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19 septembre 2016 1 19 /09 /septembre /2016 23:55

Et nous voici arrivés au but de notre voyage, à Grodno en Biélorussie, chez Dmitri, mon beau-père. Toute cette distance, tous ces pays, sans une seule frontière. Sauf à une trentaine de kilomètres de l’arrivée. Et là, nous savons qu’il y a lieu de s’inquiéter. Nous ne transportons rien d’illégal, nous souhaitons offrir un peu de vin français mais nous sommes au-dessous du quota d’alcool par personne, et donc tout devrait bien se passer en deux ou trois heures de contrôles administratifs et paperassiers, mais d’une part un douanier trop zélé pourrait vouloir considérer que l’entrée sur le territoire du mobilier fixe du camping-car, réfrigérateur, cuisinière, lits, table, est considéré comme importation d’électro-ménager et de meubles, et d’autre part même si l’on ne nous crée pas de problèmes injustifiés, nous redoutons de devoir tout déballer, pour montrer que nous sommes en règle, car depuis quatre ans ce camping-car est notre demeure et nous y transportons des vêtements pour toutes les saisons et mille choses pour la vie quotidienne, sans compter une bibliothèque immense même si à chaque passage en Île-de-France nous déposons une montagne de livres nouvellement acquis dans le garde-meubles. Ce serait un déballage effroyable, puis tout à remettre en place… mais aux divers guichets tout se passe bien. Tout est en règle. On peut passer la frontière.

 

La douanière qui doit nous lever la barrière est une forte jeune femme sanglée dans son uniforme. Elle hésite, laisse la barrière fermée et, l’air sévère comme il sied à une personne investie de l’ordre public, vient vers nous. “Dernier contrôle. Vos papiers? …Oh! Nataliya Dmitrievna!!!”. Une ancienne élève de Natacha qui vient de la reconnaître (depuis l’ère soviétique, le “Gospodine, Gospoja”, c’est-à-dire “Monsieur, Madame”, a disparu, remplacé par le prénom suivi du prénom du père. Par ailleurs, dans l’intimité on utilise systématiquement le surnom, mais si l’on n’est pas de la famille ou un ami très proche on emploie le vrai prénom. Ainsi, celle que j’appelle Natacha est en réalité officiellement Nataliya. Et si dans la rue, une dame que je ne connais pas perd un gant, je le ramasse et je l’appelle “Jenchina!” c’est-à-dire “Femme!”). Nous sommes sauvés. Dix minutes de conversation sympathique sans que les voitures coincées derrière nous osent klaxonner, ni même paraître s’impatienter, et nous voilà partis.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Nous passerons un peu moins de deux semaines à Grodno. J’ai déjà parlé de cette ville dans quatre articles datés fin 2011 et début 2012, je ne vais pas me répéter ici. Je vais donc, dans le présent article, seulement montrer quelques vues de la ville, puis dans un autre article parler de la synagogue, qui avait déjà fait l’objet d’un article “Les Juifs à Grodno”, mais qui a poursuivi sa rénovation et a ouvert un petit musée. Et un troisième article nous emmènera dans une autre ville de Biélorussie, pour une fête populaire folklorique. Alors, comme introduction au sujet d’aujourd’hui, voilà une carte postale ancienne montrant une rue de Grodno.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

La ville s’est développée autour de l’église Saint-François-Xavier, cathédrale depuis que l’évêché a été créé ici en 1991, église jésuite construite de 1678 à 1683, communément appelée à Grodno Farnii Kostiol, c’est-à-dire Église Corpus Christi, transformée en musée en 1960 alors que la Biélorussie était intégrée à l’URSS, rendue au culte lors de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev en 1988.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

L’architecture de Grodno est très particulière. Alors que cette ville a été résidence royale et que deux grands châteaux se dressent en centre-ville (c’est d’ailleurs dans l’un d’eux, le Nouveau Château, que le dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste Poniatowski, signe son abdication en 1795 après le troisième partage du pays), son centre donne l’impression d’une petite ville de province. Immeubles peu élevés d’apparence bourgeoise, espaces verts. Les trois immeubles de mes photos ci-dessus ont été bâtis entre le premier quart et la deuxième moitié du dix-neuvième siècle et ne semblent pas être en plein centre d’une grande ville. Pourtant, avec ses trois cent cinquante ou trois cent soixante mille habitants, Grodno est à comparer, par exemple, avec Nantes qui est sous les trois cent mille habitants. Mais tout autour de ce centre historique des immeubles gris de béton arborent leur avenante (!) façade stalinienne tristement dégradée. Puis une seconde ceinture de la ville voit pousser, comme des champignons dans un sous-bois à l’automne, de grands immeubles modernes affichant différents niveaux de qualité et de confort comme dans nos banlieues françaises de grandes métropoles.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

J’ai dit que je parlerais plus particulièrement dans mon prochain article de la synagogue de Grodno, mais puisque dans celui-ci je montre un peu d’architecture, voici une jolie gouttière de la synagogue.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Dans le centre, cet ancien bâtiment qui a subi récemment de grands travaux de rénovation a été récupéré par le clergé pour en faire une église orthodoxe, l’église Saint-Nicolas.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Sans vraiment s’éloigner du centre, on rencontre ce type de construction qui ferait penser à des pavillons de banlieue noyés dans leurs petits jardins. Cette véranda ajoutée à l’étage sur une maison plus ancienne, ce prétentieux fronton grec portant la date de 1932 greffé sur une maison basse de petites dimensions, la verdure, tout cela est étonnant à quelques minutes à pied de l’hôtel de ville, de l’université, de la cathédrale, de la principale rue commerçante.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Tout cela côtoie de grands bâtiments administratifs modernes dépourvus de style. Je ne sais pas exactement qui travaille là et dans quel domaine, mais je trouve que l’architecte n’a guère fait preuve d’imagination créatrice.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Encore plus étonnant, nombre de maisons en bois, ce qui ferait croire que l’on se trouve non plus en banlieue mais dans un bourg de campagne. C’est grand, c’est visiblement confortable, mais ce n’est pas ce que l’on a coutume de voir dans une ville dotée d’une grande université, celle où Natacha a enseigné quand, pourvue de son doctorat, elle a abandonné ses élèves pour des étudiants que, très vite, elle abandonnera également en faveur de son mari français (hé, hé!). Depuis quelques années, les associations de quartier luttent contre la Municipalité, qui voudrait les raser et construire des immeubles “en dur”, avec le double but de moderniser Grodno et de loger plus de monde dans le centre. Ceux qui s’opposent sont en partie les habitants de ces maisons –en partie seulement, parce que d’autres se laisseraient tenter par l’offre d’achat–, et aussi des amoureux de leur ville qui estiment, à juste titre, que cette opération d’urbanisme tuerait le caractère de la cité. Il ne faut pas croire que, en pleine ville, ces maisons soient l’exception, un ou deux tronçons de rues cernés d’immeubles; non, elles sont nombreuses, beaucoup de rues entières sont bordées de maisons de bois de ce type.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Dans les décennies passées, il s’est construit ici ou là des maisons de brique qui ont adopté un style architectural rappelant celui des maisons en bois. Cela n’a certes pas le même charme, mais c’est largement préférable aux gros blocs de béton.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013
Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Ce que j’ai montré jusqu’à présent, ce sont des maisons bourgeoises, confortables, plutôt riches, mais il y a également un peu plus modeste, voire tout petit; bien entretenu, ou moins bien; frileusement enclos, ou directement sur le trottoir. Bref, un peu de tout. Sur la deuxième des photos ci-dessus, on reconnaît derrière la maison de bois, cette maison à véranda ajoutée à l’étage que j’ai montrée précédemment. Il y a donc, on le voit, toutes sortes de constructions mêlées dans ces rues qui ont gardé leur cachet au travers des années d’appartenance à l’Union Soviétique, c'est-à-dire de l’immédiat avant-guerre jusqu’au début des années 90, soit un demi-siècle.

Grodno (Biélorussie). Du 6 au 18 août 2013

Puisqu’aujourd’hui je voulais seulement montrer quelques constructions du centre de Grodno, je m’arrêterai là. Nous sommes venus en visite familiale, pour relativement peu de temps après deux ans d’absence, nous comptons revenir dans deux ans, en conséquence nous avons préféré passer du temps avec mon beau-père plutôt que de courir les musées, les expositions, les coins pittoresques. Si, lors du prochain séjour, nous restons plus longtemps, j’aurai plus de choses à montrer. Pour finir, une image dont je ne sais s’il faut y voir une triste addiction ou un simple trait d’humour. Les deux châteaux sont construits l’un en face de l’autre sur une colline qui domine le Niémen. Un long escalier descend vers la rive du fleuve. Sur l’une des contremarches, on peut lire ce tag: “IA [un cœur = LIUBLIU] PIVO” ce qui veut dire “J’aime la bière”. Et un autre a ajouté à la peinture verte un cœur avant la phrase, et “+1” après. Donc deux amateurs de bière. Bah, si l’on fait aux Slaves la réputation d’être de gros buveurs de vodka, la bière est moins titrée en alcool pour démentir les accusations malveillantes…

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18 septembre 2016 7 18 /09 /septembre /2016 23:55
Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Dans l’un de mes précédents articles j’ai parlé de Mikalojus Konstantinas Ciurlionis et du petit musée qui lui est consacré à Druskininkai. Or il a peint un triptyque intitulé Raigardas I, II et III dont nous avons vu une reproduction. Je n’ai, dans cet article, reproduit aucune des reproductions: en effet il n’y avait pas d’originaux. Mais Raigardas, c’est une douce vallée toute proche. En quittant Druskininkai, nous nous sommes donc dirigés vers le petit village de Švendubre (le S se prononce comme en français, le Š, avec un petit chapeau, se prononce comme notre CH; à condition de correctement prononcer, on a l’habitude de retranscrire en français uniquement les caractères de “chez nous”, c’est-à-dire avec un S “normal”), car c’est de la route menant à ce village, et entre les maisons de sa rue unique, que l’on peut voir cette vallée.

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

J’ai montré ci-dessus le tableau Raigardas III que j’ai pris sur Internet. Chose que je ne fais jamais pour respecter les droits d’auteur, mais cette image provient de WikiArt, et elle est accompagnée du texte que j’ai reproduit ci-dessus. Je suis donc totalement dans la légalité (sur cette durée de 70 ans, la législation française est la même que celle des États-Unis).

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Je reproduis le tableau, mais si nous sommes allés là-bas il me faut aussi montrer la photo que j’ai faite de cette vallée. Nous avons cherché (pas bien longtemps, il faut l’avouer) le point de vue de Ciurlionis, où il avait planté son chevalet, et ne l’avons pas trouvé. Mais c’est quand même cette vallée qu’il a peinte! Et nous avons ainsi l’occasion de nous balader à pied quelques instants dans un petit village typiquement lituanien, loin de tous les lieux touristiques.

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013
Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Dans mon article sur Druskininkai, je chantais les louanges du bois comme matériau de construction pour les maisons du nord de l’Europe. Dans ce village, presque toutes les maisons sont en bois. En bon état, repeintes soigneusement de couleurs vives ou tendres, ou mal entretenues et non peintes, mais toujours avec ce matériau local écologique.

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Le texte de cette pancarte n’a rien d’original. Il permet donc de s’initier sans peine (et sans dictionnaire) à la langue lituanienne, car ce qui est écrit ici n’est rien d’autre que “ATTENTION chien méchant”.

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013
Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013
Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Le nombre de cigognes ayant élu domicile pour l’été dans le village de Svendubre est impressionnant. Il y en a sur bon nombre de toits, et je n’ai pas résisté au plaisir d’en photographier quelques-unes… Aucune de celles dont j’ai pu voir les pattes n’était baguée.

Svendubre et Raigardas. Mardi 6 août 2013

Hé oui, je suis moins bavard aujourd’hui que d’habitude! Celle-ci est la dernière photo pour Svendubre. Quelle n’a pas été ma surprise de voir garé dans cette rue, sur le bas-côté, un camion d’un boucher charcutier traiteur de Sélestat, en Alsace, mais dûment immatriculé en Lituanie. J’ai regardé sur Internet, et au 14 rue Jean-Jaurès de cette ville existe toujours l’établissement Risch. J’ignore si l’ancien propriétaire français sait que son véhicule est maintenant dans ce petit village sans que son nom ait été effacé, mais cela lui fait une publicité ambulante gratuite, pour le cas où quelque habitant autochtone irait visiter la France et cette ville magnifique du Bas-Rhin également appréciée des cigognes. Pour ma part, la prochaine fois que je passe par Sélestat, après en avoir de nouveau admiré les merveilles, j’irai faire un tour chez Risch pour goûter à ses produits.

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16 septembre 2016 5 16 /09 /septembre /2016 23:55

Il y a à Druskininkai un musée hors du commun nommé Grutas. On a l’habitude des musées d’art (peinture, sculpture), des musées scientifiques (histoire naturelle, sciences et techniques), des musées archéologiques ou ethnographiques, des musées des grands hommes (Victor Hugo, La Pérouse, Napoléon), des monuments historiques (château de Versailles, hospices de Beaune), des musées historiques (Alise-Sainte-Reine, Invalides, usine Schindler), mais ici c’est un musée historique d’un genre très particulier, parce qu’il réunit dans un vaste parc un nombre invraisemblable de statues (quatre-vingt-six!) que les communistes avaient placées aux quatre coins du pays du temps où il était annexé à l’Union Soviétique, et qui ont été déboulonnées dans les années 1990. Il y a également… un million et demi (oui!) d’autres objets plus classiques, journaux, tableaux, drapeaux, emblèmes, badges, livres, uniformes, et cet ensemble ne manque pas d’intérêt. À cela il faut ajouter les haut-parleurs qui crachent la propagande que le régime avait enregistrée et qui était diffusée sur les ondes.

 

Ce parc, c’est l’œuvre d’un businessman nommé Viliumas Malinauskas, devenu millionnaire grâce au commerce du champignon, dont le père avait été exilé en Sibérie. Ceci explique cela. “Le régime soviétique a essayé d’éliminer les intellectuels et a interdit aux gens de penser par eux-mêmes. Ce parc aide à découvrir la grande propagande communiste et la vérité qu’il y avait derrière les obligations de la littérature, des slogans, des portraits de Lénine”, nous dit-il. Époque qui lui est odieuse, mais dont on doit garder la mémoire. Voyant des statues déjà brisées, sans tête, sans pieds, en sachant d’autres définitivement disparues, il a offert à l’État de racheter ce qui pouvait être sauvé, pour le placer sur un terrain à lui. Cela lui a coûté deux millions huit cent mille dollars. À ceux qui pensent que ce genre de parc glorifie la terreur soviétique et manque de respect pour la mémoire des milliers de personnes tuées et torturées par le régime, il répond que “cet endroit est le reflet du pénible passé de la Lituanie que les futures générations ne doivent pas oublier”. Et c’est bien ce que je pense, sans quoi j’aurais fait l’impasse sur cette visite. Ou je n’en rendrais pas compte ici. L’histoire ne peut être gommée, elle a été, le vrai problème est ce que l’on fait de la mémoire des faits qu’elle évoque.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Avant d’entrer dans le vif du sujet, on est mis dans l’ambiance par un réseau de fils de fer barbelés. Le symbolisme est fort, il évoque à la fois le rideau de fer rendant les habitants prisonniers de leur pays, et aussi bien sûr les camps de détention.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Pour évoquer les déportations, un train. Un train qui a effectivement emmené vers la Sibérie ou vers d’autres camps, dans des wagons à bestiaux, de nombreux Lituaniens. Alors que nous étions devant ce train, une dame et une petite fille passaient là, parlant russe. Ce ne sont pas les quelques mots que je baragouine en russe qui m’ont permis de comprendre ce qu’elles disaient, mais Natacha a traduit pour moi: la maman expliquait à sa fille “regarde, comment ils étaient les trains dans ce temps-là”. Visiblement, elle a tout compris.

 

En 1940, l’Armée Rouge entre en Lituanie, l’URSS s’y installe. Les intellectuels, les officiers, le clergé, les chefs d’entreprise, les koulaks sont considérés comme des ennemis du peuple, il convient de les éliminer, ou de les emprisonner, ou de les exiler. Ils seront trois cent soixante mille Lituaniens à subir l’un de ces sorts. Pour ceux que l’on exile, c’est essentiellement vers la région de Krasnoïarsk du côté d’Irkoutsk ou de Tomsk, en Sibérie centrale. Dans ces wagons à bestiaux où il n’y a évidemment aucune hygiène, le voyage sur des milliers de kilomètres à travers le continent est interminable. Les bébés, les vieillards, les malades mourront avant l’arrivée. C’est une préfiguration du voyage que les Nazis feront effectuer aux Juifs vers les camps de la mort. Sur place, dans ces régions peu peuplées, les Lituaniens déportés constituent une main d’œuvre à bon marché.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Dans le parc, on trouve aussi ces tours d’observation qui rappellent celles des chasseurs de palombes dans le Pays Basque. Je trouve cela cruel pour les palombes. Alors pour des humains… Je préfère quand ces tours sont réservées à la chasse photographique ou à l’observation de la vie sauvage. En vacances en Finlande l’été 1988, j’avais décidé de descendre de Rovaniemi à Helsinki par une petite route tout à l’est du pays, passant par Kuusami, Hossa, Suomussalmi, Kuhmo, etc. Par curiosité, dès que je trouvais sur ma gauche une petite route je la prenais pour me diriger vers le “mur” de l’Union Soviétique et, immanquablement, la route se terminait par un rond-point pour faire demi-tour, sous une de ces tours de surveillance où s’ennuyait un garde, le pistolet mitrailleur à la main. Ce qui ne me donnait nullement l’envie de descendre de voiture et d’essayer de poursuivre mon chemin à pied…

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Se déplaçant sur rails, ce véhicule arbore sur son toit un grand panneau LOTERIE. Je suppose que cette voie étroite concerne des rails de tramway, car en Europe jusqu’à la Pologne d’un côté, jusqu’à l’Espagne de l’autre, l’écartement des voies est de 1,53m et il est plus large en Russie. Derrière le pare-brise, un papier dit (merci, le traducteur Google lituanien-français!) “Loterie! Tous les billets sont gagnants! Jouez et gagnez!” Nous sommes donc dans un registre moins angoissant.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Parmi les personnages les plus représentés, on trouve tout naturellement au premier rang, et de loin, Vladimir Ilitch Oulianov, alias Lénine. En pierre, en bronze, il était partout. D’ailleurs, la Biélorussie a conservé ses statues (dans mon article Grodno daté du 28 novembre au 18 décembre 2011, j’ai montré sa statue).

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

J’ai évoqué tout à l’heure les innombrables objets de la collection Malinauskas. Dans le parc dont les allées sont jalonnées de sculptures, il a également construit des bâtiments pour abriter tout cela. On n’est pas étonné de retrouver de petits bustes de Lénine, et aussi toute une collection de tableaux, de dessins, d’affiches le représentant. Sur le premier tableau, une copie réalisée en 1947 par E. Ivanova, il est accueilli à Petrograd (future Leningrad et précédemment Saint-Pétersbourg, nom récupéré après la chute du régime), à la gare de Finlande. Le second est un tableau de V. Kasatkin de 1982 où on le voit à Moscou sur la Place Rouge. Je n’ai pas de légende pour le dessin de ma troisième photo, mais elle parle d’elle-même, il est assis à sa table de travail, buvant du café pour se maintenir en éveil. Ce que j’aurais aimé ici, c’est la date.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Staline est mort en 1953. Quand Khrouchtchev a pris la relève, conscient que son prédécesseur avait inspiré au peuple une frayeur telle que cela risquait de décrédibiliser le communisme, il a très habilement décrété la déstalinisation, sans pour autant se montrer démocrate et tolérant lui-même. Pour cette raison les statues de Staline ne remplissent pas le musée, mais il a été plus facile de trouver des tableaux, comme celui-ci, de A. Gerasimov en 1947, montrant Staline au Kremlin en compagnie de Kliment Vorochilov, maréchal de l’Union Soviétique, ami personnel de Staline, co-responsable des purges qui ont liquidé les trois cinquièmes des maréchaux et le tiers des officiers de l’Armée Rouge, et cosignataire du décret de Beria qui aboutit au massacre de Katyn.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Même après la déstalinisation, il est resté bien des exemplaires des journaux qui avaient parlé de Staline et qui en avaient publié la photo. Si Khrouchtchev a pu jouer la carte de la lutte contre le culte de la personnalité, c’est bien parce que son prédécesseur se montrait partout. Et s’il a pu montrer tous les défauts de Staline, c’est parce qu’il le connaissait bien, puisqu’il avait longtemps été son principal conseiller. Mais ensuite, quand le public l’entendait alors qu’il était devenu le premier secrétaire du parti, il se gardait bien de dire que c’est lui qui avait donné les conseils.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Apparaissent ici regroupés en une belle brochette toutes les figures vénérées de l’Union Soviétique. De gauche à droite: c’est un sculpteur inconnu qui a sculpté Engels et Marx, les théoriciens, qui étaient à la faculté de pédagogie de l’université de Vilnius. Ensuite on trouve Lénine, l’artisan de la Révolution d’Octobre, sculpté par Vasilevičius. Il était à Klaïpeda (ville sur la mer Baltique). À Klaïpeda également était Vincas Mickevičius-Kapsukas qui, en 1918-1919, a été à la tête des éphémères République Socialiste Soviétique de Lituanie et République Socialiste Soviétique de Lituanie-Biélorussie. Et pour clore cette jolie galerie de portraits, Joseph Djougachvili, alias Staline, œuvre de Bogoliubov et Ingalj qui ornait le Musée d’Art Lituanien.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Kryžkalnis est une ville sur la côte. Ma première photo représente “la Mère de Kryžkalnis”, une mère pleurant la perte des soldats de l’Armée Rouge pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ce village a été créé en 1938, et c’est pendant l’ère communiste qu’il s’est développé. Cette sculpture, réalisée par Vyšniauskas, a décoré cette ville de 1972 à 1990. Petite remarque: j’ai indiqué l’intitulé la Mère de Kryžkalnis, parce que le texte donné par le parc, en anglais, est “Kryžkalnis’ mother”, mais je préfère la traduction russe qui dit “Крижкальнисская мать”, c’est-à-dire “la Mère Krijkalnienne”. Petit détail linguistique, passons.

