent à une ceinture. Ils y mettent de la poudre et de l’huile ils font à quelques-uns des figures de petits hommes, s’imaginant qu’ils sont vivants et capables de leur donner tout ce qu’ils peuvent souhaiter, comme le beau temps ou la pluie, les préserver de maladies, d’ennemis. Ils ne manquent pas de leur donner à manger, tantôt du miel autre fois le cœur d’une telle volaille plutôt que d’une autre. Et comme souvent je leur ai fait voir que ces olis étaient choses mortes, qu’ils ne peuvent manger, ni avoir aucune vertu non plus qu’un caillou pris indifféremment ils s’en fâchent et comme ils ne peuvent empêcher que je ne fasse voir leur abus ils s’efforcent de détourner le discours ; et étant pressés ils confessent en particulier que cela est vrai mais que, si cela est mort, leur âme est avec Dieu. Un chacun en a en sa maison et les porte avec soi à la campagne ; ils y ont recours en leurs nécessités comme nous avons à Dieu ; ils ne font rien dans leur doute sans en prendre conseil ; après quoi la première pensée qui leur vient, ils croient qu’elle leur a été suggérée par leurs olis. Quand ils sèment leur riz et autres légumes, ils portent leurs olis aux champs, lui sacrifient une bête, aspergent leur champ du sang de cette victime et prient l’olis de leur donner du beau riz en quantité.

Quand ils veulent passer les rivières premièrement ils ont recours à leur olis les priant de les garantir des crocodiles qui y sont puis s’adressent aux crocodiles mêmes, leur font une harangue, leur disant à haute voix : "Écoute, tu sais bien que jamais moi, ni les miens n’ont fait aucun mal à tes père et mère ni à toi-même ; je te prie de ne m’en point faire à moi.") Puis ils s’accusent du mal qu’ils ont fait : "Il est vrai que j’ai dérobé ceci et cela ; mais j’y satisferai." Ils jettent

 

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puis après de l’eau et du sable de quatre parts et passent en assurance et quand il y en a quelqu’un de pris, ils disent que son olis n’était pas bon. Je leur dis qu’en quittant cette abominable superstition ils n’ont qu’à recourir dans leurs besoins a Dieu, qui est tout-puissant, et attribuer à sa bonté ce qu’ils attribuent à cette idole.

La plupart du peuple d’ici à l’entour est, grâces à Dieu désabusé en ce point. Dieu même qui s’est toujours montré jaloux de son honneur ne laisse pas ces abominations impunies, car il leur envoie comme il fît autrefois en Égypte une si prodigieuse quantité de sauterelles, qu’elles remplissent et obscurcissent en même temps l’air comme les flocons de la plus épaisse neige que l’on voit en hiver ès pays septentrionaux, et qu’à présent que j’écris, la terre en est toute couverte, et comedunt fructus terrae eorum et omne faenum (6) ; après quoi la terre est comme si le feu y avait passé. Les Ombiasses et quelques-uns des grands, bien loin de reconnaître que c’est un châtiment par lequel Dieu punit leur idolâtrie, font accroire au peuple qu’ils ont la puissance de faire venir ces sauterelles et de les empêcher ; et quand on ne leur donne point ce qu’ils demandent comme du riz et autres choses, ils menacent de les faire venir ; après quoi si elles viennent, ils disent à ces simples : "Ne vous l’avais-je pas bien dit ?" Et quand elles ont tout mangé et qu’elles s’en vont ailleurs ils se vantent de les avoir chassées. Il y a sujet d’espérer de la bonté de Dieu qu’il délivrera ces pauvres gens de ce fléau, s’ils se soumettent au joug de la foi et à l’observance de ses commandements.

7. Des coutumes civiles du pays.

Ils se font la guerre entre eux pour avoir les bœufs les uns des autres.

Les grands tiennent leurs esclaves comme des chiens ils vendent les hommes au même prix que les bœufs et les enfants comme les veaux.

Les blancs, partout où ils sont les maîtres se sont réservé le droit de couper la gorge aux animaux qu’on veut manger, en sorte qu’il n’est pas permis à un nègre de couper la gorge à ses propres bêtes. Ces égorgeurs sont pour l’ordinaire des ombiasses qui ont une portion de l’animal occis et ne prennent pas la moindre. Les lieux où les nègres sont demeurés maîtres les blancs n’oseraient non plus égorger les animaux. Cette coutume est une invention pour empêcher le larcin et pour faire que les grands aient plus de bétail après la mort

6) Psaume XIV, 35.

 

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de leurs sujets, car ils prennent tout, sans rien laisser eux enfants de celui qui a travaillé toute sa vie à amasser quelque chose.

L’artifice duquel se servent les grands pour tenir les petits toujours sujets, est qu’ils se sont saisis des meilleures terres, où ils sèment leur riz, légumes et autres victuailles et leur ôtent de plus en plus les possessions qui leur restent, afin de les appauvrir et les obliger d’avoir recours à leurs magasins, que sont bien garnis.

On punit les voleurs en diverses façons ; car si ce sont des grands ou des maîtres du village ils se rachètent en donnant des bœufs ; si c’est un pauvre, on le tue, ou, si on lui fait grâce, lui, sa femme et ses enfants sont faits esclaves de celui auquel le tort a été fait.

Le vice général du pays est la luxure. Toutes les espèces ne sont point à déshonneur, excepté que quand on prend un homme en adultère, on le punit de même que le voleur ; car, s’il est grand ou riche, il se rachète ; s’il est pauvre, on le fait mourir, ou il devient esclave.

Celui qui a tué en est quitte pour se racheter ; ou il est fait esclave, ou on le fait mourir s’il est pauvre et sans amis ; mais quand le fils d’un grand aurait tué son père, on ne le ferait pas mourir.

Le mariage s’y contracte entre les parents excepté au premier degré. Il n’est pas stable ; il est permis de se quitter mutuellement et de se marier à d’autres comme il arrive souvent. La polygamie est permise, quoiqu’elle ne soit pas générale, mais seulement dans une bonne partie des grands, qui ont moyen de nourrir plusieurs femmes.

Parmi les noirs, il n’y a pas grande cérémonie à faire un mariage, sinon que le choix dépend des parties et non pas des parents. Le mari d’ordinaire achète sa femme donnant pour elle quelques bœufs ou autre chose aux parents. Mais parmi les grands il se fait une assemblée de parents amis et de sujets, de part et d’autre ; et bien souvent l’accord et promesse de mariage se fait par les parents dès la naissance du garçon et de la fille. Ils se marient fort jeunes. On tue des bœufs le jour du mariage, comme en leurs Missanats ; et en présence des parents, les 0mbiasses leur souhaitent quantité de commodités temporelles. On lie les cheveux de l’un et de l’autre, et se tenant par la main, le mari met le genou sur celui de l’épouse. Suit après le banquet, et la danse termine la cérémonie.

Les anciens Français m’ont assuré que les mères jettent leurs enfants. qui. naissent tous les samedis de l’année, depuis le soleil couché jusqu’au chant du coq ; et ainsi ces pauvres exposés

 

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meurent, si par hasard quelqu’un ne les trouve, comme il arrive ici quelquefois. Ces mères dénaturées apportent pour raison de ce fait inhumain que cette heure est malheureuse et que, si ces enfants vivaient, ils tueraient leurs pères et mères. Il les laissent néanmoins quelquefois vivre ; mais ils les font servir à leurs frères.

On dit encore que dans l’île de Sainte-Marie, qui est au bout de celle-ci, les mères jettent aussi leurs enfants qui naissent aux jours qu’ils estiment malheureux, qui sont trois jours de la semaine ; mais cela n’est pas venu encore à ma connaissance ; car cela se fait secrètement, ainsi que font les mères dénaturées en Europe pour couvrir leur honneur ; ce que l’on dit aussi être commun en ce pays, lorsque la mère est de la race des grands et qu’elle a conçu d’un esclave.

On ne donne point de nom aux petits enfants jusques à sept ou huit ans sinon ceux d’amboa lambo aux garçons, c’est-à-dire petit chien, petit cochon, ayant en cet âge-là plus de la bête que de l’homme. Mais étant grandelets un Ombiasse observe la planète sous laquelle l’enfant est né et donne le nom aux garçons de Radama qui signifie Adam ; de Raby, Ramose, Elie Moïse ; ainsi des noms des prophètes. On donne aux filles le nom de Rahona, qui signifie Éve ; Ramary, Marie ; et d’autres noms, qui signifient qu’elles sont belles, fort riches et qu’elles vivront longtemps.

Les funérailles se font selon la qualité des personnes. Si c’est un grand Roandrie, ils l’ensevelissent dans une belle robe, la face découverte et ornée, à la mode du pays, de collier de corail et de grains d’or et d’argent. Les parents et amis du défunt s’assemblent et viennent faire l’exercice et tout à coup jettent leurs armes et boucliers, s’en viennent au cadavre, vers lequel penchant la tête, ils pleurent à bon escient avec des chants lugubres. On brûle des parfums et bois odoriférants, puis on porte le mort au lieu destiné pour la sépulture, où étant arrivés ils redoublent leurs cris et gémissements et l’enterrent. Après quoi l’on tue des bœufs, et on se réjouit plus qu’on ne s’était attristé. Incontinent les menuisiers, qui sont tous les grands du pays, travaillent à faire une espèce de maison sur la fosse, et les esclaves en grand nombre apportent une grande pierre en forme de pyramide, qu’ils élèvent devant la sépulture, en haut de laquelle pyramide ils mettent une corne de bœuf.

Cette même cérémonie s’observe généralement à la mort de toutes sortes de personnes, excepté que la pompe des funérailles s’augmente ou diminue selon la qualité du défunt. Tant les pauvres que les riches portent ces premiers fruits qu’ils recueillent sur la fosse de leur père et laissent des arbres fruitiers

 

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autour des sépultures, sans que personne y ose cueillir des fruits. Quand ils ont quelque mauvais songe, ils font tuer une bête à l’intention de leur père défunt.

Au pays où nous sommes, ils ont ignoré jusqu’à présent ce que devient l’âme à la mort et si elle se sépare du corps pour toujours. Maintenant que nous leur disons ce que la foi nous enseigne, ils sont bien étonnés, particulièrement d’entendre parler d’une éternité bienheureuse ou malheureuse.

Voilà ce que nous avons pu remarquer de leurs mœurs et superstitions, tant pour nous en être enquis, que pour en avoir vu la plupart. Il y a beaucoup d’autres contrées au bout de l’île, dont nous n’avons pas connaissance. On dit qu’il y a des Portugais en un endroit et des Hollandais en l’autre. Quand on aura été par toute la terre et fait le circuit de l’île avec un vaisseau nous en ferons savoir toutes les particularités. Mais quand il n’y aurait de pays ni d’hommes que ce que nous en connaissons, ce grand nombre de brebis sans pasteur, exposées à la furie et cruauté des loups ne suffit-il pas pour attendrir et émouvoir un chacun à une chrétienne compassion, principalement considérant qu’il y a des grandes dispositions et que les filets d’un chétif pêcheur et pécheur tel que je suis, ne sont pas capables de tenir une si grande multitude de poissons, si quelques ouvriers zélés et adroits ne viennent à mon aide, comme on le pourra connaître de ce que je dirai ci après.

8. En quel état nous trouvâmes les choses de la religion chrétienne.

Après avoir parlé du pays, des habitants, de leurs coutumes et superstitions, il est à propos de vous déduire en quel état nous avons trouvé les choses qui regardent notre sainte religion pour la propagation de laquelle nous sommes venus ici. Messieurs de la Compagnie des Indes ayant eu connaissance de cette île par le moyen de quelque personne hérétique, laquelle avait les habitudes nécessaires pour s’établir ici, furent obligés pour la première fois de lui confier la conduite et commandement de ceux qu’ils y envoient, qui étaient catholiques, à la réserve de neuf ou dix hérétiques, que ce commandant y avait menés. Ces Messieurs ont toujours tenu quelque prêtre pour servir au spirituel des Français ; et nous y en avons trouvé un, qui s’appelle M. de Bellebarbe. Il y a travaillé selon son talent, mais avec peu de progrès, parce qu’il n’était pas appuyé du commandeur, lequel, laissant dire messe aux catholiques, faisait faire le prêche en sa maison, ce qui, joint à quelques désordres domestiques, faisait que ces infidèles n’allaient ni aux prières des catholiques, ni à celles

 

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du commandeur, s’étonnant de voir deux sortes de religions en des personnes de même pays. Ces Messieurs m’ont levé cet empêchement à l’avancement de la gloire de Dieu rappelant ce commandeur et défendant qu’aucun hérétique fut admis au vaisseau pour passer. Et M. de Flacourt, un de ces Messieurs ayant reçu ce commandeur, s’est porté à ce voyage autant pour l’intérêt de la gloire de Dieu que pour le service de la même compagnie ; et on doit espérer que le ciel le bénira en l’un et en l’autre. Et Dieu, par sa grande miséricorde nous a choisis ouvriers pour avoir soin des âmes des Français qui sont en ce pays, et travailler à la conversion des infidèles.

Nous n’avons trouvé en ce pays que cinq enfants baptisés, savoir une petite fille abandonnée dans les bois, le fils naturel d’un Français et trois petites esclaves ramenées de la guerre et retirées du massacre, lesquelles furent baptisées par un diacre, qui est mort.

9. De nos occupations en ce pays.

Nous tâchâmes d’abord d’édifier et gagner un chacun par une douce et amiable conversation. Il a plu à la bonté de Dieu se servir principalement de ce moyen pour la conversion de cinq hérétiques. Notre première occupation fut de disposer les Français que nous avons trouvés ici, à gagner le jubilé pour la paix. Ensuite nous nous appliquâmes à l’intelligence de la langue du pays ; en quoi nous avons eu beaucoup de peine ; car le dictionnaire qu’on nous prêta dans le navire, outre qu’il contenait fort peu de mots, n’était ni en bon ordre ni assuré et il y a grande différence de la prononciation à l’écriture et c’est autre chose de savoir la signification d’un mot séparé et connaître sa force dans la construction, et le distinguer et entendre dans le discours des naturels du pays. Voilà pourquoi il nous fallut avec beaucoup de peine assembler les interprètes, qui se trouvaient bien empêchés à trouver des mots pour expliquer notre foi en un pays où on ne parle point de religion. Nous avons tâché d’en façonner deux, qui s’appellent Claude Hastier et François Grand-Champ. Ce dernier s’explique mieux.

Sitôt que nous avons pu bégayer, nous avons commencé à instruire les infidèles, entre lesquels les nègres sont beaucoup plus dociles que les blancs, qui s’estiment personnages de grand esprit et n’écoutent pas quand on parle des choses de la foi ; ou, s’ils le font, ce n’est que par curiosité et avec indifférence ; les Roandries, tout de même, se vérifiant en eux la parole de notre Sauveur. Vae vobis divitibus (7) ; et ces autres :

7) Saint Luc VI, 24

 

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Abscondisti haec a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis (8) ; car ces bons nègres, après avoir bien écouté, se disent les uns aux autres : il ne faudra donc plus jurer, travailler aux dimanches, ni dérober.

Ces grands disent que leurs esclaves sont incapables d’apprendre à servir Dieu, et voudraient nous empêcher de les instruire, et les tenir dans l’ignorance, crainte qu’on ne vienne à découvrir leur malice.

Mais parce que vous désirez peut-être, Monsieur, que je vous déduise ici quelques cas particuliers par lesquels vous puissiez connaître plus clairement la manière que nous tenons à instruire ces pauvres barbares et comme ils correspondent de leur part à la grâce de Dieu, j’en rapporterai ici quelques-uns.

10. De quelques particularités touchant l’instruction des insulaires depuis le 15 décembre 1648 jusques après Pâques 1649.

Six jours après notre arrivée, ayant ouï dire que le grand de cette contrée nommé Andian Ramach, avait été trois ans à Goa, d’où les Portugais le ramenèrent ici, âgé de dix-sept ans, et est maintenant de cinquante, je l’allai voir avec quelques Français à Fanshere, lieu de son habitation à une journée et demie d’ici, de la part de M. de Flacourt. Il nous fit bon accueil et ayant fait trois signes de croix sur le front la bouche et le cœur, dit : Per signum sanctae crucis de inimicis nostris libera nos, etc., et récita le Pater, Ave et Credo en portugais. Je lui demandai par interprète pourquoi il n’y avait que lui seul en ce pays qui sut prier Dieu, et la cause pour laquelle il n’avait pas soin de faire instruire ses sujets. Il me répondit qu’ils étaient incapables et qu’il n’y avait point de prêtre pour les enseigner. Je lui répliquai que j’étais venu le trouver pour le servir et tous ses sujets aussi qui en deviendraient capables après avoir été enseignés comme lui. Il me dit qu’il en était content qu’il assisterait aux prières quand je les ferai en son village. Autant m’en dirent d’autres grands qui étaient en ce lieu, et me prièrent que je vinsse instruire leurs enfants. Ce roitelet dit qu’il fut baptisé à Goa, en un collège où il y avait plusieurs Pères et qu’étant malade, le baptême lui restitua la santé ; a près quoi il se confessa et communia une seule fois ; puis fut ramené ici par un marchand portugais avec lequel vinrent deux prêtres, qui demeurèrent dans une îlette à deux lieues d’ici où l’on voit les murailles d’une maison bâtie par les Portugais il y a plus de cent ans, comme il appert par une inscription d’une croix de marbre.

8) Saint Mathieu XI, 25

 

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L’un de ces prêtres mourut et l’autre s’en retourna avec le marchand après avoir baptisé un homme seulement, auquel j’ai parlé, qui porte trois croix sur la peau de l’estomac. Andian Ramach, huit ans après reprit ses superstitions.

Après quelques discours de part et d’autre, je caressai la jeunesse, leur tendant la main à la mode du pays, bégayant quelques mots de leur langue, puis leur fis des petits présents de bracelets de verre, de quoi ils étaient ravis, m’appelant leur père, et moi mes enfants. Chacun d’eux me considérait attentivement ; et quand j’allais à l’écart pour faire l’office divin, ils venaient me voir prier Dieu, et s’arrêtaient autour de moi.

Ce premier voyage me remplit de joie et d’espérance. Étant de retour, je consolai mon cher compagnon de toutes ces bonnes nouvelles. Et les fêtes de Noël se passèrent en gagnant notre jubilé, administrant les sacrements et prêchant aux Français, comme nous avons accoutumé de faire. Le jour des Rois étant venu, pour correspondre au mystère de la vocation des Gentils, nous commençâmes à baptiser les enfants non adultes. M. de Flacourt nomma le premier Pierre ; et voilà la première pierre de notre Église spirituelle.

Environ ce temps-là, partit un navire, avec douze Français, envoyés pour demeurer à Sainte-Marie, qui est une petite île à deux cents lieues d’ici, où il y a un Roandrie, qui en est le maître, et quatorze villages et environ six ou sept cents personnes très sociables. Ils ont presque la même langue qu’ici. Ce pays est malsain, et la terre, quoique bonne à cultiver est difficile à défricher, à cause de l’épaisseur des bois. M. de Bellebarbe y fut envoyé pour avoir soin d’eux, lequel je priai d’y mettre plus de disposition qu’il pourrait pour le christianisme ; mais il n’y a pas demeuré longtemps ; et voilà qu’il s’en retourne en France.

Quelque temps après, ayant eut peu d’intelligence de la langue, nous parlions aux nègres d’apprendre à prier Dieu. Ils étaient honteux et s’excusaient sur leur incapacité, mais prenant leur main, on leur faisait faire le signe de la croix et prononcer les paroles ; après quoi ils étaient ravis d’avoir fait et dit ce qu’ils croyaient auparavant impossible. Nous faisions le même à la jeunesse ; et le dimanche nous leur faisions dire par truchement un mot de la doctrine chrétienne, et en peu de temps ils furent désabusés de l’opinion qu’ils avaient d’être incapables d’apprendre.

Plusieurs Roandries des environs vinrent visiter M. le commandeur et lui firent de petits présents, dans l’espérance d’en recevoir davantage, comme c’est la coutume du pays. Nous prenions occasion de la curiosité de ces grands de les attirer,

 

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avec leurs esclaves et vassaux qui les accompagnaient, à venir voir notre chapelle, où par interprète nous leur parlions de notre foi. Ils disaient que ces choses étaient belles et qu’ils désiraient les apprendre. Quelques-uns, s’étant trouvés aux grandes messes, demandaient ce que c’était, et pourquoi, le prêtre ayant chanté, tous les Français répondaient d’une même façon. On leur répondait que nous étions tous d’accord à demander nos besoins à Dieu et uniformes à chanter ses louanges. Quelqu’un nous dit qu’autrefois dans cette terre leurs ancêtres avaient eu de grandes maisons où ils s’assemblaient comme nous dans nos églises, et qu’au jour du vendredi, après avoir chanté comme nous, on tuait des bœufs, moutons et cabris pour un banquet public, mais que les guerres avaient aboli ces choses depuis cent ans.

Je pris de là occasion de leur dire qu’on leur enseignerait une manière de prier Dieu plus excellente que celle de leurs ancêtres, qui n’était que charnelle, et la façon de le servir comme il nous le commande, sans qu’il soit nécessaire de faire d es festins.

Le plus savant des Ombiasses de ce pays, âgé de cinquante ans, se trouva ici avec les autres. Nous lui demandâmes par interprète comme il servait Dieu. Il nous dit que Ramofamade, c’est-à-dire Mahomet, était leur prophète, et Moïse le notre ; que nous faisions bien de suivre la loi de Moise et eux celle de Mahomet. Il nous raconta l’histoire de notre premier père Adam à peu près comme elle est dans la Genèse, excepté une circonstance impertinente, savoir qu’il y avait une rivière de lait, l’autre de miel, la troisième de vin, et que le sujet pour quoi Dieu se fâcha fut à cause de la puanteur provenue de ce qu’Adam et Éve avaient purgé leur ventre dans le jardin. Il disait de plus qu’entre les enfants d’Adam quelques uns étaient blancs et grands seigneurs, desquels les Français et les blancs de ce pays étaient descendus, les autres noirs, et les esclaves, desquels les nègres tiraient leur origine. Nous lui parlâmes de Jésus-Christ, Fils de Dieu incarné. Il répondit que leurs livres faisaient mention d’un prophète nommé Raissa, qui était venu en terre immédiatement de Dieu, sans être né parmi les hommes, et qu’il était plus grand que Mahomet, qu’il lui avait cédé. Lui ayant dit que c’était Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, que nous adorons, il répondit que Dieu n’avait point de fils et qu’il était seul qu’au reste ils espéraient aussi bien que nous aller au ciel en gardant leurs cérémonies. Mais il n’y avait personne entre les interprètes capable d’expliquer le mystère de la Trinité, comme j’espère qu’on le pourra avec le temps, s’accommodant aux comparaisons et façon de parler de ce pays. La conclusion de

 

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notre visite fut qu’il était content d’apprendre notre créance et nous laisser son fils, âgé de quinze ans, pour apprendre de lui par après. J’acceptai volontiers son offre ; mais ce petit libertin ne voulut pas demeurer. Il me dit que son père ne lui permettait pas de boire du vin jusques à ce qu’il eût appris leurs superstitions.

Voilà ce que j’ai appris du plus savant du pays, qui pourtant ne dit mot de Dieu aux nègres, se contentant de les piper avec ses olis et salis. Qui pourrait gagner un Ombiasse tel que celui-ci, et le désintéresser des petits profits qu’il tire de ses tromperies, tout le reste serait bientôt gagné ; mais il faut de bons interprètes qui sachent entendre et dire les raisons de part et d’autre ; ce qui ne se peut faire que par long usage, la langue n’étant pas réduite en préceptes et n’y ayant pas longtemps que ce pays est habité des Français. J’espère qu’avec le temps Dieu nous fera la grâce de vaincre ces difficultés.

Les premières visites que j’ai faites à la campagne furent pendant le carême, à l’occasion de quelques Français malades, à trois ou quatre lieues d’ici. En passant par les villages, les nègres s’assemblaient par curiosité, pour voir une petite montre que j’avais empruntée. Ils l’admiraient et croyaient qu’elle était animée, et disaient que nous étions des dieux ; ce qui nous obligeait, comme Paul et Barnabé, de leur dire que nous étions des hommes comme eux ; et prenais de là occasion de leur parler de Dieu selon mon possible Ces pauvres gens disaient aussi qu’ils étaient incapables d’apprendre ; et quand je leur voulais faire faire le signe de la croix, ils s’enfuyaient. Un plus hardi, qui était le maître du village, l’ayant fait et prononcé les paroles, chacun demandait puis après à le faire.

11. Des visites faites en la campagne depuis les fêtes de Pâques 1649 jusques au mois de juin.

Les fêtes de Pâques étant passées, j’appris que Andian Ramach faisait un Nissanath de sa maison, qui avait été réparée. Je jugeai à propos de m’y trouver, tant pour voir ce qui se passait en cette cérémonie, que pour prendre occasion de parler de la foi en une si bonne compagnie, en la présence du roi et d’autres grands qui y devaient assister. Je menai avec moi un interprète pour leur parler plus facilement. Je priai le roi de leur dire lui-même ce qu’il en avait appris, vu qu’ils avaient plus de créance en lui. Il me le promit par plusieurs et diverses fois ; mais il n’en fit rien et fut cause que, pour nous être attendus à lui, l’occasion se perdit par la grande confusion de leur banquet ; mais j’en parlai aux grands du pays et aux ombiasses qui étaient en sa maison, et je tirai encore cet avantage de cette visite, que le peuple m’ayant toujours

 

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vu auprès de leur roi, crut que j’étais en crédit auprès de lui ; ce qui m’a depuis beaucoup servi, leur disant mêmement, comme il est vrai, que leur roi m’avait prié de les instruire ; et lui-même me fit de plus instance que je vinsse tout à fait demeurer avec lui, que je lui donnasse des heures en portugais et qu’il prierait Dieu comme autrefois En partant, il me dit que j’écrivisse à Louis de Bourbon qu’il lui fit un beau présent. Je lui dis qu’il n’y manquerait pas, s’il se remettait en état de bon chrétien et contribuait avec nous au salut de ses sujets, que, lorsque nous irions demeurer avec lui nous ne lui serions point à charge. Car ces gens ici sont si mesquins qu’il serait plus à propos de leur donner que recevoir d’eux.

En m’en retournant, un maître de village nommé Ramanore après les blancs un des plus riches et considérables du pays qui avait autrefois assisté aux instructions à notre habitation après avoir expérimenté toutes les superstitions des Ombiasses sans aucun effet, me fit prier d’entrer chez lui et d’obtenir de Dieu sa santé. Lui ayant remontré que Dieu permet souvent les maladies de nos corps pour le salut de nos âmes et qu’il était tout-puissant pour le guérir, s’il quittait la superstition du pays et voulait servir Dieu comme nous, il demanda aussitôt qu’on l’enseignât. Je fis assembler ceux du village pour venir écouter. Je leur déclarai, par l’interprète que j’avais conduit avec moi les choses plus substantielles de la foi et plus nécessaires à salut. Le malade, après avoir écouté le tout, dit que son cœur était soulagé et qu’il croyait tout ce qu’il venait d’entendre, et qu’il portait grande compassion au Fils de Dieu, mort pour nous, et qu’il l’en remercierait et ne l’oublierait point. Il demanda si Jésus-Christ était assez puissant pour lui restituer la santé. "Oui, dis-je si vous croyez de tout votre cœur et que votre âme soit lavée de tous vos péchés par le saint baptême." Il fit apporter de l’eau et me fit presser de le baptiser. Mais, craignant, ce qui arriva depuis qu’il ne cherchât plus la santé corporelle que la spirituelle je la différai, lui disant qu’il fallait éprouver si son désir de servir Dieu était véritable, et qu’il paraîtrait tel si, ayant reçu la santé, comme j’espérais que Notre-Seigneur la lui donnerait, il se faisait entièrement instruire et lui et toute sa famille.

