Jamal Khashoggi

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Jamal Khashoggi
جمال خاشقجي
Image illustrative de l’article Jamal Khashoggi
Jamal Khashoggi en mars 2018.

Nom de naissance Jamal Abdallah Ahmed Khashoggi
جمال عبدالله أحمد خاشقجي
Naissance
Médine (Arabie saoudite)
Décès (à 59 ans)
Istanbul (Turquie)
Nationalité Saoudienne
Profession Journaliste
Spécialité Politique
Médias actuels
Fonction principale Rédacteur en chef
Chroniqueur
Historique
Presse écrite Arab News
Al-Watan
The Washington Post
Télévision Al-Arab News

Jamal Khashoggi (en arabe : جمال خاشقجي (Jamāl Khāshuqjī) [ ʒaˈmaːl χaːˈʃoɡʒi]), né le à Médine (Arabie saoudite) et mort assassiné le au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul (Turquie)[1], est un journaliste saoudien[2], ayant notamment été directeur général de la chaîne Al-Arab News[3]. Il a également été rédacteur au journal saoudien Al Watan, qu'il a transformé en plateforme progressiste[4]. Des années 1980 aux années 2000, il a régulièrement servi le prince Turki ben Fayçal, ancien directeur des services saoudiens de renseignement [5].

Initialement proche du pouvoir saoudien, il entre en dissidence à partir de 2017, à la suite de l'avènement de Mohammed ben Salmane au statut de prince héritier et de dirigeant de fait du pays. Il fuit l'Arabie saoudite en . Il déclare alors que le gouvernement saoudien l'a « banni de Twitter »[6] et écrit ensuite des articles de presse critiques vis-à-vis du régime saoudien. Extrêmement critique à l'égard du prince héritier, Mohammed ben Salmane, et du roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud[7], Khashoggi s'oppose fermement à l'intervention au Yémen[8].

Khashoggi entre dans le consulat d'Arabie saoudite en Turquie le et y est assassiné par un commando saoudien. Le prince héritier est soupçonné d'avoir commandité l'opération. Après avoir initialement nié sa mort, affirmant que Khashoggi avait quitté le consulat vivant, l'Arabie saoudite finit par reconnaître le que Jamal Khashoggi a été tué à l'intérieur du consulat[9], mais donne successivement plusieurs versions contradictoires des circonstances de son décès avant d'admettre que le meurtre était prémédité, tout en épargnant le prince héritier.

Le 26 février 2021, dans un rapport rendu public à la demande du président Joe Biden, la direction du renseignement américain accuse Mohammed ben Salmane d’avoir « approuvé » l’opération contre Jamal Khashoggi[10].

Biographie[modifier | modifier le code]

Famille et jeunesse[modifier | modifier le code]

Neveu du marchand d'armes milliardaire Adnan bin Mohammed bin Khalid Khashoggi[11], considéré comme l'homme le plus riche du monde au début des années 1980[12], Jamal Khashoggi naît le [13] dans une famille originaire de Kayseri en Turquie, d'ascendance cassogue et syrienne[2], installée en Arabie saoudite à Djeddah et très liée à la famille royale saoudienne. Son grand-père, Mohammed Khashoggi, qui a épousé une Saoudienne[14], était le médecin personnel du roi Ibn Séoud, le fondateur du royaume d'Arabie saoudite[15]. Jamal est le cousin germain de Dodi Al-Fayed, tué à Paris dans un accident de voiture aux côtés de Diana, princesse de Galles[16].

À la fin des années 1970, comme beaucoup de jeunes Saoudiens, Jamal soutient la résistance afghane contre les Soviétiques, tout comme le pouvoir saoudien de l'époque et la CIA. Il se rend lui-même en Afghanistan, et pose à l'époque en photo avec une kalachnikov : ses amis assurent cependant qu'il aurait peu combattu et que, bien qu'étant un musulman conservateur, il n'avait rien d'un extrémiste. C'est également en Afghanistan qu'il réalise ses premières interviews d'Oussama ben Laden, un autre jeune Saoudien originaire de Djeddah, qui combat alors les Soviétiques : les familles Khashoggi et ben Laden sont par ailleurs amies de longue date. Dans l'édition de de l'hebdomadaire saoudien Al Majalla, il publie ainsi un long reportage à la gloire de ces jihadistes d'Afghanistan[5] qu'il a côtoyés sur place. Il entretient à partir de là des relations personnelles avec Oussama ben Laden, et, à ce titre, organise en 1993 à Khartoum au Soudan sa première interview par un journaliste occidental, le reporter britannique Robert Fisk[5], comme celui-ci l'a raconté[17]. Après son passage dans ce pays, il étudie aux États-Unis puis, de retour en Arabie saoudite, rejoint les Frères musulmans, courant mal vu à Riyad[18].

