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Le 14 juillet, Nice a été la cible de la deuxième attaque terroriste de masse en France en moins d’un an : 86 personnes ont été tuées sur la promenade des Anglais par un camion délibérément lancé dans la foule. Quatre-vingt-six personnes arrachées à la vie un soir de fête.

Pas plus que les 130 victimes des attentats du 13 novembre à Paris, ces disparus ne doivent s’effacer de notre univers. Nous refusant à les réduire à un chiffre et à un statut anonyme, celui de « victimes », nous avons voulu leur donner un visage, raconter qui ils étaient, leur rendre leur vie, à travers ceux qui les connaissaient et les aimaient. Les installer dans notre souvenir. Nous l’avions fait pour les attentats de Paris, il nous a paru de notre devoir de le faire aussi pour celui de Nice. Les journalistes du Monde se sont rassemblés pour écrire ces portraits, que nous publierons quotidiennement jusqu’au dernier.

Certaines familles n’ont pas souhaité dans l’immédiat participer à ce mémorial. Nous avons respecté leur volonté, mais cet espace leur reste ouvert si elles viennent à changer d’avis.

La rédaction.

Françoise Hattermann, 56 ans

« Mon héroïne », « ma sauveuse », « mon pilier », « une bavarde », « une battante »… Les mots pour décrire Françoise sont à l’image de cette grande et belle femme, moins assurée qu’elle en avait l’air. Elle disait ce qu’elle pensait, sans détours. Brutale parfois ? Peut-être. Mais derrière ses phrases abruptes se cachait une réflexion subtile. « Elle défendait ses valeurs », plaident ses proches.

Toute sa vie passait par les enfants. Ceux des autres, les plus vulnérables, les autistes, dont elle avait la charge à l’institut médico-éducatif Le Clos fleuri, à Passy (Haute-Savoie). Mais aussi, et surtout, les siens. Ses six enfants – Loïc, Florian, Clélia, Oriane, Léane et Elouan – issus de son amour avec Pierre Hattermann, rencontré à Strasbourg. Un premier à 21 ans, le dernier à 43. « Elle a tout fait, assure Loïc, son aîné, pour que nous puissions étudier, voyager… » Elle, pourtant, n’avait guère bougé davantage qu’entre la région parisienne, dont elle était originaire, l’Alsace, où elle avait vécu dès sa majorité, et la Haute-Savoie, où elle s’était installée avec Pierre. C’était elle le liant de toute la famille, celle qui téléphonait pour donner des nouvelles des uns et des autres.

Ce n’est que quelques années avant sa mort qu’elle avait décidé de reprendre des études pour devenir institutrice spécialisée. L’éducation, c’était par là, disait-elle, que passait l’avenir de l’humanité. Le savoir contre la haine. Et l’égalité entre les femmes et les hommes, un combat primordial. L’empathie, l’écoute. « Elle parlait avec tout le monde, pendant des heures. C’était parfois un peu fatigant, sourit Loïc, parce que quand on allait chercher du pain à la boulangerie, ça pouvait prendre trois quarts d’heure. »

Après les attentats du 7 janvier 2015, Françoise a manifesté, mis des bougies aux fenêtres, arboré un pin’s « Je suis Charlie ». Révoltée, convaincue que le vote est un devoir (elle admirait Christiane Taubira), « elle était échange, partage, bonté, à l’opposé de ce que prônent ses assassins », martèle Clélia, sa fille aînée. « Elle voulait faire de ses enfants de belles personnes, soutient Martine Taconnet, une de ses amies les plus proches. Elle a réussi. Ils sont honnêtes et droits, ouverts à la complexité des choses. »

« Si elle n’était pas morte dans l’attentat, elle aurait appelé à réfléchir, à ne pas se laisser emporter par la bêtise ambiante », assure Clélia. Elle n’aurait pas survécu à la mort d’Elouan, 12 ans, son petit dernier, mortellement fauché lui aussi le 14 juillet, comme Pierre. Mais elle n’aurait pas haï : elle y aurait opposé son obsession d’éduquer. Mieux, de sauver les enfants de la violence, des préjugés, des amalgames. Elle militait pour l’allaitement au sein, disait que tout se joue avant l’âge de 6 ans.

En octobre doit naître l’enfant de Florian, blessé dans l’attentat. Sa première petite-fille. Un enfant de plus qu’elle aurait chéri. Et qui ne connaîtra jamais cette grand-mère « héroïne ».

Angeline Montoya

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