La femme, entendant l’explication des commandements de Dieu, dit qu’il y avait longtemps qu’ils avaient recours à Dieu, et qu’en tout, particulièrement en plantant et recueillant leur riz élevant les yeux au ciel, ils disaient à Dieu : "C’est toi qui peux faire venir ce que je recueille ; si tu en avais besoin, je te le donnerais, et j’en donnerai à ceux qui en auront besoin, comme aux Français qui passeront par chez moi, et aux

 

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pauvres esclaves." Je pensais pour lors à Cornetius, mais je n’avais pas eu de vision pour le baptiser.

Tous les assistants étaient ravis des choses qu’on leur avait dites, et disaient que ces choses valaient mieux que l’or et l’argent, qu’on peut prendre à celui qui doit ; mais ceci, qui nous le peut ôter ? Nous le retrouverons toujours dans notre cœur après le sommeil. Je reconnus par ces discours qu’encore que le Saint-Esprit ne fut visiblement descendu en eux, il s’y faisait néanmoins sensiblement paraître par les lumières qu’il répandait dans leurs âmes. Je pris congé, laissant au malade l’espérance de sa guérison et à tous celle d’être instruits. Peu de temps après, j’appris la santé de ce bonhomme qui ne m’a point pressé de l’instruire, comme il m’avait promis, quoique néanmoins il témoigne d’être toujours dans le même désir. Je crois que le respect humain et la crainte d’être mal avec les grands qu’il sert le fait différer. Il vit moralement bien, et j’ai depuis baptisé deux de ses enfants. Quelques-uns me disaient, après, que je le devais baptiser et que sa santé aurait donné crédit au baptême, mais je crus qu’il en donnerait davantage, le recherchant de bonne sorte en santé.

12. De quelques visites que nous fîmes les mois de juin et de juillet, et de la mort de Monsieur Gondrée.

Vers les Rogations M. de Flacourt allant à Fanshere, désira d’être accompagné de quelqu’un de nous. M. Gondrée y alla et pâtit beaucoup ; car la chaleur le voyage à pied et l’abstinence n’ayant mangé qu’un peu de riz cuit avec de l’eau, l’ayant affaibli, il revint avec la fièvre et des douleurs intolérables par toutes les jointures ; et au fort de tous ses maux, il fît paraître une grande constance et des sentiments vraiment chrétiens.

Pendant les fêtes de la Pentecôte bien que je fusse extrêmement affligé de la maladie de ce bon serviteur de Dieu, Notre-Seigneur me donna les forces pour satisfaire à la dévotion des Français et de nos catéchumènes, confessant prêchant et chantant la messe le matin, et l’après-dînée chantant vêpres et instruisant les insulaires.

Je reçus deux filles adultes au baptême, qui furent mariées à deux nègres, baptisés l’un à Paris par Monseigneur le nonce, l’autre à Nantes ; ce qui consola notre malade, qui reçut l’extrême-onction avec une grande dévotion. Il dit que tout son déplaisir était d’abandonner ces pauvres infidèles. Il recommanda ensuite avec grande ferveur aux Français la crainte de Dieu et la dévotion à la sainte Vierge, de laquelle il fut très dévot. Il me pria de vous écrire, Monsieur et de vous remercier très humblement en son nom de la grâce que vous lui

 

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aviez faite de l’admettre et supporter entre vos enfants, et surtout de l’avoir choisi entre tant d’autres, qui en étaient plus capables, pour l’envoyer ici, qu’il priait ceux de notre congrégation d’en remercier Dieu pour lui ; puis il me dit : "Je vous laisse cet avis par testament, que vous souffrirez beaucoup en ce pays et non pas pour peu, mais beaucoup." Et ayant passé une partie de la nuit en continuelles inspirations à Dieu, en souriant il lui rendit son âme le quatorzième de sa maladie.

Le lendemain, il fut enterré avec les pleurs de tous les Français et des infidèles, qui disaient qu’ils n’avaient point vu jusques à notre venue des hommes qui ne fussent point colères et fâcheux, et qui leur enseignassent les choses du ciel avec tant d’affection et douceur comme nous leur faisions.

Je vous supplie de faire ici une pause pour vous représenter les ressentiments de mon pauvre cœur dans la perte de celui que j’aimais comme moi-même, en qui tout était aimable, et qui était en ce pays, après Dieu, toute ma consolation.

Je demandai à Notre-Seigneur Jésus-Christ la portion des grâces du défunt pour faire seul l’ouvrage de deux. l’ai ressenti après sa mort l’effet de ses prières et une double force de corps et d’esprit pour travailler à la gloire de Dieu. Ensuite la crainte de mourir avant que j’eusse mis en état l’œuvre de Dieu, me pressa de travailler au plus nécessaire, qui était de composer en cette langue des instructions de ce qu’il faut croire et faire, afin de me les rendre familières, et les laisser à ceux qui viendront, au cas que Dieu disposât de moi. Après beaucoup de peines d’exprimer les choses de la religion dans un pays sans religion, j’achevai le plus nécessaire, et envoyai une copie à M. de Bellebarbe, à Sainte-Marie, afin de s’en servir ; mais il ne l’a pu, faute d’interprète.

Depuis que j’eus dressé les instructions en ordre, j’assemblai les infidèles de notre congrégation les dimanches et fêtes, qui s’étonnaient de me voir en si peu de temps parler en leur langue, quoique je ne fasse que bégayer ce que j’avais appris de plus nécessaire. Les enfants d’un grand, nommé Andian Panole, éloignés de deux cents lieues d’ici, venus ici pour leurs affaires, nous venaient voir et assistaient aux instructions. Au départ, ils dirent qu’ils désiraient être aussi instruits et rapporteraient à leur père ce qu’ils avaient entendu de notre religion. Je leur donnai espérance qu’avec le temps nous irions. On y ferait grand profit ; car ce pays est meilleur et mieux peuplé que la contrée où nous sommes ; et ces habitants sont fort curieux d assister aux prières des Français qui y vont négocier.

Je ne perds aucune occasion d’annoncer Jésus-Christ en personne

 

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et par autrui, soit aux nègres éloignés où vont les Français, auxquels après les avoir exhortés à se confesser et communier avant leur départ, et recommandé à tous la crainte de Dieu et de donner bon exemple aux infidèles, je chargeai les plus intelligents de ne laisser passer aucune occasion de parler de notre foi, et leur donnai par écrit les instructions nécessaires à cet effet.

J’allai, au mois de juin, à la campagne voir si la semence céleste que j’avais jetée par les villages, commençait à germer, et j’appris qu’on faisait solennelle assemblée à Fanshere pour l’entrée de la maison d’Andian Sero, qu’on tient devoir succéder à Andian Ramach. Ayant ouï dire que ce maître de village nommé Ramanore, duquel j’ai ci-devant parlé, avait été guéri incontinent après que je l’eus visité, il me fît instance d’aller à son logis pour prier Dieu pour la santé de son petit-fils. "Que veux-tu, lui dis-je, que je fasse ? Penses-tu que Dieu le puisse guérir sans ces olis de ce pays ?" (car c’est un des plus superstitieux) "Fais et dis ce que tu voudras, pourvu que mon fils guérisse." Ayant élevé mon cœur à Dieu avec confiance, je fus trouver Andian Famach et lui dis : "Tu sais bien ce que c’est que le baptême et comme tu y as reçu la santé de l’âme et du corps. Voilà ton petit-fils malade. Si tu veux que je le baptise, fais venir en ta maison ton gendre et ta fille et l’enfant ; et je leur dis ce que c’est que le baptême ; et donnerai quel nom il te plaira." Il le fit et le nomma donc Jérôme, et me dit de bien prononcer les paroles, lesquelles il prononça aussi. le fis dire par l’interprète que l’enfant serait tenu de vivre en bon chrétien ; et le père me dit : "Je te le donne et veux que tu sois son père et sa mère, quand il sera grand." Je le baptisai ensuite, faisant entendre aux Roandries qui étaient présents que, quoiqu’on baptisât les enfants sans disposition de leur part, qu’il fallait néanmoins que les adultes fussent auparavant instruits. L’enfant peu après revint en santé et, par la grâce de Dieu, il n’en est point encore mort ici après le baptême, comme il arrive en Canada. Voilà pourquoi les païens n’ont point de répugnance qu’on baptise leurs enfants, croyant que cela leur conserve la santé, en suite de ce qui arriva à un nègre, auquel je dis que son enfant mourrait s’il le faisait circoncire ; ce qui arriva. Après quoi il me vint trouver avec sa femme, me disant en pleurant : "Tu me l’avais bien dit." Ces pauvres gens pleuraient la perte du corps de leur enfant, et moi celle de son âme. Andian Ramach, avant mon départ, parla des commandements de Dieu au peuple ; et je confirmai son dire m’offrant de les instruire. Les Roandries qui étaient venus à la fête dirent qu’ils voulaient être baptisés avant que partir. J’entrai à la maison neuve,

 

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que je trouvai pleine de femmes de Roandries. le leur pariai de la foi. Elles me répliquèrent que les 0mbiasses du pays exemptaient les femmes d’apprendre, comme incapables. Mais leur ayant dit que les femmes de France étaient aussi bien apprises à servir Dieu, que les hommes, elles me dirent qu’elles voudraient bien qu’il y en eut ici pour les instruire

13. Des autres visites faites ès mois d’août, septembre, octobre, novembre, décembre.

Depuis la mort de mon cher compagnon sur lequel je me reposais et mettais le soin de notre habitation et des environs je ne puis aller si loin qu’auparavant ; car il faut me trouver les dimanches et fêtes à l’habitation, pour célébrer la sainte messe et l’office divin et faire les exhortations aux Français et instructions aux infidèles des environs. Voilà pourquoi mes voyages ne sont que de six jours.

Je fus le mois d’août aux montagnes les plus proches de nous. J’instruisais le jour ceux qui étaient aux villages et le soir, au clair de la lune, tant ceux-ci, que les autres qui retournaient du travail. Je fus extrêmement consolé, voyant d’un coté qu’ils croient de tout leur cœur, et je disais, les larmes aux yeux : Quid prohibet eos baptizari (9) ? Mais craignant qu’ils n’abusassent du baptême, n’ayant point de prêtre pour les entretenir à la piété chrétienne je remis le tout à l’adorable providence de Dieu. J’eusse baptisé des enfants ; mais je craignais qu’on ne les put plus discerner des autres, vu principalement que les païens changent souvent de demeure ; et je crois qu’il sera à propos de leur faire quelque marque pour les discerner.

Ceux que j’ai baptisés aux villages voisins de nous se reconnaissent, et on les appelle dans le pays par leur nom de baptême : Nicolas, François, Jean, etc.

Ce serait une chose trop longue et ennuyeuse si je voulais particulariser les noms, les voyages, les villages, les gens auxquels j’ai annoncé Notre-Seigneur Jésus-Christ, et les particularités qui s’y passèrent. Je vous puis dire qu’on ne peut désirer plus de disposition pour recevoir l’Évangile. Tous se plaignent de ce que les Français depuis qu’ils sont en leur pays, ne leur ont point parlé de la foi, et portent une sainte envie à ceux qui sont voisins de notre habitation.

Je rapporterai seulement ce qui se passa en quelques rencontres particulières. A la fin du mois de novembre, j’allai visiter les villages qui sont nu delà de Fanshere. J’avais porté

9) Actes VIII, 36.

 

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une grande image du jugement final et du paradis et de l’enfer. A chaque village, je leur criais que j’étais venu afin que leurs yeux vissent et que leurs oreilles entendissent les choses de leur salut. Après leur avoir expliqué ce qu’il fallait croire et les commandements de Dieu, je leur montrai les demeures de l’éternité et les pressai de choisir le haut ou le bas, l’enfer ou le paradis. Ils s’écriaient : Tsiary aminy Rabilo ; aminy lanahary tiako andeha (c’est-à-dire je n’ai garde de choisir d’aller avec le diable ; c’est avec Dieu que je veux demeurer).

Ils se disaient que leurs Ombiasses ne leur parlaient point de Dieu et ne les visitaient que par intérêt et pour les tromper ; et que moi je les enseignais gratis. Ils admiraient comme on avait pu faire des figures sur le papier. Ayant entendu parler du péché de nos premiers parents, les uns leur donnaient des malédictions et disaient : "Oh. ! que c’eût été une belle chose de demeurer comme Dieu nous avait créés, sans avoir besoin de travailler, ni être sujets aux maux de cette vie, ni à la mort !" D’autres s’en prenaient au diable, disant que, s’ils l’eussent pu attraper ils l’eussent brûlé. Quand quelqu’un arrivait tard et que l’image était pliée, ils lui disaient : "Ah ! tu n’as pas vu la richesse." Et il fallait la déplier et expliquer derechef.

En m’en retournant, je passai par Fanshere et montrai mes images au roi, qui les connaissait et expliquait, puis je le priai de permettre que je baptisasse les enfants de son village, et de défendre la circoncision. Il me dit qu’il n’empêcherait pas le baptême, mais que je laissasse faire la circoncision. Il faut avoir un peu de patience pour les désabuser avec le temps. Si nous pouvons réduire ce roitelet en son premier état de chrétien, les autres grands le suivront, et il y aura de quoi se lasser les bras à baptiser. Comme les moins disposés à recevoir l’Évangile sont les blancs, et entre eux les grands et les Ombiasses, je tachai de ne perdre aucune occasion de leur parler de la foi ; car ceux-ci étant gagnés à Dieu le reste sera facile.

Voilà pourquoi, étant allé à la pointe de l’île à deux journées d’ici, où je fus extrêmement consolé de voir tant de dispositions dans le peuple, je fus chez Andian Madamboro, frère aîné du roi qui a été supplanté par son cadet. Ce grand est un Ombiasse et grand superstitieux, à qui on attribue le pouvoir de faire venir et chasser les sauterelles. Il me pria d’abord de lui donner quelque remède pour les gouttes, desquelles il était alors travaillé, et lui ayant dit que Dieu seul le pouvait guérir, ou lui donner patience en son mal, je lui évangélisai ensuite Jésus-Christ. Et lui disant qu’il fallait croire en Celui dont il tenait l’image, il la prit, la baisa, la mit sur sa tête et

 

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sur son cœur et me pria de demeurer avec lui pour l’instruire. Je ne pus le payer que d’espérance. J’eus désir de voir ses livres qui étaient tous enfumés. Tous les assistants, me tenant par la soutane, me criaient : "Que vas-tu faire ? tu nous porteras malheur, lave donc tes mains et ta bouche." Me moquant de leur crainte, je pris ces livres, où je ne vis que des figures mal tracées. Et lui demandant la signification de l’écriture il me dit qu’il y avait les noms des planètes. Je lui dis qu’il fallait quitter toutes ces superstitions et tromperies, dont il abusait le peuple. Il répondit qu’il ne savait aucun mal et n’avait intention de servir au diable, mais d’observer les coutumes de leurs ancêtres, que je lui enseignasse mieux et qu’il quitterait tout cela, que je le vinsse voir souvent pourvu que ce ne fut le vendredi auquel jour il ne parlait à personne parce qu’il avait observé que tous ceux qui lui avaient parle ce jour-là s’en étaient trouvés mal par la suite de quelque sinistre accident. Et moi je lui dis que je tâcherais de venir ce jour-là, auquel Notre-Seigneur Jésus-Christ nous avait rachetés par sa mort. Lui ayant fait faire un signe de croix je le laissai en cette bonne disposition.

Je m’en allai ensuite visiter Andian Machicore gendre du roi, en un autre village. (On attribue à celui-ci le pouvoir de faire venir la pluie, de sorte qu’ayant plu une fois, on lui présenta des boeufs en remerciements.) Discourant avec lui en présence de plusieurs habitants du lieu, il me demanda s’il pleuvrait bientôt, à cause que leur riz était tout brûlé faute d’eau. Je vis la lune pâle et le ciel qui se couvrait. Je lui dis qu’à mon avis il tomberait bientôt de l’eau, mais que je n’en savais rien au vrai, parce que cela n’appartient qu’à Dieu seul, qui envoie et retient la pluie comme il lui plaît. "Mais toi, lui dis-je, si tu as le pouvoir de faire venir la pluie pourquoi permets-tu que les riz du pays et les tiens se sèchent et se perdent ?" Il en attribua la vertu à ses olis qui ont tous leur nom. Je me souviens d’un, qu’il appelle Andian Valotomboko c’est-à-dire Monseigneur qui a huit pieds. J’étais un peu en chaleur et justement indigné contre ces piperies et dis que c’étaient des diables qu’ils honorent sous ces figures ridicules et que c’étaient inventions des magiciens, pour transférer aux démons l’honneur qui appartient à Dieu seul. Et loquebar de testimoniis tuis in conspectu regum et non confundebar (10) Il n’y a pas de danger de leur dire la vérité, d’autant qu’ils n’oseraient faire tort à aucun Français encore moins à moi,

10) Psaume CXVIII, 46.

 

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qui converse doucement avec eux, sans toutefois les flatter, quand il s’agit de la gloire de Dieu.

La plus grande difficulté sera à convertir ces superbes, qui sont incapables de raisonnement ; car il n’y a aucune science en ce pays ; et la coutume et l’intérêt temporel l’emportent par-dessus la raison ; de quoi néanmoins nous ne devons pas nous étonner en des personnes qui n’ont encore qu’une étincelle de connaissance, vu qu’il s’en trouve en Europe des parfaitement éclairés qui expérimentent les mêmes difficultés à se retirer du vice.

Je fus, il y a quelque temps, au delà des montagnes, en une contrée qu’on appelle la vallée d’Amboule, où il y a un seul grand. Lui et tous ses sujets, qui sont environ quatre mille sont nègres. Il n’y a point d’Ombiasse, mais ils y vont vendre leurs olis. Étant chez le roi, je lui montrai l’image du jugement général, disant que Dieu ferait ainsi brûler les polygames lui et ses femmes (car il en a cinq). Il changea de visage ; il me pria de venir l’instruire et qu’il obligerait ses vassaux à recevoir l’Évangile.

Je visitai, les fêtes de Noël, le pays d’Anossi, où il y a environ dix mille hommes. Il ne me reste plus que deux visites à faire pour achever de réparer les voies, in omnem locum in quem est ipse Dominus venturus. J’irai au plus tôt, afin que ceux qui viendront trouvent au moins la terre défrichée, ce qui n’a pas été fait sans grande fatigue ; mais celui qui a donné aux Évangélistes nivem sicut lanam (11) fait ici que la chaleur parait une douce rosée à ceux qui sont dans la fournaise de la charité.

Conclusion.

Voilà le vaisseau qui va lever l’ancre, après m’avoir donné le loisir de faire ces remarques. Pour conclusion je vous dirai Monsieur, que tous ces pauvres languissants n’attendent que aquae motum (12) et la main de quelques bons ouvriers pour les plonger dans la piscine du baptême. Combien de fois, évangélisant à la campagne, ai-je entendu, non sans larmes ces pauvres gens crier : "Où est donc cette eau qui lave les âmes, que tu nous a promise ? fais-en venir et y fais les prières."~ Mais je diffère, craignant qu’ils ne la demandent encore matériellement, comme celle qui, pour être exempte de venir aux puits, demandait à Notre-Seigneur de l’eau qui ôte la soif, et ne connaissait pas encore celle qui éteint le feu de la concupiscence et rejaillit à la vie éternelle.

11) Psaume CXLVII, 16.

12). Saint Jean V, 3.

 

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J’ai dit, au commencement, que nous avons trouve cinq enfants baptisés. Il a plu à N.-S. d’en ajouter cinquante-deux autres. Quoiqu’il y ait beaucoup d’adultes suffisamment disposés, je diffère jusques à ce qu’on puisse les marier incontinent après le baptême, pour remédier au vice du pays, comme nous avons déjà fait à ceux qui furent baptisés en France. J’aurai soin cependant qu’aucun suffisamment disposé ne meure sans baptême. Je baptisai, il y a quelque temps, une pauvre vieille grièvement malade, dans laquelle Dieu fît voir les effets de sa grâce par les grands sentiments qu’il lui donna tout à coup de sa bonté. Elle est allée, la première de ce pays, à l’éternité bienheureuse, et son corps a été le premier enterré au cimetière des Français.

Le jour de la Purification, nous avons béni et posé la première pierre fondamentale de l’église qu’on va bâtir pour notre habitation, après avoir remercié Dieu de nous avoir choisis pour bâtir un temple à sa divine Majesté dans un si grand royaume, où il n’y a aucun vestige d’église, quoiqu’il y ait plus de quatre cent mille âmes, qu’on peut tailler pour être des pierres vives de l’édifice spirituel que nous espérons ériger à sa gloire.

J’attendrai du secours et les ordres de la Sacrée Congrégation de la Propagation de la Foi et les vôtres. Cependant, si je ne puis pas beaucoup avancer, je tacherai de ne pas laisser perdre ce qui est commencé. Où sont tant de docteurs, comme disait autrefois saint François Xavier, qui perdent le temps dans des Académies, pendant que tant de pauvres infidèles petunt panem, et non est qui frangat eis (13) ? Le maître de la maison y veuille bien pourvoir ! Car à moins que d’avoir quantité de prêtres pour instruire et entretenir le fruit, on ne peut guère avancer, parce qu’encore que le peuple soit crédule et facile à attirer au giron de l’Église, l’attache qu’ils ont au temporel étouffe, comme les épines, la semence jetée dans leurs cœurs. Et quoiqu’ils la reçoivent avec joie, cito arescit, quia non habet humorem (14), Je ne doute point, Monsieur, que tous les sujets de notre congrégation ne tressaillent de joie à des nouvelles si désirables à leur zèle et ne désirent coopérer avec Dieu à la conquête de ce nouveau royaume à Jésus-Christ, et que, dans la compassion de me voir seul, dans un pays si éloigné, administrer les sacrements aux autres, sans en pouvoir recevoir d’autres que la sainte Eucharistie, ils ne prient la bonté de Dieu de me fortifier en sa grâce.

13) Livre des Lamentations IV, 4.

14) Saint Luc VIII, 6.

 

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Ce qui sera le plus capable de me consoler après Dieu, sera de savoir ce qui s’est passé de plus considérable en notre congrégation au bien de la sainte Église et en la gloire de Dieu, que je continuerai de prier pour vous Monsieur, afin qu’il lui plaise, avant que vous appeler à soi vous faire voir vos enfants multipliés comme les étoiles du firmament, et que tous puissent être pères de plusieurs générations pour le ciel où j’espère vous voir, par les mérites de Notre-Seigneur Jésus-Christ et l’assistance de vos prières et de tous nos confrères et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

CHARLES NACQUART,

prêtre de la congrégation de la Mission

et missionnaire apostolique en cette île.

A Madagascar du fort Dauphin, à Tholanghare habitation des Français, ce cinquième février 1650.

 

1180. — A GUILLAUME DELATTRE, SUPÉRIEUR, A AGEN

Du 6 février 1650.

Je crois bien que ce que l’on vous a imputé au sujet des Pères Jésuites n’est qu’une calomnie, et que vous ne voudriez pas choquer une compagnie si sainte et tant utile à l’Église de Dieu comme elle est. Je loue Dieu de ce qu’on a aussi reconnu la vérité. J’espère que ce qui s’est passé ne servira que pour vous lier plus intimement avec ces Pères, auxquels je souhaite que vous témoigniez grande estime, affection et déférence, comme je tâche de faire ici ; ce que je fais avec grande consolation.

Lettre 1180. — Reg. 2, p. 125.

 

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1181. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION

…Et moi, comment m’a-t-on souffert, si cela est, jusques à cette heure dans l’emploi que j’ai, qui suis le plus rustique, le plus ridicule et le plus sot des hommes, parmi ces gens de condition, avec lesquels je ne saurais dire six paroles de suite, qu’il ne paraisse que je n’ai point d’esprit, ni de jugement ! Mais qui pis est, je n’ai aucune vertu qui approche de la personne dont est question.

 

1182. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

Du 9 février 1650.

On ne m’a fait aucune plainte, comme vous pensez, de la chambre que vous avez fait paver ; et je n’en sais autre chose que ce que vous-même m’en écrivez, qui est assez pour me faire juger que le supérieur (1) n’est pas content de cette réparation, non plus que des autres faites pendant son absence ; ce qui me donne sujet de vous prier de ne rien faire de quelque importance que de concert avec lui ; et lorsqu’il n’en conviendra pas, si la chose vous semble nécessaire ou fort utile, faites-moi savoir vos raisons et les siennes ; nous aviserons s’il la faudra faire ou la remettre.

Lettre 1181. — Manuscrit du frère Robineau, pp. 22 et 61.

1) Le missionnaire s’était plaint de son nouveau supérieur, disant qu’il n’était pas assez civilisé. Après avoir fait de ce dernier un éloge mérité, saint Vincent ajoute les mots ci-dessus. Si, comme il est assez vraisemblable, le supérieur en question n’est autre que Pierre Watebled, la lettre est de 1650.

Lettre 1182. — Reg. 2, pp. 307, 132 Le second fragment, qui était peut-être le premier dans l’original, commence aux mots Je suis bien aise que.

1) Antoine Lucas.

 

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Je ne reçois des lettres de M…. que rarement, et jamais il ne m’a fait mention de vous, pour le moins au sens que vous pensez ; aussi ne souffrirais-je pas que telles personnes entreprissent à m’avertir de ce qui se passe dans la famille, dont ils ne se doivent pas mêler. Et puis, vous êtes trop sage et retenu pour qu’on trouve beaucoup à redire à vos actions ; mais si quelqu’un venait à les blâmer sans sujet, ne seriez-vous pas bien aise de souffrir pour la justice, Notre-Seigneur ayant dit que ceux-là sont bienheureux qui sont ainsi persécutés ? Je vous prie, Monsieur, de tenir votre cœur en paix ; vous êtes à Dieu, par sa grâce, et résolu de vivre et de mourir pour sa plus grande gloire. Ne voilà [-t-il] pas un grand bonheur et de quoi vous réjouir incessamment, quelques peines que vous puissiez avoir ?

Je suis bien aise que vous ayez pressenti la disposition de Monseigneur du Mans (2) sur la taxe de vos chapelles. Je vois bien qu’il se pourra résoudre quelque jour à un procès. Pour maintenant, j’y trouve quelqu’inconvénient à craindre ; c’est pourquoi je vous prie de payer cette taxe, sans préjudice de votre décharge. Nous avons payé plusieurs années celle qui fut faite du commencement sur Saint-Lazare, attendant le temps opportun pour nous en faire exempter, ainsi que nous avons fait depuis, nous étant contentés d’abord de nous plaindre simplement, tantôt à Monseigneur de Paris, tantôt aux commissaires du clergé et tantôt à d’autres, tâchant de les disposer ainsi à loisir à nous ôter cette corvée. Il ne faudra peut-être qu’une bonne mission, de laquelle Monseigneur l’évêque sera bien satisfait, pour vous concilier sa bienveillance, et, par sa faveur, vous faire décharger de cette taxe excessive étant fondés en justice, comme vous êtes

2) Philibert de Beaumanoir de Lavardin.