 

Sur la deuxième photo, cette femme assise qui tient dans une main un drapeau et dans l’autre main la couronne de la victoire, c’est une allégorie de la Russie. Ici, la légende ne donne que le titre, “Russie”, et le nom du sculpteur, M. Baburkinas.

 

On voit donc qu’après les hommes ayant marqué l’idéologie et l’action qui ont mené à l’instauration du communisme sous forme du marxisme-léninisme en Union Soviétique, le pouvoir a utilisé des femmes pour incarner des notions sous forme d’allégories.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Cette jeune femme n’est pas une allégorie. Sur le socle, je lis deux choses, d’une part Nijolė Gaigalaitė, qui est apparemment le nom du sculpteur, et Kolūkio Kiaulininkė qui, selon le traducteur de Google, signifie “porcherie de ferme collective”. Et puis la date, 1961. Dans les bras de cette personne, il convient donc de voir un porcelet. Ce n’est ni d’une grande légèreté, ni d’une franche beauté esthétique, mais il faut reconnaître que le sujet ne s’y prête guère, n’étant pas très poétique par nature. En revanche, rien n’empêchait l’artiste de donner à cette jeune femme un physique plus avenant. C’est comme si, parce que c’est une paysanne, parce qu’elle vit à la campagne, parce qu’elle s’occupe de cochons, elle ne pouvait être ni jolie, ni soignée. Ces qualités, le régime pensait-il qu’elles étaient l’apanage de la bourgeoisie honnie?

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

De la même façon que précédemment, le socle indique le nom de l’auteur, Valentina Rybalko, le sujet, Sportininkas (là, je n’ai pas besoin de traducteur pour comprendre que c’est un sportif. Ça y est, je parle lituanien!), et la date, 1972. On sait quelle importance l’URSS donnait à la réussite de ses sportifs, à quel entraînement intensif ils étaient soumis, comment des hommes et des femmes qui passaient leur temps dans les gymnases, sur les pistes d’athlétisme ou dans les piscines étaient faussement présentés comme étudiants pour pouvoir concourir comme amateurs aux Jeux Olympiques, et cela explique pourquoi le jeune homme du bronze ci-dessus est présenté nu, comme un athlète grec. C’est, en même temps, une référence culturelle au passé.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Venons-en aux autres personnages représentés. Une tête sculptée dans la pierre, par L. Kamarauskas. C’est celle de Karolis Didžiulis (1894-1958), qui a été chef de milice de district, qui a organisé la diffusion de littérature antinationale en Lituanie, qui pour ses actions a été emprisonné de 1928 à 1934 puis de 1938 à 1940, qui de 1947 à sa mort a été président de la cour suprême de la République Socialiste Soviétique de Lituanie et, à ce titre, a organisé massivement les déportations de citoyens.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Sculpteur E. Jokūbonytė, 1989. L’artiste peut-être, le commanditaire sûrement, manquaient de vision politique prospective, car la Lituanie, en 1989, n’en avait plus pour longtemps à vénérer les mêmes idoles. Ce buste représente Stanislovas Aleksejus Vaupšasovas (1899-1976). Il a intégré l’Armée Rouge en 1918 et a dirigé un détachement de partisans soviétiques en Biélorussie de l’ouest de 1920 à 1924, avant d’entrer dans les services secrets soviétiques qu’il quitte en 1937 pour prendre part à la Guerre Civile en Espagne. Après quoi il exerce de hautes responsabilités au sein du MGB (l’ancêtre du KGB) de Lituanie et, à ce titre, participe à des actions de génocide.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Comme pour la jeune femme au porcelet, c’est Nijolė Gaigalaitė qui est responsable de cette sculpture de 1978. La gravure du socle, outre l’indication précédente, ne donne que le nom de l’homme représenté, K Preiksas. Il semblerait que, partisan de l’occupation de 1940, il ait pris une part active à la destruction de l’État lituanien.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Encore un gentil Monsieur, ce Zigmas Angarietis (1882-1940) sculpté en 1972 par A. Ambraziūnas. Cet ancien élève de l’Institut Vétérinaire de Varsovie devient un activiste révolutionnaire, ce qui lui vaut la prison de 1909 à 1915. Il est alors exilé jusqu’en 1917 dans la province sibérienne de l’Ienisseï, où il entre en contact avec des bolchéviques. En 1918 il est membre du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire de Lituanie et organise la “terreur rouge” en Lituanie. Dans les années qui suivent, il poursuit son action de façon souterraine. Devenu citoyen soviétique, membre du parti communiste, il n’a jamais reconnu l’indépendance de la Lituanie dans l’entre-deux-guerres. Malgré cela, il sera victime des purges staliniennes en 1938, et mourra deux ans plus tard en prison.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

En 1976, le sculpteur D. Lukoševičius et l’architecte V. Gabriūnas ont réalisé cette tête en bronze de Feliksas Baltušis-Žemaitis (1897-1957). Pour nombre de sculptures, le musée montre une photo de leur emplacement primitif. J’en reproduis une ici. Elle se dressait à Šiauliai, une ville importante du nord du pays, sur la place Daukantas, de 1976 à 1990. Baltušis-Žemaitis est entré dans l’armée en 1915. En 1917, suite à la Révolution d’Octobre, il se bat dans les détachements prosoviétiques de partisans dans le Donbass. Il serait trop long d’énumérer ses actions au sein de l’armée soviétique, mais il convient de noter que c’est lui qui, en 1940, liquide l’armée lituanienne: jusqu’au 6 juin 1941, quatre cent trente officiers sont arrêtés, auxquels il s’en ajoute quatre cent quarante autres entre le 14 et le 18 juin de la même année. Beaucoup d’entre eux seront fusillés, les autres seront déportés en camps de concentration. Puis il enverra quelque 1500 soldats lituaniens, et parmi eux bon nombre de Juifs, dans des unités disciplinaires. Il a atteint le grade de major-général de l’armée soviétique en 1942.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

C’est à Vilnius que se trouvait ce buste sculpté en 1959 par N. Petrulis. Mais sans cet élégant couvre-chef, probablement placé là par un visiteur facétieux. Il représente Pranas Eidukevičius (1869-1926), C’est d’abord à Riga (Lettonie), où il trouve du travail en 1895, qu’il participe à des mouvements démocratiques. En 1906, le voilà membre du parti socialiste de Pologne, puis il revient à Vilnius d’où il est en contact avec Lénine. Au début de la Première Guerre Mondiale, il émigre en Autriche, où on l’emprisonne, mais en 1915 il peut retourner à Vilnius où il adhère aux idées des Bolchéviques. Il s’emploie à la création du parti communiste lituanien et biélorusse. En 1919-1920 il travaille à la Tcheka, puis il prend une part active à la Terreur Rouge.

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Feliks Dzeržinskis (Félix Dzerjinski, 1877-1926) a été sculpté en 1981 par P. Deltuva, et cette statue se trouvait à Vilnius. Ayant créé une imprimerie clandestine il est arrêté en 1897 et, en 1898, exilé dans la province de Viatka en Sibérie. En 1899 il parvient à s’évader et à se rendre à Varsovie. Au moment de la Révolution d’Octobre, il est à la tête de la rébellion armée et, dès décembre, Lénine le nomme chef de la Tcheka. À l’aide de la répression et de la terreur, il participe à la consolidation du pouvoir bolchévique. C’est lui qui a organisé les premiers camps de concentration, et qui a créé le goulag en 1919. En 1924, il est l’un des plus fervents partisans de Staline.

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Pour cette statue dynamique d’un homme marchant avec énergie, je n’ai pour toute information que les quelques mots gravés sur le socle. L’homme s’appelle Gediminas Jokūbonis, et sa représentation date de 1959. Les deux mots kolūkio pirmininkas, selon Google traducteur, signifient qu’il était président d’une ferme collective.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
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Mais il n’y a pas que des hommes. Ces deux statues représentent la même jeune femme, Marija Melnikaitė (1923-1943). La première, de R. Antinis, avait été placée en 1952 à Druskininkai, la ville où nous sommes, tandis que la seconde, de J. Mikėnas, date de 1955 et se trouvait à Zarasai, à l’est du pays. Elle est toute jeune quand, en 1940, alors que la Lituanie vient d’être prise par l’Armée Rouge, elle rejoint l’Union des Jeunes Communistes. En juin 1942, elle se fait incorporer dans l’Armée Rouge qui, en mai 1943, l’envoie en Lituanie avec un détachement de saboteurs, mais le 8 juillet elle est prise, faite prisonnière et elle est fusillée le 13 juillet. En 1944, elle sera honorée du titre de Héros de l’Union Soviétique.

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En 1985, D. Danyte a sculpté Adelė Šiaučiūnaitė. Je suis très embarrassé, parce que la traduction que donne Google de la quinzaine de mots gravés sur le socle de cette statue est dénuée de sens. Alors pour qui est capable de comprendre, je transcris fidèlement: “Adelė Šiaučiūnaitė skulptorė D. Danytė, 1985 ab ‘Trys Sezonai’ dovana Grūto sovietinių skulptūrų parkui 2001 09 04”. Et les articles sur elle qui figurent dans les moteurs de recherche sont tous en lituanien. En comparant le charabia des traductions de tous ces textes, je crois comprendre que le 27 février 1938 a été trouvé dans une cour de Kaunas le cadavre d’une jeune femme inconnue, que par la suite on a identifiée comme Adelė Šiaučiūnaitė, une jeune couturière de 24 ans domiciliée près de là. Les Soviétiques ont alors dit qu’elle appartenait au parti communiste clandestin de Lituanie et qu’elle avait été assassinée par des fascistes lituaniens, ce qui lui vaut sa statue en bronze. Mais selon les informations lituaniennes, elle aurait au contraire été prise dans une embuscade et assassinée, et des membres actifs du Komsomol auraient même été arrêtés. Mais je suis très loin d’être sûr d’avoir compris… Ce que je suis mieux à même de comprendre, c’est un texte en anglais qui dit qu’elle est une poétesse lituanienne née en 1914. Cela lui donne bien 24 ans en 1938, mais ce n’est pas en rapport avec sa qualification d’obscure ouvrière couturière, situation qui semble confirmée par l’attribution de son nom à une usine de confection de Kaunas dans les années 1960. Et ce texte anglais ne dit rien de sa vie ni de sa mort.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Tous ces hommes et cette femme représentés comme une grande frise sont dédiés “aux partisans soviétiques clandestins”. Cette gigantesque sculpture était de 1983 à 1991 à Vilnius, dans la rue aujourd’hui appelée Pylimo. Elle est due aux sculpteurs A. Zokaitis et J. Kalinauskas, ainsi qu’aux architectes G. Baravykas, K. Pempé, G. Ramunis. Moscou a été le promoteur de ce mouvement de partisans qui a commencé à opérer en 1942 avec des sabotages. C’étaient des activistes soviétiques, des membres de l’Armée Rouge, des prisonniers de guerre évadés et quelques habitants de Lituanie, ces derniers principalement des Juifs. Il ne faut pas s’en étonner, même si l’URSS n’a pas été tendre avec les Juifs, mais c’était l’époque de la guerre contre l’Allemagne Nazie, et de deux maux ils choisissaient celui qu’ils jugeaient le moindre. Mais les partisans lituaniens ne supportaient pas les partisans soviétiques. Lorsque des villages soutenaient les combattants pour l’indépendance de la Lituanie, les partisans brûlaient le village avec ses habitants. Quand des soldats lituaniens étaient faits prisonniers, ils étaient torturés à mort, les partisans leur arrachaient les yeux, leur déchiraient les oreilles, tiraient sur eux des balles explosives.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Je ne vais pas montrer toute la collection de statues, mais je souhaite dire encore un mot de ces quatre charmants garçons dont la représentation était à Kaunas et dont les sculpteurs, en 1975, ont nom N. Petrulis et B. Vyšniauskas. De gauche à droite, on trouve d’abord Karolis Požėla (1896-1926) qui a travaillé dans une presse clandestine bolchévique. Il s’est efforcé de développer le parti communiste dans plusieurs bourgs puis, à Šiauliai il a organisé une révolte. De 1920 à 1926, il a édité un journal communiste clandestin. Entre 1921 et 1926, six fois il a été emprisonné, en Lituanie, en Lettonie, en Pologne. Lorsqu’en 1926 il a été arrêté comme chef d’une organisation terroriste, il a été fusillé avec les trois autres hommes représentés sur cette sculpture.

 

Le second est Juozias Greifenbergeris (1898-1926). Il a été membre du Comité des provinces de l’est au sein de l’Union Russe de la Jeunesse Communiste, en 1919 et 1920 il a été à la tête de l’Union de la Jeunesse Communiste de Lituanie et de Biélorussie. Au printemps 1920, passé dans la clandestinité il œuvre à Kaunas et étend son action à Klaïpeda. Début 1926, le voilà membre du bureau politique du parti communiste de Lituanie. Arrêté pendant la loi martiale, il est exécuté le 27 décembre 1926.

 

Le troisième, avec sa casquette et son air agressif, est Rapolas Čarnas (1900-1926). En 1921, sur décision de la Ligue Communiste Léniniste de la Jeunesse de Lituanie, il est envoyé à Moscou pour recevoir l’enseignement de l’école du Parti. De retour en Lituanie en mai 1922, il est trésorier de la Ligue qui l’avait envoyé étudier. De février 1924 à juin 1926, il est emprisonné pour activités dans une organisation illégale financée par un État étranger. La Cour Martiale le fera fusiller le 27 décembre.

 

Et le quatrième est Kazys Giedrys (1891-1926). Les débuts de celui-là sont très différents, car de 1911 à 1917 il part travailler en usine aux États-Unis, où il fait partie de l’aile gauche de l’Union Socialiste des Lituaniens de Boston, et en 1917 il se rend à Petrograd où on l’emploie conne conseiller au département des affaires lituaniennes du Commissariat. En 1919, il représente le gouvernement de Lituanie-Biélorussie au Soviet de Russie à Moscou. Après l’invasion de la Lituanie par la Pologne, il est arrêté en 1920 par les autorités polonaises mais en mars 1921 il bénéficie d’un échange de prisonniers politiques avec la Russie soviétique. En octobre 1923, il s’introduit illégalement en Lituanie et se rend à Kaunas où il dirige l’enseignement anti-lituanien. Pris en avril 1924, il est emprisonné jusqu’en juin 1926 pour ses activités contre l’État. Et, avec les trois précédents, il est condamné par la Cour Martiale et exécuté le 27 décembre 1926.

 

Il est évident qu’un État ne peut tolérer des menées contre son existence, et encore moins des actions terroristes. Il est clair aussi que, s’il existe des frontières et des lois qui en régissent le franchissement, un état de droit est contraint de réagir contre leur franchissement illégal, puis la résidence clandestine. Les faits reprochés à ces quatre jeunes gens sont graves et ne pouvaient demeurer impunis. Leur emprisonnement était une sanction nécessaire et, si on les jugeait irrécupérables, ce pouvait être la prison à vie, voire les travaux forcés. Mais je trouve la peine de mort horrible, même quand les coupables reconnaissent les faits sans y être contraints par la violence ou la torture, même si aucune circonstance atténuante ne leur est reconnue. C’est se rendre criminel pour châtier un criminel. Mais je peux bien écrire ce que je veux, cela ne les fera pas revivre. Et je ne cherche pas à blanchir la mémoire de ces individus sans scrupules, quand on sait de quoi les Bolchéviques ont été capables.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Ce mur mosaïque posé à Vilnius en 1954 par J. Grišiūtė met à l’honneur les Pionniers. Les Pionniers sont une sorte de mouvement scout, auquel tous les jeunes d’Union Soviétique, garçons et filles, étaient obligés de prendre part.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

En Union Soviétique, l’art devait être utile. Pas seulement la sculpture pour représenter les personnages qui ont marqué la politique de leur pays. Dans la préface de Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier écrit: “Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. –L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines”. Tant pis, l’URSS ne reconnaissait qu’un art officiel, qui devait être utile. Qu’entendait-on par ce mot, utile? Un art qui chante les louanges des Soviétiques, du système, de ceux qui s’y soumettent. C’est pourquoi cela a donné les sculptures que nous avons vues, mais aussi des tableaux. L’auteur de celui-ci est inconnu, mais on sait ce qu’il représente, ce sont les leaders de la Lituanie soviétique qui rencontrent les paysans. Ces leaders sont A. Sniečkus, M. Gedvilas et J. Paleckis.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Ici, l’auteur est identifié, il s’appelle P. Stauskas. Les Soviétiques nommaient leur participation à la Seconde Guerre Mondiale “La Grande Guerre patriotique”, et pour cette raison ils en honoraient tout particulièrement les vétérans. La légende de ce tableau dit “Des Pionniers rencontrent un vétéran de la Seconde Guerre Mondiale”. On les voit, ces enfants, qui entourent le soldat, qui l’écoutent, qui l’admirent, qui le questionnent. Il est un exemple et un modèle à suivre pour la jeunesse du pays.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Comme l'indique son nom d’Union Soviétique, l’URSS était une union, ou une réunion, de républiques, telles que la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, la Lituanie, la Lettonie, l’Arménie ou le Tadjikistan, toutes soviétiques, toutes soumises à Moscou. À la fois afin d’éviter des revendications nationalistes et pour tenter de créer une nation uniforme, le pouvoir a procédé à de grands brassages de populations. C’est ainsi que mes beaux-parents, tous deux nés en Ukraine de parents ukrainiens ont reçu une affectation professionnelle en Biélorussie, où sont nés leurs deux enfants. Natacha est restée en Biélorussie, mais son frère médecin neurologue a été envoyé exercer en Russie, du côté d’Arkhangelsk, et un de leurs cousins, né en Ukraine, a été affecté à Riga en Lettonie. En échange, des Russes ont dû émigrer vers les différentes républiques. Il s’agissait de créer ce que l’on appelait “l’Homo Sovieticus”. Malgré cela, les revendications nationalistes ont fait éclater le pays au début des années 1990, et sur bien des citoyens le formatage n’a pas pris. En même temps que l’on tentait cette unification, il fallait qu’un Turkmène ou un Estonien, établis en Ukraine, se créent des liens culturels avec leur terre d’adoption. Des couples de petites poupées en costume traditionnel de chacune des républiques sont présentés dans ce musée. Alors je choisis de montrer le couple lituanien, puisque c’est le pays où nous sommes, et le couple biélorusse, puisque c’est le pays d’origine de Natacha. Hélas, pour les Lituaniens, il m’a été impossible de prendre la photo entre les mailles du grillage qui les protège.

Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013
Druskininkai : Grutas, le musée du communisme. 6 août 2013

Ce musée étant le musée du communisme en Lituanie, ce sont les personnages communistes et les actions des Soviétiques que j’ai présentés ici. Mais je ne terminerai pas sans montrer aussi deux caricatures publiées sous le manteau pour critiquer le régime imposé par Moscou à ce pays. La première représente Staline habillé en uniforme militaire écrasant sous sa botte la Lituanie, avec pour légende un quatrain:

“Le camarade Staline a proposé

Du café refroidi

Leur soleil et leur lune

Sont sombres pour le peuple de Lituanie”.

 

La seconde critique l’organisation d’élections complètement faussées par la terreur et les pressions exercées sur les électeurs, de sorte qu’il n’était pas grand besoin de truquer les résultats, puisque les électeurs avaient été contraints de voter comme le pouvoir l’attendait. L’image montre des électeurs jetant leur bulletin de vote sous la menace d’un homme portant l’étoile rouge et braquant sur eux un pistolet, tandis qu’un autre brandit un calicot disant “Vive l'élection la plus démocratique assassinée” et, en dessous, l’autre dit “Voter… pour… le tapis”. Telle est, du moins, la traduction donnée par Google.

