Livre 2, chapitre 1
Après avoir rapporté de
suite (a) les affaires qui se sont
passées en Allemagne sous les yeux de M. Descartes, nous
nous sommes fait un plus grand jour pour exposer aux yeux des
autres ce qui se passa dans son esprit (b) et
dont il fut le seul acteur peu de temps après s'être
engagé dans les troupes du duc de Bavière (1). Nous avons remarqué qu'après avoir
quitté sur la fin de septembre de l'an 1619 la ville de
Francfort, où il avait assisté au couronnement de
l'empereur, il s'arrêta sur les frontières de
Bavière au mois d'octobre, et qu'il commença la
campagne par se mettre en quartier d'hiver. Il se trouva en un lieu
si écarté du commerce (c), et
si peu fréquenté de gens dont la conversation
fût capable de le divertir, qu'il s'y procura une solitude
telle que son esprit [ne] la pouvait avoir dans son état de
vie ambulante (d). S'étant ainsi
assuré des dehors (e), et par bonheur
n'ayant d'ailleurs aucun soin ni aucune passion au dedans qui
pussent le troubler, il demeurait tout le jour enfermé seul
dans un poêle (f), où il avait
tout le loisir de s'entretenir de ses pensées. Ce
n'étaient d'abord que des préludes d'imagination et
il ne devint hardi que par degrés en passant d'une
pensée à une autre, à mesure qu'il sentait
augmenter le plaisir que son esprit trouvait dans leur
enchaînement. Une de celles qui se présentèrent
à lui des premières fut de considérer qu'il ne
se trouve point tant de perfection dans les ouvrages
composés de plusieurs pièces et faits de la main de
divers maîtres que dans ceux auxquels un seul a
travaillé (2). Il lui fut aisé
de trouver de quoi soutenir cette pensée, non seulement dans
ce qui se voit de l'architecture, de la peinture, et des autres
arts, où l'on remarque la difficulté qu'il y a de
faire quelque chose d'accompli en ne travaillant que sur l'ouvrage
d'autrui, mais même dans la police (g),
qui regarde le gouvernement des peuples, et dans
l'établissement de la religion, qui est l'ouvrage de Dieu
seul.
Il appliqua ensuite cette pensée aux
sciences, dont la connaissance ou les préceptes se trouvent
en dépôt dans les livres. Il s'imagina que les
sciences, au moins celles dont les raisons ne sont que probables et
qui n'ont aucune démonstration, s'étant grossies peu
à peu des opinions de divers particuliers, et ne se trouvant
composées que des réflexions de plusieurs personnes
d'un caractère d'esprit tout différent, approchent
moins de la vérité, que les simples raisonnements que
peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses
qui se présentent à lui. De là il entreprit de
passer à la raison humaine avec la même pensée.
Il considéra que pour avoir été enfants avant
que d'être hommes, et pour nous être laissés
gouverner longtemps par nos appétits et par nos
maîtres, qui se sont souvent trouvés contraires les
uns aux autres, il est presque impossible que nos jugements soient
aussi purs, aussi solides qu'ils auraient été si nous
avions eu l'usage entier de notre raison dès le point de
notre naissance et si nous n'avions jamais été
conduits que par elle.
La liberté qu'il donnait à son
génie, ne rencontrant point d'obstacles, le conduisait
insensiblement au renouvellement de tous les anciens
systèmes. Mais il se retint par la vue de
l'indiscrétion (h) qu'il aurait
blâmée dans un homme qui aurait entrepris de jeter par
terre toutes les maisons d'une ville, dans le seul dessein de les
rebâtir d'une autre manière. Cependant comme on ne
trouve point à redire qu'un particulier fasse abattre la
sienne, lorsqu'elle le menace d'une ruine inévitable, pour
la rétablir sur des fondements plus solides, il se persuada
qu'il y aurait en lui de la témérité à
vouloir réformer le corps des sciences ou l'ordre
établi dans les écoles pour les enseigner, mais qu'on
ne pourrait le blâmer avec justice d'en faire
l'épreuve sur lui-même sans rien entreprendre sur
autrui. Ainsi il se résolut une bonne fois de se
défaire de toutes les opinions qu'il avait reçues
jusqu'alors, de les ôter entièrement de sa
créance, afin d'y en substituer d'autres ensuite qui fussent
meilleures ou d'y remettre les mêmes après qu'il les
aurait vérifiées et qu'il les aurait ajustées
au niveau de la raison. Il crut trouver en ce point les moyens de
réussir à conduire sa vie beaucoup mieux que s'il ne
bâtissait que sur de vieux fondements, ne s'appuyant que sur
les principes qu'il s'était laissé donner dans sa
première jeunesse, sans avoir jamais examiné s'ils
étaient vrais.