 

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1183. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Monsieur,

Votre sainte bénédiction, s’il vous plaît !

Ayant eu crainte que l’on ne lût les lettres et les détournât, j’ai écarté celle-ci du paquet et l’ai confiée à un ami, pour vous la faire tenir à vous seul à raison de ce que vous y trouverez, que je n’ai pas trouvé à propos de mêler avec ce qui est dans mon journal. C’est ici une espèce de communication intérieure pour vous demander conseil dans les occasions qui me sont survenues, afin d’apprendre comme il s’y faut comporter, et qui vous fera voir quel il faut être pour demeurer en cette habitation. Il me souvient que vous m’avez souhaité part à la patience de N.-S., et je vous dirai ici les petites difficultés qui sont survenues à mon esprit pour l’exercer.

Vous nous aviez mandé que ces Messieurs nous donneraient les choses nécessaires non seulement ad victum, mais encore ad vestitum, et M. de Flacourt, à ce qu’il m’a dit à La Rochelle et ici, n’entend pas fournir de vêtements, en sorte que, pour ne le pas contrister, j’ai employé à La Rochelle, soit étoffe et linge et autres menues nécessités, environ les deux tiers de ce que vous nous aviez envoyé d’argent, sans quoi je ne porterais plus de marque de prêtre non plus que M. de Bellebarbe, qui est à présent vêtu de gris ; et j’ai ici employé le reste excepté dix écus qui me restent, pour avoir les choses nécessaires et suppléer au trop peu que l’on m’a donné pour aller visiter les malades à la campagne. Éclaircissez-vous de cela, si vous envoyez ici quelqu’un, et spécifiez tout, afin qu’il n’y ait pas de mésintelligence. J’ai mieux aimé employer tout que d’avoir la moindre parole, et me suis engagé de cent francs envers le capitaine de notre vaisseau, comme je vous manderai dans une lettre exprès pour lui.

Je n’ai pas trouvé peu de difficulté à pratiquer ce que vous m’aviez écrit touchant la conversation douce, respectueuse, mais fidèle à tenir le parti de Dieu et ne point trahir ma conscience ; car comme vous savez que les discours des séculiers sont trop souvent de choses qui ne devraient pas être entendues d’un prêtre lorsque, l’impureté ou la médisance, qui d’ordinaire va sur les ecclésiastiques ou autres personnes, se mêlait dans les entretiens, j’ai tâché de la divertir au mieux et

Lettre 1183. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

 

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le plus doucement que j’ai pu, et en voulant être fidèle à Dieu et à ma conscience, ce n’a pas été sans me rendre odieux. Mais des deux j’ai plutôt choisi de plaire à Dieu qu’aux hommes crainte de perdre la qualité de serviteur de Jésus-Christ Il n’y a eu que M. de Flacourt qui l’a trouvé mauvais, le reste en a été bien aise et m’en a su gré. Innocentes et recti adhaeserunt mihi, qui sustinui te, Domine (1).

Quand on travaille ici les dimanches et fêtes sans permission et avant la messe, j’ai averti qu’il fallait suivre la coutume de l’Église, qui est de ne le faire sans nécessité, sans dispense et après la messe. Pour cela, j’ai passé pour vouloir donner la loi et entreprendre sur le temporel par ambition.

Lorsque, pour remédier aux plaintes et murmures de plusieurs, j’en ai averti celui qui pouvait y donner ordre j’ai passé pour l’auteur de tout cela.

Lorsque, par compassion d’entendre les malades qui se plaignaient de mourir faute de nourriture et de remède, je me suis adressé avec respect, de leur part au père de famille, j’ai été renvoyé Dieu sait de quelle façon comme si c’était moi qui leur fis dire. C’est une pitié de voir si peu d’ordre à cela, qu’il faut que ceux à qui on a promis en France de les médicamenter en leurs maladies, vendent leur chemise pour avoir des volailles, qui ne coûtent pas un sol en monnaie de ce pays qui est du verrot qu’on apporte de France, ou il faut qu’ils déchirent leur linge s’ils ont des plaies. Quel moyen de voir cela ? Vous verrez dans une lettre ici incluse qui s’adresse aux Messieurs de la Compagnie de Paris, que je vous prie de lire et ne leur montrer (2) sinon au cas que je sois calomnié, comme j’ai sujet de craindre que ce ne soit le payement des petits services que j’ai rendus à ces. Messieurs, après avoir exposé ma vie sur mer et sur terre ; mais il n’y a rien de perdu devant Dieu.

Comment faudra-t-il faire touchant ces misérables guerres dont je parle à ces Messieurs ? On dit ici qu’on y trouvera bien des prétextes pour le passé et pour l’avenir, et je sais bien qu’il n’y en peut avoir que de faux et capables de détruire l’œuvre de Dieu et de perdre le salut de ceux qui les continueront. S’il s’en fait, c’est pour épargner un peu de marchandise. Il n’y a pas grand’chose à faire pour la religion en ce pays avec un gouverneur seulement pieux en apparence et qui ne songe qu’au temporel. Il ne faut pas seulement des paroles, mais

1) Psaume XXIV 21.

2). Cette lettre a été publiée dans les Mémoires de la Congrégation de la Mission, t. IX, p. 94 et suiv., d’après une copie conservée aux archives de la Mission.

 

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une personne qui contribue en effet par son exemple et par son autorité aux desseins de Dieu, qui sont de si grande conséquence, comme [vous] pouvez le juger.

Saint François Xavier a beaucoup fait par sa vertu et sont zèle, mais l’autorité de ceux qui l’appuyaient et lui fournissaient libéralement les choses nécessaires, y a beaucoup contribué. Il n’y a point ici de punition pour les Français scandaleux, ni pour les vilains et vilaines du pays qui sont au service de l’habitation. Les Français sont quittes pour dire. "Je n’irai point à confesse." Et l’on dit que les autres sont des chiens. N y a-t-il pas moyen que ces Messieurs établissent une justice ?

Je n’ai pas sujet de me plaindre de ma nourriture, qui ne saurait être que trop bonne. Mais s’il faut attirer quelque nègre ou des petits enfants par des présents, on dit que c’est tout gâter ; et sous ce prétexte d’avarice, je n’ai point d’amorce pour pêcher les hommes, et si les frais ne seraient que fort petits pour fournir avec libéralité les choses nécessaires comme vous apprendrez mieux de ceux qui ont demeuré ici, que je ne le vous saurais spécifier par écrit.

Pour un morceau de cristal que j’ai reçu d’un nègre, je suis soupçonné de vouloir entreprendre un trafic en ce pays ; et je le destinais pour faire une petite croix à mettre à l’église ! La façon m’eût plus coûté que la matière ne valait ; et elle n’eût pas eu quatre doigts de long sur deux de large. Encore l’ai-je donné, après qu’on me l’a demandé, me souciant aussi peu des pierreries que de paille.

Quand Monsieur n’avait pas fait faire son poil le dimanche, il fallait retarder la messe ; et il m’a fait ses plaintes, que je le considérais peu de ne le pas avertir pour prendre sa commodité, et qu’il y aurait quelque jour d’autres prêtres ici. Je lui fis voir que j’avais donné charge à son serviteur de prendre garde quand il ne serait pas prêt, et qu’il m’en avertît avant le dernier sonné ; quand chacun est assemblé et le prêtre habillé il n’est plus temps d’avertir.

Il a tant de fois dit qu’il y avait eu des religieux qui s’étaient offerts de payer leur passage et de se défrayer entièrement ici, et qu’il dirait à la Compagnie qu’il n’y a pas de danger d’en laisser venir de toutes sortes ! Je ne sais si c’est par reproche ou à autre dessein. J’ai répondu que je ne souhaitais sinon que Dieu y envoyât ceux qui lui rendraient meilleur service. D’autres y seront autant empêchés comme nous, et la multitude et diversité ne sera que de la confusion. Tout ceci, joint à la difficulté que je trouve à la conduite des Français fait que je vous propose savoir s’il est à propos de nous charger à l’avenir des Français, que l’on mettra dorénavant en

 

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plusieurs habitations mal réglées et en des cantons malsains bien éloignés les uns des autres. Le moyen de suffire à cela et aux nègres ? Ne serait-ce point mieux fait que ces, Messieurs pour leurs habitations eussent de bons prêtres séculiers à gages et que nous autres fussions assez bon nombre pour établir une Communauté et faire habitation aux lieux où il y a plus d’apparence de gagner des âmes, et n’être occupés qu’aux nègres. car il ne faut point parler des règles de la Mission ni de récollection à un prêtre seul, et, quand on serait deux avec les Français d’une habitation qui font un tintamarre d’ivrogneries, de chansons, de leur travail, et des brouillements qui surviennent dans le soin qu’il faut avoir pour la vie et la conversation avec les séculiers.

Certes, vous en ferez ce qu’il vous plaira ; mais pour mon particulier, j’en suis bien las ; et je ne crois pas qu’on puisse faire grand profit avec les nègres, si l’on n’est dégagé totalement de ces Messieurs pour ne vaquer qu’aux missions. Aussi bien c’est contre notre règle d’avoir des cures, et l’on ne peut bien s’acquitter de l’un et de l’autre. Vous savez quelle brouillerie cela donne à Richelieu, encore qu’il y ait une si grande communauté pour vaquer à l’un et à l’autre. Aussi bien comme je crois, les Français dorénavant se marieront aux femmes du pays et iront choisir des lieux écartés et éloignés Le moyen de fournir à tout ?

Audian Ramach m’a dit souvent qu’on allât demeurer à Fanshere auprès de lui, et c’est un lieu pour faire une habitation de six prêtres pour fournir aux missions de cette contrée, que l’on ferait, avec un bon interprète, dans les villages peu à peu. Et l’on pourrait là entretenir un séminaire de petits enfants, dont on aurait une grande quantité, qui ne coûteraient pas beaucoup à nourrir, dans l’âge qu’ils seraient capables d’instruction. Il ne faut point de linge et d’habits comme en France ; ils vont tout nus, excepté une écharpe de droguet, dont ils se cacheraient. Ils sont accoutumés à coucher sur terre et à vivre de riz, de racines du pays.

Je ne sais que vous dire des filles pour la conduite desquelles il faudrait quelques vertueuses veuves ou filles de France pour en avoir soin ; mais ce serait encore un embarras pour nous, car vous savez l’importunité de ce sexe. Des sœurs de la Charité bien fondées en vertu seraient propres, mais il ne faudrait pas qu’elles demeurassent avec nous, ne crederentur uxores sacerdotum par ces peuples soupçonneux et par les Français. Mais c’est une chose bien nécessaire d’instruire et de contribuer à réprimer le libertinage de la luxure en donnant de la pudeur aux filles, qui partout sont effrontées, dès leur jeunesse, autant ou plus que les petits garçons Et de

 

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cette jeunesse l’on ferait des mariages honnêtes, dont les enfants seraient encore meilleurs chrétiens que leurs pères car il faudra faire ici comme l’on fait pour réformer une communauté ; on tirera ce qu’on pourra des vieux, mais ce seront les enfants qui instruiront leurs pères et qui réformeront le pays. On ne me dit partout autre chose : "Nous sommes trop grands ; viens instruire nos enfants." Et les enfants ne demandent pas mieux, quoiqu’ils soient fort libertins. Car le trop grand amour de leurs parents, qui leur souffrent tout sans châtiement, les gâte.

Il serait nécessaire de quatre coadjuteurs dont l’un fût apothicaire et chirurgien, un peu versé à traiter les malades, qu’il fît provision des médicaments nécessaires ; car il n’y en a aucun en ce pays. L’autre, un tailleur, fourni de linge et d’étoffe pour nous, et pour les petits enfants du droguet, et des soutanes de couleur, si l’on fait un séminaire Le troisième, capable de vaquer à l’instruction de la jeunesse, avec l’aide d’un interprète, pour leur montrer à lire et écrire dans des heures de caractère de France, pour en introduire la coutume, comme elle est ici de lire et écrire cette langue en arabe, qui est trop malaisé. Pour cet effet, on peut faire imprimer seulement une centaine de copies du catéchisme que j’envoie en cette langue, en attendant qu’il soit mieux, ou qu’on puisse faire des livres de prières bien reliés en grosses lettres. Et le quatrième, un économe, avec tous les meubles qui sont nécessaires à nos communautés ; car on ne trouve rien ici que ce que l’on y apporte, excepté le bœuf et le riz et des racines ; encore faut-il de quoi acheter tout jusqu’à temps qu’on puisse planter, en prenant, avec permission de Sa Majesté et des Messieurs, autant de terre qu’il sera nécessaire ; ce qu’on peut sans faire tort ni aux Messieurs de France, ni à personne, car il y en a de reste.

Le riz cuit à l’eau, comme on le mange en ce pays, n’est pas de si bonne nourriture ; il n’est pas facile de s’y accoutumer. Le vin de miel n’est pas sain, et il est bien rare. On peut apporter des farines de France de pur froment, qui se gardent trois et quatre ans, tant pour servir de matière de consécration, que pour faire du pain sur mer et ici dans un petit four. Le vin de garde n’est pas moins nécessaire pour la messe et pour conserver la santé en ce pays, où l’on est fort sujet à de grandes maladies et à la mort, à moins que d’avoir de bons aliments et médicaments et autres rafraîchissements que vous pourrez apprendre de ceux qui ont été sur mer, et de ceux qui ont vécu dans ce pays. Car de se fier, comme nous avons fait, à de belles promesses, cela est fâcheux d’acheter des Français au quadruple de ce qu’il coûterait en France ; et

 

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encore ne trouve-t-on quelquefois pour quoi que ce soit ce qu’on pouvait facilement apporter de France à bon marché et qui est pourtant nécessaire, comme il a fallu que j’aie fait pour me conserver, sans pourtant me délicater. Et quand on aurait pour donner quelque soulagement aux malades français ou nègres, ce serait encore le mieux. Cela fait trop de pitié de ne pouvoir secourir ceux qui Sont doublement affligés de mal et de pauvreté leur pouvant sauver la vie pour peu. Il y devrait avoir ici une infirmerie bien réglée, de la part de ces Messieurs, qui sauverait, pour leur profit, la vie a beaucoup.

Il faudrait, outre ce qu’on peut apporter de France dans le vaisseau avoir suffisamment de marchandises de ce pays, dont vous ne pouvez être informé sinon par quelqu’un qui ait l’expérience de ce pays. J’’espérais vous adresser quelqu’un qui sut la langue du pays, pour vous en communiquer mais on lui a refusé le passage, encore qu’il soit des plus anciens habitants Je n’en sais pas la raison ou si l’on s’est douté de quelque chose ; mais c’est le meilleur interprète, qui de bon cœur s’est donné à Dieu pour demeurer avec moi lorsqu’il pourra se dégager, qui sera à l’arrivée du premier vaisseau, après que celui-ci sera de retour.

Je crois qu’il serait bon que nous eussions la permission de recevoir ici quelque Français, quand son temps de service est achevé et qu’il est appelé au service de Dieu, comme il y en a ici deux ou trois qui me l’ont demandé. Ils sont tous portés et savent un peu de la langue et la façon de vivre dans le pays. Il n’y aura pas trop de monde où il y a tant à travailler ; et il meurt beaucoup de monde ; en voilà 57 de notre nombre qui sont morts depuis douze ou treize mois. Car encore qu’il s’en présente de vraiment appelés, on dira que nous les avons débauchés sans cette permission, comme on croit que j’ai fait à l’égard de cet interprète, qui de lui-même s’est offert et a toujours persisté par dévotion, quoiqu’on lui offrit des gages, qu’il a refusés, pour se joindre avec moi, qui ne saurais rien faire, s’il n’est tout à moi ; car on ne peut être à deux maîtres, et il faut choisir le meilleur, qui est Dieu.

Il faudrait encore deux bons charpentiers et un menuisier pour bâtir des églises et maisons de bois, et apporter les serrures, cadenas, clous, et tout faits, de France, bref tout ce qui est nécessaire pour se loger et ameubler en ce pays, où l’on ne trouve pas plus qu’en un désert. Et l’on ferait bien d’apporter de tout ce qui se peut planter et semer en France, comme froment, de la vigne, des graines, des pépins et noyaux, légumes, etc.., mais le tout bien enfermé, cause de l’air de la

 

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mer, qui corrompt beaucoup, et les mettre à l’air quelquefois par beau temps.

Lorsque j’ai été à la campagne, j’ai toujours eu un Français, interprète ou non qui portait un fusil, non à autre dessein que de se défendre, étant attaqué des voleurs ou ivrognes. Et je crois qu’il n’y aurait pas de mal, s’il y a des séculiers avec nous en quelque habitation, si l’on en fait, d’avoir de quoi se défendre en cas de nécessité, car la crainte de nos armes les tient tous en bride, et n’oseraient approcher, quelque grand nombre fussent-ils, lorsqu’ils voient une arme à feu. Il y a eu des Français massacrés, faute de se méfier

Voilà le plus nécessaire pour faire une habitation et il n’y a pas d’autre moyen de subsister, ce me semble Je suis honteux d’avoir spécifié tant de choses dont on se peut passer et mortifier en France ; mais puisque nous avons des corps pour servir d’organes à s’employer au service de Dieu en ce pays où il y a si grand besoin d’ouvrir, il faut avoir de quoi s’Y conserver, puisqu’il y a de la peine à y venir

Mais la vraie habitation qu’il faudra faire au plus tôt pour bien avancer les affaires de notre religion, c’est aux Matatanes qui est au milieu de l’île, où les Français ont demeuré où il fait fort bon vivre, où sont tous les meilleurs esprits, d’où viennent les Ombiasses et d’où l’on peut aller facilement par toute la terre. Il n’y a point de Français à présent ayant permission de Sa. Majesté de s’y établir Pour le spirituel, c’est où est la meilleure moisson de tout le pays et les plus capables d’instruction. Il faudrait là une douzaine de prêtres, avec l’interprète dont je vous ai parlé, qui y a demeuré, car il y a un peu de différence de la langue selon les pays, comme en France, le picard et le normand, etc ; et qui pourrait avoir quelqu’un des nôtres qui sût l’arabe ou au moins le lire et le bien écrire, cela serait bien nécessaire. Je m’en vais tâcher d’apprendre à lire et à écrire par le moyen d’un Ombiasse qui me l’enseignera, afin de pouvoir connaître ce qui est dans leur livre, et leur écrire quelque chose d’instruction ; mais je ne sais si j’en viendrai à bout.

Les moyens de subsister aux Matatanes sont les mêmes que j’ai dits ci-dessus ; mais la difficulté est qu’on ne peut pas venir plus de trois ou quatre à la fois dans un vaisseau, et l’on est longtemps à recouvrer une personne morte, comme je suis dans l’attente, étant demeuré seul.

Si vous demandez la qualité des ouvriers pour ce pays, vous jugerez mieux cela que moi, qui suis indigne d’en être du nombre. Je dirai seulement mon avis, qu’il faut les qualités que requérait saint François Xavier, des personnes qui excellent plus en vertu qu’en science. La science qu’il faut,

 

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c’est celle que Dieu donne aux saints. Quand il n’y aura pas de grand prédicateur, passe, si ce n’est qu’il faille avoir soin des Français ; en ce cas, il faut quelqu’un potens in opere et sermone pour réprimer des gens ramassés, libertins et qui sont envoyés la plupart en ce pays par leurs parents, qui n’en savent que faire, ou y sont venus eux-mêmes par débauche ou curiosité, qui, se voyant ici trompés de leur espérance de voir un bon pays, ne font que maudire l’heure d’y être venus. Et encore, quand leur temps est achevé, il faut demeurer encore autant, faute qu’il n’y vient pas de navire les retirer, comme on leur avait promis. Je vous laisse à penser quelle vie en ce désespoir, en un pays où il y a si grande facilité de se laisser aller à la corruption de nature. Il n’y aurait que plaisir de n’avoir pas soin de telles gens, auxquels on ne perd souvent que sa peine et dont on est payé d’ingratitude et de calomnie, comme des frénétiques envers le médecin qui les veut guérir, qui s’irritent contre lui au lieu de prendre ses remèdes. Si nous n’avions qu’à instruire les nègres, il ne faudrait que des catéchistes, quand même il y en aurait quelqu’un d’une mémoire heureuse qui ne voulût pas être prêtre et qui eût la volubilité de langue pour se rendre capable d’apprendre celle-ci en peu de temps, comme il est facile à une personne qui n’aurait que cela à faire ; car il n’y a pas de prononciation difficile ; il ne faut que de la mémoire à retenir les mots, qui ne se déclinent, ni conjuguent, et que l’on peut faire réduire en dictionnaire et en précepte avec le temps, comme j’espère, quand nous aurons un interprète à nous et qu’on demeurera ailleurs qu’en ce lieu de brouillerie, sous la captivité de ceux qui sont toujours en méfiance et qui, au lieu de contribuer, empêchent plutôt, et qui croiraient s’être fait grand tort de nous donner un interprète, qu’ils emploient plutôt à des vétilles. Je veux dire qu’un laïque, étant conduit et stylé d’un prêtre, se rendra capable d’instruire en attendant que les prêtres, plus occupés à l’office et autres choses, se puissent rendre capables d’enseigner seuls sans interprètes. Je ne saurais ici apprendre jamais la langue parfaitement, à moins que de demeurer parmi les nègres. Je sais un peu les matières de catéchisme que j’ai étudiées ; mais je n’entends pas leurs raisons entièrement sans interprète. Il faut un long usage dans ces commencements pour bien connaître la signification propre des mots.

La santé du corps et les forces sont requises à ceux qu’on emploiera, tant à cause de la fatigue du long voyage sur mer, que des incommodités qu’il y a ici à la campagne. On a remarqué que les plus jeunes et les plus robustes meurent plutôt que ceux qui sont de force médiocre, quoique de bonne

 

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santé ; et les personnes âgées de 35, 40 et 50 ans sont plus sains que ceux qui sont plus jeunes, a cause de la chaleur du pays.

Il n’y a pas si grand danger de la chasteté comme on croit. Il ne faut pas aller seul et se tenir sérieux et sur ses gardes,. quoique la longue habitude à la chasteté soit requise en beaucoup d’occasions, où l’on offre des sujets de la perdre.

Les esprits impatients, comme le mien, ne sont guère propres ; encore moins ceux qui demanderaient à venir ici par boutade et qui agiraient de même ; bene patientes ut annuntient, principalement ici ou le peuple est seul à comprendre ces matières nouvelles.

De vivre seul, comme moi, sans compagnon, il n’y a guère d’apparence ; car il me souvient que saint Xavier demandait des personnes de vertu extraordinaire pour cela ; ce que vous savez n’être pas en moi.

Il n’y a point à craindre de persécutions ni de dangers, quand on a quelque Français qui porte des armes avec nous ; mais seul, il n’y fait pas trop sur, particulièrement si l’on allait où l’on a pillé ; et brûlé ces pauvres gens, qui seront toujours sur la méfiance et qu’on aura peine à aborder ; car ils fuient devant un seul Français, comme un grand troupeau devant un seul chien.

On a tué des grands vers le milieu de la terre, quand on leur a fait la guerre, et des femmes et des enfants, et l’on dit qu’on ne pourra avoir des bœufs pour faire subsister l’habitation sans faire la guerre à l’avenir, et que pour se rendre maîtres aucuns disent qu’il faut mettre main basse sur les principaux et que c’est même le moyen de mieux établir la religion, comme ont fait les Portugais. Quod si aequum est, judica. Et quel remède à cela si nous demeurons encore ici ? C’est à quoi j’ai toujours contredit par l’exemple de N. S., qui n’a pas commande aux apôtres de lever des armées pour établir le christianisme, mais d’être agneaux parmi les loups. Et encore que les blancs se soient, ou par industrie, ou par force rendus maîtres il ne faut que subsister ici et maintenir les noirs dans la jouissance de leurs biens et acquits pour détruire toute la puissance des grands, qui à la vérité ne sont riches qu’aux dépens des enfants, frustrés du bien de leur père ; encore font-ils des avances de bêtes aux maires des villages, dont ils prennent le profit après leur mort, en retirant tout ce qu’ils trouvent au défunt.

J’assure bien que pour faire subsister notre séminaire, si on l’établit, tant aux Matatanes qu’ici, il ne sera pas besoin de guerres, car on peut traiter avec les choses propres au pays tout ce qui sera nécessaire de bêtes et autres victuailles qu’on

 

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ne peut pas apporter de France et qui croissent ici. J’ai bien acheté six vaches, qui me coûtent un écu la pièce environ, et quelques volailles pour avoir des œufs le vendredi et samedi, avec un peu de lait, pour n’être point obligé de manger de la viande, comme l’on en mange presque toujours et le carême aussi, non seulement à la table du gouverneur, mais de tous les Français, qui vivent en cela comme huguenots, faute de soin d’avoir du poisson et autres choses que des personnes pieuses auraient facilement et dont la plupart ne font aucune conscience, quoique je leur aie fait entendre souvent que je ne donnais dispense qu’à ceux qui étaient infirmes, ou qui ayant fait leur possible d’y pourvoir, n’auraient pu, ou enfin à ceux qui auraient une légitime excuse devant Dieu en leur conscience. Je suis contraint de laisser tout aller après n’y avoir pu remédier, car les particuliers me renvoient tous au chef, à qui, quand j’en ai parlé, j’en ai été querellé, disant que, s’il avait des marchandises, ce n’était pas pour cela. Et il n’en faudrait pas beaucoup, sinon pour tous, au moins pour sa table. Ce n’est que faute de donner ordre, comme il est facile. Et jusqu’à présent je n’ai point rompu l’abstinence, sinon que, faute qu’on ne veut pas prendre la peine de faire du beurre, comme je tâcherai quand je le pourrai, j’ai pris dispense de me servir de graisse de bœuf, ou du poisson, que bien souvent j’ai été pêcher moi-même sur les roches, pensant à la pêche spirituelle et aux apôtres, qui quelquefois y allaient pour vivre ; et le bon Dieu m’a pourvu des choses nécessaires pour vivre.

Comment faudra-t-il faire touchant les jeunes et abstinences des Français et à l’égard des nègres qu’on recevra au christianisme ? Un mot de votre avis sur ceci, s’il vous plaît ? Car cela me met en peine pour ma conscience. Il ne faut que faire pêcher avec une seine à la mer. Car je sais bien que qui peut et ne veut pas est indigne d’absolution. Il y en a qui à la vérité sont excusables ; mais ceux qui le peuvent favorisent leur sensualité, impiété et négligence par de faux prétextes qu’ils ne peuvent, ou à cause de la Compagnie, ou crainte d’être malades et mourir ; que dire à cela ?

