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Le pays foyen
2 janvier 2011

Les réfugiés "Juifs" à Sainte-Foy, de 1939 à 1945

Les Amis de Sainte-Foy et sa Région viennent de publier un cahier copieux :

Les Juifs à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde), 1939-1945 "Témoignages"

juifs

31 personnes apportent leur témoignage dans des entretiens non directifs. Il s'agit d'évoquer l'accueil fait à Sainte-Foy et en pays foyen, dès septembre 1939, à des "Juifs", c'est-à-dire à des Français et à des étrangers que les lois raciales de Vichy qualifieront par la suite de "Juifs", les conditions de vie de ceux qui sont restés pendant la guerre, et la rafle antisémite du 5 août 1944 qui aboutit à l'exécution de six personnes.

Une introduction donne un aperçu historique, des éléments de recherche et des postulats qu'il conviendra de vérifier.

Le cahier s'achève avec des considérations sur la mémoire. 65 ou 70 ans après les événements, ce que retient la mémoire renvoie le lecteur à une formule de Jules Renard, je cite de tête : que de vertus éclatent dans le jardin de nos souvenirs. Le temps passé écrase la durée : de septembre 1939 à fin août 1944, cinq années s'écoulent. Il en subsiste des impressions générales et le souvenir de quelques moments. Le quotidien a disparu. 

La teneur de ce cahier et de cet ensemble de témoignages renouvelle et stimule la recherche historique, sauf à se contenter de postulats et de certitudes aussi admirables qu'erronées. Certains témoignages se contredisent, d'autres se heurtent aux archives de l'époque. Voici quelques thèmes de recherche :

1 - Les réfugiés.

Réfugiés de confession juive, pratiquants ou non, en tout cas Français, Polonais ou d'autres nationalités, la question se pose. Le cadre législatif de Vichy concernant les "Juifs" a-t-il marqué les mentalités durablement ? Quand ils arrivent à Sainte-Foy, en septembre 1939, les réfugiés se considèrent comme Français, Polonais, Roumains, etc. Les lois raciales de Vichy  distinguent bientôt les "Juifs" et, pour beaucoup, les obligent à faire apposer le tampon "Juif" sur leur carte d'identité et à coudre l'étoile jaune sur leurs vêtements. Les étrangers de confession ou d'origine juive deviennent des "apatrides". Sur telle carte d'identité, sur tel document administratif, même postérieur à la fin de l'Etat français, la nationalité est "indéterminée". En 1995, M. Alembik avait refusé de me donner son témoignage. "Mon engagement dans la résistance communiste ne m'a valu que des ennuis quand j'ai demandé la nationalité française. Je ne veux pas risquer de recommencer", m'avait-il dit.

La Petite Gironde, 30 décembre 1942

cartes

On a des informations sur l'accueil des réfugiés de Longwy, le 4 septembre 1939, au moins sur son organisation matérielle. Les contacts entre les population, les fractures entre les mentalités sont moins connus.

Au début de décembre 1939, aucune association foyenne ne pense à fêter la Saint Nicolas pour les réfugiés, et la Petite Gironde raconte cette bévue.

Au début de 1940, Juliette Louis, une réfugiée établie chez un propriétaire terrien assiste à l'arrivée d'un colis envoyée à l'épouse du propriétaire par son fils, soldat en garnison à Longwy. C'est la moitié d'une ménagère en argent, l'autre moitié suit. "Ce sont des soldats français qui nous pillent, il ne faut rien dire, confie-t-elle à sa fille, nous nous ferions mal voir". A la même époque, le vol d'une poule par un réfugié lui vaut un mois de prison ferme. Pour avoir visité plusieurs poulaillers, un réfugié est condamné à six mois de prison ferme.

Le 18 juin 1940, à Ligueux, une réfugiée de Longwy se crêpe le chignon avec une autochtone d'origine italienne.

On multiplierait les exemples d'incompréhension, entre "les gens de chez nous" et "les Boches de l'Est". Il faudra le faire pour définir la nature de cette incompréhension, de cette fracture, et aussi, pour définir dans quelle mesure elles se sont atténuées. Pour les foyens, une fois de plus, le vieux réflexe identitaire de rejet face à une arrivée de nombreux "étrangers" a joué - étrangers à la communauté, étrangers au terroir.