Il prévoyait pourtant qu'un projet si
hardi et si nouveau ne serait pas sans difficultés. Mais il
se flattait que ces difficultés ne seraient pas aussi sans
remède, outre qu'elles ne mériteraient pas d'entrer
en comparaison avec celles qui se trouveraient dans la
réformation des moindres choses qui touchent le
public : il mettait une grande différence entre ce
qu'il entreprenait de détruire en lui-même et les
établissements publics de ce monde, qu'il comparait à
de grands corps dont la chute ne peut être que très
rude et qui sont encore plus difficiles à relever quand ils
sont abattus qu'à retenir quand ils sont
ébranlés; il estimait que l'usage avait adouci
beaucoup de leurs imperfections et qu'il en avait insensiblement
corrigé d'autres, beaucoup mieux que n'aurait pu faire la
prudence du plus sage des politiques ou des philosophes. Il
convenait même que ces imperfections sont encore plus
supportables que ne serait leur changement : de même que
les grands chemins qui tournoient entre des montagnes deviennent si
unis et si commodes à force d'être battus et
fréquentés qu'on se rendrait ridicule de vouloir
grimper sur les rochers ou descendre dans les précipices
sous prétexte d'aller plus droit. Son dessein n'était
pas de cette nature. Ses vues ne s'étendaient pas alors
jusqu'aux intérêts du public. Il ne prétendait
point réformer autre chose que ses propres pensées et
il ne songeait à bâtir que dans un fonds qui fût
tout à lui. En cas de mauvais succès, il croyait ne
pas risquer beaucoup puisque le pis qu'il en arriverait ne pourrait
être que la perte de son temps et de ses peines qu'il ne
jugeait pas fort nécessaires au bien du genre humain.
Dans la nouvelle ardeur de ses
résolutions, il entreprit d'exécuter la
première partie de ses desseins qui ne consistait
qu'à détruire. C'était assurément la
plus facile des deux. Mais il s'aperçut bientôt qu'il
n'est pas aussi aisé à un homme de se défaire
de ses préjugés que de brûler sa maison. Il
s'était déjà préparé à ce
renoncement dès le sortir du collège : il en
avait fait quelques essais premièrement durant sa retraite
du faubourg Saint-Germain à Paris et ensuite durant son
séjour de Breda (3). Avec toutes ces
dispositions, il n'eut pas moins à souffrir que s'il
eût été question de se dépouiller de
soi-même. Il crut pourtant en être venu à bout.
Et à dire vrai, c'était assez que son imagination lui
présentât son esprit tout nu pour lui faire croire
qu'il l'avait mis effectivement en cet état. Il ne lui
restait que l'amour de la vérité, dont la poursuite
devait faire dorénavant toute l'occupation de sa vie. Ce fut
la matière unique des tourments qu'il fit souffrir à
son esprit pour lors. Mais les moyens de parvenir à cette
heureuse conquête ne lui causèrent pas moins
d'embarras que la fin même. La recherche qu'il voulut faire
de ces moyens jeta son esprit dans de violentes agitations, qui
augmentèrent de plus en plus par une contention (i) continuelle où il le tenait, sans souffrir
que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. Il le
fatigua de telle sorte que le feu lui prit au cerveau et qu'il
tomba dans une espèce d'enthousiasme, qui disposa de telle
manière son esprit déjà abattu qu'il le mit en
état de recevoir les impressions des songes et des
visions. /a/
[0] Il nous apprend que le
dixième de novembre mil six cent dix-neuf, s'étant
couché tout rempli de son enthousiasme et tout
occupé de la pensée d'avoir trouvé ce
jour-là les fondements de la science admirable (j), il eut trois songes consécutifs en une
seule nuit, qu'il s'imagina ne pouvoir être venus que d'en
haut. [1] Après s'être endormi, son
imagination se sentit frappée de la représentation de
quelques fantômes (4) qui se
présentèrent à lui, et qui
l'épouvantèrent de telle sorte que, croyant marcher
par les rues /b/, il était
obligé de se renverser sur le côté gauche pour
pouvoir avancer au lieu où il voulait aller, parce qu'il
sentait une grande faiblesse au côté droit dont il ne
pouvait se soutenir. Étant honteux de marcher de la sorte,
il fit un effort pour se redresser, mais il sentit un vent
impétueux qui, l'emportant dans une espèce de
tourbillon, lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche.
Ce ne fut pas encore ce qui l'épouvanta (5). La difficulté qu'il avait de se
traîner faisait qu'il croyait tomber à chaque pas,
jusqu'à ce qu'ayant aperçu un collège ouvert
sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une retraite et un
remède à son mal. Il tâcha de gagner
l'église du collège où sa première
pensée était d'aller faire sa prière, mais
s'étant aperçu qu'il avait passé un homme de
sa connaissance sans le saluer, il voulut retourner sur ses pas
pour lui faire civilité et il fut repoussé avec
violence par le vent qui soufflait contre l'église. Dans le
même temps il vit au milieu de la cour du collège une
autre personne qui l'appela par son nom en des termes civils et
obligeants et lui dit que s'il voulait aller trouver Monsieur
N. il avait quelque chose à lui donner (6). M. Descartes s'imagina que c'était un
melon qu'on avait apporté de quelque pays étranger.