Carrière de journaliste[modifier | modifier le code]

Diplômé en administration de l'université d'État d'Indiana (1982), Jamal Khashoggi commence sa carrière en tant que directeur régional de la librairie Tihama Bookstores de 1983 à 1984[19]. Il débute ensuite une carrière de journaliste dans différents quotidiens et hebdomadaires saoudiens, dont Saudi Gazette[2], avant d'être nommé rédacteur en chef de Al Madina, en 1992[20]. De 1991 à 1999, il est correspondant à l'étranger (Afghanistan, Algérie, Koweït, Soudan), puis devient rédacteur en chef adjoint de Arab News, le principal journal en anglais d'Arabie saoudite (1999-2003)[réf. nécessaire].

Outre son travail de journaliste, il entretient des liens avec les services de renseignements saoudiens, dont le chef, le prince Turki ben Fayçal, le considère longtemps comme un protégé. Dans les années 1990, il est chargé par les services secrets de contacter Oussama ben Laden pour le persuader de renoncer à la clandestinité et de rentrer au pays. Il échoue cependant à convaincre son ami[18]. Khashoggi prend ensuite ses distances avec ben Laden qui bascule dans le terrorisme contre l'Occident[21] ; en 2011, à la mort de ben Laden, il écrit à propos de ce dernier « Tu étais magnifique et plein de bravoure aux beaux jours de l'Afghanistan, avant que tu succombes à la haine et à la passion[18]. »

Avec les années, Khashoggi se fait le promoteur de la démocratie dans le monde arabe, critiquant les pouvoirs corrompus et plaidant pour un accroissement de la participation politique, y compris au sein des monarchies du Golfe[18]. En 2003, il est très brièvement rédacteur en chef d'Al-Watan mais, jugé trop progressiste, il est licencié par le ministre saoudien de l'Information après avoir publié plusieurs commentaires à propos de l'influence du pouvoir religieux en Arabie saoudite[22]. Il s'exile quelque temps à Londres, puis, au cours des années suivantes, il devient un conseiller très proche de Turki Al-Faycal[2] et un adversaire de Mohammed ben Salmane[15].

En 2007, il est à nouveau nommé à la tête de la rédaction de Al-Watan. Il quitte le journal en 2010 après avoir critiqué les salafistes[23] et est nommé directeur de Al-Arab News à Bahreïn, collaborant aussi à différents médias internationaux comme commentateur politique spécialiste du Moyen-Orient[2].

Demeuré en lien avec les Frères musulmans — ce qu'il reconnaît ou nie en fonction de ses interlocuteurs —[réf. nécessaire]Jamal Khashoggi soutient en 2011 les printemps arabes en jouant la carte de l'islam politique. Mais l'échec de ces révolutions vient s'ajouter à la liste de ses déceptions, après les dérives du « djihad » afghan et de ben Laden[18].

Il compte parmi les journalistes chargés de défendre la politique du royaume saoudien auprès de la presse étrangère. Il présente notamment la guerre menée par l'Arabie saoudite au Yémen comme étant dirigée contre l’Iran, qu’il compare à l’Allemagne nazie[24],[25].

Disgrâce et exil[modifier | modifier le code]

Initialement proche de Mohammed ben Salmane, en qui il voit au départ un réformateur, il rompt peu après avec lui[26]. En , Khashoggi est puni par son pays pour avoir ouvertement critiqué Donald Trump et il lui est interdit d'exercer son métier[27].

En , il s'exile aux États-Unis, où il tient une chronique au Washington Post. Il s'oppose alors de plus en plus ouvertement au prince héritier, Mohammed ben Salmane[28].

À la fin de sa vie, il souffre de diabète et d'hypertension[29].

Assassinat[modifier | modifier le code]

Dessin de l'agence de presse iranienne Fars news.

Jamal Khashoggi, qui dénonçait depuis un certain temps la politique conduite par le prince Mohammed ben Salmane dans le royaume et le désastre de la guerre du Yémen[30],[31], est assassiné le 2 octobre 2018 à l'ambassade d'Arabie saoudite à Istanbul, où il est allé effectuer des formalités. Son corps n'est pas retrouvé.

Selon la police turque, le , Jamal Khashoggi y est séquestré, torturé et assassiné par des forces spéciales saoudiennes, puis son corps est démembré et transporté hors du consulat en direction d'un autre pays[32],[33]. Le 25 octobre, l'Arabie saoudite admet que le meurtre du journaliste était prémédité[34]. Le 17 novembre, The Washington Post affirme que la CIA a conclu que le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane Al Saoud était le commanditaire de l'assassinat du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul[35],[36].

Postérité[modifier | modifier le code]

En 2020, un documentaire sur l'assassinat de Khashoggi et le rôle joué par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane a été réalisé par un réalisateur et producteur oscarisé, Bryan Fogel. Cependant, il a fallu huit mois à Fogel pour trouver un service de streaming pour The Dissident, qui a été diffusé par une société indépendante.