Ma grand'mère se servait à l'épicerie-bazar Jacob, avant la guerre, à Longwy. Elle a toujours gardé la chope en émail bleu avec pour seul décor une étoile de David qu'elle y avait achetée. Les Jacob étaient Français et patriotes. Comme d'autres réfugiés d'Alsace-Lorraine, comment ont-ils ressenti la dépossession de leur identité nationale ? Comment les Foyens ont-ils réagi aux lois contre les Juifs et les étrangers décidées par le gouvernement de Vichy ?

Pour d'autres personnes de confession ou d'origine juive, Sainte-Foy fut une étape dans un exode qui devait les mener en Grande Bretagne, aux USA ou dans les camps de concentration. Comment distinguer et définir cette population de passage ? Les registres des hôteliers ont-ils été conservés ? Dès septembre 1939, les hôtels de Sainte-Foy ne désemplissent pas. Il faut partir au plus vite et, pour partir, disposer d'argent. Un jeune "Juif" engage son violon contre une somme d'argent auprès d'un négociant en vins du pays foyen. Il n'est jamais revenu le chercher. Le peintre Joseph Raynfeld (autres orthographes : Rajnfeld, Reinfelt), né en Pologne en 1908, se suicide à Sainte-Foy le 12 juillet 1940, alors que les Allemands ont atteint la région.

Quelle conscience avait-on des atrocités commises en Pologne par les Allemands contre les Juifs, dès l'invasion du territoire ? Un soir d'hiver, l'année n'est pas précisée, Georges Desneiges rencontre un des frères Lévy, qu'il prénomme Simon, au café de l'Amiral  : "Le garçon était roux, volubile, un peu plus âgé que moi. Il se présenta : "Lévy. Simon Lévy". Sa présence parmi nous me surprit. Avec ce que je savais de la persécution des Juifs - je pensais aux rafles, aux arrestations - je ne m'attendais guère à rencontrer quelqu'un d'aussi paisible et détendu, qui plaisantait dans un café comme s'il se fut appelé Martin ou Dupont. Je me sentis soudain heureux de le voir, cela signifiait que je me trouvais dans un monde moins dangereux, moins hostile que celui que j'avais quitté (Paris). Je sentis pourtant, sous l'apparente liberté des propos, une sorte de réticence dans la conversation. Il me semblait qu'on évitait certains mots, qu'on ne parlait de certaines choses que par allusions".

Que savait-on à Sainte-Foy, des rafles qui furent opérées à Bordeaux et à Libourne - et ailleurs, de l'arrestation et de la déportation de trois Juifs à Gensac, des arrestations de communistes et de résistants à partir de 1942 et de septembre à novembre 1943 ? 46 personnes du pays foyen, au moins, furent déportées en camp de concentration par mesure de répression. Des dizaines furent tuées par les troupes allemandes. Quel impact eurent ces arrestations et ces morts ? Comment fut ressenti l'antisémitisme régulier de l'administration, de la presse locale, et de partis politiques actifs en pays foyen ? Lisait-on les longues listes de personnes déchues de la nationalité française que publiait le Journal Officiel ? De cette situation confuse et incohérente, de ce climat de contrainte, n'émerge pas encore de chronologie ni de cartographie locales de la répression.

La Petite Gironde du mercredi 19 août 1942 annonce l'arrestation et la déportation de "4000 Juifs apatrides de la zone non occupée"

apatrides

Quel a été le facteur déterminant de l'intégration des réfugiés ? Est-ce l'argent, est-ce le travail ? Très rapidement, sinon immédiatement, les réfugiés payent un loyer et se mettent au travail, le pécule qu'ils touchent en tant que réfugiés ne suffisant pas à couvrir leurs besoins. Josette Corriger et sa famille sont hébergés par des amis dès leur arrivée, en septembre 1939, à Pineuilh : "Naturellement, nous leur avons payé un loyer dès notre arrivée". Ce n'est pas le cas de tous : les maires réquisitionnent des logements mais cette pratique ne dure pas. Les David payent un loyer de 1939 à 1944 pour le logement qu'ils occupent, 85 rue Victor Hugo, à Sainte-Foy. On trouve le cas d'une famille "juive" expulsée, à Sainte-Foy, parce qu'elle ne paye plus son loyer. La guerre finie, un propriétaire réclame les arriérés de loyer qui lui sont dûs. Tout se loue, jusqu'au "jardin potager de 700 mètres carrés, paiement en nature" (La Petite Gironde du mercredi 18 mars 1942).