Mais ce qui le surprit d'avantage fut de voir que ceux qui se
rassemblaient avec cette personne autour de lui pour s'entretenir
étaient droits et fermes sur leurs pieds, quoiqu'il
fût toujours courbé et chancelant sur le même
terrain et que le vent qui avait pensé le renverser
plusieurs fois eût beaucoup diminué. Il se
réveilla sur cette imagination et il sentit à l'heure
même une douleur effective qui lui fit craindre que ce ne
fût l'opération de quelque mauvais génie qui
l'aurait voulu séduire (7).
Aussitôt il se retourna sur le côté droit, car
c'était sur le gauche qu'il s'était endormi et qu'il
avait eu le songe. Il fit une prière à Dieu pour
demander d'être garanti du mauvais effet de son songe et
d'être préservé de tous les malheurs qui
pourraient le menacer en punition de ses péchés,
qu'il reconnaissait pouvoir être assez griefs pour attirer
les foudres du ciel sur sa tête, quoiqu'il eût
mené jusques-là une vie assez irréprochable
aux yeux des hommes.
Dans cette situation il se rendormit
après un intervalle de près de deux heures dans des
pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde. [2] Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans
lequel il crut entendre un bruit aigu et éclatant qu'il prit
pour un coup de tonnerre. La frayeur qu'il en eut le
réveilla sur l'heure même et, ayant ouvert les
yeux, il aperçut beaucoup d'étincelles de feu
répandues par la chambre. La chose lui était
déjà souvent arrivée en d'autres temps et
il ne lui était pas fort extraordinaire en se
réveillant au milieu de la nuit d'avoir les yeux assez
étincelants pour lui faire entrevoir les objets les plus
proches de lui. Mais en cette dernière occasion, il voulut
recourir à des raisons prises de la philosophie et il en
tira des conclusions favorables pour son esprit, après avoir
observé en ouvrant puis en fermant les yeux alternativement
la qualité des espèces (k) qui
lui étaient représentées. Ainsi sa frayeur se
dissipa et il se rendormit dans un assez grand calme.
[3] Un moment après il
eut un troisième songe, qui n'eut rien de terrible comme les
deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livre sur sa table
sans savoir qui l'y avait mis. Il l'ouvrit et, voyant que
c'était un dictionnaire, il en fut ravi dans
l'espérance qu'il pourrait lui être fort utile. Dans
le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main
qui ne lui était pas moins nouveau, ne sachant d'où
il lui était venu. Il trouva que c'était un recueil
des poésies de différents auteurs, intitulé
Corpus poetarum etc. /c/ (8) Il eut la curiosité d'y vouloir lire
quelque chose et à l'ouverture du livre il tomba sur le vers
« Quod vitae sectabor iter ?
Etc. » (9). Au même moment il
aperçut un homme qu'il ne connaissait pas, mais qui lui
présenta une pièce de vers, commençant par
« Est et non » (10), et
qui la lui vantait comme une pièce excellente. M. Descartes
lui dit qu'il savait ce que c'était et que cette
pièce était parmi les idylles d'Ausone qui se
trouvaient (l) dans le gros recueil des
poètes qui était sur sa table. Il voulut la montrer
lui-même à cet homme et il se mit à feuilleter
le livre dont il se vantait de connaître parfaitement l'ordre
et l'économie. Pendant qu'il cherchait l'endroit, l'homme
lui demanda où il avait pris ce livre et M. Descartes lui
répondit qu'il ne pouvait lui dire comment il l'avait eu,
mais qu'un moment auparavant il en avait manié encore un
autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui avait
apporté, ni qui le lui avait repris. Il n'avait pas
achevé qu'il revit paraître le livre à l'autre
bout de la table. Mais il trouva que ce dictionnaire
n'était plus entier comme il l'avait vu la première
fois. Cependant il en vint aux poésies d'Ausone, dans le
recueil des poètes qu'il feuilletait et, ne pouvant trouver
la pièce qui commence par « Est et
non », il dit à cet homme qu'il en connaissait une
du même poète encore plus belle que celle-là et
qu'elle commençait par « Quod vitae sectabor
iter ? ». La personne le pria de la lui montrer et
M. Descartes se mettait en devoir de la chercher lorsqu'il tomba
sur divers petits portraits gravés en taille douce, ce qui
lui fit dire que ce livre était fort beau, mais qu'il
n'était pas de la même impression que celui qu'il
connaissait (11). Il en était
là, lorsque les livres et l'homme disparurent et
s'effacèrent de son imagination, sans néanmoins le
réveiller. [4] Ce qu'il y a de singulier
à remarquer, c'est que doutant si ce qu'il venait de voir
était songe ou vision (12), non
seulement il décida en dormant que c'était un songe,
mais il en fit encore l'interprétation avant que le sommeil
le quittât. Il jugea que le dictionnaire ne voulait dire
autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble, et
que le recueil de poésies intitulé Corpus
poetarum marquait en particulier et d'une manière plus
distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne
croyait pas qu'on dût s'étonner si fort de voir que
les poètes, même ceux qui ne font que niaiser (m), fussent pleins de sentences plus graves, plus
sensées et mieux exprimées que celles qui se trouvent
dans les écrits des philosophes. Il attribuait cette
merveille à la divinité (n) de
l'enthousiasme et à la force de l'imagination, qui fait
sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l'esprit de
tous les hommes comme les étincelles de feu dans les
cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de
brillant même que ne peut faire la raison dans les
philosophes. M. Descartes, continuant d'interpréter son
songe dans le sommeil, estimait que la pièce de vers sur
l'incertitude du genre de vie qu'on doit choisir, et qui commence
par « Quod vitae sectabor iter ? »,
marquait le bon conseil d'une personne sage ou même la
théologie morale (13).
