Thérapies familiales et systémiques |
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Robert Pauzé et Luc Touchette, dans un article publié dans la revue Thérapie Familiale en 2009 (volume 30, pages 133 à 146), font un terrible bilan de l’état de l’art en thérapie familiale. Selon eux, les praticiens en thérapie familiale souffrent d’un « isolement intellectuel » associé à une « autosatisfaction démesurée ». Reprenant des observations faites dès les années 90, ils constatent « une absence de théories pertinentes ancrées dans la réalité clinique et la recherche, une tolérance pour la médiocrité dans certaines formations et supervisions, une absence notable d’initiation au langage de la recherche, une imprécision conceptuelle des modèles thérapeutiques existant, un penchant pour les métaphores issues des sciences naturelles, une incapacité à fournir des preuves pour documenter son efficacité et une tendance à justifier sa validité par simple référence à des déclarations de principes, à des descriptions anecdotiques de cas réussis et au charisme de ses leaders ». Le constat est dur mais réaliste. Les thérapeutes familiaux armés de l’épistémologie constructiviste et sensibles aux sirènes de la complexité n’ont jamais cherché, ou si peu, avec l’aide des méthodologies utilisées dans les sciences naturelles, à confronter leur intuition clinique à la critique scientifique. Ils ne sont pas les seuls. Reste malgré tout le sentiment que plus encore que d’autres, les thérapeutes familiaux, repliés dans leur chapelle et convaincus de la légitimité de leur pratique, n’ont jamais été enclins à l’autocritique. On moque très souvent l’éclatement des théories freudiennes en une multitude d’écoles, mais à y regarder de plus près, même si les querelles des systémiciens sont très rarement étalées sur la place publique, le panorama des thérapies familiales n’est pas très différent. Alors que faire ?
Toujours dans le même volume de la revue Thérapie Familiale, Stephan Hendrick donne peut-être les premières clés d’un changement à opérer (volume 30, pages 211 à 233). Dans une revue systématique de la littérature sur l’efficacité des thérapies familiales systémiques, il dresse plusieurs constats. Tout d’abord, on observe que, comme le soulignaient Pauzé et Touchette, l’efficacité des thérapies familiales est très peu documentée. Peu de recherches ont été menées. Pire encore, les quelques recherches publiées, toujours favorables à la thérapie familiale, comportent de nombreuses lacunes méthodologiques : « absence de groupe contrôle, population sélectionnée et/ou relativement hétérogène, absence de mesures standardisées ». Cependant, cela n’aura pas empêché une nouvelle génération de praticiens et de chercheurs de progresser et de proposer une formalisation plus précise des techniques systémiques afin de mener des évaluations plus rigoureuses. On peut citer par exemple les travaux menés sur le modèle de la thérapie familiale structurale/stratégique (Brief Structural/Strategic Family Therapy, BSFT) qui intègre les conceptions structurales de Salvador Minuchin & Herman Charles Fishman, ainsi que les apports techniques du modèle stratégique de Jay Haley. Par ailleurs, concernant la recherche sur les processus, Hendrick montre que des études récentes ont cherché à mettre en évidence l’efficacité de certaines pratiques spécifiques aux thérapies familiales, comme par exemple : le recadrage du problème ou l’amélioration des interactions et des compétences entre les séances.
Loin de solutionner l’ensemble des difficultés énoncées
au début de cet éditorial, les recherches menées ces dernières
années laissent penser que praticiens et chercheurs dans le champ des
thérapies familiales ont entamé un nouveau pas de danse. L’implication
de plus en plus de thérapeutes familiaux et/ou systémiciens dans
le Réseau de Recherches Fondées sur les Pratiques Psychothérapiques
est un signe supplémentaire de cette évolution en France. La
continuation et le développement du mouvement de la thérapie
familiale en dépend assurément.
La thérapie familiale en Europe avant 1980
Il est bien aventureux de parler de la naissance de la thérapie familiale
en Europe. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a été importée
des États-Unis. C’est sans doute pour cette raison qu’elle
s’est d’abord implantée dans les pays de langue germanique
qui étaient à même de lire les textes en anglais. Il n’est évidemment
pas possible de citer tous ceux qui ont contribué à cette introduction
et nous ne retiendrons que ceux qui ont eu une influence sur la thérapie
familiale francophone.
En Grande-Bretagne, on peut retenir les noms de Rosemary Whiffen, Gill Gorell-Barnes
et John Byng-Hall. Ce dernier est bien connu pour ses travaux sur les mythes
familiaux. En Allemagne, Helm Stierlin, revenant de Philadelphie, a contribué à faire
connaître la pensée de Boszormenyi-Nagy en Europe. En Norvège,
Philippe Caillé apprenait l’italien pour aller se former à Milan.
En effet, si nous quittons les pays germaniques, nous voyons qu’en Italie
l’école de Milan, menée par Mara Selvini avec Luigi Boscolo,
Gianfranco Cecchin et Giuliana Prata se fait connaître en publiant en
1974 « Paradosso e Contraparadosso » qui sera le premier livre
traduit en français. À Rome également, Luigi Cancrini
et Luigi Onnis d’une part et Maurizio Andolfi, Paolo Menghi, Anna Maria
Nicolò et Carmine Saccu d’autre part, commencent à donner
des formations.
En Belgique, Pierre Fontaine organise une première formation avec Bella
Borwick à l’UCL et organisera par la suite des séminaires
avec entre autres Minuchin et Boscolo et Cecchin. Jacques Pluymaekers fonde
La Gerbe et sera rejoint par Mony Elkaïm dès 1974. Siegi Hirsch
travaille en privé à Bruxelles et commence une des premières
formations systémiques en France avec Pierre Segond à Vaucresson.
Jacques Beaujean organise un colloque avec Harry Aponte à Bertrix en
1976. C’est à cette occasion que Yves Colas découvre la
thérapie familiale.
En France, outre la formation de Siegi Hirsch à Vaucresson, Jacqueline
Prud’homme vient du Québec pour donner des formations à Lorient
avec Jean-Marc Guillerm et à Paris avec Jacques Rudrauf et Jean-Claude
Benoit. Ce dernier invite également Jacques Beaujean pour organiser
une formation commune. À la fin des années 70, Robert Neuburger
invite Philippe Caillé et Siegi Hirsch à mettre en place avec
lui des formations et des supervisions.
En Suisse romande, Luc Kaufman, rentrant d’un voyage d’études
aux Etats-Unis, lance un premier séminaire en 1970, vite rejoint par
Odette Masson et Elisabeth Fivaz. Guy Ausloos fonde le GRIDEF à Genève
en 1974. Mais c’est en Suisse alémanique, à Zürich,
qu’aura lieu ce que l’on peut considérer comme l’événement
fondateur de la thérapie familiale en Europe : en 1975, Joseph Duss
von Werdt organise le premier congrès européen de thérapie
familiale où se retrouveront la majorité de ceux que nous venons
de citer.
l Les Journées de Lyon et la revue Thérapie Familiale
Rentrant de Bertrix, Yves Colas décide de contribuer à la diffusion
du mouvement des thérapies familiales en français et organise
en 1977 les premières Journées Francophones de Thérapie
Familiale Systémique de Lyon. Débuts modestes qui réunissent
une trentaine de participants. Rejoint par Guy Ausloos en 1978, Colas décide
de recommencer ces Journées annuellement et c’est très
rapidement une réussite : plus d’une centaine de participants.
Colas et Ausloos veulent donner une diffusion à ces Journées
et publient un premier Bulletin distribué après les Journées
aux participants. Un temps est aussi réservé le samedi matin
des Journées à proposer la création d’une revue
et à demander de remplir un questionnaire précisant les souhaits
pour une telle revue et les éventuelles propositions de participation.
Parallèlement, des contacts sont pris pour tenter de trouver des éditeurs
français intéressés à publier une telle revue,
mais c’est l’échec : aucun ne veut s’engager à publier
une revue pour un mouvement qui en est encore à ses premiers balbutiements
et qui ne dispose pas d’un nombre potentiel d’abonnés.
C’est lors des Journées de 1979 que Jean-Jacques Eisenring se
propose pour contacter l’éditeur de Médecine & Hygiène à Genève.
Son directeur, Jean-Pierre Balavoine, accepte de se lancer dans l’aventure
pour 2 ans et de continuer à éditer la revue au bout de cette
période s’il y a au moins 500 abonnés. Opération
réussie puisque la revue atteindra rapidement 1500 abonnés et
que ce nombre ne faiblira pas au cours des ans. Mais tout restait à faire
: constituer un comité de rédaction, un comité de lecture
et un comité scientifique et surtout trouver des articles à publier.
En effet, nous ne voulions pas d’une revue qui se contenterait de publier
des traductions d’articles américains ; nous voulions créer
un espace où des francophones pourraient commencer à publier.
Le comité de rédaction ne fut pas difficile à réunir
: Jean-Claude Benoit, qui était déjà directeur de collection
chez E.S.F., accepta immédiatement, de même que Léon Cassiers ;
Jean-Jacques Eisenring assuma la lourde charge de rédacteur en chef
et, bien sûr, Guy Ausloos et Yves Colas firent également partie
du comité.
