portrait

Claudie Haigneré, sortie du trou noir

L’astronaute qui fut ministre de la Recherche liquide son récent mal-être en prenant la présidence de la Cité des Sciences.
par Edouard Launet
publié le 29 mai 2009 à 6h53
(mis à jour le 29 mai 2009 à 6h53)

Sur son propre cas, le Dr Haigneré pose ce diagnostic : «syndrome de burn out». On ne ferme plus l'œil, on est vidé intérieurement, les émotions s'émoussent et disparaissent, on se sent inutile, nul, insignifiant. Par-dessus tout, elle voulait dormir, débrancher le robot qu'elle était devenue. «Cinq ou six cachets» d'un truc fort, et même de plusieurs. Coma, urgences et bien vite, dans les journaux, la rumeur d'une tentative de suicide. C'était en décembre, à la veille de Noël.

Quoi ? Comment ? La belle et brillante astronaute, celle que tout le monde rêvait d'être ou d'épouser, la dame au grand charisme et au sang-froid qui fut deux fois ministre, eh bien cette femme-là avait voulu en finir avec la vie ? Non, elle rectifie : «burn out». Syndrome de stress aigu dû à un travail (conseillère à l'Agence spatiale européenne) qui ne l'épuisait certes pas, mais qui ne lui offrait pas tous les défis dont elle rêvait. Bref qui l'emmerdait. Car «Claudie», comme elle aime qu'on l'appelle, a besoin pour vivre de montagnes à gravir. «J'ai besoin de faire des choses qui me mobilisent complètement, je suis une femme d'engagement.»

De tout cela, elle parle calmement, précisément, sans éluder aucune question, d’une voix aux accents un brin aristocratiques où les fins de phrases sont souvent ponctuées d’un rire flûté, posé là comme pour désamorcer la prétention des propos. A 52 ans, cheveux argent et ligne de sportive, mère d’une petite Carla de 11 ans, Claudie n’a jamais été aussi belle. Elle nous reçoit au pied de sa nouvelle montagne, dans son bureau de présidente de la Cité des Sciences qu’elle occupe depuis quelques semaines. Car le gouvernement vient de lui confier une nouvelle mission : réunir l’institution de la Villette avec le Palais de la Découverte. Pas exactement un Everest, mais pas un Massif Central non plus : les deux grands musées scientifiques français ne peuvent pas s’encadrer.

Les vastes baies vitrées de son bureau s’ouvrent sur une petite Terre : la sphère argentée de la Géode. Hier c’était l’inverse, les petits hublots de Mir puis ceux de la Station spatiale internationale (ISS) s’ouvraient sur la grande planète bleue. Il a fallu redescendre de là-haut. Puis il a fallu se remettre de deux épisodes ministériels (à la Recherche, puis aux Affaires européennes) pas franchement fracassants. Et maintenant se relever d’une surdose.

La dernière image publique de Claudie Haigneré, c'était celle d'une femme en larmes. Mai 2005 : elle est alors ministre déléguée aux Affaires européennes, et les Français viennent de dire merde à la Constitution. Avant d'être viré, Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, fait un speech d'adieu devant ses collaborateurs, virés eux aussi. Il y a là Xavier Darcos (Coopération et Francophonie), Renaud Muselier (secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères) et Claudie Haigneré. Sous les ors du Quai d'Orsay, le discours d'adieu de Barnier est si poignant que sa ministre déléguée en a l'œil humide. Les commentateurs diront : elle pleure son échec. Faux. «L'échec du référendum, je ne l'ai pas pris personnellement. Cela a été une déroute collective. Ma responsabilité peut-être, c'est de ne pas avoir su être une femme de petites phrases.» Michel Barnier, qui est resté un proche, le reconnaît : «Elle a été très marquée, comme moi, par cette expérience. Mais j'espère qu'un jour elle reviendra dans l'action publique, à sa manière, non partisane.»