Là-dessus, doutant s'il rêvait ou s'il
méditait, il se réveilla sans émotion et
continua, les yeux ouverts, l'interprétation de son songe
sur la même idée. Par les poètes
rassemblés dans le recueil il entendait la
révélation et l'enthousiasme, dont il ne
désespérait pas de se voir favorisé. Par la
pièce de vers « Est et non » /d/, qui est « Le oui et
le non » de Pythagore (10), il
comprenait la vérité et la fausseté dans les
connaissances humaines et les sciences profanes. Voyant que
l'application de toutes ces choses réussissait si bien
à son gré, il fut assez hardi pour se persuader que
c'était l'esprit de vérité qui avait voulu lui
ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et
comme il ne lui restait plus à expliquer que les petits
portraits de taille-douce qu'il avait trouvés dans le
second livre, il n'en chercha plus l'explication après la
visite qu'un peintre italien lui rendit dès le
lendemain (14).
Ce dernier songe, qui n'avait eu rien que de
fort doux et de fort agréable, marquait l'avenir selon lui
et il n'était que pour ce qui devait lui arriver dans le
reste de sa vie. Mais il prit les deux précédents
pour des avertissements menaçants touchant sa vie
passée qui pouvait n'avoir pas été aussi
innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que
c'était la raison de la terreur et de l'effroi dont ces deux
songes étaient accompagnés. Le melon dont on voulait
lui faire présent dans le premier songe signifiait,
disait-il, les charmes de la solitude, mais présentés
par des sollicitations purement humaines. Le vent qui le poussait
vers l'église du collège, lorsqu'il avait mal au
côté droit, n'était autre chose que le mauvais
génie /e/ qui tâchait de le
jeter par force dans un lieu où son dessein était
d'aller volontairement. C'est pourquoi Dieu ne permit pas qu'il
avançât plus loin et qu'il se laissât emporter
même en un lieu saint par un esprit qu'il n'avait pas
envoyé, quoiqu'il fût très persuadé que
ç'eût été l'esprit de Dieu qui lui avait
fait faire les premières démarches vers cette
église (15). L'épouvante dont
il fut frappé dans le second songe marquait, à son
sens, sa syndérèse (o),
c'est-à-dire les remords de sa conscience touchant les
péchés qu'il pouvait avoir commis pendant le cours de
sa vie jusqu'alors. La foudre dont il entendit l'éclat
était le signal de l'esprit de vérité qui
descendait sur lui pour le posséder.
Cette dernière imagination tenait
assurément quelque chose de l'enthousiasme (o) et elle
nous porterait volontiers à croire que M. Descartes aurait
bu le soir avant que de se coucher. En effet c'était la
veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avait coutume de
faire la débauche au lieu où il était, comme
en France (16). Mais il nous assure qu'il
avait passé le soir et toute la journée dans une
grande sobriété, et qu'il y avait trois mois entiers
qu'il n'avait bu de vin. Il ajoute que le génie qui excitait
en lui l'enthousiasme (p), dont il se sentait
le cerveau échauffé depuis quelques jours, lui avait
prédit ces songes avant que de se mettre au lit et que
l'esprit humain n'y avait aucune part.
Quoi qu'il en soit, l'impression qui lui resta
de ces agitations lui fit faire le lendemain diverses
réflexions sur le parti qu'il devait prendre. L'embarras
où il se trouva le fit recourir à Dieu pour le prier
de lui faire connaître sa volonté de vouloir
l'éclairer et le conduire dans la recherche de la
vérité. Il s'adressa ensuite à la sainte
vierge pour lui recommander cette affaire qu'il jugeait la plus
importante de sa vie. Et pour tâcher d'intéresser
cette bien-heureuse mère de Dieu d'une manière plus
pressante, il prit occasion du voyage qu'il méditait en
Italie dans peu de jours pour former le voeu d'un pèlerinage
à Notre-Dame De Lorette. Son zèle allait encore plus
loin /f/ et lui fit (q) promettre que, dès qu'il serait à
Venise, il se mettrait en chemin par terre pour faire le
pèlerinage à pied jusqu'à Lorette, que si ses
forces ne pouvaient pas fournir à cette fatigue, il
prendrait au moins l'extérieur le plus dévot et le
plus humilié qu'il lui serait possible pour s'en acquitter.
