Marlene Dietrich, la muse rebelle

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Marlene Dietrich, la muse rebelle

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La Grande traversée de cette semaine est consacrée à une légende du cinéma et de la chanson. Marlene Dietrich a été une personnalité incontestée du vingtième siècle, participant à son écriture, tant sur le plan politique, en rejetant son propre pays aux prises avec le nazisme, artistique, en incarnant l'actrice par excellence, et sociologique, en montrant la voie de la libération féminine. Le mythe, créé de son vivant, fascine encore et toujours. Un avant-goût de son parcours dans ce portrait en forme d'acrostiche.

> Du 1er au 5 août, écoutez chaque jour cette Grande Traversée déclinée en trois temps : un recueil d' archives radiophoniques (de 9h05 à 10h), un débat (de 10h à 11h), un documentaire (de 11h à 12h).

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Maria Magdaleine Dietrich
Maria Magdaleine Dietrich
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Maria Magdalene Dietrich © DR

Des papiers officiels de l’armée américaine lui font voir le jour en 1904. Un petit arrangement sur la réalité, orchestré par Hollywood pour le lancement de la carrière de l’actrice quelques années auparavant. Mais Maria Magdalene Dietrich est bien née le 27 décembre 1901 à Berlin. Elle est la deuxième fille de Louis Erich Otto Dietrich et Wilhelmina Elisabeth Josefine Felsing, mariés en 1898.

Au début de l’année 1914, celle qui est surnommée Lena, après manipulation de ses deux prénoms, les contracte pour n’en faire qu’un, Marlene. Elle étudie la musique, le luth puis le violon. A l’approche des années 20, période effervescente tant sur le plan de la création que sur celui de la libération des mœurs, la turbulente est envoyée en pension à Weimar. Elle y découvre la philosophie et se passionne pour la littérature.

Revenue à Berlin, à l’automne 1921, une inflammation de la main la contraint à laisser le violon. Cet abandon précipite son destin. Elle décide de devenir actrice et s’inscrit à la prestigieuse école dramatique de Max Reinhardt. Contrairement à ce que Marlene écrit dans son Abécédaire, elle ne sera pas l’élève du maître. Mais, en raison de sa beauté et de sa voix, des petits rôles au théâtre lui sont proposés. Puis, Rudolph Sieber, assistant de production, lui offre son premier rôle au cinéma dans un film de Joe May, Tragédie de l’amour . Rudi l’épouse en mai 1923 et un an plus tard, Maria Elisabeth, leur seul enfant, vient au monde. En dépit de leurs liaisons respectives, jamais ils ne divorceront.

Pendant sept ans, elle alterne les rôles au théâtre et au cinéma. Elle se produit également sur les scènes de music-hall, et c’est lors d’une prestation dans la revue Deux cravates , que son futur pygmalion, Joseph von Sternberg, la remarque.

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Très jeune, Marlene se sent française. Cette passion lui vient de sa professeur, Marguerite Breguand, qui lui enseigne la langue de Molière. Mais seule, elle prend une initiative déroutante pour une jeune fille de quatorze ans. Le 14 juillet 1915, en feuilletant un manuel d’histoire, elle découvre la symbolique de ce jour pour le peuple voisin. Elle se précipite alors dans le jardin pour cueillir des roses blanches et s’en va les offrir aux soldats français prisonniers dans un camp. «* Mon amour passionné pour la France […] prit le maquis et surmonta toutes les interdictions* », écrit-elle dans Marlene D. , autobiographie publié en 1984.

Carte d'identité de la soldate Marlène D épouse Sieber
Carte d'identité de la soldate Marlène D épouse Sieber

Carte d'identité de la soldate Marle Magdalene épouse Sieber © RF/Céline Ters

Le maquis, elle le prend une seconde fois. Naturalisée américaine en 1938, enrôlée dans l’armée au sein des United Service Organizations trois ans plus tard, elle part en 1944 soutenir de sa voix les soldats sur le champ de bataille. Cet engagement est nourri d’une aversion à être rattachée à l’Allemagne depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en mars 1933. A cette même période, alors qu’elle séjourne en France, l’ambassadeur allemand tente de la convaincre au nom du chancelier d’incarner la vedette du troisième Reich. Elle répond par une exigence : être dirigée par Joseph von Sternberg. Une fin de non recevoir. Devant l’absence de réponse, elle assène le coup fatal : « Dois-je comprendre que vous refusez que Mr von Sternberg tourne un film dans votre pays parce qu’il est juif ? ». Farouchement antinazie, longtemps l’Allemagne lui fera payer sa « désertion ».

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Leur liaison dure six ans
Leur liaison dure six ans
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Jean Gabin et Marlene, leur liaison dure six ans © DR

L’Allemagne n’est pas son unique rupture. Elle a aussi pris ses distances avec sa propre histoire. D’une part, sa sœur, surnommée Liesel, d’un an son aînée, sera tout simplement occultée de sa vie, nulle trace d’elle dans ses autobiographies. La raison en est le ralliement de son mari, Georg Will, au nazisme, qui sous le régime dirige le cinéma et la cantine de la Wehrmacht. D’autre part, l’arrangement de Marlene sur l’année de sa naissance, n’est pas son unique écart sur les dates. Elle reporte de huit ans la mort de son père, faisant de lui une victime de la Grande Guerre. Son père est en réalité décédé en 1908 dans une clinique pour aliénés mentaux. Celui qui meurt au combat, en 1916, n’est autre que le second mari de sa mère.

