Charles étouffa un cri de joie. Devant lui se déployait la tapisserie la plus magnifique qu'un homme ait jamais eu à contempler. Plus de cent bêtes sauvages s'étaient pressées devant la grange, toutes immobiles, maintenant, soudain paralysées par le grincement des battants de la lucarne. Un monde de cerfs, de biches et de chevreuils mêlaient leur majesté, leur diversité. Les têtes les plus fines côtoyaient les bois les plus désordonnés. Une seconde forêt grandissait sous la plus haute, plus décharnée encore que la première. Le ciel était de lin. De la ouate couvrait le sol, du velours ruisselait des sapins.
« cette nature, quand j'avais ton âge, je la trouvais belle. J'étais jaloux de l'oiseau, du ruisseau. Mais depuis je me suis aperçu que je me trompais. Comme les hommes, la nature possède quelque chose de décevant, et à chacune de ses splendeurs s'oppose une monstruosité. La beauté de ses couchers de soleil ne fait pas oublier la cruauté de ses avalanches. La nature aussi est une somme de bien et de mal. Je me suis même aperçu qu'elle est jalouse de ceux qui réussissent à la dépasser.
vois-tu, Raphaël, les légendes de notre pays d’Ardenne se termine presque toujours de la même façon : leurs héros sont changés en pierre. Pour sauver le monde, il faudrait ainsi une justice surnaturelle. Il faudrait que toute l'humanité soit changée en pierre. Sinon...
- Sinon ?
- Rien, oublions ça. »
Et pourtant il confia :
« Sache seulement ceci : le hasard n'existe pas. Rien au monde n'arrive en vain et tout sur terre semble être placé sur une route qui mène à un but précis. c'est pour cela que je ne me plains pas. »
Raphaël se rapprocha du vieil homme et lui pris la main.
Oui ! Devenir prêtre ! Agir à mi-distance de la vie et du ciel, voilà qui serait bien. Raphaël entrait dans les ordres non par foi aveugle, mais par besoin d’instaurer avec l’aide des principes religieux plus de justice que de charité.