La suite est l’histoire d’une revue qui a atteint sa trentième
année et qui a largement contribué à diffuser la pensée
systémique en pays francophone et à permettre l’éclosion
d’auteurs dans ce domaine. Actuellement, plus de 800 articles ont été publiés.
C’est aussi l’histoire de ces Journées qui, au-delà de
la qualité des communications présentées, ont toujours été des
lieux de retrouvailles qui ont donné à ces Journées leur
caractère particulièrement chaleureux.
Il faut aussi évoquer ceux qui ont pris la relève au cours des
ans et tout d’abord Daniel Masson qui accepta avec une grande compétence
et une disponibilité inlassable de reprendre la tâche de rédacteur
en chef lorsque Jean-Jacques Eisenring décéda subitement en 1986.
Il seconda par la suite Yves Colas dans l’organisation des Journées.
Maggy Siméon remplaça brillamment Léon Cassiers lorsque
ses tâches de doyen ne lui permirent plus de participer au comité.
Elle fut la première femme à faire partie du comité, mais
depuis, ce sont d’autres femmes, Marie-Christine Cabié, Muriel
Meynckens, Véronique Regamey, Brigitte Waternaux et un homme, Ignacio
Garcia-Orad, qui ont remplacé les membres du comité au fur et à mesure
qu’ils étaient atteints par la limite d’âge. Ce sont
eux qui ont brillamment organisé les 3 dernières Journées.
Il nous reste à rendre hommage aux éditeurs, monsieur Balavoine
père et son fils Pierre-Yves, maintenant disparus, sans qui la revue
Thérapie Familiale n’aurait pas existé.
* Psychiatre, ancien Professeur agrégé de clinique à l’Université de Montréal, Membre fondateur de la revue Thérapie Familiale
Même si la thérapie avec des patients traités en individuel se pratique depuis plus ou moins les origines de la clinique systémique, c’est bien la thérapie de famille et de couple qui a occupé le devant de la scène et à laquelle la systémique est souvent identifiée. Peu de textes existent dans la littérature systémique, consacrés au travail thérapeutique avec les individus, encore moins à des programmes de formation en référence à ce type de thérapie. Et pourtant on observe de plus en plus des thérapeutes qui, optant pour la référence systémique, ont une clinique essentiellement avec des individus. Par ailleurs, les nouvelles exigences pour la formation en psychothérapie aussi bien des médecins-psychiatres que des psychologues cliniciens - en Suisse en tout cas - imposent à ceux-ci d’avoir fait l’expérience personnellement et individuellement de la thérapie qu’ils proposent à leurs patients. Mais alors, qu’est-ce donc cette thérapie systémique individuelle ? C’est pour tenter de répondre à cette question qu’un groupe de travail du Centre d’Etude de la Famille à Lausanne s’est réuni depuis plusieurs années. Les systémiciens se doivent de disposer d’une approche en thérapie individuelle élaborée, reconnue par le réseau professionnel et dont l’enseignement est intégré dans la formation de base.
Un enjeu idéologique
L’affirmation qu’on peut travailler de manière systémique
avec un individu peut apparaître un peu étrange, voire provocatrice,
pour qui est habitué à assimiler la clinique systémique à celle
de la famille et de couple. A l’interne, entre systémiciens, cela
nous oblige à nous réinterroger sur ce qui constitue l’essentiel
de la systémique, et en particulier sur la place accordée à l’individu
en systémique (l’apport de la seconde cybernétique est
sur ce point très précieux). A l’externe, une telle affirmation
peut faire réagir certains psychothérapeutes d’obédiences
différentes, pour lesquels référer un patient à un
collègue systémicien en vue d’une thérapie individuelle
n’est de loin pas dans leurs habitudes.
Le fait de poser qu’il existe une psychothérapie individuelle
d’orientation systémique (PIOS), comme il existe par ailleurs
des thérapies familiales ou de couple d’orientation psychanalytique,
cognitivo-compartementale, etc. peut paraître banal. Mais il ne faut
pas minimiser l’enjeu idéologique que cela représente,
dans le sens où cette reconnaissance n’est pas d’emblée
acquise, dépendante de certaines normes à l’œuvre
dans les pratiques professionnelles et institutionnelles de la psychothérapie,
qui pourraient s’y opposer. Revendiquer sa place, faire valoir son bon
droit à exister, s’inscrit toujours dans un discours social de
légitimation (1).
Quelques repères dans la littérature systémique
Quand on parcourt l’immense littérature accumulée dans le champ de la clinique systémique à partir des années 50, on ne peut être qu’étonné du petit nombre d’articles consacrés à l’intervention et à la thérapie individuelle d’orientation systémique, malgré certaines initiatives majeures, mais souvent sans suite, comme celles de Bowen en 1972, qui propose déjà un modèle de « psychothérapie familiale avec un seul membre de la famille », ou de l’école de Palo Alto dans le sillage de Weakland, puis de Shazer, pour qui finalement la thérapie systémique n’est pas fonction du nombre de personnes vues, mais du cadre théorique qui détermine ce que fait le thérapeute. Il faut attendre 1996 pour disposer du seul et riche ouvrage existant à ce jour consacré à la thérapie individuelle d’orientation systémique, celui de Boscolo et Bertrando (Systemic Therapy with individuals), ouvrage qui par ailleurs fait malheureusement l’économie d’une revue fournie et systématique de la littérature dans le domaine. Enfin mentionnons que ces dernières années, Matteo Selvini avec ses collaborateurs Cirillo, Sorrentino, Canevaro, du Centre d’Etudes pour les Familles, s'est beaucoup intéressé à la PIOS, dans un souci de redonner de l’importance à la psychopathologie individuelle en systémique (2).
Quatre ingrédients du processus thérapeutique de la PIOS
Terminons par proposer, à titre heuristique et constructif, quatre éléments
qui caractérisent le processus d’une PIOS et qui, réunis
dans une dynamique mutuelle, lui confèrent une certaine spécificité par
rapport au fond commun qu’elle partage, bien sûr, avec toutes les
autres formes de thérapie individuelle.
Travailler sur le relationnel en situation
Le systémicien revendique la prise en compte des dynamiques interactionnelles,
verbales et non verbales, pour comprendre les comportements. En disant le « relationnel
en situation », j’ajoute une dimension expérientielle
et phénoménologique. L’accent est mis sur le relationnel
du patient (avec ses proches, mais avec le thérapeute également),
tel qu’il en fait l’expérience dans sa dimension intersubjective
directe et actuelle. Pour élaborer, mettre des mots, construire de nouvelles
histoires, se connecter sur des expériences significatives du passé,
il est indispensable d’être davantage « conscient de
son contact direct avec la situation telle qu’elle se manifeste in situ »,
une forme de Lebenswelt, fond de vie pas encore trop différencié, à partir
duquel peuvent s’actualiser et s’expérimenter de nouvelles
formes de relation.
Rendre présente la famille
En posant bien la question de l’indication (peut-on d’emblée
s’engager avec le patient seul ou est-il utile de lui permettre, à la
faveur de quelques entretiens de famille, un premier mouvement de différenciation
d’avec elle ?), en utilisant le questionnaire circulaire, technique
systémique par excellence qui met en situation les problèmes, et
en ouvrant parfois et momentanément, quand c’est indiqué,
le dispositif thérapeutique duel à un ou des membres de la famille,
le systémicien travaillant en individuel s’assure de rester fidèle à la
dynamique des appartenances, une des pierres de l’édifice systémique.
Le soi comme expérience d’appartenance à différents
systèmes
Ce troisième ingrédient du processus d’une PIOS s’y
réfère encore plus explicitement. C’est toute une conception
du soi qui est ici engagée. Brièvement dit, le soi n’existe
pas comme un noyau résiduel identitaire de l’individu, coeur d’une
vraie identité du sujet, qu’on pourrait dégarnir de toutes
ses feuilles d’appartenance, comme des feuilles d’artichaut … La
métaphore de l’oignon serait plus adéquate. Le soi n‘existe
qu’en acte, dans sa constitution même au carrefour des logiques émotionnelles
et langagières de ses systèmes d’appartenance.
La PIOS se présente ainsi comme un espace privilégié pour
qu’un patient puisse débrouiller le noeud de ses appartenances, être
plus au clair sur ce qu’il s’autorise à dire, faire et ressentir
dans tel contexte de communication, et pas dans un autre, tout en étant
influencé par eux. On pourrait dire que cela devient problématique
lorsqu’il y a trop de conflits de loyauté entre ces différentes
appartenances.
L’apport d’une psychopathologie qui n’ignore pas les ressources
Inévitablement, le fait de rencontrer régulièrement un individu
seul a pour conséquence qu’on est plus sensible à son fonctionnement
psychique et à ses stratégies de pensée. De solides connaissances
de psychopathologie pourraient être indispensables à une bonne clinique
de la PIOS. Il y a aujourd’hui tout un courant de systémiciens qui,
sans renier les apports d’une psychothérapie ressource-oriented,
est ouvert au champ de la psychopathologie. Avec l’aide de la théorie
de l’attachement et des types de personnalité développés à sa
lumière, d’une approche psychodynamique bien pensée et moins
mentaliste, ils se donnent des outils opérants pour mieux comprendre leur
patient et tenter d’articuler pensée individuelle et pensée
relationnelle.