 

Car mon sujet d’aujourd’hui, avant d’être clos, mérite quelques éclaircissements historiques. Au tout début de la Seconde Guerre Mondiale, l’Armée Rouge est entrée en Lituanie, nous l’avons vu. Mais ce n’était pas une annexion reconnue à l’international par les États, qui avaient d’autres chats à fouetter en se battant contre l’Allemagne nazie ou à ses côtés. Le pays était occupé par l’URSS comme la Grèce par l’Italie ou la France par l’Allemagne. Et puis il y a eu la Conférence de Yalta qui a officialisé la situation. À ce moment-là, n’ayant plus à mener une guerre à l’étranger, l’Union Soviétique a pu s’occuper à plein temps des pays annexés. Depuis un an avait commencé une collectivisation forcée de la propriété privée, elle a pu désormais s’achever avec une violence extrême. Et puis, de 1945 à 1953, ont repris les déportations massives de Lituaniens, comme en 1941 après l’invasion du pays, mais sur une durée telle que son intensité a été encore bien pire. Alors s’est organisée une résistance. Jusqu’alors, dans un État qui était théoriquement indépendant, ou qui tentait de le rester, le nom de partisan était appliqué aux activistes communistes qui voulaient déstabiliser cet État. Désormais, ceux que l’on appelle les partisans sont au contraire les Lituaniens qui intègrent l’armée de résistance contre le nouveau pouvoir, celui de l’État soviétique qui règne sur le pays. Ce sont cinquante mille combattants, en uniforme, armés, disciplinés, qui suivent leurs chefs et sont guidés par un commandement expatrié aux États-Unis. De même qu’en 1936 des brigades internationales étaient allées au secours des Républicains espagnols, de même environ cinq mille Allemands volontaires s’étaient joints aux partisans lituaniens, dont un millier d’officiers rompus aux techniques militaires et au commandement. Et aussi des Russes hostiles au communisme, des Biélorusses qui avaient subi le même sort en étant annexés de force à l’URSS. En revanche si, en Pologne, l’opposition à l’instauration du communisme était forte, ils ne pouvaient s’entendre avec les partisans lituaniens. En effet, longtemps ils avaient colonisé le pays, ils regardaient les Lituaniens comme une race inférieure, et ils en avaient assassiné en raison de leur appartenance ethnique. Difficile, dans ces conditions, de se battre côte à côte.

 

J’ai voulu ajouter ces quelques précisions historiques pour planter le décor dans lequel l’Union Soviétique a déployé ses monuments et sa propagande tels que les présente le parc Grutas. Il serait très intéressant de parler des modalités de la résistance, des actions des partisans (au sens de l’après-guerre), de l’évolution du mouvement. Cette visite m’a amené à lire pas mal de livres et de documents à ce propos, rédigés par l’un et l’autre camp pour essayer de me faire une idée personnelle plus objective, mais ce n’est plus du tout mon sujet, ce n’est plus en rapport avec mes photos. Peut-être un jour une visite d’un autre lieu, musée, bibliothèque, mémorial, me donnera-t-elle l’occasion d’en parler dans mon blog…

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14 septembre 2016 3 14 /09 /septembre /2016 23:55
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Première remarque: puisque le nom de cet homme, Michel Ciurlionis (photo ci-dessus, Varsovie, 1898), se prononce au début avec le son “Tch”, c’est parce qu’en langue lituanienne il y a un petit signe sur le C initial. Sans ce signe, le C se dit “ts” et avec lui il se dit “tch”.

 

Deuxième remarque, Mikalojus Konstantinas Čiurlionis n’est pas né à Druskininkai, mais à Varėna, dans la même région à une petite soixantaine de kilomètres au nord-est. Cependant, né en 1875, il n’avait que trois ans quand, en 1878, ses parents sont venus s’installer ici, dans la maison que nous allons visiter et qui a été transformée en musée.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Ci-dessus, ses parents. De plus, devenu adulte, il ne manquait jamais de venir passer en famille ses vacances, ainsi que chaque année les fêtes de Noël. En outre, à de fréquentes reprises il est venu résider ici pour des séjours au cours desquels sont nées nombre de ses œuvres. Cette maison-musée parle de lui, fait entrer le visiteur dans son univers, mais de ses œuvres on ne voit que des reproductions. Je ne pense donc pas intéressant d’en montrer ici, on en trouve d’excellentes sur Internet.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Mikalojus était l’aîné d’une fratrie de neuf enfants. Après la fin de ses études (ci-dessus, son diplôme de fin d’études primaires, de 1885), de 1894 à 1899 nous le trouvons à Varsovie, où il étudie le piano et la composition au conservatoire.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Faisons connaissance avec sa famille. D’abord, son père, Konstantinas (1851-1914), qui est organiste pour l’église. Il est donc né dans une famille où l’art est présent. Sa mère (1854-1919) s’appelait Adėlė Marija Magdalena Radmanaitė-Čiurlionienė. Sur ma seconde photo, nous la voyons en compagnie de sa dernière fille, Jadvyga, c’est-à-dire Edwige (1899-1992). Puisque le musée montre cette même Jadvyga des années plus tard, je la montre aussi (troisième photo ci-dessus).

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Tout au début de cet article, j’ai montré Ciurlionis en 1898 alors qu’il étudiait à Varsovie. Ci-dessus, le conservatoire de musique de Varsovie photographié au début du vingtième siècle mais tel qu’il était à la fin du dix-neuvième, quand Ciurlionis le fréquentait.

 

L’autre photo le montre, en 1899, à Varsovie, en compagnie du compositeur Eugeniusz Morawski, d’un an plus jeune que lui. En 1901, il complète sa formation de compositeur au conservatoire de Leipzig. En 1904, parce que sa sensibilité artistique lui fait également ressentir le besoin de s’exprimer par la peinture, il revient à Varsovie pour étudier à l’École des Beaux-Arts. Ensuite, il va voyager, il réside un temps à Varsovie, puis visite Prague, Dresde, Nuremberg, Munich, Vienne, Saint-Pétersbourg.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Le prince Mykolas Oginski (1849-1902) est un homme politique qui a beaucoup fait pour la scolarisation des enfants de paysans, qui a promu une agriculture plus moderne, qui a soutenu le mouvement national lituanien. Il s’est fait construire le magnifique palais que nous voyons sur ma seconde photo. Il a invité Ciurlionis à venir y jouer et y composer.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

En 1907, Ciurlionis va s’installer à Vilnius. C’est l’occasion de montrer cette photo, panorama de Vilnius en 1918, par J. Bulhac. À l’époque Ciurlionis est mort depuis sept ans, la Première Guerre Mondiale est passée par là, mais –autant que je sache– le panorama n’avait pas fondamentalement changé. C’est aussi ce que pense le musée, puisqu’il expose cette photo.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

En 1909, Ciurlionis épouse Sofija (Sophie) Kymantaitė (1886-1958). Sur la photo, elle est (à droite) avec sa belle-sœur Jadvyga. Il est encore très jeune, et marié depuis peu quand, en 1911, il meurt d’une pneumonie. Sa biographie, que j’évoque ici très partiellement, je l’ai essentiellement lue sur les affiches du musée que j’ai dûment photographiées pour les relire tranquillement et à loisir, mais je suis aussi allé jeter un œil sur ce qu’en dit Wikipédia, qui note qu’il est né la même année que Maurice Ravel et mort la même année que Gustav Mahler.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Dans ces circonstances malheureuses, nous retrouvons Sofija en deuil, en 1911, donc juste après le décès de son mari survenu en avril. Cette photo de Ciurlionis n’est pas datée, mais elle doit avoir été prise dans les dernières années de sa vie. La dernière photo a été prise à Vilnius en 1918. On y voit Sofija Čiurlionienė, sa femme, Valerija Čiurlionytė-Karužienė (1886-1982), sa sœur et Danutė Čiurlionytė (1910-1995), sa fille. Rien à voir avec mon sujet, mais je trouve intéressant de noter comment, en lituanien (fait linguistique mais aussi, ou surtout, culturel), au nom patronymique porté par les hommes, on ajoute -enė pour désigner l’épouse et -ytė pour désigner la fille. Ainsi, Valérie est à la fois fille Ciurlionis et femme Karužis. C’est cette Valerija, sa sœur, qui a créé le présent musée en 1963.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Cet artiste, que l’on voit d’abord comme un compositeur, mais qui a également réalisé plus de trois cents tableaux, qui s’est intéressé à l’astronomie, à la chimie, sans dédaigner la philosophie ou l’histoire, est l’un des grands personnages lituaniens, et à ce titre il est très honoré dans son pays, comme le montre cette statue érigée à Druskininkai. Mais il est dommage (et étonnant) qu’il soit tellement ignoré en France. Personnellement, je ne le connaissais que comme compositeur, et à travers une ou deux œuvres entendues à la radio. En fait, je dois avouer que pour moi il n’était guère plus qu’un nom.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Et je suis difficilement excusable de tout avoir ignoré du peintre qu’il a été, car de novembre 2000 à février 2001 le musée d’Orsay a réalisé une exposition de ses œuvres, qui m’a complètement échappé. Il est vrai que cette année-là, j’étais encore en poste en province, à St-Amand-Montrond, et que je ne suis revenu sur l’Île-de-France, à Champs-sur-Marne qu’en septembre 2001, mais c’est une mauvaise excuse parce qu’il m’est arrivé plusieurs fois de revenir sur Paris en week-end. Lorsque je parle de lui autour de moi, je me rends compte que je ne suis pas le seul à si mal le connaître, et c’est bien dommage parce que c’est un homme de grand talent. Sur Internet, à part l’article de Wikipédia que j’ai déjà signalé et qui est en français, on ne trouve guère que des articles en lituanien, ce qui en limite singulièrement l’accès auprès de mes concitoyens!!! Espérons que mon blog va contribuer, bien modestement, à éveiller la curiosité à son sujet.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Allez, j’avais décidé de ne pas montrer ici de photos de reproductions de tableaux, puisque Wikipédia montre des photos des tableaux originaux mais je peux bien, malgré tout, montrer un dessin, le pianiste Dobužinskio à Saint-Pétersbourg en 1908.

Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013
Ciurlionis à Druskininkai. Lundi 5 août 2013

Et puisque, sauf la statue érigée en l’honneur de Ciurlionis, mais qui n’est pas dans le musée, je n’ai rien montré d’original, seulement des reproductions, je terminerai par quelque chose de vrai, la maison de famille qui abrite le musée. L’extérieur de la petite maison relativement modeste où il a vécu son enfance et où, adulte, il a composé et peint, et l’une des pièces du petit musée qui lui est consacré dans cette maison.

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12 septembre 2016 1 12 /09 /septembre /2016 23:55
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Nous voici dans la jolie ville d’eau de Druskininkai, en Lituanie, tout contre la frontière de Biélorussie. La frontière… Avec Schengen, nous n’avons pas franchi une seule frontière de Paris à Druskininkai. Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Pologne, Lituanie. Or lorsque Natacha vivait à Grodno, avant d’enseigner à l’université elle a exercé dans un établissement scolaire situé au nord de Grodno et parfois, pour se détendre après une journée de travail, elle prenait le car pour aller siroter un café à Druskininkai sur les bords du lac. Pas de frontière à cette époque, c’était la même Union Soviétique. Et puis il y a eu ce grand bouleversement que l’on sait, et les frontières ne sont plus les mêmes. Le mât de ma photo indique où nous sommes, en donnant les distances kilométriques auxquelles se trouvent un certain nombre de villes d’Europe. Nous venons de Paris (1961 kilomètres… mais nous, nous avons pris le chemin des écoliers) en passant par Varsovie (361 kilomètres) et Augustów (108 kilomètres). J’apprends que ma ville, que j’appelle Paris et que les Italiens appellent Parigi et les Russes Parij, est appelée Paryžius par les Lituaniens.

 

Druskininkai, qui compte aujourd’hui moins de vingt mille habitants, a vu naître en 1891 le sculpteur Jacques Lipchitz (qui a pris la nationalité française, puis américaine). Quant au grand peintre et compositeur Mikalojus Konstantinas Čiurlionis, il y a vécu sporadiquement, car là se sont établis ses parents en 1878 (il était né en 1875). Il y a un musée que nous avons visité et dont je rendrai compte dans mon prochain article. Le père de l’acteur américain Karolis Dionyzas Bučinskis, alias Charles Bronson, était originaire de Druskininkai (avec des racines tartares).

 

Deux mots de la ville. La première mention en est faite en 1636 et c’est en 1889 que le ministère de l’Intérieur et le ministère des finances lui accordent le statut de ville. Mais ce qui fait sa réputation ce sont, comme je le disais dès la première phrase du présent article, ses eaux thermales. En 1794, le grand-duc de Lituanie et le roi de Pologne Stanislas-Auguste Poniatowski signent conjointement le décret reconnaissant Druskininkai comme une ville d’eau et, après le partage de la Pologne et l’intégration de cette région à l’Empire Russe, le tsar Nicolas Ier approuve le décret. Deux ans auparavant, en 1835, un illustre professeur de l’université de Vilnius avait procédé à une analyse chimique de l’eau de Druskininkai pour en connaître les propriétés curatives. Au milieu du dix-neuvième siècle, avec la Crimée et le Caucase, Druskininkai fait partie des trois stations thermales les plus réputées et les plus en vogue; en 1913, neuf pour cent des personnes ayant pris les eaux en Russie l’ont fait à Druskininkai. En 1955, l’URSS (puisque désormais la Lituanie y est annexée) en fait un centre thermal populaire, et en 1960 y sont ouverts des bains de boue thérapeutiques.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Le fleuve qui coule à Druskininkai est le Niémen, le même fleuve qu’à Grodno, et qui va se jeter dans la mer Baltique. C’est celui qui donne son nom à la fameuse escadrille Normandie-Niemen.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Et puis le lac, alimenté par le Niémen, avec ce château romantique construit sur sa berge, et son jet d’eau esthétique. Certes ce ne sont pas les Grandes Eaux de Versailles, mais cela n’en a pas la prétention. La promenade autour du lac est extrêmement agréable, et la végétation aquatique y est luxuriante. Ma troisième photo ci-dessus n’a pas l’intention d’en montrer un échantillon botanique, c’est seulement l’aspect graphique de ces roseaux qui a attiré mon œil et motivé ma photo. Mais non, non, trois fois non, je ne me prends pas pour un grand artiste. Je me suis fait plaisir, voilà tout. Bon, c’est égoïste, alors passons.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Nous sommes en plaine, la région est tout à fait plate, mais ce petit cours d’eau évoque un torrent de montagne. En fait, la nature est très variée et l’eau est partout. Sauf (en cette saison) dans le ciel!

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Notre visite de la ville est très rapide, mais nous donnons quand même un petit coup d’œil au cimetière. Son atmosphère forestière n’a rien à voir avec la disposition de nos cimetières en France. Par discrétion pour les familles des défunts, je ne montre pas de plaques, mais il est intéressant de noter qu’il y a, à côté de noms lituaniens, des noms russes écrits en caractères cyrilliques, puisque l’on sait que pour mieux intégrer le pays dans l’Union Soviétique beaucoup de Russes sont venus occuper les places laissées par les citoyens autochtones déportés ou tués, et des noms à consonance polonaise, témoins de la “colonisation” du pays.

 

Je sais que ce mot de colonisation choque les Polonais. En fait, je distingue trois situations. D’abord, l’occupation. C’est la situation qu’a connue la France durant la Seconde Guerre Mondiale. Des troupes étrangères “occupent” le pays, le gouvernement est manipulé par l’occupant, comme l’était le pouvoir de Vichy, ou exercé directement par des représentants de la puissance victorieuse, comme les Romains en Gaule après la conquête de César. Mais la terre est cultivée par les autochtones (même si l’occupant se réserve la production), et la population poursuit sa vie dans ses propriétés.

 

Deuxième situation, l’annexion pure et simple. Après quelque temps, les Gaulois sont devenus citoyens romains. L’Alsace, la Corse, Nice et la Savoie, sont devenues des provinces françaises. La Lituanie est devenue l’une des Républiques Socialistes Soviétiques de l’Union. Cette annexion peut se faire par choix de la population (referendum), par contrainte après conquête, par achat à une puissance étrangère. Il peut y avoir des violences, des déportations, ou une intégration pacifique et heureuse, mais dans tous les cas les autochtones restent sur leurs terres et jouissent des mêmes droits que ceux du pays de rattachement.

 

Et puis il y a la colonisation. C’est une conquête du pays, suivie de l’installation de populations venues du pays colonisateur. Le latin colo, colere signifie habiter. Les Espagnols, au Mexique ou au Chili, ont pris leurs terres aux Mayas, aux Incas, leur or et leur argent, et ont peuplé le pays aux côtés des colonisés. La France a fait la même chose en Algérie, les colons se voyant attribuer des terres par le Gouvernement français, exploitant le pétrole, ouvrant des boutiques, et les autochtones ne jouissant pas des mêmes droits civiques. Massalia (Marseille), Antipolis (Antibes), Dyrrachium (Durrës), Kerkyra (Corfou), Thasos, etc., sont ainsi des colonies de peuplement de la Grèce antique. Au départ, il y a eu union dynastique entre la Pologne et la Lituanie, le royaume de Pologne et le Grand-Duché de Lituanie étant à égalité. Mais les siècles ont changé la donne. Des Polonais se sont installés en masse sur les terres de Lituanie, de Biélorussie, d’Ukraine occidentale, les universités dans les villes étaient polonaises et en langue polonaise (le grand poète polonais Mickiewicz est né en Biélorussie et a étudié à Vilnius en Lituanie), les Polonais ne frayaient pas avec les Lituaniens (cf. ce qu’écrit à ce sujet Czeslaw Milosz, écrivain polonais né en Lituanie, dans Sur les bords de l’Issa), et même les noms officiels des villes ont été polonisés (Vilnius en Wilno, Lviv en Lwow, etc.). Cela répond en tous points aux critères qui définissent la colonisation. Il n’y a pas à s’en formaliser, c’est le passé, ceux qui en ont été responsables sont morts, d’ailleurs si une partie d’entre eux y voyaient uniquement leur profit au détriment des autochtones, d’autres croyaient bien faire en construisant des écoles, des universités, des hôpitaux, des routes, dont les autochtones pouvaient profiter …à la condition de devenir de purs Polonais! La France a colonisé à outrance puis a décolonisé, vaincue au Vietnam, en Algérie, ou volontairement en Afrique Noire; ou encore en intégrant complètement d’anciennes colonies (Martinique, Guadeloupe, Guyane, La Réunion). Il ne convient pas de reprocher aujourd’hui à un pays ce qu’il a fait dans le passé, il faut le reprocher à l’humanité, à la nature humaine. Fin de mon couplet philosophique!

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

L’architecture de Druskininkai mérite que l’on s’y arrête quelques instants. Nous sommes dans cette grande plaine du nord, humide, où les forêts sont denses et donc le bois abondant. D’autre part, contre le froid de l’hiver, contre l’humidité, il n’y a rien de tel que le bois. Ce n’est pas un hasard si, dans l’hémisphère nord comme dans l’hémisphère sud, au-delà d’une certaine latitude (en Europe, disons environ le cinquantième parallèle) nos ancêtres construisaient traditionnellement en bois. D’ailleurs, après bien des siècles de pierre et de brique, certains architectes modernes reviennent au bois. Et ici , avec les abondantes neiges de l’hiver, de même que dans les montagnes les toitures sont très pentues afin de ne pas exercer une pression trop importante sur les poutres.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

L’architecture contemporaine est encore bien souvent en bois dans cette petite ville de province. Évidemment, à Vilnius, la capitale que j’avais visitée il y a quelques années avant d’entreprendre ce grand voyage et mon blog, la civilisation moderne européenne a entraîné l’alignement sur les usages de pays plus méridionaux, et la pierre, la brique, le béton règnent en maîtres. Ici, on est près du lac, on est dans la forêt, on aime la tradition, et toutes ces maisons modernes sont encore en bois. Encore, ou de nouveau. Et quand on voit la taille et le luxe de certaines d’entre elles, on ne peut pas supposer qu’il se soit agi de faire des économies. Ce qu’il y a de moderne, ce sont aussi les techniques de construction, qui autorisent des toits aux pentes un peu moins accentuées. Et certaines de ces maisons sont très belles (à mon goût, du moins).

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Tout cela n’empêche pas cependant de voir, ici ou là, des bâtiments de formes classiques en matériaux traditionnels. Sur ma photo, ce n’est pas une maison particulière, un manoir, c’est l’hôtel Violeta. Peut-être les clients habitués aux constructions de pierre ou de béton n’auraient-ils pas confiance dans un hôtel en bois?

