Les youyous et les cris indignés retentissent dans le centre-ville Art déco de Casablanca. Flottant aux côtés du drapeau marocain, dessiné sur le tee-shirt d’une jeune femme voilée, imprimé sur des pancartes en forme de cœur, le portrait de Saad Lamjarred s’affiche sur toutes les coutures. Ce dimanche 27 novembre 2016, une centaine de fans, hommes et femmes, sont venus manifester près du consulat français contre l’arrestation, un mois plus tôt, à Paris, de celui qu’ils considèrent comme la plus grande pop star marocaine de tous les temps.
Le chanteur est accusé d’avoir agressé et violé une femme de 20 ans dans un palace de la capitale. « Moi, j’aimerais bien qu’il vienne me violer ! », scande une fan hystérique. « C’est l’enfant du peuple », lance une vieille dame avant de fondre en larmes, consternée à l’idée même de questionner l’innocence de son idole.
Deux ans plus tard, malgré une autre accusation de viol à Saint-Tropez en août 2018 qui l’a de nouveau mené devant la justice, les groupies de Saad Lamjarred n’ont que faire du mouvement #metoo, de l’onde de choc Weinstein et du déferlement de dénonciations de « porcs » qui s’en est suivi dans le monde entier. « Saad », c’est le héros qu’ils attendaient depuis toujours. Le Michael Jackson de la pop arabe. Un beau gosse de 33 ans au sourire éclatant qui fait la fierté du royaume. Tant pis pour les quatre plaintes pour viol – deux ont été retirées – et les rumeurs de « casseroles qu’il traîne au pays », selon des proches du chanteur.
« Malgré tout cela, il reste une idole, assure son vieil ami Momo Bousfiha, célèbre animateur de Hit Radio, la plus écoutée au Maroc derrière la radio coranique. C’est celui qui a porté le drapeau marocain très, très haut. » Dans le milieu de la musique arabe, cela signifie : s’exporter au Moyen-Orient. « C’est le rêve de tout artiste marocain. Il a cartonné en Egypte, là où la concurrence est rude, et partout dans le monde arabe. C’était inimaginable il y a quelques années, il l’a fait », vante l’animateur.
Une image soignée
De Rabat à Dubaï, en passant par Beyrouth et Koweit City, où sa venue a provoqué des émeutes, on se déhanche sur ses chansons. Au Liban, Saad Lamjarred a reçu plusieurs Murex d’or, l’équivalent panarabe des Grammy Awards américains, dont deux en 2017, alors qu’il était incarcéré à Paris. « Saad est une icône. Il dépasse tout ce qui a pu être fait auparavant. Surtout à l’ère du numérique, l’émotion est immédiate », explique Younes Boumehdi, qui a fondé Hit Radio en 2006. Pendant que les artistes marocains imitent les vedettes libanaises ou américaines, Saad Lamjarred invente un style.
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