Il prétendait partir avant la fin de novembre pour ce
voyage. Mais il paraît que Dieu disposa de ses moyens d'une
autre manière qu'il ne les avait proposés. Il fallut
remettre l'accomplissement de son voeu à un autre temps,
ayant été obligé de différer son voyage
d'Italie pour des raisons que l'on n'a point sues et ne l'ayant
entrepris qu'environ quatre ans depuis cette
résolution (17).
Son enthousiasme le quitta peu de jours
après et, quoique son esprit eût repris son
assiette (r) ordinaire et fût
rentré dans son premier calme, il n'en devint pas plus
décisif sur les résolutions qu'il avait à
prendre. Le temps de son quartier d'hiver s'écoulait peu
à peu dans la solitude de son poêle et, pour la rendre
moins ennuyeuse, il se mit à composer un traité qu'il
espérait achever avant pâques de l'an 1620. Dès
le mois de février /g/ il songeait
à chercher des libraires pour traiter avec eux de
l'impression de cet ouvrage. Mais il y a beaucoup d'apparence que
ce traité fut interrompu pour lors et qu'il est toujours
demeuré imparfait depuis ce temps-là. On a
ignoré jusqu'ici ce que pouvait être ce traité
qui n'a peut-être jamais eu de titre (18). Il est certain que les
Olympiques (19) sont de la fin de 1619 et du commencement
de 1620 et qu'ils ont cela de commun avec le traité dont il
s'agit, qu'ils ne sont pas achevés. Mais il y a si peu
d'ordre et de liaison dans ce qui compose ces Olympiques
parmi ses manuscrits qu'il est aisé de juger que M.
Descartes n'a jamais songé à en faire un
traité régulier et suivi, moins encore à le
rendre public.
Notes
Voici d'abord les notes marginales de l'auteur.
/a/ Cart. Olymp. init. Ms..
Référence abrégée au début des
Olympiques, soit la section intitulée les
Olympiques d'un petit cahier manuscrit. Il s'agit du
« petit registre en parchemin »
inventorié sous la lettre C au moment du décès
de Descartes. Le texte qui suit, à l'alinéa, est
rédigé à partir de ce cahier.
/b/ Cart. Olymp. La référence
se trouve répétée en marge, environ au milieu
de la première phrase qui lance le récit
(« Après s'être endormi [...] il ne pouvait
se soutenir »).
/c/ Divisé en 5 livres, imprimé
à Lyon et à Genève, etc. Voir la
note (8).
/d/ Baillet donne en marge le texte original grec
de cette ouverture : ναι και
ου.
/e/ En regard de la phrase « Le vent qui
le poussait vers l'église... où son dessein
était d'aller volontairement », Baillet cite le
texte original de Descartes en marge : A malo Spiritu
ad Templum propellabar. « C'est par un mauvais
Esprit que j'étais poussé vers le Temple ».
Le Temple désigne l'église du
collège. En revanche, un « Esprit »
n'est pas un « Génie »;
déjà en français classique,
génie connote la littérature
gréco-latine ou la magie, tandis qu'esprit appartient
au vocabulaire religieux, notamment à la
théologie.
/f/ En regard du début de cette phrase (et
de la fin de la précédente), Baillet tient à
répéter en marge la référence au texte
original qu'il utilise, probablement parce qu'il veut renvoyer
à un autre endroit du document : Olymp. Cartes. ut
supr. (« Dans les Olympiques du Cahier, comme
ci-dessus »).
/g/ Ibidem. Die 23 Febr.
(« Toujours dans les Olympiques : le 23
février »). Baillet passe probablement encore
à une autre partie du petit document. Comme la date du mois
de février se trouve deux fois, et dans le texte et dans
cette note marginale, il est curieux de la voir contredite par
Leibnitz dans les transcriptions qu'il avait faites du document
original, soit le 23 septembre 1620. Descartes fait deux voeux,
d'abord le pèlerinage de Lorette, ensuite de publier son
traité avant Pâques; c'est ce second voeu que le
texte de Leibniz date de septembre 1620, promettant la publication
avant Pâques 1621.
(1) Transition. L'auteur résume son
chapitre précédent. En 1619, après un an en
Hollande, René Descartes (né en 1596, formé au
collège de La Flèche, licencié en droit de
Poitiers) se rend au Danemark, assiste au couronnement du roi
Ferdinand de Bohême et s'engage dans les troupes du duc
Maximilien de Bavière. Il s'installe pour l'hiver dans un
petit village d'Allemagne, probablement près d'Ulm, au
début de novembre 1619.
(2) « ... Enfermé seul dans un
poêle, où j'avais tout loisir de m'entretenir de mes
pensées. Entre lesquelles, l'une des premières fut
que je m'avisai de considérer que souvent il n'y a pas tant
de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs
pièces, fait de la main de divers maîtres, qu'en ceux
auxquels un seul a travaillé » (Ouverture de la
deuxième section du Discours de la méthode,
1637). Tout ce qui suit n'est en effet qu'un résumé,
une vulgarisation de l'exposé du philosophe.