L'intégration passe aussi par la jeunesse, Georges Verdun, Georges Desneiges et Jean Chevalier le racontent dans leurs souvenirs. Où est la documentation, où sont les témoignages qui permettent de traiter ce thème ?

"Nous avons travaillé chez les autres", m'ont dit plusieurs réfugiés. Ces quelques cas personnels s'ouvrent sur la vie économique du pays foyen de 1939 à 1945.

Pendant la guerre, racontait Jean Cramoisy, une dame demande à Caron, menuisier, 50 rue Victor Hugo à Sainte-Foy, de lui fabriquer une armoire. "Ce n'est pas comme ça que vous devez dire, répond Caron, vous devez me dire : Monsieur Caron, je vous apporte ce joli jambon que je vous offre. Et j'aimerai que vous me fassiez une armoire". Il faut manger. Madame Rogé part en vélo chercher des provisions chez sa parentèle, à Mauzac. Combien de jeunes femmes sillonnent la campagne environnante pour en rapporter un lapin, six oeufs, ou des légumes. Le ravitaillement est la préoccupation de chaque jour. Des menus économiques que les ménagères s'échangent, aux difficultés qu'éprouvent les Etudiants d'Outre-Mer quand ils séjournent à Sainte-Foy, en septembre 1943, les témoignages abondent. Après la guerre, deux légumes disparaissent définitivement de la table des foyens : les rutabagas et les topinambours.

Quel fut le sort du commerce foyen ? On manque d'informations à ce sujet. Ce qui frappe certains, à l'époque, c'est la réapparition des pièces en or qui avaient perdu leur valeur libératoire le 1er janvier 1927. "Tel marchand de vêtements de la Grand'rue en avait rempli trois grands bocaux à conserves en verre", raconte un témoin. On doute qu'il ait vu les bocaux, mais l'homme le pensait et le disait. Après la guerre, un autre marchand de vêtements, communiste, participe à une réunion publique, au Casino Rey, comme orateur. Il prend la parole et il est aussitôt interrompu par la voix d'un ancien prisonnier, venue du fond de la salle : "Et maintenant, dis-nous combien tu vendais tes chemises, pendant la guerre". L'orateur se tait, s'assied, sa carrière politique vient de s'achever. Ces exemples donnent le regard de l'autre, probablement de petites gens, sur le commerce foyen. Mais un regard ne fait pas une définition. Longtemps, il faudra se contenter de témoignages ou de maigres indices, à ce sujet : les archives sur la vie économique ne seront consultables que dans plusieurs décennies.

Un dernier thème, parmi tant d'autres, s'impose : comment considére-t-on les "Juifs", à Sainte-Foy, à la veille de la guerre ? Des Archives secrètes de la Wilhelmstrasse aux journaux de l'époque, des recueils de blagues aux assauts répétés de la droite nationaliste, de tels romans populaires à telles théories "scientifiques", sans oublier les positions de l'église catholique sur le "peuple déicide", les éléments ne manquent pas, qui permettent de brosser le cadre général d'un antisémitisme répandu. A cet égard, y eut-il une spécificité foyenne ?

Pendant la guerre, en première page de la Petite Gironde, cette annonce, parmi tant d'autres :

     loi

La Petite Gironde, mercredi 16 décembre 1942

Dessous, brochure publiée sans date (pas avant 1947, probablement vers 1950) :

juives

Notez le : "Pour rire quand même !".

Rendre compte de cinq années de vie quotidienne est une gageure. Dans le flot de réfugiés qui arrivent à Sainte-Foy à partir de septembre 1939 puis à partir de mai 1940, comment distinguer ceux que l'Etat français ne tarde pas à désigner comme "Juifs" et, parmi eux, ceux qui sont de passage et ceux qui restent ? Y-eut-il une spécifité foyenne par rapport aux "Juifs" ? La réponse dépend des recherches à mener et de la comparaison de Sainte-Foy la Grande avec d'autres bourgades qui auront fait l'objet de monographies approfondies.