Références[modifier | modifier le code]

  1. « Barbouzes, scie à os... Le récit glaçant de l'assassinat de Jamal Khashoggi par un commando saoudien », sur Le Figaro (consulté le ).
  2. a b c d et e Hala Kodmani, « Qui est Jamal Khashoggi, journaliste saoudien disparu à Istanbul ? », Libération, .
  3. « Speakers » [archive du ], International Public Relations Association – Gulf Chapter (IPRA-GC), (consulté le ).
  4. Paul Hendley, « Saudi newspaper head resigns after run-in with conservatives », Al Hdhod,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  5. a b et c Guillaume Dasquié, « Toutes les vies de Jamal Khashoggi », sur via Le journal du Dimanche, .
  6. « Opinion – Saudi Arabia wasn't always this repressive. Now it's unbearable. », sur The Washington Post (consulté le ).
  7. « Jamal Khashoggi: An unauthorized Turkey source says journalist was murdered in Saudi consulate », BBC News,‎ (lire en ligne).
  8. « Turkey says journalist Khashoggi 'killed at Saudi consulate' », France 24,‎ (lire en ligne).
  9. « Ryad reconnaît que Jamal Khashoggi a été tué au consulat d'Istanbul », RTL.fr,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  10. Benjamin Barthe et Gilles Paris, « L’administration Biden prend ses distances avec “MBS” en le mettant en cause dans l’assassinat de Jamal Khashoggi », lemonde.fr, 26 février 2021.
  11. (en) VOA News, « Who is Jamal Khashoggi? », sur VOA News (consulté le ).
  12. (en-GB) David Leigh et Rob Evans, « Adnan Khashoggi », The Guardian,‎ (ISSN 0261-3077, lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Hatice Cengiz, « Opinion - My Fiancé Jamal Khashoggi Was a Lonely Patriot », sur The New York Times, (consulté le ).
  14. (en) Abu-Nasr Donna, « Who Was Jamal Khashoggi? A Saudi Insider Who Became an Exiled Critic », Bloomberg,‎ (lire en ligne).
  15. a et b Christine Ockrent, interviewée par Armin Arefi, « Ockrent : "Le meurtre de Jamal Khashoggi porte la marque de MBS" », lepoint.fr, 18 octobre 2018.
  16. Philippe Martinat, « Disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, le mystère demeure », sur leparisien.fr, .
  17. (en) Robert Fisk, « Jamal Khashoggi: Did they bury him with his body facing Mecca? », The Independent,‎ (lire en ligne)
  18. a b c d et e « Jamal Khashoggi : l'ami des princes, devenu trop dangereux », Le Figaro, 18 octobre 2018.
  19. « Jamal Khashoggi », sur World Economic Forum.
  20. « Jamal Khashoggi: The profile of a Saudi elite turned Riyadh critic », DailySabah,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  21. « Le Saoudien Jamal Khashoggi, journaliste et intellectuel engagé », Le Point, 19 octobre 2018.
  22. « Le Saoudien Jamal Khashoggi, journaliste et trublion », sur Libération.fr (consulté le ).
  23. « Turquie : ce que l'on sait de la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi », sur L'Obs (consulté le ).
  24. Pierre Prier, « Jamal Khashoggi. Anatomie d'un crime d'État saoudien », sur Orient XXI,
  25. Ahmed Hezam, « Pourquoi l'assassinat de Jamal Khashoggi n'émeut pas les Yéménites », sur Orient XXI,
  26. « Qui est Jamal Khashoggi, le journaliste saoudien disparu en Turquie ? », sur Franceinfo (consulté le ).
  27. (en) Samuel Osborne, « Journalist banned for criticising US president elect », The Independent, .
  28. Benjamin Barthe, « Mystérieuse disparition d’un dissident saoudien à Istanbul », Le Monde, .
  29. Acil Tabbara, « Affaire Khashoggi : une nomination du frère cadet de Mohammed ben Salmane, possible scénario de sortie de crise ? - Acil Tabbara », sur L'Orient-Le Jour (consulté le ).
  30. Libération, « Affaire Khashoggi : un «commando» saoudien dans le viseur d’Ankara », sur Libération (consulté le ).
  31. « L’affaire Kashoggi met Riyad sous pression », Le Monde diplomatique, .
  32. « Guet-apens, commando et "scie à os" : le scénario terrifiant du probable assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi », .
  33. (en) « Turkish police suspect Saudi journalist Khashoggi was killed at consulate », Middle East Eye, .
  34. « Saudi Arabia now admits Khashoggi killing was 'premeditated' », sur NBC News (consulté le ).
  35. « Le prince héritier saoudien derrière le meurtre de Khashoggi selon la CIA (Washington Post) », sur Le Figaro (consulté le ).
  36. Clémence Olivier avec Jean-Sébastien Soldaïni et AFP, « La mystérieuse disparition d’un journaliste saoudien interroge la communauté internationale », sur Europe 1, (consulté le ).

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • (tr) Hatice Cengiz, Cemal Kaşıkçı, éditions Kopernik, 2019.

Voir aussi[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]