LE ROI ANECDOTIQUE : HENRI III DE CASTILLE ET LE SUMARIO DEL DESPENSERO
Jean-Pierre JARDIN Université de Paris XIII
Le règne d'Henri III de Castille (1390-1406), abrégé par la maladie qui mit fin à la vie du monarque alors que celui-ci n'avait que vingt-sept ans, est, malgré sa brièveté, le plus mal connu des règnes des souverains Trastamares. Cette ignorance est due, en grande partie, à l'absence d'une chronique complète de ce règne : Pero Lôpez de Ayala, grand chancelier de Castille et chroniqueur des rois Pierre Ier, Henri II et Jean Ier, laissa à sa mort (1407) une version incomplète de la chronique d'Henri III sur laquelle il travaillait. Ce texte ne couvre que les cinq premières années du règne, et rien ne permet de supposer qu'il en ait existé un jour une version plus complète, hypothèse avancée par certains chercheurs sur la foi des affirmations du successeur de Pero Lôpez dans la charge de chroniqueur, Àlvar Garcia de Santa Maria, qui prétend, dans le prologue à sa Crônica de Juan II, reprendre le fil du discours historique castillan à l'endroit même où son prédécesseur l'avait laissé. Tout au plus peut-on avancer l'hypothèse que le chancelier avait rassemblé les matériaux nécessaires à la poursuite de sa chronique jusqu'à l'an 1402, sans avoir la possibilité de les organiser dans le cadre d'un récit suivi.
Cette absence d'un texte de référence a pu sembler une gêne pour certains historiens postérieurs, qui se sont vus contraints, faute de source fiable, à passer rapidement sur le règne d'Henri III, alors même que la figure du souverain, restaurateur par son mariage avec Catherine de Lancastre, petite-fille de Pierre Ier (1388), d'une certaine légitimité du pouvoir royal, hypothéquée vingt ans plus tôt par l'accession au trône de son grand-père, le bâtard fratricide Henri, appelait éloges et commentaires. Elle fut aussi, pour d'autres, un facteur stimulant qui leur donna l'occasion de laisser libre cours à leur imagination ou de permettre aux récits légendaires et aux traditions orales d'accéder au monde, supposé véridique,
Mélanges de la Casa de Velazquez (MCV), 1995, XXXI (1), p. 223-248.