Il y a encore du travail pour dégager une ligne de pensée cohérente
et claire en matière de thérapie individuelle systémique,
acceptable par les systémiciens eux-mêmes et leurs collègues
d’autres orientations. Mais à ce jour la route me semble déjà bien
balisée pour que nous puissions approfondir la réflexion.
1. Ce point a été explicitement développé dans
mon intervention en mai dernier lors des XIèmes Journées Francophones
de Thérapie Familiale et Systémique à Lyon. A paraître
dans Thérapie familiale.
2. Pour une présentation plus détaillée, cf. Vaudan, C.,Tripet,
B., Corboz-Warnery, A. et Duruz, N. : Y a-t-il une place pour la psychothérapie
individuelle en systémique ? Thérapie familiale, 2009, 30 (3) :
379-400.
* Professeur honoraire en psychologie clinique de l’Université de
Lausanne. Formateur et superviseur à l’Unité d’Enseigmement-CEF
de l’Institut universitaire de psychothérapie (Département
de psychiatrie-Chuv), Lausanne. nicolas.duruz@unil.ch
L’analyse systémique appliquée aux institutions de soins
de psychotiques a beaucoup participé aux processus de désaliénation
et de désinstitutionnalisation dans les années 70.
La compréhension de la dynamique des groupes ouverts par les théories
cybernétiques et les théories de la communication a permis de
décrire comment les interactions peuvent se renforcer dans des processus
d’aliénation et comment les patients reproduisent dans l’institution
les modes relationnels familiaux.
L’analyse des résonances (homologies) entre groupes familiaux-groupes
soignants, est devenue un des outils de certaines thérapies institutionnelles.
La réflexion éco systémique s’est ensuite appliquée
aux dispositifs sectoriels complexes et aux organisations de réseaux.
Il s’agissait de modéliser des dispositifs thérapeutiques
qui permettraient d’instituer un cadre multi partenarial : assurant une
continuité des soins, une diversification des lieux, qui offre au patient
un cadre suffisamment contenant, structurant, mais ouvert sur l’extérieur,
qui contribue ainsi à son évolution.
La vision éco systémique a participé, en synergie avec
d’autres apports scientifiques, à la transformation de certaines
représentations de la maladie mentale et de ses prises en charge. La
reconnaissance du patient, comme acteur de son trajet et pas seulement comme
victime d’un processus morbide, est issue certes des réflexions
psychanalytiques, mais confortée par l’analyse systémique
des interactions familiales, institutionnelles, autour de la psychose.
La mise en évidence et le traitement des processus de disqualification
- insanisation, exclusion - très puissants autour de la maladie mentale
en est un exemple.
Des règles nouvelles dans les institutions soignantes en sont issues,
règles de loyauté interne dans les interventions familiales ou
règles de loyauté institutionnelle dans les interventions de
réseau.
La thérapie familiale est, elle, une application des théories éco
systémiques à la famille. L’association des 2 termes est
source d’une ambiguïté, analogue à celle qui a pu être
discutée dans le champ de la psychanalyse.
La famille étant elle-même conçue dans cette modélisation
comme un système ouvert sur l’extérieur (les groupes sociaux),
la ponctuation isolant ce groupe peut paraitre arbitraire.
La notion de thérapie appliquée à un groupe pose elle
aussi une ambigüité, les soins s’adressant à un individu
souffrant.
La thérapie familiale s’applique donc à un groupe familial
où la souffrance est diffuse à plusieurs membres du groupe et
où le système relationnel est perçu comme étant
lui-même source de souffrance. C’est là que les techniques
très diverses de thérapies familiales peuvent être indiquées,
toutes centrées sur la notion d’alliance thérapeutique
entre le patient, la famille et le thérapeute.
* Psychiatre, membre de la Société Française de Thérapie Familiale
Au sein des thérapies familiales systémiques, différents
courants se sont développés. Muriel Meynckens et Marie-Cécile
Henriquet dans leur ouvrage « Dans le dédale des thérapies
familiales » (Erès 2005) permettent de découvrir les différences
entre les différents modèles de thérapie familiale en
mettant en évidence leurs idées maitresses et leurs applications.
Actuellement les thérapeutes familiaux intègrent, chacun à leur
façon, ces différents courants. Au-delà de ces différences,
tous se retrouvent dans la façon d’analyser la demande d’aide
et de construire le premier entretien.
Avant de nous engager dans la description des étapes du premier entretien,
il est important d’aborder les questions de moyens et de cadre.
Lors du début de la thérapie familiale systémique en France,
suivant les exemples de leurs collègues italiens, les thérapeutes
ont souhaité travailler à deux ou plus et pouvoir disposer de
salles équipées de glaces sans tain et de matériel vidéo.
Un ou deux thérapeutes sont dans la salle de thérapie avec la
famille alors que les autres se trouvent derrière la glace sans tain.
Les entretiens sont filmés avec l’accord de la famille. Cela permet
aux thérapeutes de visionner une séance afin de préparer
la séance suivante, de pouvoir présenter certaines séances
en supervision. S’il est vrai que ce type de dispositif est extrêmement
précieux pour faire de la recherche, pour se former, pour développer
certaines techniques spécifiques, s’il amène plus de richesse
dans les différentes perceptions des intervenants, il n’en demeure
pas moins très onéreux. La pratique montre que bien souvent les
thérapeutes ne disposent pas du temps nécessaire pour visionner
toutes les séances. De plus en plus de thérapeutes reçoivent
les familles seuls, sans enregistrement.
La posture du thérapeute familial
Le thérapeute familial est responsable du processus. Son objectif est
de créer un contexte dans lequel un changement sera possible. Pour cela,
il crée avec la famille un nouveau système, le système
thérapeutique qui inclut toutes les personnes impliquées, même
si elles ne sont pas toujours présentes dans la salle de thérapie.
Ainsi on pourra être amené à prendre en compte un grand-parent,
une nourrice, un intervenant social ou médical….
Avec l’apport de la deuxième cybernétique et des théories
post-modernes, le thérapeute ne se situe pas en position haute par rapport à la
famille. La thérapie est une co-construction réalisée
par le thérapeute et la famille, où, si le thérapeute
est expert en thérapie, la famille est experte pour sa thérapie.
Certains ont mal compris la notion de « capacité à ne pas
savoir » telle qu’elle a été développée
dans les approches coopératives et ont adopté une position très
discutable de non-savoir systématique. La capacité à ne
pas savoir fait référence à autre chose. Le thérapeute
dispose de son savoir général et celui-ci n’inclut pas
la spécificité de la famille. Il ne peut savoir sans l’aide
de cette dernière ce qui est bon spécifiquement pour elle. C’est
bien un processus commun d’élaboration. Cette construction est
faite par essai-erreur. Le thérapeute ne sait pas à l’avance
ce qu’il faut faire. Par contre il doit tenir compte des rétroactions à ses
interventions et savoir changer de cap.
Cette co construction se fait au cours des conversations thérapeutiques
dans lesquelles communications analogiques et digitales sont prises en compte.
L’un des apports des thérapies familiales systémiques a été de
mettre l’accent sur la communication analogique, sur ce que les personnes
montrent. Lors des entretiens, le thérapeute familial prend l’habitude
d’écouter et de regarder, glanant ainsi de nombreuses informations
sur les interactions familiales fonctionnelles et dysfonctionnelles. Il est
actif, fait de nombreuses reformulations, fait des commentaires sur la communication
analogique si cela lui semble approprié, sur les relations au sein de
la famille, sur la relation thérapeutique et s’utilise lui-même,
faisant attention à sa propre communication analogique et digitale.
Venons-en au premier entretien
Comme dans les autres modèles de psychothérapie, le premier entretien
en thérapie familiale est un moment clé. C’est en effet
au cours de ce premier entretien que se noue l’alliance thérapeutique,
que sont précisés les objectifs de la thérapie. Celle-ci
commence lors de la prise de rendez-vous. En effet, à partir du moment
où la décision de s’engager dans une thérapie est
prise, un mouvement commence, un processus se met en œuvre.
Certaines équipes sont organisées pour que ce premier appel téléphonique
soit reçu par un thérapeute. Celui-ci pose un certain nombre
de questions sur la composition de la famille, sur les personnes vivant sous
le même toit, sur les difficultés rencontrées à l’origine
de la prise de rendez-vous et enfin sur les personnes impliquées vis-à-vis
de ces difficultés. Il convient avec le membre de la famille délégué pour
prendre rendez-vous des personnes invitées lors de ce premier entretien,
donne les informations nécessaires pour faciliter la venue de la famille.
Les informations ainsi recueillies servent de base à la réflexion
des thérapeutes avant même de recevoir la famille. Ils commencent à élaborer
des hypothèses sur le fonctionnement familial qu’ils pourront
vérifier ou infirmer lors du premier entretien.D’autres équipes n’ont pas la possibilité de mettre
en place un tel dispositif ou préfèrent accueillir la famille
sans à priori.
Le premier entretien comprend ensuite trois phases :
- La première phase est celle de l’affiliation, de l’analyse
de la demande d’aide et de la définition des objectifs de la thérapie.
