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Le sport, un tremplin vers l’emploi pour les jeunes

L’Agence pour l’éducation par le sport organise mercredi en partenariat avec « Le Monde » une conférence sur les politiques locales d’insertion des jeunes par le sport.

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Publié le 30 septembre 2016 à 12h38, modifié le 13 décembre 2016 à 11h35

Temps de Lecture 10 min.

Hassan Briai, du club sportif Parkour59.

L’Agence pour l’éducation par le sport (Apels), en partenariat avec l’association des Villes de France et « Le Monde » organise, mercredi 13 décembre à Paris (Auberge de jeunesse Yves Robert. 20, Esplanade Nathalie Sarraute, dans le 18e arrondissement), une conférence sur les politiques locales d’insertion des jeunes par le sport. À partir des résultats du programme national « Education par le sport dans les villes » initié par l’APELS depuis 2015, plusieurs collectivités présentent des dispositifs territoriaux qu ont fait leur preuve. A cette occasion, nous publions un reportage paru dans le cahier Sport cet automne.

Dans le quartier, on ne le reconnaît plus. Mahamadou Guindo a adopté le chic vestimentaire du conseiller clientèle de banque. Costume sombre, chemise blanche. Mais c’est en jogging qu’il a été repéré. Dans ce club de foot de la Goutte-d’Or, à Paris, où il joue depuis qu’il sait courir et encadre bénévolement des jeunes à peine moins âgés que lui.

Digne de confi­ance, courageux, déterminé… Bien davantage qu’un CV s’achevant à la ligne « bac électrotechnique », ce sont ces qualités longuement observées par son entraîneur qui lui ont permis d’entrer à la banque LCL (Crédit lyonnais) en court-circuitant le processus habituel de recrutement. Il y a tout juste un an, les « Déclics sportifs » étaient lancés, une initiative pour l’emploi des jeunes « des quartiers » qui se révèle si efficace qu’elle semble destinée à faire tache d’huile.

Prenez des entraîneurs sachant utiliser le sport comme outil d’éducation et d’insertion – en vingt ans, un millier d’entre eux ont été identifiés par l’Agence pour l’éducation par le sport (Apels). Dans les quartiers les plus ­déshérités de France, transformez en chasseurs de têtes différentes ces coachs hors du commun, souvent derniers ­interlocuteurs des jeunes qui ont déserté école, missions locales et Pôle emploi.

Trouvez une banque à fort besoin de recrutement réfléchissant à l’adéquation de son personnel avec la clientèle… Voilà les ingrédients qui ont permis l’opération de l’Apels et de LCL. « Reconnaître que le sport est une autre école. Que parmi les deux millions de ­décrocheurs dans une voie sans issue, des milliers fréquentent des clubs où ils ­apprennent des choses », résume Jean-Philippe Acensi, fondateur de l’Apels et promoteur du projet.

Parfois plus efficaces que les jeunes diplômés

En octobre 2015, 37 jeunes de 18 à 27 ans, fortement impliqués dans un club sportif à Paris, Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) ou Lyon, ont bénéficié d’un contrat de professionnalisation au LCL, où ils se sont mués en conseillers clientèle ou techniciens de back office, parfois plus efficaces que les jeunes diplômés qu’ils côtoient.

La preuve ? A un mois de l’échéance de ce contrat, fin octobre, la direction des ressources humaines du groupe envisage de confirmer en CDI une trentaine d’entre eux. Par comparaison, seuls 30 % des étudiants de BTS en alternance décrochent ce Graal. La banque, c’est officiel, réservera à l’avenir 10 % de son recrutement à ces sportifs.

Dans le petit local encombré de coupes qui lui fait office de bureau, Nasser ­Hamici, l’entraîneur de Mahamadou Guindo, se souvient qu’« au départ personne n’y croyait ». Il lui a fallu convaincre les parents un à un. Oui, vraiment, une grande banque s’intéressait à leurs enfants, avec un CDI en ligne de mire.

« J’ai sélectionné huit jeunes de niveau CAP, bac techno ou pro, qui étaient un peu sur une voie de garage, au chômage ou enchaînant les petits boulots, mais qui avaient envie de s’en sortir. »

Aucun risque, il les connaît depuis tout gamins. Ce sont ceux qui donnent sans compter leur temps aux plus jeunes, prennent des initiatives, ont intégré règles et ­valeurs du club. « Ces qualités, ils ne s’en rendent pas compte, mais elles sont transférables au monde du travail. »

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Parmi eux, donc, Mahamadou Guindo, échalas souriant de 21 ans, défenseur central planté au milieu du terrain de la vie avec son bac pro électrotechnique et son peu de goût pour les « câblages que personne ne voit ». En quelques mois de formation, il a endossé le costume et le discours du conseiller en ligne :