2 - Les associations locales.

Plusieurs associations locales ont une activité soutenue pendant la période considérée.

Certaines ont déjà une longue existance, comme le Stade Foyen, créé en 1909. D'autres sont réactivées ou créées pour répondre aux nécessités du moment, comme le Secours National et l'Oeuvre du Colis du Prisonnier.

Pour diverses raisons, la plupart de ces associations s'ouvrent à la jeunesse. Elles offrent ainsi une possibilité d'intégration aux réfugiés, de confession juive ou non. Aucune liste d'adhérents n'a été retrouvée à ce jour, exception faite de quelques listes de cotisants de la Croix-Rouge, de 1939 à 1942. Aucun nom de réfugié n'y figure.

croix_rouge

Le comité foyen de la Croix-Rouge

Ce comité a été créé en juin 1939. Il mène son action sur les cantons de Sainte-Foy la Grande et l'étend sur ceux de Pellegrue et Pujols. Des bénévoles font un travail régulier et soutenu pour les "nécessiteux" résidant dans son champ d'action, pour les prisonniers de guerre et, dans une moindre mesure, pour les STO.

colis

Signature de Nelly Dumora

Adolphe Alembik fait parti des "adhérents au groupe Croix-Rouge de la jeunesse", en date du 15 décembre 1941. Berthe Jourkévitch suit les cours de secourisme. On trouve d'autres jeunes désignés comme "Juifs" par les lois raciales de Vichy dans les groupes dépendant de la Croix-Rouge foyenne. Sur l'intervention de la Croix-Rouge locale pour nourrir et faire libérer les personnes "juives" raflées le 5 août, je n'ai pas trouvé de documents émanant du comité. Après la tragédie du Soleilhou (exécution de six "Juifs" raflés le 5 août 1944), la famille Wroblesky reçoit plusieurs colis de vivres.

croix

jcf

Les J.C.F., Joyeux Cadets Foyens

La Jeunesse Catholique Foyenne a laissé trace de ses activités en 1941. Ainsi, en avril, Philippe Henriot, "orateur prestigieux,... si goûté de tous les auditoires, traitera le sujet suivant : Rédemption de la France".

La Jeunesse Catholique Foyenne est-elle le nom du patronage ?

Les Joyeux Cadets Foyens sont créés le 25 mai 1942 en remplacement du patronage dirigé par l'abbé Nicau. Quatre de ses membres sont Croix de Feu. Un autre assiste à des réunions du Service d'Ordre de la Légion ; un autre fait de la propagande pour le S.O.L.. En 1943, deux de ses membres adhèrent à la milice, un autre s'engage dans les Groupes Mobiles de Réserve (G.M.R). A la fin de 1943 puis au début de 1944, deux dames, épouses de miliciens et adhérentes de la milice, entrent au comité.

Des fêtes sont organisées au profit des prisonniers.

cadets

En juillet 1942, le comité décide que la chorale et le groupe de Jazz participeront "à la fête organisée par la légion de Sainte-Foy le 16 août". Une messe mensuelle est chantée par la chorale. Une soupe est distribuée régulièrement aux "indigents", sans précision sur les récipiendaires. Le comité tient sa dernière réunion le 9 mars 1944. En août 1944, les deux couples de miliciens sont en fuite. Ils sont arrêtés, entendus, jugés et condamnés au début de l'année 1946. Vers le mois de mai 1945, une bombe arrache la porte de l'ancien président des Joyeux Cadets Foyens. A la suite de cet attentat, il quitte définitivement la ville.

Les Joyeux Cadets Foyens ont eu des activités régulières : sports (basket, athlétisme, football) et culture (chorale, groupe de jazz, cercle d'études). Qui en a profité ? Les membres du comité ont-ils montré leur intérêt, voire leur sollicitude pour les jeunes réfugiés désignés comme "Juifs" par les lois raciales de Vichy ? Les choix politiques des animateurs des Joyeux Cadets Foyens n'incitent pas à répondre par l'affirmative en l'état actuel de la documentation.