 

Une anecdote. Je sais qu’elle va me montrer très stupide, mais si je le suis pourquoi le cacher? La première fois que j’étais allé en Lituanie, je n’avais pas réservé d’hôtel. Arrivé tard à Kaunas, vers minuit ou une heure du matin, je roulais très lentement, tâchant de repérer le mot “HOTEL” sur une façade. Ce mot, avec ou sans accent circonflexe, est international. Mais, rien à faire, pas un seul hôtel. Dans le centre, près de la gare, nulle part d’hôtel. Il m’a peut-être fallu une bonne demi-heure d’errance avant de m’aviser que, si je voyais souvent sur des façades de grands bâtiments des enseignes lumineuses disant “VIEŠBUTIS”, cela pouvait signifier “hôtel” dans cette langue qui m’est totalement inconnue! Cette nuit-là, j’avais quand même pu dormir dans un lit. Un lit de confortable et accueillant viešbutis.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Dans le centre de Druskininkai, il y a des immeubles tout à fait modernes. Certains, comme celui qui apparaît à l’arrière-plan de ma photo, ne sont pas particulièrement esthétiques, mais la ville a quand même évité les horribles blocs staliniens de la reconstruction de l’après-guerre. Celui que je montre en premier plan fait preuve d’originalité, avec ses grandes plaques de verre qui participent à l’isolation thermique et sonore tout en laissant entrer la lumière par de larges baies, et son aspect contemporain. Je trouve que, d’une façon générale, les Lituaniens sont créatifs.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

La ville compte deux églises, l’une, catholique, est dédiée à Sainte-Marie, tandis que l’autre, orthodoxe, toute jolie, toute mignonne, est La Joie de ceux qui sont dans la peine. Chacune de ces deux architectures est si typique qu’il n’est pas besoin de dire laquelle est catholique, laquelle est orthodoxe.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Même quand, comme celui-ci, les monuments commémoratifs ne sont pas beaux, ils méritent toujours que l’on s’y arrête, parce qu’ils parlent de l’histoire du pays. Au début de la Seconde Guerre Mondiale, en vertu du pacte germano-soviétique Ribbentrop-Molotov, l’URSS envahit la Lituanie. Contre les Lituaniens qui s’y opposent, des Lituaniens communistes et des Russes mènent des actions. C’est eux que l’on appelle les partisans. Plus tard, après la guerre et le partage des zones d’influence, une armée clandestine de Lituaniens qui luttent pour l’indépendance de leur pays en s’attaquant au pouvoir communiste en place, sont appelés partisans. Il faut donc bien faire attention à l’époque à laquelle on emploie ce terme, parce qu’il désigne alternativement deux mouvements diamétralement opposés. Ici, autant que je comprenne le charabia du traducteur Google, nous voyons un monument élevé à la mémoire d’un Lituanien patriote, un partisan mort pour l’indépendance de son pays en 1948. Le texte lituanien, que je reproduis pour le cas où l’un de mes lecteurs parlerait cette langue, dit “Šioje vietoje 1948 08 10 žuvo dainavos apygardos šarūno rinktinės A. Juozapavičiaus grupės partizanas Juozas Karnauskas-Nemunėlis. G.1930M”. Je repère ce qui semble des noms propres: A. Juozapavičiaus et Juozas Karnauskas-Nemunėlis. Tout ce que je trouve à leur sujet sur Internet est en lituanien, ce qui ne m’avance pas beaucoup! Je crois comprendre que le premier, un officier prénommé Antanas (Antoine), serait mort en février 1919, luttant déjà pour l’indépendance de son pays quand, après le retrait de l’armée allemande, l’Armée Rouge a tenté de s’emparer de la Lituanie. Son nom a été donné à des rues de villes lituaniennes et au plus grand pont des pays baltes, construit à Alytus, à une cinquantaine de mètres en amont du pont où il a trouvé la mort. Je suppose donc que le second, Juozas Karnauskas-Nemunėlis, apparemment tué le 10 août 1948 à l’emplacement du monument commémoratif de ma photo, appartenait à un groupe de partisans portant le nom de l’officier héros de 1919. Sous toutes réserves.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

À présent, quelques sculptures. Quand on se promène dans les rues des villes allemandes, suédoises, lettones, lituaniennes (une liste qui n’est pas limitative, mais qui correspond à mes souvenirs), on y voit beaucoup plus qu’en France, qu’en Italie, qu’en Grèce des sculptures qui sont soit des allégories, soit des représentations de situations plus ou moins humoristiques ou symboliques. Ici, cette charmante jeune fille étendue auprès d’un poisson pourrait bien être une incarnation du fleuve Niémen. Si ce n’est pas le cas, elle est bien jolie quand même. La seconde, qui vole devant l’église, pourrait être un ange bien qu’elle ne soit pas dotée d’ailes. Qu’importe, d’ailleurs, l’interprétation, si l’œuvre apporte un plaisir esthétique.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Celle-ci, en revanche, je ne prétendrai pas qu’elle est belle, mais je la trouve amusante. Cet homme portant ce qui a la forme d’un bateau en papier plié est tout enroulé dans des bandelettes, et sur le flanc du socle sont gravés des hiéroglyphes qui n’ont rien d’égyptien, et où apparaissent des poissons.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Autre sculpture amusante, ce garçon et cette fille assis sur un mur, avec de grosses viennoiseries en main. C’est ce genre de scènes vivantes que l’on retrouve dans les pays que j’ai cités, et qui me séduisent tant.

Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013
Druskininkai (Lituanie). 5 et 6 août 2013

Il y a à Druskininkai un Aqua Park. Nous n’y sommes pas allés, je n’en parlerai pas. Mais sur le bord du lac, nous avons vu cette attraction originale. Comme sur la seconde photo ci-dessus, on entre dans une poche de plastique transparent, qui est gonflée jusqu’à devenir une grosse bulle qui va sur l’eau. Puisque de l’intérieur on n’a aucun moyen de se diriger, la bulle est arrimée au rivage pour que l’on ne se retrouve pas au large sans possibilité de revenir à terre.

 

Tout cela fait que nous aimons Druskininkai. Y compris le musée Čiurlionis, dont j’ai tout à l’heure annoncé le commentaire dans mon prochain article, et le musée Grutas du stalinisme qui fera encore l’objet d’un autre article. Il faut ajouter que nous avons séjourné au camping, avec notre maison roulante. Un camping extrêmement agréable, aux emplacements assez vastes et délimités, avec des sanitaires impeccables, et un espace sur la pelouse équipé de tables collectives en bois qui permettent de faire connaissance avec d’autres clients, lituaniens ou étrangers, si l’on préfère ne pas prendre ses repas sur sa table personnelle à côté du camping-car. C’est vraiment, dans sa catégorie de prix, l’un des meilleurs campings que nous ayons fréquentés.

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10 septembre 2016 6 10 /09 /septembre /2016 23:55
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Venant d’Allemagne et nous dirigeant vers la Biélorussie, la route la plus directe passe par Varsovie, ce qui nous permet en outre de dire un petit bonjour à nos amis ici, Lusia, Nikolaas, Marek. Avec notre maison ambulante, nous faisons étape au camping. Il y en a un, très confortable paraît-il (mais nous ne l’avons pas vu), situé en-dehors de la ville. Nous préférons choisir celui qui se trouve intra-muros. Trois cents mètres jusqu’à l’arrêt de bus, un kilomètre plus loin le tramway, il ne faut qu’environ trois quarts d’heure depuis la porte du camping jusqu’au plein centre de la ville. Jusqu’ici tout va bien. Mais dans les lieux, ce n’est plus la même chose. Il faut être tout près de la réception pour recevoir la Wi-Fi, mais alors on est à deux cents mètres des sanitaires. Et les sanitaires… côté hommes, une douche sans porte, deux autres douches fermées mais avec un carrelage de sol qui se balade allègrement. Quand on compte environ quarante camping-cars et caravanes, huit ou dix tentes, cela fait bien peu de places pour une bonne cinquantaine d’hommes. Donc on fait la queue. Et pour la vaisselle, il n’y a que deux éviers pour toutes ces familles. Les emplacements, eux, ne sont pas délimités et, du fait du nombre de clients, on se serre et les places sont plutôt étroites. Pour environ trente Euros par jour –quand on connaît le très, très bas niveau des salaires dans ce pays, pour les personnes de réception et d’entretien–, c’est exagéré.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Très peu d’images pour ce passage à Varsovie, parce que nous n’y restons que peu de temps et n’y visiterons aucun musée, aucun site dont je n’aie pas parlé lors de nos précédents passages (voir mon article Varsovie regroupant novembre 2011 et février 2012). Ce sera pour une autre fois. Mais je ne peux m’empêcher de montrer combien est belle la vieille ville. La Seconde Guerre Mondiale l’avait réduite en cendres, elle a été reconstruite à l’identique en utilisant les photos d’avant-guerre et le souvenir des habitants. Aujourd’hui, pour ce genre de projets, l’Union Européenne met la main à la poche, mais à l’époque, et du temps du pouvoir communiste, le pays a dû se débrouiller seul. Il y a eu une souscription publique pour reconstruire le palais royal; et les gens, même ceux dont les revenus étaient modestes, ont été très nombreux à donner généreusement pour le renouveau de leur pays. Le résultat est là.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Oui, le résultat est là, et il attire les touristes. Un succès bien mérité. Cela dit, en ce début août, on n’est pas vraiment seul dans la vieille ville!

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Mais Varsovie n’est pas seulement tournée vers son passé. C’est une grande ville moderne, avec un dynamisme remarquable. Elle se dote également de bâtiments modernes, comme ce grand stade. Cette architecture n’est pas vraiment de mon goût, mais qu’importe mon goût personnel puisque de grandes compétitions internationales peuvent être accueillies.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Puisque j’ai dit que je n’aurais pas grand-chose à montrer de Varsovie, poursuivons notre route. Après Varsovie, la route normale et directe vers Grodno, en Biélorussie, se dirige vers Białystok. Mais pour cette fois-ci, nous avons décidé de piquer sur le nord-est, d’entrer en Lituanie vers Druskininkai que nous aimons bien (nous n’y sommes plus retournés depuis que j’ai ouvert mon blog, de sorte que je n’en ai encore pas parlé), et là, plein sud à une trentaine de kilomètres, nous serons arrivés à Grodno. Cette route nous fait passer par Augustów, où nous nous arrêtons un petit moment auprès du lac. Lors de la dernière grande glaciation, celle de Würm il y a entre quatorze et vingt-trois mille ans, un vaste glacier a recouvert la région. En se retirant, il a modelé le paysage avec des collines et a laissé de nombreux lacs dont celui-ci.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Il y a également un long canal qui franchit la frontière de Biélorussie. Mais les formalités douanières sont tellement compliquées dans cette “dernière dictature d’Europe” que les petites embarcations de promenade restent chacune dans son pays.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Oui, je sais, c’est enfantin de rester dix minutes sur place pour voir ouvrir l’écluse. Eh bien tant mieux, si je rajeunis! Et puis les vaches regardent bien passer les trains, il serait présomptueux de ma part de me croire supérieur à elles.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Et nous voici dans l’extrême nord-est de la Pologne, à deux pas de la frontière lituanienne (avec des bottes de sept lieues parcourant 28 kilomètres à chaque pas, ça fait même un petit peu plus d’un pas), la petite ville de Sejny (prononcer Seill’ny), avec ses six milliers d’habitants, mérite que l’on s’y arrête. C’est la ville où a vu le jour Vincas Kudirca (1858-1899), l’auteur de l’hymne national lituanien.

 

Lorsqu’au Haut Moyen-Âge des tribus baltes, Sudoviens et Prussiens (que souvent, à tort, on croit être des Germains), ont déferlé vers le sud et l’ouest le long de la mer Baltique, les Prussiens ont poursuivi leur route tandis que les Sudoviens, aussi appelés Yotvingiens, se sont installés dans la région où nous sommes. Ces peuples, au treizième siècle, sont encore païens. Les chevaliers de l’Ordre Teutonique, cet ordre militaire chrétien né à Jérusalem et qui convertit par les armes ou réduit en esclavage les non-chrétiens considérés comme des sous-hommes, s’attaquent à nos Sudoviens. La violence est telle que le pays est quasiment dépeuplé.

 

Hedwige d’Anjou est l’une des filles de Louis Ier de Hongrie et de Pologne, mais à la mort de son père la noblesse de Pologne qui veut se rendre indépendante de la Hongrie désigne la cadette, Hedwige, “roi de Pologne” (et non “reine”, ce qui aurait signifié seulement “épouse du roi”. Le grand-duc de Lituanie Jogaila Algirdaitis se convertit au christianisme et se fait baptiser du nom de Ladislas pour épouser Hedwige en 1386 Quand la reine meurt quatre jours après avoir donné naissance à une fille, qui elle-même ne vivra même pas trois semaines, Ladislas restera seul roi de Pologne et grand-duc de Lituanie. Lituanie et Pologne sont réunies, la dynastie des Jogaila (en polonais Jagiełło, en français Jagellon) est née.

 

Pour l’ordre teutonique, il ne peut plus être question de conversion puisque le souverain est chrétien, mais de pouvoir: il y a guerre de rivalité. En 1410, à la bataille de Grunwald, plus de treize mille Teutons sont tués, et pour récompenser ses meilleurs chevaliers Ladislas leur donne des terres. Trois d’entre eux –mais peut-être est-ce une légende– reçoivent des terres où ils créent Sejny. On raconte que, parce qu’ils étaient vieux, ils ont choisi un nom en rapport avec le latin senex (vieux), senium (le grand âge), d’autant plus que le lituanien dit senas (vieux). Pour les linguistes, le S initial, Š en lituanien, et le groupe EI (orthographié EJ) prouvent une origine yotvingienne. Bref, que ces terres aient été données à des vétérans ou non, et que le nom soit d’origine latino-lituanienne ou non, Sejny est née au début du quinzième siècle, là où depuis quelques siècles se trouvaient des habitats dispersés.

 

En 1523, le hetman (chef militaire) fait construire un manoir de bois, autour duquel le village se développe. En 1602 Sejny acquiert le statut de ville. Une nouvelle route menant vers Grodno développe le commerce qui enrichit la nouvelle ville. Quand, en 1603, le propriétaire de la ville meurt sans héritier, il lègue par testament tous ses biens aux Dominicains de Vilnius, lesquels entreprennent la construction d’un monastère achevé en 1619, puis d’une église dédiée à la Vierge Marie. C’est celle que nous voyons ci-dessus.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Le monastère, lui, n’a pas cessé de se développer, et la ville autour de lui. C’est devenu l’un des plus remarquables exemples de monastère fortifié d’Europe Centrale. En ville s’installe une imprimerie, peut-être un hôpital. Mais en 1656, lors de la guerre avec la Suède, les Suédois prennent la ville, la pillent, y mettent le feu et la réduisent en cendres, hormis le monastère. La guerre finie, les moines reviennent, reconstruisent Sejny et tentent, pour la repeupler, d’y faire venir des gens de régions surpeuplées. Et puis voilà le début du dix-huitième siècle avec sa Grande Guerre du Nord qui signifie le retour des pillages et des destructions. Mais en parallèle avec ces destructions, naissent d’autres agglomérations. Des moines créent un monastère là où naîtra la ville de Suwałki, Krasnopol apparaît, et aussi Augustów, d’où nous venons. Nos moines se remettent à l’ouvrage pour reconstruire Sejny, majoritairement en style baroque. Une nouvelle façade est construite pour l’église.

 

1794. Le dernier partage de la Pologne… Sejny est rattachée à la Prusse, et en 1797 perd toute autonomie. Tous les biens du monastère sont confisqués, les bâtiments sont transformés en locaux consacrés à l’éducation. Mais en 1807 la ville est rattachée au duché de Varsovie et après la défaite de Napoléon en 1815 elle est rattachée au royaume de Pologne. En 1818 l’évêché de Wigry transfère son siège à Sejny et un séminaire y est ouvert, qui fonctionnera de 1823 à 1919. La ville est prospère, sa population s’accroît. Mais aux termes du Congrès de Vienne en 1815 après les défaites napoléoniennes, avait été créé un Royaume de Pologne (que les Polonais appelaient Royaume du Congrès), autonome mais rattaché à l’Empire Russe, et auquel appartenait Sejny.

 

En 1830, après la Révolution de juillet en France, survient également en Belgique une révolution, que le tsar envisage de faire mâter par l’armée polonaise, chose impensable et inadmissible pour les patriotes polonais: l’armée se révolte contre le tsar, c’est le “Soulèvement de novembre”, sévèrement réprimé par le tsar, avec entre autres mesures le rétablissement de droits de douane avec la Russie, ce qui donne un sérieux coup de frein à l’économie. Passent un peu plus de trente ans, le tsar veut réquisitionner des Polonais pour les incorporer dans l’armée russe. En janvier 1863, est publié un manifeste qui appelle au boycott de la conscription. C’est le “Soulèvement de janvier” dont la conséquence sera la pendaison des chefs, l’envoi en Sibérie d’un bon nombre de meneurs, et une action de russification à outrance. Ce qui poursuit le déclin de Sejny (entre autres villes).

 

Après la Première Guerre Mondiale, la Pologne acquiert son indépendance, mais la région où nous sommes va être tiraillée entre Pologne et Lituanie, dans une véritable guerre, avant d’être finalement rattachée à la Pologne, et d’y subir la répression. Le monastère n’est plus un séminaire, mais le lycée classique Saint-Casimir. Après la Seconde Guerre Mondiale, le pouvoir communiste s’installe, et le monastère héberge une école, une maison de la culture, une bibliothèque. En 1975, pour la cérémonie du Couronnement de la Mère de Dieu, viennent ici le primat de Pologne Monseigneur Wyszynski et le métropolite de Cracovie, un certain Karol Wojtyła, futur pape Jean-Paul II. En 1989, à la fin du régime communiste en Pologne, l’Église rentre en possession de ses biens, dont le monastère, dont la rénovation est entreprise.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

En 1925, nouveau coup dur pour la ville, l’évêché quitte Sejny. Ci-dessus, une photo du palais de l’évêque, où la plaque porte l’indication 1818-1925. Passons sur la terrible époque de la Seconde Guerre Mondiale, et malgré la pesante main du communisme posée sur le pays pendant les années d’après-guerre l’activité de Sejny reprend, son dynamisme dopé notamment parce que l’URSS transfère vers la Pologne, et cette région en particulier, nombre de Polonais qui vivaient dans des régions désormais intégrées à l’Union Soviétique, comme la Biélorussie et la Lituanie. Évidemment, depuis la libéralisation des années 1990 les échanges se sont accrus, surtout après l’intégration dans l’Union Européenne et l’adoption de l’Euro, faisant de Sejny une petite ville prospère.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Ah, avec une histoire tellement agitée, Sejny a bien besoin d’être protégée! Avec leur goût pour la sculpture, et la sculpture en bois plus particulièrement, les gens du cru ont décoré les abords du monastère, par exemple avec cet ange qui vient d’atterrir, avec ses grandes ailes encore déployées vers le Ciel qui l’a envoyé.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013
Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Tout près, il y a aussi cette chapelle dédiée à sainte Agathe. De loin, je croyais que là-haut cette statue représentait un homme, mais brandissant sa palme du martyre, c’est bien la vierge de Catane à qui on a ôté la vie en la roulant nue sur des braises ardentes (voir mon article Catane: 3 églises pour sainte Agathe, daté du 14 septembre 2010). On attribue à cette sainte le miracle d’avoir arrêté à temps la lave de l’Etna qui coulait vers Catane. Les braises de son supplice, la lave du volcan: on comprend que sur le socle de cette statue soient gravés quelques mots signifiant “Sainte Agathe, patronne des incendies”. Car on a vu comment plusieurs fois dans l’histoire la ville de Sejny a été prise, pillée puis incendiée. Les habitants ont donc choisi Agathe comme sainte patronne de leur ville, afin d’être protégés de nouvelles destructions par le feu. Il existe cependant un corps de sapeurs-pompiers pour donner à Agathe un coup de main en cas de besoin…

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Dans les siècles passés, bien des pays chrétiens ont refusé les Juifs. L’Italie, où se trouvaient les États du pape, l’Espagne d’Isabelle la Catholique, qui les a chassés en 1492-1493, la France “Fille aînée de l’Église”, etc. On sait qu’ils ont été accueillis par le sultan dans l’Empire Ottoman, mais la Pologne et la Lituanie, pays chrétiens, en ont accueilli volontiers un grand nombre qui se sont installés et ont vécu longtemps sans problèmes. Le monastère dominicain a même favorisé et aidé cette installation. À Sejny, une petite communauté juive s’est établie au dix-huitième siècle autour d’une première synagogue en bois. Une synagogue baroque en pierre, la Synagogue Blanche de ma photo ci-dessus, est bâtie en 1885. En 1931, la communauté juive compte 819 personnes, soit vingt-quatre pour cent de la population. Ce sont des commerçants, des artisans et, après la construction du canal d’Augustów, ils se lancent dans le transport du bois.

 

Le 24 septembre 1939, l’URSS s’empare de Sejny et la pille puis, le 13 octobre de la même année, la livre à l’Allemagne en vertu du pacte germano-soviétique. On imagine comment les Nazis s’en sont donné à cœur-joie: il n’y a quasiment plus de Juifs à Sejny, et la synagogue sert de champ de tir d’entraînement. L’Armée Rouge entre dans la ville le 31 août 1944, et à la fin de la guerre les Soviétiques la remettent entre les mains du nouveau pouvoir communiste inféodé à Moscou. La synagogue est transformée en usine d’engrais chimiques, ce qui contribue grandement à sa détérioration. Des travaux de restauration seront entrepris de 1978 à 1987. Aujourd’hui, elle est le siège d’événements culturels.

