Outreau: Myriam Badaoui disculpe Legrand et charge Burgaud

Myriam Badaoui portait un hijab pour témoigner au procès de Daniel Legrand à Rennes ce mercredi.

AFP

Elle est le personnage central de l'affaire d'Outreau. Ses mensonges répétés avaient conduit dix-sept personnes derrière les barreaux pour pédophilie. Ses rétractations, ont mené à l'acquittement au procès en appel de treize d'entre elles. Myriam Badaoui, la mère incestueuse, condamnée à 15 ans de prison pour les viols de ses quatre fils, était entendue comme simple témoin au procès de Daniel Legrand, l'un des acquittés dans ce dossier, jugé à Rennes depuis deux semaines. L'ex-épouse Delay joue d'emblée la carte de la rédemption : "C'est aujourd'hui que vous devez vraiment me prendre au sérieux."

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Myriam Badaoui apparaît très amincie à la barre. Ses cheveux sont dissimulés sous un hijab qui encadre son visage. Elle le remet en place sans arrêt. S'éponge le nez avec un mouchoir blanc. Dans une déclaration spontanée, elle disculpe en préambule Daniel Legrand, dont elle a "brisé la vie". "Ce jeune-là, je le connais ni d'Ève ni d'Adam, on l'a retiré de son enfance à cause de mes mensonges... Pas que les miens, mais surtout les miens." La voix est chevrotante, les propos assurés.

"Relation perverse"

On s'interroge, alors, sur sa version des faits. Daniel Legrand est innocent, elle ne le connaît pas avant "l'affaire", mais cite spontanément son nom au cours de l'instruction? "Dany Legrand en Belgique" apparaît dans le dossier via une liste de noms fournie par l'assistante familiale de Dimitri Delay, fils de Myriam Badaoui. L'enfant est alors placé et parle à cette "tata". La mère de famille qui ne voit plus ses fils n'est pas censée être au courant de cette succession de mis en cause.

Trois options, relève la partie civile. Elle tombe juste, par hasard. Elle dit vrai, Daniel Legrand était bien à la Tour-du-Renard pendant les abus sexuels. Elle ment et ses déclarations ont été "téléguidées". Mais par qui? Le témoin choisit l'alternative numéro trois et charge Fabrice Burgaud. Le jeune juge a instruit le dossier entre 2001 et 2002. Au fil de la relecture d'extraits d'interrogatoires et de confrontations collectives - l'une des failles de l'instruction - se dessinent les contours d'une "relation perverse" entre la violeuse et le magistrat, pour reprendre le terme de Me Delarue défenseur de Daniel Legrand.

"Pour la première fois, j'avais beaucoup d'importance"

Elle trouve en lui une oreille attentive, lui une source intarissable. "Dans le bureau de M. Burgaud, pour la première fois j'avais un homme devant moi qui m'écoutait et (pour) qui j'avais beaucoup d'importance..." Alors, quand on lui présente un nom, un cliché, elle "délire". "Après, quand je rentrais en cellule, je me disais: 'tu dis n'importe quoi' et quand je voulais revenir sur mes déclarations, il (le juge) me disait que j'étais une menteuse..."

Pour "plaire", elle rectifie. "Lorsque je disais la vérité, le juge n'était pas content, il tapait du poing sur le bureau et il m'a parlé de Daniel Legrand en me montrant des photos, il m'a dit qu'il avait eu un problème en Belgique... Et c'est pareil pour M. (Alain) Marécaux (un autre des acquittés d'Outreau, ndlr), quand je donnais un nom qui lui convenait pas (au juge, ndlr), il me parlait d'autres personnes..."

"Le juge m'a mangée"

A ce stade de l'audience, on pourrait presque apercevoir l'hologramme du juge Burgaud dans le box des accusés. Mutique et somnolent, Daniel Legrand lui céderait volontiers sa place. Mais, entendu par visioconférence la semaine dernière, le magistrat, aujourd'hui en poste à la Cour de cassation, a démenti avoir suggéré à Myriam Badaoui de mentionner Legrand père et fils. Arguant que Legrand fils avait avoué les faits à trois reprises.

Myriam Badaoui reprend de plus belle, murmurant des "putains" dans le micro, perceptibles seulement de la salle de retransmission. "Le juge m'a mangée. Il m'a bouffée", tonne-t-elle. Badaoui victime de Burgaud? Pas si simple. Et si le magistrat avait été instrumentalisé par la femme?

"Je n'étais qu'une gamine"

Aurélie Grenon, voisine des Delay condamnée dans le même dossier pour viols, était aussi entendue ce mercredi. Mère au foyer de 35 ans, elle a purgé sa peine et décrit l'"engrenage" dans lequel elle a sombré avec son compagnon de l'époque, David Delplanque. Si elle refusait de se soumettre aux actes sexuels, les parents Delay menaçaient de "s'en prendre aux enfants". Dans le bureau du juge Burgaud, il fallait abonder dans le sens de Myriam Badaoui sinon "ça n'allait pas."

La jeune femme ajoute même que "des mots ou bouts de phrases prononcées pendant les interrogatoires n'étaient pas retranscrits sur les PV". La marge de manoeuvre nécessaire à l'arrivée des mensonges de Badaoui devant une cour d'assises? "Je n'ai fait que répéter ce que j'entendais... Je reprenais ce qui était dit avant, après", a martelé Aurélie, les yeux ronds, avant de se mettre à pleurer. "Je venais de quitter chez mes parents, je n'étais qu'une gamine."

"Même par amour pour mes enfants, je ne veux plus mentir"

Avant elle, un autre môme a fait face à Myriam Badaoui. Son fils, Jonathan, partie civile. Comme l'un de ses frères, il accuse Daniel Legrand de viols sur le fondement d'"images". Il visualise le jeune homme à l'appartement familial pendant les abus sexuels. Sa mère dément, le renvoyant à un statut qu'elle connaît désormais bien, celui de menteur.

Le jeune homme de 21 ans s'approche de sa mère. Plonge son regard dans le sien. La tension est palpable. La dernière fois, c'était en détention. Jonathan prend une grande inspiration et lui demande, poignant: "Est-ce que tu vas avoir le courage de dire qu'il n'y avait que quatre" (adultes violeurs, ndlr)?", "Oui", répond Badaoui. Et renchérit : "Même par amour pour mes enfants je ne veux plus mentir." Jonathan a filé, il n'est déjà plus sur le banc des parties civiles.

Absent, il n'entend pas, non plus, Myriam Badaoui lui prodiguer peut être son dernier conseil en tant que mère. "Quand tu seras grand, j'espère que tu prendras conscience que le mensonge détruit et ne construit pas." Puis, vient au tour de la "diva" Badaoui de quitter la salle d'audience. Fuyant caméras et objectifs, elle double son hijab d'une capuche et sort par la petite porte. Les quatre lettres cousues sur son sweat bleu flottent encore dans l'air. "Team", "équipe" en anglais. Sortie de prison depuis 2011, la femme apparaît pourtant bien isolée. Sans emploi, elle vit aujourd'hui dans un centre d'accueil. Seule, avec ses regrets, "et le mot est faible".

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