Au lieu d’empêcher les nègres de travailler les fêtes et dimanches, on reçoit le trafic ces jours-là et on dit qu’il vaut mieux qu’ils travaillent et ceux qui d’entre eux sont chrétiens aussi ; et il faut des Français à les conduire ; et le plus souvent ce ne sont pas choses nécessaires. Si les Français demandent congé de s’aller promener, on les remet aux dimanches et aux fêtes. Ils partent la veille et perdront la messe pour des vétilles et disent que, si on leur donnait d’autres jours, qu’ils n’emploieraient pas ceux-là. Que faire à cela ?

 

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De ceci vous jugerez le pauvre ordre qu’il y a, et le peine que mon pauvre cœur a reçue de tout ceci ensemble. Ce qui m’a fait dire bien des fois que si ce n’était que je suis ici par obéissance, usquedum dicatur mihi, j’aurais secoué ce joug insupportable à un pygmée, pour m’en décharger sur quelque plus fort spécialement pour le traitement de M. de Flacourt qui pourtant commence à reconnaître la vérité et l’innocence de ce qu’il m’avait imposé. Ne lui en dites mot, s’il ne commence le premier (comme je crains, encore qu’il m’ait dit : pax, pax). Si ce n’est de son côté, je vous assure bien, du mien que j’ai bu l’amertume de ce calice à travers celui de N-S. et des apôtres faisant en ceci expérience de la prédiction que mon cher compagnon me fit par testament un peu avant sa mort. Quand je lui eus demandé ce qu’il me laissait devant que mourir, il me dit que c’étaient des souffrances : "Oh ! que vous aurez à souffrir ! Ce ne sera pas pour un peu ; mais je vous assure que ce sera très bien." Oh ! je m’en contente ; et c’est peu de chose au prix de ce qu’il faudra peut-être souffrir à l’avenir pour imiter les vaisseaux d’élection qui sont choisis pour porter le nom de N.-S. parmi les Gentils.

Si M. de Flacourt se plaint de moi, je sais qu’il est seul ; car tout le reste seraient prêts de me donner leurs cœurs et leurs yeux, les plus libertins mêmes. Demandez-lui pardon pour moi de ce qu’il vous dira que j’ai fait de mal. Sur quoi je recevrai votre correction car encore que ma conscience ne me reprenne sinon de lâcheté au service de Dieu en mon particulier, j’ai tâché de ne pas manquer au prochain. Et pourtant je ne me dis pas juste, car je sais que je suis homme et le plus infirme et fautif de tous ceux que vous pourriez envoyer ; et Dieu sait que je ne mens point ; que ce que j’ai toujours le plus appréhendé m’est arrivé dans le choix qu’on a fait de moi, non pour m’envoyer ici, car je n’ai pas eu peine de passer par-dessus les objections de la chair et du sang pour me soumettre à l’obéissance, quand j’ai connu la volonté de Dieu, mais de ce que vous avez mis la charge sur le plus faible. Aussi ai-je toujours cru, et crois encore, que je ne suis envoyé que comme explorateur et que vous enverrez celui quem missurus es, auquel je ne serai pas digne d’obéir si vous envoyez des prêtres par le premier navire. Je sais bien que c’est chose inutile de prévenir ce qui n’arrivera pas que j’aie aucune conduite d’aucune chose, sinon de servir de pieds et de bras pour me soumettre et exécuter tout ce que me commanderont ceux que vous me donnerez pour supérieurs ; car je sais que vous êtes trop raisonnable pour me donner la dernière place et non pas de tenir le gouvernail, et qu’au cas que vous établissiez ici un corps, vous n’aurez garde de mettre un membre

 

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inférieur hors de sa place, pour le faire continuellement gémir jusqu’à ce qu’il y fût remis, et que vous ne voudriez pas être responsable des fautes que je commettrais en une œuvre de si grande conséquence n’ayant ni science, ni jugement, ni expérience pour me conduire en des affaires si épineuses et en des principes desquels, comme l’on dit étant mal posés, s ‘ensuivraient plusieurs absurdités. II faut un savant architecte pour mettre ici le fondement, et je n’ai que trop de sujet de croire que j’ai été éloigné des autres pour mes folies. Je ne dis point ceci par humilité à crochet, pour finement procurer d’avoir quelque direction en quelque façon que ce soit car il n’y a rien plus capable de m’abattre le courage que de me voir hors de la conduite d’un supérieur, et si ne m’en envoyez un, comme je n’en doute point, je crois que je tomberais à cœur failli, car j’ai déjà trop fait de mal sans l’augmenter pour ma perte et celle du salut de plusieurs au lieu que, si l’on me commande, il me semble que je serai retiré de la mort, qui est ma propre volonté et qu’ayant le cœur dilaté, je courrai dans la voie de l’obéissance, n’ayant rien qui me puisse peser, après que je me verrai délivré de ce fardeau, que j’appréhende plus que toutes les peines inimaginables pource que je ne vois pas d’apparence d’y faire mon salut que je dois préférer à celui de tout le monde au lieu que je ne crains pas le naufrage dans le vaisseau de l’obéissance.

De tout ce que dessus, je vous prie de faire un extrait de ce qui est le principal, et y apportez le remède par celui que vous enverrez, que vous en pourrez pleinement informer ou de paroles ou par écrit.

Pour ce qui est du temporel, il faudrait, si l’on envoie trois ou quatre prêtres avec deux ou trois coadjuteurs, ce sera bien le plus qu’on pourra passer, et autant à un autre voyage, enquêtez-vous et faites que ceux qui viendront s’informent de quelqu’un qui sache les choses nécessaires en ce pays pour y avoir été et non par oui-dire ; et surtout voyez s’il est à propos de continuer le soin des Français. S’il y a une raison pour, il y en a deux contre. Qu’on fasse si bien qu’on voudra ce ne sera jamais rien qui vaille à leur gré et de plus, c’est que de tous les hommes celui qui est ici est le plus difficile à converser et contenter à cause des jugements et soupçons téméraires ombrages ou rapports ; ou si cela ne se peut séparer et qu’il faille demeurer à l’habitation donnez ordre qu’on ait son fait assuré dès la France sans s’attendre aucunement ici ; car on n’oserait pas ouvrir la bouche, quoique le plus doucement du monde, qu’on ne soit renvoyé devant tout le monde ; n’étant pas aussi bien notre Institut d’être fondés pour ne dépendre de personne, pour vivre de jour en jour, comme je suis

 

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ici étant engagé avec des séculiers, qui dans le repas et en tout ne gardent aucune règle, ni temps, ni mesure que leur appétit. Avec cela l’on y perd tout le temps, et l’esprit se sèche trop tôt de leurs discours frivoles.

Voici bien de la confusion que j’ai écrite à bâton rompu espérant l’écrire avec plus d’ordre, si le vaisseau n’eût pas pressé. Tirez de tout ce poison un thériaque, et sur toutes mes fautes donnez-moi des instruction, si vous me retenez encore en ce pays. Possible que, si Dieu eût conservé M. Gondrée vous aurais-je été rendre compte moi-même, non pas pour quitter le pays, mais pour y mieux revenir. Et si vous trouvez à propos que je fasse un tour en France par le premier navire, c’est à faire à quatre mois de temps et autant en France, et autant à revenir, pour ne plus quitter, étant bien établis. La volonté de Dieu soit faite en tout et partout !

Monsieur Flacourt demeure encore pour trois ans ; et quand j’ai écrit ceci, je pensais qu’il s’en retournait. Comme il en avait fait ses préparatifs, cette résolution a changé tout à coup. Je ne lui ai point parlé s’il manderait des prêtres, ou si l’on ferait ici des séminaires ; je lui en ai dit pourtant tout mon sentiment et les moyens que je croyais nécessaires pour cela. il n’y a pas bien longtemps ; mais comme il m’a écouté froidement, je laisse cela à sa dévotion d’en mander ce qu’il lui plaira à ces Messieurs, qui vous le communiqueront, comme vous leur communiquerez, de tout ce que je vous écris, ce que vous jugerez de plus nécessaire, en laissant le superflu.

Je vois bien que je ne pourrai aller guère loin ; mais je tâcherai de disposer les pères des villages d’ici à l’entour au baptême de leurs enfants et de visiter, quand je pourrai, ceux que j’ai déjà vus. Aurons-nous un interprète portugais pour Andian Ramach et ce qu’il faudra pour faire là une église, et Dieu nous fera-t-il la grâce de le remettre ? Lui pourra-t-on faire quelque présent pour le gagner, comme de quelques cristaux taillés en olives, de quelque étoffe de soie, de quelque tasse d’argent ou ménilles d’argent, quelques grains d’or, fausses perles, du corail, dont il m’a demandé un chapelet, et des heures en Portugais ? Ce que nous lui distribuerions successivement pour l’entretenir en amitié et l’attirer par là à mieux écouter et recevoir les voies de son salut et de plusieurs autres. Ensuite pourrait-on avoir quelque chose semblable à ce que dessus pour gagner quelque Ombiasse et l’ayant instruit en le désintéressant de ses olis, s’en servir pour attirer ceux qu’ils ont autrefois trompés. ? La somme de 100 ou 200 livres irait bien loin en cela, tant pour le roi que pour les Ombiasses. Dieu sait quelle conséquence il s’ensuivrait de là et combien l’on gagnerait d’âmes, dont une vaut mieux que

 

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tous les trésors de la terre. Ces Messieurs auront peine d’approuver cette façon, que je crois bien propre parmi des personnes attachées à leur intérêt comme sont ces gens ici. J’ai bien peur qu’on ne fasse entendre qu’on fait de grands frais pour nous et pour la religion qui est le principal motif de la concession de cette île et que l’on n’exposez cela pour avoir exemption des droits des entrées des vaisseaux et marchandises en France, et que l’on ne se soucie pas assez de contribuer médiocrement à l’œuvre de Dieu. qu’il il lui plaise qu’il n’en soit pas ainsi !

Je ne sais si vous enverrez des missionnaires à Sainte-Marie où il y a des Français ; mais il n’y a pas moyen de se communiquer d’ici-là sinon par mer ; il y fait fort malsain, et c’est là où il faut de bonne nourriture à cause du mauvais air, des fréquentes pluies. Il y a du changement à la langue, et je tâcherai par quelques Français qui sont ici et qui y ont demeuré, de mettre les mots de ce pays-là dans le catéchisme qui est déjà fait à la façon d’ici. On dit qu’on fera plusieurs habitations des Français, entre autres deux grandes, l’une aux Antavares, proche des Matatanes à trois journées de là. jugez de ce que je vous ai proposé si vous donnerez le soin des Français à des prêtres de la Mission ou à des prêtres séculiers, et que le tout aille à la plus grande gloire de Dieu en l’amour duquel je suis de tout mon cœur, Monsieur et très honoré Père votre très humble et très obéissant fils.

CHARLES NACQUART,

très indigne prêtre de la Mission de Madagascar.

Au fort Dauphin, ce 9 février 1650.

 

1184. — AUX FILLES DE LA CHARITÉ DE VALPUISEAUX (1)

De Paris, ce 10 février 1650.

Mes bonnes Sœurs,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour Jamais !

Je suis bien consolé d’avoir reçu votre lettre. Je prie

Lettre 1184. — L. s. — Dossier de la Mission, original.

1) Village voisin * Comme de l’arrondissement d’Étampes. Les Filles de la Charité y étaient établies depuis l’année 1648.

 

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Notre-Seigneur qu’il redonne la santé à ma sœur Perrette et qu’il la conserve à ma sœur Marguerite, afin que vous puissiez ensemble continuer les services que vous rendez à Dieu.

Je vous remercie de la charité que vous avez eue pour nous, de veiller à la garde de notre petit fait, et de la peine que ma sœur Marguerite a prise de visiter les livres et le linge ; s’il y en a d’égaré, il faut avoir patience et tâcher de conserver le reste.

Ce pauvre homme vînt hier au matin prendre ses hardes à la porte, sans entrer céans, ni parler à d’autres qu’au portier. Vous pouvez vous assurer, mes Sœurs. que jamais vous ne le reverrez de delà par mon consentement ; et s’il était si inconsidéré que d’y retourner, je vous prie de me le faire savoir aussitôt, afin que je fasse pourvoir à son éloignement Je ne crois pas qu’il vienne davantage me voir, et j’en serai bien aise.

Je prie Notre-Seigneur qu’il vous donne sa paix et son esprit, et à moi quelque part à vos prières, qui suis, en son amour, mes bonnes Sœurs, votre affectionné serviteur.

VINCENT DEPAUL,

indigne prêtre de la Mission.

Suscription : A nos sœurs les sœurs de la Charité, servantes des pauvres malades, au Val de Puiseau.

 

1185. — A RENÉ ALMERAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 11 février 1650.

Je suis affligé de la manière d’agir de M…., mais non pas étonné ; ceux qui une fois ont fait faux bond

Lettre 1185. — Reg. 2, p. 266.

 

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à la vocation, rarement reviennent-ils au point qu’ils doivent être. Il y a pour l’ordinaire en ces gens-là un certain fonds opposé à la régularité, qui fait qu’ils se rebutent à chaque bout de champ, et le pis est qu’ils en indisposent d’autres, afin qu’ayant des compagnons en leur dégoût, ils aient de quoi présumer qu’ils ont raison. Il y a longtemps que je suis comme résolu de n’en plus recevoir aucun ; et tout nouvellement nous en avons mis deux dehors, qui ont fait de grandes instances pour rentrer : mais Dieu m’a fait la grâce de tenir ferme ; et ce que vous me mandez de M….. me confirme dans cette résolution, duquel je vous dirai encore ce mot, qu’il vaut mieux le laisser aller une seconde fois, pour la dernière, que de le garder, si vous n’avez de grandes conjectures de son amendement

 

1186. — LOUISE DE MARILLAC A SAINT VINCENT

[Février 1650] (l)

Mon très honoré Père,

le crois que Monsieur le bailli (2) vous fît entendre hier l’état de sa mauvaise affaire, qui paraît toute dépendre de la manière que Monsieur Lesguier fera entendre à Monsieur d’Emery (3) la volonté de la reine en ce sujet, lequel en a eu un nouveau commandement de Sa Majesté. Je supplie très humblement votre charité prendre la peine me mander s’il ne serait point nécessaire de lui faire parler et par qui. Mais il faudrait que ce fût dès aujourd’hui. Ce qui m’oblige à ne rien négliger, c’est qu’il faudra bien 12 ou 15 cents livres, outre cette taxe, pour les frais de sa réception ; encore nous a-t-on dit 2.000 livres (4).

Lettre 1186. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) Date. ajoutée au dos de l’original par le frère Ducournau.

2) Michel Le Gras, bailli de Saint-Lazare.

3) Michel Particelli, sieur d’Emery, contrôleur général des finances de 1643 à 1648, né à Lyon, mort à Paris en 1650.

4). Michel de la. Rochemaillet, conseiller à la cour des Monnaies,

 

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Au nom de Dieu, mont très Révérend Père, pensez un peu s’il ne faut point penser à disposer ces dames à laisser de prendre les enfants exposés de nouveau, pour s’acquitter et retirer tous les sevrés des champs car je vous assure eu conscience qu’il n’y a plus de moyen de résister à la pitié que ces pauvres gens nous font en demandant ce qui leur est justement dû, non seulement par leurs peines, mais pour avoir avancé le leur auprès duquel ils se voient mourir de faim et sont contraints de venir des 3 ou 4 fois de bien loin sans avoir de l’argent. Nous y sommes pour beaucoup pour la nourriture des nourrices ; et souvent 7 ou 8 enfants sevrés et argent prêté ! Mais ce n’est pas notre intérêt qui nous fait parler, quoique, si la chose continue, il faudra bien nous consommer ne pouvant refuser de leur en donner pour peu que ce soit.

Pardonnez mes ordinaires importunités, s’il vous plaît, et m’honorez toujours de la croyance que je suis mon très honoré Père, votre très humble et très obéissante fille et servante.

Suscription : A Monsieur Monsieur Vincent.

 

1187. — ALAIN DE SOLMINIHAC, ÉVÊQUE DE CAHORS,

A SAINT VINCENT

De Mercuès, ce 15 février 1650.

Monsieur,

Après vous avoir remercié très affectueusement des soins qu’il vous plaît prendre pour nous en l’affaire de Ste-Geneviève et vous avoir supplié, comme je fais très humblement, de nous les y continuer et vos assistances, agréez que je vous die ici en secret et confidemment que le Père Vitet, syndic de Chancelade, a une si violente passion de voir promptement (la fin de) cet affaire qu’il n’y a rien qu’il ne fasse et qu’il ne hasarde pour cela ; et comme il voit que la voie de Rome y résiste et que l’appel comme d’abus* au parlement est un moyen propre pour cela, il s’est résolu à l’y porter à quel prix

avait résigné son office à son frère René Michel de la Rochemaillet, qui l’avait lui-même cédé à Michel Le Gras, avocat au Parlement. Les lettres de provision furent signées le 13 juin 1650 ; après l’enquête d’usage sur sa "vie, mœurs et religion", le nouveau conseiller fut autorisé le 14 juillet à prêter serment. (Arch nat. Z1B 566.)

Lettre 1187. — Arch. de l’évêché de Cahors, cahier, copie prise sur l’original.

* "appel comme d’abus" : recours devanty un pouvoir contre les abus d’un autre pouvoir. Cl.L

 

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que ce soit ; et c’est pourquoi d’abord que ceux de Sainte-Geneviève nous firent intimer l’appel par eux interjeté de la sentence de Beauvais, et assigner à Grosbois il me l’envoya avec plusieurs mémoires, contenant diverses causes d’appel comme d’abus, et m’écrivit qu’il en allait appeler au parlement de l’obtention du bref adressant à l’abbé de Grosbois (1) ensemble des ordonnances de M. le cardinal de la Rochefoucauld. J’envoyai la copie de ce bref avec lesdits mémoires, à Paris pour les consulter avec Messieurs Camus et Montelon, et les fis consulter encore ici avec mon avocat de Cahors,. qui est un grand personnage. Son avis et celui de Paris se trouvèrent conformes, qu’il n’y avait point lieu d’appel comme d’abus au bref obtenu par ceux de Ste-Geneviève adressant audit sieur abbé de Grosbois, mais que, se trouvant obreptice et subreptice il fallait se pourvoir devant Se Sainteté pour le faire déclarer nul, et en se présentant devant ledit abbé de Grosbois requérir qu’il eût à nous renvoyer devant Sa Sainteté attendu la nullité dudit bref… qui le commettent, et en cas de refus, protester qu’on en était appelant et coter les nullités d’icelui bref.

J’envoyai audit Père Vitet l’avis desdits avocats, tant de Paris que de Cahors avec l’acte tout dressé et ordre de suivre ponctuellement cet avis il me fait réponse comme quoi il l’a reçu, et persiste qu’il faut appeler comme d’abus au parlement. Mon vicaire général lui écrivit par mon ordre et au Père prieur de Chancelade que je trouvais la proposition tort étrange et m’étonnais qu’il ne suivit les ordres que je lui envoyais qui portaient, entre autres choses, de ne rien produire devant ledit sieur abbé de Grosbois, suivant lesdits avis du Conseil. Il s’en alla faire cette réquisition audit abbé lequel ne voulut point dire droit sur ledit renvoi. mais ordonna que les parties produiraient dans trois jours, au lieu que ledit Père Vitet devait en même temps avoir fait l’acte de protestation d’appel suivant l’ordre qu’il en avait et l’avis des avocats. Il produisit notre arrêt du Conseil contre les défenses expresses qu’il en avait, et s’en va de là à la Couronne faire signifier à ceux de Sainte-Geneviève les protestations d’appeler en cas que ledit sieur abbé de Grosbois passe outre puis s’en revient à Grosbois, où il trouva que ledit sieur abbé avait donné la sentence. Étant de retour à Chancelade le Père prieur me l’écrivit ici Je lui fis réponse que je m’étonnais fort de ce procédé du Père

1) Grobosc ou Grosbois, abbaye d’hommes de l’ordre de Cîteaux, dans le diocèse d’Angoulême, près des confins du Périgord. Jean de la Font en était abbé depuis le 18 mai 1641.

 

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Vitet, d’avoir quitté l’avis du Conseil pour suivre ses sentiments, et d’avoir produit, contre les défenses expresses qu’il en avait. Il s’excusa par lettre, disant que cela ne se pouvait faire autrement parce qu’il fallait plutôt intimer ces protestations à ceux de Sainte-Geneviève qu’audit abbé ; qui est une chose très impertinente et très ridicule.

Je lui mandai de me venir trouver ici où étant je lui dis quelle raison il avait de dire qu’il fallait plutôt signifier les protestations à ceux de Sainte-Geneviève qu’à l’abbé de Grosbois et pourquoi il n’avait suivi nos ordres. Toute la réponse que j’en eus, c’est qu’il leva les épaules et baissa la tête. Et parce que lui seul a nourri cet affaire et que c’est le seul que nous ayons qui l’entende bien, je ne voulus lui faire la réprimande qu’il méritait, et le traitai avec grande douceur après une telle faute et lui dis qu’il fallait qu’il allât à Paris pour se pourvoir au Conseil privé contre ladite sentence. Pendant le temps qu’il demeura ici, il avait toujours dans son esprit et parlait de temps en temps de son appel comme d’abus tant de ladite sentence donnée par l’abbé de Grosbois que de celle de Monseigneur le cardinal de la Rochefoucauld. Je lui renvoyais toutes ces propositions et lui alléguais ce qu’il m’avait rapporté à son retour de Paris, après avoir obtenu notre arrêt du mois de juillet 1647, qui est que tous nos amis de Paris lui avaient dit de ne se pourvoir point au parlement, à cause des grandes habitudes que ceux de Sainte-Geneviève y avaient à raison du grand nombre de religieux et pensionnaires qu’ils ont, parents de ceux qui seraient nos juges, comme il est véritable. Avant son départ d’ici, je lui fis écrire quelques ordres et avis, que je lui donnai pour s’en servir en la poursuite de cet affaire, et lui dis de ne faire rien sans conseil et de le suivre et ajoutai en même temps qu’il ne portait point cet affaire au parlement, où lui-même m’avait dit que nos amis de Paris ne nous conseillaient pas d’aller, et lui alléguai quelques raisons qui me regardent en particulier et qui m’obligent de ne l’y porter pas.

Étant arrivé à Paris, il fait une consultation, suivant l’ordre qu’il avait de nous, avec Messieurs Camus et Montelon, lesquels trouvèrent que nous étions fort bien fondés à nous pourvoir au Conseil contre la sentence de l’abbé de Grosbois. Par le courrier suivant, il manda au contraire, que M. Montelon était d’avis d’appeler au parlement et que M. Camus n’était pas encore résolu ; et, par l’autre courrier, il m’écrivit que tous demeuraient d’accord d’appeler comme d’abus au parlement de Paris, tant de la sentence de Grosbois que des ordonnances de Monseigneur le cardinal de la Rochefoucauld, et qu’il faisait dresser des lettres d’appel à cet effet et même

 

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en anticipation d’une assignation que ceux de Sainte-Geneviève lui avaient fait donner audit parlement.

Je vous laisse à penser si cette nouvelle me surprit. J’envoyai incontinent mon vicaire général à Cahors voir avec notre Conseil ce que nous avions à faire, lequel fut si étonné de ce procédé que je ne vous le saurais dire. II dressa sur ‘ heure même un acte de désaveu de ce procédé, lequel j’envoyai au sieur Lefèvre, mon procureur à Paris, pour le faire intimer à ceux de Sainte-Geneviève, et écrivis sur ce sujet une grande lettre audit Père Vitet, auquel je mandais que je m’étonnais fort que, contre nos ordres, il eût porté cet affaire au parlement. Il m’a fait réponse et s‘excuse disant que je lui avais fait écrire trois fois par mon vicaire général de suivre le Conseil, et même je lui avais dit, ce qui est véritable ; mais il fait la défense expresse qu’il avait de ne porter cet affaire au parlement. Il a écrit à mon vicaire général une lettre toute pleine de plaintes, et l’a écrite dans un esprit troublé. car il s’y contredit à ses autres lettres et, après s’être échappé en beaucoup d’autres paroles, il lui mande de lui envoyer un peu d’argent pour se retirer à même temps, parce qu’il n’oserait plus paraître après ce désaveu que j’ai fait.

Vous remarquerez, s’il vous plaît que les lettres qu’il avait résolu de présenter au parlement en appel et anticipation, n’ont été présentées encore, le Conseil ayant été d’avis d’attendre que l’assignation donnée par ceux de Sainte-Geneviève fût échue ; et par ainsi il n’y a point de désaveu et révocation, puisqu’on n’avait encore agi au parlement.

Mais au lieu de faire ledit désaveu, il l’est allé publier et a fait voir mes lettres et de mon vicaire général auxdits sieurs Camus et Montelon, et mande qu’ils ont trouvé fort mauvais que j’aie fait réformer leur avis par un avocat de Cahors. Je lui avais écrit, en lui envoyant le susdit désaveu, de prendre des lettres de quadrimestre du parlement, pour avoir délai de quatre mois à nous pourvoir devers Sa Sainteté avec cependant inhibitions et défenses aux parties de rien attenter, et de les faire signifier à ceux de Ste-Geneviève. Il ne nous a fait aucune réponse là-dessus, de façon que je me trouve à présent bien empêché et ai besoin de votre avis et de votre assistance ; car, comme je vous ai déjà dit, je n’ai personne qui entende cet affaire comme lui. Le Père Parrot son compagnon, est aussi bien député que lui, mais il ne l’entend pas si bien, lui l’ayant toujours conduit seul, sans souffrir que ledit Père Parrot s’en mêlât, il a aussi tous les actes devers soi.

Je vous supplie, au nom de Dieu, de travailler à ramener cet esprit et lui faire perdre, s’il se peut, la pensée d’aller plus au parlement, ni même au Conseil en ce temps, car il nous renverrait

 

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au parlement, mais qu’il agisse par la voie de Rome, suivant l’ordre exprès que je lui en ai donné, attendant que lé Conseil reprenne son autorité.

Il vous a surpris, vous faisant entendre que l’arrêt d’enregistrement de l’érection de la congrégation de Sainte-Geneviève portait que ladite congrégation ne pourrait s’établir en d’autres maisons que du consentement des évêques diocésains, ensemble des abbés et religieux d’icelles comme vous m’écrivez ; ce qui n’est pas, comme vous verrez par le dictum dudit arrêt ci-inclus, où je vous prie remarquer ce qui est dit à l’égard des maisons qui sont présentement en ladite congrégation. Or par la sentence de l’abbé de Grosbois nos maisons y sont comprises, et, quoique nous soyons appelants, elle subsiste jusques à ce que nous l’ayons fait cesser et notre Conseil de Cahors, qui est très habile et très prudent, a toujours cru que c’était une amorce. Et pour moi, il faut que je vous avoue que l’ai toujours cru que cet arrêt nous était très préjudiciable ; et tous ceux auxquels je l’ai fait voir en ont fait le même jugement ; et cependant ledit Père Vitet fait triomphe de cet arrêt et publie comme ville gagnée pour nous, et sous ce prétexte me voulait obliger à consentir que l’affaire se portât au parlement. S’il n’eut pas donné, comme il a fait, la sentence de l’abbé de Grosbois, il semble que ledit arrêt pourrait nous être favorable Mais en l’état que les affaires sont il ne me le persuadera jamais. Et néanmoins quand même ladite sentence de Grosbois n’y serait pas, je me garderais bien d’aller au parlement, parce que, comme ce sont des clauses apposées audit arrêt proprio motu, le parlement les lèvera ou interprétera comme bon lui semblera, tant contre le général que contre les particuliers.