Le Stade Foyen

Il n'a pas d'activité entre juillet 1939 et fin septembre 1940. Quatre membres du comité de septembre 1940 se retrouvent dans la Résistance en 1943 et 1944. Plusieurs participent à la réduction de la poche de Royan. Cependant, celui qui deviendra le chef de la milice foyenne appartient encore au comité et cesse d'assister aux réunions au début de l'année 1942. En septembre 1940, le terrain de Mourennes est toujours "encombré par la troupe et des camions". Il faut presque un an pour dégager le terrain et le remettre en état. L'entraînement reprend à la fin du mois d'août 1941. En septembre 1941, une école de Minimes et un cercle de la jeunesse sont créés. Le Stade Foyen renoue avec les matches à domicile ou en déplacement. Il organise des matches au profit de ses prisonniers (une dizaine de personnes) ou du Secours National de Sainte-Foy (en septembre 1941, par exemple). De fin mai 1944 au 21 décembre 1944, le Stade Foyen n'a pas d'activité. On ignore combien de jeunes réfugiés "Juifs" ou non, participent aux activités du Stade Foyen. Voici les cartes de Jules Jacob et de Jean-Charles Jacob.

jacob

La chorale l'Avenir

La chorale l'Avenir est créée vers le mois d'octobre 1938 par Joseph Bonnemaison qui vient de remplacer M. Courolle à la direction de l'école communale de garçons. Pendant la guerre, elle comprend de jeunes réfugiés de Longwy (dont Georges Verdun). Elle donne des concerts réguliers au profit des prisonniers. Le peu d'archives émanant de cette chorale ne mentionne pas d'aide aux "Juifs" du pays foyen.

chorale

L'Oeuvre du Colis aux Prisonniers.

En 1942, cette association est présidée par Madame Garrau-Fonneuve. Aucune archives émanant de cette association n'a été localisée.

Comité d'Assistance aux Prisonniers de Guerre.

Association présidée en 1942 par M. Pierre Eyraud. Pas d'archives localisées.

Le Secours National, la Légion des Combattants. 

Le Secours National est réactivé par décret du 19 octobre 1939. Un autre décret, en date du 23 juillet 1940 lui attribue le produit issu de la liquidation des biens des Français déchus de leur nationalité. Le décret du 4 octobre 1940, lendemain de la promulgation du premier "statut des Juifs", place le Secours National sous la haute autorité du maréchal Pétain.

La Légion Française des Combattants est l'organisation vichyste des anciens combattants, créée le 29 août 1940 par Xavier Vallat et présidée par le maréchal Pétain. L'Etat français lui assigne comme mission de "régénérer la Nation, par la vertu de l'exemple du sacrifice de 1914-1918" - ces deux définitions sont extraites de Wikipedia.

Ces deux organismes sont représentés à Sainte-Foy. Fin 1939, le Secours National récupère des meubles qu'il stocke dans un dépôt, rue Jean-Louis Faure, et les distribue aux réfugiés. Ensuite, les seules activités sociales décelables de ces deux associations sont la participation à des soupes populaires, des goûters offerts au jeunes mères et surtout l'envoi de colis aux prisonniers.

secours 

Extrait d'une lettre de la présidente du comité de la Croix-Rouge de Ste-Foy au délégué départemental de la CRF, à Périgueux, en date du 25 juin 1944

Il ne semble pas que le Secours National foyen ait eu des activités politiques. La section foyenne de la Légion Française des Combattants se radicalise en 1942 : le Service d'Ordre de la Légion, vient d'être établi en zone sud. Il rejette la démocratie, il prône le racisme et la collaboration. Le 5 janvier 1943, le S. O. L. devient la Milice. La Milice foyenne eut 29 membres (21 hommes et 8 femmes) domiciliés à Sainte-Foy et dans les environs. Contrairement à ce qui est indiqué dans le Cahier des Amis de Sainte-Foy, Roger Verdier n'en fit pas partie.

La Petite Gironde, lundi 12 octobre 1942.

La Légion Française des Combattants présente son service social

pique   

Les Comités communaux d'entr'aide aux Prisonniers de Guerre.

Chaque commune dispose d'un Comité d'entr'aide aux Prisonniers de Guerre. Il n'existe pas d'archives recensée de ces comités.