La vie de Marlene est aussi jalonnée de ruptures amoureuses. Si elle est restée fidèle à son époux sur le papier puisque jamais elle ne divorcera, elle aura de nombreux amants. Parmi lesquels : son pygmalion, Joseph von Sternberg, Erich Maria Remarque, Jean Gabin, Yul Brynner.

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Si sa carrière d’actrice s’envole en 1930 avec le film L’ange bleu de Joseph von Sternberg , son interprétation de la chanson Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt, ( Je suis faite pour l'amour de la tête aux pieds , traduite en anglais par Falling in love again ) devient tout aussi célèbre. Le titre qui fera également sa renommée est la reprise d’une composition allemande, Lili Marleen. Elle se l’approprie en modifiant les paroles et surtout le nom, puisqu'elle lui donne le sien, Lili Marlene. Elle la chante pour la première fois sur les champs de bataille devant les soldats. Cette chanson fait partie de son récital lorsqu’elle entame sa carrière de chanteuse en 1953, mais elle l’abandonne parfois, notamment en France jugeant qu’elle « peut réveiller un bruit de bottes pour certains spectateurs ». Durant 22 ans, elle se produit sur les scènes mondiales. Parmi les moments forts, son retour en Allemagne en 1960, où à Düsseldorf une jeune femme lui crache au visage, mais où, à Munich, elle fait un triomphe. Et la même année, elle se produit à Tel-Aviv où elle est ovationnée lorsqu'elle chante en allemand. En revanche, le public français n’aura jamais la ferveur rencontrée partout ailleurs. Une déception pour Marlène, tant amoureuse de la France. En 1975, elle donne un récital à Sydney où elle fait une chute. Marlene vient de quitter la lumière de la scène.

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Enfant, elle est admirée pour sa beauté, adulte, au fil de sa filmographie, elle se construit une image se parant d’artifices, robes de créateurs et fracs, accessoires et maquillage. Elle cultive l’ambivalence, tour à tour garçonne et femme fatale, à la fois séductrice de la gent masculine et séduite par le même sexe. Incarnation du glamour et de l’élégance, elle devient la femme que nul ne peut atteindre. Un mythe forgé de son vivant et qui depuis sa disparition fascine toujours.

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Affiche du film "L'Ange bleu"
Affiche du film "L'Ange bleu"
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Affiche de L'Ange bleu© RF/Céline Ters

Joseph von Sternberg donne naissance à Marlene Dietrich avec le personnage de Lola dans L’Ange bleu en1930. Avant lui, les réalisateurs n’ont su voir que la beauté de la femme, mais ils n’ont pas soupçonné le potentiel de l’actrice. C’est donc lui qui met en lumière la vitalité de Marlene, dès ce premier film qui sera le début d’une collaboration passionnée. Lors de la première, le 1er avril, Marlene est présente et le public allemand lui fait un triomphe. Le lendemain, les critiques dans la presse sont dithyrambiques, mais l'actrice ne le saura que plus tard. La veille, dès la fin des applaudissements, elle a pris le chemin pour les Etats-Unis, pour honorer son contrat signé avec la Paramount.

L'accueil de la version américaine de L'Ange bleu , en décembre, sera plus mitigé. Mais le film sort un mois après Morocco , deuxième collaboration entre le créateur et sa muse réalisée la même année, qui lui a rencontré un grand succès. La créature a déjà ravi son public.

Après cinq films ensemble, « Jo » pousse son actrice dans les bras d’un autre réalisateur. Elle ne fera qu’une escapade avant de le retrouver pour deux productions, L’impératrice rouge (1934) et La femme et le pantin (1935). Cette fois, la rupture sera définitive.

« Il m’a créée », écrit Marlene dans ses mémoires. Pour autant la créature s’affranchit de son pygmalion en tournant sous la direction de grands réalisateurs, tels que Henry Hathaway, Ernst Lubitsch, Billy Wilder, Alfred Hitchcock, Fritz Lang, Orson Welles ou encore Richard Quine. Elle enchaîne non loin d’une trentaine de films. Elle met un terme à sa carrière en 1978, sous la direction de David Hemmings, dans Just a Gigolo .


Un extrait du casting de Marlene pour L'Ange bleu .

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Marlene est enterrée au cimetiière de Schöneberg, à Berlin© RF/Céline Ters

Faite chevalier en 1949 « pour service rendu à la France », puis officier de la Légion d’honneur en 1971, François Mitterrand l’élève au titre de commandeur, en 1989. Pour lui remettre cette décoration, le Président veut organiser une cérémonie intime à l’Elysée. Marlene refuse. Depuis la fin des années 70, l’actrice ne souhaite plus être vue. « *Je vis maintenant à Paris… Sa lumière suffit à enchanter les cœurs les plus endurcis. […] On peut se reposer à Paris, laisser le monde poursuivre sa course effrénée… Il y a la solitude… La solitude n’est pas commode * », écrit-elle. Elle succombe le 6 mai 1992, veille de l’ouverture du festival de Cannes qui lui est consacré. Elle est inhumée à Berlin. Sur sa tombe, qui repose près de celle de sa mère, son seul prénom Marlene , et pour épitaphe « Je demeure ici à la marque de mes jours. »