(3) Adrien Baillet situe le séjour de
Descartes à Paris, après ses études à
La Flèche, entre 1613 et 1617, avant d'aller faire son droit
à Poitiers, mais rien ne l'atteste. En novembre 1618,
Descartes séjourne à Bréda dans le Brabant.
(4) Fantômes : fantasmes (latin
phantasma. « spectre »,
« représentation imaginaire »).
Désigne les personnages qui seront représentés
dans le récit qui suit, et plus généralement
les images ou représentations constituant le rêve.
Cette interprétation se trouve confirmée par
l'analyse d'Adrien Baillet lui-même, dans son
abrégé de la Vie de Descartes en 1693. En
effet, s'il n'y reproduit pas les récits de rêves, le
biographe les évoque précisément ainsi :
« il eut trois songes consécutifs, mais assez
extraordinaires pour s'imaginer qu'ils pouvaient lui être
venus d'en haut. Il crut apercevoir à travers de leurs
ombres [je souligne] les vestiges du chemin que Dieu lui
traçait... » (les
« Olympiques » de Descartes, p. 39).
Cf. note suivante.
(5) La restriction confirme encore l'analyse de la
note précédente et montre que le fragment
« l'épouvantèrent de telle sorte
que » est prospectif :
« l'épouvantèrent de la sorte, ainsi qu'il
suit ».
(6) Monsieur N. est-il un nouveau personnage
anonyme ou la personne que Descartes a négligé de
saluer ? Probablement un nouveau personnage. Par ailleurs,
la phrase de Baillet n'est pas claire : « [il] lui
dit que s'il voulait aller trouver Monsieur N. il avait quelque
chose à lui donner »; cela peut vouloir
dire : « il a quelque chose à vous
donner »; ou encore : « j'ai quelque chose
à lui donner ». C'est la première
interprétation qui est juste, car plus bas, dans
l'interprétation du rêve, on verra que c'est bien
à Descartes qu'on voulait donner un melon. Le fait de
savoir spontanément de quoi il s'agit (d'un melon !)
manifeste de l'hyperconscience spontanée du rêveur
(savoir ce que l'on n'a pas appris ou n'apprend pas). Ce n'est pas
ce phénomène, mais le melon qui surprend Descartes
dans son rêve et la preuve en est que c'est le
« symbole » du melon qu'il voudra expliquer.
(7) C'est-à-dire que Descartes croit d'abord
que ce premier songe ne lui est pas « venu d'en
haut », mais bien d'un mauvais esprit, à la faveur
d'une douleur au côté gauche sur lequel il
était couché. Dans le contexte, au XVIIe
siècle, c'est une manière de dire que le songe
pourrait ne pas avoir d'autres significations que cette cause
naturelle, dont le malin profiterait pour le confondre. Comme on
le verra plus loin à la citation en note marginale /e/, le texte original latin de Descartes parlait
ici d'un « mauvais Esprit », malus
Spiritus, que Baillet traduit en « mauvais
Génie ».
(8) En marge du titre abrégé
(Recueil des poètes, etc.), Baillet donne
l'indication suivante : « Divisé en 5
livres, imprimé à Lyon et à
Genève » /c/. Il s'agit de
l'ouvrage de Pierre de Brosses, Corpus omnium veterum poetarum
latinorum [« Recueil de tous les anciens
poètes latins »], Lyon, 1603, et Genève,
1611.
(9) « Quelle voie suivrai-je dans la
vie ? », incipit de l'Idylle 15 d'Ausone
intitulée « Ex graeco Pythagoricum de ambiguitate
eligendae vitae » (« Du grec, des propos de
Pythagore sur l'ambiguïté d'un choix dans la
vie »). Le poème se trouve à la page 655
de l'ouvrage, sur deux colonnes, après la fin du
poème précédant occupant les quatorze
premières lignes de la colonne de gauche. Suit la fin du
poème, sur la colonne de droite, qui contient ensuite
l'idylle 16, puis le début de l'idylle 17, le
poème dont il est ensuite question dans le rêve. Cf.
note suivante.
(10) L'idylle 17 d'Ausone est intitulée
« Nai kai ou pytagorikon »(« Le oui et le non des pythagoriciens »),
comme le dira explicitement plus bas Baillet. Ses premiers mots
sont bien « Est, & non ». Le poème
commence au bas de la seconde colonne de la page 655, celle
que Descartes vient d'ouvrir au hasard et qu'il ne peut retrouver.
On verra la reproduction de cette page dans l'étude de
Sophie Jama, p. 72.
(11) En effet, aucune des éditions de
l'ouvrage [cité note (8)] ne comporte
de gravures.
(12) Vision : le mot n'est pas pris par Baillet au
sens théologique, mais bien au contraire au sens courant,
celui justement évoqué plus haut à la suite du
premier songe, soit la création chimérique et maligne
de l'imagination (et ici, tout particulièrement, d'une
douleur au côté gauche ou sous l'effet de l'alcool).