Il vous a aussi surpris en ce qu’il vous a dit que nous avions appelé comme d’abus ; ce qui n’est point ; car il n’y a qu’un simple acte de protestation d’appeler. Il faudrait, s’il n’était au Conseil, requête pour cela et arrêt sur icelle pour y faire appeler les parties. Si c’était au parlement il faudrait des lettres. Or, il n’y a rien de tout cela si bien que nous sommes en pleine liberté de nous pourvoir à Rome, comme il faut faire, ainsi que je lui ai ci-devant mandé et vous prie de lui ordonner absolument, avec défenses très expresses d’aller au parlement. Et si vous voulez lui en représenter les raisons, qui sont les grandes habitudes (2) de ceux de Ste-Geneviève au moyen de nombre de religieux ou pensionnaires, si bien que nous aurions tous leurs parents qui solliciteraient contre nous,

2) Richelieu

 

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les difficultés provenant du genre de cet affaire, ses circonstances et dépendances. La plupart de nos griefs d’appel sont de choses spirituelles, observation de régulariser, ou esprit de règles et ny a avocat en France qui soit capable de plaider cet affaire ni M. l’avocat général, et ne crois pas même que les juges laïques le puissent entendre ; affaire qui tiendrait plus de deux audiences pour être bien plaidé, car ceux de Ste-Geneviève le grossiraient et embrouilleraient à leur possible.

Il y a de grandes raisons de mon côté pour n’aller au parlement : vous savez la censure du livre des Libertés de l’Église gallicane (3), de laquelle censure je fus l’un des commissaires avec Messeigneurs l’archevêque de Sens (4) et l’évêque d’Uzès (3) pour la faire condamner, la façon avec laquelle j’ai agi en ce pays pour le service du roi un intendant des finances m’a écrit de Paris que j’étais connu de tous ; et quantité d’autres raisons qui me regardent. Que si après tout cela vous ne pouvez ramener cet esprit, je vous prie de m’en donner avis, et envoyer cependant quérir Lefèvre le jeune, mon procureur au grand Conseil, pour pouvoir prendre du parlement lesdites lettres de quadrimestre au plus tôt et envoyer à Rome.

Je souhaiterais bien de vous pouvoir faire savoir la fin qui porte cet esprit à vouloir promptement voir la fin de cet affaire, bonne ou mauvaise, et de hasarder tout pour cela ; mais c’est un mystère secret qui m’a été révélé en secret et que je n’ai dit qu’à mon vicaire général, qui vous écrit celle-ci sous moi, et que je ne puis confier au papier et que je voudrais bien vous pouvoir suggérer à l’oreille et qui n’a pris sa naissance que depuis environ deux ans. Ainsi je vous prie prendre bien garde à cet esprit et vous faire rendre compte de temps en temps de ce qu’il a fait en cet affaire, et ne lui donner permission de partir qu’il n’ait fait lesdites lettres de quadrimestre et envoyé en cour de Rome pour faire venir le bref, et avoir les commissionnaires que je lui ai marqués, et attendre encore quelque temps pour voir si ceux de Ste-Geneviève remueront rien au parlement. Je vous écris une autre lettre par ledit Père Vitet. Quand il vous portera ma lettre, je vous prie lui parler selon, que le

3) Traitez des droits et libertez de l’Église gallicane [par Pierre Dupuy], s 1, 1639, 2 vol in-f° Cet ouvrage légitimait tous les empiétements de la puissance séculière sur le pouvoir des évêques et du Pape. Il fut censuré le 9 février 1639 par une portion notable de l’épiscopat

4). Octave de Saint-Lary de Bellegarde, mort en 1646.

5) Nicolas de Grille.

 

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Saint-Esprit vous inspirera, et prendre garde, en lui pariant, qu’il ne connaisse point que je vous ai donné aucuns mémoires.

On m’a assuré que le plus fameux docteur régent de l’université de Toulouse a commencé d’enseigner la doctrine de Jansénius par le premier article de ses erreurs. L’on m’a dit aussi que Mgr l’évêque de Comminges (6) y avait fait trois prédications de cette doctrine. Le lendemain un anonyme lui écrivit une lettre qui lui réfutait tout ce qu’il avait dit.

Un Père de l’Oratoire a prêché depuis peu que Jésus-Christ n’était point mort pour les damnés et pour les réprouvés. Cette ville nous fera du mal. Je prie Dieu qu’il ait pitié de son Église. Je ne puis assez admirer la bonté de Dieu sur mon diocèse, que, parmi le grand commerce qu’il y a avec ceux de Toulouse, que ceux qui en reviennent, ou de Paris, n’apportent aucune infection et disent seulement qu’il y a quelque nouvelle religion qui divise les esprits et puis cela s’étouffe de façon que, par la grâce de Dieu, je n’en vois pas un seul dans mon diocèse qui s’en émeuve, ni qui en parle, et qui ne suive entièrement mes sentiments, pour ce qui regarde la foi et la doctrine de l’Église ; dont j’en loue Dieu, que je prie de vous vouloir donner autant de grâces que je vous en souhaite.

Je suis confus de vous écrire une si longue lettre ; mais la nécessité m’y a contraint. J’ai cru vous devoir dire, toujours sous le secret, que cette grande passion qu’a le Père Vitet de voir promptement une fin bonne ou mauvaise de notre affaire, n’est pas qu’il ait aucune inclination pour ceux de Ste-Geneviève ; au contraire, il en a grande aversion ; mais c’est afin que, si le succès en est bon, ce qu’il souhaiterait bien, il puisse exécuter le mystère dont je vous ai parlé, que je ne puis confier au papier et pour lequel il faudrait beaucoup de temps et en cas qu’il ne réussisse, il est assuré d’une retraite sur un bon bénéfice. Voilà pourquoi il hasarde tout pour le terminer. Je pense qu’il est expédient qu’après avoir lu mon autre lettre que ledit Père Vitet vous rendra, vous la lui fassiez voir, ou la lui lisiez tout haut afin de prendre de là occasion de lui parler Je suis, Monsieur, etc

ALAIN

évêque de Cahors.

6) Gilbert de Choiseul

 

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1188 — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Du fort Dauphin, 16 février 1650.

Votre sainte bénédiction, s’il vous plaît.

Depuis toutes mes lettres écrites, celle-ci vous apprendra qu’il a failli à y avoir bien du changement ; car vous saurez que, le jour de la septuagésime, comme je lisais durant la messe évangile des ouvriers envoyés à la vigne, cette vigne où l’on m’a envoyé m’a paru si grande, et je vis une si grande nécessité d’ouvriers, que, tout durant la messe, je fus vivement touché au cœur qu’il ne la fallait pas laisser languir faute d’ouvriers, puisqu’il y a si longtemps que le maître reproche aux paresseux. quid hic statis tota die otiosi ? Ite in vineam meam (1) ; ce qui me fit faire réflexion qu’assurément Dieu demandait quelque chose de ma part pour y contribuer plus que je n’avais fait par le passé. Or, comme je crois, outre que je le reçus comme une inspiration, priant N.-S. qu’elle eût son effet, cela provenait de la tristesse que j’avais d’avoir si peu avancé, et de voir que je ferais encore moins à l’avenir. Mais examinant la cause pourquoi j’étais envoyé, pour les Français et pour les nègres, je faisais le premier avec si peu de fruit, et le second, que je n’y pouvais plus que faire étant seul, outre ma négligence ignorance et incapacité, je trouvai que je n’avais pas l’assistance possible et nécessaire du temporel, en ce que je voyais que M ; de Flacourt, étant empêché à la direction temporelle, ne se mêlait guère de contribuer à l’avancement du spirituel vu qu’étant sur son départ, ou d’écrire en France, ayant changé de résolution d’y aller ne me parlait de rien, quoique je lui eusse proposé mon sentiment touchant de rétablir le roi baptisé, en faisant une habitation à Fanshere et entretenant un séminaire, il m’aurait dit que c’étaient bien des frais pour la Compagnie et que c’était une entreprise de roi. Quoique d’ailleurs lui et tous ces Messieurs de Paris eussent volonté d’y contribuer, à l’exclusion de toutes autres personnes je n’en voyais point d’effets outre les petites choses d’aversion qu’il avait témoignées contre moi sans sujet de n’avoir pas voulu me donner un interprète pour ne vaquer qu’à la version des instructions, qu’il a fallu faire à bâton rompu, et qu’on avait encore engagé celui qui pressait si fort de demeurer avec moi

Lettre 1188. — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle.

1) Saint Mathieu XX, 6-7.

 

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gratis et sans gages de personne, et d’ailleurs le besoin que je voyais de ne m’en pouvoir passer, afin qu’au moins étant seul je puisse préparer selon mon possible avec lui les instructions par écrit en cette langue, non seulement pour moi, mais pour la postérité ; car ce garçon est celui qui parle le mieux et qui a grâce de Dieu de se fort bien faire entendre à présent dans ces matières qui lui étaient difficiles au commencement faute d’habitude, n’en ayant jamais parlé, et qui ne pouvait presque plus aller à la campagne et quitter l’habitation. Je ne pourrais pas seulement instruire les nègres de l’habitation, qui, sachant bien les mystères, ont besoin de l’explication des autres matières nécessaires à salut, que je ne puis pas bien leur débiter, ni entendre leurs raisons sans un bon interprète. Tout cela serrait mon cœur si fort que, voyant que je ne pouvais que demeurer inutile étant seul, et même je craignais pour mes lettres, qu’elles ne fussent suspectes et retenues pour empêcher l’exécution de tout ce que j’ai proposé à faire en ce pays ; certes, dis-je, il fallut que, comme un feu enfermé dans la nue qui le serre fît son effet pour la résoudre en pluies de larmes ou en éclats de prières et de gémissements, tels que je sens encore à présent. Il y avait longtemps que la crainte de contrister celui à qui par respect lâche, je n’osais dire librement mes sentiments, de peur de gâter quelque chose en matière si importante que de perdre quelquefois l’honneur de continuer un si bel emploi pour toute la compagnie, comme il est arrivé aux bons Pères capucins à l’île de Saint-Christophe ; de sorte que dans ces deux extrémités, je vis qu’il n’y avait que deux ou trois moyens d’y remédier, qui me vinrent en présence de N. S. et que je communiquai à trois personnes que je crus être du meilleur conseil.

Je pris le capitaine le Bourg pour mon médiateur, qui a disposé tout à la paix qui suit. Et voici ce que c’est, que je fis incontinent après avec un cœur plein de confiance que Dieu ferait réussir tout pour le mieux ; et m’étant préparé à tout le respect possible pour le communiquer à M. de Flacourt, auquel je promis d’en suivre la résolution comme il la donnerait : "Monsieur, vous savez le dessein de Dieu et de vos Messieurs et de mes supérieurs en cette Mission, qui est pour deux fins auxquelles je dois travailler : la première est de vous rendre les services de ma profession, et à toute l’habitation des Français ; la seconde est d’attirer les nègres et habitants du pays. Pour ces deux fins, il en faut avoir les moyens. Du premier vous voyez que, si ce n’est comme il faut, c’est au moins selon ma petite puissance, quoique très mal ; et en cela je ne me puis plaindre que de ma négligence et incapacité, qui me fait désirer un autre plus digne. Pour

 

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ce qui est de l’autre quoique j’aie bonne volonté d’y faire mon possible, étant nouveau et ignorant de la langue, je ne puis sans interprète qui soit attaché à cela seul, sans être interrompu, comme j’ai été jusqu’à présent, quand on a envoyé à la traite et aux champs celui qui est le plus propre, qui ne demande pas mieux que de se donner à Dieu pour cela, car il m’a bien des fois dit qu’il ne pouvait pas servir à deux maîtres. Vous pouvez avoir d’autres personnes que lui pour vaquer à votre besoin dans les choses temporelles ; et moi je n’en puis trouver d’autre que lui, que Dieu y a dispose ; sans cela je perdrai mon temps en attendant des prêtres, qui ne trouveront rien de prêt, comme je croyais leur envoyer beaucoup de choses par ce premier retour de navire, et je n’ai pu. D’ailleurs, ceux qu’on pourrait envoyer ne sont pas informés des besoins de ce pays ; et cela ne se peut pas écrire comme dire. Quand j’écrirai, je serai peut-être suspect ; et néanmoins il faut que je dise librement mes sentiments à mon supérieur, auquel il faut que je communique mon intérieur et que je demande les avis pour ma conduite et de ceux qu’on m’a donnés en charge. Il n’y a que deux voies, et vous ferez pencher la balance de quel coté vous trouverez le meilleur c’est ou que je m’en aille faire un tour en France pour dire ce que je pense devant Dieu être nécessaire pour sa gloire en ce pays ; ou que j’écrive, avec assurance de n’être point suspect, ou bien, si je demeure ici, que j’aie les choses bonnement nécessaires qui sont en votre possible de m’accorder, à savoir que, comme je dois avoir confiance en vous, vous, vous l’ayez en moi, et que votre bras aide le mien, et moi le vôtre, bref que vous me permettiez de me retirer à cent pas du fort, hors du bruit avec cet interprète pour vivre en mon particulier et vaquer aux fonctions de la profession d’un chétif missionnaire que je suis."

Sa conclusion pour lors fut que je m’en allasse en France. Quoique ce bon prêtre (2) eut grande affection de retourner, sachant mon intention que c’était pour avancer davantage et aller quérir des ouvriers le plus que je pourrais, avec dessein de procurer le bien d’un chacun, il consentit, et devant M. de Flacourt qui en fut content. Le voilà tout conclu qu’il demeurerait. Je lui laisse tout en sa disposition ; je fais mon paquet, le plus léger que je peux, et M. de Flacourt me pria de prendre congé des Français après vêpres, le dimanche même de la septuagésime ; ce que je fis, en disant le sujet. Cela fait, voilà chacun dans des sentiments divers, aussi bien que moi, qui avais peine de quitter et d’entreprendre l’aller et revenir, qui

2) M. de Bellebarbe

 

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est si long et dangereux. Ceux du navire étaient joyeux que je leur tinsse compagnie ; ceux de l’habitation me voulaient, d’une part, retenir pour leur service ; et d’ailleurs ils donnaient les mains aux raisons de l’évangile, qui demandait promptement des ouvriers, que j’allais quérir tels qu’il fallait pour façonner cette vigne, en souffrant le poids et la chaleur de plusieurs jours ; tellement que voilà un pauvre prêtre tiré à deux et à quatre chevaux de ses sentiments divers et ceux d’autrui. Mais pourtant, encore que la résolution fut donnée et acceptée de toutes parts, j’étais dans le sentiment d’indifférence, suppliant le maître de la vigne de me dire : allez dès le matin, ou attendez à midi, pour ne point perdre le prix de l’obéissance à sa seule volonté. Deus scit quia non mentior, que je ne tenais rien d’assuré, sinon qu’il ferait tout pour le mieux et qu’il avait des ressorts et des voies de faire réussir les desseins de sa providence, qui étaient infaillibles, sans y pouvoir résister.

Le lendemain, je recommande cela à la sainte messe. Point de réponse. J’envoie mon paquet au navire ; je me préparais d’être le porteur de mes lettres ; et tout à coup voilà bien toutes les cartes renversées : on me dit qu’il fallait demeurer pour contenter ceux qui n’étaient pas contents du prêtre qui restait, qui pouvait pourtant fort bien entretenir passablement ce qu’il fallait à l’égard de l’habitation seule. Les nègres mêmes me venaient trouver. "Quoi ! tu t’en vas ! Qui est-ce qui nous fera prier Dieu ?" Et cela mit les fers aux pieds de ma volonté, qui demeura prisonnière de celle de Dieu dans la voix du peuple.

Mais l’autre que j’avais proposé, de demeurer seul avec l’interprète, me fut accordé, sans que ce fut pour déroger au respect et à l’amitié de M. Flacourt, mais plutôt pour l’augmenter et lui donner moins de sujet de faire tant de fautes à son égard. Voilà nos cœurs réunis, avec promesse, de part et d’autre, que ce sera pour la plus grande gloire de Dieu. On me va faire un petit presbytère auprès de l’église. Mais ce pauvre compagnon qui est pour me servir de langue, est malade d’une pleurésie, qu’il m’a dit être venue de tristesse de se voir séparé de moi. Mais la nouvelle de mon séjour selon son désir, joint à la saignée et au bon traitement que je lui fais, a fait déjà dissiper plus de la moitié de son mal, puisqu’il dit que la cause en est ôtée. Dieu veuille que ceci soit sans changements ! car je ne sais si c’est le pays qui le donne, où nous voyons force caméléons qui ne changent pas si souvent de couleurs, que certains esprits de résolutions et d’humeurs ; tantôt vous voilà bien, tantôt mal, mais toujours plus mal que bien ; et nonobstant les belles apparences, je ne suis pas

 

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hors de soupçon d’avoir débauché cet interprète pour quelque fin désavantageuse à ces Messieurs. Mais que pourrais-je faire sinon m’employer avec lui tout à fait à la langue et à l’instruction des nègres, dont l’honneur retournera sur eux, comme en Canada sur M. de Montmagny (3). Oh ! que n’y en a-t-il un semblable ici ! Je crains fort, selon les apparences, que ces Messieurs ne se contentent de faire de belles propositions pour la conversion de ce pays et qu’ils ne nous amusent en différant trop longtemps ce que l’on peut faire sans retardement. Si vous ne voyez pas d’apparence qu’on ne puisse faire subsister une ou deux habitations, comme je vous ai dit, soit par eux, soit par autrui est-ce la peine d’envoyer si loin par tant de peine et déranger de pauvres prêtres mourir pour servir des habitations si mal réglées ? N’avons-nous pas des Français assez à notre porte ? N’est-ce pas assez qu’ils aient un prêtre, qu’ils défraieront et gageront, sans que nous soyons captifs et retenus de travailler comme il faut à la conversion des nègres, qui n’attendent que cela ?

Voyez une dernière lettre que j’adresse à ces Messieurs où je leur propose les moyens, peut-être trop à leur avantage et à votre charge ; faites-en ce qu’il vous plaira ; ma conscience est déchargée après avoir dit ce que je sais, et fait ce que je puis.

Si vous prenez la peine d’écrire à Madame Gondrée, adressez la lettre à Dieppe, chez le capitaine le Bourg ; et si vous voulez écrire un petit mot à mon pauvre père, s’il est encore vivant, l’adresse est sur la lettre que je lui écris.

Ne laissez pas refroidir le dessein de Dieu sur ce pays, quand ces Messieurs tiendront cela indifférent. Sa providence vous fournira des moyens de l’entreprendre par autres voies, que vous apprendrez du capitaine le Bourg. Ce ne serait peut-être que le mieux, si cela se peut.

Tout ce que j’ai rapporté de ce pays ne sera-t-il pas capable de mettre toute la compagnie dans le dessein, et particulièrement nos séminaristes, d’apprendre le métier de saint Pierre pour apprendre à faire et refaire des filets propres à pêcher tant d’âmes ? Vous m’aviez envoyé lâcher les rets ; il n’y a encore que 57 poissons de pris, qui sont tous petits, hormis trois grands ; mais il y en a tant à prendre, que je ne doute pas que vous ne mettiez sur mer des personnes qui en viendront prendre à rompre les filets.

Je ne dis mot de M. Maillard, qui avait tant demandé de

3) Charles Huault de Montmagny, chevalier de Malte, gouverneur du Canada, très zélé pour la propagation de la foi.

 

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venir. Il a les dispositions de l’esprit et la santé du corps. Je crois qu’il est de voix un peu faible et sujet à la constipation ; mais il est bien propre à enseigner les petits enfants et bon économe. Je laisse tout à votre disposition, ne souhaitant que ceux que N. S. a bien disposés pour en faire des pêcheurs d’hommes qui sachent ce qu’il faut faire en la conduite de cet ouvrage et qui puissent résoudre les difficultés qui se présentent ici, où l’on ne peut facilement écrire pour en être éclairci.

J’ai bien sujet de me jeter aux pieds de N.-S comme un pauvre pêcheur et un grand pécheur. Je vous prie de vous y jeter, afin qu’il ne se retire pas de moi, comme je ne lui en donne que trop de sujet. Et quand il vous plaira de me relever de dessous le fardeau qui m’accable s’il est nécessaire que j’aille faire pénitence de mes fautes, que ce soit d’aller au séminaire pour réformer un monstre par l’exemple et ferveur de ceux au pied desquels je fais les humiliations, pour obtenir, par eux et par vous, l’espérance en la miséricorde et grâce de N.-S, de la charité duquel je prie que nos cœurs soient pressés pour exécuter les desseins qu’il a sur la compagnie, et dans l’amour duquel je suis mon très honoré Père, votre très humble et très obéissant fils.

C. NACQUART,

très i. p. d. l. Mission de Madagascar.

 

1189. — CHARLES NACQUART, PRÊTRE DE LA MISSION,

A SAINT VINCENT

Du fort Dauphin, 16 février 1650

Monsieur,

Votre sainte bénédiction sil vous plaît !

Dieu soit béni si celui pour qui j’écris la présente en est lui-même le porteur, comme il me l’a promis (1) car après les obligations que je lui ai, d’avoir reçu tout le plaisir, l’honneur et l’affection et les présents de beaucoup de commodités, tant dans son navire que depuis plus d’un an qu’il a fallu résider à la côte, ayant compassion de moi, comme un bon père de son enfant dans la nécessité, il m’a encore pressé d’accepter cent francs pour les besoins que je pourrais avoir en ce pays. S’il était nécessaire de lui rendre au centuple, ou qu’il le voulut

Lettre 1189 — Dossier de la Mission, copie du XVIIe siècle

1) Le capitaine le Bourg

 

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accepter, qui doute que vous ne lui donnassiez ? Mais il ne veut accepter que simplement cette somme, que je n’emploierai que bien à propos à ma nécessité, et pour éviter ce que vous savez et qu’il vous pourra dire. O Monsieur, refaites mes entrailles en le recevant, non comme il mérite et que je voudrais, mais au superlatif de toute la cordialité possible et l’assurez que, si l’occasion se présente de lui rendre quelque service, vous le ferez ou ferez faire compte à mon propre père. Et je connais tellement son bon naturel que je sais bien qu’il est pour contribuer beaucoup à l’œuvre de Dieu en ce pays, non seulement pour le spirituel, comme j’en ai communiqué avec lui et reçu avec honneur ses sentiments, comme de celui qui m’a mieux conseillé en ce pays et m’a servi de médiateur, comme j’ai dit ailleurs. Mais si c’était lui qui eût la conduite du premier vaisseau qui viendra, comme il en est très capable, il n’y a personne que je connaisse plus propre pour vous entretenir de tout et pour effectuer la promesse qu’il m’a faite de contribuer aux petites provisions temporelles, s’il vient et quand même ce ne serait pas lui, il ne laisserait d’en donner le conseil, voire un mémoire ; et s’il était à Dieppe, il s’acquitterait fidèlement de pourvoir à ce qui serait de son pouvoir. C’est assez dire à sa louange. Plût à Dieu que, comme il le mérite il y eut quelqu’un qui put lui procurer une charge de capitaine du roi, qui ne coûte qu’une parole à demander et à accorder par Sa Majesté, gouvernante et tutrice du royaume ! Si vous y pouvez contribuer pour ce loyal homme ou en autre chose, vous n’aurez pas obligé un ingrat, et je le ressentirai fait comme à celui qui est, dans la charité de N.-S. qui sera sa récompense et la vôtre, Monsieur et très honoré Père, votre très obéissant serviteur et très affectionné fils

C. NACQUART

i. p. d. l. M.

Au cas qu’il ne soit le porteur, je sais que vous le remercierez par lettre et lui ferez tenir la somme contenue, sans avoir moins d’affection de l’obliger en toute rencontre. Plaise a Dieu que je le revoie en ce pays, au premier embarquement, avec quatre prêtres et trois coadjuteurs ! Et sic deinceps diu usque impleatur numerus fratrum nostrorum.

 

 

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1190. — A LOUIS RIVET, PRÊTRE DE LA MISSION, A SAINTES

Du 20 février 1650.

Je vous remercie des avis que vous m’avez donnés. J’écris à la personne (1) et j’espère qu’elle reviendra de sa façon d’agir. C’est un orage qui passe, excité par l’âge et les passions. Dieu merci, le fond en est bon et mérite qu’on supporte les faiblesses dé la nature, comme vous faites ; dont je rends grâces à Notre-Seigneur, de qui vous honorez la patience par celle que vous exercez à l’égard des manquements d’autrui, les supportant comme il supportait la rusticité de ses disciples et supporte tous les jours les plus grands pécheurs comme moi. O Monsieur, que je suis consolé de ce que vous travaillez incessamment à la vertu ! L’amour que vous avez pour elle paraît en la peine que vous ressentez de ce que les autres n’y travaillent pas assez. Quand avec cela je considère votre fréquente application au ministère de l’Évangile, pour gagner les âmes à Jésus-Christ, je ne puis assez estimer et chérir la vôtre ; et les tendres affections que j’ai conçues pour elle depuis longtemps, font que très souvent je l’offre à Dieu, afin que de plus en plus il la sanctifie et sauve par vous les peuples que vous servez.

Certes, Monsieur, il est fort difficile de trouver des supérieurs accomplis. Le vôtre (2) est sans expérience, il est vrai, et même sans beaucoup d’apparence extérieure ; mais il est sage et vertueux, ainsi que vous le

Lettre 1190. — Reg. 2, p. 108.

1) La lettre annoncée ici est fort probablement la lettre 1191.

2) Pierre Watebled.

 

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reconnaissez vous-même ; et c’est cela qui m’a toujours fait espérer que Notre-Seigneur suppléerait au reste, attendant que par l’exercice il eût acquis une partie de ce qui lui manque. Je vous prie, Monsieur, de contribuer de parole et d’exemple à ce que la famille lui ait confiance et qu’elle se porte à nos petites observances. Je lui recommanderai que, de sa part, il agisse plus humblement et suavement ; ce qui lui sera bien aisé y ayant beaucoup de disposition, ce me semble.

 

1191. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE LA MAISON DE SAINTES

Du 20 février 1650.

Je ne puis que je ne vous témoigne ma consolation de ce que vous êtes quasi sans cesse appliqué au salut des âmes, que la vôtre s’avance par ce moyen en l’amour de Dieu et qu’il plaît à son infinie bonté de bénir vos travaux. Je l’en remercie, certes, avec autant de reconnaissance qu’elle m’a donné d’estime et de tendresse pour vous.

Je vous écris aussi pour un autre sujet : c’est le doute où je suis, si je vous ai fait réponse à la lettre que vous m’écrivîtes il y a quelque temps. D’un côté, je sais que j’ai eu l’intention de le faire, et qu’il n’y a que mes grands embarras qui aient pu me faire omettre cette obligation ; mais, d’un autre, voyant que, pour bien que je fasse, je tombe pour le moins dans le retardement de quelques réponses, je crains d’avoir commis cette faute à votre égard. Si cela est, Monsieur, je vous en demande pardon ; et si cela n’est pas, je vous prie de me le mander.

Lettre 1191. — Reg. 2, p. 307.