Varsovie, Augustów, Sejny. 3 et 4 août 2013

Et avant de quitter Sejny, jetons un coup d’œil sur ce bâtiment qui abrite la bibliothèque municipale et un centre culturel.

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7 septembre 2016 3 07 /09 /septembre /2016 23:55

Notre deuxième musée berlinois sera le Neues Museum (Nouveau Musée), avec son immense département d’Égyptologie, dominé par cette illustrissime Néfertiti. Quand j’étais enfant déjà, j’admirais le portrait de cette reine du musée de Berlin que je n’avais jamais visité, tellement que mes parents m’avaient offert une reproduction, un petit buste du Louvre que j’ai toujours. Et dans ce merveilleux musée la photo est autorisée partout, sauf… pour Néfertiti. Et cela m’attriste beaucoup. Bah, tant pis, il y a beaucoup d’autres merveilles dont je peux parler aujourd’hui.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Quand on parle de l’Égypte antique, on pense immédiatement momies. Ce n’est sans doute pas le plus intéressant, mais cela fait que je me sens obligé d’en montrer. Deux momies de chats et une momie de bébé crocodile, puisque certains animaux étaient divinisés, c’est-à-dire qu’ils étaient des incarnations de dieux.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Les Allemands reconstruisent des bâtiments entiers, comme le grand autel de Pergame, la porte du marché de Milet, la porte d’Ishtar de Babylone, comme nous l’avons vu dans mes précédents articles. Ici, ce sont plusieurs tombes égyptiennes qui sont reconstituées, comme ci-dessus celle de Methen, qui est un gouverneur de district de l’Ancien Empire, quatrième dynastie, soit vers 2600 avant Jésus-Christ (je le montrerai tout à l’heure, quand nous verrons des sculptures).

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Comme on l’a vu sur la photo de la tombe, ses murs sont couverts de reliefs. Ce sont des images précieuses pour imaginer la vie en Égypte il y a plus de quatre millénaires et demi.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Celle de Methen n’est pas la seule tombe reconstruite, et toutes comportent des scènes intéressantes et très variées. Les photos ci-dessus proviennent de deux autres tombes. Je ne sais où ces deux hommes mènent ce taureau, ni si sur la seconde photo cet homme sacrifie un petit animal, mais il est sûr que les égyptologues peuvent en tirer des conclusions instructives. Hélas, il y a tant et tant d’images qu’il est impossible pour le musée de détailler chacune d’entre elles pour le visiteur.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Quelques sculptures. Et nous commençons par la plus ancienne, cette femme portant son bébé. Elle est en ivoire et remonte aux alentours de 3000 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Cette tête de statue en basalte, quant à elle, date de l’Ancien Empire, cinquième dynastie, c’est-à-dire aux environs de 2500 avant Jésus-Christ. Une facture et un poli remarquables, un regard saisissant.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce monsieur Methen de la tombe que nous avons vue tout à l’heure, le voici. Il est en granit rose et, comme je le disais, il est mort vers 2600 avant Jésus-Christ. Il est amusant de constater que l’artiste qui l’a sculpté a eu quelques déboires avec ses pieds: son pied gauche (à droite sur l’image) n’a que quatre orteils, tandis que sur l’autre pied le cinquième petit orteil a bien du mal à trouver sa place, jumelé avec le quatrième.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

À peine plus récent est ce couple de granit rose, Ancien Empire, cinquième dynastie, vers 2400 avant Jésus-Christ. On en connaît les noms, ils sont Dersenedj et sa femme Nefretka.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Quoique ses jambes soient brisées, on voit clairement que cet homme marchait. Cette statue de gneiss, qui provient de Memphis, se situe dans le même temps que le couple de la précédente sculpture, vers 2400 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce gobelet me fait complètement changer de sujet. D’abord, ce n’est qu’une copie en vermeil (argent doré) d’un original en or. Ensuite, il fait partie de ce que Schliemann a découvert en fouillant le site de Troie, mais à un niveau correspondant au milieu du troisième millénaire avant Jésus-Christ, alors qu’il croyait être plus d’un millénaire plus tard, à l’époque de la Guerre de Troie, appelant alors “Trésor de Priam” la merveilleuse collection de huit mille huit cent trente bijoux, armes, vaisselle en or et en argent qu’il avait mise au jour, qu’il avait ensuite acquise pour son compte personnel en payant trente mille francs or, et à laquelle appartient l’original de ce gobelet. Par la suite, il a souhaité en faire un don “à perpétuité et indivisible” à l’Allemagne. On sait que lors de la Seconde Guerre Mondiale, en 1945, l’URSS s’est approprié ce trésor exposé au musée Pouchkine de Moscou; peu d’objets, depuis, sont revenus à Berlin, alors que selon les lois internationales –paraît-il– ce butin de guerre est illégal.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Refermons la parenthèse et revenons en Égypte, à Abu Gurob, au temple du Soleil de Niuserrê. C’est de là que proviennent ces fragments de reliefs peints sur calcaire. Nous sommes de retour à l’Ancien Empire, cinquième dynastie. Ils sont des environs de 2430 avant Jésus-Christ et, comme les reliefs des tombes tout à l’heure, ils nous montrent la vie quotidienne, ici des pêcheurs dans le Nil et deux hommes avec des oies. Il paraît que les décors représentent des paysages de Karnak, d’Edfou, de Philae, d’Abou Simbel.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Nous avons vu des activités humaines, ici c’est la vie animale, l’accouplement de deux cervidés, ou encore l’envol d’un groupe d’oiseaux.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ces scènes sont si expressives (et elles sont d’autant plus admirables si on les replace en leur troisième millénaire) que je ne résiste pas à en montrer trois de plus, ces cervidés marchant paisiblement, ce petit mammifère que je n’identifie pas bien, et puis ces hommes occupés à fabriquer une pirogue en papyrus.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Le moment est venu d’avancer dans le temps. Nous voici au Moyen Empire, douzième dynastie, vers 1900 avant Jésus-Christ. Ce papyrus contient un texte funéraire en hiéroglyphes, avec les illustrations, pour le cercueil d’un certain Sedech.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Nous sommes toujours au temps du Moyen Empire, de la douzième dynastie de pharaons, entre 1950 et 1900 avant Jésus-Christ pour cette jeune femme en train de marcher. Elle est en bois et provient de Thèbes ouest.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ces deux sculptures représentent le même pharaon Amenehmet III, de la douzième dynastie (donc de la même époque que la jeune femme que je viens de montrer). La sculpture où il est en pied, taillée dans de la dolérite, le représente en train de prier, ce que nous indique la position de ses mains. Il est difficile de la situer dans son règne, entre 1840 et 1800 avant Jésus-Christ, tandis que la seconde, en granit, le montre jeune, aux alentours de 1840. Dans les deux cas, il porte le nemès, qui est la coiffe des pharaons.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

C’est de Shed-es-en-mut que provient cette boîte à shabti, ces figurines représentant les serviteurs chargés, dans l’au-delà, de remplacer le défunt pour toutes les tâches pénibles et les travaux du quotidien. La boîte est décorée de ce dessin représentant le défunt face à trois déesses. Nous sommes désormais dans le Nouvel Empire, entre 1540 et 1075 avant Jésus-Christ. La fourchette est trop vaste pour que l’on puisse indiquer un numéro de dynastie.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce pectoral se situe dans la même fourchette de dates, 1540-1075, que la boîte à shabti. Il est en faïence avec des inserts de pierre rouge et provient de Memphis. Il appartenait au scribe royal Nebua. Bien sûr, ces gens que je nomme, ici ou précédemment, sont de parfaits inconnus, mais je trouve émouvant que leur nom ne se soit pas perdu, car ainsi ce que je vois, la statuette, le bijou, ne sont plus de simples objets de musée, mais prennent vie, acquièrent de la consistance. Je ne sais si mon sentiment est partagé…

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce pharaon est Amenhotep II, Nouvel Empire, dix-huitième dynastie, vers 1425 avant Jésus-Christ. Ce n’était pas une sculpture de buste, mais une statue en pied qui est aujourd’hui brisée. Elle est en quartzite et provient de Wad-Ban-Naga (Soudan).

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce gros plan d’un relief (en calcaire polychrome) du pharaon Sethi Ier décore un fragment de pilier de sa tombe, à Thèbes ouest. Nous sommes toujours dans le Nouvel Empire, mais plus tard, car Sethi appartient à la dix-neuvième dynastie, il a régné de 1294 à 1275 avant Jésus-Christ (il est le père du célèbre Ramsès II), et ce relief est daté des environs de 1290.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Et maintenant, une belle série de statuettes en bois. Commençons par un pharaon mal identifié, Akhenaton ou Toutankhamon, en tous cas de la dix-huitième dynastie, vers 1340-1330 avant Jésus-Christ. En bois, oui, et avec des accessoires en or.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Je disais tout à l’heure l’importance, pour moi, de ce qui fait revivre une époque en la sortant des livres d’histoire. Et voici qu’apparaît ici une jeune fille portant un chaton dans ses bras. Elle vient d’Abusir-el-Meleq et date de la dix-huitième dynastie, vers 1380 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Pour ces deux statuettes je dispose de bien peu d’informations, mais je les présente quand même parce que je les aime beaucoup. La première serait une princesse ou une reine de la dix-huitième dynastie et provient du palais de Kôm Medînet Ghurab. La seconde, d’une grande finesse, est une servante (elle est nue et a le crâne rasé), peut-être de la reine Tiyi; elle a été acquise à Thèbes, où elle a sans doute été trouvée, et semble appartenir à la fin de la dix-huitième dynastie. Comme on le voit, son avant-bras gauche est brisé, et l’on suppose qu’il portait une boîte à cosmétiques.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Nous avons vu Sethi Ier, j’ai évoqué son fils Ramsès II, voici maintenant le fils de Ramsès II, le prince Khaemwase, dont la tête est en quartzite. Du fait de sa filiation, il est évident qu’il appartient au Nouvel Empire, dix-neuvième dynastie. Cette sculpture, elle, date des alentours de 1260 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Joli chapeau, n’est-il pas vrai? Peut-être légèrement encombrant pour passer les portes… Ce couvre-chef en or repoussé, des environs de l’an 1000 avant Jésus-Christ, était utilisé pour les cérémonies par un souverain ou par un prêtre. Il convient d’interpréter sa décoration, dit le musée, comme un calendrier. Son origine est inconnue, même si l’on suppose qu’il pourrait provenir du sud de l’Allemagne.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Cette fois-ci nous faisons un grand saut dans le temps, nous arrivons à la vingt-sixième dynastie, entre 664 et 525 avant Jésus-Christ. Cette représentation de la déesse Isis assise et tenant Horus sur ses genoux est en faïence et nous vient de Thèbes ouest.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Tout à l’heure, j’ai quitté l’Égypte pour Troie, en Asie Mineure. Et je quitte de nouveau l’Égypte pour Chypre. La grande déesse de l’île est Aphrodite, ici taillée dans une pierre calcaire et provenant du district de Nicosie. Elle date du troisième quart du cinquième siècle avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Nous voilà de retour en Égypte, Cette tête d’homme taillée dans du greywacke, cette pierre égyptienne, est appelée la “Tête verte de Berlin”. Elle est très tardive, de la trentième dynastie, vers 350 avant Jésus-Christ. Le pays est encore indépendant, mais plus pour très longtemps car son conquérant, Alexandre le Grand, est déjà né. Il est de 356, et je ne risque pas de l’oublier car lui et moi nous avons jour pour jour 2300 ans de différence. Une paille!

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce couvercle de sarcophage en granit noir, avec son grand sphinx gravé, abritait la dépouille de Djehapimu, officier des comptes royaux. Il est lui aussi antérieur à la conquête d’Alexandre, bien que sa datation soit assez vague, entre 746 et 332 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ce papyrus de Thèbes contient des hymnes à Osiris, le dieu des morts. Il est des alentours de 320 avant Jésus-Christ, au tout début de l’époque ptolémaïque puisqu’Alexandre est mort en 323. En fait, quand je disais que le pays avait perdu son indépendance, ce n’était qu’à moitié vrai. Car après la mort du conquérant, c’est la dynastie gréco-macédonienne des Ptolémée qui a régné sur le pays. Des pharaons étrangers, donc, mais le pays n’était inféodé à aucun autre. Ce sont les Romains qui vont le coloniser, puis l’intégrer à leur empire. La dernière souveraine en aura été Cléopâtre VII, morte suicidée le 12 août 30 avant Jésus-Christ. Reine d’Égypte, mais pas égyptienne, même si, d’après les monnaies, elle n’avait pas le “nez grec”. Ah oui, le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court… Pascal n’aurait sans doute pas eu la même pensée si Cléopâtre eût été égyptienne avec un autre nez…

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Si ce papyrus remontait au premier Ptolémée, cette tête de granit rose est celle de Ptolémée X, tout à la fin du deuxième siècle avant Jésus-Christ. En effet, ce charmant homme qui a fait assassiner sa mère parce qu’il la trouvait trop influente a régné sur l’Égypte de 107 à 88 avant Jésus-Christ.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Ici, on ne sait pas qui était représenté dans cette tête d’homme barbu sculptée dans un granit sombre, mais elle est de l’époque ptolémaïque tardive, au premier siècle avant Jésus-Christ. Jusqu’à présent, même lorsqu’il s’agissait de sculptures ptolémaïques, je les trouvais nettement égyptiennes dans le style, mais ici quoique nous soyons encore un peu avant la conquête romaine l’art égyptien a perdu sa personnalité.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013
Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

La perte de personnalité dans l’art de la statuaire ne signifie pourtant pas que les us et coutumes du pays aient été abandonnés du jour au lendemain. Même après la conquête romaine, même à l’ère chrétienne, on continue de momifier les défunts comme on le fait depuis des millénaires. La momie est recouverte d’un masque qui n’est pas seulement décoratif, pour cacher le visage enveloppé de bandelettes, il sert aussi à identifier le défunt. Ci-dessus, les trois masques funéraires de momies sont du premier siècle de notre ère. Le premier, pour cette jeune femme, est fait de stuc sur lin. Pour le second, en carton peint et doré et en faïence, le musée nous dit que cet homme était Pasyg, Eschine en grec. Et puis le troisième, celui de cette femme aux poignets ornés de bracelets en forme de serpents, il est comme le premier en stuc sur lin.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Cette statue d’oracle de la déesse Isis nous vient de la Villa Hadriana à Tivoli, près de Rome. Mais on sait que l’empereur Hadrien, qui a passé plus d’années à voyager sur les terres de son Empire qu’à résider à Rome, aimait l’Égypte, qu’elle lui rappelait aussi son favori Antinoüs qui y était mort noyé dans le Nil, et qu’il en avait importé nombre d’œuvres d’art pour embellir sa Villa de Tivoli. Cette Isis de marbre noir sculptée vers 130 après Jésus-Christ (Hadrien a régné de 117 à 138) est donc bien égyptienne.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Nous sommes désormais résolument dans l’ère chrétienne, en 805 après Jésus-Christ. Cette pierre tombale copte a la particularité d’utiliser deux computs pour la date. D’une part, les années écoulées après l’empereur Dioclétien, qui avait pris le pouvoir en 285, avait abdiqué en 305, était mort en 311: l’année 515, …qui ne permet de trouver 805 additionnée à aucune des trois dates indiquées ci-dessus pour cet empereur. D’autre part, l’année des Sarrasins 189. Quand je cite l’année 805, c’est en me fiant à ce qu’en dit le musée. Mais si je considère que l’Égypte a été prise par les Musulmans en 639 et que Dioclétien est mort en 311, en ajoutant 189 au premier chiffre et 515 au second, je trouve 828 et 826, deux résultats assez proches l’un de l’autre. Cependant, ignorant tout de ce que sont les computs depuis Dioclétien et depuis les Sarrasins d’Égypte, je me garderai bien de supposer prétentieusement que le musée s’est trompé! Il reste que cette pierre tombale copte, avec ses deux computs, est originale.

Le Neues Museum à Berlin. 1er août 2013

Et pour terminer, une pierre tombale juive. Car depuis fort longtemps, bien avant le Christ, des Juifs s’étaient établis en Égypte. Les oublier ici serait donc fausser l’histoire du pays. Mais pour cette dernière image je ne me réfère pas à l’antiquité: Cet Eliezer, fils de Moïse, est mort le 6ème jour, 9ème AV 107. Le musée traduit 17 juillet 1347. Ce que je sais c’est que la semaine juive commence le dimanche (chacun sait que le septième jour, celui où Dieu s’est reposé de la création, est le Sabbat, le samedi) et donc que le sixième jour est un vendredi. Et par ailleurs Av est le cinquième mois de l’année. Fort bien. Mais je me connecte sur Internet, je trouve un site qui traduit les dates chrétiennes en dates juives et inversement, je lui soumets le 17 juillet 1347, et il me donne le 23 Eloul 5775. Si le jour et le mois sont différents, j’en ignore la cause, mais de plus je ne vois pas comment la pierre peut donner une année 107, qui ne correspond même pas aux cycles de 50 ans. Je ne comprends donc rien à tout cela, mais ma photo présente une pierre tombale juive du quatorzième siècle. N’ergotons pas et mettons le point final.

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4 septembre 2016 7 04 /09 /septembre /2016 23:55
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

De nombreux lieux de fouilles archéologiques au Moyen-Orient ont été confiés à l’Allemagne. Et les musées de Berlin aiment les reconstructions monumentales. Nous avons vu, dans mon précédent article, le grand autel de Pergame et la porte du Marché de Milet. Cette fois-ci nous sommes plus loin à l’est. Le monument de ma photo ci-dessus provient de Babylone, c’est la porte d’Ishtar (604-562 avant Jésus-Christ). Les fouilles allemandes de 1899-1917 ont mis au jour des éléments des constructions qui constituaient l’entrée est de la ville, ainsi que le plan de leur soubassement, et ce n’est que la plus petite porte (qui mesure quand même quinze mètres!) qui a été apportée à Berlin. Ou du moins ce qui en a été retrouvé, parce que la reconstruction intègre des parties modernes. Quant aux céramiques de surface, elles sont un assemblage de fragments de carrelages.

 

Il se trouve que Babylone est en Irak. Un pays où le nombre des sites archéologiques dépasse tout ce que l’on peut imaginer, mais qui a connu tant de troubles depuis quelques dizaines d’années que la recherche archéologique a été mise au second plan, l’essentiel étant la survie et l’immédiat. Il y a eu la guerre Iran-Irak dans les années 1980, puis l’embargo dans les années 1990, la guerre américaine qui a détrôné Saddam Hussein en 2003… On estime que trente-cinq pour cent des sites ont été endommagés, voire complètement détruits pour certains d’entre eux. Ajoutons que le musée national de Bagdad a été pillé au moment de la guerre, et que dix mille objets n’ont toujours pas été récupérés, tandis qu’à travers le monde le marché parallèle (évidemment illicite) d’antiquités irakiennes est en pleine effervescence.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Les deux motifs ci-dessus, on s’en est rendu compte, sont des détails de la décoration de cette porte d’Ishtar de Babylone. Le taureau représente Adad, le dieu du temps (la météo, pas la durée). L’animal fabuleux qui alterne sur le mur avec les taureaux est un Much-huch-chu, comme l’appelaient les Babyloniens, c’est-à-dire un dragon constitué de la tête et du corps d’un serpent monté sur des pattes antérieures de lion et des pattes postérieures d’oiseau avec des serres, et doté d’un dard de scorpion au bout de la queue. Cette charmante bestiole représente le dieu Marduk, ce grand dieu qui veille sur Babylone.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Lorsqu’on pénétrait dans le palais de Babylone, arrivant à la troisième cour on se trouvait face à la salle du trône dont le mur, de 56 mètres de large, était recouvert de ces céramiques bleues qui, ici, alternent taureaux et lions. Surtout des lions, selon la tentative de reconstruction qu’a réalisée le musée à partir de carrelages épars. Nous sommes dans la même fourchette de dates, 604-562 avant Jésus-Christ, que pour la Porte d’Ishtar.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Ces reconstructions monumentales m’ont poussé à commencer par elles, mais je préfère, maintenant, en venir à un plan chronologique, qui permet de voir le mouvement d’évolution de la société et de sa culture. Et, même si généralement je ne publie que des originaux, je fais une exception pour cette merveilleuse “Dame de Warka”, qui n’est qu’un moulage de l’original qui est à Bagdad et remonte à 3500-3300 avant Jésus-Christ.