Avant tout le thérapeute doit mettre la famille à l’aise.
C’est le maître de maison. Au cours de cette phase peuvent également être
utilisées des techniques interactionnelles spécifiques des thérapies
familiales.
- Puis le ou les thérapeutes font une pause de quelques minutes afin
de préparer la fin de l’entretien.
- La dernière partie correspond à la conclsion.
La première phase commence lors de l’accueil, lorsque le thérapeute va chercher la famille dans la salle d’attente. De nombreuses informations sont déjà présentes : la famille est-elle regroupée, ou dispersée dans la salle d’attente ? Qui se présente d’abord ? Est-ce qu’un membre de la famille présente tout le monde ? Comment ? « Je suis la mère de Xavier pour lequel nous venons » ou « Je suis madame Dupont…. ».
La façon dont les membres de la famille prennent place dans la salle de thérapie est également riche d’informations sur le fonctionnement de la famille. Qui s’assied à côté de qui ? Rapprochent-ils les chaises ? Les écartent-ils ?
Une question revient souvent en formation : le thérapeute doit-il prendre la dernière chaise ou doit-il « garder » sa chaise ? Chaque façon de faire a ses avantages et ses inconvénients. Il faut garder à l’esprit le premier des dix commandements de Guy Ausloos pour le thérapeute familial : la première personne dont doit s’occuper le thérapeute, c’est de lui-même ! En effet, s’il se trouve dans une position inconfortable, il ne pourra pas avoir la disponibilité nécessaire et indispensable lors du déroulement de l’entretien. Ainsi, si la famille lui laisse une place qu’il juge inconfortable, il est important qu’il s’autorise à changer de chaise avec un autre membre de la famille. S’il exprime cette demande comme un besoin pour lui-même, cela ne pose aucune difficulté à la famille.
Puis vient le moment des présentations. Le thérapeute commence par lui-même et pose ensuite la question suivante : « Pourriez-vous me dire qui vous êtes et en quoi je peux vous être utile ? ». Si le thérapeute a déjà eu un contact téléphonique avec un des membres de la famille, il peut aussi y faire référence. Certains thérapeutes préfèrent respecter la structure de la famille et s’adressent d’abord à celui qui fait office de porte-parole, d’autres préfèrent commencer par les enfants et leur demander ce qu’ils savent des raisons pour lesquelles ils sont là. Quelle que soit la stratégie, il faudra que le thérapeute s’affilie à chacun des membres de la famille et fasse circuler la parole.
L’affiliation est le processus par lequel nous arrivons à être en empathie avec une personne et à faire en sorte qu’elle perçoive notre empathie. Il s’agit de faire connaissance avec chaque personne dans sa globalité. Il ne suffit pas d’avoir l’impression d’avoir compris un membre de la famille, il faut le lui faire savoir ! Cela passe par la reformulation, le recadrage avant un nouveau questionnement. Toute intervention visant à promouvoir un changement dans la famille est vouée à l’échec tant que cette affiliation n’est pas faite, tant que l’alliance thérapeutique n’est pas nouée. Lorsqu’il existe un conflit dans une famille, lorsque le thérapeute s’affilie à l’un des deux protagonistes, il s’éloigne de l’autre, et inversement. Il s’agit pour le thérapeute d’arriver à nouer un lien avec chacun.
Lorsque nous avons des difficultés à nous affilier avec quelqu’un,
plusieurs niveaux sont à prendre en considération :
- Le positionnement dans l’espace. Plus nous sommes proches de quelqu’un
physiquement, plus nous aurons de facilité pour créer ce lien.
Il vaut mieux éviter le face à face.
- Utilisons-nous le niveau de langage adapté à la famille ? Nous
saisissons-nous de leurs métaphores plutôt que d’imposer
les nôtres ?
- Avons-nous suffisamment montré notre intérêt, notre souci
pour chacun ?
- Parfois, prendre la même attitude physique que la personne avec laquelle
nous avons du mal à nous affilier peut nous aider à ressentir
ce qu’elle vit et avoir un effet facilitateur.
Au cours de ce premier temps de la rencontre nous nous intéressons aussi à la
demande d’aide.
Comment la famille a-t-elle pris la décision de venir consulter ? Qui
le leur a conseillé ? Ont-ils parlé de leur démarche à d’autres
personnes, notamment à d’autres membres de la famille ? Certains
se sont-ils opposés à leur démarche ? Quelles seront les
conséquences de cette démarche vis-à-vis de leurs relations
avec leur entourage ? Qu’ont-ils déjà essayé pour
résoudre leurs difficultés ? Pourquoi viennent-ils maintenant
? Certains des membres de la famille présents sont-ils venus malgré eux
? Qui est la personne la plus motivée ? Qu’attendent-ils de la
thérapie ? Quels pourraient en être les objectifs.
Ont-ils déjà été amenés à consulter
? Individuellement ? En famille ? Qu’est-ce qui leur a été utile
? Qu’est-ce qui n’a pas été utile ? Que souhaitent-ils éviter
? Comment cela s’est-il terminé ?
Tous ces questionnements permettent de resituer cette demande d’aide
dans le contexte de la famille, de ne pas s’engager pour une nième
thérapie alors que d’autres démarches antérieures
ne se sont pas terminées correctement.
Puis vient le moment de s’intéresser aux difficultés rencontrées
et aux objectifs de la thérapie. Certains thérapeutes utilisent
alors des techniques interactionnelles spécifiques à la thérapie
familiale.
Par exemple, le thérapeute pourra demander à chacun des membres
de la famille de sculpter sa perception des relations de la famille. Il utilise
pour cela les autres membres de la famille, les positionnant les uns par rapport
aux autres dans l’espace. Par exemple un jeune adulte prenant son indépendance,
pourrait être mis à distance regardant à l’extérieur,
tournant le dos aux autres membres de la famille. Deux membres de la famille
très proches l’un de l’autre pourront être « collés » physiquement
l’un à l’autre. Puis chacun des membres de la famille dit
ce qu’il ressent dans la position dans laquelle il a été placé.
A la fin de la dernière sculpture il est demandé à chacun
des membres de la famille de bouger, en restant silencieux, jusqu’à ce
que chacun trouve un positionnement qui lui convienne. Cette dernière
sculpture représente symboliquement l’objectif de la thérapie.
Ou bien il sera possible de faire une mise en actes. Lors d’une séance de thérapie, il est rare que le problème ne se produise pas en séance. Lorsque l’on travaille avec une famille dont les jeunes enfants n’obéissent pas à leurs parents, il est évident qu’à un moment ou à un autre, nous serons témoins de cette difficulté. Plutôt que de continuer à essayer de parler du problème alors que nous assistons à sa mise en œuvre, Salvador Minuchin nous propose par la mise en actes, d’intervenir directement sur les patterns interactionnels dysfonctionnels. Le thérapeute amène les parents à contrôler leurs enfants pendant la séance, au moins pendant quelques instants. Le thérapeute ne prend pas la place des parents. Il les soutient, fait d’éventuelles suggestions après un temps d’observation. Par exemple, il peut éventuellement suggérer aux parents d’intervenir ensemble plutôt que séparément après les avoir vus s’épuiser l’un après l’autre. Il persévère jusqu’à ce qu’un début de réussite se produise. Même s’il est probable que les parents ne réussiront pas à refaire la même chose chez eux, cela leur montre que c’est possible et cela leur redonne de l’espoir. Salvador Minuchin a notamment développé cette technique avec les familles dont un membre est anorexique. Pour cela lors de la deuxième séance un repas était prévu avec la famille. Plutôt que de parler de nourriture, la proposition est de manger ensemble ce qui permet d’aborder d’autres sujets...
D’autres thérapeutes proposeront à la famille de travailler sur leur génogramme. Il s’agit d’ajouter à l’arbre généalogique de la famille, relations, valeurs, transmissions, répétitions, forces, ressources…. Une famille venait consulter pour l’échec scolaire et les troubles du comportement de l’aîné, adolescent. Un conflit éclate d’emblée entre le père et la mère. Le père suggère d’envoyer son fils en pension, ce que la mère vit comme un rejet de leur fils. Un génogramme centré sur les valeurs de chaque famille d’origine, sur les adolescences respectives du père et de la mère ont permis très rapidement de dépasser ce conflit et d’apprendre que le fait d’aller en pension était considéré comme normal dans la famille du père et que ce dernier avait trouvé son séjour en pension très utile…. Ce que sa femme et son fils ignoraient.
Bien d’autres
techniques peuvent s’avérer intéressantes à cette étape,
mais il n’est pas possible de toutes les développer. Elles ont
l’intérêt de permettre de recadrer les difficultés
pour lesquelles la famille est venue, de donner de nouvelles perspectives et
possibilités, d’ouvrir de nouveau choix.
Le deuxième temps est celui de la pause. Cette coupure de quelques minutes
est un temps de réflexion pour le thérapeute qui prépare
la fin de séance mais aussi pour la famille. Elle marque clairement
la fin d’une étape et donne du relief à la conclusion.