 

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Vous me fîtes votre communication intérieure par cette lettre, où je trouvai sujet de louer Dieu, tant du zèle qu’il vous donne pour procurer la correction des défauts qui sont dans la famille, qu’en particulier des bonnes dispositions où il vous a mis dans son service. Et pource que l’état de l’homme change tous les jours, surtout en ceux qui travaillent, comme vous, à leur propre avancement, je vous prie, si vous êtes encore dans la même dévotion de vous communiquer à moi, de le faire selon que vous vous trouvez présentement, vous assurant que je vous ferai réponse, non seulement à ce qui regardera votre intérieur, mais à toute autre chose, et toutes les fois que vous m’écrirez. Grâces à Dieu, je tâche de le faire à tout le monde, combien plus à vous, qui m’êtes ce que Notre-Seigneur sait et en qui je vous suis tout ce que je puis ; n’en doutez point, s’il vous plaît.

Si néanmoins vous aimez mieux vous découvrir à M. Watebled, pour ne vous pas départir de la voie ordinaire, j’en serai consolé et vous en serez satisfait, comme j’espère, pource que, Notre-Seigneur ayant fort agréable la confiance que vous aurez en votre supérieur, comme représentant sa divine personne, il lui inspirera tout ce qui vous sera plus convenable. Et bien qu’il n’ait pas l’expérience que je puis avoir, ni toutes les autres bonnes parties qui sont à souhaiter en une personne de conduite, ne rabattez rien pour cela, Monsieur, d’une si sainte pratique, ni de toutes celles que le plaisir de Dieu nous impose dans notre condition ; elles sont de grand prix, étant faites en esprit d’amour et d’obéissance ; et vous savez qu’il y a danger à suivre d’autres lumières. Je ne vous en parle aussi que pour nous exciter à la reconnaissance de la grâce que Dieu nous a faite, de nous donner la résolution de marcher sur les traces

 

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de Notre-Seigneur et des saints. Demandons-lui celle d’aller jusqu’au bout. Je veux croire que la nature vous fournit plusieurs pensées contre l’estime et la déférence que vous devez à M. Watebled ; mais je veux croire aussi que vous passez par-dessus ces sentiments corrompus et que vous faites profit de ces répugnances, qui donnent un surcroît de mérite à votre fidélité. Il est vrai qu’il est encore nouveau dans la charge et qu’il n’a pas la mine, ni peut-être la douceur qu’elle requiert ; mais je puis vous assurer que c’est une âme des plus à Dieu que je connaisse et en qui nous avons toujours remarqué beaucoup de vertu. Il n’est pas facile à trouver des hommes tout faits, en qui il n’y ait rien à redire. Ce qui manque à ce serviteur de Dieu n’est pas considérable, au prix de ce qu’il a ; et Notre-Seigneur suppléera à cela même qu’il n’a pas, en ce qui vous regarde, si vous le regardez en lui, et lui en Notre-Seigneur, comme je vous en supplie de tout mon cœur.

 

1192. — A LA SŒUR JEANNE LEPEINTRE

De Paris, ce 23 février 1650.

Ma bonne Sœur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai été bien consolé de recevoir votre lettre, mais, d’un autre côté, elle m’a donné sujet d’affliction de vous voir dans une continuelle incommodité pour le peu de logement que vous avez. Si Dieu lui-même n’y met remède, il n’en faut pas chercher ailleurs. Voyez néanmoins M. d’Annemont (1), dites-lui les inconvénients qui

Lettre 1192 — L s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Aumônier du maréchal de la Meilleraye.

 

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arrivent d’être ainsi à l’étroit et avoir tant de malades, afin qu’il y fasse faire réflexion à Messieurs les pères et qu’il voie avec eux si on pourrait ajuster quelque lieu proche, ou bien au-dessus des salles, pour vous donner un peu plus de liberté.

J’ai été consolé aussi de l’instance que vous faites, qu’on vous décharge du soin principal, pource que toute personne qui conduit fait bien de demander de temps en temps sa déposition, bien qu’elle doive demeurer dans l’indifférence, et c’est ce que vous faites, grâces à Dieu. Continuez à vous y bien établir, vous confiant toujours au soin de la Providence, qui vous tirera de cet office quand il sera expédient, et vous donnera les grâces requises pour Le bien faire, tandis que vous l’exercerez. Oui, ma Sœur, estimez que, demeurant ainsi en l’état où l’obéissance vous a mise, le mérite de la même obéissance s’étend sur tout ce que vous faites, et donne à chaque action un prix inestimable, encore que les choses ne succèdent pas selon votre souhait.

Il est vrai, ma Sœur, la direction spirituelle est grandement utile ; c’est un lieu de conseil dans les difficultés, d’encouragement dans les dégoûts, de refuge dans] es tentations, de force dans les accablements ; enfin c’est une source de biens et de consolations, quand le directeur est bien charitable, prudent et expérimenté : mais savez-vous bien que là où les hommes manquent, là commence le secours de Dieu ? C’est lui qui nous instruit, qui nous fortifie, qui nous est tout et qui nous mène à lui par lui-même. S’il ne permet pas que vous ayez un père spirituel à qui vous puissiez recourir à tous rencontres, pensez-vous que ce soit pour vous priver du bénéfice de la direction d’un tel père ? Point du tout. Au contraire, c’est Notre-Seigneur qui prend sa

 

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place et qui a la bonté de vous diriger. Il paraît bien qu’il l’a fait jusques à présent, et ne doutez pas qu’il ne le fasse jusqu’à ce qu’il y pourvoie autrement ; j’ai toujours remarqué ce soin particulier de la Providence sur quantité de personnes de piété destituées de semblable secours de la part des hommes, et je pourrais vous en rapporter quantité de beaux exemples et vous dire des choses admirables sur ce point ; mais il n’est pas nécessaire à vous, qui n’en doutez pas et qui ressentez tous les jours les effets de la protection divine.

Le temps n’est pas venu auquel nous puissions rappeler la sœur Henriette ; je vous prie d’avoir patience à son sujet.

Il est fort à souhaiter que vous n’ayez toutes qu’un même confesseur ; il me semble que M. Cheneau est bien capable de cela et qu’il est fort homme de bien ; et partant, continuez de temps en temps à persuader à cette sœur qu’elle se confesse à lui, afin que, si elle va à un autre, Monseigneur de Nantes (2) sache que ce n’est point de votre ordre, ni de votre consentement.

Je vois bien que ce qui vous a empêchée de faire votre petit règlement et de suivre les avis que je vous ai laissés sont les petits troubles que vous avez soufferts jusqu’à présent ; j’espère de la bonté de Dieu qu’à l’avenir il vous donnera plus de paix et plus de grâce pour être bien exactes, et que vous en donnerez l’exemple à nos sœurs.

Si l’entrée des garçons dans votre cuisine est un mal nécessaire, il le faut supporter pour l’amour de Dieu, qui le permet ; s’il se peut éviter, il faut attendre cela du soin de Messieurs les pères, et pour cet effet

2) Gabriel de Beauvau de Rivarennes

 

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vous en devez prier de fois à autre M. Truchart, avec soumission néanmoins à ce qui en arrivera.

Vous dites que l’on vous a donné un espion, qui vous fait de la peine. J’avoue que cela est fâcheux ; mais après l’effort que vous avez fait pour vous rédimer de cette sujétion, il faut avoir patience. Hélas ! ma Fille, je ne sais qui n’a point de surveillant : les plus grands en ont jusques dans leurs chambres ; et la misère est aujourd’hui si grande dans le monde que quasi autant de personnes que nous voyons, ce sont autant d’espions, dont nous devons tirer cet avertissement que nous devons agir avec grande retenue et présence de Dieu. Je veux croire que vous et nos sœurs en usez ainsi, ce qui fera que ceux-là mêmes qui prennent garde à vos actions publieront votre vertu.

Avez-vous fait faire dans votre chambre la clôture qui devait servir à vos petites assemblées, ainsi que nous le trouvâmes à propos quand j’étais à Nantes ? Et si cela est fait, n’y pouvez-vous pas faire chaque jour un peu de récréation ? Je vous prie de m’éclaircir de cela. Cependant j’approuve votre discrétion à donner un peu de liberté à nos sœurs pour rire et parler quand l’occasion s’en présente, si tant est que vous ne preniez pas une petite heure pour vous récréer ensemblement ; car il faut un peu de relâche à vos continuelles occupations.

Je loue Dieu de ce que votre sœur malade se porte mieux et de ce que toutes les autres sont eh bonne disposition, et vous particulièrement. Je vous salue en général et chacune en particulier avec toute l’affection qu’il m’est possible.

Je vous prie de demander à Dieu miséricorde pour moi, comme, de ma part, je vous offre souvent à lui, à ce qu’il vous donne la force et générosité d’esprit pour surmonter les

 

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difficultés qui se rencontrent au service de Dieu et en celui des pauvres, pour être enfin votre éternelle récompense au ciel, en l’amour duquel je suis, ma bonne Sœur, votre affectionné serviteur

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Suscription : A ma sœur la sœur Jeanne Lepeintre, servante des pauvres et des Filles de la Charité de l’hôpital de Nantes, à Nantes.

 

1193. — A BERNARD CODOING, SUPÉRIEUR, A RICHELIEU

De Paris, ce 23 février 1650.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

J’ai demandé à Madame la duchesse d’Aiguillon le canonicat vacant ou prêt à vaquer à Champigny (1) pour le fils de M. votre médecin ; elle m’a dit qu’elle s’était engagée à le donner à un jeune homme de Tours, mais que, à une autre occasion, elle sera bien aise d’obliger ledit sieur médecin, à quoi je tiendrai la main de mon côté, souhaitant de lui pouvoir rendre service, comme j’y suis obligé. Je le salue très humblement (2).

Je vous ai dit que madite dame approuve fort le changement à faire à l’hôpital de Champigny, la retraite de l’aumônier (3) et l’établissement de nos sœurs et tout le reste des choses que vous avez marquées pour

Lettre 1193. — L. s. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Champigny-sur-Veude, Commune de l’arrondissement de Chinon (Indre-et-Loiire).

2). Ces mots, depuis Comme j’y suis, sont de la main du saint.

3).M. Romillon.

 

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l’ordre et le bien des pauvres. Disposez toutes choses à cela, attendant que Mademoiselle Le Gras vous préparera deux de ses filles, dont je lui ai déjà parlé ; nous vous manderons le temps qu’elles pourront partir. Madite dame trouvera bon ce que vous dites qu’il faut faire de cette fille qui reste dans l’hôpital ; néanmoins, auparavant que de la mettre dehors, je vous prie d’attendre que je lui en aie encore parlé une fois, pour savoir précisément sa volonté.

Depuis ce qui est ci-dessus écrit, j’ai reparlé à Madame ; elle trouve bien qu’en retire cette fille de la maison, voire même de ne l’approcher, car elle est dans le désordre de la vie (4).

Je ne sais si, en écrivant à M. Drouard, vous lui avez fait la proposition des terres vagues de Richelieu en faveur de la fabrique ; si vous voyez facilité à cela de la part des habitants et des intéressés, écrivez-en audit sieur Drouard, si déjà vous ne l’avez fait ; car, pour moi, je n’en veux point faire l’ouverture à madite dame. Il est expédient que vous m’envoyiez les lettres ouvertes (5).

Je saurai de Mademoiselle Le Gras si elle veut recevoir la fille qui se présente de delà pour venir à la Charité, et je vous le manderai.

J’ai reçu la copie du bail de Bois-Bouchard ; j’avoue que je ne puis comprendre comme il est conçu. Cette maison-là avec ses dépendances est estimée du revenu de mille ou onze cents livres, et votre bail est fait pour cent quatre-vingt-quinze livres de ferme seulement. Il faudrait donc que les réserves que vous avez faites vous donnassent par an huit ou neuf cents livres, ce

4) Cette dernière phrase est de la main du saint.

5) Même remarque.

 

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que je ne puis croire ; et si cela était, fallait-il faire un bail du reste pour si peu de chose ? Il faut qu’il y ait du malentendu en tout cela. Je vous prie, Monsieur, de m’en éclaircir au plus tôt.

A ce propos, je vous renouvelle la prière que je vous ai faite de ne rien changer ni innover aux choses principales. Les compagnies bien réglées (9) particulièrement les Jésuites, ont pour maxime, quand un nouveau supérieur va dans une maison, d’y laisser les choses en l’état que ses prédécesseurs les ont laissées, surtout quand le visiteur y a passé. Si vous me dites que vous l’avez ainsi pratiqué à Richelieu, comme déjà vous me l’écrivez, et que je vous ai permis de passer ce bail, je vous ferai remarquer, s’il vous plaît, qu’il est vrai que je vous ai vraiment donné cette permission, mais que ce bail est fait tout autrement que vous ne me l’avez proposé. J’attends sur cela de vos nouvelles, et sur l’état de la famille, que je salue avec vous, Monsieur, à qui je suis in Domino votre très humble serviteur

VINCENT DEPAUL

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Codoing.

 

1194. — MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 23 février 1650.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je suis bien aise que vous voilà dehors cette taxe du

Lettre 1194. — L. s. — Dossier de Turin, original

 

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clergé pour cette armée, au moyen du payement que vous en avez fait ; nous verrons à une autre année.

Puisque les 800 ou 1.000 livres que vous voulez emprunter doivent se consommer en l’acquit de vos dettes, que les ordinations s’approchent et que vous ne faites aucun préparatif pour n’avoir de quoi, je suis d’avis que vous empruntiez encore mille livres pour acheter des lits et autres choses de ce qu’il convient avoir. Peut-être que M. de Beaugé vous pourra fournir ces deux sommes ensemble, ou que vous trouverez ailleurs ce qu’il vous refusera ; pour cet effet, je ferai faire une procuration et la vous enverrai au premier jour. Si ledit sieur Beaugé voulait recevoir pour son payement, ou pour partie d’icelle, les petites rentes que vous me marquez, je serais d’avis qu’on les y donnât ; mais je doute fort qu’il le fasse.

Mandez-moi pour quelle somme M. Planchois vous veut quitter la moitié de sa pension et de combien est cette pension. Quand vous demeureriez d’accord de cela, je ne crois pas qu’il faille rompre le premier concordat fait avec lui, en passant le nouveau, comme vous dites, pource qu’il doit être attaché aux patentes du roi vérifiées en parlement (1), où il ne faut pas toucher, particulièrement à cause que lesdites patentes en font mention. Je ferai voir sur le livre de notre dépense si ledit sieur Planchois a raison de dire qu’il a donné deux quittances pour une somme de 18 livres et que vous les y comptez deux fois, afin que, s’il ne les a reçues qu’une fois, on ne lui fasse tort. J’attends nouvelles de M. Lucas (2) sur sa mission.

1) Le 15 janvier 1650. (Arch. Nat. MM 535.)

2) Supérieur de la maison.

 

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Je vous souhaite à tous une parfaite santé et une grande bénédiction sur vous et vos travaux. Je suis in Domino, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Gentil.

 

1195 — A LOUISE DE MARILLAC

[Entre 1645 (1) et 1660] (1)

Si Mademoiselle Le Gras a agréable que je me rende au parloir, je le ferai très volontiers, quoique je sois dans un frisson ; et l’expérience m’a fait voir que je ne me présente à l’air en cet état qu’il ne se fasse un nouveau frisson, suivi quelquefois de fièvre. Je ferai néanmoins ce qu’il plaira à madite demoiselle. Et s’il lui plaît de m’écrire ce qu’elle désire me dire, je le recevrai du cœur que Notre-Seigneur m’a donné pour faire ce qu’elle pensera que je puis faire pour Dieu. Je vous enverrai tantôt notre frère Ducournau.

 

1196. UN PRÊTRE DE LA MISSION A SAINT VINCENT

1650

le dois vous rendre compte du fruit que vos prières et saints sacrifices ont opéré tant à Joigny qu’à Longron (1), où nous faisons

Lettre 1195 — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1). Ce fut en 1645 que le frère Ducournau devint secrétaire de saint Vincent.

Lettre 1196. — Abelly, op cit., 1 II, chap I, sect II, § 7, 1er éd, P. 46

1) Le Grand-Longueron, hameau de la commune de Champlay, près Joigny (Yonne)

 

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maintenant la mission. Je n’ai rien à dire de Joigny, si ce n’est que j’admire l’assiduité des habitants à entendre les prédications et catéchismes et leur diligence à se lever matin, car on a commencé quelquefois à sonner la prédication à deux heures après minuit, et néanmoins l’église se trouvait pleine. Il faut pourtant que j’avoue franchement que je trouve encore plus de bénédiction dans les champs que dans les villes et que j’y reconnais plus de marques d’une véritable et sincère pénitence et de la première droiture et simplicité du christianisme naissant. Ces bonnes gens ne se présentent ordinairement à la confession que fondant en larmes ; ils s’estiment les plus grands pécheurs du monde et demandent de plus grandes pénitences que celles qu’on leur impose. Hier, une personne qui s’était confessée à un autre missionnaire me vint prier de lui imposer une plus grande pénitence que celle qui lui avait été donnée, et de lui ordonner de jeûner trois jours la semaine pendant toute cette année ; un autre, que je lui donnasse pour pénitence de marcher nu-pieds sur la terre pendant le temps de la gelée. Et en la même journée d’hier, un homme me vint trouver, qui me dit ces paroles : "Monsieur, j’ai entendu à la prédication qu’il n’y avait point de meilleur moyen pour ne plus jurer que de se jeter aussitôt à genoux en présence de ceux devant qui on avait juré ; c’est ce que je viens de faire car aussitôt que je me suis avisé que j’avais juré ma foi, je me suis mis à genoux et j’ai demandé miséricorde à Dieu."

 

1197. — A LOUISE DE MARILLAC

Je n’ai point de fièvre, Mademoiselle ; je n’ai que la fluxion que j’avais, qui est de beaucoup diminuée, Dieu merci. Voici la quatrième purgation que j’ai prise, et je pense que c’est assez. Je ne vous ai pas oubliée aujourd’hui ; Dieu m’a fait la grâce de célébrer la sainte messe à votre intention (1) Je suis bien aise de ce que vous me dites de Madame la chancelière (2),

Lettre 1197. — L. a. — Dossier des Filles de la Charité, original.

1) C’était probablement la fête de Louise de Marillac ou l’anniversaire de quelque événement mémorable de sa vie.

2). Madame Séguier.

 

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Il sera bon que vous soyez demain ici à l’assemblée (3) et que vous voyiez le matin Madame de Marillac (4). Que si vous ne pouviez faire les deux, différez à mardi la visite de cette bonne dame, s’il vous plaît. Bon soir, Mademoiselle Je suis…

V. D. P.

Suscription : A Mademoiselle Mademoiselle Le Gras.

 

1198. — A MATHURIN GENTIL, PRÊTRE DE LA MISSION, AU MANS

De Paris, ce 16 mars 1650.

Monsieur,

La grâce de Notre-Seigneur soit avec vous pour jamais !

Je vous envoie les deux pièces que vous m’avez demandées : la première est une copie collationnée de l’arrêt du parlement sur la vérification de votre établissement (1) ; et la seconde, la quittance de M. Planchois pour le dernier argent que je lui ai fait donner en deux fois, montant à (2), livres, sur ce que vous lui devez. Je lui ai dit que nous ne lui baillerons plus rien et qu’il s’adresse à vous ; et quant à l’accommodement qu’il nous a proposé pour la moitié de sa pension, nous n’en avons pas convenu, comme vous pensez ; au contraire, je lui ai témoigné que nous n’y pouvons aucunement entendre, et il ne s’y attend plus.

M. Pousset ne m’a pas écrit de l’assister en aucune

3) L’assemblée des dames de la Charité

4). Marie de Creil, épouse de René de Marillac, ou Jeanne Potier, épouse de Michel de Marillac.

Lettre 1198. — L. s. — Dossier de Turin, original.

1) Cf. Arch. nat S 6707.

 

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affaire au parlement ; aussi ne puis-je pas lui rendre aucun service en cela, pource que je ne sollicite jamais pour personne, et il ne m’est pas permis de le faire. Si néanmoins en autre occasion je pouvais lui être utile, je m’y emploierais volontiers.

Nous avons deux frères clercs capables de rendre Service à l’Église, comme ils font en effet ; car ils enseignent la morale, l’un au collège des Bons-Enfants et l’autre au séminaire d’Agen ; celui-là se nomme [Louis] Champion et celui-ci [François] Fournier (2) ; le premier est de Châteaudun et l’autre de Laval, au diocèse du Mans, tous deux de bon âge et qui travaillent à l’acquisition des vertus. Ils ne sont que tonsurés. Je vous prie, vous ou Monsieur Lucas, de demander pour eux à Mr du Mans lettres dimissoires ad omnes, s’il y a moyen. Je crains que je ne puisse pas vous envoyer aujourd’hui leurs lettres de tonsure ; ce sera une autre fois.

Gardez-vous bien, Monsieur, de lever les serrures mises aux greniers par Messieurs les administrateurs, ainsi que vous me proposez, ni de faire faire aucune clef pour les ouvrir. Il ne faut du tout point plaider avec eux, mais vivre en la meilleure intelligence qu’il se pourra, quand même ils auraient dessein de vous priver tout à fait desdits greniers ; ce qu’ils ne feront pas, vivant en paix, laquelle vaut plus que tous les biens du monde, outre que Dieu la récompense dès ce monde même. C’est à quoi je vous prie de travailler et de ne pas songer à donner aucunes rentes en payement, ni en vente, ni en échange, ni autrement, pour ne rien démembrer de la maison ; mais faites vous-même les diligences qu’il faut pour empêcher que ces rentes mal assurées ne se perdent pas.

2) Le secrétaire a laissé en blanc la place des petits noms, qu’il ne connaissait pas ou qu’il avait oubliés.

 

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Je suis si pressé que je n’ai aucun loisir d’écrire à M. Lucas ; à peine en ai-je assez pour l’embrasser, et avec lui toute la famille. Celle-ci se porte assez bien. Je suis in Domino, Monsieur, votre très humble serviteur.

VINCENT DEPAUL,

i. p. d. l. M.

Au bas de la première page : M. Gentil.

 

1199. — A ANTOINE LUCAS, SUPÉRIEUR, AU MANS

Du 23 mars 1650

La proposition que vous me faites du prieuré de Laval est contraire à notre maxime et à l’usage où nous sommes de ne rechercher aucun établissement directement, ni indirectement. La Providence seule nous a appelés en tous ceux que nous avons par ceux qui avaient droit à la chose ; et si la compagnie m’en croit, elle se conservera inviolablement dans cette retenue. Si mondit seigneur vous en parle encore, dites-lui que je vous ai fait cette réponse.

J’ai prié le procureur de votre maison (1) qu’il laisse les choses comme elles sont avec Messieurs les administrateurs, qu’il se garde bien de toucher aux serrures des greniers, et plus encore de faire aucun procès. La paix vaut plus que tout ce qu’on vous ôte. Et si nous la procurons en autrui, n’est-il pas plus raisonnable que nous la conservions chez nous, afin qu’on ne nous rebute avec ce reproche que nous lûmes hier dans l’Évangile :

Lettre 1199. — Reg. 2, pp. 58 et 123 Le second fragment commence aux mots : J’ai prié ; il était peut-être le premier dans l’original

1) Mathurin Gentil.

 

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médecin, guéris-toi toi-même (2) ? Au nom de Dieu, Monsieur, supportons plutôt semblables pertes que de donner scandale. Dieu prendra notre cause en main, si nous pratiquons le conseil de Notre-Seigneur.

 

1200. — A RENÉ ALMERAS, SUPÉRIEUR, A ROME

Du 25 mars 1650.

Si la maison de Rome est orpheline, comme vous dites, par l’absence de M. Dehorgny, Notre-Seigneur en sera le père, le conseil et le protecteur ; n’en doutez point, mais redoublez votre confiance en sa bonté, et laissez-le faire ; il sera lui-même cet homme de grâce et d’industrie que vous estimez devoir être mis à votre place. Vous savez, Monsieur, que le succès des affaires dépend tout de lui, et je sais que, s’il eut dépendu de nous, ce que vous avez entrepris eût très bien réussi, d’autant que vous y avez apporté toute la précaution, le soin et la diligence qu’on pouvait attendre d’un homme de vertu. Les œuvres de Dieu ne se font pas quand nous les souhaitons, mais lorsqu’il lui plaît. Croyez-vous que les Jésuites aient négligé quelque chose, quand ils sont venus à Paris, pour avoir une prompte permission de s’y établir ? Point du tout ; et néanmoins ils ont été quatre ans sans voir aucun fruit de leurs sollicitations et de leur adresse. Les Pères de l’Oratoire sont à Rome depuis longtemps ; ont-ils encore pu obtenir d’y avoir un petit établissement qui leur soit propre ? Non, ils sont bien dans Saint-Louis, mais sujets à la confrérie (1)

2) Évangile de saint Luc IV, 23.

Lettre 1200. — Reg. 2, p. 232.

1) Sur les vingt-quatre prêtres qui constituaient le corps des chapelains de Saint-Louis-des-Français six étaient pris, depuis 1618,

 

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Dieu retarde souvent la fin d’une sainte poursuite pour en faire mériter la grâce à ceux qui la font, par la longueur du travail, par leur patience et par leurs prières. C’est pourquoi je vous prie de ne vous point lasser dans les vôtres. Quoiqu’il tarde, il fera voir que cela lui plaît, si toutefois il est fait avec résignation pour l’événement.

 

1201. — AU PÈRE BLANCHART

De Saint-Lazare, ce 26 mars 1650.

Le R. P. général de la congrégation de Sainte-Geneviève est très humblement supplié par son serviteur Vincent de donner audience favorable à ce gentilhomme, qui va lui parler d’un affaire qui importe à son salut.

VINCENT DEPAUL,

prêtre indigne de la Mission.

 

1202. — A UN PRÊTRE DE LA MISSION DE LA MAISON DE SAINTES (1)

Du 27 mars 1650.

Je réponds à votre lettre du 16. J’ai trop de douleur d’avoir tardé ci-devant à vous écrire, pour tomber encore dans cette faute, de laquelle je vous demande derechef pardon, très humblement prosterné en esprit à vos pieds.

parmi les Pères de l’Oratoire de France. (Cf. Mémoire historique sur les Institutions de France à Rome par Mgr Pierre La Croix Paris, 1868, in-8, p. 47)

Lettre 1201. — Bibl. de Sainte-Geneviève, ms. 2555, copie.

Lettre 1202. — Reg. 2, p. 308.

1) Le destinataire de la lettre du 20 février.

 

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Je ne m’étonne point que vous ayez été tenté, car c’est le propre de ceux qui veulent servir à Dieu ; Notre-Seigneur lui-même l’a été ; et après lui je ne sais qui en peut être exempt ; si je savais quelqu’un qui ne le fût, je m’en étonnerais. Les grands biens de grâce, non plus que ceux de fortune, ne se conservent qu’avec peine. et le diable n’a garde de vous laisser en repos ; il ne manquera. pas de vous détourner, s’il peut, de vos saintes résolutions, pource qu’elles embrassent le salut d’une grande multitude d’âmes, que vous pourrez délivrer de sa tyrannie par la force de la sainte parole que vous leur débitez, et par la grâce de votre vocation. Le dessein de Dieu sur vous est grand, tendant à vous faire exercer l’office de Jésus-Christ sur la terre ; ce qui mérite que vous résistiez fortement à la tentation, et avec une particulière confiance au secours de sa divine bonté. Courage donc, Monsieur, soyez-lui fidèle, et elle vous sera propice. Je la supplie très humblement qu’elle vous fasse cette grâce et qu’elle vous fasse connaître l’estime et l’affection que j’ai pour votre personne, vous assurant qu’elles vont au delà de ce que vous pouvez penser.