« Franchement, c’est bien. Même s’il y a des clients qui racontent un peu leur vie. Il faut apprendre à gérer, surtout quand on ne peut rien pour eux dans l’immédiat. C’est un métier qui ne permet pas de rentrer dans le sentimental. »

Mais qu’il défend déjà. « Maintenant, quand ma mère s’énerve contre la banque, j’ai la réponse du banquier : “C’est pas du vol, c’est des frais bancaires.” »

Ses collègues ont des licences, des masters. « Ils sont entrés par la porte, moi par la fenêtre, mais j’en vois qui se reposent sur leurs lauriers. Moi, je vais donner le meilleur de moi-même, un jour ou l’autre je vais les dépasser. » Lorsque Yves Nanquette, l’ancien directeur général du Lyonnais, est venu expliquer sa démarche pionnière au club, Mahamadou lui a même annoncé qu’il le remplacerait un jour. Ce n’est plus impossible.

« Garantie de bon esprit »

L’opération « Déclics sportifs » révolutionne le recrutement, certes. Mais la ­révolution joue sur du velours. Allaoui Guenni, responsable de l’insertion professionnelle à l’Apels, sait que les clubs sportifs offrent au monde de l’entreprise une « garantie de bon esprit ». Balle au pied, gants aux mains, sifflet autour du cou, s’apprennent le respect de l’autre et de la règle, la capacité à faire équipe et ­gérer les conflits, le goût de l’effort, des défis et de la maîtrise de soi…

A ces ­acquis précieux, l’Apels ajoute un mois de coaching intense. Les jeunes repérés sont réunis, coupés de leur quotidien, préparés au monde de l’entreprise. Travail sur le langage, la posture, les codes, attention portée aux éventuelles difficultés sociales et médicales… « Avec beaucoup de bienveillance, on va les chercher, on les remet sur les rails. Pour la première fois de leur vie, on leur dit qu’ils ont des qualités », témoigne M. Acensi. Des champions et patrons partis de rien sont aussi là pour redonner confiance.

A la mi-septembre, la deuxième promotion de « Déclics sportifs » en est à cette étape d’« activation du potentiel ». Tout près de Roubaix (Nord), Jean-Philippe Acensi retrouve, dans un gîte rural en pleine campagne, une dizaine des quarante jeunes retenus, pour leur dire et répéter : « C’est une chance pour l’entreprise d’avoir des talents comme vous. » Ils se sont mis sur leur trente-et-un, ces ­habitués du club multisport Roubaix sport & culture ou de Parkour59, qui les entraîne à se déplacer le plus rapidement possible en franchissant des obstacles.

Zinédine Rafa du club sportif Roubaix Sport Culture.

Lyad, Sélim, Dina, Alim, Kahina, Anissa et les autres n’entendent pas être considérés comme des « cas soc’», même s’ils se sont frottés au chômage, à la manutention en intérim ou au ménage à l’aube chez Zara… « J’ai vu la misère, assure Amel Zeghlache. Je veux évoluer, pas me tourner les pouces. » Pour ses camarades, « à Roubaix, faut dire ce qui est, des métiers comme la banque, c’est pas facile à obtenir, surtout à 20 ans ». Alors Zinédine Rafa, 18 ans, « remercie de la part de tout le groupe ». Le stage porte déjà ses fruits, il s’exprime avec l’assurance de celui qui a le pouvoir d’accorder un prêt.

Contrat de professionnalisation

D’ici à trois semaines aura lieu un ­entretien avec un responsable du LCL – dans la première promotion, tous ont été pris. Puis les jeunes sélectionnés ­signeront un contrat de professionnalisation d’un an. Rémunérés aux alentours de 1 000 euros, ils passeront trois mois en centre de formation pour y ­découvrir les fondamentaux de la banque et ses ­métiers. Avant de postuler à une fonction qu’ils assumeront tout en se formant, sous triple tutorat –un parrain de l’Apels, un autre dans l’entreprise, et le tuteur professionnel que celle-ci désigne.

Ce parcours d’un an, prolongé de trois mois pour la promotion entrante, ne coûte que 1 500 euros par tête au Lyonnais, la région subventionnant le reste. Ce n’est pas là son mérite principal. Le dispositif profite à tous. Des entraîneurs se voient formés, valorisés, rémunérés par l’Apels (1 000 euros par jeune) et les nouveaux ­salariés qui reviennent dans les vestiaires en costume et tailleur rendent crédibles tous les discours sur les mérites du sport.

Sonia Derrouazd du club sportif Roubaix Sport Culture.