La conclusion comprend tout d’abord le résumé de la première partie, un recadrage des difficultés rencontrées, des compliments sur les ressources et compétences observées. Des tâches sont données pour l’entretien suivant. Ces tâches sont surtout destinées à stimuler la créativité de la famille, à lui faire savoir que le travail se poursuit entre les entretiens. Elles doivent être cohérentes avec ce qui a été travaillé précédemment. La nature des tâches données dépend de l’analyse de la demande d’aide. Le thérapeute prend une posture différente : c’est lui qui parle tout en observant les réactions des membres de la famille. A aucun moment il ne leur redonne la parole au risque de recommencer un autre entretie
* Psychiatre, psychothérapeute.
L’approche systémique s’appuie sur deux piliers :
la théorie générale des systèmes et la pragmatique
de la communication.
A - Concepts clés de la théorie générale des systèmes
A - 1. Système
Définition : un système est un ensemble constitué par
des éléments (et les attributs qui y sont attachés) qui
sont en interaction, ainsi que ces interactions elles-mêmes. D’un
point du vue systémique, nous considérons le couple, la famille
ou les institutions comme des systèmes, des systèmes humains en
interaction.
A - 2. Homeostasie et capacité de changement
Tous les systèmes sont animés par deux mouvements antagonistes :
l’homéostasie et la capacité de changement.
L’homéostasie désigne la stabilisation de l’état
des organismes vivants, par le maintien des différentes variables physiologiques à l’intérieur
de limites constantes (mécanismes régulateurs). Don Jackson
(1957) a, le premier, repéré les mécanismes homéostatiques
en œuvre dans les groupes familiaux. Il a formulé l’hypothèse
que l’action thérapeutique, entreprise chez un individu isolé,
provoque des feedbacks chez les autres membres du système familial, qui
entraînent, éventuellement a leur insu, une tentative de retour à l’état
initial. L’homéostasie familiale résume la tendance du système
familial à maintenir sa cohésion, sa stabilité et sa sécurité à l’intérieur
de son environnement physique et social.
La capacité de changement s’inscrit comme la trajectoire des transformations
du système familial dans le temps. Cette transformation implique des mécanismes
régulateurs qui atténuent les répercussions du changement
et maintiennent le système dans un état stable. Sans homéostasie
la famille éclate, sans capacité de changement, elle se rigidifie.
L’homéostasie familiale est sous-tendue par un ensemble de règles
propres à chaque famille constitué de l’éventail des
rétroactions négatives du système familial face aux perturbations.
Devant l’imminence d’un changement (naissance d’un enfant,
départ d’un adolescent, décès, etc. ) le système
familial active sa tendance homéostatique en cherchant à savoir
si le risque de changement ne met pas en péril son identité mythique.
Les rétroactions négatives deviendront d’autant plus rigides
que cette identité est menacée.
Dans les familles les plus perturbées, les relations sont comme cristallisées
en « rôles stéréotypés au détriment
d’expériences et d’informations nouvelles et différenciées
vécues comme trop menaçantes pour l’équilibre familial » (M.
Andolfi). L’espace personnel est nié au profit de l’idéal
homéostatique.
La stratégie thérapeutique fondamentale consiste à renforcer
cette identité, seule manière de permettre des transformations.
Des techniques ont été constituées qui visent à déjouer
cet idéal homéostatique (connotation positive, contre paradoxe,
et surtout position basse (qui évite l’affrontement frontal)).
Le « thermostat » est l’objet matériel et
technique qui illustre le mieux ces réponses stabilisatrices. L’adoption
d’une position basse est conseillée à celui qui souhaite
faciliter un changement possible (ne pas réveiller le thermostat,
cf. J.C. Benoit).
B - Concepts clés de la pragmatique de la communication
B. 1. Contexte
Un phénomène demeure incompréhensible tant que le champ
d’observation n’est pas suffisamment large pour qu’y soit inclus
le contexte dans lequel le dit phénomène se produit.
La simple question « quelle heure est-il ? » peut communiquer
différents messages : « tu es en retard », « je
veux savoir l’heure », « Je m’ennuie ».
Seul, le contexte peut permettre une compréhension du message.
B. 2. Métacommunication
En 1951, Gregory Bateson crée le terme de méta communication, « communication
sur la communication », c’est-à-dire toutes les indications
et propositions échangées à propos de la codification des
messages et des relations entre les communicants. Par exemple, dire « C’est
pour rire » introduit une communication sur la communication. C’est
une méta communication car elle participe à la définition
de la relation entre les communicants et à la signification du message.
B. 3. Axiomes de la communication
1- On ne peut pas ne pas communiquer
Tout comportement est une communication, et toute communication affecte le comportement.
Le comportement n’ayant pas de contraire, on ne peut pas ne pas avoir de
comportement. En situation de coprésence, qu’on le veuille ou non,
activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message.
Toute situation de coprésence est interactive, donc communicationnelle.
2- Toute communication présente deux aspects : le contenu et la relation
Un énoncé contient et véhicule une information mais sa forme,
son ordonnance, comporte aussi une information sur l’information qui indique
le statut et l’usage de cette information dans la chaîne interactionnelle.
Cette activité méta communicationnelle fait partie de la relation.
Les relations mal définies ou conflictuelles compromettent ce système
méta communicatif et donc le fonctionnement de la communication au niveau
même du contenu.
3- la nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences
de communication entre les partenaires
Une communication peut être considérée comme un enchaînement
de séquences dont l’ordre détermine la signification. Par
exemple : « Madame déprime parce que Monsieur boit trop
d’alcool » et « Monsieur boit parce Madame est toujours
triste ».
Dans la conception de l’Ecole de Palo Alto (1970), les êtres humains
usent de deux modes de communication : digital et analogique. La communication
digitale passe par le langage verbal, la communication analogique englobe tout
le non verbal : tout l’aspect comportemental et contextuel de la communication.
La partie analogique de la communication est prédisposée a l’expression
affective et à la définition des indices de contextualisation.
Dans une communication ce sont les éléments analogiques qui définissent
la relation.
4 - Tout échange communicatif est symétrique ou complémentaire selon qu’il se fonde sur l’égalité ou la différence. Il existe deux formes d’interactions possibles : symétriques ou complémentaires. Une interaction symétrique se caractérise par l’égalité et la minimisation de la différence entre les partenaires. La relation entre les élèves d’une classe ou entre les enfants d’une famille en est un exemple. Une interaction complémentaire se fonde sur une maximalisation de la différence. On différenciera ainsi la relation parent-enfant, médecin-malade, professeur-élève.
* Psychiatre, Médecin chef de l’Unité d’accueil et de psychothérapie familiale (UAPF) à la SPASM (Paris).
La nécessité d’évaluer a toujours fait consensus chez les thérapeutes familiaux et les formateurs en thérapie familiale. Il s’agit d’un geste éthique, d’un passage obligé, dont l’objectif est de colliger, de façon efficiente, auprès de multiples individus, le plus d’informations pertinentes possibles dans le but de mieux cibler les besoins de la famille et de développer un plan d’intervention conforme aux standards élevés de compétence (Patterson, 2009). Selon Bray (2009), l’utilisation d’une procédure d’évaluation la plus globale possible assure que le thérapeute ne néglige pas certaines facettes de la réalité familiale qui peuvent avoir un impact important sur les problèmes à l’origine de la demande. Bien que la nécessité d’évaluer fasse consensus chez les thérapeutes familiaux, tous ne s’entendent pas sur quoi et avec quels moyens évaluer. Le présent article vise à proposer un cadre d’analyse du fonctionnement de la famille et à discuter de l’intérêt d’utiliser un protocole d’évaluation de base pour la clinique et la recherche en thérapie familiale.
Quoi évaluer ?
Différentes grilles d’évaluation systématique des familles ont été proposées par les auteurs dans le domaine de la thérapie familiale au cours des trente dernières années (Loader, Burck, Kinston, Bentovim, 1984 ; Seywert, 1990). Plus récemment, Bray (2009), reprenant l’essentiel des repères proposés dans les modèles d’évaluation déjà existants, propose un cadre d’analyse du fonctionnement des familles comprenant six dimensions. Celles-ci sont : 1. la structure (famille intacte, recomposée ou monoparentale) et la composition familiale (qui fait partie de la famille), 2. la diversité familiale (l’ethnicité, l’orientation sexuelle des parents, le statut socio-économique de la famille et la religion), 3. les patrons relationnels entre les membres de la famille, 4. l’expression des émotions entre les membres de la famille, 5. l’organisation familiale (les règles, les rôles, les frontières, la hiérarchie dans les prises de décision, la distribution des tâches et le soutien émotionnel entre les membres de la famille), et 6. les opérations familiales (la résolution des conflits, des problèmes et des tâches développementales auxquelles la famille est confrontée). Selon ce même auteur, l’évaluateur doit également prendre en considération le stade développemental actuel de la famille (l’arrivée des enfants, l’entrée des enfants dans l’adolescence, le départ des enfants de la famille, la retraite des parents) puisqu’à chaque stade sont associés des défis développementaux différents à résoudre. Outre ces dimensions, il apparaît également important de bien connaître l’histoire développementale de la famille dans le but d’identifier les tâches développementales non résolues qui ont pu contribuer à augmenter la vulnérabilité de la famille face à la résolution de nouvelles tâches développementales (Bradley et Pauzé, 2009).