Les initiatives personnelles

On a gardé trace d'initiatives personnelles. Ainsi, Madame Courget, 102 rue de la République, à Ste-Foy, servit longtemps un goûter hebdomadaire aux enfants de prisonniers de son quartier.

La Petite Gironde, mercredi 4 mars 1942

courget

La Goutte de Lait.

Comme son nom l'indique, cette association s'adresse aux jeunes mamans. Il n'en subsiste, semble-t-il, aucune archive.

Les Compagnons de France.

Aucune archive connue.

Toutes les associations locales n'ont pas été mentionnées. Le rôle de la municipalité, dans ces réseaux d'entr'aide a été important : subventions, présence régulière, impulsion de manifestations... Cependant, aucune association n'a apporté d'aide spécifique aux "Juifs", désignés comme tels par les lois raciales de Vichy.

3 - Les protestants du pays foyen.

En 1939, les protestants du pays foyen ne constituent pas une communauté homogène et soudée. Ils sont divisés en trois courants, les concordataires (grand temple), les évangéliques, ou "Henriquets" (chapelle du boulevard Gratiolet) et les libristes (petit temple de l'avenue Paul Bert).

Leurs divisions, héritage du 19ème siècle, ont pour origine des dissensions théologiques : les questions du baptême et de la communion ont provoqué la rupture avec ceux qu'on appellera volontiers les "Henriquets". Une lecture décapante de la Bible, sous l'influence des progrès de l'exégèse, entraîne ensuite le départ d'un groupe acquis aux idées nouvelles.

En 1939, les clivages sont toujours nets. Les ressentiments et les antagonismes sont régulièrement ravivés. En 1927, pendant une vacance du pasteur évangélique, le pasteur concordataire n'a-t-il pas refusé d'ouvrir son temple à un convoi funèbre, cercueil en tête ? Ce scandale fait l'objet d'un libelle aussitôt imprimé.

Il existe aussi des disciples de Parker et de Wesley et ces derniers se réunissent régulièrement au Port, chez un particilier. 

Pendant la guerre, le mouvement protestant royaliste dispose d'une assise conséquente à Sainte-Foy, avec une quarantaine de membres dont un pasteur. Il opte sans hésiter pour la collaboration avec l'occupant.

Ce mouvement publie un périodique, "Sully", jusqu'en 1944. Est-ce dans ce périodique qu'un pion de Guyenne passe deux articles anonymes, le premier présentant le collège comme un "repère de Juifs" et le second "Grace au scoutisme, Israël se regroupe" ? Il faudra collationner les rares exemplaires conservés de cette revue et parcourir la presse régionale collaborationniste pour tenter de trouver les deux articles du corbeau et d'autres informations, ne serait-ce que les annonces publicitaires locales.   

Certains protestants considèrent que l'on va assister "enfin" à la conversion de tous les Juifs, non pas au catholiscisme, comme la célèbre Madame Swetchine l'avait fait jadis, mais au protestantisme. Dans sa bibliothèque, le pasteur de Flaujagues a une brochure publiée en 1942 sur ce thème, "Les Juifs enfin convertis au protestantisme". Il l'a, ce qui ne veut pas dire qu'il en approuve les idées.

Cette nécessité de la conversion n'est-elle pas le message premier du Christ ? A l'époque, la France est à la tête d'un empire colonial qui est une terre de mission pour les protestants français, entre autres missionnaires. En pays foyen, la principale activité collective des paroisses protestantes, leur bonne marche assurée, est de réunir des ressources régulières au profit des Missions. La théologie du prosélytisme fait partie de l'horizon cultuel des protestants foyens avant de s'étioler à la fin des années 1950. Aucune recherche n'a encore été menée sur ce thème d'histoire locale.

Ainsi, en 1939, les protestants du pays foyen apparaissent comme un "troupeau" fortement divisé, chaque communauté restant bloquée dans une opposition farouche aux autres, sans unité théologique ni politique, la meilleure façon d'apaiser les dissensions, les ressentiments et les rancoeurs étant de pratiquer l'indifférence voire le mépris.

Ce qui renferme chaque groupe communautaire sur son identité, même si, dès les années 1925, des artisans de la paix dans le monde et entre protestants foyens commencent une action qui ne porte ses fruits que trente ans plus tard : Etienne Bach et Jean Corriger en particulier.

