Bombardements, famine et rivalités… Tout comprendre à la guerre au Yémen

Saoudiens pro gouvernement et Iraniens alliés des rebelles houthis, se livrent au Moyen-Orient à un affrontement sans merci. Alors que les efforts diplomatiques restent vains, le pays s’enlise dans un chaos militaire et un désastre humanitaire.

 Sanaa (Yémen), le 3 septembre 2018. Une petite fille de 4 ans souffre de la famine.
Sanaa (Yémen), le 3 septembre 2018. Une petite fille de 4 ans souffre de la famine. Xinhua/Mohammed Mohammed

    Une mèche enflammée sur un baril de pétrole. Voilà à quoi fait penser aujourd'hui le Yémen, un pays vaste comme la France et peuplé de 28 millions d'habitants, niché dans le coin sud-ouest de la péninsule Arabique, entre la mer Rouge et l'océan Indien.

    Partie durant l'Antiquité du royaume de Saba, le Yémen a depuis longtemps oublié son surnom d'Arabie heureuse. Depuis plus d'un demi-siècle, ce pays est le théâtre de convulsions politiques de plus en plus sanglantes. Et, désormais, d'une famine d'une ampleur sans précédent.

    Le cauchemar commence en 2014 quand se déclenche une véritable guerre, après que les houthis (des chiites soutenus par l'Iran et le Hezbollah libanais) s'emparent d'une large fraction du territoire, dont la capitale Sanaa. Replié à Aden, le gouvernement appelle à la rescousse une coalition de pays arabes voisins conduite par l'Arabie saoudite.

    «Des bébés étaient trop faibles pour pleurer»

    « Au Yémen, Saoudiens et Iraniens se livrent à une guerre par procuration », analyse l'universitaire Lara Al Raisi, auteur d'un livre* décrivant l'antagonisme entre le royaume sunnite arabe et la République islamique perse, berceau du chiisme. Leur rivalité et l'effondrement des structures étatiques ont favorisé l'expansion des groupes islamistes, dont Al-Qaïda, bien implanté au Yémen.

    « En intervenant, l'Arabie saoudite pensait régler le problème en quelques mois, mais elle s'est enlisée dans une guerre dont on ne voit plus comment elle va sortir », relève Lara Al Raisi.

    Les bombardements aériens ne suffisent pas à venir à bout des rebelles dissimulés dans la population, d'où une succession de bavures. Affaiblis, les houthis n'hésitent pas à enrôler des enfants et à truffer le terrain de mines. Le conflit a déjà fait 10 000 morts.

    Selon l'ONG Save the Children, plus de cinq millions d'enfants sont en train de mourir de famine ! « Dans un hôpital que j'ai visité dans le nord du Yémen, les bébés étaient trop faibles pour pleurer », a déclaré Helle Thorning-Schmidt, directrice générale de l'ONG.

    La communauté internationale, qui tente de relancer les pourparlers de paix, observe avec inquiétude ce conflit dans une région où transite près du tiers du pétrole mondial. Et où, selon l'ONU, se joue presque incognito « la pire crise humanitaire au monde ».

    QUI SONT LES HOUTHIS ?

    Ce mouvement politique religieux et militaire, né dans les montagnes du Nord-Ouest, a pris le nom des membres de la famille qui le dirige. Abdul-Malik al-Houthi en a pris la tête après la mort de son frère Hussein Badreddine, tué en 2004 lors de l'insurrection houthi. D'autres membres de la fratrie, comme Yahia Badreddin, forment les cadres du groupe appelé officiellement Ansar Allah (les partisans de Dieu).

    Le mouvement houthi se réfère explicitement au zaïdisme, un des trois courants du chiisme, le plus proche du sunnisme. Les houthistes représentent moins de 10 % de la population yéménite mais le zaïdisme a toujours été très influent dans le pays.

    LES QUATRE ACTEURS DE LA GUERRE

    Abdul-Malik al-Houthi, chef des rebelles houthis.

    Âgé de 39 ans, il est le fils d'un haut dignitaire religieux zaïdite. Il a été donné mort dans un bombardement en 2009, à tort semble-t-il. En 2016 il s'est autoproclamé « guide de la Révolution » et a refusé de venir à Genève (Suisse) négocier une sortie de crise le 8 septembre dernier sous l'égide de l'ONU.

    Ali Khamenei, le soutien iranien des houthis.

    Le guide suprême de la révolution islamique est le véritable chef militaire de l'Iran (chiite). Pour affaiblir l'adversaire saoudien sunnite, Ali Khamemei, 79 ans, a ordonné aux Pasdarans, le bras armé du régime, et aux miliciens du Hezbollah libanais d'aider les houthis chiites.

    Abd Rabbo Mansour Hadi, caution des Saoudiens.

    Longtemps dans l'ombre d'Ali Abdallah Saleh (ex-président assassiné fin 2017 par les Houthis) le maréchal Abdrabbo Mansour Hadi, 73 ans, est depuis 2012 le président du Yémen. Renversé en 2015 par l'insurrection houthie, c'est pour le remettre au pouvoir que les Saoudiens sont intervenus au Yémen.

    Mohammed ben Salmane, n°1 saoudien, ennemi juré des Iraniens.

    Le prince héritier d'Arabie Saoudite a pris la tête de la coalition des pays arabes sunnites (avec l'Égypte, la Jordanie, le Soudan, Maroc, etc.) en guerre contre les Houthis au Yémen. À 33 ans, « MBS » comme on le surnomme, est résolu à éliminer les Houthis, allié des chiites iraniens.

    LES DATES DU CONFLIT

    1962-1970 : guerre entre les forces du Royaume du Yémen (sudistes soutenus par l'Arabie-Saoudite) et celles de la République arabe du Yémen (nordistes soutenus par l'Égypte).

    1990 : la République démocratique et populaire du Yémen (sud) et la République arabe du Yémen (nord) sont unifiées.

    1994 : guerre civile opposant les forces de la République du Yémen (unifiée) et les séparatistes yéménites du sud. La tentative de sécession échoue et la réunification finale du pays est signée en 2010. Le conflit a fait 10 000 morts.

    2004-2014 : se sentant marginalisés sur le plan politique, économique et religieux, les Houthis se livrent à une série d'insurrections à partir de leur fief de Saada, au nord-ouest du pays.

    2017 : en décembre, l'ex-président Saleh, qui s'était rapproché des Saoudiens après avoir été allié des Houthis, sera tué par ces derniers.

    2015, toujours en cours : suite au renversement par les Houthis (soutenus par l'Iran) du président Abdrabo Mansour Hadi, une coalition d'une dizaine de pays arabes menés par l'Arabie Saoudite intervient militairement au Yémen : c'est l'opération Tempête décisive.

    * Iran-Arabie Saoudite, le choc des titans, par Lar Al Raisi, 272 pages, 20 euros, éditions Erick Bonnier