Comment évaluer ?
Il n’y a évidemment pas d’outil idéal pour évaluer
ces différentes dimensions du fonctionnement familial. Il est plutôt
recommandé d’utiliser différentes méthodes :
la collecte d’informations lors des entrevues d’évaluation
avec la famille, l’observation des interactions familiales lors de l’entrevue
ou lors de la visite au domicile de la famille et l’utilisation de certains
instruments de mesure standardisés. En outre, il est recommandé de
considérer le point de vue de différents répondants pour
obtenir un portrait suffisamment complet de la situation de la famille. En
d’autres termes, l’approche multiméthode et multirépondant
serait la plus complète (Bray, 2009).
L’entrevue et l’observation sont les méthodes d’évaluation
adoptées par la plupart de thérapeutes familiaux. L’utilisation
d’instruments de mesure est cependant beaucoup moins répandue.
Bon nombre de thérapeutes familiaux ont une attitude prudente et plutôt
critique face à l’utilisation de questionnaires standardisés
pour évaluer le fonctionnement des familles. Différentes craintes
sont évoquées, notamment le fait que l’utilisation de tels
outils contribueraient à enfermer la famille dans une catégorie
diagnostique ou encore à transformer le thérapeute en technicien
de l’évaluation ou, pire encore, à évaluer le travail
des intervenants. Or, dans les faits, l’utilisation d’instruments
de mesure en clinique vise essentiellement à avoir accès aux
perceptions des différents membres de la famille sur leur situation
actuelle et à soutenir le jugement clinique des thérapeutes.
D’autres bénéfices sont également à souligner.
Par exemple, l’utilisation d’un même questionnaire d’évaluation
de la famille par une équipe de thérapeutes peut leur permettre,
entre autre, de partager un langage commun lorsqu’ils parlent des familles
puisqu’ils utilisent le même référentiel conceptuel,
de situer le fonctionnement de la famille par rapport à la moyenne des
familles dans la population générale, d’évaluer
le niveau de progrès de la famille dans le temps tel que perçu
par les membres de la famille. En outre, l’utilisation d’instruments
de mesure peut faciliter la co-construction d’une hypothèse de
travail avec la famille et contribuer à l’amélioration
de l’efficacité thérapeutique si le thérapeute évalue
de façon concrète et régulière l’évolution
des progrès de la famille (Lambert, 2007).
La construction de protocoles d’évaluation
Dans le cadre de notre travail de cliniciens et de chercheurs, nous avons développé au cours des dix dernières années différents protocoles pour évaluer les caractéristiques des familles et des jeunes en situation de crise ou présentant des troubles du comportement ou des troubles alimentaires. Ces protocoles d’évaluation sont composés de questionnaires standardisés ou de questionnaires maison permettant d’évaluer les dimensions socio-économiques, sociales, familiales et psychologiques associées aux situations cliniques que nous évaluons. L’utilisation de tels protocoles d’évaluation permet d’obtenir une masse d’informations dans un temps relativement court (Bray, 2009). Le choix des questionnaires qui composent un protocole d’évaluation se fait sur la base de recensions d’écrits sur les facteurs de risque les plus fortement associés à ces difficultés et sur les modèles explicatifs proposés par les chercheurs dans ces domaines respectifs. Le choix des instruments de mesure se fait aussi en fonction de la qualité des propriétés psychométriques des instruments (validité, cohérence interne, fidélité test-retest), de la facilité pour les membres de la famille à compléter les questionnaires, de la facilité pour l’intervenant de compiler les résultats et en fonction du coût du questionnaire à l’unité. Généralement ces questionnaires sont traités de façon informatique ce qui permet de générer de façon rapide un résumé des différents scores obtenus par les membres de la famille aux différents questionnaires. Des comparaisons concernant les perceptions des différents membres de la famille peuvent alors être facilement faites.
L’utilité d’un protocole d’évaluation systématique pour la recherche
L’utilisation de ce type de protocole d’évaluation dans un même milieu d’intervention permet de générer des connaissances non négligeables sur les caractéristiques des familles et des jeunes référés au service, d’identifier différents sous-groupes chez les clientèles rencontrées, de documenter le parcours et l’évolution des jeunes et des familles au fil de l’intervention, d’évaluer l’efficacité des programmes d’intervention et de faire les ajustements nécessaires. En somme, elle peut contribuer au renforcement de la pratique de la thérapie familiale qui a été peu évaluée sur le plan de la recherche jusqu’à maintenant (Cook-Darzens, 2002; Liddle, 1991; Pinsof et Wynne, 2000; Shields et Wynne, 1994).
- Bradley, M.F. & Pauzé, R., (2009). Étude sur la résolution
des tâches développementales chez les familles d’adolescentes
présentant une dysfonction alimentaire. Thérapie familiale, 30
(3), 353-377.
- Bray , J,H. (2009). Couple and family Assesment. Dans Bray, J.H, and Stanton,
M. (Eds) The Wiley-Blackwell Handbook of Family Psychology. United Kingdom,
Wiley-Blackwell (p. 151-164).
- Cook-Darzens, S. (2002). Thérapie familiale de l’adolescent
anorexique : Approche systémique intégrée. Paris.
Dunod.
- Lambert, M. (2007). Bergin and Garfield’s Handbook of Psychotherapy
and Change. New York. John Wiley and Sons.
- Liddle, H.A. (1991). Empirical values and the culture of family therapy.
Journal of Marital and Family Therapy, 17 (4), 327-348.
- Loader, P., Burck, C., Kinston, W., & Bentovim, A. (1984). A Method for
Organizing the Clinical Description of Family Interaction : The Family
Intercation Summary Format. Dans Kaslow, F. W (Eds) The International Book
of Family Therapy, New York, Brunner Mazel. (p. 148-167).
- Patterson, T (2009). Ethical and Legal Considerations in family Psychology:
The Special Issue of Competence. Dans Bray, J.H, and Stanton, M. (Eds) The
Wiley-Blackwell Handbook of Family Psychology. United Kingdom, Wiley-Blackwell
(p. 183-197).
- Pinsof, W.M. & Wynne, L.C. (2000). Toward progress research: Closing
the gap between family therapy practice and research. Journal of Marital and
Family Therapy, 26 (1), 1-8.Seywert, F. (1990). L’évaluation systémique
de la famille, Paris, PUF.
u Shields, C.G.& Wynne, L.C. (1994). The marginalization of family therapy:
A historical and continuing problem. Journal of Marital and Family Therapy,
20 (1), 117-138.
* Robert Pauzé Ph.D. Psychologue, Professeur à l’Université de
Sherbrooke, Québec, Canada.
** Luc Touchette Ph.D., Psychoéducateur, Professeur à l’Université de
Sherbrooke, Québec, Canada.
Notre association de santé mentale (SPASM) défriche depuis 50
ans le chemin initié par ses fondateurs, au premier rang desquels le
Dr Bernard Jolivet, tentant d’atteindre quotidiennement son but
: aider les personnes souffrant de troubles psychiques à faire affaire
avec le monde ordinaire !
La question du travail étant dans le grand ordinaire de ce monde, nous
continuons à construire cette route en ajoutant aux techniques éprouvées,
de nouveaux outils dont la pertinence s’appuie, comme toujours, sur leur
dimension relationnelle. Cet effort concerne aussi bien les unités de
soins de réadaptation (le Centre Mogador, l’Espace Jeunes Adultes),
que l’unité de travail protégé (l’ESAT Bastille
) que nous prendrons pour illustration.
Ainsi, à l’ESAT, le Service d’Evaluation et de Psychopathologie
du Travail (SEPT) a pris la suite de l’ancienne « guidance psychiatrique ».
Au savoir faire clinique classique, individuel et groupal, se sont ajoutés,
sous la houlette du Dr Joseph Torrente, psychiatre spécialisé en
psychopathologie du travail, deux savoir-faire dont nous expérimentons
les apports :
u l’évaluation psychométrique dont les résultats
témoignent de la nécessité d’une approche individualisée
de l’accompagnement par le travail. De fait, les stratégies de
la nécessaire double adaptation (de la personne au travail et du travail à la
personne) se construisent dans la relation de travail, à partir des
repérages du travailleur et du moniteur, complétés par
les données psychométriques pertinentes pour l’analyse
d’une difficulté et le repérage d’une compétence.
- la clinique de l’activité, discipline qui explore ce que travailler
veut dire en termes d’identité professionnelle, et qui, en tant
que discipline praticienne, soutient la construction collective de l’identité professionnelle à partir
d’un métier partagé. Cet outil est particulièrement
précieux quand l’identité professionnelle et le sentiment
d’appartenance à un collectif de travail restent en « jachère » du
fait des carences de « l’appareil à symboliser et à nouer
des relations » !