 

Cette sculpture provient d’Uruk, aujourd’hui Warka dans le sud de l’Irak. C’est un Allemand, Arnold Nöldeke (1875-1964), qui était chargé des fouilles. Le 26 février 1939, il écrit: “Nous avons […] fait une découverte qui peut dépasser toutes les découvertes mises au jour jusqu’à présent. C’est une tête féminine en marbre blanc qui est presque de taille naturelle. Il faut imaginer l’objet attaché peut-être à une statue de bois habillée dont les mains et peut-être aussi les pieds étaient de même en marbre”.

 

William Kenneth Loftus, un Anglais, redécouvre Uruk en 1849 et entreprend de petites fouilles en 1854, mais c’est dans l’hiver 1912-1913 que les Allemands, qui ont déjà ouvert des chantiers à Babylone, à Assur et en quelques autres endroits systématisent des fouilles approfondies à Uruk. Survient la guerre, les travaux sont interrompus. Ils vont reprendre en 1928, et c’est de nouveau la guerre qui va les interrompre en 1939. La guerre passée, les fouilles recommencent mais le chantier est si immense, la richesse archéologique est telle, qu’à la fin de la campagne de fouilles de 2002, lorsque survient la guerre contre le régime de Saddam Hussein en mars 2003, on estime que seuls 4,5 pour cent de la ville ont été mis au jour. En effet, malgré toutes ces années de recherche, les campagnes sur le terrain ne duraient que deux à quatre mois d’hiver, le reste du temps étant consacré à l’étude, en Allemagne, de ce qui avait été trouvé l’hiver précédent. Par chance, avec l’aide du gouvernement, des familles locales veillent sur le site, de sorte qu’il a pu jusqu’à présent être préservé du pillage que connaissent les autres sites archéologiques irakiens. Plus de quarante mille objets archéologiques, dont treize mille huit cents tablettes de terre cuite inscrites, ont été mis au jour, ouvrant la voie à une meilleure connaissance de la vie quotidienne, des structures sociales et administratives en Mésopotamie sur une plage de temps de cinq mille ans. Cette “Dame de Warka” est, comme je l’ai dit, à Bagdad, mais nous allons voir ici à Berlin des objets en provenance d’Uruk car jusqu’en 1969 la loi locale autorisait le fouilleur à s’approprier un certain pourcentage de ses découvertes.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Provenant également d’Uruk, et elle aussi très ancienne (vers 3000 avant Jésus-Christ), cette tête de bélier en calcaire faisait probablement partie d’une frise murale. D’autres têtes comme celle-là ont été trouvées, toutes forées d’un trou sur la face arrière, c’est ce qui fait penser qu’elles étaient fixées sur la surface d’un mur. Elles sont cornues ou sans cornes, mais jamais regardant de face, tournées tantôt vers la droite, tantôt vers la gauche.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Sceau de terre cuite provenant d’Uruk et datant de 3300-3000 avant Jésus-Christ. Le musée propose un intéressant dessin censé représenter les reliefs du sceau (et non pas son empreinte, qui serait inversée). On y voit le souverain, habillé d’une longue robe, tenant sa lance à la main, et en face de lui, nus, des esclaves soumis ou des prisonniers aux mains liées.

 

Dans la structure sociale d’Uruk, le souverain est investi de responsabilités politiques, militaires et religieuses, et cette prééminence apparaît dans les textes aussi bien que dans les représentations, comme sur le sceau ci-dessus. En ce quatrième millénaire, où des changements climatiques ont provoqué des inondations dans le sud de la Mésopotamie, créant de vastes espaces propres à la culture de céréales et à l’élevage, l’organisation de la vie commence à regrouper les individus en habitats de plus en plus étendus, donnant au milieu du quatrième millénaire naissance à ce que l’on appelle des villes. C’est une nouveauté, car ailleurs –ou auparavant– les chasseurs-cueilleurs, ainsi que les premiers agriculteurs, vivaient en très petites communautés. Mais cette structure urbaine inventée par Uruk nécessite des constructions, et le creusement de canaux d’adduction d’eau pour pourvoir aux besoins de la population: alors qu’auparavant chacun pourvoyait à ses propres besoins et à ceux de ses proches, voire à ceux de son clan, désormais une catégorie va devoir travailler pour la communauté, et de là vont apparaître des classes sociales de manœuvres et d’esclaves. Les récipients, ustensiles, vêtements tissés, lampes, bijoux, etc., ne sont plus fabriqués par chaque famille, mais sont produits en grand nombre par des artisans. Dans les campagnes, les productions ne visent plus à nourrir la famille ou le clan, mais sont envoyées à la ville. Pour contrôler les produits, gérer les échanges, percevoir les taxes, apparaît une administration qui grandit très vite. Tous ces changements sont donc le résultat de l’urbanisation née à Uruk: vers l’an 3000, Uruk est gigantesque, couvrant plus de 5,5 kilomètres carrés et comptant quarante ou cinquante mille habitants.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cet homme, dont le corps est en cuivre et dont les inserts pour les yeux ont disparu porte dans ses bras un animal destiné au sacrifice, et sa main droite tenait le couteau. Il est des environs de 3000 avant Jésus-Christ.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Parmi les nombreuses statuettes d’une vitrine, j’en ai regroupé quatre sur une même image. À gauche, cette femme est en argent avec des inserts pour les yeux, et elle remonte au milieu du troisième millénaire avant Jésus-Christ. Face à elle, ces guerriers de cuivre portant un petit tablier tenaient à l’origine des armes et les trous à la place des yeux prouvent que, comme cette femme, ils avaient des yeux insérés; ils sont des environs de 2000 avant Jésus-Christ. Parce qu’ils ont été acquis sur le marché de l’art et non pas trouvés par les archéologues travaillant en liaison avec le musée, on se borne à des conjectures sur leur origine: probablement les montagnes du Liban. Toutes ces statuettes pouvaient constituer des ex-voto déposés dans les temples ou être conservées dans les maisons particulières.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Il est frappant de constater que ces deux messieurs de terre cuite, qui sont du dernier quart du troisième millénaire sont légèrement postérieurs à la “Dame de Warka”, eux si rudimentaires, elle si belle et si élaborée… Ils constituent probablement des offrandes votives.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Nous sommes entre 2400 et 2100 avant Jésus-Christ pour ces deux têtes féminines en albâtre. Les inserts de pierre pour les yeux de la seconde sont impressionnants. Mais il faut noter que les orbites de cette sculpture sont toutes rondes; celles de la première sculpture étant beaucoup plus en amande l’effet n’était pas le même et ses yeux n’étaient pas aussi exorbités.

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Assur, vers 2400 avant Jésus-Christ. On a maintenant une bonne connaissance de l’ameublement et de l’équipement des autels grâce aux nombreux objets mis au jour lors des fouilles des temples d’Ishtar à Assur. Le long des murs intérieurs, sur des supports étaient placées les nombreuses statuettes qui ainsi représentaient leurs donateurs aux yeux de la déesse. Des représentations de maisons d’habitation servaient d’autels pour les sacrifices et l’on pouvait aussi y déposer des plats pour les offrandes ou pour y brûler de l’encens. Tel était l’usage des trois petites maisons qui figurent sur ma photo ci-dessus. Dans le temple, les archéologues ont également trouvé de grandes jarres où étaient constamment déposées les offrandes en nourriture fraîche et en boisson pour les besoins de la divinité.

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Cette plaque de terre cuite bénéficie d’un commentaire bilingue allemand-anglais. Ne parlant pas un mot d’allemand, je regarde immédiatement le commentaire en anglais, et je lis “beginning of the 2nd century”. Quoi? Début du deuxième siècle? Même sans être un spécialiste de la civilisation mésopotamienne, on voit immédiatement que c’est impossible. Or le commentaire allemand dit “Anfang 2. Jt. v. Chr.”. Depuis que je cours dans tous les coins de ce musée, j’ai au moins appris que lorsque je vois Jt. devant certains objets, c’est l’abréviation de Jahrtausend que je lis devant d’autres. Et sans être germaniste, il est aisé de rapprocher ce mot des deux mots anglais year et thousand, année et mille, donc millénaire. Bref, ce bas-relief est du début du deuxième millénaire avant Jésus-Christ. Il représente Ishtar, la grande déesse d’Uruk. On la voit ici en guerrière dans sa jupe de combat, avec son arc dans une main et dans l’autre une sorte d’épée en forme de faucille. Son animal attribut est le lion, et il l’accompagne ici, sous ses pieds. Devant elle, le symbole de la planète Vénus.

 

Je dis “Ishtar” parce que nous sommes au deuxième millénaire, mais cette même déesse, vers 3000 avant Jésus-Christ, on l’appelait Inanna, Reine des Cieux, et c’est vers le milieu du troisième millénaire qu’on lui attribue à Uruk le nom de son équivalent babylonien et assyrien, Ishtar. Sous l’un ou l’autre nom, elle préside à la guerre et à l’amour physique, deux rôles essentiels puisqu’il s’agit de protection du territoire et de fertilité, les conditions premières de la prospérité. C’est ainsi qu’elle a été honorée sur un très vaste domaine du Proche et du Moyen-Orient, et que son culte s’est perpétué jusque vers l’époque des Séleucides –l’héritage d’Alexandre le Grand–, au troisième ou au deuxième siècle avant Jésus-Christ.

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Nous restons dans le domaine religieux avec cette déesse ailée qui est représentée nue les pieds reposant sur deux chèvres, sur cette plaque de terre cuite de 2000-1600 avant Jésus-Christ. Les chèvres, le curieux casque sur sa tête, ne sont pas des attributs connus de telle ou telle divinité, mais on s’accorde généralement à reconnaître en elle cette fameuse Ishtar.

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Celui-ci c’est un homme, on ne le prendra pas pour Ishtar! D’abord sa localisation: Assur. Ensuite sa datation: première moitié du deuxième millénaire. Ce relief, qui avait déjà été brisé dans l’Antiquité, se trouvait au fond d’un puits, dans la cour du temple d’Assur. Ce dieu barbu qui nous regarde avec intensité porte dans chaque main une longue branche feuillue, et de part et d’autre de sa tête deux chèvres en broutent les feuilles. Deux petites déesses symbolisant l’eau se tiennent près de lui. Sans doute est-ce le dieu incarnant la cité, qui veille sur les deux éléments nécessaires à la vie de ses habitants, l’approvisionnement en eau et l’abondance des troupeaux et de la végétation.

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Cet homme, est-ce un dieu? Est-ce un simple mortel? On ne nous le dit pas, il n’est pas identifié. Mais ce bas-relief en céramique de quartz vitrifiée, c’est-à-dire en faïence, est du treizième siècle avant Jésus-Christ, donc très largement postérieur aux bas-reliefs précédents dont la facture artistique n’est en rien de qualité inférieure, mais d’une époque où l’on ignorait la technique de vitrification.

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Cette plaque de terre cuite date de 2000-1600 avant Jésus-Christ et provient d’Uruk. Ce qui se passe entre cet homme et cette femme ne nécessite, je pense, aucune explication. En revanche, il n’est peut-être pas évident à première vue qu’à travers cette paille plongée dans une jarre, la femme est en train d’absorber une drogue liquide. Et à partir de cette constatation, cette scène… osée, a priori rattachée au culte de la déesse Ishtar qui préside aux choses de l’amour physique, est peut-être plutôt une image de bordel. À moins que ce ne soit les deux à la fois, la représentation d’un lieu et d’activités qui sont sous la dépendance de la déesse.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Les sépultures sont, dans ces civilisations mésopotamiennes comme dans le monde hellénique, dans le monde romain, dans les civilisations du Moyen-Âge européen, une source inépuisable d’objets d’art et d’indications sur les modes de vie et les cultures car partout on a enseveli les morts avec les objets qui leur étaient chers, ou qui les définissaient, ou que la religion ou les coutumes imposaient, ou encore avec les offrandes qui doivent les accompagner dans l’autre monde. Ces trois boucles d’oreilles proviennent de tombes d’Assur, et datent de l’assyrien moyen (14ème/13ème s. avant Jésus-Christ). C’est la même époque que celle où s’est développée la civilisation mycénienne, et l’on peut comparer ceci avec les productions en or que nous avions vues dans les musées grecs et que j’ai publiées dans nombre de mes articles.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Ces curieuses têtes, dont la première est datée 2000-1600 avant Jésus-Christ et la seconde 1800-1600, nécessitent une explication. Elles représentent Humbaba et si la seconde présente toutes ces circonvolutions c’est parce qu’elle est faite d’intestins… Le musée commence par expliquer qu’au dos une inscription raconte que durant une cérémonie sacrificielle de divination par les entrailles de la victime, certaines formes particulières avaient prédit à l’Accadien Sargon la domination des Accadiens sur le pays; puis il donne une citation: “Si les circonvolutions de l’intestin ressemblent à la tête d’Humbaba, c’est un présage de Sargon qui a dominé le pays. [… Écrit de] la main de Marduk, devin, fils de Kubburum, devin”. Et ce démon Humbaba nous amène à l’épopée de Gilgamesh. Un extrait: “Humbaba – Sa voix est le déluge, sa parole est le feu et son souffle est la mort. […] Qui est-il, celui qui pourrait s’aventurer dans sa forêt? Qui, parmi les dieux des cieux, voudrait se mesurer avec lui? Adad est classé premier, mais il est le second. Pour protéger le cèdre, Enlil l’a engagé, pour être la peur et la terreur des hommes”.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Ci-dessus, deux représentations de la lutte de Gilgamesh et Enkidu contre Humbaba, la première en terre cuite remonte au 18ème/17ème siècle avant Jésus-Christ, la seconde beaucoup plus récente est en ivoire et date du neuvième ou du huitième siècle avant Jésus-Christ.

 

Nous voilà au cœur de l’épopée de Gilgamesh, née au début ou au cours du troisième millénaire, transmise par tradition orale jusqu’à ce que, vers 2100 avant Jésus-Christ, elle soit enfin écrite en langue sumérienne. Et puis voilà qu’au début du second millénaire apparaît une version en langue accadienne qui reprend des épisodes anciens et en ajoute de nouveaux, mais surtout où au centre du récit sont placées l’amitié de Gilgamesh avec le sauvage Enkidu et la condition mortelle de l’homme. Cette épopée a sans cesse été transcrite en écriture cunéiforme, jusque, et y compris, dans la version du onzième siècle avant Jésus-Christ qui nous est parvenue sous la forme de douze tablettes de terre cuite. Gilgamesh apparaît, en compagnie d’Enmerkar et de Lugalbanda, dans la liste des rois qui ont régné sur la Mésopotamie à l’époque qui selon la légende a immédiatement suivi le déluge. Gilgamesh est-il un pur mythe, ou un roi de ce nom a-t-il vécu au vingt-septième ou au vingt-sixième siècle avant Jésus-Christ, nous ne le savons pas, mais sa saga, qui en fait celui qui a élevé les murs d’Uruk et qui incarne l’idéal de la royauté, a été en vogue pendant plus de deux mille ans:

 

“Gilgamesh, qui a vu les Profondeurs, la création du pays, qui a connu ce qui était dissimulé, lui qui était au courant –il est familier de toutes les demeures des dieux, il a appris de toute chose la totale sagesse, il a su ce qui était secret, il a vu ce qui était caché, il a rapporté un récit du temps d’avant le Déluge”.

 

De toute façon, le rôle primordial du chef dans ces civilisations mésopotamiennes était de servir d’intermédiaire entre les dieux et les hommes, ce qui a entraîné envers le souverain un respect et presque un culte approchant de ceux qui étaient rendus aux dieux. Parfois même, au troisième millénaire et encore au second, les noms d’Enmerkar, de Lugalbanda et de Gilgamesh étaient inclus dans les listes de dieux. Je disais que l’épopée de Gilgamesh avait toujours été écrite en cunéiforme; or en cunéiforme, le signe utilisé pour exprimer leurs noms était usuellement réservé aux noms des divinités.

 

Quant à Enkidu, “Aruru se lava les mains, se saisit d’une pincée de glaise et la jeta dans la steppe. Dans la steppe elle créa Enkidu, le héros. […] Tout son corps est couvert de poils, il porte des tresses comme celles d’une femme. Sa crinière de boucles croît, épaisse, comme Nissaba elle-même. Il ne connaît pas les gens, pas même la terre cultivée. Portant une robe comme Shakkan, avec les gazelles il broute l’herbe. Se joignant à la foule des troupeaux d’animaux aux trous d’eau, il réjouit son cœur dans l’eau en compagnie des bêtes”.

 

Maintenant que nous avons fait la connaissance de Gilgamesh, Enkidu et Humbaba, venons-en au sujet de mes deux photos. Pour Uruk, le bois de construction, le bois pour l’ameublement aussi, est une denrée essentielle. Il faut aller en chercher dans les forêts de cèdres du Liban, ce qui pose évidemment des problèmes de logistique très sévères à cette époque, mais en outre les populations des régions traversées, dont les modes de vie étaient fort différents et beaucoup plus primitifs, voyaient souvent d’un mauvais œil ces Mésopotamiens et leurs chargements. Humbaba, que les dieux ont préposé à la garde de la forêt de cèdres, est donc dans l’épopée le prototype de l’étranger, sauvage et dangereux.

 

“Enkidu ouvre la bouche et parle, disant à Gilgamesh: Mon ami, Humbaba qui garde la forêt de cèdres, achève-le, tue-le et finis-en avec son pouvoir, avant qu’Enlil le Très Haut l’apprenne! Gilgamesh a entendu la voix de son ami, il a tiré son épée de son côté. Gilgamesh lui transperce le cou. Mais déjà Enkidu l’avait touché au cœur, lui avait arraché les poumons. Alors il jaillit hors du corps de Humbaba et de sa tête il dérobe les dents”.

 

Je ne montrerai pas d’autres représentations en rapport avec la saga de Gilgamesh, mais puisque j’ai abordé le sujet jusqu’au meurtre d’Humbaba sur la tablette n°5, je vais très rapidement survoler les tablettes 6 à 12. Parce qu’il a négligé de l’honorer, Ishtar se venge de Gilgamesh en envoyant sur Uruk le taureau d’Anum, le dieu du ciel. Poussé par Enkidu et aidé par lui, Gilgamesh tue le Taureau du Ciel, grave transgression, sacrilège à l’encontre des anciens dieux d’Uruk, Anum et Ishtar. Pour prix du sacrilège qu’ont commis Gilgamesh et Enkidu, l’un des deux doit mourir. Ce sera Enkidu, mais pour la première fois Gilgamesh est confronté à sa condition de mortel. Effrayé à cette idée, il s’enfuit: “J’ai commencé à redouter la mort, aussi j’erre au hasard dans la steppe. Jusqu’à Uta-Napishti, le fils d’Ubar-Tutu, je resterai sur la route, voyageant rapidement. Je suis venu une nuit sur les cols de la montagne. J’ai vu des lions et j’ai été effrayé. J’ai relevé la tête quand j’ai prié Sin, Ishtar, la lumière éclatante des dieux. Qu’aillent mes supplications: Ô Sin et Ishtar, protégez-moi!”

 

Uta-Napishti, qui rappelle le Noé de la Bible, lui révèle que c’est dans l’accomplissement de son devoir de roi qu’il peut gagner l’immortalité, à savoir protéger ses sujets, procéder à la reconstruction de ce qu’a détruit ou endommagé le déluge, remettre en usage les rituels du passé. C’est ce que Gilgamesh s’applique à faire, méritant par là qu’après sa mort les dieux fassent de lui le roi de l’au-delà, ce qui le rend immortel dans la mémoire de l’humanité.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Laissons donc là Gilgamesh. Ce fragment de terre cuite gravé de caractères cunéiformes provient d’Assur (aujourd’hui Qal’at Sherqat, en Irak) et on la date dans une fourchette de 1000 à 625 avant Jésus-Christ. Dans l’ancienne Mésopotamie, avant de pouvoir pratiquer des fonctions spécialisées telles que l’exorcisme, la conjuration de sorts, la divination par l’examen des entrailles de victimes, le chant de lamentations, etc., il était obligatoire de savoir écrire en cunéiforme et de maîtriser la langue sumérienne et la langue accadienne. Ce “dictionnaire bilingue” comportait environ dix mille entrées réparties en vingt-quatre chapitres couvrant des domaines particuliers comme le droit, les animaux domestiques, les pierres, les plantes… Le fragment de ma photo fait partie du vingt-deuxième chapitre du urra-hubullu (ainsi nommé d’après le mot de sa première ligne), la grande liste du monde rédigée en sumérien et en accadien qui comporte les noms des régions, des cours d’eau, des planètes et des constellations. Ici figure une liste d’étoiles.