Le dictionnaire de Furetière enregistre les deux sens,
d'abord le sens théologique (« une apparition que
Dieu envoie, soit en songe, soit réellement ») et
le sens courant qui s'applique ici : « La vision
est une chimère, un spectre, une imagination que la peur ou
la folie font naître dans notre imagination; exemple :
c'est un hommme sujet à des visions de
spectres ». Je ne pense pas qu'il soit légitime
de faire intervenir sur ce point les traités
d'onirocritique, comme le font parfois les commentateurs. C'est
même de l'ordre du contresens, puisqu'on donne ainsi des
significations spécialisées et complexes aux mots
« songe » et « vision »,
qui vont jusqu'à contredire un texte parfaitement limpide
sur ce point.
(13) C'est le poème et son titre qui
inspirent cette analyse, non pas son contenu radicalement
pessimiste (aucune voie ni aucun état ne peut jamais
satisfaire l'homme, selon Ausone, mieux valu qu'il ne soit pas
né).
(14) Les gravures inédites du recueil
annoncent, prédisent ou simplement préviennent la
venue d'un peintre. On comprend que, sans être
prophétiques dans leur contenu, le fait
« prémonitoire » est bien la preuve que
ces songes venaient d'« en haut » et que le
troisième est de « bon augure », comme
le déduit le biographe.
(15) C'est le « scrupule » (et
l'obsession dans sa version maladive) : on doit se garder des
incitations du malin, surtout s'il nous inclinait au bien, qui ne
peut ni ne doit venir que des inspirations divines.
(16) Le 10 novembre, jour anniversaire de la mort
de saint Martin.
(17) Descartes visitera l'Italie de 1623 à
1625.
(18) Il semble qu'Andrien Baillet déduise
ce projet de traité des notes et brefs exposés
contenus dans le cahier contenant des « écrits de
jeunesse », dont le fameux Olympica, dont il sera
question à la phrase suivante.
(19) Olympica, c'est le titre du texte qui
constituait la source du récit de Baillet (et qu'il donne
comme référence, on le voit, dans ses notes
marginales), c'est-à-dire le texte latin des trois
rêves de Descartes et de leur interprétation,
manuscrit aujourd'hui perdu.
Variantes
(a) De suite : d'affilée, d'une seule
traite.
(b) Se faire un plus grand jour : s'expliquer.
Maintenant qu'a été expliqué ce qui se passait
aux yeux de Descartes, nous pouvons comprendre ce qui s'est
passé dans son esprit.
(c) Commerce : fréquentations, vie
intellectuelle et mondaine.
(d) Ambulante : active.
(e) Dehors : situation, vie matérielle.
(f) Le poêle est la chambre chauffée
par un poêle, telle qu'on la trouve alors en Allemagne.
C'est le fameux poêle où le Discours de la
méthode situe lui-même ses origines (ouverture de
la seconde partie), en novembre 1619.
(g) Police : politique, organisation sociale.
(h) Indiscrétion : qui manque de
discrétion, qui n'est pas discret,
« avisé, prudent, judicieux ».
(i) Contention : attention excessive, du latin
contentio, « forte, trop grande tension des
muscles ou de l'attention de l'esprit ».
(j) Ces italiques sont de l'auteur.
(k) Espèces : images, ce qui est
présenté par les sens, l'imagination ou le
rêve. Il s'agit ici des étincelles qui
éclairent ou paraissent éclairer sa chambre.
(l) L'original porte « qui se
trouvait ». Nous accordons au pluriel, pour simplifier
la lecture, mais la bonne leçon est probablement
« et qui se trouvait ».
(m) Niaiser, au sens positif aujourd'hui disparu de
l'usage : s'amuser.
(n) Divinité : le caractère divin ou
l'origine divine de l'enthousiasme, c'est-à-dire de
l'inspiration poétique.
(o) Syndérèse : mot
emprunté au grec, dont la définition suit,
« remords de conscience ».
(p) Enthousiasme est pris ici au sens
péjoratif [contrairement à son emploi plus haut, cf.
n. (n)] : c'est l'emportement, voire la fureur de
l'« imagination », par exemple sous l'effet de
l'alcool.
(q) TT : « Son zèle allait encore
plus loin et il lui fit ». Le pronom
explétif s'emploie si peu aujourd'hui dans ce cas, que le
lecteur cherche spontanément un sujet autre que celui de la
proposition précédente. On le supprime donc.
(r) Assiette : situation, état
d'esprit.
Références
Texte témoin
Adrien Baillet, la Vie de M. Descartes, Paris,
D. Horthemels, 1691, édition électronique de
Frantext (Q928-Q929), édité par la
Bibliothèque Nationale de France sur Gallica, document
électronique, 1977.
On trouve cette édition sur Gallica : Vie de M. Descartes, vol. 1,
p. 77-86.
Édition originale
Adrien Baillet, la Vie de M. Descartes, Paris,
D. Horthemels, 1691, 2 vol., vol. 1, p. 77-86;
Genève, Slatkine Reprint, 1970. C'est de cette
réimpression que sont transcrites les citations et titres en
latin, de même que les annotations marginales.