Deux vignettes
1 - les cuisiniers du restaurant « la Cour du Faubourg » tombent souvent malades. L’explication commune, reprise au CHSCT, est qu’ils ne supporteraient pas le « coup de feu » propre à cette profession : le pic de charge du travail est particulièrement contraint. On en vient à douter profondément de la pertinence du choix de l’association de créer un restaurant tenu par des personnes souffrant de troubles psychiques. Puis vient une phase de travail de clinique de l’activité, entre l’équipe de restauration et la psychologue du travail spécialisée dans cette discipline. Une équipe cuisine apparaît aux yeux de tous, riche de ses différents métiers, visible pour chacun, à commencer par soi-même ! Et le taux d’absentéisme en profite pour diminuer de manière importante.
2 - Madame B. travaille en prestation dans une très grande entreprise de cosmétique. Bien que la qualité de son travail soit reconnue, sa responsable tient à rencontrer le moniteur chargé des prestations en entreprise afin de lui parler d’une situation insatisfaisante : madame B. ne s’intègre pas à l’équipe dont elle fait partie, d’ailleurs, elle est loin de tenir compte du code vestimentaire de l’entreprise ! La psychologue du travail analyse avec cette équipe et madame B. la question du « refus » ce code vestimentaire. En fait, il ne s’agit pas d’un refus, mais d’une méconnaissance de la part de madame B. Le simple fait d’échanger sur ces questions bien banales, en informant madame B. de l’existence, souvent implicite, de ces codes et de sa liberté à cet égard, lui a permis de choisir, en l’occurrence, d’en adopter une partie. Cela a aussi permis au collectif de travail, et à sa responsable, de découvrir d’autres compétences professionnelles de madame B et ainsi, d’enrichir son poste de travail.
Conclusion
Ces deux vignettes, et particulièrement la seconde, montrent à quel
point le concept de situation de handicap est heuristique : l’interaction
entre un déficit fonctionnel (le trouble de l’image de soi, pour
dire cela rapidement) et un environnement (qui tient compte ou ignore ce déficit
fonctionnel) crée bien une situation de handicap propre à tous
les échecs et autres rechutes. De là à ce qu’on
y voit la démonstration du caractère chronique de la schizophrénie
et l’illusion qu’il y a à persister à croire que
les personnes souffrant de schizophrénie peuvent travailler...il n’y
qu’un pas. A moins que, en s’y prenant autrement, on puisse contribuer à construire
d’autres parcours, basés sur d’autres épistémologies
?
* Médecin Directeur de la Société Parisienne d’Aide à la Santé Mentale (SPASM) - 31 rue de Liège - 75008 Paris
La façon dont le diagnostic est posé et les éléments sur lesquels il repose conditionnent la possibilité et le choix de l’approche psychothérapique. Il existe deux grands types de diagnostics : le diagnostic nosographique et le diagnostic psychopathologique. Le choix de l’un ou de l’autre choix intervient directement sur les objectifs thérapeutiques et la stratégie pour les atteindre.
1. Le diagnostic nosographique catégoriel (DSM, CIM)
Ce diagnostic permet d’affirmer l’existence (ou la disparition)
d’un trouble suivant le nombre de traits qu’il partage avec l’ensemble
de ceux que l’on retrouve dans un diagnostic établi, qu’elle
que soit l’étiologie de ce trouble. Le praticien recherche des
symptômes décrits dans la classification et les intègre
dans des groupements identifiés. Ce diagnostic permet une certaine prédiction
du cours de la maladie et des résultats du traitement, mais il n’apporte
pas suffisamment d’éléments pour choisir et mener un traitement
psychothérapique ajusté. Son caractère « athéorique » ne
permet pas, sauf exceptions, d’appréhender les causes spécifiques
du ou des troubles constatés, ce qui conduit à l’application
d’une technique standardisée, centrée sur les symptômes.
Les évaluations de résultats sont contingentes de cette situation.
En résumé, le diagnostic nosographique permet de présenter
ce qui est « partagé » avec d’autres patients, mais
il n’indique pas au clinicien que, par exemple, deux enfants avec le
même diagnostic, tel qu’un trouble des conduites, diffèrent
en termes de forces, de vulnérabilités et peuvent avoir un contexte
d’apparition et d’exacerbation des symptômes différent.
2. Le diagnostic psychopathologique étendu (formulation de cas)
C’est un diagnostic dynamique, réévalué au cours
du processus, qui permet de concevoir des hypothèses sur les causes
agissantes à partir desquelles il est possible d’établir
des objectifs et des stratégies pour les atteindre. Il repose sur l’expertise
clinique et la mise en relation de différents axes d’approche
: celui des symptômes ; de l’histoire personnelle et du développement
(facteurs prédisposant) ; du fonctionnement relatif à des situations
particulières (facteurs précipitant et maintenant) ; des éléments
spécifiques (souvent en relation avec la théorie : conflits psychiques,
système familial, schémas cognitifs, etc…). Il prend en
compte que, pour une part au moins, les troubles ou les comportements peuvent
traduire une « adaptation » à certaines expériences.
La formulation de cas part d’un entretien interactif. Elle organise et
synthétise les informations afin d’expliquer pourquoi et comment
les problèmes se sont développés, se maintiennent et comment
les changements peuvent se dérouler. Elle s’appuie nécessairement
sur des modèles théoriques : vulnérabilités constitutionnelles
et acquises, fonctionnement cognitif, relations interpersonnelles, développement
psychologique (influence notamment des relations et traumas précoces),
contexte actuel, fonctionnement psychodynamique et inconscient du patient,
dans son environnement social, qui vont sous tendre l’approche et les
interventions du psychothérapeute. Elle associe au diagnostic les spécificités
de la personne.
La formulation de cas est à la fois un outil clinique et de recherche
car elle apporte des éléments qui permettent de différencier
les cas et les situations plutôt que de les confondre.Il existe de nombreux
modèles de formulation de cas élaborés par des cliniciens
d’obédience différente. En voici quatre exemples dont certains
sont particulièrement utiles pour la TF :
- 1. Celui de J Persons (1991, 2007) : modèle structural (Cognitivo-comportemental)
autour de différents niveaux :
Les symptômes : p.e. hallucinations auditives = pensées attribuées à une
source externe ; les troubles : p.e. dépression : pensées
automatiques, émotions négatives et activation de schémas
négatifs, et les problèmes : p.e., image de soi
La Formulation de cas est une hypothèse qui lie ensemble, dans une brève
narration ou diagramme, les mécanismes qui causent et maintiennent les
problèmes du patient, les origines de ces mécanismes, et les événements
précipitant qui activent actuellement les mécanismes relatifs
aux problèmes. Les trois éléments clés sont : Évaluation,
formulation et intervention.
2. Celui de Messer et Wolitzky (2007) : modèle psychodynamique
C’est un ensemble hiérarchiquement organisé d’inférences
cliniques au sujet de la nature de la psychopathologie d’un patient,
de sa structure de personnalité, dynamique et développementale
(déficits de la représentation de soi, mauvaises relations d’objet
internalisées, troubles de l’attachement, conflits inconscients)
et des causes présumées de ses problèmes et troubles, à partir
du récit de son expérience et de son comportement, de ses symptômes,
rêves, fantasmes et relations interpersonnelles.
3. Celui de M. Horowitz (1979, 2007) : analyse configurationnelle (Configurational
Analysis (CA))
C’est un modèle particulièrement utile lorsque des configurations
interpersonnelles inadaptées constituent un des axes de la psychothérapie.
La formulation de cas commence par une description des signes et des symptômes à expliquer.
Cet ensemble conduit à des inférences à propos des états
psychiques et émotionnels, des schémas de la personne, des conflits
et des processus de contrôle défensif de l’émotion
dans des configurations interpersonnelles données.
Les modèles rôle-relation schématisés permettent
des inférences à propos de multiples représentations de
soi qui peuvent être désirées, redoutées, ou utilisées
comme compromis défensifs pour éviter des dilemmes, p.e. entre
désir et peur.
Fig. 1. Schéma d’un modèle rôle-relation (RMM)
Ce modèle présente trois composants : un schéma de soi, un schéma de l’autre, et un scénario des relations. Le scénario inclut ce qui suit : 1) l’anticipation d’une action, d’une émotion, d’un désir ou d’une motivation; 2) les réponses attendues des autres ; 3) la réaction de la personne aux réponses des autres ; 4) une auto-évaluation de ces réactions ; et 5) les façons envisagées pour les autres d’appréhender ces réactions. Cette modalité d’approche pourra être activée chez le thérapeute devant un thème central de difficultés relationnelles.
4. Celui de Winters, 2007 : modèle centré sur une formulation
biopsychosociale
Ce modèle repose sur une hypothèse de fonctionnement, développée
en collaboration avec l’enfant et la famille, qui essaye d’expliquer
les facteurs biologiques, psychologiques et socioculturels qui peuvent se combiner
1) pour créer et maintenir la présentation clinique concernée
; 2) pour soutenir le meilleur fonctionnement de l’enfant. C’est
un guide individualisé de la planification et du choix de traitement.
Il sera changé, modifié, ou amplifié au fur et à mesure
que le clinicien et la famille appréhendent de mieux en mieux les forces
et les besoins de l’enfant et de la famille.
La formulation de cas se réfère généralement à un
processus intégratif qui synthétise comment peut être comprise
l’interaction des facteurs complexes impliqués dans le développement
des problèmes présentés par un patient. Elle est explicitement
complète et prend en considération l’enfant, ainsi que
les forces et les capacités de la famille qui peuvent aider à identifier
des approches potentiellement efficaces de traitement. (Winters N et al, 2007).