Intérêt bien compris du LCL, aussi, qui doit embaucher vite et de façon variée. Dans cinq ou six ans, un tiers des effectifs partiront à la retraite. La banque est ­urbaine, très implantée en zones périphériques. Son DRH, Renaud Chaumier, veut en finir avec cette moitié de nouvelles recrues bac + 5 qui rêvent davantage de start-up que d’agence bancaire et font monter les enchères salariales :

« Nous ­devons sortir du syndrome du diplôme, ­rechercher des personnalités. Le monde du sport est précieux pour cela. Nous avons par ailleurs dans notre clientèle toute la ­diversité de la France, et la notion de ­miroir est essentielle pour la confiance. »

Déjà, l’arrivée de ces jeunes a secoué les habitudes. Les recruteurs remisent leurs tests logiques, laissent davantage s’exprimer les passions. Les formations se font moins scolaires. Les parrains ­volontaires suivent des séminaires sur les codes de la banlieue. Une fierté d’entreprise citoyenne émerge. Il se dit à la machine à café que même le directeur régional Rhône-Alpes-Auvergne parrainerait une jeune…

« Gagner en assurance »

Ce n’est pas qu’une rumeur. Sur le ton du dithyrambe, ce directeur, Samuel Frugier, décrit sa filleule boxeuse, bachelière pro et employée précaire en maison de retraite, Yamina Ghérib. « L’appétit commercial, qui est indépendant de la formation, elle l’a ! Sa capacité d’adaptation, son envie d’apprendre m’ont frappé d’emblée. C’est un sans-faute, même si elle doit ­encore gagner en assurance. » Yamina, elle, évoque une « deuxième chance » qu’elle semble savourer. « Les jeunes des quartiers sont choqués [impressionnés] de me voir là. Ils ont plus de facilités à me parler. » On ne l’arrête plus. Elle vise haut : une formation interne de niveau bac + 5, pour devenir conseillère privée.

De tous côtés, les résultats impressionnent. « Accréditant le fait qu’on apprend des choses dans un club sportif », appuie Jean-Philippe Acensi. Les jeunes « sont transformés, épanouis, sûrs d’eux, ils ont le regard plus haut, les filles font attention à elles physiquement. Gagner autour de 1 000 euros net, pouvoir aider la famille, cela change leur statut. Dans la fratrie, ce sont des exemples. Les efforts paient », ­remarque Laurence Ribeaucourt, de ­l’Association de prévention par les arts de rue de Tremblay-en-France, qui a fourni deux ans de suite des recrues. LCL a joué le jeu, pense-t-elle, ne leur ­confiant aucune mission susceptible de les mettre en échec. « Pour certains, c’est la première fois que l’on croit en eux et qu’ils réussissent. Ils ont une formidable énergie positive ! »

Energie mise au service d’un secteur bancaire auquel se heurte parfois leur famille ? Sans hésitation, car « ce symbole de l’argent, du capitalisme, de ce qui fait une forme d’exclusion, d’un seul coup offre une chance que personne ne leur ­offre », constate, pragmatique, Ryadh Sallem, champion paralympique et ­pilier de l’Apels.

« Bombes à retardement »

Le LCL, qui prévoit d’embaucher par ce biais de 50 à 70 jeunes chaque année, prêche la bonne parole, propose même de mutualiser les outils de formation développés. Le Crédit agricole de Normandie comme celui de La Réunion s’apprêtent à suivre. L’Association française des banques (AFB) ­incite tous ses membres à faire de même. Voilà qui permettra de cocher la case « insertion » du pacte de responsabilité et de solidarité…

Un accord de partenariat a ainsi été signé le 10 juillet entre l’Apels et l’AFB, dont la directrice générale, Marie-Anne Barbat-Layani, joue franc jeu :« Nous avons embauché 39 000 personnes l’an passé. Il n’est pas question de philanthropie, les banques ont besoin de tous les talents. Les jeunes de “Déclics sportifs” ont un taux de 80 % de transformation de leur contrat en CDI, alors même que LCL n’agit pas uniquement pour faire plaisir. Manifestement, ces associations sont un gisement. »

D’autres secteurs seront vite concernés. Yves Nanquette, l’ex-patron du Lyonnais, désormais retraité et converti en militant Apels, prospecte auprès des entreprises de sa région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les centres de formation des apprentis, qui peinent à faire le plein, commencent eux aussi à lorgner du côté des clubs. A Tourcoing (Nord), jeunes sportifs et artisans s’apprivoisent peu à peu, au-delà des stéréotypes mutuels.

Le succès de cette nouvelle filière de ­recrutement est un impératif, alerte Jean-Philippe Acensi : « Nous avons tant de jeunes désespérés, à l’horizon limité. Des vraies bombes à retardement. Si nous parvenons à insérer 1 000 jeunes par an, nous donnons un nouvel espoir dans les quartiers et une autre ambition au sport. Nous changeons la France. Dans vingt ans, il y aura un directeur issu des quartiers au Crédit lyonnais ! » Peut-être bien Mahamadou ?

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