La source latine de Baillet est un document
autobiographique latin de René Descartes
rédigé peu après la nuit du 10 au 11 novembre
1619, soit à la fin de 1619 ou au début de 1620. Ce
document était contenu sous le titre Olympica dans un
cahier comprenant sept séries de notes ou d'exposés
sommaires. Apparemment, le titre devrait se comprendre comme le
« chemin vers l'Olympe », soit la voie vers la
connaissance.
L'original latin qu'utise Baillet a
été consulté par Leibniz qui en a pris
quelques notes, notes qui indiquent que le biographe est
fidèle au document original (dont les notes relatives au
pèlerinage de Lorette, puis du projet de traité, qui
semble toutefois dater du 23 septembre 1620).
Éditions critiques
René Descartes, OEuvres, édition de Charles
Adam et Paul Tannery, vol. 10, mise à jour de Bernard
Rochot, Paris, Vrin, 1974, p. 1-8 (notamment le texte de
l'inventaire de 1650); p. 179-188
(« Olympica », édition commentée
du texte édité ici); p. 205-219 (texte de la
transcription par Foucher de Careil des extraits et notes de
Liebniz, dont les originaux sont également perdu, comme le
manuscrit de Descartes).
Situation matérielle
Premier chapitre du second livre de l'ouvrage
(livre 2, chapitre 1). Le premier volume comprend quatre livres de
14 chapitres, sauf le dernier, de 16 chapitres.
Situation narrative
Le premier chapitre de la biographie de
René Descartres par Adrien Baillet présente un
sommaire de sa jeunesse, jusqu'en 1620. Le second chapitre
décrit alors en deux parties sa situation au début de
sa vie adulte, alors que Descartes a 23 ans. La
première est consacrée à sa découverte
de sa méthode « mathématique »,
la seconde est un compte rendu des trois songes du 10 au 11
novembre 1619 auxquels Baillet associe la révélation
de la méthode et de la vocation de Descartes.
En réalité, René
Descartes situe simplement ces songes au cours d'une période
de grande excitation. Ce sont les songes qui sont datés du
10 février 1619 et non la découverte de sa
méthode telle que décrite à la seconde section
du Discours et qui ne paraît pas être, elle, une
expérience ponctuelle, bien au contraire.
Bibliographie
Les études et essais sur les songes de
Descartes sont innombrables. En plus, ces travaux sont non
seulement divers, mais souvent contradictoires et conflictuels,
à commencer par la question de savoir s'il faut
considérer le texte de Descartes comme un « compte
rendu de rêves (véritables) » ou au
contraire comme une « création
littéraire », une narration propre à
illustrer un cheminement intellectuel. Voici quelques exemples
illustrant la variété des attitudes et des questions
soulevées par les songes de Descartes.
ADAM, C., « Jeunesse de Descartes, première
période (1612- 1619) », Vie et OEuvres de
Descartes, étude historique, Paris, Cerf, 1910.
COLE, John R., the Olympian Dreams and youthful rebellion of
René Descartes, Urbana, University of Illinois Press,
1992. Il s'agit, à proprement parler, d'une
interprétation psychanalytique des songes s'appuyant
précisément sur le fait que l'interprétation
(à interpréter, il est vrai) est de Descartes
lui-même. En fait, John Cole va plus loin et situe le
conflit représenté par Descartes entre deux figures
paternelles, son père dont il s'écarte en refusant la
carrière juridique; son « père
intellectuel », Isaac Beeckman, qui au contraire
s'écarte de lui.
GOUHIER, Henri, les Premières Pensées de
Descartes, seconde édition, Paris, Vrin, 1979.
Très certainement l'analyse la plus
« cartésienne » des songes de Descartes,
faisant preuve d'esprit critique et de mesure dans
l'interprétation des textes. Parfaitement bien
informé. Le point de départ obligé sur la
question.
HALLYN, Fernand, éditeur, les
« Olympiques » de Descartes, textes issus
d'une journée d'études de l'Université de Gand
en Belgique, Genève, Droz (coll. « Romanica
Gandensia », no 25). L'ouvrage présente et
édite d'abord les textes relatifs aux songes de Descartes,
et en présente ensuite six études
complémentaires.
JAMA, Sophie, la Nuit de songes de René Descartes,
Paris, Aubier, 1998. Sophie Jama propose un renouvellement de
l'interprétation des trois songes sous le triple point de
vue de l'éducation jésuite, de la chronologie
biographique (associant les rêves à la saint Martin)
et du savoir de la Rose-Croix (et en particulier de son Upsilon
caché au coeur du récit). En empruntant à de
nombreuses voies d'interprétation contradictoires, l'ouvrage
risque de faire l'unanimité... contre lui. Il est pour cela
même une originale et vivante synthèse.
MOYAL, G., « La traduction et ses
interprétations : les songes de Descartes »,
Textes (Toronto), no 4 (1985), p. 161-176.
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