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Voici un autre texte gravé dans l’argile datant des alentours de l’an 600 avant Jésus-Christ et provenant d’Uruk. Uruk assumant le rôle de plus ancienne ville au monde, c’est là que dès le quatrième millénaire avant Jésus-Christ, pour les besoins de l’administration et du commerce, est née l’écriture. Le texte que je montre ici (tout comme le précédent, à Assur) est donc très, très postérieur à cette invention. C’est un travail érudit qui figurait dans la bibliothèque de l’Eanna (le temple d’Ishtar à Uruk), une liste de signes annotée. Pour cette raison, au premier millénaire avant Jésus-Christ ce type de travaux bilingues était très convoité et volontiers emprunté. Pour éviter que l’emprunt soit remplacé par le vol pur et simple, une note au bas du texte met en garde: “Le savant qui ne change pas une seule ligne [de cette tablette] et qui la remet dans la bibliothèque, puisse Ishtar poser sur lui un regard bienveillant. Celui qui sort [la tablette] de l’Eanna, puisse Ishtar n’avoir de cesse de le harceler de sa colère”.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette plaque de basalte des alentours de 730 avant Jésus-Christ provient de l’un des deux châteaux mis au jour sur le site archéologique de Zincirli Höyük, au sud de la Turquie actuelle, non loin de la frontière syrienne. S’agissant d’un royaume araméen, on n’est pas étonné que les inscriptions y figurant soient rédigées dans cette langue. Près de la tête de l’homme, à gauche, il est écrit “Je suis Barrakib, fils de Panammuwa”. Entre les deux hommes, on voit un disque lunaire inscrit dans un croissant de lune, et l’inscription dit “Mon Seigneur, le Ba'al de Harran”. Le Ba’al, c’est l’être respectable, et par conséquent entre autres un dieu, Harran est une ville dont le site archéologique est connu au sud-est de la Turquie et où le culte prédominant était celui du dieu Sin, qui est le dieu-lune, ce qui explique la présence de cette inscription près du double symbole lunaire. En face du prince Barrakib, on voit sur la droite du panneau un homme avec une planchette d’écriture sous le bras: c’est son scribe, ou son greffier.

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Le regard intense de ce sphinx de basalte est impressionnant. Il provient d’un palais de Zincirli et date du huitième siècle avant Jésus-Christ. C’était la base d’une colonne qui, elle, était en bois.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

C’est dans le palais que le roi assyrien Sennacherib (704-689) s’est construit à Ninive qu’a été trouvé ce bas-relief d’albâtre représentant deux archers. Parmi les nations de l’antiquité, l’armée assyrienne était réputée pour sa redoutable puissance, due en grande partie à sa remarquable organisation. Elle comportait quatre corps, les cavaliers, les fantassins, les chars et les pionniers. Parmi ces soldats, depuis le huitième siècle l’armée recrutait des mercenaires pour assurer des effectifs élevés. L’espèce de crochet qui décore le sommet du casque des porteurs de lances et de boucliers sur ma seconde photo ci-dessus les désigne comme des mercenaires.

 

Si les Assyriens sont parvenus à une telle excellence militaire, c’est d’abord par leur aptitude à trouver chez les autres peuples ce qu’ils vont pouvoir adapter à leurs besoins. Le fer, par exemple, des Hittites, pour fabriquer des armes plus performantes. Ou, chez les Hittites également, l’usage de la cavalerie. Inventivité, ensuite: l’usage de cottes de mailles ou de cuirasses, de hautes bottes, de grands boucliers, limitent la vulnérabilité des soldats de l’infanterie lourde; les chars sont cuirassés et portent de puissants béliers, il y a des machines de jet (artillerie), des tours roulantes. Les pionniers ne sont pas des éclaireurs, mais accompagnés de sapeurs ils sont chargés d’ouvrir les routes. Les chevaux de la cavalerie sont caparaçonnés.

 

Ce n’est pas que le courage des soldats assyriens, leur entraînement, leurs équipements, que les ennemis redoutent. Car comme avec Attila, “là où leur cheval passe, l’herbe ne repousse pas”, ce dont témoigne la chronique de Sargon II (722-705 avant Jésus-Christ, soit approximativement l’époque de nos bas-reliefs): “J’ai arraché les poutres de cyprès qui couvraient leurs palais, […] j’ai mis le feu à leurs belles maisons, j’ai fait monter leur fumée à laquelle j’ai fait occuper la place du ciel, comme par un ouragan. J’ai détruit ses riches plantations, j’ai détruit ses abondantes vignes: ainsi, plus de boisson. J’ai coupé les arbres de ses vastes forêts, puis j’ai réuni tous les troncs coupés, comme la paille rassemblée par l’ouragan, j’y ai mis le feu et je les ai fait se consumer. J’ai mis le feu, comme à des bûchers, à cent quarante-six villages des alentours”. Etc., etc. Mais ce n’est pas tout. Au ravage s’ajoute une cruauté sans pareille. C’est la guerre, il y a des prisonniers, soit. À l’époque, en l’absence de la convention de Genève qui définit les lois de la guerre, beaucoup considèrent comme normal d’exécuter les prisonniers, même si c’est une pratique réprouvée par les nations avancées, mais il y a la manière, or les Assyriens les écorchent vifs, ou ils les empalent, puis ils coupent les têtes des cadavres pour les exposer sur les murailles des villes vaincues. Selon la chronique, en outre, “il a lacéré le ventre des mères, il a transpercé le corps des enfants, il a décapité les notables […]. Que les ruines s’amassent chez ceux qui sont coupables contre Assur!” L’intention est d’obtenir la reddition sans résistance, pour échapper à ce traitement des hommes et des choses.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Ce bas-relief des alentours de 650 avant Jésus-Christ provient, lui aussi, de Ninive; il décorait un mur du palais qu’Assurbanipal (668-627 avant Jésus-Christ) s’y était fait construite. Il représente le siège d’Hamanu, une cité élamite. Tout en haut de la plaque, les murs de la ville. En-dessous, le camp assyrien, avec ses animaux, avec ses hommes occupés à diverses activités. En bas à gauche, on distingue un serviteur tendant à boire à un officier de retour au camp.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Autre bas-relief d’albâtre, mais du palais de Nemrod celui-là, et remontant à Assurnasirpal II (883-859 avant Jésus-Christ). On y voit une chasse au lion, une activité qui était réservée au roi, un privilège exclusif très prisé, puisque plusieurs souverains ont même entretenu une ménagerie pour disposer de fauves à chasser. Sur cette plaque, le roi est représenté sur son char en compagnie de son cocher.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Voici maintenant une poterie de céramique du huitième ou du septième siècle avant Jésus-Christ. Ce n’est qu’un petit fragment cassé, mais je choisis de le montrer parce que j’aime bien le dessin de la chèvre descendant de la montagne.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Venons-en à quelques objets de l’artisanat. D’abord un bijou, cette plaque d’or, située dans la fourchette entre le neuvième et le septième siècle avant Jésus-Christ, et représentant un banquet funéraire. Il s’agit d’un produit de l’artisanat syrien, qui était réputé dans le monde antique à cette époque de l’âge du fer, et déjà auparavant, et faisait l’objet d’exportations vers de nombreux pays. Les artisans travaillaient l’or comme ici, les autres métaux aussi, les poteries, mais surtout l’ivoire provenant d’éléphants qui vivaient en troupeaux dans la région, et qui en ont disparu par la suite pour une raison dont je n’ai pas trouvé l’explication: surexploitation de l’ivoire, changement climatique, modification de leur habitat due à l’urbanisation…

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Devant de nombreux objets, dont cette médaille et cette collerette, le musée se contente d’une légende synthétique, parlant d’objets d’artisanat du septième siècle avant Jésus-Christ provenant, tous sans exception, du château de Rusachinili détruit dans un incendie, bijoux, outils, instruments. Ces objets sont en pierre, or, argent, bronze et fer. Aucune autre explication. Vu leur aspect, je suppose donc que ces deux objets que je présente sont en bronze. Mais quant à leur représentation… Je ne saurais dire si le personnage assis sur un trône et les pieds sur un repose-pieds est un souverain ou un dieu, et en conséquence si le personnage en face de lui est l’un de ses sujets (mais habillé ainsi ce n’est pas un serviteur), ou un fidèle. Spontanément, j’aurais penché pour la première hypothèse, mais sur la collerette l’animal qui arrive pourrait être destiné à un sacrifice. Dans l’ignorance je n’en dirai pas plus.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette statuette de terre cuite du premier millénaire avant Jésus-Christ, sans plus de précision, provient de Kish (Tell-al-Uhaymir, en Irak). Elle représente le dieu Ninshubur, servant d’Ishtar et messager des dieux. Le grand bâton qu’il tient dans sa main droite est fait d’un fil d’or et il paraît, même si je ne le discerne pas clairement, que son couvre-chef est une couronne de cornes.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Ces deux statuettes de terre cuite moulée proviennent l’une et l’autre d’Uruk, mais elles ne sont pas du tout contemporaines. La première, qui représente une femme nue, se situe entre 625 et 539 avant Jésus-Christ, tandis que l’autre, qui est polychrome (on voit surtout le rouge, mais il y a aussi des traces de noir) et qui retient son voile, se situe entre 312 et 224 avant Jésus-Christ. En trois siècles, la qualité de la facture ne présente guère de progrès.

La Mésopotamie au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Pour aujourd’hui je finirai avec ce texte qui a été conservé dans une terre cuite. Tout à l’heure, je regrettais que la datation d’une statuette, “premier millénaire avant Jésus-Christ”, ouvre une fourchette de mille ans. Ici, au contraire, je n’aurai pas à me plaindre: ce texte a été rédigé le 7 août 170 avant Jésus-Christ. Voilà qui est précis! C’est une tablette qui décrit, avec toutes les instructions nécessaires, la fabrication de divers colliers d’amulettes de pierre. Les spécialistes mésopotamiens de ces amulettes, appelés ashipu en accadien, devaient posséder une parfaite science des minéraux, comment les reconnaître, quels sont leurs noms, quels sont leurs pouvoirs d’envoûtement ou de guérison, mais en outre ils devaient maîtriser les techniques d’artisanat pour la taille de ces pierres en amulettes et la confection de colliers destinés à guérir les maladies et les blessures et à repousser les démons. Pour ce faire, il convenait de créer une combinaison de pierres adéquates réunies en collier.

 

Les trois cents lignes du texte de la tablette ci-dessus détaillent donc tout cela, et elles commencent par la fabrication d’une amulette “pour se souvenir de ce que l’on a oublié”. Il conviendra dans ce but d’assembler quinze pierres, dont le lapis-lazuli et la calcédoine. Puis le texte dit: “Ces quinze pierres, tu les enfiles sur un cordon de lin, un fil de laine rouge et un fil de laine bleue […]. Sur les deux côtés des pierres tu attaches un morceau de bois de tamaris [...]. Tu places en-dessous un brûleur d'encens avec du genièvre. Tu sacrifies de la bière et récites les incantations suivantes: ‘J’ai obtenu ma réponse’, ‘Accepte de moi cette prière’ […]. Tu pends le collier autour de son cou. Il obtiendra satisfaction où qu'il aille”.

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2 septembre 2016 5 02 /09 /septembre /2016 23:55
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Nous sommes dans la ville antique de Pergame, aujourd’hui Bergame dans le nord-ouest de l’Asie Mineure turque, dans les terres en face de l’île grecque de Lesbos, ce qui justifie pour ce musée berlinois le nom de Pergamon Museum. Saint Jean, dans son Apocalypse rédigée vers la fin du premier siècle (il était très jeune quand il a connu Jésus, crucifié en l’an 33, et il a écrit ce livre alors qu’il était très âgé), parle de Pergame:

“Écris à l'ange de l'Église de Pergame: Voici ce que dit celui qui tient l'épée aiguë à deux tranchants: Je connais l'endroit où tu es établi, là se trouve le trône de Satan. Tu es fermement attaché à mon nom et tu n'as pas renié la foi en moi, même durant les jours où Antipas, mon témoin fidèle, a été mis à mort chez vous, là où Satan est établi. Mais j'ai certaines choses contre toi: tu as là des gens attachés à la doctrine de Balaam, qui enseignait à Balak à tendre un piège aux Israélites pour qu'ils mangent des viandes sacrifiées aux idoles et se livrent à l'immoralité sexuelle”. Et si certains supposent que ce trône de Satan était l’empereur romain lui-même, qui était considéré comme l’antéchrist (mais alors pourquoi à Pergame, pas à Rome ou ailleurs dans l’Empire?), en revanche beaucoup pensent que le trône de Satan n’était autre que le Grand autel de Pergame.

 

Quoique nous soyons en Allemagne, j’ai écrit “nous sommes dans la ville antique de Pergame”, parce que le Grand Autel a été apporté ici pierre à pierre et que nous pouvons y accéder comme si nous étions réellement en Turquie. On sait comment Lord Elgin a transféré d’Athènes à l’Angleterre sans aucune autorisation les frises du Parthénon qui sont actuellement au British Museum de Londres, faisant croire qu’il voulait en faire des moulages. Il est donc indispensable de préciser ici que ce Grand Autel, lui, n’a pas été volé. Pas plus que la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace n’ont été volées par la France, qui les a dûment payées aux autorités turques auxquelles appartenaient ces terres à l’époque.

 

La Turquie avait contracté une entreprise allemande pour construire une route, et l’ingénieur Carl Humann qui y travaillait a profité de son séjour pour visiter les ruines de Pergame. Nous sommes alors en hiver 1864/1865. Le Grand Autel date du milieu du deuxième siècle avant Jésus-Christ mais, quelques siècles seulement plus tard, l’ensemble de la cité a été abandonné et est tombé en ruines. Lors de la visite de Humann, il était difficile de comprendre ce qu’avait pu être la ville. Néanmoins, il s’est passionné pour l’idée de fouiller les lieux, et ses efforts n’ont pas été vains, même si sa patience a été mise à rude épreuve, parce qu’en 1878, enfin (quatorze ans plus tard), les autorités turques donnent leur accord pour les fouilles. Et les musées de Berlin en chargent Carl Humann. C’était bien le moins! Les fouilles ont très vite révélé des blocs sculptés provenant de la frise, qui étaient en excellent état, et d’autres plus abîmés. Tout ce matériel, conformément au contrat dûment signé entre les musées de Berlin et le gouvernement ottoman, part alors pour l’Allemagne. Pour la construction, les architectes avaient fait marquer par les ouvriers chacune des plaques, afin qu’elles soient assemblées dans le bon ordre. Précieuse précaution, qui a bien sûr été utilisée par les archéologues allemands.

 

Les années passent, survient la Seconde Guerre Mondiale. L’Armée Rouge entre dans Berlin en 1945, les Soviétiques s’emparent de la frise ainsi que de milliers d’œuvres d’art. L’URSS en restituera une partie à la RDA (l’Allemagne de l’est) en 1958, dont la frise de l’autel de Pergame, mais gardera cependant une bonne partie du reste. Une bonne partie qui n’a toujours pas été restituée à l’Allemagne réunifiée.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Une maquette permet de se représenter l’autel dans son ensemble. Au deuxième siècle de notre ère, Lucius Ampelius est le précepteur du jeune Romain Macrin pour qui il rédige un aide-mémoire très schématique qui résume ses cours. C’est le Liber memorialis (c’est-à-dire Livre pour la mémoire, aide-mémoire). Il commence ainsi:

“À son cher Macrin, salut. Pour toi qui veux tout savoir, j’ai écrit ce petit aide-mémoire afin que tu saches ce qu’est le monde, ce que sont les éléments, ce que porte la terre, ou ce qu’a fait le genre humain”. Puis, dans le chapitre VIII “Merveilles du monde” il énumère des sites remarquables, bien plus que les Sept Merveilles du Monde. Le petit livre, en latin, se trouve in extenso sur Internet et, comme sa langue est très facile, les souvenirs même un peu anciens de toute personne ayant étudié cette langue doivent suffire à la comprendre. Avant de traduire, je donne donc d’abord le texte original: “Pergamo ara marmorea magna, alta pedes quadraginta cum maximis sculpturis; continet autem gigantomachiam”, soit “À Pergame, un grand autel de marbre, haut de quarante pieds avec d’immenses sculptures; il comprend une gigantomachie”. Le pied romain mesurant 29,44 centimètres, quarante pieds font 11,77 mètres. Ampelius, on le voit, est plus que succinct dans son énumération et sa description des merveilles du monde. Et s’il évoque la hauteur du bâtiment, il ne parle pas de l’escalier monumental de vingt mètres de large, qui vaut vraiment le coup d’œil: ce n’est pas seulement l’endroit où le touriste fatigué par sa visite s’assied pour quelques instants de repos!

 

Les recherches effectuées sur l’autel de Pergame font situer le début de sa construction aux alentours de 165 avant Jésus-Christ, mais on a la certitude que les travaux n’ont jamais été achevés.

 

Pourquoi, et quand ont-ils cessé? Il y a à ce sujet plusieurs hypothèses. Selon certains, le roi de Pergame Eumène II (il règne de 194 à 159 avant Jésus-Christ), qui menait une politique culturelle ambitieuse, meurt en 159. Si c’est lui qui a commandité les travaux, il se pourrait qu’ils aient cessé à sa mort. À son sujet –puisque j’évoque sa politique culturelle–, il a tellement développé la bibliothèque de Pergame qu’elle fait de l’ombre à celle d’Alexandrie en la concurrençant. Ptolémée V, le roi d’Égypte, met l’embargo sur les exportations de papyrus, dans le but d’empêcher la création de nouveaux livres à Pergame. Qu’à cela ne tienne, Eumène encourage la recherche de solutions, et celle qui est trouvée consiste à utiliser des peaux d’animaux désépaissies. On appellera ce procédé le papier de Pergame, soit pergama charta, qui donne naissance, par évolution phonétique, au mot parchemin. Mais cela m’éloigne de mon sujet.

 

Une autre hypothèse est plus violents. Prusias II, le roi de Bithynie (de 182 à 149 avant Jésus-Christ), ne veut pas que son fils Nicodème lui succède. Vers 157, Nicodème s’enfuit car il craint que Prusias le fasse assassiner, et il va se réfugier chez le pire ennemi de son père, à savoir le successeur d’Eumène, Attale II, qui l’accueille bien volontiers. À la suite de quoi, entre 157 et 155, Prusias envahit et ravage le pays. Il se pourrait que cette situation soit la cause de l’arrêt des travaux.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Évidemment, comme je le disais tout à l’heure, les fragments de frise presque intacts alternent avec les plaques très endommagées. Les quatre photos ci-dessus montrent cependant que la représentation de la gigantomachie, ce combat des dieux de l’Olympe contre les Géants de l’ancienne génération de dieux, est d’une finesse et d’une qualité artistique remarquables.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Les marches du grand escalier, la colonnade présentée de face sur ma photo de la maquette, c’est la façade ouest de l’édifice. Montons les marches de l’autel, tournons le dos à l’autel. En face, nous voyons une frise fixée au mur: C’est la frise du mur nord.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Les photos de détails ci-dessus, c’est de cette frise que je les ai tirés. Ces quelques fragments pleins de mouvement sont superbes, mais dans son ensemble cette frise comporte beaucoup de lacunes. Elle a donné lieu à de nombreuses tentatives de reconstitution, où l’imagination a dû prendre trop de place.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Dans l’Antiquité, au haut des marches, on accédait à l’immense cour intérieure de 26 mètres de front et 16 mètres de large, où se trouvait l’autel des sacrifices et des offrandes. Là, sur les murs de trois côtés (le quatrième, c’était la colonnade au haut des marches) se développait une autre grande frise constituée de soixante-quinze panneaux, dont quarante-trois ont été retrouvés. Certains sont très abîmés, d’autres sont en assez bon état. Ils racontent la légende de Télèphe, le fondateur mythique de la cité.

 

Le mythe commence à Tégée, en Arcadie, au cœur du Péloponnèse. L’oracle avait prédit au roi, Aléos, que sa fille donnerait le jour au meurtrier de ses fils, ce qui lui fait consacrer Augè à Athéna. Héraklès passe par là, et Aléos l’invite à un grand banquet. Héraklès force sur le vin et, ivre, viole Augè, sans savoir qu’elle est la fille de son hôte. La voilà enceinte. Son père, le roi Aléos, doit alors la supprimer pour protéger ses fils, mais la religion des Grecs leur interdisait de se salir les mains avec du sang. Il décide de la confier à Nauplios pour la mener jusqu’à la mer, l’embarquer sur un bateau, et la noyer. La côte la plus proche est à l’est, sur le golfe d’Argos, de l’autre côté du mont Parthénion. Mais Augè accouche en route, et abandonne son bébé sur le mont Parthénion, justement. Ce bébé, c’est notre Télèphe. Tiens, tiens, le voilà exposé dans la montagne, comme Œdipe. Nauplios et Augè poursuivent leur voyage, et Nauplios construit la barque sur laquelle Augè va être envoyée sur la mer, sans avirons, sans voile, sans nourriture ni boisson. C’est la construction de la barque qui est représentée sur le bas-relief ci-dessus.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Le bébé est d’abord nourri par une biche, avant d’être recueilli par des bergers qui le remettent à un roi (encore comme Œdipe). Ce roi a nom Corythos, mais certaines sources en font le roi de Tégée… comme Aléos le grand-père. Toujours est-il que ce roi l’adopte, lui donne le nom de Télèphe (peut-être en rapport avec le mot grec élaphos qui veut dire biche ou cerf), et l’élève comme son propre fils. Adulte, il tue de façon tout à fait accidentelle ses deux oncles, frères d’Augè, sans imaginer un seul instant qu’il a un lien de parenté avec eux. À la suite de quoi il va consulter l’oracle d’Apollon à Delphes pour savoir que faire. Le dieu lui ordonne de se rendre en Mysie, en Asie Mineure, sans prononcer un seul mot jusqu’à ce qu’il s’y soit fait purifier du double crime par le roi Teuthras. Ce qu’il fait. C’est son arrivée en Mysie que représente la partie gauche de la photo ci-dessus.