Quant à la difficulté que vous faites de vous communiquer à M. Watebled, il est à propos que vous fassiez effort pour vous surmonter, en la vue de la communication que le Fils de Dieu a eue avec la sainte Vierge et saint Joseph, et depuis avec les apôtres, même avec les scribes, les pharisiens et les tribuns. Si Dieu a privé ce bon prêtre d’une grande grâce extérieure, il a enrichi son intérieur de beaucoup de vertu, ainsi que vous reconnaissez vous-même. S’il y a des personnes dans la ville qui s’étonnent de ce qu’on se soumet à lui, ce sont gens qui repaissent leurs yeux de la grandeur des corps ; mais vous, qui pénétrez plus avant, qui savez

 

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combien une âme pure, tout appliquée au service de Dieu et qui est le temple de son Saint-Esprit, est précieuse et digne de vénération, vous ne devez point vous arrêter à ce dehors matériel, ni même vous ne devez vous soumettre à un homme pour sa vertu, quelque sainteté qu’il puisse avoir, mais pour Dieu seul, que vous regardez en lui ; c’est ce que je vous prie de faire en la personne de M. Watebled et de celui qui lui pourra succéder.

Je crois bien, Monsieur, que la vie sédentaire vous est nuisible ; cela vient d’un sang chaud et d’un esprit vif, qui se modèrent avec l’âge et non par le changement de demeure ; car on porte partout son tempérament ; et cette chaleur et vivacité sont des sources d’ennuis et d’inquiétudes. Il y a des personnes qui se contentent de toutes choses, et il y en a d’autres qui ne se contentent quasi de rien ; celles-ci ont besoin de patience pour se supporter elles-mêmes.

J’estime que la présente vous trouvera presque hors du carême ; et ainsi il serait inutile de vous donner quelque remède à l’incommodité que vous en recevez ; et puis vous ne voulez pas être dispensé de son obligation.

Je prie Notre-Seigneur, Monsieur, que nous puissions mourir à nous-mêmes pour ressusciter avec lui, qu’il soit la joie de votre cœur, la fin et l’âme de vos actions et votre gloire au ciel. Cela sera si désormais nous nous humilions comme il s’est humilié, si nous renonçons à nos propres satisfactions pour le suivre, en portant nos petites croix, et si nous donnons volontiers notre vie, comme il a donné la sienne, pour notre prochain, qu’il aime tant et qu’il veut que nous aimions comme nous-mêmes.

Je suis plein de confiance en vos prières.

 

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1203. — BALTAZAR GRANGIER, ÉVÊQUE DE TRÉGUIER,

A SAINT VINCENT

Je vous remercie du ministère fidèle de Messieurs vos quatre prêtres en ma mission de ce lieu. Leur capacité, leur zèle et leur assiduité à prêcher et confesser ont été si grands qu’ils ont été suivis d’un fort bon succès ; je puis dire que tous les habitants de ce lieu, de tout âge, sexe et condition, se sont convertis, et j’ai grand sujet de louer Dieu de m’avoir donné, par votre moyen, de si bons ouvriers. M… a une vigueur en chaire, à laquelle rien ne résiste ; je le retiens déjà pour la mission de… pour l’année qui vient.

 

1204. — A UN ÉVÊQUE

[Entre 1646 et 1652] (1).

Monseigneur,

Un religieux de cette ville ayant fait une thèse où il a avancé une proposition qui tient du jansénisme et qui a été condamnée par la Sorbonne, M. le chancelier (2) a fait défendre l’assemblée et les disputes qui se devaient faire sur ce sujet. A quoi le supérieur ayant fait quelque difficulté, il l’envoya quérir et lui dit que, s’il y contrevenait, il savait bien le moyen de le ranger à son devoir, lui et tous les siens. Il lui ordonna d’aller trouver M. le nonce, lequel lui fit de grands reproches de n’avoir pas empêché que cette thèse parût, et le menaça, avec tous ceux des siens qui favoriseraient cette

Lettre 1203. — Abelly, op cit., 1. II, chap. 1, sect. II, § 6, 1er éd., p 45-

Lettre 1204. — Abelly, op. cit., t. II, chap. XII, p. 417

1). Saint Vincent parle ici du jansénisme sur un ton décidé et arrêté qui ne lui était pas habituel avant 1646 ; d’autre part, la lettre semble être du temps où il faisait partie du Conseil de Conscience.

2) Pierre Séguier.

 

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doctrine, de les faire châtier et d’en écrire au Pape et au général. Ce supérieur et toute sa communauté ont ensuite eux-mêmes puni ce religieux, l’ayant déclaré incapable de toutes charges et offices dans l’Ordre et privé de voix active et passive ; et puis ils l’ont chassé de leur maison. Cela fait espérer que, si l’on tient désormais la main de la sorte pour empêcher de telles entreprises, cette pernicieuse doctrine pourra enfin se dissiper.

 

1205. — A UN ÉVÊQUE

[Entre 1643 et 1652] (1).

Il y a un an, ou environ, que je me donnai l’honneur de vous écrire au sujet de l’élection de… pour abbé de…. afin qu’il vous plût prendre la peine de venir jusqu’à Paris, pour informer la reine des qualités du personnage et des besoins de l’abbaye ; mais, à cause de quelque incommodité qui vous en empêcha, vous eûtes la bonté de me marquer par une lettre les justes raisons qu’on avait d’empêcher que cette élection n’eût son effet. La chose a traîné depuis, sur l’opposition de deux religieux électeurs appelés à l’élection un jour plus tard qu’elle ne s’est faite, laquelle opposition vient d’être vidée au parlement, par surprise, au gré dudit élu, qui en est d’autant plus échauffé à la poursuite de sa confirmation, pressant grandement l’expédition de son brevet. Et parce qu’il est porté de beaucoup de personnes puissantes, il y a sujet de craindre qu’il ne l’emporte ; ce qui fait que votre présence est fort à désirer ici, pour en dire un mot à la reine et donner poids aux raisons

Lettre 1205. — Abelly, op. cit., t. II, chap. XIII, sect. VII, p. 457.

1). Temps pendant lequel saint Vincent fit partie du Conseil de conscience.

 

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qu’on a d’empêcher ce mal. Je sais que Sa Majesté, qui vous estime beaucoup, l’aura fort agréable, et M. le garde des sceaux a trouvé bon que je vous supplie, comme je fais humblement, d’y venir au plus tôt, pour l’amour de Dieu. Je prends cette confiance, sachant combien ses intérêts vous sont à cœur. Peut-être que de ce moment, ainsi que vous m’avez fait l’honneur de me mander, dépend la réforme de cette maison et de celles de sa filiation, et que Notre-Seigneur veut que le mérite d’un succès si désirable vous soit imputé, comme à l’un des prélats du royaume qui a le plus de zèle pour la gloire de son Église

 

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A P P E N D I C E S

 

1. — REQUÊTE DE SAINT VINCENT AU PARLEMENT

[Avril 1647] (1)

A Nosseigneurs de Parlement.

Supplie humblement Vincent de Paul, prêtre, supérieur de la Mission établie à Saint-Lazare, disant que jusques à présent il a fait ce qui lui a été possible pour exécuter l’arrêt contradictoire du 2 juin 1646 au rapport de M. Gontier, conseiller en la cour, et, tout au contraire, Noël Bonhomme, pour l’empêcher ; de sorte que le suppliant, quoiqu’il soit entré en payement sur la somme de onze mille livres mentionnées audit arrêt, à la libération dudit Bonhomme, vers une partie de ses créanciers, et qu’il se fût obligé de fournir des mainlevées des autres qui avaient saisi le surplus de ladite somme de onze mille livres, néanmoins il a si bien fait qu’il est toujours demeuré en possession de la maison, jardin et lieux dont est question adjuger au suppliant. Et pour plus grande illusion, lui-même aurait fait saisir ès mains du suppliant ce que le nommé Nicolas Janot prétendait lui appartenir sur les deniers dus par le suppliant, si bien que cette saisie et les contentions qui étaient entre lui et le dit Janot, ont donné lieu à plusieurs vexations souffertes par le suppliant, qui, sans avoir intérêt à icelles, se serait trouvé engagé à se défendre tantôt en un lieu, tantôt en un autre, où il aurait perpétuellement dit : premièrement, à Bonhomme, qu’il était prêt de payer le surplus, en fournissant les mainlevées des saisies faites sur lui et comme

Appendice 1. — Arch. nat. S. 6114, copie.

1) Date donnée dans le corps de la requête.

 

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il s’y était obligé ; et audit Janot il lui aurait pareillement déclaré qu’en faisant vider les contestations qu’il avait avec ledit Bonhomme, il était prêt pareillement de vider ses mains de ce qui lui serait adjugé, jusques à concurrence de ce qui restait en ses mains.

Ainsi le suppliant, clans cette bonne foi, n’avait point besoin d’être compris en leurs procédures. Néanmoins Janot l’aurait poursuivi, sur un sommaire, par devant M. Ferrand, conseiller, où le suppliant aurait réitéré ses offres ; et afin qu’il y fût prononcé avec Bonhomme même sur la possession que le suppliant requérait des biens à lui adjugés pour ladite somme de onze mille livres par ledit arrêt du 2e juin mil six cent quarante-six, le suppliant l’aurait sommé et conclu contre lui en telle sorte que, par arrêt donné au rapport dudit sieur Ferrand, conseiller, le 8e janvier 1647, il aurait entre autres choses été ordonné qu’en payant par le suppliant ce qui était dû par Bonhomme à Hélène Bonhomme, sa fille, et pour raison de quoi elle avait saisi ès mains du suppliant, il en demeurerait bien et valablement déchargé, et qu’en consignant par ledit suppliant, ès mains d’un bourgeois dont serait convenu ou nommé d’office, ce qui restait de la somme de 1.100 livres en question, ou retenant par le suppliant, pendant six mois, lesdits deniers restants et payant l’intérêt, le suppliant, audit nom, pourrait entrer en la possession et jouissance de la maison, jardin et lieux dont est question, ledit Bonhomme condamné de délivrer les clefs et lesdits lieux au même état qu’ils étaient lors de la visitation faite en exécution du dit arrêt du 11e juin, sauf à contester, en tout ou partie, la prisée des choses y contenues, par devant Monsieur Gontier, conseiller, rapporteur dudit arrêt.

En exécution duquel arrêt le suppliant a payé ce qui était dû à Hélène Bonhomme, et en conséquence a fait option de retenir le surplus des deniers pour le temps et aux conditions dudit arrêt du 8e janvier. Mais ledit Bonhomme, qui ne se rend pas facilement, voyant qu’il était obligé de souffrir que ledit suppliant, audit nom, entrât en jouissance des lieux en question, au lieu de lui en délivrer les clefs, aux termes dudit arrêt, il en aurait fait refus, pour raison de quoi, le suppliant ayant baillé sa requête le 19e mars 1647, la cour aurait ordonné que les parties

 

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seraient ouïes sommairement devant Monsieur Ferrand, conseiller, où ledit Bonhomme se voyant poursuivi, il aurait repris et poursuivi l’opposition qu’il avait, dès le 21e janvier précédent, formée à l’exécution dudit arrêt du 8e du même mois, et sur son opposition, poursuivi de répondre et procéder par devant Monsieur Gontier, qui n’est pas ce dont le suppliant se plaint ; car il ne lui importe pas devant qui, mais bien de ce qu’il souffre vexation sans sujet, ne pouvant comme faire pour payer sûrement ce qu’il a en ses mains et entrer en jouissance de ce qui lui est adjugé, tellement que ce qui est arrivé depuis cette opposition et la demande des clefs pour l’entrée des lieux dont il s’agit, doit, ce semble, changer la contestation et mettre fin aux différends d’entre les parties ; car au moyen du payement fait par le suppliant à Hélène Bonhomme, comme il a été dit, l’on a signifié au suppliant, le 3e du présent mois d’avril, trois actes, en date des 21 janvier, 11 et 26 mars derniers, qui portent mainlevées des saisies et opérations faites et formées ès mains du suppliant par Nicolas Cavelier et Anne Forêt, Nicolas Janot et Marguerite Caulier, Jean de Bournay, sa veuve et héritiers, et ladite Hélène Bonhomme, si bien que le suppliant n’a plus à désirer que parachever l’exécution dudit arrêt du 2e juin 1646 et requérir dudit Bonhomme la mainlevée de quelques autres saisies et arrêts qui sont encore faits en ses mains, entre autres d’un nommé Nicolas Simon, batteur de plâtre, pour une somme de 60 livres, par exploit du 27e juin 1646, d’un nommé Nicolas Simon (2), par autre exploit du 27e novembre 1646, dont les clauses ne sont point exprimées, comme aussi à liquider les améliorations adjugées audit Bonhomme et les dégradations à compenser sur icelles, pareillement les arrérages de trois années et demie, échus au premier de ce présent mois d’avril 1647, des cens et rentes dus par ledit Bonhomme, à cause des lieux dont il s’agit, à raison de soixante-cinq livres de rente et deux sols neuf deniers de cens montant à la somme de 227 livres 19 sols 8 deniers, plus des arrérages depuis échus et qui écherront jusques au jour de la possession actuelle qui sera faite par le suppliant, plus d’une somme de six-vingts livres et

2) Il est vraisemblable que ce nom a été mis pour un autre par distraction.

 

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consignées par le suppliant et qui ont été employées, au jugement de l’instance, sur laquelle est intervenu l’arrêt du 2e juin, au rapport de Monsieur Gontier, conseiller, comme aussi de l’intérêt, à raison de l’ordonnance, des deniers payés par le suppliant aux nommés Paillet, Soulet et Hélène Bonhomme, à commencer du jour qu’ils ont été fournis, attendu que ledit Noël Bonhomme a joui des lieux en question et que le suppliant, en payant comme il a fait, est demeuré subrogé au lieu et droits desdits Paillet, Soulet et Bonhomme, auxquels l’intérêt leur était dû ; et en dernier lieu remboursant, déduisant et compensant les frais que ledit suppliant a été contraint de faire supporter pour l’exécution des arrêts et jusques au jour des mainlevées fournies et à fournir par ledit Noël Bonhomme et de son fait, n’ayant, comme suppliant, jamais été en demeure de payer les onze mille livres en question.

Ce considéré, nosdits seigneurs, et que par ce qui est ci-dessus représenté, il est aisé de voir qu’il n’y a plus de questions à juger entre les parties, qui ne puissent être facilement vidées et terminées, ledit suppliant étant tout prêt de bailler et payer ce qui reste en ses mains au nommé Janot, ès noms qu’il procède, à la décharge dudit Bonhomme et de son consentement, comme aussi de venir à compte et compensation avec ledit Bonhomme des choses dont il doit tenir compte, tant sur le restant desdites 1.100 livres que sur ce qui lui sera adjugé pour ses améliorations, les dégradations déduites, et, à cette fin, que les parties seront tenues se retirer en l’étude de Paisant, notaire, qui a reçu les premières quittances à jour certain, auquel ledit Bonhomme sera tenu faire trouver ledit Janot pour recevoir ce qui lui est dû, et bailler quittance, et audit jour fournir toutes les autres mainlevées des saisies qui peuvent avoir été faites ès mains du suppliant pour le fait dudit Bonhomme, autres que celles dont il a fait bailler copie le 3e du présent mois d’avril, même de celles ci-dessus remarquées, et qu’à faute de se trouver à l’assignation qui sera donnée, ou de refus et contestation par ledit Bonhomme de sa part, sans qu’il soit besoin d’autre diligence à faire de la part du suppliant, retenant les deniers restants et en faisant intérêt, ainsi qu’il est dit par l’arrêt du huitième janvier dernier, il sera permis au suppliant entrer en possession et

 

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jouissance des lieux en question, ledit Bonhomme contraint par corps, après une simple sommation, d’en rendre les clefs, sinon user par voie de serrure en la forme ordinaire, ledit Bonhomme condamné en tous les dommages et intérêts du suppliant soufferts et à souffrir, le tout nonobstant l’opposition dudit Bonhomme, dont il sera débouté, condamné aux dépens.

Il vous plaise de vos grâces donner acte au suppliant de ce que pour toutes écritures et production sur ladite opposition, même sur l’exécution d’arrêt du 2e juin 1646, il emploie celles qu’il avait faites, tant par devant ledit sieur Ferrand, sur la requête du 17e mars, régler et mettre le 26e dudit mois, que celle sur la requête dudit Bonhomme, du 6e septembre 1646, réglée par-devant M. Gontier, avec le contenu en la présente requête, pour sur le tout être fait droit par un seul et même arrêt, ainsi que la cour verra être à faire par raison, et vous ferez bien (3).

 

2. — REQUÊTE DE SAINT VINCENT AU PARLEMENT

[Juillet 1647] (1)

A Nosseigneurs du Parlement.

Supplie humblement Vincent de Paul, prêtre, supérieur général de la congrégation des prêtres de la Mission, établie à Saint-Lazare-lez-Paris, disant qu’ayant eu communication des contredits qui ont été fournis par Noël Bonhomme, signifiés au procureur du suppliant, le onzième du présent mois de juillet, il a trouvé que les raisons et moyens qui y sont contenus ne sont que redites ennuyeuses, contraires à ce qui est de la vérité ; car c’est une pure supposition, sauf la révérence de la cour, de la part dudit Bonhomme, de dire et soutenir que les saisies qui ont été faites entre les mains du suppliant, ont été par lui mandées à l’effet de ne point payer la somme adjugée audit Bonhomme. Le contraire paraît

3) Nous lisons à la suite de la requête : "Ait acte et soit signifié. Le 9e avril 1647."

Appendice 2. — Arch. nat. S. 6114, copie.

1). Voir note 2.

 

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tant par la vérité desdites saisies qui sont rapportées par ledit suppliant et par lui produites, que parce que ceux qui ont fait saisie sont véritables créanciers dudit Bonhomme. Et de fait les arrêts ont ordonné que ledit suppliant les payera, comme il a fait ; et il y a encore à présent des saisies qui subsistent et dont ledit Bonhomme avoue lui-même qu’il poursuit les mainlevées. Après quoi il est étrange qu’il allègue hardiment que ce sont des chicaneries dont on use à son endroit.

Mais il est encore plus déraisonnable de dire qu’il lui faut pour ce regard des dommages, intérêts et dépens ; car, au contraire, ils sont dus audit suppliant, pour double raison : l’une, qu’il est contraint d’essuyer une infinité de procédures de la part desdits créanciers, ce qui provient du fait dudit Bonhomme, lequel est accablé de dettes ; et par conséquent il doit porter tous les frais qui se font, et en indemniser ledit suppliant ; l’autre est que, par le moyen de toutes ces traverses et vexations, ledit suppliant se trouve réduit à une étrange extrémité ; car encore qu’il ait payé le prix dudit remboursement, néanmoins il ne jouit pas de la chose, et ledit Bonhomme, par une injustice sans exemple, se maintient toujours en la possession et jouissance de la maison et lieux dont il est évincé par arrêt ; ce qui ne peut avoir lieu, car le prétexte qu’il prend d’ailleurs de prétendues méliorations (qui consistent plus dans son imagination que dans aucune solidité) n’est pas suffisant pour appuyer cette injuste détention et possession, puisque ledit suppliant a payé ledit prix principal et qu’il n’en reste que fort peu de chose ; ce qui le rend maître et propriétaire de ladite maison. Et pour le surplus de la prétention dudit Bonhomme touchant lesdites méliorations, il ne doit venir qu’en exécution d’arrêt ; ce qui se peut aussi bien faire quand ledit suppliant sera en jouissance que n’y étant pas ; car autrement il arrivera que les arrêts qui ont été rendus concernant ladite éviction seront inutiles et illusoires, puisqu’ils n’ont pas d’effet et que survient toujours quelque incident de la part des créanciers dudit Bonhomme, lequel d’ailleurs fera tout ce qui lui sera possible pour ne se point désister et départir de ladite maison ; en quoi ledit suppliant se trouvera beaucoup lésé ; car encore que la cour lui adjuge (comme il espère et attend de sa justice) des dommages

 

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et intérêts, néanmoins le plus expédient serait qu’il entrât en possession du bien qui lui est si justement acquis et a titre si fort onéreux que, s’il eût pu prévoir tous ces divers incidents de chicaneries qui lui ont été faits, il n’aurait point entrepris le retrait desdits lieux, parce qu’en effet il estimait qu’il n’y avait autre chose à faire qu’à compter ses deniers ; de quoi il a toujours été prêt.

Ce considéré, Nosseigneurs, il vous plaise donner acte au suppliant de ce que, pour salvations contre les susdits contredits, il emploie la présente requête et ce qu’il a écrit et produit. Et vous ferez bien. (2)

2 Suivent les mots : "Ait acte et soit mis au sac. Fait ce juillet 1647. Nota que les salvations ne se signifient point."

Lecture critique de la lettre 1064 à Jean DEHORGNY

par Bernard KOCH, février 1999

S. V. III - 362 -

1064. — A JEAN DEHORGNY

D’Orsigny, ce 10e septembre 1648.

Cf. supra S. V. III, 319-322

Monsieur,

La grâce de N.-S. soit avec vous pour jamais !

J’ai reçu la vôtre du 17e 7e août 1, qui est pour achever de répondre aux miennes touchant les diversités d’opinions, celle-ci étant à l’égard du livre de La communion 2, pour réponse à laquelle je vous dirai, Monsieur, qu’il peut être, ce que vous dites, que quelques personnes ont pu profiter de ce livre en France et en Italie ; mais que d’une centaine qu’il y en a peut-être qui en ont profité à Paris, en les rendant plus respectueux en l’usage de ce sacrement, qu’il y en a pour le moins dix mille auxquels il a nui en les en retirant tout à fait ; que je loue Dieu de ce que vous en usez comme je fais, qui est de ne point parler de ces choses en la famille et de ce qu’elle va son train à Rome comme ici.

Il est vrai, ce que vous dites, que saint Charles Borromée a suscité l’esprit de pénitence dans son diocèse, de

Lettre 1064. — "Original Edward Lawrence Nehemy Memorial Library, Comarville, Californie, USA" <R. Chal.> "Puis en 1998 à De Paul University, Chicago, USA; photocopie aux Arch. C. M. Paris." - <Corrections d’après l’original par P. C., R. Ch. et B. K. Restitutions des abréviations : en italique; mots présents dans l’original et pas dans Coste : en exposant rouge; mots absents ou dfférents dans l’original : barrés.

Texte de l’édition Coste : "Arch. dép. de Vaucluse, D 296, copie du XVIIe ou du XVIIIe siècle. On trouvera en note les variantes du texte publié en mars 1726 par les Mémoires de Trévoux (p. 448). Ni le manuscrit des archives départementales, ni les Mémoires de Trévoux ne donnent le post-scriptum, que nous avons emprunté au supplément des Lettres et conférences de St Vincent de Paul (p. 70). L’éditeur de ce supplément a eu en main l’original de la lettre, que lui avait communiqué Mademoiselle d’Haussonville et que l’on n’a pu retrouver"

La première page de l’original a disparu : perdue ? ou supprimée par un confrère qui ne la trouvait pas opportune ? À partir du folio 2, les n° de folios sont indiqués.

1. Mémoires : du 7 août. Et avec raison : "le courrier de Rome mettait au moins un mois." <R. Chal.>

2. L’ouvrage avait pour titre : De la fréquente communion, où les sentimens des Pères des Papes et des Conciles touchant l’usage des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie sont fidèlement exposez, pour servir d’adresse aux personnes qui pensent sérieusement à se convertir à Dieu et aux pasteurs et confesseurs zélés pour le bien des âmes, par M. Antoine Arnauld, docteur en théologie, de la maison de Sorbonne. — Sancta Sanctis. — A Paris, chez Antoine Vitré, 1643

 

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son temps, et l’observance des canons d’icelle, et que c’est ce qui mutina le monde contre lui et même des bons religieux, à cause de la nouveauté ; mais il n’a pas constitué la pénitence ou, quoi que ce soit, la satisfaction, à se retirer de la sainte confession et de l’adorable communion, si ce n’est aux cas portés par les canons, que nous tâchons d’observer 3 en cas des occasions prochaines, des inimitiés, des péchés publics ; mais il est 4 bien éloigné de ce qu’on dit, qu’il ordonnait des pénitences publiques pour des péchés secrets et à faire la satisfaction avant l’absolution, comme le livre dont est question 5 prétend faire.

Venons au particulier. Il est vrai, Monsieur, quoi que vous me disiez du livre de La fréquente communion, qu’il a été fait principalement pour renouveler la pénitence ancienne comme nécessaire pour rentrer en grâces 6 avec Dieu ; car, quoique l’auteur fasse quelquefois semblant de proposer cette pratique ancienne seulement comme plus utile, il est certain néanmoins qu’il la veut pour nécessaire, puisque par tout son 7 livre il la représente comme une des grandes vérités de notre religion, comme la pratique des apôtres et de toute l’Église durant douze siècles, comme une tradition immuable, comme une institution de Jésus-Christ, et qu’il ne cesse de faire entendre qu’il est obligé de la garder et d’invectiver continuellement contre ceux qui s’opposent au rétablissement de cette pénitence. D’ailleurs, il enseigne manifestement qu’anciennement il n’y avait point d’autre pénitence pour toute sorte de péchés mortels que la

3. Mémoires. : de pratiquer.

4. Mémoires : était.

5. Mémoires : dont il est question.

6. Mémoires : pour entrer en grâce

7. Mémoires : le.

 

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publique, comme on voit par le 3e chapitre de la seconde partie, où il prend pour une vérité l’opinion qui porte qu’on ne trouve dans les anciens Pères, et principalement dans Tertullien, que la pénitence publique en laquelle l’Église exerçât la puissance de ses clefs ; d’où il s’ensuit par une conséquence très claire, que M. Arnauld a dessein d’établir la pénitence publique pour toutes sortes de péchés mortels et que ce n’est pas une calomnie de l’accuser de cela, mais une vérité que l’on tire aisément de son livre, pourvu qu’on le lise sans préoccupation d’esprit.

Et vous, Monsieur, me dites que cela est faux. Vous êtes à excuser, parce que vous ne saviez 8 pas le fond des maximes de l’auteur et de toutes ces doctrines, qui était de réduire l’Église en ses premiers usages, disant que l’Église a cessé d’être depuis ces temps-là. Deux des coryphées 9 de ces opinions ont dit à la Mère de Sainte-Marie de Paris 10, laquelle on leur avait fait espérer qu’ils pourraient attirer à leurs opinions, qu’il y a cinq cents ans qu’il n’y a point d’Église ; elle me l’a dit et écrit.