- Horowitz, Eells (2007) Configurational Analysis. States of Mind, Person Schemas,
and the control of ideas and affect : in Eells T. Psychotherapy case formulation,
Handbook, Guilford, 2d ed. 136-163
- Persons JB. et al. (1991). Psychodynamic and cognitive-behavioral formulations
of a single case. Psychotherapy, 28, 608-617
- Persons, J., Tompkins, M. Cognitive-Behavioral Case Formulation : in
Eells, T. Psychotherapy case formulation, Handbook, Guilford, 2d ed. 290-316
- Thurin JM, Thurin M. (2007). Evaluer les psychothérapies. Dunod.
- Winters, N. et al. (2007). The case formulation in child and adolescent psychiatry.
Child Adolesc Psychiatric Clin N Am ;16:111-132
Wolitzky, D., (2007). The rôle of clinical inference in psychoanalytic
case formulation. Am J Psychother ;61 (1):17-36
* Psychologue, Dr en Sciences du langage. Réseau de Recherches Fondées
sur les pratiques Psychothérapiques. FFP, U669.
Résumé de l’intervention présentée aux Journées
de Lyon 2010, colloque Thérapies Familiales.
Plus de 400 participants venus du monde entier, un centre de conférences
disséminé dans une réserve naturelle sur la côte
ouest des EU, une météo refroidie par une brume tenace, tel était
le cadre de travail de ces journées 2010.
C'est Louis Castonguay qui devient président cette année de la
Society for Psychotherapy Research et son discours d'ouverture "Une aube
prometteuse : connexions intégratives en psychothérapie" a
apporté un éclairage important sur l'esprit et les actions qu'il
souhaite promouvoir durant l'année qui vient.
Trois axes ont été ainsi
présentés et défendus :
1) Allons-nous vers une psychothérapie
intégrative et quel en serait le contenu conceptuel et pratique ? De
nombreux travaux (dont ceux de Jones et al.) ont montré que les psychothérapies
font généralement intervenir les ingrédients de différentes
approches (psychanalytique, interpersonnelle, systémique, cognitivo-comportementale),
ce qui ne signifie pas pour autant que les psychothérapies pratiquées
soient les mêmes et que les références théoriques
qui les soutiennent perdent leur légitimité. 2) Les relations
entre pratiques et recherche doivent être conçues aujourd'hui
dans la continuité, quelqu’en soit le point de départ :
pas de recherche qui ne mène à la pratique ; pas de pratique
qui ne mène à la recherche.
3) La constitution des Réseaux
de recherche issus de ou portant sur les pratiques (PRNs) doit être soutenue
et renforcée.
Le parcours des ateliers et des posters fait ressortir les principaux axes
et l'organisateur théorique central actuel de la recherche en psychothérapie
: le patient, le thérapeute et leur relation constituent le coeur du
processus psychothérapique. Ils en déterminent les effets et
les résultats. Cette présentation paraît évidente,
mais chacun des acteurs intervient lui-même à différents
niveaux et s'inscrit dans une dynamique de changement. La recherche doit pouvoir
rendre compte de cette particularité.
Les thèmes suivants ont ainsi été traités, que
l'on peut classer en 4 chapitres recouvrant de nombreux sous-thèmes.
I - Le processus psychothérapique et les changements. La relation thérapeute/patient
dans le processus interne de la psychothérapie, son rôle dans
différentes thérapies (psychodynamique, centrée sur l'émotion,
cognitivo-comportementale) ; les facteurs communs et les facteurs spécifiques
de changement et leurs mécanismes ; l'alliance thérapeutique,
sa rupture, sa réparation et ses effets sur les résultats ; les
styles d'attachement des thérapeutes et des patients ; les "expériences
correctives" [cette terminologie renvoie aux travaux d'Alexander] et la
perception des changements ; l'efficacité des thérapeutes ; les
mesures processus-résultats ; les moments de changement dans la psychothérapie
et leurs effets de signification ; la modélisation du changement psychothérapique
; le processus de contre transfert et les résultats dans la psychothérapie
psychodynamique ; les structures d'interaction entre un enfant et deux thérapeutes
dans le traitement d'un enfant avec syndrome d'Asperger ; la qualité des
relatons d'objet ; les processus narratifs et l'expression de l'émotion
; les effets spécifiques de l'hospitalisation temps plein et de l'hôpital
de jour ; les thérapies de groupe ; le processus psychothérapique
et les neurosciences.
II - Les études de cas. Leur définition actuelle, leur comparaison et leur place dans le "l'étalon or" de la recherche ; les critères de leur qualité ; leur utilisation dans le développement de la théorie ; la possibilité de lier les interventions du thérapeute et les résultats ; l'innovation et l'apport des recherches qualitatives.
III - Les thèmes généraux. Ce que pensent les cliniciens de la recherche ; les approches transculturelles ; ce que l'on peut imaginer à propos de la psychothérapie psychodynamique dans le futur ; les apports de la recherche à propos de la supervision, de l'inter-vision, et plus généralement de la formation des thérapeutes.
IV - Extensions conceptuelles et troubles phares. Des extensions conceptuelles
apparaissent, par exemple, la résistance dans les TCC, ou des thèmes "refoulés" reviennent,
comme les mécanismes de défense. Parmi les troubles faisant l'objet
d'études spécifiques, on peut citer la dépression, l'alexithymie
et l'éveil de l'émotion, les troubles des conduites alimentaires,
les troubles anxieux et de la personnalité borderline.
Au niveau méthodologique, nous assistons donc à un retour des études
de cas, sous leur forme intensive contrôlée, et à une démarche
d'analyse des facteurs qui déterminent la dynamique et les résultats
d'une psychothérapie, le thérapeute, le patient et leur interaction
en étant les éléments centraux.
Les essais contrôlés
randomisés (ECRs) marquent le pas pour au moins deux raisons : 1) leur
incapacité à véritablement démontrer quel est le
poids relatif de l'intervention testée dans l'ensemble du dispositif
psychothérapique et 2) l'arrivée du DSM V qui, selon M Horowitz,
va conduire à ranger au grenier les milliers d'études construites
sur la base d'une classification aujourd'hui remise en cause.
Les études
processus-résultats, l'analyse des mécanismes de changement sont
souvent citées comme les conditions d'une recherche répondant
au cahier des charges actuel (la psychothérapie marche, mais dans quelles
conditions, pourquoi et comment ?), mais peu de travaux se sont encore engagés
dans cette perspective.
A noter aussi l'attention portée aux formulations
de cas, avec différentes recherches qui leur sont consacrées,
notamment ce qui concerne leur qualité et leur potentialité de
prédire le processus qui va se dérouler sur les bases qui ont été formulées.
Redisons
encore ici l'importance accordée tout au long de ces journées
aux relations entre recherches et pratiques.
Ces journées auront été pour nous l'occasion de faire connaître le réseau à travers une "discussion structurée" et les deux posters que nous avions préparés à cette attention, le premier sur l'organisation du réseau, les problèmes rencontrés et la façon dont ils ont été résolus, le second sur la méthodologie et les premiers résultats à partir de 8 cas de patients borderline. Elles nous auront aussi permis de nouer ou de consolider des relations collaboratives avec des chercheurs qui travaillent sur des thèmes de recherche communs, et pour une part avec un instrument commun d'analyse du processus, le CQS dont l'auteur participait à ces journées. Nous avons pu aussi approfondir notre discussion avec le PRN anglais et comparer nos modèles respectifs de fonctionnement : le premier (UK) est plutôt une base d'accueil pour des projets de recherches qui sont discutés ; le second (F) est pour l'essentiel construit autour d'une méthodologie et d'un protocole communs. Une structure d'échanges sur Internet devrait voir le jour. Elle permettra aussi à d'autres réseaux de se faire connaître.
Comme c'est souvent le cas lors d'une assemblée aussi vaste concernant
la recherche, différents types d'études ont été présentés.
Certaines, focalisées sur un facteur, comme par exemple l'alliance thérapeutique,
présentent les résultats d'un nombre important de cas à partir
d'instruments spécifiques à ce facteur. D'autres, présentent également
des résultats d'un nombre important de cas (même parfois très
important) à partir d'auto questionnaires. Par ailleurs, les recherches
sur les études de cas sont beaucoup plus modestes au niveau du nombre
de patients (plusieurs ont présenté un cas unique), cependant
que les résultats sont beaucoup plus complexes et informatifs sur le
processus du suivi des cas cliniques. C'est une question dont nous avons discuté avec
d'autres cliniciens-chercheurs, il faut des cas pour que la signification des
résultats et la validité de la méthodologie soient hautes
mais bien sûr, il faut du temps pour engager ces études sur de
nombreux cas. Nous avons été confortés sur ce point, au
regard des présentations qui se sont succédées, car les
premiers résultats à deux ans du réseau de recherches
fondées sur les pratiques psychothérapiques reposent sur 17 cas
terminés, et c'est déjà important.
Les journées de la SPR se dérouleront l'année prochaine
en Suisse à Berne et l'on peut dès à présent concevoir
une présence française élargie.
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