Faut-il voir dans l'aide apportée par des protestants à des personnes définies commes "Juives" un exercice de charité ? Quelle charité, celle que réclamèrent et exercèrent tant de personnes de la bourgeoisie catholique pendant la première moitié et le début de la seconde moitié du 19ème siècle ? En 1974, M. Platon donnait sa réponse à Jean-Moïse Braitberg :

platon

Certes, il reste à définir ce sens du service, à en distinguer les conditions d'exercice quotidien et à en désigner les limites. Certains témoignages donnés dans le cahier des Amis de Sainte-Foy en montrent quelques caractères : c'est un acte individuel, parfois dicté par la gravité des circonstances, immédiat et n'entrainant pas de dérogation à son statut social. Il ne s'agit pas d'inscrire ces caractères sous une image-archétype du protestant foyen mais de les soumettre à l'épreuve des témoignages et des archives. Cependant, ce sens du service s'inscrit bien dans les pratiques communautaires traditionnelles.

Quelles actions ont mené les conseils presbytéraux des trois paroisses réformées de Sainte-Foy et dans celle du Port, ainsi que leurs communautés, pendant la période 1939-1944, au profit des réfugiés et en particulier de ceux qui eurent le statut de "Juifs" ? Leurs registres de délibération ne mentionnent aucune action. Le 6 février 1944, le conseil presbytéral du Port constate : "Prisonniers rapatriés. beaucoup d'entre eux, dépaysés par l'indifférence des Eglises de France, alors qu'eux-mêmes avaient approfondi leur foi dans la retraite imposée, désirent se grouper pour le service des églises. M. Argenta, 94 rue St Lazare est au centre de cet effort. Mais il y a peu de cas au Port, et M. Dejarnac a fait une expérience décevante. Il est cependant chargé de représenter notre Eglise dans les cas qui pourraient se présenter". Les pétitions de principe des uns et des autres, leurs appels à la morale chrétienne n'ont recueilli aucun écho collectif en pays foyen.

Ce 6 février 1944, au Port, il est aussi question des "enfants juifs". Voici le compte-rendu de la délibération : "Le problème juif sera à examiner dans son ensemble après la guerre. Actuellement, il se pose le problème d'enfants à sauver, membres de nos mouvements de jeunes, mais où peut-on les placer ? Un pasteur peut-il prendre des responsabilités personnelles ? La question est insoluble théoriquement".

C'est la seule mention du mot "Juif" trouvée dans les registres des conseils presbytéraux des quatre paroisses de 1939 à 1944.

Enfin, le 6 août 1944, le registre de délibérations de la paroisse du Port mentionne "les incidents de ces jours-ci (occupation de Ste-Foy)", sans mentionner la rafle ni l'exécution de "Juifs".

Dans chaque paroisse, il semble que les comportements communautaristes l'aient emporté.

Le 6 février 1944, la communauté protestante du Port "pose le problème d'enfants (juifs) à sauver, membres de nos mouvements de jeunes". Est-ce une réaction à la rafle des Juifs qui vient d'avoir lieu à Libourne le 10 janvier précédant, alors que l'on commence à savoir, avec le cas des époux Bial de Bellerade, que les personnes arrêtées par la police française ont été immédiatement déportées et gazées dès leur arrivée en camp de concentration ? Le pasteur de Libourne a-t-il informé ses collègues foyens ?

En tout cas, le conseil presbytéral du Port ne s'intéresse qu'aux enfants juifs "membres de nos mouvements de jeunes".

Et les autres, et leurs parents ?

Leur sort dépendra souvent d'actes individuels, imposés par la gravité des circonstances et réalisés par des personnes de toutes conditions, opinions ou croyances, des catholiques, des protestants, des athées, des républicains, et même des pétainistes.

Les protestants foyens ont-ils manifesté leur tradition voire leur esprit de "résistance" ? Ont-ils vu chez les autres, chez ces "étrangers à leur terroir", le reflet de la résistance de leurs ancêtres, avant et après la Révocation de l'Edit de Nantes ? Ont-ils protesté contre les lois raciales de Vichy, s'y sont-ils soumis pour ce qui les concernait ?

