Chronologie

La bataille de Simone Veil pour le droit à l’avortement

Il y a quarante ans, Simone Veil défendait à l’Assemblée son projet de loi sur l’interruption volontaire de grossesse. Retour sur un combat âpre, et même violent, jusqu’à l’adoption de cette loi.
par Marie Piquemal et Noémie Destelle
publié le 26 novembre 2014 à 10h04

Simone Veil a marqué la lutte pour les droits des femmes. Le 26 novembre 1974, alors ministre de la Santé, elle présente devant les députés son projet de loi sur l’avortement.

Le 17 janvier 1975, la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse est promulguée. Jusque-là, avorter pour une raison non médicale était un délit, passible de prison. Retour sur le combat qui a mené à l’adoption de cette loi.

5 avril 1971, l’appel des 343

La bataille pour le droit à l’avortement commence bien avant l’arrivée de Simone Veil au gouvernement. La question divise la société. Le 5 avril 1971, 343 femmes réclament le droit à l’avortement dans

le Nouvel Observateur

.

«Un million de femmes se font avorter chaque année en France… Je déclare que je suis l’une d’elles»

,

… et d’autres que

Charlie Hebdo

rebaptisera les

«343 salopes»

. Le manifeste accélère le combat pour les droits des femmes, dans la rue mais aussi devant la justice.

Octobre 1972, le procès de Bobigny

Marie-Claire, 17 ans, est jugée pour avoir avorté à la suite d’un viol. La mobilisation est forte. Défendue par Gisèle Halimi, la jeune fille sera finalement acquittée. Sa mère sera, en revanche, condamnée à 500 francs d’amende pour complicité d’avortement et la personne ayant pratiqué l’interruption de grossesse, à un an de prison avec sursis.

13 décembre 1973, une première tentative ratée

L'Assemblée nationale examine un projet de loi du gouvernement Messmer, porté par le ministre de la Santé, Michel Poniatowski, autorisant l'interruption de grossesse «en cas de risque pour la santé physique, mentale ou psychique de la femme, d'un risque élevé de malformation congénitale ou d'une grossesse consécutive à un acte de violence». Le texte est finalement repoussé par 225 voix contre 212.

28 mai 1974, Simone Veil entre au gouvernement

Simone Veil est nommée ministre de la Santé par Jacques Chirac, alors Premier ministre. Elle occupait jusque-là le poste de secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature et était peu connue du grand public. A peine arrivée, elle est chargée de préparer un nouveau projet de loi sur l’avortement.

11 novembre 1974, le texte en Conseil des ministres

Le projet de loi Veil autorise l’interruption de grossesse avant la dixième semaine sur simple demande à un médecin. Mais le texte ne prévoit pas que l’acte soit remboursé par la Sécurité sociale. Il faudra attendre dix ans de plus.

26 novembre 1974, présentation à l’Assemblée

Au premier jour de l'ouverture des débats à l'Assemblée, Simone Veil prononce son discours dans un climat très tendu : «Je voudrais vous faire partager une conviction de femmes. Je m'excuse de le faire devant une Assemblée constituée quasi exclusivement d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement.»

Parmi les 64 orateurs qui prennent la parole pendant les vingt-cinq heures de débats, les oppositions les plus virulentes viennent de la droite (au pouvoir). La gauche approuve le principe du projet, mais plusieurs députés discuteront âprement ses modalités. Extraits.

Hélène Missoffe, l'une des rares femmes de l'hémicycle, est la première à prendre la parole après la ministre Veil : «Se fermer les yeux, faire comme si le problème n'existait pas, est à la fois lâche, bête et stupide.» Jean Foyer, député de la majorité de droite, monte à la tribune. «Le temps n'est pas loin où nous connaîtrons en France ces "avortoirs", ces abattoirs où s'entassent des cadavres de petits hommes et que certains de mes collègues ont eu l'occasion de visiter à l'étranger.» 

Le député de droite Alexandre Bolo : «Vous instaurez un nouveau droit, celui de l'euthanasie légale.» «Comment osez-vous parler d'euthanasie à Madame Veil !» lui répond Pierre Bourson, faisant implicitement allusion aux membres de la famille de Simone Veil gazés dans les camps de concentration.

«Ecoutez les palpitations du cœur d'un petit être conçu le 4 octobre 1973 et enregistré quarante-neuf jours après.» Le député de droite Emmanuel Hamel appuie alors sur la touche «play» de son magnétophone. Le président de séance lui rappelle le règlement : «Monsieur Hamel, vous n'avez pas le droit, à cette tribune, de faire entendre une autre voix que la vôtre.»

Ecouter le discours de Simone Veil en intégralité ci-dessous :

29 novembre 1974, adopté en première lecture

Le projet de loi est finalement voté par 284 voix pour et 189 contre, en première lecture. Tout a failli basculer, les socialistes menaçant de ne pas voter le projet à cause d’un amendement permettant aux établissements hospitaliers privés de ne pas être obligés de pratiquer l’avortement.

Le 30 novembre, Libération titre «Après l'adoption du projet de loi sur l'avortement : une victoire». Lire l'article «L'avortement sort enfin de l'aquarium».

13 décembre 1974, le projet de loi arrive au Sénat

A la tribune du Sénat, Simone Veil défend de nouveau sa loi, nécessaire en raison de «l'iniquité» et «l'inefficacité» de la législation en vigueur sur l'avortement, selon la ministre, et de l'inégalité sociale des femmes devant une grossesse non désirée.

Pendant les débats, on entend notamment Jacques Henriet, fermement opposé au projet de loi : «La femme est libre de disposer de son corps mais pas de l'embryon qu'elle porte, maillon de la grande chaîne de l'évolution.» Après le vote du Sénat le 20 décembre, le texte est étudié en deuxième lecture à l'Assemblée.

«Quand j'ai quelque chose à faire, j'aime que ce soit bien fait» : le 19 décembre, Simone Veil revient dans une interview télévisée sur ce débat parlementaire «difficile».

17 janvier 1975, la promulgation

C'est une loi provisoire pour cinq ans. Il en faudra une deuxième, adoptée le 31 décembre 1979, pour que l'avortement soit définitivement légalisé. Il faudra aussi la mobilisation de femmes pour que la loi Veil soit vraiment appliquée. Pendant plusieurs années en effet, de nombreux médecins invoquent la clause de conscience pour refuser de pratiquer l'IVG. En 1983, une loi autorise enfin son remboursement par la Sécu.

Archives «25 heures dans la vie d'une femme» : dans une enquête publiée en 2004, «Libération» revient sur ces vingt-cinq heures de débats enflammés dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale.

Pour aller plus loin :

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