Pour s'illustrer tout de même auprès des médias pendant la campagne du référendum, il y aura une calamiteuse expédition dans un supermarché… d'Auteuil. Elle voulait, explique-t-elle, «aller à la rencontre du public de tous les jours». Son cabinet a choisi une grande surface du XVIe. Mauvaise pioche. Elle ne rencontre sur ce chic terrain que «l'expression d'une indifférence polie», dixit un confrère du Monde. Claudie Haigneré a dû se sentir bien seule, mais la solitude, elle connaît. «Lorsque j'ai écrit sa biographie, je ne lui ai trouvé aucun ami», s'étonnait la journaliste Yolaine de la Bigne en 2001. Lycéenne, elle restait le samedi soir chez elle à faire des versions grecques et latines, quand sa sœur aînée partait faire la fête.

Elle est brillante, bonne élève; à l’intérieur de la belle statue, l’ossature de métal érigée barreau par barreau est solide mais pas inoxydable. Son ascension vers les étoiles est connue : doctorat de médecine (1981), certificats de médecine du sport, de médecine aéronautique et spatiale, de rhumatologie, DEA de biomécanique, doctorat de neurosciences (1992). Bac + 19 ! Huit ans de rhumatologie à l’hôpital Cochin, puis l’aventure de l’espace. La Cité des Etoiles à Moscou, où elle rencontre son futur mari, l’astronaute Jean-Pierre Haigneré, qu’elle épousera en secondes noces (très jeune, elle s’était mariée avec un ami de lycée, Paul Deshays).

Mir en 1996, l'ISS en 2001, le ministère de la Recherche en 2002 car Jean-Pierre Raffarin lui téléphone un jour tout à trac pour l'inviter à rejoindre son gouvernement. Elle arrive frémissante de bonne volonté mais se ramasse un des budgets les plus minables que la Recherche ait jamais subi. La communauté scientifique lui tombe dessus. «J'en ai retenu deux leçons. Un : avoir des exigences dès le départ. Deux : savoir se trouver des alliés à Bercy.» Même Jean-Pierre Raffarin fait aujourd'hui amende honorable : «Je l'ai exposée à une situation difficile, alors que c'est une femme de projet. Je l'ai beaucoup regretté, cela reste une cicatrice pour moi», dit l'ancien Premier ministre.

De quoi est-elle la plus fière, avoir été spationaute ou avoir été ministre ? La question semble la désarçonner. La simple idée qu'autrui puisse penser qu'elle ressent parfois un sentiment d'orgueil a l'air de lui faire horreur. La statue répond que son ambition personnelle compte peu, qu'elle porte avant tout les espoirs et les rêves de milliers de personnes, que «l'important n'est pas l'objectif, mais le chemin». L'ossature interne raconte probablement une autre histoire.

Son seul étourdissement est celui des avions. Le 1er mai dernier, à Dijon, elle volait avec son mari sur un Stamp puis sur un L39 de la Breitling Jet Team («la seule patrouille civile professionnelle volant sur jet»). Autre vertige, celui de l'art contemporain, qu'elle collectionne. Une trentaine de pièces, toutes puisées dans le courant de l'abstraction lyrique avec également des œuvres d'Albert Féraud, Vieira da Silva, quelques Russes. Elle estime qu'arts et sciences ont beaucoup à échanger, d'ailleurs elle va s'en préoccuper dans ses nouvelles fonctions.

L'ancienne ministre se sent proche des valeurs de droite mais n'est pas encartée UMP. Elle n'aurait pas dit non à une place sur la liste Barnier pour les européennes «pour défendre la science à Strasbourg» mais on ne lui a pas dit oui. Elle s'est résignée : «Un mandat électif ? Ce n'est pas là que je serais la meilleure.» Son engagement, c'est la science, «c'est là que je suis bien». Elle n'a donc pas dit non quand son ami Jean-François Hébert, directeur de cabinet de la ministre de la Culture, Christine Albanel, a pensé à elle pour réunir la Cité et le Palais. Fini le «burn out».

Claudie Haigneréen neuf dates :

13 mai 1957 : Naissance au Creusot (Saône- et-Loire).

1981 : Docteure en médecine.

1985 : Spationaute scientifique au Cnes.

1996 : Mission sur la station Mir.

2001 : Mission sur la Station spatiale internationale.

Juin 2002 : Ministre déléguée à la Recherche.

Mars 2004 : Ministre déléguée aux Affaires européennes.

Décembre 2008 : Burn out.

Avril 2009 : Chargée de réunir Cité des Sciences et Palais de la Découverte.

Photo Christophe Beauregard

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