2 r°

<une autre main a écrit ici : >

Sur les erreurs de Mr Arnauld

Vous me dites, en second lieu, qu’il est faux que M. Arnauld ait voulu introduire l’usage de faire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs. Je vous <inexistant> réponds que M. Arnauld ne veut pas seulement introduire la pénitence avant l’absolution pour les gros pécheurs, mais il en fait une loi générale pour tous ceux qui sont coupables d’un péché mortel, ce qui se voit par ces paroles tirées de la 2e partie, chapitre 8 : "Qui ne voit combien ce Pape juge nécessaire que le pécheur fasse pénitence de ses péchés, non seulement avant que de communier, mais

8. Mémoires : savez.

9. M. de Saint-Cyran ne serait-il pas un de ces coryphées ?

10. Hélène-Angélique Lhuillier.

 

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même avant que de recevoir l’absolution ?" Et un peu plus bas, il ajoute : "Ces paroles ne nous montrent-elles pas clairement que, selon les règles saintes que ce grand Pape a données à toute l’Église, après les avoir apprises dans la perpétuelle tradition de la même Église, l’ordre que les prêtres doivent garder dans l’exécution de la puissance que le Sauveur 11 leur a donnée de lier et de délier les âmes, c’est de n’absoudre les pécheurs qu’après les avoir laissés dans les gémissements et dans les larmes, et leur avoir fait accomplir une pénitence proportionnée à la qualité de leurs péchés." Il faut être aveugle pour ne pas connaître, par ces paroles et par beaucoup d’autres qui suivent, que M. Arnauld croit qu’il est nécessaire de différer l’absolution pour tous les péchés mortels jusqu’à l’accomplissement de la pénitence ; et en effet, n’ai-je pas vu faire pratiquer cela par M. de Saint-Cyran, et le fait-on pas encore à l’égard de ceux qui se livrent entièrement à leur conduite ? Cependant cette opinion est une hérésie manifeste.

Pour ce qui est de l’absolution déclaratoire, vous me dites qu’il n’a point besoin que de <absent> son premier livre pour faire voir le contraire, et m’alléguez trois ou quatre autorités pour cela. Je réponds que ce n’est pas de merveille que M. Arnauld parle quelques fois comme les autres catholiques ; il ne fait en cela qu’imiter Calvin, qui nie trente fois qu’il fasse Dieu auteur du péché, quoiqu’il fasse ailleurs tous ses efforts pour établir cette maxime détestable, que tous les catholiques lui attribuent.

Tous les novateurs 12 en font de même ; ils sèment des contradictions dans leurs livres, afin que, si on les reprend

11. Mémoires : le Seigneur.

12. Les Mémoires de Trévoux ajoutent ici le mot en. "avec raison" <B. K.>

 

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sur quelque point, ils puissent s’échapper, en disant qu’ils ont ailleurs le contraire. J’ai ouï dire

2 v°

à feu M. de Saint-Cyran que, s’il avait dit des vérités dans une chambre à des personnes qui en seraient capables, que, passant en une autre où il en trouverait d’autres qui ne le seraient pas, qu’il leur dirait le contraire ; que Notre-Seigneur en usait de la sorte et recommandait qu’on fît de même 13.

Comment est-ce que M. Arnauld peut soutenir sérieusement que l’absolution efface véritablement les péchés, puisqu’il enseigne, comme je viens de montrer, que le prêtre ne doit point donner l’absolution au pécheur qu’après l’accomplissement de la sa pénitence, et que la raison principale pour laquelle il veut qu’on observe cet ordre est afin de donner temps au pécheur d’expier ses crimes par une satisfaction salutaire, comme il le prouve amplement dans le chapitre 2e II (ij) <P. C.> de la seconde partie ? Un homme judicieux qui veut qu’on expie des péchés par une satisfaction salutaire, avant que de recevoir l’absolution, peut-il croire sérieusement que les péchés soient expiés par l’absolution ?

Vous me dites que pour ce que M. Arnauld dit que l’Église retient dans le cœur le désir que les pécheurs fassent pénitence selon les règles anciennes, et que M. Arnauld dit que la

13. Raoul Allier (La cabale des dévots, Paris, 1902, in-16, p. 165) a peine à croire que Saint-Cyran ait pu tenir pareil propos. Il préfère admettre que saint Vincent l’a mal compris. "Saint-Cyran sentait si bien, écrit-il, que sa pensée allait contre les doctrines courantes, que pour éviter les condamnations sommaires et les scandales inutiles, il ne s’en ouvrait qu’à des amis sûrs et en état de le comprendre." Voilà à quoi se réduirait ce que Saint-Cyran aurait dit à saint Vincent. Saint Vincent était là, présent devant l’abbé quand celui-ci parlait ; tel que nous le connaissons, nous savons qu’il était plutôt porté à excuser qu’à accuser, à atténuer la gravité d’actes ou de paroles répréhensibles qu’à l’exagérer. Son autorité est, semble-t-il, d’un autre poids que celle de Raoul Allier.

B. K. : Voir d’ailleurs M. Vincent lui-même, 9 ans plus tôt, le 1r avril 1639, XIII 87.

Quant au fait, M. Vincent lui aussi ne voulait pas qu’on divulgue ses points de vue en matières controversées : à propos d’usures, à Louis Rivet, 4 août 1658, S. V. VII 226. (vu le Sam. 7 janv. 1989)

 

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pratique ancienne et nouvelle de l’Église sont toutes deux bonnes, mais que l’ancienne est meilleure 14, et qu’elle, étant une bonne mère, qui ne respire que le plus grand bien de ses enfants, leur désire toujours le meilleur, au moins dans son le cœur.

Je réponds qu’il ne faut point confondre la discipline ecclésiastique avecque les désordres qui se peuvent rencontrer. Tout le monde blâme ces désordres ; les casuistes ne cessent de s’en plaindre et de les remarquer, afin qu’on les connaisse ; mais c’est un abus de dire que ne point pratiquer la pénitence de M. Arnauld, ce soit un relâchement que l’Église tolère avecque regret. Nous n’avons pas grande assurance de la pratique d’Orient dont vous parlez ; mais nous savons que, par toute l’Europe, on pratique les sacrements de en la manière que M. Arnauld condamne, et que le Pape et tous les évêques approuvent la coutume de donner l’absolution après la confession et de ne point faire pénitence publique que pour des péchés publics. N’est-ce pas un aveuglement insupportable de préférer, en une chose de telle conséquence, les pensées d’un jeune homme, qui n’avait aucune expérience dans la conduite des âmes lorsqu’il a écrit, à la pratique universelle de toute la chrétienté ?

Si la pratique de la pénitence

3 r°

des pénitences publiques <deux fois, et rien de barré barré> a duré en Allemagne jusques au temps de Luther, comme vous dites, ce n’a été que pour les péchés publics ; et personne ne trouve mauvais que cette pénitence soit rétablie partout, puisque le concile de Trente l’ordonne expressément 15. Et quel rapport a l’ordonnance de saint Ignace, que vous m’alléguez m’alléguerez aussi, avec la conduite de ceux qui éloignent tout le monde de la communion,

14. Mémoires : est la meilleure

15. Ses. XXIV, chap. VIII.

 

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non pour huit ou dix jours, mais pour cinq ou six mois, non seulement les des grands pécheurs, mais de bonnes religieuses qui vivent en une grande pureté, comme nous avons appris 16 de l’épître de M. de Langres à M. de Saint-Malo 17. Ce n’est pas s’arrêter à des pointilles que de remarquer des désordres si notables et qui ne tendent qu’à la ruine entière de la sainte communion ; et tant s’en faut que des gens de bien doivent mettre en pratique ces 18 maximes si pernicieuses, qu’ils ont juste sujet de les mépriser et de concevoir mauvaise opinion de ceux qui les autorisent.

Saint Charles n’avait garde de les approuver, puisqu’il ne recommande rien tant, dans ses conciles et dans ses actes, que la fréquente communion, et qu’il ordonne plusieurs fois de grièves peines contre tous les prédicateurs qui détournent les fidèles directement ou indirectement de la fréquente communion. Et jamais l’on ne trouvera qu’il ait établi la pénitence publique ou l’éloignement de la communion pour toutes sortes toute sorte de péchés mortels, ni qu’il ait voulu qu’on mît trois ou quatre mois entre la confession et l’absolution, comme il se pratique très souvent et pour des péchés ordinaires par ces nouveaux réformateurs ; de sorte qu’encore qu’il y puisse avoir de l’excès à donner facilement l’absolution à toutes sortes de pécheurs, qui est ce que saint Charles déplore, il ne faut pas conclure de là que ce grand saint approuvât les extrémités <répété dans l’original, non barré> dans lesquelles M. Arnauld s’ est jeté,

16. Mémoires : comme nous l’avons appris.

17. Le mémoire envoyé par Sébastien Zamet, évêque de Langres, à Achille de Harlay de Sancy, évêque de Saint-Malo, était, croit l’abbé Prunel (Sébastien Zamet, p. 264, note 2), la réponse à un questionnaire préparé par M. de Harlay, sur l’ordre de Richelieu, au sujet de Saint-Cyran. On le trouve en entier dans cet ouvrage pp. 265-268.

18. Mémoires : des. <à tort>

 

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puisqu’elles sont entièrement opposées à quantité d’ordonnances qu’il a faites.

Quant à ce qu’on l’attribue au livre de La fréquente communion, de retirer le monde

3 v°

de la fréquente hantise des saints sacrements, je vous réponds qu’il est véritable que ce livre détourne tout le monde puissamment de la hantise 18 bis fréquente de la sainte communion <inexistant> confession et de la sainte confession <inexistant> communion, quoiqu’il fasse semblant, pour mieux couvrir son jeu, d’être fort éloigné de ce dessein. En effet, ne loue-t-il pas hautement dans sa préface, page 36, la piété de ceux qui voudraient différer la leur communion jusques à la fin de leur vie, comme s’estimant indignes de s’approcher 19 du corps de Jésus-Christ, et n’assure-t-il pas qu’on satisfait plus à Dieu par cette humilité que par toutes 20 sortes de bonnes œuvres ? Ne dit-il pas, au contraire, dans le chapitre 2e II (ij) de la 3° partie, que c’est parler indignement du Roi du ciel que de dire qu’il soit honoré par nos communions et que Jésus-Christ ne peut recevoir que de la honte et de l’outrage par nos fréquentes communions qui se font selon les maximes du Père Molina, chartreux 21, qu’il combat par tout son livre, sous l’apparence d’un écrit fait à plaisir ? De plus, ayant prouvé par saint Denis, dans le chapitre 4 de la première partie, que ceux qui communient doivent être entièrement purifiés des images qui leur restent de leur vie passée par un amour divin pur et sans aucun mélange, qu’ils doivent être parfaitement unis 22 à Dieu seul, entièrement parfaits et entièrement irréprochables, tant s’en faut qu’il ait aucunement adouci les ces paroles si hautes

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18 bis. "Hantise" ne signifiait pas "obsession", mais "fréquentation"; cf. "dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es". M. Vincent a bien écrit deux fois "fréquente hantise" et "hantise fréquente".

19. Mémoires d’approcher.

20. Mémoires : que par toutes.

21. Antoine Molina, auteur d’un traité de l’Instruction des prêtres, qui fut traduit en plusieurs langues, mort en 1612.

22. Mémoires : unis parfaitement.

 

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et si éloignées de notre faiblesse, que, les ayant données toutes crues, il a toujours soutenu dans son livre de La fréquente communion qu'elles contiennent contenaient les dispositions qui sont nécessaires pour communier dignement. Cela étant, comment se peut-il faire qu'un homme qui considère ces maximes et ce procédé de M. Arnauld, puisse s'imaginer qu'il souhaite avecque vérité que tous les fidèles communient fort souvent ? Il est certain, au contraire, qu'on ne saurait tenir ces maximes pour véritables, qu'en même temps l'on ne se trouve très éloigné de fréquenter les sacrements. Et pour moi, j'avoue 23 franchement que, si je faisais autant d'état du livre de M. Arnauld que vous en faites, non seulement

4 r°

je renoncerais pour toujours à la sainte <absent> Messe 24 et à la Sainte communion, par esprit d'humilité, mais même j'aurais de l'horreur du sacrement, étant véritable qu'il le représente, à l'égard de ceux qui communient avec les dispositions ordinaires que l'Eglise approuve, comme un piège de Satan et comme un venin qui empoisonne les âmes, et qu'il qui ne traite de rien moins tous ceux qui en approchent en cet état de rien moins que de chiens, de des pourceaux et d' des antechrists 25.

Et quand on fermerait les yeux à toute autre considération pour remarquer seulement ce qu'il dit en plusieurs endroits des dispositions admirables sans lesquelles il ne veut pas point qu'on communie, se trouvera-t-il trouverait-il homme sur la terre qui eût si bonne opinion de sa vertu qu'il se croie 26 en état de pouvoir communier dignement ? Cela n'appartient qu'à M. Arnauld, qui, après

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23. Mémoires : je vous avoue.

24.Mémoires : à la messe.

25.Mémoires: et qu'il ne traite rien moins tous ceux qui en approchent en cet état que de chiens, de pourceaux et d'antéchrists

26.Mémoires : crût.

 

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avoir mis ces dispositions à un si haut point qu'un saint Paul eût appréhendé de communier, ne laisse pas de se vanter par plusieurs fois dans son apologie qu'il dit la messe tous les jours ; en quoi son humilité est autant admirable qu'on doit estimer sa charité et la bonne opinion qu'il a de tant de sages directeurs, tant séculiers que réguliers, et de tant de vertueux pénitents, qui pratiquent la dévotion, dont les uns et les autres servent de sujet à ses invectives ordinaires.

Au reste, j'estime que c'est une hérésie de dire que ce soit un grand acte de vertu de vouloir différer la communion jusques à la mort, puisque l'Eglise nous commande de communier tous les ans. C'est aussi une hérésie de préférer cette humilité prétendue à toutes sortes de bonnes œuvres, étant visible que pour le moins le martyre est beaucoup plus excellent; comme aussi de dire absolument que Dieu n'est point honoré par nos communions et qu'il n'en reçoit que de la honte et de l'outrage.

Comme cet auteur éloigne tout le monde de la communion, il ne tiendra pas à lui que toutes les églises

4 v°

ne demeurent sans messes, pource qu'ayant vu ce que dit le vénérable Bède Beda, que ceux qui laissent de célébrer ce saint sacrifice sans quelque légitime empêchement, privent la Sainte Trinité de louange et de gloire, les anges de réjouissance, les pécheurs de pardon, les justes de secours et de grâces grâce, les âmes qui sont en purgatoire de rafraîchissement, l'Eglise des faveurs spirituelles de Jésus-Christ, et eux-mêmes de médecine et de remède, il ne fait point de scrupules scrupule d'appliquer tous ces effets admirables aux mérites d'un prêtre qui se retire de l'autel par esprit de pénitence, comme on le <absent> voit dans le chapitre 40 de la première partie ; il parle même plus avantageusement de cette pénitence, plus avantageuse censément, que du sacrifice de la messe. Or, qui ne voit que ce discours est très puissant

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pour persuader à tous les prêtres de négliger de dire la messe, puisqu'on gagne autant sans la dire qu'en la disant, et qu'on peut dire même, selon les maximes de M. Arnauld, qu'on gagne davantage ? Car, comme il relève l'éloignement de la communion beaucoup au-dessus de par dessus la communion, il faut aussi qu'il estime beaucoup plus excellent l'éloignement de la messe que la messe même.

Et la morale de tout ceci est que ce nouveau réformateur n'éloigne les prêtres et les laïques de l'autel sinon sous ce beau prétexte de faire pénitence ; mais pour savoir en quoi il met cette grande pénitence, qu'il estime si avantageuse aux âmes, il paraît en paroles expresses dans la préface, page 18, que, de toutes les rigueurs de l'ancienne discipline pénitence, il n'en garde quasi autre chose que la séparation du corps du Fils de Dieu, qui est la partie la plus importante, selon les Pères, parce qu'elle représente la privation de la béatitude,

5 r°

et la plus aisée, selon les hommes, parce que tout le monde en est susceptible.

M. Arnauld pourrait-il montrer plus manifestement ouvertement que son livre n'a été fait qu'à dessein de ruiner la messe et la communion, puisqu'il emploie toute l'antiquité pour nous prêcher la pénitence (dont jamais je n'ai vu faire un seul acte à l'auteur de cette doctrine, ni à ceux qui l'assistaient à l'introduire), et qu'après toutes ces fanfares il se contente qu'on ne communie point ? Certes, ceux qui lisent son livre et qui n'y remarquent pas ce dessein sont du nombre de ceux dont parle le prophète : Oculos habent et non videbunt ; et je ne comprends pas comment vous, Monsieur, pouvez accuser les adversaires de M. Ar[nauld] de ruiner la pénitence, puisqu'on se plaint, au contraire, avec raison, de ce que cet auteur a fait des efforts extraordinaires pour prouver qu'il était nécessaire de faire de longues et rigoureuses

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pénitences avant que de communier et de recevoir l'absolution, et qu'en même temps il a déclaré en paroles expresses (afin que personne n'en prétende cause d'ignorance), qu'il ne réserve autre chose de l'ancienne pénitence que l'éloignement de l'autel.

Voilà, Monsieur, la réponse que je fais à votre lettre, avec tant d'empressement que je n'ai pas le loisir de la relire.

Je m'en vas en ce moment célébrer la sainte messe, afin qu'il plaise à Dieu de vous faire connaître les vérités que je vous dis, et pour lesquelles je suis prêt de à donner ma vie.

J'aurais beaucoup d'autres choses à vous dire sur ce sujet,

5 v°

si j'en avais le loisir. Je prie Notre-Seigneur 27 qu'il les vous les dise die lui-même. Je vous prie de ne me pas faire réponse sur ce sujet, si vous persévérez dans de en ces telles <absents> opinions 28, qui suis, en l'amour de Notre-Seigneur,

Monsieur, <suscription interrompue>

Vous ne serez plus maître et administrateur du Saint-Esprit de Toul, si ce parlement ne reçoit l'évocation au Conseil du roi de votre procès contre MM. Mrs Thierry et Plainevaux 28 bis dont le dernier a obtenu permission de prendre possession 29. Or, qu'il admette votre 29 bis évocation, celui qui fait

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la charge de premier président mande que le parlement ne le la veut point faire <absent> 29‘‘‘, l'ayant refusée pour la deuxième 2e fois & déchiré ladite évocation, pour le moins, l'avocat général a fait cela; de sorte que, s'ils ne renoncent à ce dernier cette dernière arrêt 29‘‘‘‘ c’en est fait, je m'en vais mander que l'on sauve ce que l'on qu’on pourra des meubles. Ils ont pris le temps de la révolte quasi générale de nos parlements. Enfin, si nous ne sommes condamnés avant que ma lettre arrive, cela ne saurait tarder huit jours après. In nomine Domini !

votre très humble serviteur

Vincens Depaul

i. p. d. l. M.

Suscription : A Monsieur Monsieur Dehorgny, prêtre de la Mission, à Rome.

_______________________

27. Mémoires : je prie Notre-Seigneur Jésus-Christ. <ajout indû des Mémoires - B. K.>

28..Mémoires : dans ces opinions. <iciles Mémoires qui ont raison !>

28 bis. Plainevaux ou Plènevaux : cf. S. V. XIV, p. 470. <B. K.>

29..Le bénéfice du Saint-Esprit échappa, en effet, à M Dehorgny. Saint Vincent le fit demander plus tard à Rome pour M. Jolly, qui avait l'intention de le résigner en faveur de la congrégation de la Mission. (Cf. 1. du 10 octobre 1653.) L'affaire traîna. Saint Vincent écrivait à M des Jardins le 29 décembre 1657 : " Nous ne sommes pas encore à bout des lettres de l'union, mais nous sommes toujours après et dans l'espérance de les avoir".

29 bis. M. Vincent avait écrit "nostre" et il a ajoué le "v" devant, sans barrer le "n"; ce qui donne "vnostre". On peut supposer que c’est l’ajout du "v" qui l’emporte : "votre évocation".

29‘‘‘. "Faire" n’est pas du tout dans le texte; M. Vincent avait écrit: "ne la veut point admettre", il a barré "admettre", sans plus. Le texte est donc bien "ne la veut point".

29’’’’. L’écriture de M. Vincent est de plus en plus heurtée, mais la lecture du copiste, donnée dans l’édition Coste, ne se justifie tout de même guère : le "e" final de "cette" et de "dernière" est très net, et il n’est pas facile de lire "arr" là où il y a "cen" ("arrest" au lieu de "cenest").

 

 

 

Ajout d’un document complet p. 469

trouvé par B. KOCH en août 1998

1123 bis Présentation à la cure de Romagné

(près de Fougères, Ille-et-Vilaine)

28 juillet 1649

Archives Départementales d’Ille-et-Vilaine, G 553,
parchemin de 23,5 x 37 cm en moyenne, plié en deux.

 

Reverendissimo in XRisto Patri & Domino Domino Rhedonensi Episcopo 1, seu vestris in spiritualibus et temporalibus Dominis Vicariis Generalibus seu Domino Vicario Generali, Vincentius de Paul, presbyter, Congregationis Missionis Superior generalis necnon Reverendi Domini Amadori Joannis Baptistae de Vuignerod, Abbatis seu perpetui commendatarii Monasterii Majorismonasterii prope & extra muros turronenses, Ordinis Sancti Benedicti Vicarius generalis, salutem cum honore & reverentia debitis. Ad curam seu parrochialem ecclesiam de Romagné, diocesis vestrae Rhedonensis, cujus ocurrente vacatione praesentatio & nominatio seu jus praesentandi & nominandi ad praefatum Reverendum Dominum Abbatem dicti Monasterii Majorismonasterii, collatio vero, provisio 2 & quaevis alia dispositio, ad vos ad causam 3 dictæ Vestrae Episcopalis dignitatis respective spectant & pertinent, liberam nunc et vacantem per mortem seu obitum defuncti Magistri <la place du nom est en blanc >4, illius ultimi Rectoris et immediati possessoris pacifici,

Dilectum nostrum Magistrum Petrum Bouvier de St Hilaire, presbyterum diocesis, parisiensis, in jure canonico Doctorem, sufficientem , capacem & idoneum ad dictam curam seu parrochialem Ecclesiam obtinendum, regendum et gubernandum, harum serie litterarum praesentamus, vos obnixé rogantes quatenus praesentatum nostrum et praesentationem nostram recipere et admittere, litterasque collationis seu provisionis ac alias necessarias expediri 5 mandare velitis et dignemini, seu velit & dignetur vestrum alter desuper requisitus, adhibitis solemnitatibus assuetis jureque cujuslibet salvo. In quorum præmissorum fidem has praesentes litteras manu nostra obsignatas per Magistrum Joannem Roger, publicum auctoritate Apostolica Curiaeque Archiepiscopalis parisiensis notarium juratum, Parisiis debite immatriculatum et commorantem, nostrum in hac parte secretarium assumptum scribi et signari sigillique #praefati Reverendi Domini Abbatis6# jussimus et fecimus appositione communiri.

Datum Parisiis anno Domini millesimo sexcentesimo quadragesimo nono, die vigesima octava mensis Julii, praesentibus ibidem Magistris Francisco Cailteau & Joanne Baptista Boisée, clericis Andegavensis et Bajocensis respective dioceseum, Parisiis commorantibus, testibus,

Vincentius Depaul

De mandato praefati Domini Vicarii generalis

Roger <et paraphe > notarius et secretarius praefatus

 

Traduction

Vincent de Paul, prêtre, Supérieur général de la Congrégation de la Mission et Vicaire général du Révérend seigneur Amador Jean Baptiste de Vuignerod, Abbé ou perpétuel commendataire du monastère de Marmoutier, proche et hors les murs de Tours, de l’Ordre de saint Benoît, au Révérendissime Père dans le Christ et Seigneur, le Seigneur Évêque de Rennes1, ou à vos Vicaires Généraux pour le spirituel et le temporel, ou au seigneur Vicaire Général, salut avec l’honneur et due révérence.

À la cure ou église paroissiale de Romagné, de votre diocèse de Rennes, lorsqu’elle est vacante, la présentation et la nomination, ou le droit de présenter et de nommer, <appartient> au susdit Révérend Seigneur Abbé dudit monastère de Marmoutier, mais la collation, la provision 2 et toute autre disposition reviennent et appartiennent respectivement à vous, à cause de 3 votre dignité épiscopale.

<Elle est> maintenant libre et vacante par la mort ou décès de Maître <la place du nom est en blanc >4, son dernier recteur et immédiat possesseur pacifique. Par la série de ces lettres, nous présentons notre amé maître Pierre Bouvier de St Hilaire, prêtre du diocèse de Paris, docteur en Droit Canonique, suffisant, capable et apte à obtenir, diriger et gouverner ladite cure ou église paroissiale, vous priant instamment de bien vouloir et daigner recevoir et admettre celui que nous présentons et notre présentation, et ordonner d’expédier 5 les lettres de collation ou provision et <toutes> autres nécessaires, ou que le veuille et daigne l’autre de vous évoqué ci-dessus, étant utilisées les formalités d’usage et sauf le droit de tout un chacun. En fois de quoi nous avons ordonné d’écrire et signer ces présentes lettres, signées de notre main, par maître Jean Roger, notaire juré public, de l’autorité apostolique et de la Curie archiépiscopale de Paris, dûment enregistré à Paris et y demeurant, pris comme notre secrétaire en cette affaire, et <avons ordonné de les> munir de l’apposition du sceau #dudit Révérend Seigneur Abbé6#.

Donné à Paris, l’an du Seigneur mille six cent quarante neuf, le vingt-huitième jour du mois de juillet, étant présents là même maîtres François Cailteau et Jean Baptiste Boislée, clercs respectivement des diocèses d’Angers et de Bayeux, demeurant à Paris, témoins

Vincent Depaul

Par mandement du susdit seigneur Vicaire général

Roger <et paraphe > notaire et secrétaire susdit

___________________________

1. Rennes alors n’était pas encore archevêché.

2. La collation (dérivé du participe du verbe latin "conferre", comparer, et conférer) désigne le fait de conférer une charge, un office; la provision (du verbe "pouvoir") désigne le fait de concéder des moyens de subsistance, ici, un bénéfice ecclésiastique, c’est-à-dire les revenus liés à la charge ou à l’office ecclésiastique en question.

3. Voilà un beau gallicisme : littéralement "à cause de votre dite dignité épiscopale". Les autres actes, antérieurs et ultérieurs, chez le même notaire, mais avec d’autres secrétaires, portent en bon latin "ratione vestrae etc." : en raison de votre dignité.

4. Il n’est pas rare que le nom du futur titulaire reste en blanc, car les actes sont souvent rédigés d’avance, alors qu’on ne sait pas encore qui sera désigné et accepté. Mais c’est apparemment la seule fois où le prédécesseur n’est pas nommé, car en principe on sait qui c’était ! Cette ignorance, ici, peut s’expliquer par le fait que l’acte est rédigé à Paris; elle pourrait aussi confirmer qu’il n’y eut personne de nommé depuis la vacance évoquée par M. Vincent le 15 juillet 1646, probablement sans qu’il sache le nom du curé précédent, ni davantage trois ans après…

5. "Expédier" est ici un terme technique, signifiant non le simple fait d’envoyer, mais de délivrer une copie conforme, authentique, d’un acte.

6. Ce signe renvoie à ces quatre mots, écrits d’une deuxième main à la fin du texte, en dessous de "testibus", et munis du même renvoi.

 

 

 

 

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