Il s'agit de définir ce sentiment que les protestants foyens avaient alors de l'histoire de leurs ancêtres et ce n'est pas une tâche simple. Les concordataires apprécièrent volontiers la vertu des compromis qui préservaient leur assise sociale, et les évangéliques leur en firent volontiers grief à partir de 1830. On cherchera plutôt la revendication d'une authenticité historique chez les évangéliques

En l'état actuel de la documentation, rien ne permet de faire d'un sentiment de "résistance" non défini une plate-forme commune aux protestants foyens et aux réfugiés, quels qu'ils soient, de confession juive ou non.

Beaucoup de réfugiés avaient souffert en 1870 puis pendant la première guerre mondiale. Chaque 11 novembre, jusqu'en 1939, dans les communes autour de Longwy, les familles honoraient les soldats "tombés au champ d'honneur" : "Chaque famille avait une paire d'obus décorés par des soldats de 14-18, raconte Marcelle Huguenin. On les astiquait bien, on y mettait des fleurs et on les disposait autour des monuments. Ensuite, à Vaux, Warnimont, Léxy et ailleurs, tout le village allait d'un monument à l'autre pour se recueillir. C'était impressionnant".

Qui, en pays foyen, eut conscience des pogroms subis par des Juifs originaires de Pologne alors que pour tous, il s'agissait de subvenir au quotidien, dans l'urgence ? Prenons la question autrement : pendant la guerre, les petits groupes à identité forte du pays foyens se concentrent sur leurs objectifs. Vertus de l'obéissance au chef, obligation d'efficacité, qui sont dans l'air du temps ? C'est à vérifier. Comme il faudra vérifier leur capacité à considérer les "étrangers" au terroir, en particulier ceux qui sont de confession juive.

Il s'agit donc de désigner un champ et des objectifs de recherche, comprenant les associations, les corporations, etc., et aussi, ces paroisses protestantes engluées dans leurs antagonismes. Quand à "l'esprit de résistance" dont auraient témoigné les protestants de l'époque, aucun document ne le met en évidence. Au contraire.

Un notable protestant ouvre le parc de son château aux fêtes très fréquentées de la Légion des Combattants. Dans des communes, des notables protestants font partie du bureau de la Légion. Adhésions de façade ? Elles le deviendront peut-être en 1943, mais, en 1941 et 1942, elles participent à l'élan très ample que provoque la révolution nationale de Pétain. Le pasteur du grand temple assiste ès qualité à la fête de Jeanne d'Arc et prend la parole pour "célèbrer la gloire de l'héroïne la plus pure et la plus glorieuse de notre histoire". L'Etat français célèbre Jeanne la terrienne, la bonne catholique, la pure française, l'anglophobe.

Rappelons que la loi sur la dénaturalisation est du 22 juillet 1940 et le premier statut des Juifs, du 3 octobre 1940.

"L'historique de l'action des F. F. de l'Intérieur dans le secteur de Ste-Foy", rédigé par Emile Herpe, ne mentionne pas de protestant. La liste des F.F.I. du pays foyen, établie dès la libération de Sainte-Foy par Marc Lalane ne mentionne que quelques jeunes gens dont les familles appartiennent à diverses paroisses. Sont-ils pratiquants, quelles ont été leurs motivations ?

L'hypothèse de recherche que constitue ce sentiment partagé de "résistance" aboutit, semble-t-il, à une impasse.

Note : M. et Mme Bouchereau, de Gensac, ont été reconnus comme Justes parmi les Nations. Je vous en reparlerai.

J'ai rédigé ce texte au fil de la pensée, le temps de réunir les documents qui l'illustrent. Je le reprendrai pour apporter des précisions, revoir le plan et ajouter des illustrations. J.V.

Bientôt :

4 - L'école de Guyenne.

5 - Les arrestations du 5 août 1944.

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Commentaires
R
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M
réfugié à Ste Foy à l'âge de 5 à 9 ans, mes souvenirs sont flous. Je me souviens assez bien de Mr.Bonnemaison, directeur de l'école que je fréquentais et d'un copain de classe :Casalis qui était le fils du pasteur qui nous avait inscrit aux Eclaireurs Unionistes, assez bonne couverture pour des juifs.
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