 

Or Télèphe vient d’arriver auprès de Teuthras quand l’un des Argonautes, Idas, tente de s’emparer de son royaume. Teuthras demande alors à Télèphe de défendre son royaume contre Idas et, s’il vainc, il lui promet la main de sa fille adoptive. La partie droite de la photo montre Télèphe qui prend les armes. Et Télèphe vaincra Idas.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Mais au fait, qu’est-il advenu d’Augè? Plutôt que d’expédier Augè sur la barque, Nauplios choisit une solution rémunératrice, il la vend à des marchands d’esclaves. Les marchands mènent ainsi Augè jusqu’en Mysie, où ils la revendent au roi Teuthras qui va considérer cette jeune femme comme sa propre fille. Les années ont passé, et voilà que Télèphe et Augè se trouvent réunis sous le même toit sans savoir qu’ils sont mère et fils. Et Teuthras, qui ne le sait pas non plus, a promis la main d’Augè à Télèphe s’il vainc Idas. La photo ci-dessus représente les noces de Télèphe et d’Augè. Comme Œdipe épousant sa mère Jocaste, qui avait été promise au vainqueur du Sphinx.

 

Toutefois, là s’arrête le parallèle entre les légendes de Télèphe et d’Œdipe. En effet, Augè avait été aimée par un demi-dieu, le fils de Zeus, Héraklès. Il n’est pas question pour elle d’appartenir à un autre homme. Les noces ont été célébrées, et Télèphe entre dans la chambre nuptiale pour les consommer. Augè l’attend avec une épée pour le tuer avant qu’il la prenne, mais à ce moment surgit entre eux un énorme serpent envoyé par les dieux, qui suscitent dans leur esprit une inspiration qui les fait se reconnaître. Et ils tombent dans les bras l’un de l’autre, non comme mari et femme, mais comme mère et fils. Ni crime, ni inceste. Ouf!

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Désormais, Teuthras, Télèphe et Augè vivent ensemble. Puisque Télèphe n’a pas épousé Augè, Teuthras lui offre sa fille Argiopè. Ainsi, quand il meurt sans fils, c’est Télèphe qui lui succède à la tête du royaume de Mysie. À l’époque où les Grecs se rendent à Troie pour y mener la fameuse guerre, ils se trompent de route et, persuadés de débarquer en Phrygie, ils sont en Mysie et entament les hostilités. Télèphe parvient à tuer beaucoup de Grecs, mais Achille le blesse à la cuisse. Rendus conscients de leur méprise, les Grecs repartent vers Troie. Huit ans passent, mais la blessure de Télèphe ne guérit pas. À Delphes, un oracle d’Apollon dit à Télèphe qu’il sera guéri par ce qui l’a blessé. Alors, comme un nouveau contingent de Grecs s’apprête à s’embarquer vers Troie à partir d’Aulis, Télèphe propose de les guider à condition qu’Achille le guérisse. “Télèphe impose sa guérison”, tel est le sujet de ce bas-relief ci-dessus.

 

Achille accepte le marché. Il prélève de la rouille de la pointe de sa lance, et l’applique sur la blessure de Télèphe, qui guérit. Télèphe alors respecte sa promesse et mène la flotte des Grecs à Troie. La fondation de Pergame ne figure pas parmi les bas-reliefs sauvegardés, mais c’est bien à ce héros qu’elle est attribuée.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Laissons là ces remarquables frises. Il y a aussi dans ce musée une mosaïque de sol de l’autel, à laquelle appartient ce perroquet.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Toutes ces frises que j’ai montrées, ce sont des bas-reliefs. Mais dans la salle où est exposée la frise de Télèphe il y a aussi quelques statues, ou plus précisément des fragments de statues. Ci-dessus, je montre d’abord une tête de cheval en marbre qui devait être une acrotère de la terrasse de l’autel. Ensuite, cette tête n’a pas été identifiée, mais elle semble provenir d’une statue entière, non d’un buste. Enfin ma troisième photo représente la tête d’une prêtresse d’Athéna, plus tardive (117-138 de notre ère), qui avait été insérée comme pierre du mur byzantin.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Quittons Pergame. Nous voici à Milet dont, également, un monument entier a été transporté à Berlin. C’est la Porte du Marché, qui avait été édifiée aux alentours de l’an 100 après Jésus-Christ. Berlin, en charge des travaux de fouilles à Milet dans les années 1903-1905, met au jour les restes de la construction. En accord avec les conditions prédéfinies, une partie des découvertes revient aux fouilleurs, le reste est propriété du pays. Ce que nous voyons ici n’est donc qu’environ soixante pour cent de la vraie porte, apportée à Berlin démontée en 1907-1908, et remontée seulement en 1928-1929 en compensant ce qui avait dû être laissé à Milet avec du marbre, du ciment, de la brique, du plâtre. Les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale ont gravement endommagé le monument, dont la restauration a été entreprise dans les années 1952-1953, puis de 2005 à 2008, avant que les statues colossales (d’un côté un général en cuirasse avec un Barbare vaincu à ses pieds, de l’autre côté le héros nu de ma seconde photo ci-dessus avec une corne d’abondance) soient mises en place en 2009. Il est prévu de procéder à un traitement des surfaces à partir de 2019.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Toujours à Milet, mais postérieur à la Porte du Marché, ce bas-relief est daté entre 175 et 200 après Jésus-Christ. Il provient de la face arrière de la scène du théâtre. On remarque que sous les pieds de chacun des trois personnages un piédestal est représenté: c’est donc la représentation de trois statues. Au centre, l’artiste a reproduit l’image d’une célèbre statue de culte archaïque d’Apollon du sculpteur Kanachos. De part et d’autre du dieu, se tiennent des hommes qui portent des torches.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

La dernière photo de cette série représente une plaque de marbre datée entre 150 et 200 après Jésus-Christ, que le musée a achetée sur le marché de l’art en 1931. Les archéologues n’ont pas de doute sur son authenticité et ils peuvent la dater, mais pour sa provenance ils en sont réduits aux informations données par le vendeur, selon qui elle proviendrait d’Apollonie du Rhyndaque, en Mysie. La Mysie est une région située en Turquie d’Asie, à l’extrême nord-ouest, sur la mer de Marmara, et traversée par le fleuve Rhyndaque qui se jette justement dans cette mer. Sur cette plaque on voit un bas-relief d’une ville située sur un fleuve, des maisons sur chaque rive, un pont. Cela ne suffit pas pour identifier la ville.

Pergame et Milet au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette photo m’embarrasse, mais ce n’est pas une raison pour ne pas la publier. J’ai l’habitude de systématiquement photographier le descriptif fait par le musée juste après la photo de l’objet ou du monument. Et là, visiblement, je me suis trompé car sur le panneau explicatif en terriblement mauvais état et presque illisible (mais bilingue allemand-anglais) il y a deux descriptions, les colonnes torses du Nymphée de Milet et la corniche de l’entablement de la colonnade d’un temple de Baalbek. J’ai ici une façade complète de monument, il ne peut donc s’agir ni d’un entablement, ni de colonnes torses d’un énorme bâtiment de trois étages. Je n’ai trouvé qu’extrêmement rarement des images de ce bâtiment sur Internet, et jamais avec légende. Alors j’ai écrit au musée… et j’ai reçu une réponse rapide, aimable, mais très surprenante: “The semi-circular monument is the partial reconstruction of the grave of Cartina from Falerii (near Rome / 1st cent. AD)”. Monument romain donc, du premier siècle de notre ère, provenant de Falerii qui est une ancienne ville étrusque près de Rome, tombe d’une certaine Cartinia dont je ne trouve trace nulle part. Mais c’est ce que m’écrit un responsable de la communication du musée, c’est donc certain.

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31 août 2016 3 31 /08 /août /2016 23:55

Berlin est une ville extrêmement riche en musées, dont la plupart sont concentrés sur la dite “Île des Musées”, sur la Spree. N’étant ici que de passage, nous ne pouvons satisfaire nos envies de découverte. Deux jours à Berlin, cela signifie seulement deux grands musées si chacun nous retient cinq ou six heures. Alors aujourd’hui ce sera le Pergamon Museum, le musée de Pergame. Le musée porte ce nom d’une ville grecque de l’ouest de l’Asie Mineure aujourd’hui en Turquie parce qu’il en possède des monuments entiers transportés en Allemagne pierre à pierre et remontés dans d’immenses salles, mais il comporte également bien d’autres sections. Je vais donc lui consacrer trois articles. Celui que je publie aujourd’hui concerne les civilisations islamiques.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Civilisation islamique est à prendre au sens large de civilisation de terre islamisée car ces deux pièces de monnaie sont antérieures de plusieurs siècles à l’Hégire de Mahomet, qui a eu lieu en 622. Il s’agit de drachmes sassanides iraniennes en argent. Celle de gauche représente l’empereur perse Shapur II (Shapur le Grand) qui a régné de 309 à 379 et qui est donc contemporain de Constantin, empereur romain (à Constantinople) de 306 à 337. Celle de droite est un peu plus ancienne, elle date de l’empereur perse Vahram II (276-293), mais il est représenté sur l’avers et ce qui est montré ici est le revers, avec du feu sur un autel et deux officiants.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette plaque murale en stuc représentant un sanglier et provenant de l'intrados d'une maison d’Umm az-Za'ätir, en Irak, aux environs de l’antique Ctésiphon, date du sixième ou du septième siècle (de notre ère, bien sûr, puisqu’il s’agit d’art “islamique”).

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cette belle assiette provenant de Nizämäbäd, en Iran, date du septième ou du huitième siècle. Cette fois-ci, c’est postérieur à l’Hégire de 622, et c’est donc pleinement islamique. Il s’agit de la représentation d’une chasse du Grand Roi. Un sanglier bondit vers le cheval du roi, un ours attend derrière un arbre, en bas ce que je crois être un lion semble avoir été déjà tué.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Concernant la provenance de ce superbe vase en argent partiellement doré, le musée se contente d’un très vague “Iran”… pour un si vaste pays… Au premier moment, j’ai cru y voir des tulipes. Impossible, car il date du septième ou du huitième siècle, et la tulipe qui est originaire des contreforts de l’Himalaya n'a été importée que bien plus tard et ce que l’on a appelé “l’Ère des Tulipes” dans l’Empire Ottoman est le premier tiers du dix-huitième siècle (pour plus de détails, voir mon article “Istanbul 23: Les intérieurs de Topkapi, daté du 28 novembre 2012. Ce sont paraît-il, si j’en crois le musée, des palmiers, et autour d’eux, des grues. On aperçoit le bec et le ventre de l’un de ces oiseaux du côté droit, le cou et la queue d’un autre du côté gauche.

 

Je disais “si j’en crois le musée”, et il faudrait ajouter “et mon traducteur”. Car quelques panneaux explicatifs généraux sont bilingues, rédigés en allemand et en anglais, mais les légendes des objets sont exclusivement en allemand. Une langue dont j’ignore tout. Lorsque je ne veux pas recopier sur mon ordinateur mot à mot, lettre à lettre, le texte original que j’ai photographié, je dois d’abord, sous Photoshop, faire disparaître le fond, les reflets, et éventuellement redresser l’image, que j’ai souvent été contraint de prendre en diagonale. Ensuite, je soumets la photo modifiée au logiciel d’OCR (Optical Character Recognition) pour transformer l’image en texte Word. Enfin, je colle ce texte dans le traducteur sur Internet. Comme la qualité de traduction est très imparfaite, j’utilise systématiquement l’un après l’autre Reverso et Google. Je sais bien que les grands musées qui reçoivent des visiteurs internationaux ne peuvent donner pour chaque objet un texte multilingue anglais, allemand, français, espagnol, italien, japonais et chinois, pour ne citer que les nations qui envoient de forts contingents de touristes: ne serait-ce que pour une question de taille nécessaire pour les notices. Mais je pense que dans la plupart des pays on étudie l’anglais, et des légendes bilingues, langue nationale (ici allemand) et anglais seraient déjà un progrès. Car les opérations que je viens de citer sont longues, fastidieuses, et de plus ne peuvent s’effectuer qu’après coup, quand on n’a plus l’objet sous les yeux, et c’est bien dommage. En effet, je n’imagine pas, devant une vitrine de musée, dix touristes avec à la main leur tablette ou leur smartphone retouchant leurs photos, les convertissant en texte, les traduisant, puis contemplant l’objet qu’enfin ils comprennent et peuvent apprécier, avant de passer à la vitrine suivante!!!

 

Voilà, j’étais en colère, ça a dû faire monter ma tension, maintenant que j’ai bien râlé ma tension est retombée, je peux continuer ma visite de la section d’art islamique du musée. Bien beau, ce vase d’argent, avec ses grues et ses palmiers.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

À une trentaine de kilomètres au sud d’Amman, en Jordanie, à Mshatta (“Camp d’Hiver”, en arabe), gisent les ruines d’un immense palais. La façade en fait 47 mètres de long et, dans sa partie centrale, 5 mètres de haut. La section de cette façade qui se trouve ici à Berlin est un cadeau du sultan Abdul Hamid II au Kaiser Guillaume II. Tu m’instruis mes soldats, je te refile mes vieilles pierres. En l’absence de toute inscription sur le monument et de textes le mentionnant, on s’est interrogé sur sa datation. Dans un premier temps, on en a fait une construction gréco-romaine de l’antiquité tardive, mais Ernst Herzfeld, un archéologue spécialiste d’architecture, y a rapidement identifié les caractères des débuts de l’époque islamique en comparant son style à celui de nombre d’autres bâtiments en Jordanie, en Syrie, au Liban. Finalement, on s’accorde sur la supposition que la construction du palais a dû commencer sous le bref règne du calife omeyyade Al-Walīd II (125-126 de l’Hégire, soit 743-744 de notre calendrier, un règne d’un an et moins de trois mois), assassiné bien avant la fin des travaux. De toutes façons, un fort tremblement de terre a détruit le palais peu de temps après, et le site a alors été abandonné.

 

Ma deuxième photo ci-dessus fait un gros plan sur une partie de la décoration. On voit un animal fabuleux et un animal réel s’abreuver ensemble dans une riche végétation, et des oiseaux apparaissent au-dessus d’eux. Et puis, sur l’autre moitié de la façade (que je ne montre pas parce qu’elle n’a pas été apportée à Berlin), les animaux disparaissent et il n’y a plus que des plantes. Sans aucun doute, l’explication en est que face à ce mur se trouvait la mosquée, or l’Islam interdit la représentation d’êtres vivants.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Cet instrument de bronze gravé originaire de Bagdad (Irak) est unique en son genre. Il s’agit d’un astrolabe universel. L’indication informe qu’il a été conçu par l'astronome Abu Ja'far al-Hazin, qui a vécu au dixième siècle, et qu’il a été réalisé entre 513 et 514 de l‘Hégire (soit entre 1119-1120 et 1120-1121 de notre calendrier) par Allah al-Baghdadi Hibat, astronome et poète.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Autre transfert monumental au musée, la Chambre d’Alep. C’est avec le palais de Mshatta qu’en 1904 a été créée la section d’art islamique dans les musées de Berlin, et pour garnir ce musée la Chambre d’Alep a été achetée en 1912 par le premier directeur de la collection, Friedrich Sarre. Nous voilà transportés dans la salle de banquet d’une riche demeure du quartier chrétien d’Alep, en Syrie. Des inscriptions donnent le nom du propriétaire, Isa b. Butrus (c’est-à-dire Jésus fils de Pierre), qui nous est connu comme marchand et courtier d’Alep, ainsi que deux dates pour la construction, 1009 et 1012. Comme ces dates sont données dans le calendrier islamique, il faut comprendre 1600-1601 et 1603. Des psaumes sont inscrits en arabe, mais il ne fait aucun doute que ce personnage était chrétien parce que des Vierges à l’Enfant sont représentées en cinq endroits et saint Georges en deux endroits. On trouve aussi diverses scènes de l’Ancien Testament (le sacrifice d’Abraham) et du Nouveau Testament (la Cène). Le style des panneaux est en rapport très direct avec les livres enluminés de la même époque.

 

Comme cela se voit sur ma photo, des panneaux de verre empêchent de pénétrer dans la salle. Il est sûr que c’est le meilleur moyen d’empêcher que des mains de touristes se posent sur ces fragiles peintures, mais cela fait que je parle de représentations que je ne peux montrer ici…

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Quelques poteries d’Iznik. C’est vers le milieu du quinzième siècle que cette ville, l’ancienne Nicée, s’est spécialisée dans les fines poteries s’inspirant des techniques des porcelaines de Chine. Les motifs étaient bleus sur fond blanc. Puis au début du seizième siècle, il s’y est ajouté le vert, le turquoise, le violet. Jusque-là, on trouve surtout des décorations florales et de grenades; l’assiette de ma première photo est datée entre 1535 et 1550. Mais les motifs peuvent cependant être très divers, comme les signes du zodiaque sur le plat de ma seconde photo (1563-1564). Ensuite, extrait de terre ferrugineuse, on introduit le rouge et les décors deviennent polychromes, les fonds restant blancs. C’est vers 1600 qu’a été réalisée la chope de ma troisième photo, avec ses roses et ses tulipes. À la fin du seizième siècle et tout au long du dix-septième, les céramiques d’Iznik vont être très recherchées, non seulement dans l’Empire Ottoman, mais dans toute l’Europe où, ici et là, vont se développer des ateliers qui créent des copies. Dans le même temps, Iznik va plutôt se spécialiser dans les carrelages, pour décorer les palais turcs (dont Topkapi à Constantinople), et les grandes mosquées des principales villes de l’Empire. Ces carrelages suscitent également des copies en Europe.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Et puis il y a les illustrations de livres des Khans mongols. Les images de mes photos ci-dessus sont extraites du Recueil de chroniques de Rachid-ad-Din, ministre du Khan. Il a vécu de 1247 à 1318), les Chroniques sont donc datées du tout début du quatorzième siècle. Elles ont été éditées dans la ville perse de Tabriz. Les images, autant que le texte, apportent de précieux renseignements sur la vie du commun des mortels autant que sur la vie au sein de la cour des chefs mongols du temps de Rachid-ad-Din. La première photo que j’en publie représente des chevaux de course (selon le musée, mais alors je ne vois pas pourquoi leurs cavaliers sont armés d’arcs, ni pourquoi ils courent à la rencontre les uns des autres), la seconde des guerriers mongols avec des prisonniers, et la troisième l’apparition d’un ange qui, si l’on suppose qu’il s’agit d’une illustration de la vie de Mahomet, ne serait autre que Gabriel, qui lui a dicté le Coran.

L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013
L’Islam au musée de Pergame à Berlin. 31 juillet 2013

Un bond dans le temps. Du quatorzième siècle au dix-neuvième siècle. En 1819, Antoine Ignace Melling publie à Strasbourg, chez Treuttel und Würtz, Voyage pittoresque de Constantinople et des rives du Bosphore. Et l’ouvrage est illustré de gravures. Parmi celles-ci, j’en montre ici deux.

 

La première est légendée “Intérieur d’un café public, sur la place de Top-hané”. Dans la vie des hommes de Constantinople, les cafés avaient une grande importance –qu’ils ont en partie conservée aujourd’hui. Beaucoup d’entre eux s’étaient établis dans des endroits offrant une belle vue.

 

La seconde gravure, “Intérieur d’une partie du harem du Grand-Seigneur”, peut surprendre, voire faire douter de l’honnêteté de son auteur, puisque le harem est un endroit où nul homme autre que la très proche famille du sultan ou que les eunuques ne peut pénétrer. Mais, durant les dix-huit ans de son séjour à Constantinople, Melling a exercé les fonctions d’architecte et de paysagiste auprès du sultan Selim III et de sa sœur, et à ce titre il a pu avoir ses entrées pour raisons professionnelles dans des lieux où nul autre n’aurait eu accès. Dans ces conditions, il est évident que l’on n’a pas le droit de supposer que le dessin de cette gravure est sorti de l’imagination de Melling. Mais le 28 novembre 2012 nous avons passé une grande journée à visiter le palais de Topkapi, y compris le harem qui, évidemment, est désaffecté (voir mes deux articles à ce sujet), et je n’ai aucun souvenir de cette grande salle sur trois étages, avec ses galeries de bois tout autour. Quoique convaincu que je n’aurais pas pu l’oublier, je viens de revérifier toutes les 308 photos que j’avais faites ce jour-là, vérification qui confirme que je n’ai pas vu cette salle. A-t-elle été détruite? Est-elle fermée à la visite? Dans le dédale des bâtiments, des couloirs, des escaliers, l’ai-je manquée? Quel que soit le motif de cette lacune, je m’en console (un tout petit peu) en contemplant cette gravure…

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